Académique Documents
Professionnel Documents
Culture Documents
DELA
FRANÇAFRIQUE
Le Terrorisme islamique
Morts suspectes sous la V République
Les Espions msses
LES DESSOUS
DELA
FRANÇAFRIQUE
Algérie
Gambie
Guinée équatoriale
Lesotho
Préface
9
Les dessous de la Françafrique
En fait, depuis des déce nni es, P;uis n'a jama is cessé d 'imposer sa
[Utelle ct de [Out fa ire p O Uf préserver ses inté rêts écono miques c t poli-
tiques en Afrique (uranium nigérien, pétro le gabonais. cacao ivo irie n,
crc.). Pour réaliser cette ambition , les go uvernements fran çais succes-
sifs ont utilisé toute la pa nopli e d es moye ns mis à leur dispos itio n :
putschs, coups [Occlus des services secrets, in terventio ns des garnisons
laissées e n pl ace à ,'iss ue de la coloni sa tion , envo is de mercenaires,
acco rds secrets passés avec les dirigean ts autorisant Paris à s' immiscer
dans les affaires inté rieures, co nstitut io ns de réseaux barbo uza rds, pres-
sions économ iques .. . Mais parfo is ces immixtions ont do nné lieu à des
aventures sang lanœs et mê me à de vé ri ta bles massacres dont la France
porte la responsabilité ... Par exempl e au Ca meroun.
Rares sont donc nos anciennes co lonies qui ont vécu sa ns dra.mes
leur accessio n à l'indépendance et les années qui ont suivi. Car, d'une
façon générale, les anciens États coloniaux, parce que la France n'est pas
la seule à être en cause, ont mal préparé la décolonisation: à quelques
exceptions près, on s'était bien gardé de form er les cadres susceptibl es
de ditiger ces no uveaux États.
À rebours, ces liens de dépendance entre l'ancienne métropole et ses
ex-colonies o nt permis aussi à quelques caciques de la Françafrique-
un néologisme créé par l' Ivoiri e n Houphouët- Boig ny - d e se mêler
de la politique française et même de tenter de l'influencer en distribuant
des fonds à td o u tel pani o u ca ndidat à une élection. li est par exemple
de nototiété publique que Bongo , président inamovible du tour petit
Ga bon , a souve nt été très généreux avec les partis d e droi te dont les diri-
geants, dès leu r victoire, ont aussitôt témoigné de leur reco nnaissance
par un voyage à Libreville ou en interdisa nt à la justi ce - ce fut e ncore
le cas très récemment - de s' inté resser au patrimoine immob ilier ex tra-
vagant dudit Bongo dans la capitale fran ça ise.
Mais aujourd'hui, un an et demi après l'élection de Nicolas Sa rkozy,
existe-t-il encore une politique française en Afrique? Force est de consta-
te r que si elle perdure, elle est d 'abord pétrie de contradictions. D ' un
côté, il faut obse tve r la réappatition d ' un cheval de retour d e la
Fra nçafriqu e, Maît re Bourgi, l' un d es meill eurs di sciples d e Jacq ues
10
Préfoce
Foccart gui a aujo urd ' hui l'o reill e d e l'Élysée. Mais de l'autre, on ne
peut pas ne pas noter que la France as pire à se désengager en renonçant
prog ressivement à maintenir des ga rnisons dispendieuses sur le conti-
nent. Pari s donne donc l'impress ion d e na viguer à la godille au gré
des péripéties judi ciaires qui concernent plusieurs dirigea nts africain s
Ct des éruptions sécuritaires du ministre Hortefeux lorsqu'il veut par
exe mple barricad er la France, procéd er à d es exp ulsio ns quantifiées
o u imposer des tes ts génétiques aux candidats au regroupement fami-
lial. Autant de mesures jugées vexatoires ct injustes de l'autre côté de
la Méditerranée.
Et que penser du fameux discours de Dakar pro noncé par Sarkozy
en juillet 2007 et écrit par so n conseiller H enri G uaino ? Un texte aux
propos éculés qui ne méritait ni les excès polémiques qu' il a suscités (les
accusations de racisme et de paternalisme) ni l'affirmation que cet appel
aux jeunes Africains fonderait de nou vea ux rapports entre notre pays
et l'Mrigue. Mais était-il nécessaire de brosser le portrait d ' un paysa n
afric.:lin qui ne connaît que l'éternel recommencement du temps rythmé
par les mêmes gestes? Bref, un homme immobile qui n'a pas enco re
compris les bi enfaits du progrès! Et fallait-il souligner les bienfaits de
la mission colonisatrice de la Fran ce, quitte à admettre les crimes qu'elle
a engendrés?
En réalité, l'action principale du prés ident de la République consiste
à jouer les VRP de luxe et à mettre en valeur les capacités de nos indus-
triels dont beaucoup so nt par ailleurs de ses amis personnels. C'est dans
cette mesure, de plus en plus mod este, que survit vaille que vaille ce
qu'il est aujourd'hui convenu d 'appeler la Françafrique ' !
Cent mille morts! Cent mille personnes tuées sur ce qui était
encore le sol français et par des soldats français! Mais ce massacre
est tout juste évoqué dans les livres d'histoire. Quelques lignes à peine.
Passé sous silence. Relégué dans les coulisses de l' Histoire. Oubliés
tous ces morts qui ne peuvent que déranger au pays des droits de
l'homme. Et pourtant c'était hier en 1947. Mais loin, très loin de la
nlétropole. Dans une colonie où l'on pouvait tuer impunément, sous
les ordres de généraux français et sans même encourir la moindre répri-
mande d'un gouvernement qui regroupait alors des démocrates-chré-
tiens, des socialistes et des communistes.
C'était donc à Madagascar, la Grande île ou enco re l'île Rouge,
comme on l'appelle. Paris y a envoyé des troupes coloniales pour mater
une insurrection indépendantiste qui a commencé par des tueries
d'Européens. Pendant de longs mois, les rebelles subissent une répres-
sion très dure, impitoyable. Pourchassés, affamés, les insurgés finis-
sent par se rendre les uns après les autres. Plusieurs cl' entre eux sont
jugés et condamnés à mort. Mais bien d'autres sont sommairement
exécutés. Et les rares témoins font état de nombreuses exactions: tor-
tures, vi llages détruits, etc. De nouveaux Oradour!
En 1948, l'affaire est entendue: les « événements de Madagascar »,
comme on dit pudiquement en métropole, ont vécu. C'est le haut-
commissaire lui-même qui donne le chiffre de cent mille morts. Un
Malgache sur quarante a donc été tué. Tandis que du côté des mili-
taires et des colons, on recense cinq ccnt cinquante morts.
Aucun soldat, aucun policier, aucun fonctionnaire ne sera sanc-
tionné, alors que le gouvernement était parfaitement informé de la
13
Les dessous de la Françafrique
situation sur le teHain. Mais le drame s'est déroulé dans la plus par-
faite indifférence de la métropole. Le sort des Malgaches n'a guère
ému une population mal informée et bien plus concernée par les res-
trictions de l'après-guerre et les nombreuses grèves suscitées par le
parti communiste.
14
Madagascar: le piège et l'horreur
15
Les dessous de la Françafique
Jean-Pierre Langellier' :
Le courant en foveur de l'indépendance, de plus en plus
ressentie comme un dû, a gonflé au fiL des ans. En perte de
prestige depuis sa défoite en 1940, la France n'est plus illvin-
16
Madagascar: le piège et l'horreur
cible. Pendant six ans, quinze mille Malgaches ont servi dans
les rangs de son armée. Dans la Grande ile, l'effort de guerre
imposé par la France libre - travailforcé, réquisitions, impôt
dtt riz - a alourdi le fardeau quotidien. La Charte des
Nations unies a promis l'émancipation aux peuples encore
assujettis. L es députés malgaches exaltent l'avènement de cet
« ordre nouveau », dam un climat de relative liberté. La
déception sera rapide, et immense. Les anciens combattants,
tardivement démobilisés, reçoivent de retour au pays ttne
prime dérisoire. Ulcérés que la France se montrât si ingrate,
beaucoup de tirailleurs deviendront insurgés. En un an, le
vent de la liberté a tourné. La France de la 1\1' République
naissante n'est plw celle de la Libération. Elle pratique le
double langage, prônant le dialogue, recourant à la force.
Oubliewe de ses promesses, confrontée à la crise indochinoise,
elle privilégie d'autres impératifi : les intérêts des colons, l'at-
tachement de l'armée et de certains milieux d'affàires à la
s/tprématie française, le maintien de Madagascar dans l'es-
pace stratégique occidental.
17
Les dessous de la Françafrique
18
Madagascar: le piège et l'horreur
19
L es dessous de la Françafrique
l'île, les colo ns, les premiers, ex igent que le parti indépendantiste soir
po ursui vi pour complot con tre la Sûreté d e l'Ëtat, tandis qu'à Paris le
présiden t du Co nseil, Paul Ramadier, acc use le parti séparatiste d'être
seul respo nsable des événemen ts de Madagascar. Des événements qui ,
d 'ailleurs, ne trouve nt pas un grand écho en métro po le.
Les chefs du parti ripostent en affirm ant qu'ils SOnt parfa itement étran-
gers au déclenchemen t de l'insurrection. Au contraire. ils la désavouent,
déno ncent les crimes co mm is par les rebelles et sc pro posent pOLir ren-
ter ulle opération de médi ation. Mais ils ne SOllt pas entendus pu isque
l'objectif est de détrui re leur parti et de les rédui re eux-mêmes au si lence.
Jacques Tronchon 1 :
Le 1" avril, le haut-commissaire reçoit Ravoahangy,
Rabemananjara et Raherivelo. ri s'entend di>~ que le MD RM
est complètement étranger à toute agitation antifrançaise,
et que les responsables du parti déplorent les douloureux évé-
nements Sltrvenus depuis deux jours. Ses trois interlocuteurs
l'informent aussi de la teneur du télégramme qu'ils ont dif
fiiSé le 27 mars. ris sollicitent enfin la possibilité de foire affi-
cher dans tout Madagascar, ou au besoin de radiodiffitser une
( proclamation }) désavouant L'insurrection de manière caté-
gorique : « Nous réprouvons de la foço" la plus formelle ces
actes de barbarie et de 'violence et nous espérons que la jus-
tice fora jaillù' toute la vérité et déterminera la responsabilité
de ces crimes. Nous tenons à protester avec indignation et allec
la dernière énergie contre les accusations faites ou insinuées
par une certaine presse à notre endroit et à l'égard de la poli-
tique de notre parti. Nous affirmons solennellemen t que le
bureau politique du M DRM n'a jamais participé à la machi-
nation et à la réalisation de ces actes odieux. »
1. Frère franciscain viv;:lIlr à Madagasca r, il a pub lié Cil 1974 chez Maspero Ic
livre de référe nce sur ces événements, L'insurrection malgache tle 1947, ail re rrlle d'un e
longuc c n q ll ~re sur le terrai n cr la déco uve rte d'archi ves in édires.
20
Madagascar: le piège et l'horreur
21
Les dessous de La Françafrique
c'est bien le pani indépendantiste qui est à l'orig ine des émeutes. C'est
la conclusio n à laquel le arr ive le chef d e la Sùreté à pe ine di x jours après
le début de l'insurrection. Cet homme, le commissaire Baro n, a joué un
rô le considérabl e dans cette tragique aff.'lire. Il était très proche des colons.
À la différence du haut-commissaire qui se méfiait plutôt d e ces d erniers.
Ce policier était certainement l'homme le mieux informé d e l'îl e et pour-
tant il a feint de ne pas cro ire au déclencheme nt imminent de J ' ins llr~
rection . Il a don c été l'homme clé de la manipulation.
Co ntraint à la d é miss ion par le haut-commissaire à ca use de ses
méthodes. il ne carde pas à rcwurner à Tananarive ct, même sans déte-
nir de fon ctio n officie lle, il continue à perpétre r des arresta tions et à
se livrer à des inte rrogaroires sur les prisonni e rs.
D ès que les renforts militaires arri vent, la répress ion s'accentue. C'est
un e vé ritable g ue rre colo ni ale, avec son co rrège d ' horreu rs et d 'exac-
ti o ns, qu e m è ne nt les militaires fran çais. M a is plus le temps passe e t
plus les insurgés usent d e violence. Contre les colons mai s auss i contre
leur propre peupl e, pour co ntraindre les plus ti èdes à se joind re à eux,
o u pour éviter que des ho mmes ne fuie nt leur camp. Mais il faut rela-
ti viser: il y aura un peu plus de cÎnq cents mo rts européens, dont rrois
cent cinquanrc militaires, aJo rs qu'o n dénombrera presque cent mill e
morts indigènes. Ce chiffre est d 'autant plus fiable qu' il a été fourni par
les autorités qui, sur o rdre, tenteront par la suite de revisi ter à la baisse
le nombre d e morts malgaches.
La [Q[[ure a été systém atique ment utilisée contre les militants du
MDRM. Mais il y a pire, si le pire ex iste. À Madagasca r, l'armée expé-
rim ente pour la première foi s d e so n histoire l'action psycholog ique.
Afin de terroriser les villageois, des insurgés vivants sont jetés d'avions
vo lant à basse altitude. On procèd e aussi à d ' innombrables exécutions
sommaires. Ainsi à Moraman ga. Des arrestations massives ont lieu dans
le secte ur. Plus de cent c inqu ante perso nn es, des in surgés ou prés u-
més tels, qui so nt en réalité des ocagcs, sont conduits en wagons à bes-
tiau x jusqu'à la gare. Là, sous pré texte que dcs insurgés scraient sur le
point de les d éli vre r, les militaires reçoivent l'ordre d e tirer sur le train
au ca non et à la mitraillettc. La moitié des priso nniers succombent tan-
22
Madagascar: le p iège et l'horreur
dis que les autres sont acheminés vers la priso n Ol! ils sont in terrogés.
Ma is leur cLi vaire n'est pas fin i. Deux jours plus tard) ils doivent remon-
te r dans les wagons. Pas po ur lo ngtemps. Q uel q ues heures après, ils
redescendent, so nt conduits deva nt un peloton d'exécutio n Ct abat-
[Us. Scull'uil d'entre e ux sortira viva nt de ce massacre.
L ho mm e qui a do nné l'o rdre écri t de les exécuter est un général
frança is.
1. op.cir.
23
Les desso us de la Françafrique
24
Madagascar: le piège et l'horreur
27
Les dessous de la Franrafrique
Mais au N ige ria, la France s'est mê lée d e ce qui ne la rega rdait pas,
bie n que le fa it que ce tte ancienne co lonie britannique so it e nmurée d e
pays francophones ne so it pas étranger à celte affaire.
Ce pays, géographiquement deux fois grand comme la France, a éga-
Iement accédé à l' indépend ance en 1960. C omme beaucoup d 'autres
anc ie nnes co loni es. sa popu ladon es t co nscituée d'un amalga m e d 'e [h ~
ni es. Le colonisateur ne s'est en effet jam ais souc ié de form er des
ensembles ho mogènes et a nié le fait tribal. Les frontières qu' il a tracées
et qui o nt été m alhe ure usem e nt pé re nni sées lors d e l'indé pe ndance,
n'avaient souvent pour seu l objectif que de marquer les limites de ses
co nquêtes territoriales . Ainsi des pe uples traditionne ll e m e nt hostil es
ont-ils été forcés d e vivre ensemble.
Le N igeria, république fédé ra le co mposée de trois puis qua tre États,
est don c un vrai puzzle, ta nt ethnique que religi eux. Au No rd, on y
est plutô t musulman, tand is que le Sud est chrétie n ou m êm e animiste.
Le Biafra, situé au sud-est du pays, regroupe dans les années 1960
e ntre douze e t tre ize mi ll ion s d'habitants, apparœ nanr e n major ité à
la tribu d es Ibo qui so nt généra lem ent chrétie ns. La région n'est pas
la plus peuplée du N igeria ma is certaine ment la plus dynamique. En
outre, les Ibo SOnt souve nt plus éduqués que les autres N igé ria ns et ils
ont essa im é dans tout le pays.
Il faut ajo uter - et c'est nat urellement très impo rtant - qu'a u début
de cette décennie des giseme nts de pétro le viennent d 'être d écouverts
au Biafra ct alentour.
Les premières difficultés du Nigeria surg isse nt au début de 1966.
Un petit gro upe d 'officiers d 'origine Ibo liquide une vingtaine de diri-
gea nts du No rd et s'e mpare du pouvoir. l'our peu de temps . Le ch ef
d'état-major des armées, bien qu'il so it lui aussi Tbo, organise un contrc-
putsch. Une o pératio n en trompe l'œil : les putschistes, appartenant à
sa propre e thni e, ne seront pas jugés. Mais ces événements provoquent
L1n e vérimble réaction en chaîne.
