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Revue d'histoire des sciences

A propos d'un livre sur Pierre Fermat


Jean Itard

Abstract
SUMMARY. — A propos of a recent work on Fermat by M. S. Mahoney, the author, after giving several details about the works
of 16th and 17th century mathematicians (Clavius and Albert Girard in particular), stresses Fermaťs « adégalité » and the
different meanings Fermat gives to that term. He then shows the fundamental use made by Fermat in the calculus of
infinitesimals of the concept of « affinité », long before Euler introduced that word into mathematics. Finally, he clears up several
questions relating especially, to « Cavalieri's principle. »

Résumé
RÉSUMÉ. — A propos d'un ouvrage récent de M. S. Mahoney sur Fermat, l'auteur, après avoir donné quelques précisions sur
les œuvres de mathématiciens des XVIe et XVIIe siècles (en particulier Clavius et Albert Girard), insiste sur « l'adégalité » de
Fermat et les diverses significations que celui-ci lui donne. Il montre ensuite l'usage fondamental qu'il fait en calcul infinitésimal
de l'affinité, bien avant qu'Euler n'ait introduit ce vocable en géométrie. Il soulève enfin quelques questions relatives, en
particulier, au « principe de Cavalieri ».

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Itard Jean. A propos d'un livre sur Pierre Fermat. In: Revue d'histoire des sciences, tome 27, n°4, 1974. pp. 335-346;

doi : https://doi.org/10.3406/rhs.1974.1105

https://www.persee.fr/doc/rhs_0151-4105_1974_num_27_4_1105

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REV. HIST. SCI.
1974-XXVH/4

A propos d'un livre sur Pierre Fermat

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SUMMARY. — A propos of a recent work on Fermat by M. S. Mahoney, the


author, after giving several details about the works of 16th and 17th century
mathematicians (Clavius and Albert Girard in particular), stresses Fermaťs « adégalité »
and the different meanings Fermat gives to that term. He then shows the fundamental
use made by Fermat in the calculus of infinitesimals of the concept of « affinité », long
before Euler introduced that word into mathematics. Finally, he clears up several
questions relating especially, to « CavalierVs principle. »

M. Michael Sean Mahoney, professeur associé de l'Université de


Princeton, a fait paraître en 1973, un ouvrage sur Pierre Fermat (1).
Ce travail appelle un certain nombre de remarques. Il sera
d'ailleurs le prétexte à quelques considérations générales que je
me permettrai de faire sur l'histoire des mathématiques dans la
première moitié du xvne siècle.
Disons tout de suite, pour ne pas avoir à y revenir que, si la
partie purement mathématique de l'ouvrage mérite quelque
attention, tout ce qui concerne les études du milieu scientifique et social
est très sujet à caution. Trop souvent l'auteur se contente d'à-peu-
près quand il ne commet pas d'erreurs manifestes. Ce qu'il écrit
sur les carrières d'hommes comme Viète, Beaugrand ou Carcavi
confine souvent à la caricature. Dans ces conditions il devient
impossible d'étudier les influences des précurseurs ou des
contemporains sur l'œuvre de Pierre Fermat et une grande partie du travail
de M. Mahoney se trouve perdue.

(1) The Mathematical Career of Pierre de Fermat (1601-1665), Princeton, New


Jersey, Princeton University Press, 1973, 13x23,5 cm, xiv + 413 p., $ 20.
336 REVUE D'HISTOIRE DES SCIENCES

