Explorer les Livres électroniques
Catégories
Explorer les Livres audio
Catégories
Explorer les Magazines
Catégories
Explorer les Documents
Catégories
Eisemann Pierre Michel. L'arrêt de la C.I.J. du 26 novembre 1984 (compétence et recevabilité) dans l'affaire des activités
militaires et para-militaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c/ États-Unis d'Amérique). In: Annuaire français de droit
international, volume 30, 1984. pp. 372-390.
doi : 10.3406/afdi.1984.2610
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/afdi_0066-3085_1984_num_30_1_2610
L'ARRÊT DE LA C.I.J. DU 26 NOVEMBRE 1984
(COMPÉTENCE ET RECEVABILITÉ) DANS L'AFFAIRE
DES ACTIVITÉS MILITAIRES ET PARAMILITAIRES
AU NICARAGUA ET CONTRE CELUI-CI
(5) A diverses reprises la Cour a rappelé le « principe de droit international bien établi et incorporé
dans le Statut, à savoir que la Cour ne peut exercer sa juridiction à l'égard d'un Etat si ce n'est avec le
consentement de ce dernier » ( Or monétaire pris à Rome en 1943, arrêt du 15 juin 1954, CI J. Rec. 1954,
p. 32). Voir aussi l'arrêt du 26 mai 1959 dans l'affaire de \ Incident aérien du 27 juillet 1955 (CM. Rec. 1959,
p. 142).
374 COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE
(6) Cf. l'arrêt, §§ 15-16 (CI J. Rec. 1984, pp. 399-400) et les opinions individuelles des juges ODA ( ibid.,
pp. 473-474) et AGO ( ibid., pp. 519-521).
(7) C.IJ. Rec. 1984, p. 400, § 16.
(8) Eod. loc.
(9) C.U. Rec. 1984, p. 403, § 25. Toutefois, pour le juge MOSLER, qualifier la déclaration de 1929 —
instrument juridique soumis à une condition préalable (le dépôt de l'instrument de ratification du protocole)
— « d'acte certainement valide mais dénué de force obligatoire [...] semble être une interprétation erronée
d'un acte juridique sous condition suspensive » ( ibid., p. 462). Au contraire, M. AGO y voit « une
manifestation valide en soi, mais qui n'a jamais pu produire d'effets juridiques » ( ibid., p. 531).
(10) C.U. Rec. 1984, p. 404, § 25.
(11) Ibid., p. 404, § 27. Selon la Cour, comme elle était « faite 'purement et simplement', elle était
valable pour une durée illimitée » (eod. loc).
(12) Pourtant une règle classique d'interprétation veut qu'en présence de textes multilingues on
adopte « le sens qui, compte tenu de l'objet et du but du traité, concilie le mieux ces textes » ( Convention
de Vienne sur le droit des traités, art. 33, § 4).
(13) C.IJ. Rec. 1984, p. 406, § 30. Nos italiques.
AFFAIRE DES ACTIVITÉS MILITAIRES ET PARAMILITAIRES AU NICARAGUA 375
Cette première hypothèse est confortée par une seconde. Le choix de l'expression
française
« paraît dénoter une volonté d'élargir le bénéfice de l'article 36, paragraphe 5, aux
déclarations n'ayant pas acquis de force obligatoire »
même si
« d'autres interprétations de cette proposition ne sont pas à exclure » (14).
On voit toutefois mal comment une interprétation viciée par l'ignorance du sens
de la version authentique anglaise du texte pourrait se trouver consolidée par une
pure supposition, au demeurant très contestable (15) d'autant que le délégué
français avait explicitement déclaré que son amendement ne touchait pas le
fond (16).
Enfin, la Cour évoque « les préoccupations générales » ayant présidé à la
transmission des compétences de la C.P.J.I. à la C.I.J., insistant sur
« le souci essentiel des rédacteurs du Statut de la Cour internationale de Justice [...]
de maintenir la plus grande continuité possible entre la Cour permanente de Justice
internationale et la Cour internationale de Justice » (17)
ainsi que sur la volonté des négociateurs de San Francisco de faire en sorte que
la substitution d'une nouvelle Cour à l'ancienne
« ne se traduise pas par un recul par rapport aux progrès accomplis dans la voie de
l'adoption d'un système de juridiction obligatoire » (18).