Les N igérians du No rd brO ient d 'en découdre et de se ve nger. Ils
passent bientôt à l'act io n : des Lbo sont pourchassés, massac rés, victimes
de vérirables pogroms. D es centain es de milliers d'autres fui e nt Ct, ter-
28
Biafra: la " guerre de la fomine »
rorisés, tenrcnt de revenir chez eux. Les étudiants Ibo qui combelle ell cre
les mains des tueurs o nt la ma in droite coupée: le symbole est aussi ter-
ribl e q ue spectac ula ire, il fa ut les empêchet d'écrire.
D ans le même temps, un no uveau coup d'État militaire perpétré par
des o ffi cie rs du No rd c hasse les Ibo du po u vo ir. I.:ho mm e qui es t à
leur tête, le lieutena nt-colonel Gowo n, est chrétie n. M ais la plupa rt des
nouveaux dirigean ts sont musulmans. So us la coupe des tribus du No rd,
ce putschisrc entreprend L1n e réforme administrati ve clairement dirigée
contre les Ibo. Le Nige ria est redécoupé en d ouze États et l'o n en pro-
fite pour prive r le Biafra de la majo rité d e ses richesses pétro lières.
Les Ibo, traumatisés par les massacres Ct ces derniè res mesures de
rétorsion , est iment que la sécess io n est inév itable. D ès la lin de l'an-
née 1966, le go uve rn eur mili taire d e la régio n , le lieu te n ant-colo nel
O jukw u, s'y prépare et ne semble nullemem décidé à reconnaître l'au-
to rité de son collègue Gowo n.
Au débu t de l'année 1967, il comm ence par co n fisq ue r le matériel
fe rroviaire qui transite par le Bi afra . Plus sérieusement encore, il entame
des négociatio ns directes avec les sociétés pétrolières insta llées dans la
régio n. Enfin et surtout, il entreprend de constituer une armée biafraise.
La suite est inéluctable : en ma i 1967, Oj ukw u saute le pas et proclame
l'indépendan ce du Biafra.
Naturellement, le li eutenant-colo nel a auparavant pris la précautio n
d 'effectuer quelques déma rches inte rnatio nales. Il sait que l'Es pagne de
Franco et le Po rtugal de Sa la7A 1r le soutiend ro nt. Il pense auss i bénéfi-
cier du so utien plus discret du pouvo ir bl anc au se in du contin ent,
Afrique du Sud et Rh odésie. Mais c'est essemiellem ent sur la France du
géné ral de Ga ulle qu' il compte s'appuye r.
E n effet, le président français n'est guè re favo rable au Nigeria : il n'a
pas oublié qu'à la sui te de l'exp los ion de la tro isième bom be ato mique
française au Sahara, les N igérians o nt réagi vivement et même ro mpu
un temps le urs relatio ns d iplo ma tiques avec nOtre pays. Cela ne suffit
to utefois pas à ex pliquer l' inté rêt d e la Fra nce pou r le petit Biafra. La
vraie rai so n, c'est le pétro le. Au N ige ria, le gâteau a été pa rtagé entre
la Shell , qui est anglaise, ct une société frança ise, une fi liale d 'Elf Mais
29
Les dessous de la Françafrique
30
Biafra : la " guerre d e la famine»
1. Pour des raiso ns év identes, les noms évoqu és SO ll t rem placés par des initiales .
2 . C ité par Parri ce C hai roff dan s B... comme Barbouzes, édirions Alain Moreau,
1975. Un livre sulfure ux et parfu is suj et à cauti on.
3 . Vo ir dan s la même co ll ectio n Morts suspectes sous la. V'" République, collection
<e L.es Doss iers sec re ts de Mon sieur X », Nouveau Monde éditio ns, 2008.
31
Les dessotts de la Françafrique
32
Biafra ,' la « guerre de la fam ine"
33
Les dessous de la Françafique
34
Biafta : la « guerre de la jàmine "
35
Les dessous de la Françaftique
Pierre Péan 1 :
Le nouveau présidentftançais, Georges Pompidou, n'en-
tend plus soutenir la sécession biaftaise dont les leaders en sont
aLors réduits ft. exercer lm véritable chantage à fa famine en
essayant d'apitoyer ta communauté internationale en flveur
de leur cause.
[Et le journaliste de citer un article du Washington Post
du Il Juillet 1969:]
" Le Biafra prive son propre peuple de ce qui est néces-
saire à sa subsistance, dans l'espoir évidemment que le spec-
tacle de ses souffrances va inciter les étrangers à imposer des
restrictions politiqu.es au Nigeria. La famine ne saurait deve-
nir une arme de guerre acceptable du simple foit qu'elle est
utilisée par un leadership aux abois contre sa prop"e popu-
lation réduite à l'impuissance. »
Jeune Afrique:
Thomas Sankara foit irruption, le 4 août 1983, dans le
train-train quotidien d'une génél'a tion en maL de repères.
Penser en Afrique était alors risqué. Rêver, quasiment pro-
hibé. l'as un Lumumba, pas un Nkrumah à l'horizon, pour
fa ire la nique aux baronnies et aux conservatismes qUl~
p resque partout, se sont installés au pouvoir. Le coup d'État
du 4 août- cen était un - installe aux commandes d 'un deJ
pays les plus pauvres du monde un j eune officier de trente-
37
Les dessous de la Françaftique
38
Burkina Faso : le capitaine et les caciques
Le Burkina Faso est l'un des pays les plus pauvres de la planète 1 II
le doit en partie à sa situation géographique: climat sahélien au nord,
soudanais au sud. Seul es les vallées sont fertiles. Quant aux richesses
naturelles, elles se limitent à la présence de manga nèse. C'est bien peu.
La Haute-Volta, comme les autres colonies françaises, d evient indé-
penda nte e n 1960. La force politique dominante est alors le RDA, le
Rasse mble ment d émocratique africa in , fond é par l' Ivo irien Félix
Houpho uët-Boigny. MiniStre d 'État sous la IV' République, il a pré-
paré l'accession à l'indépendance des colonies fran cophones. Une évo-
lution e n douceur. Houphouët-Boigny ne vou lait surtOut pas rompre
avec la France, ce qui, au sein de son propre parti , lui créa des ennuis
avec sa base beaucoup plus anticolonialiste que lui .
Le premier président de la Haute-Volta est un certain Yameogo. En
1966, accusé de corruption, l'une des maladies endémiques des pays du
tiers-monde, souvent encouragée, sinon initiée par l'ex-co lonisateur qui y
tfOlIve son compte, ce dirigeant es t chassé du pou vo ir. Les syndicats, très
puissants en Haute-Volta, Ont joué un rôle déterminant dans cette affaire.
Lui succède un brave général, Lamizana. Mais la suite est chaotique : après
plusieurs coups d'État, le RDA s'écroule peu à peu et le pays, ruiné par
de longues périodes de sécheresse, s'enfonce dans la misère.
Au début des années 1980, un colonel s'est emparé du pouvo ir. li
appell e au go uvernem ent un jeune capitain e, Thomas Sankara, qui
accepte le portefeuille de l' Info rmation , après avoir longtemps hésité.
Fils d ' un Peul et d 'une Mossi, l'ethnie majoritaire en Haute-Volta,
ce brillant élève est d 'a bo rd remarqué par les prê tres d ' une miss ion
catholique qui l'auraient bien vu prendre le chemin du séminaire. M ais
le jeune T homas veut d eve nir médecin. N'obtena nt pas de bourse, il
choisit en désespoir de cause la carrière militaire.
Son destin se dessine à Madagascar où il rejo int l'académie miliraire.
Enrhousiaste, il y assiste au grand tournant malgache vers le socialisme.
Cependant, ce militaire hors normes s'intéresse aussi à l'économie, aux
sciences politiques, au journalisme. Esprit curieux et éclectique, il pro-
39
Les dessous de la Françafrique
40
Burkina Faso: le capitaine et les caciques
41
Les dessous de la Françafrique
42
Burkina Faso : le capitaine et les caciques
43
Les dessous de la Françafrique
tôt. Auta nt dire que l'atmosphère est glaciale. Le préside nt burkin abé
co nsidè re qu'il s'agit d' une véritable provocation et menace de repar-
ti r im m éd iateme n t. A ussitôt info rmé, Franço is M itterra nd, furieux
de ce rarage, lui envoie son fi ls Jean-Christophe. La siruation s'apaise.
Ma is Sankara mani feste so n mécon tentement en sJabsœnant de paraître
au dîner officiel.
44
Burkina Faso: le capitaine et les caciques
Dès le retour de la droite aux affaires en France, nos meilleurs amis afri-
cains se précipitent sur leur téléphone pour demander à Jacques Foccart,
revenu dans les bagages de Jacques C hirac, de mettre fin au scandale Sankara.
Ce jeune cap itain e intègre, progress iste, qui clame à tous vents qu'il
fuur en finir avec le néocolonialisme et l'exploitation de l'Afrique, représente
pour tous ces dirigean ts africains une provocation permane nte! Et un dan-
ger pour leur propre pouvoir. D 'autant que Sankara est déjà devenu un héros
pour la jeunesse africaine. Peut-être encore plus populaire que Lumumba"
1. Leader chari smatique et Premie r ministre du Congo ind épendanr. A sans daure
été assassiné en 1960 à l'insti gat ion de la C IA et avec la co mpli cité du futur prési-
dent du Zaïre, Mobutu et du sécess ionni sre karangais, Tscho mbé. Voir cha pi tre XVI.
45
Les dessous de la Françafriqu e
46
Burkina Faso: le capitaine et les caciques
Thomas Sankara1 :
Un jour, des gens sont venus me voir, complètement affo-
lés. « JI paraît que Blaise prépare un coup d'État contre toi. .. »
f is étaient, le p lus sérieusement du monde, paniqués. Je leur
ai répondu ceci : « Le j our où vous apprendrez que Blaise pré-
pare un coup d'État contre moi, ce ne sera pas la peine de cher-
cher à vous y opposer ou même me prévenir. Cela voudra dire
qu'il est trop tard et que ce sera imparable. Il connaît tant
de choses sur moi que p ersonne ne pourrait me protéger contre
lui s'il voulait m'attaquer. ft a contre m oi des armes que vous
19norez . .. »
JI faut observer que les assass ins ne seront jamais inquiétés et qu'il
se trouvera même un médecin pour déclarer que Sankara est décédé
de mort natureUe ! La veuve de Sankara, qui vît aujourd 'hui cn France,
n'obtiendra jamais que la justice de son pays enquête séri eusement sur
l'assass inat de son époux. M ais comment pourrait-il en être autrement ?
Il est établi que les relations entre les deux amis s'étaient refroidi es.
Alors qu'au début de la révolu tion to utes les décisions étaient prises par
un collège de capitaines où fi gurait Compao ré, Sankara gouvernait de
plus en plus seul.
D 'autre part, si les relations entre le Burkina Faso et la Côte d'Ivoire
n'avaient cessé de se dégrader au fil des ans, Co mpaoré, lui, avait fa it
le chemin inverse. Le frin gant capitaine était du dernier mieux avec l'en-
tourage du prés ident H o uphouët-Bo igny. Il avait même épo usé une
parente fortun ée du vieux président ivo irien et avait peu à peu renoncé
1. Interview accordée peu de tem ps ava nt son exécutio n à Jea n- Philippe Rapp,
jou rnaliste de la rélévisio n sui sse .
47
Les dessous de la Françaftique
Jacques Foccart 1 :
L'homme d'État ne sera pas à la hauteur cles espoirs
qu'avait suscités son discours neuf Le charisme de Sankara,
allié à sa spontanéité, à sa sincérité, à son style de vie spar-
tiate, lui vaut une popularité extraordinaire dans la jeu-
nesse cle toute l'Afrique. Au Burkina, on percevra mieux et
plus vite les foiblesses et les extravagances du chefpopuliste
qui se mue en despote dès que la classe politique relève la tête.
Il est étonna nt de constater que la légende de Sankara est
1. op. cit.
48
Burkina Faso: le capitaine et les caciques
Une guerre peut en cacher une autre. Tandis qu'en Algérie l'armée
française menait ce qu' nn appelait alnrs pudiquement des « opéra-
tions de pacification )~, d'autres éléments de cette même armée étaient
engagés au Cameroun. Et, comme en Algérie, ils pacifiaient à leur
façon et traquaient les opposants au régime de ce pays nouvellement
indépendant. Une longue traque qui a causé la mort de milliers de
personnes. Mais la presse et l'opinion n'étaient alors préoccupées que
par la trop longue guerre d'Algérie et son cortège d'horreurs. On pou-
vait donc massacrer en toute discrétion au Cameroun! Et il faudra
attendre des années avant que des journalistes ou des historiens ne
tentent de faire la lumière sur ces tragiques événements.
Il s'agit donc de l' une des pages les plus noires de l'histoire colo-
niale de notre pays et de la Françafrique. Mais une page quasi incon-
nue où les services secrets ont joué leur partition avec une redou-
table efficacité.
51
Les dessoltS de la Françaftiq /te
52
Cameroun,' siLence, on tue!
chorales, des mouvements sportifs, etc. Et il lit. Il n'a rrête pas de lire.
Un dernier mot pour en finir avec ce portrait: à l' École normale, ses
maît res Ollt qualifié le jeune Nyo bé d'élève (( studi eux » mais (( raiso ll ~
!leur ». C'es t~à~di re toujours prompt à co nteSter ses professeurs! Avant
la guerre de 1939- 1945, il sera même le meneur d'un mouvement de
pcotesmtion contre la mau vaise nourriture servie aux é tudiants. En ro ut
cas, personnage charismatique et dirigeant naturel, il s' impose facil e-
ment à la tête de cette stru cture créée en 1944. Puis, quelque temps
après, il devient le premier secrétaire général d'un nouveau mouvemen t
politique, l'UrC, l' Union des populations du Cameroun.
Le programme de ce parti peut se résumer en trois points : pre-
mièrement, l'U r c demande la réunification du Cameroun encore par-
tagé entre la France et la G rande-Bretagne. Ensuite, Um Nyobé et les
siens exigent l'annulation de la résolution de l'ONU confiant la tutelle
et l'administration du Ca meroun à la France. Enfin , e t c'est la sui te
logique de ce qui précède, l'urc se prononce pour l'indépendance
immédiate.
Très vite, l'urc rejoint presque naturellement le RDA, le
Rassemblement démocratique afiicain fondé par Félix Houphouët-Boigny,
et se positionne à J'extrême gauche. Rien d'étonnant: dans ces premières
années de l'après-guerre, Houphouët-Boigny est un compagnon de route
du r c français. Mais ça ne dure guère: au tOut début des années 1950,
le leader ivoirien tourne casaque, rompt avec le PC et, sans renier ses convic-
cions nati o nalistes, prô ne une coo pération étroite avec le co lonisateur.
Llvoirien et le Camerounais s'élo ig nent do nc l'ull de j'autre.
Lurc est bien évidemment mal vue par l'administration française.
Ces nationalistes sourc illeux gênent. Et les hauts-commissaires qui vont
se succéder au Cameroun , en dé pit de leurs convic tions souvent pro-
gress istes ou social istes, s'acharn ent à leur mettre des bâto ns dans les
roues. C'est d'autant plus vrai que la guerre froide bat so n plein et que
l' urc eS[ réputée proche des communistes.
Ladministration colon iale surveille do nc é troitement "organisa tio n
qui s' implante solidement dans le Sud et le Sud-O uest, Ol! vivent les
Camerounais appartenant aux ethni es Bassa et Bamiléké, Nyobé étant
53
Les dessous de la Françaftique
lui -même un Bassa. Ce succès ne doit rien au hasard: il s'agit des régio ns
les plus développées et il y existe déjà un prolétariat, surtout dans le pOrt
de Douala 0" SO nt également recrutés les deux tiers des fon ctionnaires.
En sont aussi issus la plupart des intellectuels et étudiants du pays.
Malgré les coups de griffe de l'administration fra nça ise, le parti de
Nyobé se trouve donc en passe de rassembler la plus grande partie de
l'opinion camerounaise. À l'except io n, bien sûr, de la po pulati o n du
Nord qui vit encore SO LI S la fé rule de sul ta ns très anti co mmunistes .
Q uant à Um Nyobé lu i-même, il devient un leader de plus en plus en
vue. À tel point que beaucoup de Camerounais ne l'appellent plus que
Mpodol, c'est-à-dire « le Sauveur » .