Aussi nous contenterons-nous de remarques concernant les


seules pages non ou peu contestables de son ouvrage. La
classification des écoles mathématiques du xvie siècle (p. 2 et suiv.),
entre la tradition classique d'une part, et les cossistes « allemands
ou italiens » de l'autre, me paraît trop tranchée et assez
artificielle.
Elle exclut d'ailleurs de la tradition cossiste les mathématiciens
français, cependant les plus aptes a priori à exercer une influence
sur Viète, Descartes et Fermat. Citons sans insister Jean Borrel,
dit Buteon, Guillaume Gosselin et Jacques Peletier. S'ils sont des
algébristes, ils sont tous, à des titres divers, des humanistes, et
parmi eux Gosselin est assez versé dans la tradition diophantienne.
Quant à Jacques Peletier, ami du maire de Bordeaux, Montaigne,
ses disputes avec le P. Clavius sur l'angle de contingence sont restées
célèbres.
Aucun de ces Français n'est cité par l'auteur qui rappelle par
cinq fois VAlgebra du susdit Clavius. Signalons donc que Г Algebra
est l'œuvre tardive (1608) d'un professeur ne visant à aucune
originalité et que son influence est somme toute assez faible. Cet
ouvrage de 384 pages expose l'état de l'algèbre, non à la fin du
xvie siècle, mais plutôt en son milieu. Seul un passage situé à la
page 49 fait quelque allusion aux travaux d'actualité. Clavius y
déclare que pour les équations du troisième degré (langage actuel)
on ne connaît pas de méthode certaine de résolution, bien que Cardan
et Tartaglia aient résolu quelques cas particuliers. Bombelli a cru
résoudre plusieurs équations de ce type, mais ses raisons sont
obscures. Viète a déclaré avoir une règle générale de résolution.
Quant à lui, Clavius, il s'en tiendra aux équations du second degré
et à celles qui s'y ramènent (2).

(2) « Quando... exponentes non servant Arithmeticam proportionalitatem... ut in


aequatio foret inter 1 Ш", & 4z + 16, ubi exponentes sunt 3, 2, 0, vel inter 1 #", & 10 Ж
+ 24, ubi exponentes sunt 3.1.0 nondum est inventa ars, qua hujusmodi radices certô
eruantur ; quamvis Cardanus & Nicolaus Tartalea in quibusdam exemplis singularibus
invenerint aestimationem unius radicis. Raphael autem Bombellus ex quibusdam
etiam aequationibus ejusmodi, & alijs nonnullis putat se invenisse, quo pacto eruendae
sint radices. Franciscus quoque Vieta dicitur demonstrasse regulam generálem pro
ejusmodi radicibus extrahendis : quam quia videre hactenus non licuit, & rationes
Bombelli obscurae valde sunt, atque aequationis ejusmodi, in quibus nimirum plures
numeri cossici quam duo aequantur uni numero cossico (qualis est V. g. aequatio inter
lf + 3z + 7 Ж, & 34) numero fere inflnitae existunt, pariunturque, ipso teste non
paucas exceptiones, contenti erimus in hac nostra Algebra ijs, quae facilem, certam,
J. ITARD. — A PROPOS D'UN LIVRE SUR FERMAT 337


Son Algebra est donc délibérément un traité élémentaire, sans
aucune ambition scientifique, et qui n'apporte aucun éclairage sur
la science qui se fait. Il se refuse absolument à sortir des sentiers
battus. Il ne saurait donc servir de modèle ni au jeune Descartes,
ni au jeune Fermat, ni à aucun autre. On peut d'ailleurs comparer
le travail de Clavius au « Sommaire de l'Algèbre » que, depuis 1615,
Denis Henrion a souvent annexé à ses éditions d'Euclide. Ces
éditions sont simplement des traductions françaises des Eléments
obtenues à partir du latin de Clavius. Sans suivre ici le Père Jésuite,
Henrion présente dans ce sommaire, un état de l'Algèbre figé et
obsolète.
h' Algebra de Clavius est cependant une excellente introduction
à l'analyse diophantienne élémentaire et a pu, à ce titre, rendre de
bons services dans la formation première de jeunes mathématiciens.
On ne saurait en dire plus.
Dans sa recherche des origines de la pensée mathématique de
Fermat, recherche à certains égards bien difficile, M. Mahoney
semble avoir fabriqué de toutes pièces un rôle de mentor dont il
investit Jean de Beaugrand. Il eut été préférable de regarder de
plus près certains disciples de Viète dont l'œuvre est suffisamment
connue pour être plus sérieusement analysée. Arrêtons-nous
simplement à Albert Girard (1595 ?-1632). Ce mathématicien lorrain qui
a travaillé aux Pays-Bas est d'ailleurs ignoré de Fermat. On ne
peut donc parler d'influence directe des deux auteurs l'un sur l'autre,
mais la comparaison de leurs travaux révèle l'existence d'un milieu
commun, d'un climat, qui imprègne leurs travaux. Peu prolixe,
Girard ne nous a laissé que quelques écrits, rédigés dans un style
des plus concis. Mais dans sa Trigonométrie de 1626 il parle des
« Porismes d'Euclide, qui sont perdus, lesquels j'espère de mettre
bien tost en lumière, les ayant restitués il y a quelques années
en ça ». Il promet aussi, toujours en 1626, de faire voir des études
inspirées par Pappus : « Lieux plans et solides, inclinaisons,
déterminaisons et autres traitez de l'Analytique selon mon petit
pouvoir. » C'est une partie importante du programme que s'était fixé
Fermat.
En 1629, dans YInvention nouvelle en Valgebre Girard donne