Suivant une approche bien contournée du concept de « progrès » (associé à une
déclaration n'attribuant pas compétence à la C.PJ.I) (19), la Cour en vient à
affirmer que
« la logique d'un système substituant une nouvelle Cour à l'ancienne sans que la cause
de la juridiction obligatoire en souffre aucunement conduisait à faire produire à la
ratification du nouveau Statut exactement les effets qu'aurait produit la ratification du
protocole de signature de l'ancien, c'est-à-dire, dans le cas du Nicaragua, le passage de
l'engagement potentiel à l'engagement effectif » (20).
tient pour important que les Etats intéressés, y compris le Nicaragua lui-même,
n'aient pas rejeté ou contesté la mention en cause. En ce qui concerne le Nicaragua,
la Cour estime même que
« le silence du gouvernement de cet Etat ne peut s'interpréter que comme une
acceptation du classement qui lui était ainsi attribué »,
ajoutant qu'
« [i]l ne peut être supposé que ce gouvernement ait pu croire que son silence aurait
une valeur autre que celle d'un acquiescement » (28).
Le raisonnement de la Cour tient, cependant, du diallèle car si l'on veut bien
admettre que Y Annuaire n'a pas vocation à dire droit, on voit mal pourquoi il aurait
été indispensable de protester contre une de ses mentions. Une telle attitude
n'aurait de sens que si l'on reconnaît en l'espèce une force probante à Y Annuaire,
ce que nul ne semble soutenir (29).
La « lettre Shultz »
que la pratique des Etats n'était pas univoque. A cela la Cour oppose sa précédente conclusion que « le
comportement du Nicaragua, vu les circonstances très particulières dans lesquelles il s'inscrivait, revenait
à manifester un consentement à être lié de façon telle qu'il y avait là un mode valable d'acceptation de la
juridiction » (C.U. Rec. 1984, p. 414, § 51).
(37) Une « modification » peut, en effet, constituer une réelle « dénonciation ». C'est ce que la Cour
semble admettre en notant que la notification américaine « vise à réaliser une dénonciation partielle et
temporaire, afin d'affranchir, avec effet immédiat, les Etats-Unis de l'obligation de se soumettre à la
juridiction de la Cour pour toute requête concernant des différends avec des Etats centraméricains ou des
différends en rapport avec les événements d'Amérique centrale » (C.U. Rec. 1984, pp. 417-418, § 58). Cf.
sur ce point l'accord du juge SCHWEBEL ( ibid., p. 617).
(38) C.U. Rec. 1984, p. 418, § 59. La Cour fait référence à sa jurisprudence dans l'affaire des Essais
nucléaires (C.U. Rec. 1974, p. 267, § 43; p. 472, § 46 et p. 268, § 46; p. 473, § 49).
(39) C.IJ. Rec. 1984, p. 418, § 60.
(40) Eod. loc.
380 COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE
« le droit, inhérent à tout acte unilatéral d'un Etat, de changer la teneur de leur
déclaration ou d'y mettre fin » (41),
les Etats-Unis
« ont néanmoins assumé une obligation irrévocable à l'égard des autres Etats qui
acceptent la clause facultative, en déclarant formellement et solennellement que tout
changement semblable ne prendrait effet qu'après l'expiration des six mois de préa
vis» (42).
On ne peut qu'approuver une pareille conclusion à laquelle on aurait sans doute
pu parvenir en se contentant d'assimiler une modification à une forme de dénonc
iation, au moins partielle. Mais, en insistant sur la notion générale d'engagement
unilatéral, la Cour plaçait des jalons pour « banaliser » l'engagement américain et
le faire sortir du cadre spécifique de la clause facultative sur lequel reposait
l'argumentation des Etats-Unis.
En effet, la réciprocité est au cœur du système de la clause facultative (43) et
le défendeur tenta de faire jouer à son profit cette condition. Selon la partie
américaine, la déclaration nicaraguayenne de 1929, d'une durée indéfinie, est
susceptible d'une dénonciation sans préavis; en conséquence, le Nicaragua n'a pas
accepté la « même obligation » que les Etats-Unis aux fins de l'article 36, § 2, du
Statut et il ne pourrait leur opposer la clause de préavis.
La Cour rejette le moyen américain en avançant deux arguments qui paraissent
quelque peu contradictoires.