LUPC, qui se sent de plus en plus forte, estime représenter le peuple
camerounais et ne cesse d'envoyer des pétitions à l'ONU afin de deman-
der la fin de la tutelle fran çaise. Mais l'organisation internationale
demeure très circonspecte et peu encline à donner sarisfaction à Nyobé
et ses amis, en ra iso n de leur coloration poli tique. Nombre de pays ne
veulent pas vo ir un régime comm uniste ou crypta-communiste s'éta-
blir en Afrique et craignent l'effet de contagion.
Il n'empêche que la progression de l' UPC est réelle. Et que Paris
entend à tout pri x la juguler. Ma is, pOUf réal iser cet objectif, il n'existe
que deux méth o des. La pre m ière, certai ne ment la plus sage, co ns iste
à entamer le dialogue avec ces indépendantistes, afi n de leur permettre
d'entrer dans le jeu poli tique ca merounais et de disposer d' une repré-
sentation dans les assemblées. C'est la ca rotte. La deuxième méthode,
le bâroll, suppose l'écrasement du mouvement par la force .
C'est malh eureuseme nt cette soluti o n que chois ira J'administracion
coloniale.
Georges Chaffard 1 :
Le Cameroun n'est pas un territoire d'outre-mer comme
leJ flutreJ, mais un pays « JOlIS tutelle », mr lequel la France
n'exerce qu'un mandat provisoire pour le compte des Nations
54
Cameroun : silence, on tue !
La mise e n œ uvre de cette po lit ique du bâton coïn c ide avec rarri-
vée à Yao undé, fi n 1954, d 'un no uvea u haut-co mmissaire, Roland Pré.
La dare est im portante: l'an ticolo nialisme marque des poin ts un peu
parto ut da ns le mo nde. Rien que po ur la Fra nce, à la défaite fra nçaise
de D iên Biên Ph u succède le d ébut de la gucrre d 'Algérie. Les militants
de l' UPC ve ul ent y voir u n encou ragement.
Pré, q ui a déjà exercé da ns d'autres postes en Afrique, affiche pour-
ta nt d'e mbl ée sa bonne vo lonté . Le p rés ident d u Conse il , Pierre
Men dès-France, lui a d emandé d 'amorce r un d ialogue avec les indé-
pendantistes, mais Ro land Pré est d 'abo rd décidé à agir avec ef~caci té
en faveur d u développement économique d u pays . La poli tique passe
après. Il veut do nc, non sans un e certaine naïveté, rassem bler toutes les
55
Les dessous de la Françafrique
56
Cameroun: silence, on tue !
57
Les dessous de la Françafrique
Discipli né, rigo ureu x, il a été cho isi par le social iste Gaston D efferre,
alors ministre de la France d'outre- mer.
G râce à ces électio ns, les mi litants de l' UPC, sous le masque du patti
de Priso, auraient donc l'occasion de sortir de l' illégalité. Mais l'occa-
sion va ê rre manquée à cause de disse ns ions inte rnes. Ce rtain s, très
méfiants, craignent un suffrage truqué ct, finalement, repo lissent l'offre
de Soppo Priso. D 'autres choisissent le boycott du scrutin car ils ne veu-
lent pas prendre le risque de se co mp te r. Et donc éventuellem ent de
déchanter. Une analyse qui sera d émentie par les faits: dans les régions
0" l' U PC est bien implantée, les électeu rs ré pondront à la consigne
de boycott et s'abstiendront en masse.
Cc scrutin , qui aurait pu déboucher sur un apaisement, exacerbe au
co ntraire les tensions Ct o uvre ce que l'o n appellera alors la « sem ai ne
sang lante ».
Certes, Messmer a été envoyé au Cameroun po ur appliquer la poli-
tique libérale de Gaston D efferre, une pol itique qu i, à terme, do it
conduire à l'indépendance après une période d'auto nomie incerne. Mais
le haut-commissaire n'est pas arri vé tout seul. Il est accompagné par un
homme à po igne, Maurice Delauney, à qui il va co nfier le commande-
ment de la région sud-ouest, là Oll existent des maquis indépendantistes.
Disposant d'une vingtaine de pelotons de gendarmerie et d'un bataillon
d)infancerie de marine, ce fonctionnaire est bien décidé à remettre de l'ordre
dans la région. Avec le soutien total du haut-commissaire.
Pierre Messmer l :
58
Cameroun: silence, on tue !
59
Les dessolls de la Françafriqlle
exci tés à com menre des acres irréparab les, au risque de s'aliéner la sym-
pathie d' une partie de la population. Un assassinat en particulier pro-
voque une grande indignation, celui d'un médecin , le docteur Delangué,
un nationaliste modéré, ancien des Forces fra nçaises libres, qui a choisi
d'exercer son métier dans une zo ne rurale ct pauvre.
L1. « semaine sanglante » commence au jour fi xé po ur les élections, fin
décembre 1956. Des villages se soulèvent, des cartes électorales sont brû-
lées et des habitants, répondant aux mots d'ordre de l'UPC, désertent
même leurs vi llages afi n de ne pas aller vOter. Résultat, des ge ndarmes
françai s et des soldats do nt beaucoup sont cametounais se lancent dans
une répression aveugle: des cases SOnt incendiées dans plusieurs vi llages
ct des militants ind épendantisccs sont abattus.
Les indépe ndantistes, in capables d'affronter les forces de l'ordre,
ro mpent et regagnent leurs maquis. À l'abri de la forêt, ils sont très dif-
fi cilement repérables. D'autant que ceux qui pourraient les poursuivre
n'ont aucune expérience de la lunc anriguérilla et renoncent rapidement
à cette chasse.
Après ces événements dramatiques, les guérilleros camerounais ne
se manifestent pas pendant une longue période. Aussi le commande-
ment français peur-il estimer que l'opération a été un succès et que la
pacification de la région Bassa , la plus agitée, est acquise.
Dans le reste du Cameroun, on a voté presque normalement.
L.:assemblée élue, après avoir voté le statur d' Ëtat autonome sous tutelle,
investit un Premier ministre, André-Mari e M 'Bida. N aturellem ent,
Messmer n'est pas tout à fa it étranger à ce choix: cet homme, un modéré
vaguement teinté de socialisme, est surtout très an ti-Ure. Quant au vice-
président, c'est un jeune fonctionnaire musulman qui fera parler de lui :
Ahmadou Ah idjo, futur président du Cameroun. D 'a illeurs au H aut-
Commissa riat, o n se dit déjà que Ahidjo fera it une excellente toue de
secours si M 'Bida venait à ne pas donner satisfaction . Un remplacement
qui ne tardera pas.
Quoi qu'il en soit, après la répression menée en pays Bassa. Pierre
Messmer tente une ouverture en directio n de l' UPC et de Nyobé par l'in-
te rmédiaire de M" Mongo, évêque coadjuteur de Douala. Le prélat, non
60
Cameroun : siLence, on tue !
sans un certain courage, se rend dans la forêt afin d'y rencontrer le chefindé-
pendantiste. TI lui fuut plus de deux jou rs pour rejoindre le chef de l'UPe.
Celui-ci lu i explique qu'il veut être reconnu comme l' interlocuteur privi-
légié du haut-commissaire et réclame le poste de Prelnier ministre dans la
perspective de la formation d'un gouvernement d'union nationale.
Autant d 'exigences inacceptables po ur Messmer. Il semble bien que
le leader indépendantiste, trop lo ngtemps reclus dans so n maquis, ait
perdu le contac t avec la réalité de la situatio n d e son pays. 11 n'en reste
pas moins que ( le Sauveur », comm e le nomment toujours ses parti-
sans, demeure un personnage populaire et presque légendaire puisque
perso nn e, à l'exception de ses proches compagno ns, ne le vo it plus.
Entre temps, le haut-commissa ire s'est adjo int les services d'un spé-
ciali ste de la guerre antirévolutionnaire : Dan iel D oustin qui sera plus
tard directeur de la D ST, le co ntre-espionnage frança is.
Cc po licier, directement rarraché au haut-co mmi ssa ire, est envoyé
au sud du Cameroun po ur épauler D elauney et en finir avec les maquis
UPe. Q uitte à recourir à des méthodes peu orthodoxes .
Delauney, le prem ier, donne l'exemple : sachant parfa itement que
les dirigeants les plus durs du mouvement indépendantiste ont trouvé
refuge au Cameroun britannique et coo rdo nn ent l'action des maquis à
l'abri d e la fronti ère, il d écide d 'orga niser une o pératio n commando
pour les déloger et si poss ible se débarrasse r définiti vement d 'eux.
J..:opératio n prévue est non seulement risquée m ais illégale puisqu'elle
do it se passer en territo ire étranger. M ais le haut-commissaire donne
son autonsatJo n.
Une nuit de juin 1957, un commando franchit la fronti ère et détruit
le siège de l'UPe. Seul regret de Delauney, le prin ci pal chef indépen-
dantiste en exil , Félix Moumié, est absent et échappe do nc à la mo rt.
Maurice Delauney' :
J'avisai le haut-commissaire de mon intention. Il
app rouva. Mais il me précisa que, si j'échouais, et surtout
61
Les dessous de la Françaftique
Toutefois cette action spectaculaire ne met pas fin aux activités du parti
indépendantiste. Dans so n maquis. « le grand maquis » co mme ill'ap-
pelle de façon un peu présomptueuse, Nyobé continue d 'agir: son ambi-
tion est de substituer à l'ad ministration ex istante ses propres agents. Bre~
il veut faire de la région qu'il contrôle un territoire libéré. Il structure donc
ses troupes, organise un service de renseignement et crée même des tri-
bunaux popu laires chargés de juger les traîtres, c'est-à-dire touS ceux qui
collabo rent avec les Français et le« gouvernement fantoche » de Yaoundé.
Ses hommes multiplient les coups de force. Messmer, Delauney et
Doustin décident de mettre fin à cette agitation. En d écembre 1957,
l'administration coloniale ann once la créa tion de ce que l'o n nomme
pudiquement la« zone de pacification du Cameroun » . I.:opération mili-
taire elle-même doit se dérouler en deux remps. JI s'agit d'abord d 'obli-
ger les popu lations à se regrouper dans d es vi llages situés le long des
grandes vo ies de communication afin de mieux les survei ller et les élo i-
gner des maquis'. Ensuite, après avoir procédé au quadrillage de la région,
1. Larméc française. imitée plus tard par les Américains, n'a pas agi aurremenr
cn Indochi ne avec la création de ce qu'on appelait alors les hameaux stratégiques.
62
Cameroun: silence, on tue !
les maquis de l'UPC seront réduits par la force. Avec une priorité, même
si ce n'est écrit nulle parr, l'élimination phys ique de Ruben Um Nyobé.
En même temps, en métropole, le général de Gaulle est revenu aux
affaires à la faveur du putsch d'A1get de mai 1958 . Jacq ues Foccart est
désormais en charge du dossier camero unais. Il s'intéresse depuis long-
temps à l'Afrique et y a tissé de vétitables téseaux. JI co nnaît en parti-
culier [OUf le personnel politique africain et entretient des li ens per-
sonnels avec la plupart des dirigeants o u futurs dirigeants.
L'entrée en scène de Focca rt ne peut que satisfaire les militaires et
fonctionn aires français e n poste au Ca mero un. D 'autant que ces
hommes ont fréquenté les mêmes cercles, apparentés aux services secrets.
Foccart, par exemple, n'a jamais cessé de faire d es périodes réguliètes
da ns le camp d 'entraînem ent du Sd ece, près d'O rléans.
JI est en tout cas très proche du nou vel homme fort du Cameroun,
le Prem ier ministre Ahidjo qui a remplacé M'Bida à l' initiative du haut-
cOInmÎssa ire Pierre M essmer. Ce dirigeant, malgré un caractère un peu
rugueux, est un ami sincère de la France. Peu après sa nomination, il
déclare même que son pays souhai te librement lier son destin avec le grand
frère français. Il est donc évident qu'il ne s'opposera pas, bien au contraire,
à la pacification entreprise par les militaires français avec la collabora-
tion de soldats camero unais. Pour Ahidjo, Nyobé est un rival potentiel
et un ennemi dont il faut se débarrasser à tout prix. Sa liquidation serait
aussi une victoire symbolique tant N yobé est devenu une sorte de légende.
Le leader indépendantiste n' igno re pas qu' il est menacé. Il sait aussi
que le fil et ne cesse de se resserrer aurour d e lui . Certains de ses parti-
sans l'ont déjà abandonné et ont re noncé à la lutte clandestine. En outre,
il est malade, miné par le paludisme. Or la pression militaire est telle
qu' il ne reço it plus de médica ments .
Les acteurs d e la " pacifi cation » marquent do nc de plus en plus de
points. Le chef militaire de l'organisation indépendantiste a par exemple
été tué en ju in 1958. C'est d'autant plus grave que Nyobé, qu i refuse
toujours d'être armé, n'est cn aucun cas un militaire mais un idéo logue
qui, même au cœur de la forêt équatoriale et malgré la maladie, ne cesse
de li re et de noirci r des feuilles d e papier.
63
Les dessous de la Françaftique
64
Cameroun: silence, on tue !
hab ita nts constatent de leurs propres yeux que (( le Sauveur n) le prophèœ
de l' indépendance, est bien mOtt.1I fall ait en finit avec le mythe de son
invincibi lité qui lui avait permis de ten ir le maquis trois années durant!
À l'annonce de cene mort) tant au Haut-Com missariat qu'au gou-
vernement camerounais, o n respire. On estime que sans leur chefl es
militants de l'Upe vO nt rendre les armes. Il est vrai que beaucoup
d'entre eux se rallient et qu' un certain calme prévaut dans le pays Bassa.
Le chemin vers une indépendance étroitement surveillée peut donc
être parcouru sa ns grosses difficultés grâce à Ahm adou Ahidjo, le
meilleur ami de la France, qui devient presque naturellement le premier
président de la République camerounaise. Mais il existe touj ours des
nationalistes en exil, Moumié et d'autres militants beaucoup plus radi-
caux que Nyobé, qui n'accepteront jamais de so utenir un gouverne-
ment camerounais entièrement aux mains des Français .
Dès la proclamatio n de l' indépendance, début 1960, on commence
à observer des troubles, no n plus en pays Bassa mais en pays Bamiléké,
la région d'origine du docteur Félix Moumié. J.:assassi nat de Nyobé n'a
donc pas abouti à la pacification tant espérée par Paris et Ahidjo. De
nouvelles mesures radicales so nt donc envisagées.
Maurice Delauney' :
Avec un travail passionnant de responsabilités diverses,
et dans un environnement très varié, j'avais passéplus de deux
ans et demi dans cette région Bamiléké, la plus belle du
Cameroun, la plus peuplée, la plus industrieuse.
Lorsque je partis de Dschang, en décembre 1958, je lais-
sais derrière moi une situation détendue. Nous avions fait
la démonstration qu'avec une volonté politique Stlns
défaillance et des techniques adaptées, il était possible de
dominer et de réduire une rébellion cependant bien organi-
sée et qu'il n'existait aumne fatalité dans l'abandon et dans
la résignation de la défaite.
J. op. cit.
65
Les dessous de la Françaftique
66
Cameroun,' silence, on tue .'
67
Les dessous de la Françaftique
68
Cameroun: silence, on tue !
dèrenr pas les Bamiléké comme de vrais Cameroun ais. D 'ailleurs, des spé-
cialistes de l'histOire de I;Afrique n'o nt pas hésité à fa ire la co mparaison avec
le Rwanda', les Bamiléké étant en quelque sorte les Tutsi du Cameroun. L1
colon isatio n n'a guère conrribué à atténuer cette hostilité ethnique larenre.
Q uoi qu'il e n soit, cette dissidence prend une ampleur que même
les révoltes en pays Bassa n'avaient pas atteinte. La sÎruatio n est d'au-
tant plus inquiétante pour le pouvo ir camero unais et son tu teur fran-
ça is qu e de nomb reux É tats afri cains nou ve ll eme nt indépendants pren-
nent fait et cause pour les rebelles. Ils sont m êm e en majorité à l'ONU .
Une autte campagne de pacihcation do it être entreprise. Cependant,
en raiso n de l'indépendance, l'armée française ne jo uit plus de la m ême
liberté. Certes il existe un acco rd de coo pération militaire, comme avec
d'autres pays africains. Mais, en général, ces traités prévo ient seulement
t'assistance frança ise en cas d'agression extérieure 2 . Or mê me si les
Bami léké SOnt peu appréciés par les m embres des auttes ethnies, ce SOnt
des Ca metOunais à part entière.
Souvent, pour justifier une intervention militaire française, on a mis
en avant la hction du secours dû aux E uropéens m enacés par les rebelles.