atque exploratam habent scientiam id est, explicabimus tantummodo extractiones


radicum ex numeris cossicis prions generis quando nimirum unus numerus cossicus
duobus aequatur, exponentesque servant proportionalibus arithmeticam... »
T. XXVII. — 1974 22
338 revue d'histoire des sciences

effectivement des exemples des « déterminaisons » qu'il promettait


trois ans plus tôt. Il sait en effet former notre discriminant des
équations x3 = px + q, x3 = px2 + q, x* = px3 + q (notations
modernes) (3).
Ainsi les préoccupations de Girard sont très proches de celles
de Fermat en géométrie ancienne, en algèbre, en analyse diophan-
tienne et même en théorie des nombres.
Le champ des préoccupations du Toulousain est cependant un
peu plus étroit que celui de Girard puisqu'il n'englobe pas la
trigonométrie et les calculs approchés : un légiste est moins soucieux de
ces choses qu'un ingénieur militaire. Mais on voit bien la parenté
des deux formations dans le sillage de Viète.
Stevin avait traduit en français, du latin de Xylander, les quatre
premiers livres des Arithmétiques de Diophante. En 1625 Girard leur
ajoute les livres V et VI, traduits cette fois de Bachet de Méziriac.
C'est ainsi qu'il fait apparaître une expression dont Fermat,
qui l'a prise lui aussi à Bachet, étendra singulièrement le sens.
« Nous traduisons, écrit Girard, adegalité ce que Diophante appelle
7саркгот7)та, ensuivant les interprètes, ce n'est pas à dire égalité, mais un
extreme approchement de quelque chose. »
Rectifions au passage une erreur sans aucune gravité commise
par M. S. Mahoney et qu'il emprunte au Diophantus of Alexandria
de Sir Thomas L. Heath (1" éd., 1885 ; 2e éd., 1910).

(3) Invention nouvelle, folio Dz recto :


« quand 1 3 esgale à 1 — 0

determinaison : il faut icy que le cube du 1/3 du nombre des 1 ne soit moindre au quarré
de la moitié du 0, autrement l'équation est absurde et inepte. »
folio D recto : « limiter et déterminer les équations ».
folio D2 recto : « Reigle pour résoudre l'équation des 1 3 esgale à 1 + 0 lorsque le
cube du tiers du nombre de 1 est majeur au quarré de la moitié des 0 par l'aide des
tables de Sinus ».
folio D3 verso : « déterminaison manifeste ».
folio F3 recto : « II y a de la déterminaison aux équations... »
« Soit 1 2 esgale à 6 1 — 10 (impossible d'estre esgal)

« Soit 1 3 esgale à 12 1 — 18 (impossible d'estre esgal)


« Soit 1 3 esgale à 12 2 — 257 (ce qui n'est possible d'estre esgal. »

F3 verso : « Soit 1 4 esgale à 12 3 — 2189 (aussi inepte). »

(Nous indiquons par un caractère gras des nombres, nos exposants, que Girard
entoure d'un cercle.)
J. ITARD. —• A PROPOS D'UN LIVRE SUR FERMAT 339