Tout d'abord, elle affirme — et on aurait pu souhaiter une démonstration plus
complète qu'une simple citation de l'affaire de l' Interhandel (44) — que
« [l]a notion de réciprocité porte sur l'étendue et la substance des engagements, y
compris les réserves dont ils s'accompagnent, et non sur les conditions formelles
relatives à leur création, leur durée ou leur dénonciation. Il apparaît nettement que la
réciprocité ne peut être invoquée par un Etat pour ne pas respecter les termes de sa
propre déclaration, quel qu'en soit le champ d'application, les limites ou les condi
tions » (45).
Ensuite, la Cour estime que, pour invoquer la réciprocité, il faudrait que la
déclaration nicaraguayenne soit dénonçable sans préavis. Or,
« le droit de mettre fin immédiatement à des déclarations de durée indéfinie est loin
d'être établi. L'exigence de bonne foi paraît imposer de leur appliquer par analogie le
traitement prévu par le droit des traités, qui prescrit un délai raisonnable pour le retrait
ou la dénonciation de traités ne renfermant aucune clause de durée » (46).
Mais une telle analogie est-elle légitime ? Une fois encore la Cour néglige
implicitement le caractère sui generis des déclarations d'acceptation de la juridic
tion obligatoire pour — conformément à la thèse défendue par le Nicaragua —
appliquer une règle du droit des traités. La conclusion qu'en tire la Cour est d'autant
La « réserve Vandenberg »
(47) Cf. les opinions individuelles de MM. ODA (C.IJ. Rec. 1984, pp. 503-510) et JENNINGS ( ibid., pp.
550-553) ainsi que l'opinion dissidente de M. SCHWEBEL ( ibid., pp. 616-620 et 624-625). Voir contra l'opinion
de M. M0SLER ( ibid., p. 467).
(48) II sera donc inutile à la Cour de se prononcer sur le grief de nullité de la notification américaine,
avancé par le Nicaragua qui estimait qu'elle provenait d'une autorité incompétente en droit interne.
(49) Cf. l'opinion individuelle de M. M0SLER (C.IJ. Rec. 1984, p. 468) et contra celle de M. JENNINGS
( ibid., pp. 554-555). Pour une évocation des débats au Sénat, voir l'opinion de M. RUDA ( ibid., pp. 454-457)
et les plaidoiries de MM. REICHLER (CR. 84/14 (Trad.), pp. 26-38) et NORTON (CR 84/18 (Trad.), p. 4).
(50) C.IJ. Rec. 1984, pp. 424-425, § 73. Sur ce point voir l'opinion dissidente de M. SCHWEBEL ( ibid.,
pp. 613-616).
382 COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE
D'autre part, comment doit-on déterminer les Etats « que la décision con
cerne » (51) ? Selon la Cour,
« ce n'est qu'à partir du moment où les grandes lignes de son arrêt se dessineraient
qu'elle pourrait déterminer quels Etats seraient 'affectés' »,
ajoutant qu'il
« est certain que la détermination des Etats 'affectés' ne peut être laissé aux parties
[et que] c'est à la Cour d'en décider » (52).
Mais la Cour ne peut trancher à ce stade car
« en tout état de cause c'est là une question qui touche des points de substance relevant
du fond de l'affaire : de toute évidence, la question de savoir quels Etats pourraient être
'affectés' par la décision au fond n'est pas en soi juridictionnelle » (53).
Dès lors, la Cour
« n'a d'autre choix que d'appliquer l'article 79, paragraphe 7, de son Règlement actuel,
et de déclarer que l'objection tirée de la réserve relative aux traités multilatéraux
figurant dans la déclaration d'acceptation des Etats-Unis n'a pas, dans les circonstances
de l'espèce, un caractère exclusivement préliminaire et qu'en conséquence rien ne
s'oppose à ce que la Cour connaisse de l'instance introduite par le Nicaragua dans sa
requête du 9 avril 1984 » (54).
Il est certain que le fait de réserver l'examen de l'effet de la « réserve
Vandenberg » à la phase ultérieure de l'instance ne pourra manquer de poser de
délicats problèmes pratiques. Mais on peut douter qu'il ait été possible de faire
autrement, cette situation n'étant que la conséquence de la formulation même de
la réserve (55).