Cependant, dans le cas du Cameroun, on n'a mê me pas recours à ce
prétexte. Larmée française va m ener une prétendue pacih cati o n sa ns
fa ux-semblants. Parce q ue la g uerre d 'Algé ri e occulte toutes les autres
questions ct que personne ne s' intéresse vraiment au Camero un . Les
mi li ta ires français sauvero nt donc non seulement te pouvo ir du prési-
dent Allidjo mais, selon les mots mêm es du Premier ministre Mich el
Debré, ils se li vreront à un e vraie reconquête du pays Bamiléké.
69
Les dessous de la Françafique
I.: homme chargé de cette reco nquête est un général frança is qui a
été rap pelé to ut exprès d'Algérie o ù il exerçait un commande ment. Le
général B., ancien de la guerre d'Indochine, est un colosse qui n'a pas la
réputation d'être un tendre - on l'appelle d'ailleurs le Viking. Ayant déjà
l'expérience de la guerre révolutionnaire, il lui est attribué des moyens
importants : cinq bataillons, un escadron de blindés et un autte de chas-
seurs bombard iers B-26. Seule contrain te pour B. et ses hommes : ils doi-
ve nt en princ ipe agir sous le co ntrô le des aucorÎrés cam erounaises. U ne
tutel le fotcément tatillonne car Yaoundé apprécie peu d'avoir été obligé
de fa ire appel à l'armée française si peu de remps après l'indépendance.
Mais da ns les fa its, le général B. s'abstiendra parfo is d'en référer aux
Camero unais quand la situation sur le te rrain l' im posera.
Le fe u vert est do nné au début 196 1. robjectif est double : il s'agit
d'abotd d'isoler la zo ne po ur empêcher la contagio n et évite r q ue des
rebelles ne fui ent. C'est seulement ensui re q ue le général brisera manu
militari l'insu rrecti o n et res taure ra pe u à pe u l'au to rité de J'adm inis-
. .
[ration ca merounaise.
Les opératio n s mi lita ires SO llt me nées avec une ra rc e ffi cac ité mais
auss i avec une rare brutalité. V illages in cen d iés o u rasés, prison nie rs
exécutés, cadavres exposés sur la place publiq ue po ur te rroriser ceux qui
70
Cameroun: silence, on tue !
71
Les dessous de la Françafrique
72
Cameroun : silence, on tue !
Pascal Krop 1 :
Tous les dirigeants de l'Urc, sans exception, seront assas-
sinés. Le 5 mars 1966, le maquis d'Dseendé, le nouveau secré-
taire général de l'UrC, est encerclé. Le chefréussit pourtant
à s'échapper. Mais cet intellectuel mal adapté à la rude vie de
brousse perd en courant ses deux paires de lunettes et ses san-
dales. Il errera dans la forêt pieds nus, en aveugle pendant
plusieurs jours, avec un seul compagnon. Avant de tomber sur
la fotale patrouille, qui rafolera sans autre forme de procès les
deux hommes.
En 1971, Ernest Guandié, le dernier chefdes rebelles,
est enfin publiquement exécuté à Bafoussam, sur ordre du pré-
sident Ahidjo. Répression sauvage qui ne mènera à rien. Elle
n'aura même pas servi - les récents événements le prouvent
- à raffermir l'unité du Cameroun, comme l'ont trop sou.vent
procfamé nos distingués africanistes.
Tout cornlnence par une gaffe ! Six mois avant llaffaire gabona ise, le
Congo vo isin ' connaît d es troubles. Là-bas, depuis l'indépendance, le
chef de l'État est l'abbé Fulbert Youlou. Un prêtre excentrique qui n'hé-
siee pas à arbore r des soutanes roses confectionnées par des grands cou-
turiers et qui. par ai lleurs. aim e beaucoup la fréquentation des jeunes
75
Les dessous de la Françaftique
76
Gabon: l'art de la succession
77
Les dessous de la Françafrique
à faire justice lui-même. Il frappe par exemple ceux qui lui manquent
d e respect et utilise ce que les colons appelaient la « chicote» : un gros
bâton dont ils se servaient pour châtier les indigèn es. Il arrive parfois
à M ' Ba, si l' un de ses concitoye ns omet de le saluer au passage de sa voi-
turc, de s'arrêter et de bastonner l'insolenL En d'autres occas ions, il
s'amuse à jeter d 'autres impudents dans le coffre de l'auto présidentielle
et d e c irculer ainsi dans Libreville.
Toutes ces marques d e despotisme fini ssent par irri ter les Gabonais.
M ' Ba, qui n'est pas un imbécile, finir par s'en rendre co mpte. Pour
reprendre les choses en main, il dissout l'Assemblée nationale en février
1964 et déc ide de provoquer rapideme nt d e nouvelles élections à l'is-
sue d 'un e campagne électorale la plus courte possible.
Il e ntend ainsi empêcher l'opposition d e s'exprimer. En fait, M'Ba,
gagné par la folie d es grande urs, veu t régner en maître absolu sur son
pays.
Premier acte: par une manœuvre habile, Léon M ' Ba nomme so n
rival, Jean-Hi laire Aubame, à la présidence de la Cour suprême en espé-
rant ainsi l'éloigner de l'arène politique. Deuxième acte: le président
procède à une sévère épuration dans l'adminisrration.
78
Gabon : l'art de la succession
79
Les dessous de la Françafrique
80
Gabon,' l'art de la succession
été arrêté. Sans doute parce que les mutins ont estimé que ce person-
nage falot ne représentait aucun danger. D'autant qu'à l'heu re du putsch
il se trou ve alors à l'autre bout du pays, dans sa province natale. Mais
personne n'arrive à le joindre.
À Paris, une petite cellule s'est réunie dès l'annonce du putsch. Autour
de Jacques Foccart, il y a là, entre autres, Maurice Robert, l'un de ses
proches, patron de la division Afrique au sein du Sdece, Pierre Guillaumat,
ancien ministre de la Défense et grand manitou du secteur énergétique
français, G uy Ponsaillé, directeur du personnel de l'UGP, le groupe pétro-
lier d'État, et encore un conseiller fran çais attaché à l'ambassade du Gabon
à Paris. Ce dernier personnage pourrait donc représenter le Gabon, bien
qu'il soit ftan çais. Mais ça ne l'autorise pas pour autant à signer un e
demande d'intervention. Alors, comme Yembit est introuvable, il est décidé
de rédiger une lettre antidatée. Le vice-président, quand on pourra enfin
le trouver, signera plus tard et légitimera ce faux.
Dans la foul ée, en parfait acco rd avec l'Élysée, la manière forte est
envisagée. D e Ga ull e aurait m êm e parlé de « reconquête ». Tout va
très vite : Paris ne veut pas laisser les putschistes s' instal ler et donc conso-
lider leur pouvoir. Robert et Ponsaillé s'envolent aussitôt pour Dakar
où stationne un régiment d'infanterie de marine. Et tandis qu'au petit
matin , avant mê me le lever du solei l, des agents françai s présents à
Libreville dégagent la piste de l'aérodrome, un DC-B, bourré de paras,
a déjà d écollé d e Dakar et vole vers le Gabon.
D 'a utres so ldats français basés en Centra frique doivent aussi
rejoindre les paras de l'infanterie de marine.
Les premiers militaires frança is arrivés à Libreville sont chargés d 'in-
vestir la vi.l\e et, comme disent les militaires, ils doivent la ne ttoyer, c'es t-
à-dire en chasser les rebelles, ou à tout le moins les neutraliser.
Cependant, ces paras pénètrent dans une ville étonnamment calme,
bien que le speaker de la radio ai t appelé la population à résister à l'in-
vasion frança ise. Seuls quelques lycée ns osent braver les troupes.
Les soldats venant de Centrafrique, à peine d ébarqués, sont diri-
gés vers le camp d e Lalala, to ut près de la cap itale. C'est là que sont
retranch és les principaux organ isateurs du putsch. Mais ces jeunes offi-
81
Les dessous de la Françafrique
82
Gabon: l'art de la succession
83
Les dessous de la Françafriqlle
84
Gabon: l'art de la succession
Il f., ut trouver au plus vite un successeur à M ' Ba. Le Clan croit l'avoir
déniché en la personne du rout jeune directeur de cabinet du président.
Un certain Albert-Bernard Bongo qui a fa it preuve d' une grande déter-
minatio n lors du putsch de février. Son sa ng-froid , son sens de l'auto-
rité one imp ressionné.
Cependant, avan t d'adouber ce t ho mme qui n'a pas enco re trente
ans, il faut lui fa ire passer quelques tests et s'assurer qu'il a bien les qua-
lités qu'on lui suppose.
L:examinate ur ne sera pas n' importe qui ! C'est le général de Gaulle
en personne qui va juger des aptitudes du jeune Bongo. C'est dire l'im-
portance que l'Élysée acco rde au petit Gabon!
Un beau jour de 1965, M 'Ba info rme son directeur de cabinet qu'il
doit aller voir le Général. Aussi tô t arrivé à Paris, le Gabonais se voit fixer
un rendez-vous à l'Élysée.
L:a udience est un peu bizarre. D e Gaulle lui pose de nombreuses
quest io ns et, fe ignant d'avo ir o ubli é sa géographie afri caine, oblige
Bongo à suppléer sa mémoire prétendument défaillante.
Le jeune Africain , très impressio nné, passe malgré to ut le tes t avec
succès. À parti r de ce moment, il devient réellement le successeur dési-
gné du président M' Ba. Mais il lui f:, ut quand même attendre la mort
de so n prés id ent avan t d'accéder au pouvo ir.
Le remps presse : la santé vacillante de M 'Ba lui impose des séjours
de plus en plus fréq uents à Paris. To utefo is, le processus de la succes-
sio n do it revêtir, au mo in s en apparence, un aspect légal.
Dans un premier te mps, Bo ngo est no mmé ministre délégué à la
présidence de la République. Dans les f.,its, il occupe le poste et les fo nc-
tio ns d'un Premier ministre. Un peu plus tard , en 1966, Bo ngo ajo ute
à ses nouvelles préroga tives le po rtefeuille de l' Info rmatio n. Un secteur
clé ! Mais le plus diffic ile reste à fa ire.
85
Les dessous de la Françafrique
M' Ba, hospitalisé à Pa ris et qui ne reto urnera plus au Gabon , s'ac-
croche à la vic. A la vie et au po uvoir. Les gens d e Foccarr, et Foccart
lui -même, ne cessent d 'aller lui re ndre visite d ans sa chambre d 'hôpi-
tal. Ils ve ule nt absolument o bte nir qu e le Vi eux reco nnaisse Bo ngo
co mme étant son successeur. Ma is M 'Ba résiste car il a le sentiment que
sa reno nciario n au pouvo ir précipi tera la fin de sa vie.
Cependa nt, Foccart, fortement suppléé par le clan des Gabo nais,
s'acharne. Finalement, il obtient une d éclaration enregistrée de M ' Ba,
recueillie sur son lit d 'hôpital . Le Vieux y annonce son inte ntion de réfo r-
mer la Constitution et de créer un poste de vice-président de la République.
Cette fo nctio n CSt naturellement co nçue to ut exprès po ur Bo ngo.
En ro ute hâte, J'Assemblée natio nale gabo naise se réunit et vote cette
réforme qui prévoit que si le p résident ve nait à disparaître, so n vice-p ré-
sident lui succéderait auto matiquem ent.
Mais ce Il' es t pas encore suffisa nt. Foccart imagine une autre comé-
die : une électio n présidentielle a nticipée. Encore une fo is, M ' Ba cède.
Flanqué de so n vice-président Albert Bo ngo, le Vieux se présente. Les
deux ho mmes sont élus avec une majorité écrasan te.
D ésormais, M' Ba peut mo urir. Il reste cependa nt une dernière fo r-
mali té à accomplir : la prestat io n de serment. Po ur cerre cérém o nie, o n
extrait M ' Ba de l'hôpital et on le condui t à l'ambassade du Ga bon. C'est
un mo ri bond qui jure de respecter la Co nstitutio n.
Certes, CCH e danse constitutio nnelle 3 U [Qur d'un mo urant n'est guère
respectable mais c'était le prix à payer pour installer du rablement Bongo
au po uvOI r.
Apein e assis sur le trô ne présidentiel , il s'est empressé d 'abolir cette
dispositio n de la Consti tutio n créant un poste d e vice-présiden t. O n
n'est jama is trop prudent ! U ne qualité qui lui a permis d 'exercer le po u-
voir jusqu'à aujo urd' hui .
Le cla n des Ga bo nais a donc gagné. E n parfa it accord avec le no u-
veau président, il continue à explo iter les ressources du pays. Car le peti t
Gabon est extrao rdinairement riche. b fo rêt d 'abord. Et ensuite le pétrole.
L, nouvelle com pagnie Elf y crée un solide empire et se dote d 'un vé ri-
table service secret o ù l'on va re tro uve r quelques-uns des ho mmes qui o nt
86
Gabon : l'art de la succession
87
Les dessous de la Françaftique
per personne. Ils ont obéi. Le président s'est foché. Nous avons
eu une explication. Je Lui ai dit que ça ne servait à rien. «
Vous avez beau les frapper VOlts ne changerez pas les gens. » Il
s'est raisonné. Finalement, les gens n'ontpas étéfrappés. Quant
al/X gardes, ils ont compris et ils ont répété ce qu'ils avaient
vu. En réalité, c'était la foçon un peu particulière qu'avait
Léon M'Ba de nOlts apprendre le civisme.
VI
Guinée: un homme à abattre
89
Les dessous de la Françafrique
très fi er car c'était le lieu de naissa nce d'un certain Samory Touré, un
chef po li ti co-rel igieux d e grande envergure qui a longtemps mené la
vie dure aux [[DUpeS fran ça ises . Le jeu ne Sékou ne cessera donc de se
réclamer de ce guerrier prestigieux dont il affirmera même qu' il était l'un
d e ses aïeuls ! Vrai ou faux? Peu importe ! Lessentiel était qu'o n le croie.
Le futur leader guinéen a d 'abord sui vi l'enseigneme nt d 'une école
coranique. Puis il a fréquenté un établissement professionnel à Conakry,
la capitale, avant de Fai re des études secondaires par co rrespondance, ce
q ui lui vau t d 'être engagé dans les services finan ciers des PT T.
Fonc ti o nnaire très bien noté, Sékou Touré es t entre prenant Ct in tel-
ligent. En 1945 , p rofita nt du (,it que le d ro it syndical a été accordé aux
Afri ca ins peu d 'a nnées a upara vant, il fonde le premie r syndicat d e
Gu in ée. Une initiative accueillie fraîch ement par les autorités co lo niales
qui co nsidèrent que l'obtent io n d'un droit ne do it pas se tradu ire au to-
mat iqu ement par son exerc ice !
Sékou Touré devient donc très vite la bête noi re du go uverne ur!
D 'autant qu' il devient secrétaire général de l' U nio n cégétiste guinéen ne,
avant de fédérer les syndicats de l'Mrique-Occidentale française, l'A-OF.
Conséquence immédiate, le jeune hom me est révoqué et Fait même
un coun séjour en prison.
Affilié à la CGT, Sékou Touré n'est pas membre du parti co mmu-
niste mais il en est très proc he et fréque nte ses dirigeants lors d e ses
voyages à Paris. Toutefois, ce jeune leader syndicaliste rejoint le RDA,
le Rassemblement démocratique africai n, où l'o n trouve de fUlllrs chefs
d ' État, com me Houphouët- Boigny. En même temps, il gagne e n popu-
larité d ans cette Mrique francop hone.
En 1953, afin d'obte nir l'application du code du travail, il organise une
grève générale qui dure plus de deux mois et oblige le gouverneur de l'A-OF
à céder ! Un an plus tard, l'administration coloniale croit tenir sa revanche :
Sékou l o uré, candidat lo rs d' une électio n législative partiel le, est battu
grâce à une fraude massive o rganisée par les au to rités. U n trucage élec-
toral qui ne r.üt qu'accroÎtte la popularité du jeune dirigeant. Bientôt, il
est élu maire de Co nakry puis député en 1956. JI siège alo rs dans les ra ngs
de la ga uche sous l'étiquette du Front républicain de Guy Mollet.
90
Guinée: un homme à abattre
Un an plus tard, lorsque la loi -cadre initiée par Gaston Defferre entre
en applic., tion , il accède à la vice- présidence du Conseil de go uve rne-
ment de la G uinée. Aux termes de cette nouvelle disposition législa-
tive qui acco rde plus d 'autonomie aux colo nies, le vice-prés ident est en
fa it le véri table chef du go uve rnement.