Les expressions 7rapicrÓTy]<;, 7тарк70гг)тос аусо-рг) sont indiquées par


Heath comme se trouvant dans V9, dans Vu et dans V14, éditions
modernes, c'est-à-dire, dans l'édition de Bachet, dans V12, V14
et V17.
En fait dans V12 les expressions citées n'apparaissent nullement,
ni leurs traductions latines. On trouve simplement, p. 300 « proximè
accédât ». La méthode appelée dans les questions 14 et 17, adégalité
figure ainsi dans la question 12, mais non l'expression elle-même.
M. S. Mahoney a donc tort d'écrire p. 316, mais la faute est bien
vénielle,
« It is (in the modern edition) Proposition V, 9, the problem from which
Fermat borrowed the term « adequality ».

En s'efforçant d'expliciter et de différencier les divers sens de


l'expression chez Fermat il me semble que notre auteur a manqué
une remarque qui, au point de vue mathématique, est très
importante. Lorsque l'on compare deux grandeurs de même espèce on
peut le faire soit en étudiant leur différence, soit leur rapport. On
pourra les considérer comme voisines si l'on trouve leur différence
voisine de zéro, ou leur rapport voisin de 1 . Si les grandeurs sont assez
éloignées de zéro les deux méthodes sont équivalentes. Il n'en est
pas de même si elles sont voisines de zéro. Or, dans sa pièce De
aequationum localium transmutatione et emendatione (Œuvres, I,
p. 255 sq.), Fermat écrit (p. 257) :
« Juxta methodum Archimedeam, parallelogrammum rectilineum sub
GE in GH, quadrilineo mixto GHIE adaequetur ut loquitur Diophantus,
aut fere aequetur. »

En la circonstance, GE est un segment rectiligne d'une asymptote


à une hyperbole générale de Fermat (xm yn = am + n), lequel segment
devra tendre vers zéro dans la suite du raisonnement. GH et El,
qui lui sont perpendiculaires sont des ordonnées de l'hyperbole.
H et I sont évidemment sur la courbe. Le parallélogramme GE
X GH et le quadrilatère mixtiligne GHIE, dont le côté courbe HI
appartient à l'hyperbole sont déclarés par Fermat « adégaux ».
Cela ne peut signifier que leur différence soit proche de zéro
puisqu'il en est de même de ces deux surfaces et que leur adégalité
serait alors une banalité inutilisable. On ne peut donner qu'une
seule signification à cette adégalité : leur rapport est très proche de
1. Dans ce passage tardif (aux environs de 1660), Fermat donne
340 revue d'histoire des sciences

ainsi au concept le sens d'infiniment petits équivalents, pour


utiliser un langage leibnizien.
Mais, dans le même texte (précisément à la p. 258), le même
mot « adégal » reprend un sens plus habituel (si l'on peut dire).
Il signifie alors une égalité à la limite de deux surfaces de valeurs
finies non nulles.
On voit combien un vocabulaire encore incertain rend difficile
la lecture de ces premiers balbutiements du calcul infinitésimal.
Mais il me semble indubitable que Fermat a tout au moins pressenti
le fait que la différentielle de l'aire comprise entre une courbe,
l'axe des abscisses et une ordonnée est y dx.
Le mathématicien toulousain a pu ainsi trouver,
paradoxalement chez Diophante, un mot pour exprimer — maladroitement —
un concept du calcul infinitésimal.
Il a été moins heureux pour un autre concept, aussi fondamental,
qu'il a profondément senti et fort bien utilisé, mais qu'il a été
incapable de désigner d'un mot. C'est celui pour lequel Euler
forgera l'expression d'affinité. Pour deux courbes semblables, les
axes étant semblablement placés, l'on passe de l'une à l'autre en
multipliant tant les abscisses que les ordonnées par un même
coefficient. Pour passer au contraire d'une courbe à une courbe
qui lui soit « affine » on multiplie les abscisses par un coefficient et
les ordonnées par un autre. Ainsi s'exprime à peu près Euler dans
son Introdudio in analysin infinitorum, livre second, chapitre XVIII ;
De similitudine & Affinitate Linearum curvarum (1748).
Notre langage a encore changé depuis Euler, et nous parlons
plutôt de propriétés linéaires, que de propriétés affines, mais
depuis 1748 nous disposons d'une expression pour préciser notre
pensée. Fermat n'avait rien, ou presque rien, pour dire que la
construction d'une tangente, par exemple, était un problème non
pas métrique, mais affine et que l'orthogonalité des axes de
coordonnées n'avait aucune importance en la matière. C'est pourtant
ce qui le placera au-dessus de Descartes dans ce problème des
tangentes. C'est aussi ce que soulignera Beaugrand dans un pamphlet
contre ce dernier. M. S. Mahoney ne souffle mot de tout cela. C'est
regrettable.
J'ai dit qu'en l'occurrence Fermat ne disposait d'aucun
vocabulaire, ou presque, pour exprimer sa pensée, pourtant très ferme.
Ses écrits sont toujours très concis, ce qui rend difficile certaines
affirmations. Toutefois il est possible que lorsqu'il emploie le mot
J. ITARD. A PROPOS D'UN LIVRE SUR FERMAT 341