(51) La rédaction de la réserve est ambiguë car elle peut aussi bien viser les parties au traité
concernées par la décision que les parties — sous-entendu « toutes » — au traité concerné par la décision.
Le point n'est pas examiné par la Cour car les Etats-Unis, en faisant explicitement référence au Honduras,
au Costa- Ria et à El Salvador, s'en tenaient eux-mêmes à la première interprétation (soit à la plus limitée).
(52) C.U. Rec. 1984, p. 425, § 75.
(53) Ibid., p. 425, § 76.
(54) Ibid., pp. 425-426, § 76. Cf. contra l'opinion dissidente de M. SCHWEBEL ( ibid., pp. 603-613).
(55) A propos de cette réserve, la Cour fait également mention de la possibilité pour les trois Etats
cités par les Etats-Unis de la saisir d'une requête introductive d'instance contre le Nicaragua, d'intervenir
en vertu des articles 62 et 63 du Statut — proposition pour le moins paradoxale compte tenu de sa
jurisprudence récente en la matière — ainsi que de la protection à eux assurée par l'article 59 du Statut
(effet relatif des décisions). Quel que soit l'intérêt de ces remarques, elles demeurent étrangères au problème
précis en cause, à savoir l'effet de la réserve américaine. Cf. sur ce point l'opinion dissidente de M. SCHWEBEL
(C.U. Rec. 1984, p. 604).
(56) Incidemment on peut se demander quels espoirs la Partie nicaraguayenne plaçait réellement en
ce titre de compétence, brièvement exposé dans ses écritures, qui ne fit l'objet que de... deux phrases (de
l'agent du Nicaragua) au cours de toute la procédure orale. Cf. CR. 84/15 (Trad.), p. 67.
AFFAIRE DES ACTIVITÉS MILITAIRES ET PARAMILITAIRES AU NICARAGUA . 383
pétence bien qu'elle soit plus étroite dans sa portée que celle résultant de l'accep
tation de la juridiction obligatoire.
Au préalable il convenait de trancher un point de procédure. Le Nicaragua
avait, pour la première fois, invoqué le Traité dans son mémoire; il n'y avait donc
pas été fait référence dans la requête introductive d'instance, celle-ci réservant
toutefois au Nicaragua le droit d'y apporter des modifications ultérieures. Le
demandeur était-il de ce fait empêché d'invoquer le Traité, comme le soutenaient
les Etats-Unis ? Ce n'est pas l'avis de la Cour qui estime qu'un autre motif de
compétence peut être ultérieurement porté à son attention sous la double condition
— réunie en l'espèce — que le demandeur ait clairement manifesté l'intention de
procéder sur cette base et que le différend ne se trouve pas transformé en un autre
différend dont le caractère ne serait pas le même (57). De fait, les exigences
textuelles sont sur ce point peu contraignantes (58).
L'article XXIV, § 2, du Traité de 1956 dispose que
« [t]out différend qui pourrait s'élever entre les parties quant à l'interprétation ou à
l'application du présent traité et qui ne pourrait pas être réglé d'une manière
satisfaisante par la voie diplomatique sera porté devant la Cour internationale de
Justice, à moins que les parties ne conviennent de le régler par d'autres moyens
pacifiques ».
Si l'on tient pour admis, conformément à la jurisprudence de la Cour dans l'affaire
du Personnel diplomatique et consulaire, qu'une telle clause autorise une saisine
unilatérale, il reste que son invocation soulève deux difficultés : quelle importance
faut-il donner à la disposition relative à la « voie diplomatique » et quelle peut être
la portée de cette clause en tant qu'elle figure dans un traité de commerce et est
liée à celui-ci ?
Selon les Etats-Unis, il n'existerait pas de « rapport raisonnable » entre le
Traité et les demandes présentées à la Cour. Au contraire, le Nicaragua fait valoir
que cet instrument est violé par suite des activités militaires et paramilitaires des
Etats-Unis et il cite cinq articles directement concernés (59).
Sans doute, pour les besoins de sa cause, le Nicaragua sollicite-t-il quelque peu
le sens des termes employés par le Traité mais la nature franchement conflictuelle
des relations entre les deux Etats ne pouvait manquer d'avoir des répercussions sur
les mouvements des personnes et des biens visés par cet accord. Même s'il
conviendra, dans la phase suivante de l'instance, de mesurer avec précision le lien
entre les dispositions conventionnelles et les agissements imputés aux Etats-Unis,
la Cour ne peut, au présent stade, que constater qu'
« il n'est pas douteux que, dans les circonstances où le Nicaragua a présenté sa requête
à la Cour et d'après les faits qui y sont allégués, il existe un différend entre les Parties,
notamment quant à 'l'interprétation ou à l'application' du traité » (60).