Sékou Touré est donc désormais le maître de la Guinée et règne sans
panage. Son parti, un pani unique bien sCir, s'impose. Par la force, s'il
le faut! Le G uin éen ne fa it pas mystère d e ses conviction s marxistes
ct la plupart de ses ministres sont proches des comm unistes. Pounan t
il ne remet pas en cause l'appartenance de son pays à la République fran-
çaise et évite soigneusement de prono ncer le mot d ' indépendance.
Mais cette prudence es t tro mpeuse: Sékou Touré est un africaniste
révolutionnaire, qui rêve d'ullcMrique unie, un e Afrique qui, un jour,
forcément, devra couper le cordon ombi lical avec la puissance coloniale.
Et petit à petit, il évolue.
Au début de l'année 1958, Séko u Tou ré commence à évoquer une
association libre avec la France. Cependant le terme (( indépendance »
n'est to ujo urs pas prononcé ! M ieux, dans ses écrits, ce révolutionnaire
célèbre la confiance et l'amo ur que les Africains, à commencer par lui-
même, portent à la France. C'est pounant ce personnage qui sera bien-
rôt présenté comme l'un des p ires en nemis de notre pays! Un homme
à abatnc! Ma is un homme que la France n'a pas su o u vo ulu entendre.
En 1958, il est vrai que l' indépendance est dans l'air du temps. Après
l'In doc hi ne et la victo ire du Vietmin h, un formidab le m o uve ment
d'éman cipation a gagné nombre de pays du ti ers- mo nd e. La guerre
d'Algérie en témoigne. Sékou To uré fait bien sûr partie d es dirigeants
africains qui co ndamnent l'action de la France dans nos dépancments
maghrébins. Mais de Ga ulle revient au po uvoir. Incontestablement,
l'A fr iq ue attend beaucoup du retour du Gé néral, l'homme du célèbre
disco urs de Brazzaville où a été évoquée po ur la première fo is l'éman-
cipation d es Indigènes, com me o n les ap pelait alors.
Les dirigea n ts africa ins pensent que d e Ga ulle va accorder à leurs
territoires un e autonomie encore plus g rande, un sta[L1[ qui sera très
proche de l'indépendan ce, tout en main tenant des li ens fo ns avec la
91
Les dessous de la Françafrique
Jean Lacouture 1 :
[Alo rs jo urn aliste au Monde, il a acco m pagné le
Général dans sa to urnée afri caine d 'aoû t 1958 . Q uelq ues
jours auparavant, il a in œ rviewé Sékou Touré Ct en brosse
le portrait suivant :]
Comment ne pas être frappé par l'impression de puissance
contenue dans ce corps replié sur un fimteuil bas, dans ce visage
fortement maçonné, aux méplats semblables à des rochers émer-
geant du Niger, dans ce regard luisant étrangement au creux
des orbites plus noires encore que le /loir visage - un noir de
théâtre, un noir pourjouer Othello ou le Monastatos de La
Flûte enchantée - dans cette mâchoire de guerrier Malinké
) Mais ce qui fiappait plus encore à cette époque, et qui a bien
changé depuis, cëtait l'extraordinaire foeulté de silence de M
Sékou Touré. Qui a pu depuis lors être témoin des remarquables
démonstrations de volubilité données à travers le monde par
le leader guinéen ne peut évoquer sans quelque efforement le
mutisme dont il pouvait alors foire preuve.
92
Guinée.' un homme à abattre
93
Les dessous de la Françaftique
Touré a revêtu un large boubo u blanc et s'est coiffé d' une toque de fou r-
rure frisée. Il entend ainsi affirmer, devant le Général et tous ccux qui
l'accom pagnent, so n africanité.
Le bâtiment de l'Assemblée est bondé. Latmosphère est fi évreuse.
Comme le veut le protocole, c'est d'abord Sékou Touré qui prend la parole
et s'ad resse à la foule. Même la plus banale de ses phrases reçoit une ova-
tion extraordinaire. O n applaudit à tout rompre ! On hurle de jo ie !
Ce disco urs n'a pourtant rien d'anrifran çais. A u contraire même,
Sékou Touré affi rme q ue la G uinée veut continuer à vivre avec la France.
Mais c'est le ton qui étonne : violent, emphatique. Se glissent aussi dans
cette allocution quelques phrases nettement provocatrices. Celle-ci, par
exemple : « Nous préférons la pauvreté dans la liberté à la richesse dans
l'esclavage ! "
Aussitôt d e Gaulle blêmit : c'est la France et son œ uvre en Afrique
qui sont attaquées. Et aussi, naturellement, ce projet de Communauté
qu' il propose aux Africains ! Le Général comprend immédiatemen t que
Sékou Touré appeUera les Guinéens à vo ter non au référendum.
Dans sa réponse il répète ce qu' il a d éjà dit dans les autres territoires
qu' il a déjà visités. Mais le cœur n'y est pas! Et puis, que dire à une foule
tout acquise à celui qu'il considè re désormais comme un adversaire?
L1 suite du séjour en Guinée est d'ailleurs glaciale. Lotsque le cortège
du Général regagne l'aéropo rt, les rues sont quasi désertes et hostiles. L1
rupture n'est pas encore consommée mais elle est déjà dans toutes les têtes.
Et malgré les efforts des uns et des autres, la Guinée, effectivement, votera
massivement no n quelques semaines plus tard , choisissant donc l'indé-
pendance sans la France. C'est-à-dire aux yeux du Général, COntre la France!
Raoul Salan 1 :
[C hef de l'armée en Algérie, il reço it le Général à son
retour de Guinée, à Maison Blanche, l'aéroport d 'Alger.]
M e serrant le bras, il explose soudain: " Salan, ce qui
s'est passé à Conakry est insensé. .. Je ne concevais pas pareille
94
Guinée : un homme à abattre
95
Les dessotts de la Françafriqtte
96
Guinée: un homme à abattre
informé de cette opé ratio n prépa rée dan s le plus grand secrer par
Foccart, et par lui seul' Er donc sans ave rtir les diplomates en posre à
Dakar ou à Conakry.
Le ministre, Couve de Murvi lle, m o n te sur ses g rands chevaux.
L'opération est mo mentanément abando nnée.
Foccart, qui se sait so utenu par le Général , n'eSt pas homme à laisser
to mber. Pour lui, Sékou Touré représente un danger permanent. Non
seulement parce qu' il pourrait donner des idées à d 'autres pays africains
mais aussi parce qu'il se rapproche dangereusement des pays de l'Est.
Une deuxième tentative eSt donc envisagée. C'est d 'aurant plus f.,ci le
que l'o pération précédente a été simplem ent gelée ct que les disposi-
tifs prévus sont restés en place. Q uant aux conjurés. ils sont tOujours
prêts à agir. Seule nouveauté, une interventio n mi li taire effecruée depuis
la Côte d' Ivoire.
Sékou To uré, comme cous les dictateurs, est un paranoïaque qui se
méfi e de tout le monde. Et il faut reconnaître que les initiatives françaises
n'ont f.,it que contribuer à développer chez lui cetre obsession du complot.
Le dirigeant guinéen soupçonne en pa rticulier des hommes de son
ento urage immédiar de vouloir le démettre ! Et il décide de dégainer le
premie r. E n avril 1960, quinze jours avant l'opératio n prévue par le
Sdece, ses services de sécurité arrêtent ces supposés comploteurs. Cette
97
Les dessous de la Fran,afrique
raRe déclenche un vent de panique chez les vrais conjurés qui se cro ient
découverts. C'est la débandade 'On se dénonce les uns les autres. Tandis
que certain s, risquant le [Our pOUf le tout, interviennent les annes à la
main. Ça se termine par un massacre. Plusieurs ressortissants fra nçais
sont arrêtés, des arm es sont sais ies, l'échec est patent, total!
Pierre Messmer 1 :
[La ncien haut-commissaire de l'A-OF affi rm e que
Foccart, ne croyant pas à la solidité du régi me de Sékou
Touré, a fini par en co nvaincre le général de Gaulle. Et il
a agi en co nséquence.]
Dans ses Mémoires, Faccan parle, L'intéressé nen dit pas
un mot, respectant une règle bien connue des services secrets:
« N'avouez jamais, surtout vos échecs! » N'ayant jamais
appartenu à ces services, je ne me sens pas lié par cette règle,
s'agissant d'événements vieux de quarante ans.
Cette no uvelle affaire a beau avo ir échoué, elle n'améli ore pas les
relations entre la G uin ée et la France, qui vo nt aller en se dégradant
au fil des mois et des années . À la fin de l' année 1960, par exemple,
Sékou Touré gèle les avoirs français en G uinée. Et puis il y a la mal-
heureuse histo ire de ce pharmacien français emprisonné à la suite du
co mpl ot d'av ril 1960. Cet homme, Pierre Ross ignol, très conn u en
Gu inée, es t accusé à ton d'avo ir fait partie des co njurés . Il passe deux
ans dans les geôles de Sékou Tou ré dans des co nditions épouvantables.
En fait, le dictateur guinéen, en l'in ca rcéra nt, a d'abo rd voulu se ven-
ger de la France.
Foccart et le Sdece renoncent à l'utilisation de la force pour se débar-
rasser de Sékou Touré. M ême si, en 1965, Sékou Touré mettra en cause
sans preuve plusieurs ministres franÇ<1.is et évidemment l'ém inence grise
du Général d'avo ir tenté de le faire assass iner! !Viais il n'en reste pas
moins que les services secrets frança is au ro nt toujours Séko u Touré à
98
Guinée: un homme à abattre
Pascal Krop 1 :
En 1969, 1970, 1974, la CIA et le BND allemand lan-
ceront encore plusieurs opérations armées. Toutes ces
manœuvres échoueront lamentablement. On sen fera une idée
en compulsant L'impérialisme et sa cinquième colonne. un
recueil publié par les services de Sékou Touré et composé de
1. Les secrets de l'espionnage [rtm çaù de 1870 à nos jours, Larrès, 1995.
99
Les dessous de la Françafrique
\01
Les dessous de la Françafrique
102
Togo: le sergent-chefétait l'assassin
\03
Les dessous de la Françafrique
104
Togo : le sergent-chef était l'assassin
105
Les dessous de la Françafrique
pas. Non pas qu' il soit hostile à un rassemblement politique des pays
africains puisqu'il sera à l'origine de la création de l'O UA, l'O rganisation
de l'unité africaine. Mais, en tant qu'économ iste compétent, il veut d'abord
s'attacher à faire du Togo un pays en o rdre de marche. Lessentie! étant
d'arriver à un sui ct équilibre budgétaire, conditio n nécessaire d'une réelle
indépendance. Bref, Olympio essaie de construire une sorre de Suisse de
l'Afrique ! Ce qui lui va ut, là encore, de sérieuses inimitiés.
11 exige par exemple que la société fran çaise qui exploite les phosphates
du Togo revo ie le contrat dans un sens plus favo rable à son pays en vet-
sant des redevances plus importantes. Une revendicatio n qui mécontente
forcément les act io nnaires de ccrre entre prise. Ce conAit éco nomique
se double d'une ini tiative qui irrire le go uvernement fra nçais. O lympio
voudrait en effet construire un port à Lomé, la Cc'lpitalc, avec J'aide finan-
cière de la France. Paris, arguant du fait qu'un port est en construction
dans le pays voisin, le Dahomey, et que cerre no uvelle infrastructure togo-
laise le concurrencerait, refilse la demande de Sylvanus Olympio. Ce det-
nier prend acte c t, à la grande fureur de la France, se tOllrn e vers la pre-
mière puissance colonisatrice de son pays, l'Allemagne.
La RFA lui octroie un prêt de plusieurs dizaines de millio ns de deursche
mark. Enfin, et c'est ce qui va mettre le feu aux poudres, le président togo-
lais f:1Îr état de sa volonté de créer sa propre monna ie, car, pense-t-il , un
pays indépendant doit aussi jouir d'une souverai neté monétaire.
Cerre in tentio n de sortir de la zo ne franc provoque une nou velle
re mpête à Paris. Pour le go uverneme nr frança is c·es t une vé ri tab le pro-
j
106
Togo.' le sergent-chefétait l'assassin
Jacques Foccart' :
[Dans cet o uvrage, l'éminence grise du général de
G aulle reco nn aît d'abo rd qu' il était ami avec N icolas
G runi tzky, le beau-frère et ri val de Sylvanus Olympio,
l'ho mme qui lui succédera au pou vo ir. U ne amitié si
intime que les deux fi ll es de Grunitzky venaient souvent
séjo urner dans la villa de Foccarr, à Luzarches . Il évoque
ensuite la personnali té d'O lympio.]
Nous avions des rapports pLutôt froids. j e vous ai raconté
comment, au cours du passage du GénéraL à Lomé en J353,
1. Foccflrt parle. Entreriens avec Phi lippe Ga ill ard, Fayard, 1995.
107
Les dessous de la Françafrique
108
Togo : le sergent-chefétait l'assassin
109
Les dessous de La Françafrique
110
Togo,' le sergent-chefétait l'assassin
Jeune Mrique 1 :
Chebdomadaire fiançais Paris-Match du 26 janvier
J963 rapportera de ce tragique et absurde événemerlt la ver-
sion de l'adjudant-chef Étienne Eyadéma ; il admettra avoi,.
tiré sur Olympio, qu'il entendait seulement faire prisonnier,
parce que celui-ci « ne voulait pas avancer ». Mais dix ans
plus tard, parlant au journaliste Claude Feuillet, Eyadéma
reviendra sur sa première déclaration, expliquant qu'Olympio,
qui essayait de f uir, avait été victime du tir d'u.n membre
du groupe, par accident.
1. 22 janvier 1990.
III
Les dessous de la Françaftique
1. op. cit.
VIII
Denard : le « corsaire» de la République
11 3
Les dessous de la Françafrique
11 4
Denard: le « corsaire " de la République
De son vrai nom Gilbert Bourgeaud, Denard est le fils d'un militaire
de la coloniale qui , assez curieusement, était plutô t communiste alo rs
que son fil s, to ut au long d e sa vie, préte ndra avoir d'abo rd combattu
le marxisme. Ce qui explique sa proximité avec Jean-M arie Le Pen!
De la même façon, les mercenaires qu'il a recrutés po ur perpétrer ses
mauvais coups se sont toujo urs situés clairement à l'extrême droite.
Dc nard a to ut juSte seize ans lorsqu'il s'engage dans la marine.
Direction l'Indochine olt la guerre fait rage. Mais un so ir de beuverie,
il démolit un bar. L armée le chasse.
O n le retrou ve ensuite au M a roc dans la po lice. JI est engagé dans
la lutte contre les indépendantistes. Accesso irem ent, il pa rticipe à une
tentative d'assassinat concre Pi erre M end ès-France, accusé de brader
l'empire, ce qui lui vaut d 'être expulsé de la poli ce.
Denard retombe vite sur ses pieds : les gaullistes le récupèrent et il est
associé à la prépara tion du coup du 13 mai 1958. U n point capital: à cette
occasion, il est mis en contaCt avec ce qu'il est convenu d'appeler les réseaux
Foceart' et qui SOnt déjà très largement inspirés par le Sdece' .
Cette toile d 'araignée se met progressive ment en place après le retour
au pouvoir du général de Ga ulle. JI s'agit de perpétuer l'inAuence po li-
tique et écono mique de la Fra nce en Afrique, malgré la décolonisatio n.
Ces réseaux n'hés iteront pas à intervenir par l'intrigue o u la force dans
les pays qui vo udront s'a ffranchir d e cette tu telle. Denard se coule
presque naturellement dans ce système. Ce farouch e anticommuniste
est parfaitement à l'aise lorsqu' il s'agit d'abattre les go uvernements de
pays afri cains qui , se d étac hant d e la Fra nce , c hoisisse nt de se do re r
de régim es marxis tes ou pseudo-marxistes.
1. Foccarc, même avant 1958, avait des rappo n s pri vi légiés avec le Sdece ct sur·
tou t avec son se rv ice « action Il (le 11~ choc) q u'il fréquentait régu li èremenr au co urs
de périodes d'entraîn ement.
2. Le BeRA , Bureau ccnrral de re nse igne ments et d'acri o ns, ancêrre de norre
service de renseig ne mcnt , a été créé par la France libre. Lui succèd e à la li bération,
la OGER, Di rcction généra le des études et rec herches. Puis le Sdece, Se rvice de docu·
l11 enratio n ex téri eure et de co nere-es pio nn age . Et enfin , SO LI S Mitterrand , la DG SE,
D irection générale de la sécuri té extérieure.
11 5
Les dessous de la Françafriqu e
11 6
Denard: le " corsaire» de la R épu.blique
pour ces mercenaires qui peuve nt y affirmer faci lement leur supério-
riré fa ce à des militaires africai ns mal armés et mal entraîn és ou des
régimes tfOp souvent corrompus et instables. Mais c'est un combat sans
gloire pour cette soldatesque de sac et de corde. Et elle y connaîtra par-
fois la déroute. En Angola, d'abord. Et plus tard au Bénin lors de cette
désastreuse Opération Crevette o ù D enard a peut-être été entraîné dans
lin piège.