diamètre au lieu du mot axe, il veuille faire allusion à un système


d'axes obliques pour parler une langue plus moderne que la sienne.
La distinction remonte aux coniques d'Apollonius.
C'est Jean de Beaugrand dans son pamphlet anonyme « De la
manière de Trouver les tangentes des lignes courbes par l'algèbre
et des imperfections de celle du S. des G. » (Œuvres de Fermat,
supplément, Paris, 1922, p. 102-113, plus particulièrement p. 108),
qui a mis en évidence cette supériorité de la méthode de Fermat sur
celle de Descartes. Suivant son habitude, Beaugrand se garde de
citer le premier en la matière. Son écrit est certainement postérieur
à septembre 1638. Il est évidemment antérieur à son décès, survenu
fin 1640.
Aux alentours de 1660 Fermat, dans ses propositions à Lalou-
vère (Œuvres de Fermat, I, p. 190-210) fait usage d'affinités pour
transformer par exemple une cycloïde en d'autres courbes. Il sait
que ces affinités transforment les tangentes à la cycloïde en
tangentes aux courbes transformées et il trouve les rectifications de
celles-ci.
C'est surtout dans des questions de calcul intégral (évaluations
d'aires ou de volumes, détermination de centres de gravité) que
Fermat fera un usage fécond de l'affinité. Il sera toutefois en la
circonstance si concis, si peu enclin à s'expliquer, qu'il deviendra
presque incompréhensible.
Dans la pièce « centrum gravitatis parabolici conoidis, ex eadem
methodo » (Œuvres, I, p. 136-139, trad, franc., Œuvres, III, p. 124-
126). Il procède comme suit.
Soit une parabole générale y : y0 = xm : x™. (générale au
premier sens que donnera Fermat à cette expression. Un peu plus
tard, mais avant 1644 il généralisera encore : yn : yfi = xm : xfî).
Cette parabole est tracée dans le quadrant des coordonnées
positives (langage actuel) mais est complétée par une branche
symétrique de la précédente par rapport à l'axe des abscisses. En faisant
tourner la figure autour de cet axe on obtient un paraboloide de
révolution. On limite la courbe par une ordonnée, ou le
paraboloide par un plan orthogonal à l'axe. Cela étant, Fermat déclare
que le barycentre de la figure divise l'axe dans un rapport
indépendant de l'ordonnée ou du plan de section. Il ajoute que le
raisonnement d'Archimède pour la parabole ordinaire pourrait en effet
se généraliser.
Dans une lettre du 15 juin 1638 (Corr. Mersenne, VII, p. 284-
342 revue d'histoire des sciences