(57) La Cour cite sa jurisprudence dans l'affaire des Emprunts norvégiens (C.U. Rec. 1957, p. 25) et
celle de la C.PJ.I. dans l'affaire de la Société commerciale de Belgique (C.PJ.I., série A/B, n° 78, p. 173).
Dans son opinion dissidente M. SCHWEBEL invoque également, mais en sens contraire, la jurisprudence des
Emprunts norvégiens (C.I.J. Rec. 1984, p. 628).
(58) Le Règlement se contente d'exiger, en son article 38, § 2, que « [l]a requête indique autant que
possible les moyens de droit sur lesquels le demandeur prétend fonder la compétence de la Cour ». En ce
domaine, d'ailleurs, la Cour n'attache pas aux conditions de forme une importance décisive (cf. l'affaire du
Cameroun septentrional, C.U. Rec. 1963, pp. 27-28).
(59) II s'agit des articles XIX (liberté de commerce et de navigation), XIV (liberté des importations
et des exportations), XVII (interdiction des mesures discriminatoires en matière d'assurances maritimes),
XX (liberté de transit) et I (traitement équitable des nationaux et sociétés).
(60) C.IJ. Rec. 1984, p. 428, § 83. Voir contra l'opinion dissidente de M. SCHWEBEL ( ibid., pp. 630-637).
384 • COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE
II était, tout d'abord, allégué par le défendeur que le Nicaragua n'avait pas cité
devant la Cour certaines parties (comme le Honduras) dont la présence et la
participation auraient été indispensables pour la protection de leurs droits et le
règlement des questions soulevées dans la requête. La Cour aurait ainsi été conduite
à se prononcer sur les droits d'Etats tiers quant aux mesures qu'ils prennent,
conformément à l'article 51 de la Charte des Nations Unies, pour se protéger contre
l'emploi illicite de la force par le Nicaragua — i.e. demander et recevoir une
assistance des Etats-Unis.
Ecartant l'assimilation faite avec la situation de l'Albanie dans l'affaire de Y Or
monétaire pris à Rome en 1943, la Cour rappelle qu'elle est saisie de conclusions
contre les Etats-Unis seuls et que les effets de son arrêt ne seront, conformément
à l'article 59 du Statut, obligatoires que pour les parties et pour nul autre Etat. Au
demeurant,
« les autres Etats qui pensent pouvoir être affectés par la décision ont la faculté
d'introduire une instance distincte ou de recourir à la procédure de l'intervention » (65).
Et, d'une manière plus générale, la Cour observe que
« [d]ans le Statut comme dans la pratique des tribunaux internationaux, on ne trouve
aucune trace d'une règle concernant les 'parties indispensables' comme celle que
défendent les Etats-Unis, qui ne serait concevable que parallèlement à un pouvoir, dont
la Cour est dépourvue, de prescrire la participation à l'instance d'un Etat tiers » (66).
Si cette dernière observation n'est guère contestable, on peut toutefois
s'étonner que la Cour, une nouvelle fois — le point ayant déjà été abordé à propos
de la « réserve Vandenberg » — , fasse mention de la possibilité d'introduire une
instance distincte ou d'intervenir dans la présente instance. En effet, pour que cela
soit possible encore faudrait-il qu'existe entre le Nicaragua et l'Etat concerné un
lien de juridiction. C'est évident pour ce qui est d'une instance nouvelle et ce n'est
pas exclu — quoique la Cour n'ait pas encore clairement tranché cette question —
dans le cas d'une intervention. Les autres Etats ne sont donc pas assurés de pouvoir
bénéficier de la voie qui leur est suggérée et cela donne une portée beaucoup plus
limitée à l'incidente de la Cour.