Afrique magazine l :
11 7
Les dessous de fa Françafrique
118
Denard: le " corsaire» de la République
Pierre Péan' :
Robert, qui est au centre de cette nou.velle toile d'arai-
grtée, travaille à partir de mars 1915 avec une vieille connais-
sance, l'ambassadeur Maurice Delauney. Le président gabo-
nais, qui redoutait beaucoup le départ de son « protecteur »
de l'Élysée, a fait des pieds et des mains pour que " son»
ambassadeur revienne. Robert complète son réseau en créant
d'abord au Gabon, puis en France, des sociétés de gardien-
nage qui constitueront en quelque sorte son propre service
" action ". Au Gabon, avec l'aide de Pierre Debizet et Bob
Denard, il porte sur les fonts baptismaux la Société gabonaise
de services (SGS). Cette officine devient rapidement un repaire
cie (( gros bras» dont personne ne connaît exactement les cur-
riculum vitae. À Port-Gentil, la SGS assure la su.rveillance
des bâtiments d'ElfGabon et, en pratique, celle des princi-
paux centres économiques de la capitale. La SGS devient le
1. Vo ir ch:tpirfc V.
2. L'lJomme de l'ombre, Fayard, 1991.
11 9
Les dessous de la Françafrique
120
Denard: le " corsaire " de la République
dira plus tard qu' il ne vo ulait rien laisser derrière lui. Une explication
qui n'est g uè re co nva in c,,"l nre ct recèle un mystère.
Les mercenaires embarquent donc dans ce D C-7. Mais, au moment
de décoller, le pil ote s'aperçoit qu' il y a une fuite d ' huile sur un des
moreurs. Impossible de partir, il fuut réparer. La réparation prend presque
quarre heures . L'opération pourrait ê tre remise au le ndema in . Mais,
Denard ne veut pas. Pourtant, il sa it que ce retard aura pour conséque nce
de l'empêcher de bénéficier de la surp rise d'un débarquement de nuit.
Il prend donc un gros risq ue. Mais peur-être que les Gabonais ont
vou lu év iter que cette centa in e de me rcenaires ne s'attard e trop lo ng-
te mps chez eux.
Le DC-7 d éco lle ve rs 3 heures du matin. II lui faut traverser rout
le golfe de Guinée avant d 'atteindre Cotonou. Avec un avion turbo-
propu lseur comme le DC-7, le vol, effectué au ras des Aots pour échap-
per aux radars, dure trois heures et demi o u quatre heures. Les merce-
naires arri ve nt do nc au pe tÎt matin .
En ce diman che, auc un avion marinai n'est 3[[cndu sur l'aéroport
international de Cotonou. À 7 heures, alo rs qu'il f., it déjà jour, le DC-7
atterrit sur la piste, braque très vite à droite et se présente devant le bâti-
ment principal. Aussitô t, les mercenaires descendent de l'appareil grâce
à des perches rn éralliques et se précipitent dans l'aéroport dont il s pren-
nent le contrôle très facileme nt.
Caffaire commence bien. Pourtant les mercenaires auraient dû aVOÎr
la puce à l'oreil le en survolant Coto nou. Dans le cockpit, on a en effet
ass isré à un curieux spectacle: les bateaux amarrés dans le port o nt tous
pris la me r les uns après les autres. Comme si on vo ulait év iter que les
assa illan ts ne s'c n emparent po ur fuir en cas d'un éventuel échec. Ce
qui signifi erait do nc que les Béninois s'attendai ent à ê tre attaqués.
Carrirude de Oenard lui - mê me est très curie use. Pendant que ses
homm es qui ont réquisitionné le personnel de l'aé roport déchargent
leur matériel, il prend so in de place r un e Jeep deva nt le nez du DC-7
pour l'empêcher de redécoller prématurément. Le mercenaire veut donc
être certain de pouvoir reparrir avec cet appareil. Exactemenr co mme
s' il s'attendait à un échec.
12 1
Les dessous de la Françafrique
122
D enard: le " corsaire» de la Rép u blique
123
Les dessous de la Françafique
Dans la fameuse cantine oubliée à Coto nou se trouvait aussi une ser-
viette frappée aux initiales de Bongo!« ABB", Albert-Bernard Bongo'
D 'autre part, dans les documents saisis, le président gabonais était clai-
rement incriminé. En ajoutan t à cela le fait que les Bé ninois attendaient
les mercenaires, on ne peut émettre que deux hypothèses.
La première, élaborée par Bongo lui-même, soutient que l'affaire avait
été ourdie par les Béninois dans l'intention de le discréditer. Le présidem
gabonais a d'ailleurs prérendu que cette histoire de camine avait été mon-
tée de toutes pièces par les services de Mathieu Kérékou . Difficile à cro ire:
Bob Oenard n'a jamais nié so n existence ni la réalité de son contenu.
L~ deuxième hypothèse est la suivante: les vrais commanditaires de
l'Opération Crevette (c'est-à-dire les services spéciaux français) avaie nr
prévu de se débarrasser de Kérékou. Mais ils avaient garanti lems arrières.
En cas d'échec, tout éta it prévu pour que Bongo soit montré du doigt
et assume la responsabilité de l'opérarion alin de dégager celle de la France.
Une façon aussi de re nir d'un peu plus près un dir igeant africain qui
en prenaü trop souvent à son aÎse et œnair la dragée haute aux politi-
ciens français.
Quant à Oenard, qui n'ava it rien à refuser aux services secrets dont
il était un collaborareur régu lier, il étai t forcément au co urant. Mais il
lui fallait vite oublier cet échec subi ou perpétré en " service commandé»!
Bob Oenard' :
[Le mercenaire évoq ue les jours qui ont suivi la piteuse
Opération Crevette. ]
Des ntmeurs commencent alors à courir sur mon compte.
Selon certains, Kérékou lui-même ma fait manipuler par ses
services secrets, dans te but de renforcer son pouvoir. D'autres
me soupçonnent d'avoir trahi mes commanditaires. Je décide
de me taire, de ne pas entrer dans la polémique, et reviens en
France. Après avoir fait le tour de La situation avec mes com-
manditaires, je conseille à mes fidèles de se mettre en sommeil
124
Denard : le « corsaire " de la République
125
Les dessous de la Françafrique
affirm é son in tentio n de ré tabl ir des rel ati o ns norm ales avec la France
et qui prend donc le pouvo ir au mois d 'août. Mais ro ut n'est pas réglé car
Abdallah s'est réfugié dans son fief d'Anjouan et demeure dangereux.
Un beau jour de septembre 1975, Bob Denard débarque d' un avio n-
cargo bourré d 'armes qui vient d 'atterrir sur l'aérodrome de la Grande
Como re. Il est naturellement acco mpagné d es quelques amis qui com-
posent sa vieille garde. Son arrivée, détail intéressant, se d éroule sous
l'œil indifférent d es gendarm es frança is : les pando res ont manifeste-
ment reçu des ordres.
Sur place, Denard recru te plusieurs dizaines de Comoriens et se rend
sur l'Ile d 'Anjo uan Oll il arrête sans aucune difficulté le président
Abdallah et ses proches. Le mercenaire, après un succès aussi facile, peur
repartir tranquill ement en France où il s'attelle à la préparatio n de sa
désastreuse expédi tion bénino ise de 1977.
E ntre te mps, les choses se sont gâtées aux Co m o res . Le président
So il ih, po urtant mis en selle par la France, se révèle bien ingrat. No n
seuleme nt il se compo rte e n d ic tateur, mais il o pee lui aussi po ur le socia-
lisme scientifique et proclame la révolutio n marxiste. Un rournant idéo-
logique qui va d e pair avec une hostili té grandissa nte vis-à-vis de la
France à q ui il est re p roché avec virulence de ne pas voulo ir rendre
M ayotte aux Co mo res. So ilih a donc fini par chausser les bottes d e
son prédécesseur.
À Paris, o n se dit que, tout compte fa ir, il serait sans douce plus com -
mode d'avoir à la tête de l'archipel un homme tel qu'Abdallah. Un grand
bo u rgeo is, ami de Foccart, que nul ne peut soupço nner d'être un révo-
lu tio nnaire. O n fe int do nc d'oublier q u'i l a autrefois accusé la France
d e néocolonialisme. S' il revient au po uvo ir da ns les fo urgo ns des mer-
ce naires de Bob Denard, et avec la bénédiction des se rvices français, on
peu t espérer qu' il oubliera ses critiques et se résignera à accepter la tu telle
d e no tre pays sur Mayotte.
Le 13 mai 1978, une date symbolique (20' anniversaire du coup d' État
d' Alger) pour l'ancien partisan de l'Algérie fran çaise qu'est Denard, les
mercenaires fo nt à nouveau leur apparitio n sur la G rande Como re. Cerre
fois, la vo ie maritime a été choisie.
126
Denard : le « corsaire» de la République
1. 1995.
127
Les dessous de la Françafrique
128
Denard: Le « corsaire" de La République
t-dle voulu en avoir pour son argent et en a demandé beaucoup plus. C'est
ainsi que s'est écablie entre les Comores et le pays de l'apartheid une coopé-
ration tous azim uts qui a permis de dissim uler bien des coups fourrés.
La situation géographique de l'archipel, so n relatif isolement, faci -
liten t en effet tous les trafics possibles. Le pays de l'apartheid, qui fai-
sait l'objet de mesures d'embargo en raison de sa politique raciste, a sou-
vent utilisé les Comores pour desserrer cct étau international qui pesait
sur son économ ie. Armes, marchandises desti nées à Pretoria, ont donc
transité par les Comores tandis que des Africains du Sud ont bénéfi-
cié de passeports comoriens afi n de se déplacer dans des pays hostiles.
À ccn e époque, où Denard était tour puissant sur ce petÎt territoire,
les Co mores sont par conséquent devenues une sorte d'appendice de
l'Afrique du Sud.
Parfois Paris a grincé des dents mais, globalement, se satisfaisait d'une
situation qui, au fond, l'arrangeait. Et d'abord parce que nous avions
des intérêts stratégiques com muns avec l'Afrique du Sud. Par exemple,
la France n'était pas mécontente de voir les Sud-Africains combame
le régime marxiste et prosoviétique du Mozambique. De la même fàçon,
sous la première cohabitation (I 986- 1988) Paris et Pretoria soutenaient
activement l' Unita de Savimbi en Angola. Enfin ceue discrète coopé-
ration qui passait pa r les Co mores permettait à certains hommes d'af-
faires français de roumer l'embargo qui frappait Pretoria.
Paris n'en igno rait rien: Denard rendait compte régulièrement. Via
les Comores, et avec l'espoir d'amadouer Téhéran qui contrôlait les pre-
neurs d'otages libanais, des armes ont été auss i discrètement livrées aux
Iraniens.
Le mercenaire ne s'est pas contenté de co ntrôler la puissante garde
présidentielle et d' une façon générale la politique comorienne, il a aussi
fai t des affaires en exploicant le potentiel touristique exceptionnel des
Comores. fi a ainsi favorisé la construction par une chaîne internatio-
nale d'un hôtel de luxe Ct mis en place une structure qui prenait en
charge les touristes dès leur débarquement sur l'aéroport de la Grande
Co mare. AutOmobiles, transport des bagages, séjour, sécurité, tout était
assuré par lIne société créée par Denard et ses hommes.
129
Les dessous de la Françafrique
130
Denard: le " corsaire " de la République
13 1
Les dessous de la Françafrique
132
Denard: le « corsaire » de la République
133
Les dessous de La Françafrique
ils doivent évacuer les Français des Comores. Mais leur p résence ne peut
guère tromper De na rd. C'est son départ qui est programmé.
Bientôt, des centaines de paras /Tançais arrivent à Moroni, la capitale de
la G rande Comore. L1 garde présidentielle évite soigneusement de réagir :
l'affaire a été préalablement négociée entre Paris, PretOria er Denard. Le mer-
cenaire a obtenu sans aucune diffiClùté la possibilité de partir pour l'AITique
du Sud et même la promesse qu'il ne serait pas poursui vi par la justice.
Pourquoi une tell e clémence alors qu' il éta it facile d e l'arrêter ? À
l'évidence, le mercenaire en savait beaucoup. Beaucoup trOp. À la fo is
sur la France et sur l'Afrique du Sud. Par conséquent, il était bien plus
sage pour tout le mo nde de lui offrir un ex il do ré à Pretoria.
Po urta m, en 1993, il est d e retour en France. Officiellement, il tient
à répo ndre deva nt la justice de sa responsab ili té dans l'affaire de
Co tono u. Mais il se peut aussi que les Africa ins du Sud , en quête de
respectabi lité, aient d écidé de se séparer d ' un hôte aussi en combrant.
Il est donc jugé. Mais grâce à un défilé impressionnant à la barre d'an-
c iens des services qllÎ le décrivent [Ous comme un ho m.me d'honneur Ct
un fervent patriote, il n'est condamné qu'à cinq ans de prison avec sursis.
LI est do nc admis implicitement qu' il avait agi au nom de la France, à la
demande de ses services spéciaux et avec l'accord des responsables politiques.
Denard est immédiatement libéré. Toutefois il est soumis à un contrôle
judiciai re qui lui interdit de quitter la France tant on craint qu'il ne récidive.
Confiné sur le territoire français, il n'en continue pas moins à grenouiller
dans les milieux où o n recrure des mercenaires : rexuême droite, les ser-
vices d'ordre, les associations d'anciens des armes d'élire, paras ou légion-
naires. Il crée même une ou plusieurs sociétés spécialisées dans la sécuri té.
Mais en 1995. c'est plus fon que lui, le « vieux co rsaire )', comme il se sur-
nomme lui-même, replonge. Et aux Comores, encore une fois ! Il est déci-
dément attiré par cet archipel où il possède un important patrimo ine.
En septembre, avec une brochette de mercenaires français (une petite
vingtai ne d 'ho mmes), il d ébarque d ' un vieux cargo. Avec une facilité
déconcertante, il s'empare du président Djohar, le successeur d 'Abdallah.
Dc nard ne renCo n tre aucun e rés istan ce, ce qui n'est guère éton-
nant: les services secrets français contrôlen t ro ut aux Comores, la no u-
134
Denard : le « corsaire» de la République
135
Les dessous de la Françafique
137
Les dessous de la Françaftique
Une anecdote très éclairante pour commencer et qui illustre les rap-
pOrtS amo ur-haine qui existent entre J'ex-co lo nisateur et les popul atio ns
sur lesq uelles il a régné: alors que l'armée française vient de sauver la
mise du go uvern e m e nt centrafricain ami en in ccrvenant à Birao , au
nord du pays, le président Bozizé vient célébrer le 14 Juillet à l'invita-
tion de norre ambassadeur. Il doit être acco mpag né par quatre gardes
du corps ain si qu'il a été convenu e ntre França is Ct Centrafricains. M ais
à l'h eure dite, le prés ident arri ve dans un p ick-up où sont accrochés
seize soudards qui forcent l'entrée de l'ambassade, malgré la présence
de quelques gendarmes, alors copieusement tabassés par ces pseudo-
gardes du corps.
I.:ambassadeur de France feint de ne pas voir et prononce son dis-
co urs comme si d e rie n n'éta it.
I.:explication de cerre brutali té est fort simple: le président Bozizé
était fâché contre les sociétés Total et Areva cn négociations difficiles
avec son neveu rout-puissant, le « superminisrre des cagnotres ", comme
o n l'appe ll e. Il a ainsi exprimé son méconte nte m e nt, une f.:lço n très pe r-
son nelle de peser sur ces marchandages, alors même que sa ns la pré-
sence mili taire frança ise son régime risquera it de s'écrou ler! M ais le pré-
sid e nt centrafri ca in pe ut e n prendre à son aise : lo rsqu'il s'agit de
défendre ses intérêts, Paris sa it faire profi l bas.
Il fut un temps où chaq ue dirigeant de l'Afrique francophon e était
Aanqué d'un offic ie r de nOtre service de ren se ig ne me nt. La Centrafrique
n'y a pas échappé. Pendant plus de dix ans, un colo nel de la DGSE,
le mystérieux colonel Mantion , a pratiquement di rigé le pays. Mais dans
auc un autre État afr ica in , la France ne s'es t autant impliquée q u'en
Centrafrique 1
138
Centrafrique,' pour une poignée de diamants. .. ou d'uranium
1. Une sillla ri on dénoncée par André Gide, dans Voyage au COI/go, NR.F-Gallimard,
1927.