286 ou Œuvres de Fermat, supplément p. 84-86) la méthode est


fondée par son auteur sur quatre moyens qu'il explicite ainsi, pour
la parabole ordinaire :
1° Dans les segments découpés par les ordonnées les barycentres
sont semblablement placés.
2° Ces mêmes segments ont relativement aux triangles de même
base et de même hauteur le même rapport, bien que ce rapport
puisse être inconnu.
3° Le barycentre d'une figure convexe est intérieur à la figure.
4° Les distances des barycentres de deux portions de la figure
au barycentre du tout sont inversement proportionnelles à leurs
surfaces.
En fait, dans la pièce citée ci-dessus, Fermat utilise le point 2
et le point 1 non seulement pour la parabole ordinaire, mais pour
toutes ses paraboles disons presque générales, et lorsqu'il découvrit
ses paraboles générales (citées par lui pour la première fois à une
date assez incertaine que l'on ne peut guère situer qu'entre 1642
et 1644 (cf. Corr. Mersenne, XI, p. 55-60) il était à même de leur
appliquer sa méthode.
Remarquons toutefois que, pour placer les barycentres, Fermat
utilise une méthode différentielle qui n'est pas généralisable à
toutes les figures dont il signale l'étude, contrairement à ce qu'il
écrit à la fin du « Centrum gravitatis parabolici » (Œuvres, I, p. 139).
Voici, pour que nous soyons clairs, une interprétation de sa méthode.
Soit une parabole y : y0 = xm : x™. Une affinité permet
d'appliquer la courbe sur elle-même. Celle de rapports xx : x0 pour l'axe
des x, et x™ : x% pour l'axe des y fait correspondre au point x, y
de la courbe le point —- , ^j- . Si x ^ x0 le premier point étant sur
Xq Xq
le segment de parabole ayant pour origine le sommet et pour
extrémité le point (x0, y0), le second point est sur le segment de
même origine dont l'extrémité est le point (хг, yx).
En utilisant les propriétés affines des paraboles on en déduit
que l'aire du segment est proportionnelle à celle du rectangle
хоУо = #(T + 1» et que son barycentre divise l'axe dans un rapport
qui ne dépend que de l'exposant m.
Pour exploiter cette dernière observation, Fermat utilise ses
techniques de differentiation.
Prenons x = xQ et x + e = xx .
Les barycentres des deux segments ont pour abscisses "kx et
J. ITARD. — A PROPOS D'UN LIVRE SUR FERMAT 343

X(x + e). Les propositions d'Archimède montrent que le segment


de la parabole compris entre l'ordonnée x, et l'ordonnée x + e a
une abscisse « adégale » à ж puisque comprise entre x et x + e.
Les aires sont proportionnelles à xm + 1 et (x + e)m + 1. L'équilibre
autour du barycentre général donne :
\exxm + 1 = [(x + e)m+1 — xm + 1]{l—\)x
d'où lxm + 1 = (m + 1)(1 — X)xm + l

m + 1
ou
1-Х m

.Dans le cas du paraboloide de révolution, qu'il considère dans


la pièce « de centro gravitatis », il y a peu à modifier dans ce schéma.
Les sections circulaires du paraboloide sont proportionnelles à y2,
donc à x puisque dans la parabole génératrice y2 : yl = x : ж0.
On prendra donc m = 1, et le rapport cherché sera 2/1. Mais
Fermat ajoute (traduction française) :
« Je n'ai pas le temps d'indiquer, par exemple, comment on cherchera
les centres de gravité dans notre conoïde de révolution autour de l'ordonnée
(nostro conoide parabolico circa applicatam axi converso) ; qu'il suffise
de dire que dans ce conoïde, le centre de gravité divise l'axe en deux
segments qui sont dans le rapport 11/5.
Cette phrase est sujette à plusieurs remarques. La première
allusion de Fermat à son conoïde se trouve dans sa lettre à Etienne
Pascal et Roberval du 23 août 1636 (Œuvres, II, p. 55) :
« Soit une parabole AB de sommet A si l'on fait tourner la figure DAB
autour de la droite DA [axe des x] prise comme axe fixe, on engendrera
le conoïde parabolique d'Archimède, dont le volume est à celui du cône
de même base et de même somme dans le rapport de 3 à 2. Mais si l'on fait
tourner la même figure DAB autour de la droite DB prise comme axe,
on engendre un conoïde d'un nouveau genre ; on demande de trouver le
rapport de son volume à celui du cône de même base et de même sommet,
question qui n'est pas sans difficulté.
« J'ai démontré que ce rapport est celui de 8 à 5 ; j'ai également trouvé
le centre de gravité du même conoïde » (traduction de Paul Tannery,
Œuvres de Fermai, III, p. 286).
Le 11 octobre 1636 Roberval demande si le barycentre ne divise
pas l'axe de rotation dans le rapport de 11 à 4 [Œuvres de Fermai,
t. II, p. 82). Le 4 novembre de la même année Fermat répond que
le rapport est de 11 à 5.
Roberval va approfondir cette étude pour arriver à la conclusion,
344 revue d'histoire des sciences