Selon les Etats-Unis, il n'y aurait pas de place, dans la présente affaire, pour
un règlement judiciaire. L'allégation du Nicaragua, disent-ils, revient à affirmer
qu'ils font un usage illicite de la force armée constituant une menace contre la paix,
une rupture de la paix ou un acte d'agression et un tel problème est du ressort des
organes politiques de l'O.N.U. — en particulier du Conseil de sécurité — pour
examen et décision. De plus, la Cour ne devrait pas exercer sa compétence ratione
materiae compte tenu de l'implication de la question avec le droit de légitime défense
prévu à l'article 51 de la Charte (qui attribue un rôle précis au Conseil de sécurité).
En fait, le Nicaragua chercherait devant la Cour à faire en quelque sorte appel d'une
conclusion défavorable du Conseil de sécurité saisi par lui.
La Cour avait déjà eu l'occasion de se prononcer sur la complémentarité de son
intervention par rapport à celle des organes politiques de l'O.N.U. (67) et elle avait
fixé certaines limites (68). Se fondant sur sa jurisprudence dans l'affaire du
Personnel diplomatique et consulaire, elle ne peut que rappeler
« que le fait qu'une question est soumise au Conseil de sécurité ne doit pas empêcher
la Cour d'en connaître, et que les deux procédures peuvent être menées parallèl
ement » (69).
Ceci étant, peut-être la Cour désire-t-elle apporter une précision, notant, en
réponse à un argument des Etats-Unis, que
« si la question [du conflit armé] a bien été soumise au Conseil de sécurité, aucune
notification n'a été adressée à celui-ci conformément au chapitre VII de la Charte, pour
que le Conseil puisse ouvrir un débat général sur la question et prendre une décision
autorisant les mesures coercitives nécessaires » (70).
Est-ce à dire que la Cour aurait été empêchée d'intervenir si le Conseil avait été
saisi en vertu du Chapitre VII ? Rien n'est moins sûr (71) d'autant que la Cour prend
soin d'opérer une très subtile distinction, déclarant qu'il
« est évident que la plainte du Nicaragua ne concerne pas un conflit armé en cours
entre ce pays et les Etats-Unis, mais une situation qui appelle, et même exige, le
règlement pacifique d'un différend entre les deux Etats » (72).
Pour renforcer son argumentation, la Cour — insistant sur la responsabilité
principale mais non exclusive du Conseil en matière de paix et de sécurité
internationales — marque nettement la différence entre ses fonctions purement
judiciaires et les attributions politiques du Conseil pour conclure que
« [l]es deux organes peuvent donc s'acquitter de leurs fonctions distinctes mais
complémentaires à propos des mêmes événements » (73).
II s'est trouvé au sein de la Cour une quasi unanimité pour dire qu'elle a
compétence pour connaître de l'affaire — seule faisant défaut la voix du juge
Schwebel —, cette unanimité étant totale quant à la question de la recevabilité.
Toutefois derrière cette apparence se profilent des nuances. Outre M. Schwebel qui
est opposé aux deux titres de compétence invoqués par le Nicaragua, on compte
quatre juges (84) n'acceptent pas la base de l'article 36, §§ 2 et 5, du Statut et un (85)
qui écarte le traité d'amitié, de commerce et de navigation. En d'autres termes, seuls
onze juges sur seize se sont prononcés en faveur du titre donnant à la Cour la
compétence la plus large (86).
Il n'y a pas là véritable problème car les décisions de la Cour sont rarement
unanimes mais c'est de l'arrêt lui-même que viennent les difficultés. La position des
Etats-Unis qui visait à écarter tout contrôle judiciaire sur leurs activités au
Nicaragua et contre cet Etat ne pouvait être retenue car elle aurait laissé porte
ouverte à une politique de force (87). Mais, d'un autre côté, il faut regretter que
faute de titre de compétence incontestable la Cour ait dû se livrer à des raison
nements un peu trop élaborés pour être parfaitement convaincants en vue d'établir
cette compétence (88). Le caractère répétitif de bien des arguments dans le long
texte de l'arrêt semble parfois témoigner de l'embarras de la Cour elle-même. Dans
une instance aussi particulière, la Cour n'aurait-elle pas dû attacher une importance
primordiale à l'autorité de son prononcé et — sans pour autant se livrer au judicial
restraint — s'en tenir aux analyses juridiquement les moins contestables, quitte à
voir sa compétence limitée ?