139
Les dessous de la Françafrique
140
Centrafrique : pour IIne poignée de diamants. .. ou d'uranium
14 1
Les dessous de la Françaftique
14 2
Centrafrique: pour une poignée de diamants. .. ou d'uranium
143
Les dessous de la Françafrique
G iscard d'Estaing' :
Bonjour, monsieur te Président à vie, saiut terre
d'Afrique, salut à vous, Africaines et Africains, qui êtes les
amis de mon cœur et que je suis venu visiter chaque fois que
j'ai pu le foire. C'est ,m grand jour pour moi que celui où je
peux vous apporter non seulement mon saLut personnel. mais
le salut de la France, dont je suis le président [. . .}. Croyez
bien. monsieur le Président à vie, mon cher parent et ami,
que la France ressent profondément cette solidarité envers la
République centrafricaine, qui. SOllS votre autorité, sest enga-
gée dans ulle action en profondeur de développement écono-
mique, cultu.rel et humain.
1. Allocurio n prono ncée en mars 1975 lo rsq ue le prés ident fran çais se rend en
Afrique noire pour la premi ère fois depuis son élecri on afin de parriciper au sommer
franco -africa in de Bangui.
144
Centrafrique: pour une poignée de diamants . .. ou d'uranium
145
Les dessous de la Françafrique
146
Centrafrique: pour ltne poignée de diamants. . . Olt d 'uranium
claire : d 'abord, o n suscite des manifestati ons, puis o n encourage la rép res-
sion et, finalement, on exagère considérablem ent le no mbre des victimes.
M an œ uvre o u pas, il ya quand m ême eu des m o rts et la res po nsa-
bilité d u ch ef d e l'É tat es t d o nc en gagée, bien qu' il n'a it pas perso n-
nelle ment co mm andé ces fusillad es et ces exacti o n s puisqu' il résidait
alo rs dans son palais, à qu atre-ving t ki lo m ètres de la ca pitale. U n éloi-
gnement qui ex plique sa ns do ure po urqu o i il n'a pas pris la mes ure de
ce qu' il se passa it réel lem ent. La m eilleure preuve, c'est qu' il a aussitôt
ordo nné une enquête et qu'au vu de ses conclusio ns plusieurs respon-
sables, d o nt certains ministres, Ont été limogés. M a is il éta it trop tard ,
le mal était fa it : Bo kassa, aux yeux du m o nde entier, éta it devenu un
massacreur d'enfa nts ! C 'est cela qui compta it.
Certes, Bo kassa n'était pas un saint et il avait beaucoup de sang sur
les mains. Cependant, d ans l'affaire d es éco liers, il fa ur se reporter au
procès d e Bo kassa, en 1986. U ne pre mière fo is, l'empe reur déchu a
été conda mné à m o rt par co ntum ace. Les juges de son deuxièm e pro-
cès qu i se tient cetre fo is à Bangui n'ont do nc aucun e raiso n d 'être clé-
ments. Po urrant l'accusatio n a été inca pab le de prouver sa culpabili té
et il a simple me nt été accusé de comp licité.
La m anipulatio n a été o urdi e par les services de renseig nem ent fran-
çais avec la complicité d e hauts responsa b les centrafri cains et d'oppo-
sants. Po ur justifier son évicti o n du po uvoir, il fallait à tO ur prix fa ire
de Bokassa un mo nstre. Ainsi, quand Bo kassa aura été renversé, o n pré-
tendra avo ir trouvé da ns les congélateurs du palais impérial de la chair
humaine. M ais là enco re, cette accusatio n de cann ibalism e sera reje-
tée par les juges centrafri cains lors du procès de l'ex-empereu r. Au fon d,
rien n'émît tro p g ros po ur sali r Bo kassa!
Ce sont des ho mmes du Sd ece qui o nt pénétré les premiers dans
le pala is de Bo kassa. E t ce sont eux qui o nt répandu la rum eur . ..
LOpérati o n Barracuda visant à élim iner Bo kassa a été entièrement
imaginée e t téléguidée depuis Pa ris. To ut a commencé au mois de mai
1979 . L ambassadeur centrafri cain à Paris, un certain Sylvestre Bangui ,
qui nourrit par ailleurs de très sé rieuses ambi tions poliriques, fa it so u-
dain défectio n et dem ande pro tecti o n à notre pays. Naturellem ent, les
147
Les dessous de la Françaftique
148
Centra.frique .' pour une poignée de diamants ... ou d 'uranium
par les documents. Mais Bokassa gardait aussi par devers lui un e for-
rune en diamants et en dev ises.
Les papiers SOnt acheminés rapidement en France cr mis au frais par
les hom mes du Sdece. Quant au trésor, mystère ! Mais les services de
renseignement o n t souvent besoin d'a rgent no ir.
Bokassa, lui, dédaigne l'hospitalité que lui offrait Kadhafi et, d' une
façon assez insensée, il choisit de se rendre en France, arguant du fa it
qu'il possède la do uble natio nalité. Mais Paris n'a rie n de plus pressé
que de se débarrasser de cet hôte encombrant.
O n le sait aujourd' hui, Bokassa a d'abord été trahi par les siens. Son
épouse, l'impérat rice Catherine, est étrangement partie en France
quelques jours seulement ava nt l'Opération BarraCllda. Elle a rejoint
l'un des châteaux que possédait Bokassa avec des to nnes de bagages.
Comme si eUe sava it ce qui allait ar ri ver.
Ma is Bokassa ne cardera pas à se ve nger de « son frè re )) Gisca rd
d'Estaing en lançant l'affaire des diam ants grâce à l'un de ses anciens
com pagno ns d'armes de la guerre d' Indochine, Roger Delpeyl Un scan-
dale qui coû tera au président sa réélection en 198 1
149
Les dessous de la Françafrique
150
Centrafrique : pour une poignée de diamants . . . ou. d'uranium
Cet homme ne livre donc jamais ricn dès qu'il s'agit de lui. Il a même
l'habitude de dire: « Moins o n parle de moi et mieux je me porte 1 »
li n'empêche qu'à Bangui le disti ngué colo nel Mantion collection ne les
surnoms: le (e Proconsul », le «( Marabout blanc », « Zorra », le « Cow-
Boy l) o u encore, plus curieusement, la c( Nouno u ». Mais il est vrai qu'il
se co nduit com me la nouno u du président Kolin gba. Il veille sur lui ,
il le protège. Et, à l'occasio n, il exerce le pouvoir à sa place !
Po urtant, Mantion se ga rde bien de m ani fester une ambitio n per-
sonnelle. Néanmoins. ses manières auto ri taires lui valent de nombreuses
inimitiés. À Paris, les gouvernements de gauche Ont souvent tenté de
l'éliminer' . En vain. Ils ont tous écho ué à le chasser de la Centrafriq ue
et il régnera pendant treize ans à Bangui .
In to uchable, il l'était d'abord parce qu' il s'était rendu indispensable.
Car il co nnaissa it mieux la Centrafrique que le président qu' il servait.
Jea n-C laude Mantion est né juste ava nt la fin de la Seco nde G uerre
mondiale. Engagé très jeune, il est in corpo ré au sein du 8' RP1Ma, ce
régiment où le service « action » du Sdece recrute ses agents. D ès 196 1,
il (1 it un premie r séjour en Centrafrique au camp de Boua r, une impor-
ta nte base militaire frança ise que commande alo rs Bigeard. À son retour
en France, il est intégré au Sdece, sa ns quitter son régiment. Un peu
plus tard, il est envoyé aux No uvelles- H ébrides, le futur Van uatu. Dans
ce do minio n franco-britannique qui ne deviendra indépendant qu'en
1980, il participe au rétablissement de l'ordre en matam un e révo lte
des populations autochto nes qui protestent contre la décision d'attri -
buer des terres à des sociétés étrangères.
Mantion participe donc à la répression mais ne parlera ja mais de cet
épisode; ceux qui le connaissent un tam soit peu affirment qu'il était
très amer lorsqu' il est revenu. Quoi qu' il en so it, c'es t là-bas qu'il
co nquiert scs grades au mérite sans passer par les traditio nnelles écoles
de guerre.
1. Malgré l'hos[ili té que lui om ma nircsrée ce rtains hom mes pol iriq ues de gauche,
c'esr un ministre de la Défense sociali ste qui J'a promu général et lu i a donn é la Légion
d'honn eur.
15 1
Les dessous de la /<rançafrique
152
Centrafrique: pour une p oignée de diamants ... ou d'uranium
Géraldine Faes 1 :
Manipulateur hors paù; Mantion divise l'opposition
naissante en achetant les fû bles et en expulsant les irréduc-
tibles. Redoutable rhéteur, il arrive aussi, tout simplement,
qu'un opposant rentré dans son bureau pour l'insulter res-
sorte l'esprit embrumé de doutes. Professionnel du "ensei-
gnement, il sait désamorcer les complots et étoujfir dans l'œuf
- sans effusion de sllng - les manifestations. Policier en charge
de la sécurité aéroportuaire, il a doté le minuscule aéroport
de Bangui d'un système informatisé de contrôle des arrivées
et des départs plus perfectionné que celui de certaines capi-
tales européennes. Adversaire acharné de la Banque mon-
diale, il fostige « ces experts qui se moquent des retombées sur
la population de leurs belles théories ». Chasseur de trafi-
quants d'ivoire ou de diamants, il n'hésite pas à s'attaquer
à des proches de Kolingba impliqués dans des affoires de
contrebande. Lui-même ne sera jamais, en douz e ans, écla-
boussé par la moindre affaire de corruption. Si les « fou-
cons» du président le haiSsent, les coopérants n'apprécient
pas davantage - il le leur rend bien - celui qu'ils surnom-
ment Clint Eastwood. Parce que sa présence confine les
ambassadeurs de France qui se succèdent en Centrafrique
dans un rôle de potiches et, surtout, parce que ses méthodes
153
Les dessous de la Françaftique
154
Centrafrique: pour une poignée de diamants . .. ou d,<ranium
155
Les dessous de la Françaftique
156
Centrafrique: pour une poignée de diamants ... ou d'uran ium
C'est dire le prix que le go uve rnement français attache toujours à no tre
présence en Centrafrique.
Mais les mutins sont to ur juste rentrés dans leurs casernes qu'ils en
ressortent presque auss itô t. Le prérexcc est un incident avec des mili-
taires fran çais venus récupérer des civils pris en otage. Rapidement, la
situatio n s'envenime. Les mutins, qui sont plusieurs centai nes. o ccu-
pent la radio, encercle nt le palais prés id entiel et comm encent à pi ller
Bangui. I.:Élysée se décide alors à intervenir. I.:engagement militaire est
massif: il fa ut sauver le sold at Patassé ! Jacques C hirac s'y est résolu.
1. Voir chapitre V.
2. Articl e du Monde de 1993, paru sous le titre: !! Le rerour d'un démagogue ».
157
Les dessous de la Françafique
1. Vo ir chapirre XX II.
158
Centrafrique: pour une poignée de diamants ... ou d'uranium
lectuel, un certain Ngo upandé. Et elle a aussitôt accordé une aide excep-
tionnelle à la Centrafrique.
Pendant quelque temps, Patassé se tient tranquille. Mais l'automne
arrivé, il renvoie son Premie r ministre et retourne à ses vieux dé mons
et attise à nouveau les conflits ethniques. En même temps, tour comme
autrefois Bokassa, il retrouve son assurance et même son arrogance vis-
à-vis de la France.
Autre grave erreur: pour assu rer sa sécurité, il fait venir du Sud-tclla-
dien des so udards, les codos. Redoutables et redoutés, ces hommes per-
pétueront de nombreuses exactions et même de véritables massacres en
juin 1997 .
La troisième mutinerie éclate en novembre. Les rebelles du mois
de mai, qui n'avaient pas été d ésa rmés mais simplement regroupés dans
un camp militaire, retournent dans la rue. Les militaires françai s s' in-
rerposent à nou veau , pour la croisième fois en moins d'un an.
À Paris, on commence à se lasser. D 'autant que la situation reste exp lo-
sive. D ébut janvier 1997, deux soldats fran çais sont assassinés. Il s'en-
suit une opération punitive qui provoque une dizaine de mo rts. Aussi,
face à cette instabilité chronique, le gouvernement français imagine afri-
caniser la question en associant des pays amis à la résolution de la crise
centrafricaine. Ainsi une force de stabilisation africai ne - c'est son nom -
se met en place à Bangui. Financée bien entendu par la Fran ce.
Cette dernière initiative n'empêche pas les accrochages avec les mutins
de se multiplier. Excédés, les responsables de cette force intermédiai re
décident de répliquer énergiquement et balaient les rebelles au prix de
cent ou deux cents morts. Puis W1e force onusienne prend le relais.
Entre-temps, l'attitude de la France ca nnait un complet boulever-
sement avec l'arrivée a u pouvo ir de Lionel Jospin. Le go uvernement
socialiste annonce un co mplet changement de cap dans nos rapports
avec la Françafr ique . Ni ingérence, dit Jospin, ni indifférence. Le
ministre de la Défense, Alain Richard , se rend en Centrafrique pour
annoncer à Pa tassé la prochaine fermeture de nos bases militaires.
Le président centrafri cain est furi eux. Ne serait-ce que parce que
la présence des « barracudas » inj ecte dans l'économie du pays un vrai
159
Les dessous de la Françaftique
pactole ! M ais rien n'y fair. En février 1999, le d ernier soldat français
quitte la Centrafrique, à l'exception de deux cent cinquante hommes
qui y d em eurent sous l' uniforme de l'ONU.
Dans ce pays livré à lui-même, la suite est très chaotique. On y assiste
à des tentat ives de putsch et mêm e à des interventions étrangères,
co mme celle des troupes d 'un dirigeant rebelle congolais, Jean-Pierre
Bemba. En o utre, les mercenaires tchadiens, les codos, alliés de Patassé,
co ntinuent à semer la terreur parto ut o ù ils passe nt.
C omme d ' habitude, les population s civiles sont les premières vic-
times de ces troubles . Enfin, en 2003, l'ancien patto n des fo rces cen-
trafri ca in es, Franço is Bozizé, qui a déjà essayé en vain de renverse r
Patassé, pro fite d'un voyage à l'é trange r de ce dernier po ur s'emparer
du po uvo ir. Po ur perpé trer son putsch, ce mil itaire a bénéfi cié d'une
aide m ili taire tchadienne et o btenu le feu vert de Paris où désormais
C hirac, réélu, a les mains libres.
Paris rev ient donc dans le jeu centrafri ca in. Quatre jours à pe in e
après ce putsch, les « barracudas )) revienn ent à Bangui. Cette nou-
ve lle ingérence frança ise passe quas ime nt in aperçue car, au même
mo ment, George Bush enva hit l'Irak. Cependant, pour sauve r les appa-
rences, des é lé,nents mil ita ires tchad ie ns, co ngolais et gabon ais o nr
débarqué avec les Français.
L' interventio n de nos troupes n'a pourtant rien réglé. La France se
[fOllve maintenant enlpêtrée dans une situation qui devient de plus
en plus compliquée. Il faut bien so ute nir Bozizé que no us avons aidé
à conquérir le pouvo ir. Au moins en encourageant les fo rces tchadiennes
à lui donner un coup de main. M ais le nouveau régime est perpétuel-
lement menacé par deux forces rebelles installées au nord du pays. rune
d 'ell es es t en part ie co mposée d 'élém ents d o uteux que le président
Bozizé a rassemblés lors de sa marche vers Bangui. Ces mercenaires, qui
estiment ne pas avoir été récompensés à la Inesure de leur aide, se paient
sur l'ha bitan t et combattent à l'occasion les troupes restées fid èles à
Bozizé. D es tro upes qui, elles aussi, n'hésitent pas à s'en prendre à la
populatio n civil e et commettent les pires exactions. Les villageois, pris
entre deux feux, doivent se résoudre à fuir dans la brousse.
160
Centrafriq ue: pou r u ne poignée de diamants ... Olt d'u ranium
Les forces françaises sont donc parfois obligées d' intervenir en force !
Et dans le plus grand secret: en mars 2007, et pour la premi ère fois
depuis l'opération de Kolwezi au Zaïre, des parachutistes fran çais Ont
été largués au-dessus d' un pays afri cain. Mais l'état-major a minimisé
l'importance de cette o pératio n qui a commencé ainsi: depuis la fin de
2006 l'armée fran çaise entretient une petite garnison d'une vingtaine
d'hommes à Birao, une bo urgade située dans le no rd-es t à cinq jours
de route de Bangui et tou t près du D arfour. D ébut mars 2007, des
rebelles attaquent l'a rmée centrafricaine et par voie de conséquence la
garnison française. Les miliraires sont encerclés et appellent à l'aide. Un
Mirage est d'abord engagé er détruit quelques véhicules ennemis. Puis
des dizaines de parachutistes français sont largués. Les rebelles s'enfuient
en laissant de nombreux mOrtS sur le te train. La ville de Birao, qui avait
bien fa illi tomber, est rep rise.