qu'il donnera dans une lettre à Mersenne pour Torricelli, rédigée


vers juillet 1643 (Corr. Mersenne, XII, p. 254) : pour le « fuseau
parabolique » déduit de la parabole x : x0 = yn : y% le rapport

cherché est ^in — —=. Le nom de « fuseau parabolique », ignoré de


-\- i
Fermat, fut forgé par Kepler (Stereometria doliorum, 1615). On le
retrouve chez Cavalieri (Exercitatio quaria, 1647, prop. XXIV,
p. 281-282) et chez Torricelli (Lettre à Magiotti du 5 janvier 1641
(Opere, t. III, p. 43-45). Mais la question n'est pas là. En 1636
Fermat sait placer le barycentre de ce solide. Or sa recherche ne
dépend pas de la méthode différentielle exposée ci-dessus. Des
considérations d'affinité permettent certes d'affirmer que le rapport dans
lequel il divise l'axe est indépendant de la hauteur de cet axe,
mais sa détermination précise ne peut pas se déterminer comme
pour les « conoïdes d'Archimède ».
On est donc conduit à conclure que pour la détermination des
volumes et des barycentres Fermat disposait d'une autre méthode,
moins sophistiquée et faisant intervenir des intégrales définies. Elle
devait être très analogue à celle dont Descartes a donné les résultats
dans sa lettre à Mersenne du 13 juillet 1638 (Corr. Mersenne,
t. VII, p. 342-344).
Nos déductions paraissent corroborées par une phrase de la
lettre que Fermat a écrite à Roberval le 22 septembre 1636 (Œuvres,
II, p. 74). Il vient de donner les résultats de calculs sur les volumes
des segments de son conoïde, et il ajoute : « Pour la démonstration,
outre les aides que j'ai tirées de ma méthode, je me suis servi des
cylindres inscrits et circonscrits. » Les calculs, qui concernent des
intégrations de polynômes, relèvent d'une part de l'algèbre
littérale, d'autre part d'intégrations à la manière d'Archimède. C'est
ce que paraît vouloir dire Fermat dans sa petite phrase. En ce cas
« ma méthode » se rapporte au calcul littéral, « les cylindres inscrits
et circonscrits » aux techniques archimédiennes.
Il semble qu'il faille se représenter les travaux de Fermat sur
les quadratures, les cubatures et la détermination des barycentres
comme il suit : il a d'abord utilisé les méthodes archimédiennes,
fécondées et généralisées par le calcul littéral de Viète. Très
rapidement, vers 1635-1636, il imagine sa méthode différentielle de
détermination des barycentres des segments de paraboles et des
conoïdes. Quant à son procédé logarithmique d'intégration, qu'il
expose vers 1660 dans son écrit « De aequationum localium trans-
J. ITARD. A PROPOS D'UN LIVRE SUR FERMAT 345