La question mérite d'être posée car, depuis l'intervention de l'arrêt, le gou
vernement américain a fait savoir qu'il ne prendrait plus part à la procé
dure(89) (90). Or, si cette décision a été justifiée par une analyse très critique de
l'arrêt du 26 novembre 1984 — guère surprenante dans la mesure où il écarte les
(84) MM. MOSLER, ODA, AGO et sir Robert JENNINGS. Encore faut-il faire état des hésitations de M.
SINGH et de sa « préférence » pour le titre reposant sur le Traité de 1956 (cf. C.U. Rec. 1984, p. 444).
(85) M. RUDA (favorable, par ailleurs, à une compétence fondée sur la clause facultative).
(86) Derrière l'importance de cette majorité, on ne peut qu'être frappé de sa composition. Elle
rassemble les juges provenant du bloc socialiste et du Tiers Monde, le juge de nationalité française et le
juge ad hoc désigné par le Nicaragua tandis que la minorité compte les juges de nationalité allemande,
japonaise, italienne, américaine et britannique.
(87) Comme le déclarait, en termes imagés, l'agent du Nicaragua : « on ne doit pas permettre que les
Etats-Unis opposent leur veto à la Cour internationale de Justice » (C.R. 84/20 (Trad.), p. 23).
(88) On peut également se demander si la question de la compétence fondée sur l'article 36 du Statut
n'avait pas été quelque peu préjugée, la Cour ayant déclaré dans son ordonnance du 10 mai 1984 relative
aux mesures conservatoires qu'elle « n'est pas convaincue par les arguments qui lui ont été présentés
jusqu'ici que l'absence d'une telle ratification effective [du protocole] empêche l'article 36, paragraphe 5,
du Statut de la Cour actuelle de jouer, ou fasse obstacle au transfert de la déclaration à la Cour actuelle
du fait du consentement donné par le Nicaragua qui, représenté à la conférence de San Francisco, a signé
et ratifié la Charte et a ainsi accepté le Statut où figure l'article 36, paragraphe 5 » (C.U. Rec. 1984, p.
180, § 25). Sur cette ordonnance, cf. supra p. 340, les analyses de Marie-Françoise LABOUZ et celles de Claude
RUCZ in R.G.D.I.P., 1985, pp. 83-111.
(89) Voir le texte de la déclaration du Département d'Etat, datée du 18 janvier 1985, in I.L.M., vol.
XXIV, 1985, pp. 246-249. Elle est accompagnée d'« observations » sur l'arrêt du 26 novembre 1984 ( ibid.,
pp. 249-263 et AJ.I.L., vol. 79, 1985, pp. 423-430).
(90) La réaction des Etats-Unis ne peut manquer de faire penser au post-decisional veto qui avait été
suggéré il y a vingt ans par le Professeur Roger FISCHER — sous forme d'une réserve à la déclaration
d'acceptation de la juridiction obligatoire permettant à l'Etat de suspendre la force obligatoire d'un arrêt
en cas de conflit avec ses intérêts supérieurs — (cf. A.S.I.L., 1964 Proceedings, pp. 124-129) et qui avait
été vigoureusement critiquée par le Professeur Leo GROSS (« Problems of international adjudication and
compliance with international law : some simple solutions », AJ.I.L., vol. 59, 1965, pp. 48-59).
390 COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE
(91) « [...M]uch of the evidence that would establish Nicaragua's aggression against its neighbors is
of a highly sensitive intelligence character. We will not risk US national security by presenting such
sensitive material in public or before a Court that includes two judges from Warsaw Pact nations » ( I.L.M.,
vol. XXIV, 1985, p. 248).
(92) « We are profoundly concerned also about the long-term implications for the Court itself. The
decision of November 26 represents an overreaching of the Court's limits, a departure from its tradition
of judicial restraint, and a risky venture into treacherous political waters. We have seen in the United
Nations, in the last decade or more, how international organizations have become more and more politicized
against the interests of the Western democracies. It would be a tragedy if these trends were to infect the
International Court of Justice. We hope this will not happen, because a politicized Court would mean the
end of the Court as a serious, respected institution. Such a result would do grievous harm to the goal of
the rule of law » (eod. loc).
(93) Pour deux approches (américaines) plus favorables à l'arrêt, voir Herbert W. BRIGGS in AJ.I.L.,
vol. 79, 1985, pp. 373-378, et Thomas M. FRANCK, ibid., pp. 379-384.