mutatione et emendatione » (Œuvres I, p. 255-285) dont nous avons


parlé ci-dessus, il reste très difficile à dater. Une étude très serrée
de la question serait nécessaire, et reste à faire.
Avant de terminer cet article, je voudrais faire deux remarques.
La première est relative au « principe de Cavalieri ».
Ce principe célèbre est énoncé par Cavalieri dans sa Geometria
indivisibilibus continuorum... de 1635 (livr. VII, prop. 1). Pour
l'exprimer dans un langage plus actuel disons que deux fonctions
ayant la même dérivée ne diffèrent que d'une constante. Cela est
dit par Cavalieri bien entendu, d'une façon purement géométrique.
Dans une lettre à Mersenne du 27 juillet 1638 (Corr. Mersenne,
VII, p. 410-411, 1. 176 à 190), lettre relative à l'aire de la cycloïde,
Descartes s'exprime comme suit :
« Ce qui prouve que l'espace... est égal au demi-cercle..., pour ceux qui
sçavent que généralement, lorsque deux figures ont mesme baze et mesme
hauteur, et que toutes les lignes droites, parallèles à leurs bazes, qui
s'inscrivent en l'une, sont égales à celles qui s'inscrivent en l'autre à
pareilles distances, elles contiennent autant d'espace l'une que l'autre.
Mais pource que c'est un Théorème qui ne seroit peut-estre pas avoué de
tous, je poursuis en cete sorte. » Suit une démonstration par exhaustion.

Le principe de Cavalieri est ici énoncé avec beaucoup plus de


clarté que par son inventeur. Autant qu'il me paraisse la Geometria
de Cavalieri était alors fort peu connue des géomètres français.
L'était-elle davantage en Hollande d'où Descartes écrivait sa
lettre ? La première allusion à Cavalieri dans la correspondance
Descartes-Mersenne est postérieure à la lettre citée. Elle est du
15 novembre 1638 {Corr. Mersenne, VIII, p. 200) :
« La proposition de Bonaventure, Geometre Italien, que vous avez
pris la peine de transcrire en l'une de vos lettres, ne contient rien du tout
de nouveau. »

La question que je soulève est donc la suivante : D'autres


géomètres que Cavalieri ont-ils énoncé le même principe ? Si oui,
quand et où ? Si non à partir de quand l'ouvrage de Cavalieri
a-t-il été connu aux Pays-Bas ? Descartes déclare ne l'avoir
parcouru superficiellement, que bien après 1638. Faut-il lui faire
confiance ?
Ma deuxième remarque concerne la découverte de la géométrie
analytique. Il est de bon ton de déclarer que Fermat est avec
Descartes, et indépendamment de lui, son codécouvreur. Je ne
346 REVUE D'HISTOIRE DES SCIENCES

m'inscris pas en faux contre cette affirmation. Mais je voudrais


qu'on l'atténue. Certes les deux mathématiciens sont l'un comme
l'autre très versés, et de bonne heure, dans l'algèbre littérale. Disons
même qu'ils sont, vers les années trente, à peu près les seuls capables
de jongler avec les techniques nouvelles. Mais si Ad locos pianos et
solidos isagoge se date de 1636 ce n'est qu'une esquisse, en rien
comparable à la Géométrie de Descartes qui va bientôt paraître.
Le court écrit de Fermat ne sera connu que d'un nombre très
restreint de correspondants. Il ne fut d'ailleurs imprimé que dans
les Varia de 1679 et ce n'est qu'à partir de cette date qu'il fut
connu du grand public.
La gloire de Fermat est assez grande pour qu'on reconnaisse
en la circonstance la prééminence de l'œuvre de Descartes.
Arrêtons ici cette étude où systématiquement nous n'avons pas
abordé certains aspects de l'œuvre du géomètre de Toulouse,
singulièrement en théorie des nombres (*).
Jean Itard.

(*) Nous venons de faire plusieurs fois allusion à l'œuvre de Viète. Rappelons les
travaux de M. Jean Grisard, et citons sa conférence du Palais de la Découverte,
3 octobre 1970 « La vie de François Viète et quelques aspects de son œuvre », et sa thèse
de troisième cycle, soutenue le 26 janvier 1970, « François Viète ». Un exemplaire en est
déposé au Centre Alexandre Koyré.
J. I.

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