I.:arm ée fran çaise est do nc bien engagée dans ce conAit. Une guerre
oubliée qui , selon les o rganisati o ns internatio nales , a déjà provoqué
la mort de centaines de civils, la fuire de plus de deux cent mille per-
sonnes et où plus de di x mille maisons o nt été brûl ées. D ans le plus
grand silence !
Survie l :
De là à penser que cet engagement militaire ne sert qu'à
déftndre un régime criminel et à sauvegarder des intérêts p ure-
ment français, il n] a qu'un tout p etit pas. D 'autant que
François Bozizé n'a nullement la volonté politique de régler
pacifiquement la crise en instaurant un dialogue. Protégé par
les M irage et les paras français, l'ancien chef rebelle s'obstine
dans la logique de guerre en achetant des armes en Chine et
en Afriq ue du Sud. D es cargaisons d'armes et munitions lui
sont fournies en échange de diamants et d'u ranium. Les
1. Rev ue de l'o rga nisati o n créée pa r fc u Franço is Yc rschave, l'homme qui a popu-
lar isé le néologisme <c Françafrique » cr n'a cessé de Ille ttre en ca use la poli ti que de la
France en Afriqu e.
16 1
Les dessollS de la Françafrique
1. L:ancicn policier Oelcbo is esr l'homme du vrai-faux passeport fourni par Charles
Pasq ua à Yves Charlier, le collaborareur du min istre Christian Nucci impl iqué dans
j'afE1 ire du Carrefour du développemenr. Voi r chapitre XX.
x
Delpey : le prisonnier de Giscard
163
Les dessotts de la Françafriqtte
164
Delpey : le prisonnier de Giscard
165
Les dessous de la Françafrique
166
Delpey " le prisonnier de Giscard
167
Les dessous de la Françaftique
ciel à l'éu anger. Puis il y est revenu u ès souvent pour y chasser. Mais
à chaque foi s, il a réduit au minimum ses o bligat ions vis-à-vis des auto-
rités centrafricaines tant Bokassa Ct ses fo ucades l'horripilaient, même
si quelques personnes du proche entourage impérial trouvaient grâce
à ses yeux.
Toutefois, il lui fallait faire des co ncessions car la Centrafrique était
une pièce essentiel le de noue dispositif diplomatique et militaire sur
le continen t.
Paras cr agents secrets ont do nc raRé des docume nts qu i pouvaient
nuire au président G iscard d' Estaing d' une façon ou d' une auue.
Une semaine plus tard, des journalistes se rendent à Berengo, qu i se
trouve à quatre-vingt kilomètres de Bangui. Eux-mêmes, au mi lieu d'un
bric-à- brac invraisemblable, mettent la main sur des papiers u ès inté-
ressa nts. Si explosifs même qu'ils se ro nr dans l'impossibilité de les
publier dans leurs journaux respectifs et finiront par les remettre au
Canard enchaîné ! Mais pourquoi touS les documents n'ont-ils pas été
embarqués par les agenrs du Sdece? Précipitation , négligence )
Après la chute de so n ami Bokassa - car il s'es t tissé un e véritable
amitié enue les deux anciens d' Indo - Roger Delpey n'entend pas res-
[Cf inerte Ct est bien décidé à innocente r son camarade de co mbat en
168
Depey : le prisonnier de Giscard
Jean Garrigues' :
Le Matin du I l octobre signale qu'à l'occasion d 'un
safori le président Giscard d'Estaing aurait reçu un bijou
en forme de carte du monde, avec un diamant pour chaque
capitale, le plus gros pour Paris. Jacques Fauvet, le directeur
du Mo nde, consacre à l'affaire des diamants son éditorial,
sur deux colonnes en première page, sous fe titre ( La vérité et
L'honneur ». Reprenant à son compte les accusations du
Canard, il estime que pour l'Élysée « la seule mise au point
possible consisterait à annoncer que ce royal cadeau a été
retourné à l'envoyeur ». On saura plus tard que le président
Giscard d'Estaing, ulcéré par cet article irrévàencieux, a télé-
phoné.en personne à Jacques Fauvet pour lui exprimer son
mécontentement. La répome de ce dernier sera cinglante dans
les colonnes du Monde : " Si lm chefd'État perd son sang-
froid comme VOltS L'avez foit. c'est l'État lui-même qui est
menacé ». Pour la première fois dans l'histoire de la V'
République, un journaliste, et pas n'importe lequel d'entre
eux, ose s'en prendre directement au locataire de l'Élysée. Le
quatrième pouvoir défie le premier.
169
Les dessous de la Françafrique
1. op. cil.
170
Delpey : le prisonnier de Giscard
Au demeurant, le président n'a sans doute pas reçu des cadeaux d'une
valeur exorbitante. Mais en adoptant cette défense plein e de morgue,
il a contribué lui-même à transform er cette histoire en affa ire d'État.
En témoigne d'ailleurs ce qui va arriver à Roger Del pey.
Très rapidemenr, l'Élysée est persuadé que l'ancien baroudeur est le
principal artisan de la campagne anti-G iscard d'Estaing. Il est donc sur-
vei llé à tous moments. Or Delpey commet une maladresse : il se rend
à l'ambassade de Libye à Paris. Officiellement, arguant des bonnes rela-
tions que Bokassa avait nouées avec Kadhafi, il vient y demander des
subsides pour éditer ce livre qu' il prépare pour assurer la défense de l'em-
pereur déchu. Pour le pouvoir, l'occasion est trop belle. À sa sortie de
l'ambassade, la DST, c'est-à-dire le contre-espionnage, lui met la main
au collet et D elpey est illico accusé d'espionnage au profit d' une puis-
sance étrangère dans le but de nuire à la personne du chef de l' État en
particulier, et aux intérêts fran çais en général.
La DST s'avère incapable d'apporter des preuves. Pourtant les poli-
ciers ne ménagent pas leurs efforts et perquisitionnent InÎnutieusemenr
le domicile de Delpey ! Mais ils n'y trouvent que ces blancs-seings four-
nis par Bokassa.
Maigre consolation qui perm et quand même aux autor irés d'insi-
nuer que ce rtains des documents de Bokassa rendus publics ont peu(-
17 1
Les dessous de la Françafrique
172
Delpey : le prisonnier de Giscard
175
Les dessous de la Françaftique
n'est pas un hasa rd, la capitale éco no mique, Pointe- Noire, ville des
pérroliers, n'a pas été touchée par la guerre civile. Pendant les massacres,
les affaires, Ao rissantes, ont continué ! Et la productio n de pétrole n'a
pratiquem ent pas été affectée.
Le C ongo, comme beaucoup d'autres anciennes co lo nies, es t une vraie
mosaïque ethnique et ses froncières dessinées par le colonisateur n'ont pas
tenu compte de la réalité tribale. O r, o n y déno mbre plus de soixante-dix
gro upes ethniques. Cerres, il était difficile de morceler à ce point le Congo.
M ais il était tout à fait possible d'envisager d 'aurres fronti ères. Car cer-
raines des ethnies présentes dans ce pays existent aussi au Gabo n ou dans
l'ex-Congo belge, de l'autre côté du Aeuve Zaïre.
Il faut distinguer trois grands groupes : au nord, on trouve essentiel-
lement des Mbochi. Ils vivent dans une région assez peu peuplée et pauvre.
Ce qui explique que beaucoup d 'entre eux ont fait ca rrière dans l'ar-
mée. Ce po int est très impo rta nt: bie n que minoritaires, les Mbochi
ont très souvent gouverné le pays en raison de leur mainmise sur l'armée.
Au sud, près du Zaïre, se situe lme régio n qu'on appelle le Pool. Elle
est peuplée d e Bakongo , ceux-ci représentant à peu près la moitié de
la populatio n congolaise. Ava nt l'indépenda nce et au début de la d éco-
lonisation , ils ont joué un rôle prépondérant car ils ont été les premi ers
à avoir des contacts avec les Eu ropéens . De ce fait, ils Ont toujours béné-
fi cié d' une image positive ca r les colonisate urs les considéraient comme
des « évolués ,).
Il existe enfin un dernier groupe assez hétérocli te qui vit au sud et
à l'o uest dans le Nibolek' .
Ces tro is groupes principaux sont a ntago nistes et, au fil du temps,
ils disposeront de leur ptopre pa rti politique, de leur milice et, bien Sllt,
de leur chef.
Dans les premières années qui ont suivi l'indépendance, ce sont donc
les sudistes qui dirigent le pays. À leur tête, un ecclésiastique assez pit-
toresque, l'abbé Fulbe rt Yo ulou qui se fait surtout remarquer par ses
1. Le N ibolek est un acronyme fo rm é à pa rtir des premi ères syllabes de (rois régions
proches du li{ w ml adamique Ct du Gabon, Niari , Bouenza, Lckoumou.
176
Congo: la malédiction du pétrole
177
Les dessous de la Françaftique
178
Congo: la malédiction du pétrole
Sennen Andriamirado l :
En 1966, rejetant le " socialisme bantou » prôné par
Massamba-Débat, Ngouabi apparut, aux yeux de la gauche
congolaise, comme l'alternative. Arrêté en juillet 1968, détenu
au camp de la gendarmerie, il fut délivré par les paras-com-
mandos qu'il avait formés. Retranché avec ses fidèles au «
Camp Para » de Brazzaville, il y fut rejoint par des syndi-
calistes, des intellectuels, des dirigeants de mouvements de jeu-
nesse, et même par les officiers et hommes de troupe envoyés
par le président Massamba-Débat pour réduire la « rébellion
'>. M arien Ngouabi, héraut du socialisme scientifique. avait
gagné contre ies tenants du (( socialisme bantou ».
179
Les dessous de la Françaftique
180
Congo.' la malédiction du pétrole
Jacques Foccart' :
Le 23 mars 1970, je suis au balcon pour assister à la pre-
mière tentative de déstabilisation du régime, celle du lieute-
nant Pierre Kikanga - un Lari, comme l'abbé Youlott, qui
attend son heure dans sa retraite en Espagne. À la tête d'un
commando, Kikanga a opéré son coup manqué en partant de
Kinshasa. Je suis justement en visite à Kinshasa. Du bureau
présidentiel, où je me trouve, on voit le jIeuve. Mobutu est
agité et peu attentifà notre conversation. Il foit des allées et
vertues vers la flnêtre. Sotlt/ain, on aperçoit un petit bateau.
Mobutu s'excuse et se précipite mr son téléphone. Il a des
conversations très animées, en iingaia, avec plusieurs inter-
locuteurs. Je le quitte sans recevoir d'explication, mais, peu
après, j'apprends le coup d'État qui vient d'être tenté à
Brazzaville, et son échec. Je vais voir le colonel Claude
Mademba Sy, l'ambassadeur du Sénégal, qui a été éloigné de
Dakar et qui semble avoir trouvé « chez les Bantous », comme
dit Senghor. un exutoire à son activisme. Mademba Sy est 1117
18 1
Les dessous de la Françafrique
La France a- t-elle d'une làçon ou d' une autre été mêlée à cette affaire?
Il est certa in que le Sdece n' ignorait pas qu' un mauvais co up se pré-
parait. Mais les Français n'ont pris aucune pan dans le complot. Po ur
une simple raison: les Anlé rica ins se tro uvant derriè re ccne act io n, il
n'é tait pas questi o n de f.'lvo riser une e ntreprise qui leur pe rmettrait d'ac-
croître leur influence dans n Otre pré carré afr icain! M ieux, il n'est pas
interdit de penser qu' un agent françai s a pris l'initiative d'avertir les
autorités congolaises. Une dé marc he quj ne po uvai t pas contrarier Paris:
to ut ce qui pouva it amélio rer nos relatio ns avec les Congo lais était bien-
ve nu . D es relat io ns qui n'éraient d'ailleurs pas aussi mau va ises que le
laissaienr supposer les discours enAammés de Ngouabi et des siens, qui
ne cessa ient de dénoncer l' impérialisme et le néocolo nialisme. Mais
la réaliré était to ut autre: les dirigeants co ngolais avaient beau clamer
qu'ils étaient des m arx istes-léninistes purs et durs, ils ava ient encore
besoin de l'aide économique française. Et leur gesticulatio n n'étair sou-
vent que de façade. Au fond , ils étaient restés très francophiles.
Cette relative modération n'empêchait pas Paris de so uhaiter l'ef-
face ment de Marien Ngo uabi . À la seule condition que l'initiative soit
française o u, au minimum , co ntrôlée par la France. Il suffisait d'être
patient : dans l'enrourage de Jacques Foccart, o n savait que tôt ou tard
quelque chose se produirait. Le mo ment venu, il faudrait seulement
donner un petit coup de pouce décisif.
Déjà, l'un des meilleurs amis de Ngo uabi, Yhombi Opango, qui fai-
sait partie des officiers venus le libérer après son arrestatio n et qui com-
mandait m ain tenant l'arm ée, ava it e nvoyé des sig naux très clairs en
direction de Paris. Il voulait savoir quelle serait l'attitude de la France
s'il prenait le pouvoir. La réponse a été ambiguë: Opango n'a pas été
diss uadé mais il ne lui a pas non plus été promis une aide. Non, o n
lui a s impleme nt laissé entendre que s'il réussissait, Paris examine rait
favo rablement toute nouvell e demande d'a ide éco nomique. Ce gui , en
bo n frança is, pouva it sc traduire par un e nco urage m e nt impl ic ite.
182
Congo: la malédiction du pétrole
183
Les dessous de la Françafrique
184
Congo: la malédiction du pétrole
Pour le président congolais, le coup est très dur. C'est aussi un sérieux
ave rtisseme nt! Ngouabi ne s'y trompe pas et il accuse aussitô t la France
d'avo ir e nco uragé cette ag ress io n co mmise par le FLEe, c réa tio n de nos
serv ices secrets .
Pour autant, le président congolais n'est pas décidé à changer de poli-
tique. En févri e r, il donne L1ne interview re te ntissante où il m et e n cause
une nouvelle fois la France, coupable d'asphyx ier son pays. ri ne lui reste
plus que six semaines à vivre.
À la même époque, Ngouabi a prévu de réunir un congrès du Parti
congo lais du travail. Il se murmure qu'on va procéde r à ceue occasion
à un grand chambardement. Certains puissants du régime Ont tout à
craind re d e cette gra nde réunion. Ngo uabi l'a proclamé : il n'est pas
questio n de lave r le lin ge sale en fam ille, il ve ut un déba llage public.
Ce 18 mars 1977, Mari en Ngo uabi s'a pprête à déjeuner chez lui
en compagnie d e son fi ls aîné. Il habite une case- résidence, co mme
on dit, au cœur de l'état-major d es forces armées . Lend roit est do nc
très surveillé. Même si l'a ncien chef de bataillon n'attache pas une
grande importance à sa prop re protectio n, il est certa in qu'on ne peut
pas entrer chez lui comme dans un moulin. À la porte du rez-de-chaLlS-
sée, un adj udant de sa garde rapp rochée veille.
A l'étage, Ngouabi est sur le point d e commencer son repas quand
on lu i annon ce une v isite. Le président descend et sc tro uve face à quarre
ho mmes. Trois so nt e n c ivi l, le quatriè me pone une te nue de combat.
Ngo uabi le reconnaît aussitôt: c'est l'ex-chef du renseignement mili-
ta ire, le ca pi ta ine Kikadidi , un officier limogé par l'a rmée. D ès qu'il
ape rço it Ngo uabi , il so rt une arme. Le préside n t ti re so n propre pis-
tolet de so n étui et se précipite sur lui . II tue deux des civils mais il est
final ement abatt u, sans doute par ce ga rde du corps chargé de veiller
à sa porte. Q uant à Kikadidi , il parvient à s'enfuir.
Les événe ments s'accélè rent. La direction du pays est provisoirement
assurée par Denis Sassou Nguesso, le min istre de la Défense tandis que
Yho mbi Opango, chef des armées, sera désigné président quelques jours
plus tard. Toutefois, en 1979, il sera remplacé par Sassou-Nguesso, le véri-
table homme fott du pays. Et le principal bénéficiaire de cc coup d'ftat 1
185
Les dessous de la Françaftique
186
Congo: la malédiction du p étrole
pays est sale et manque de paix durable, t u ne peux lui re ndre sa pro-
preté et son unité qu'en le lavant avec [O ll sang. »
1. op. dt.
187
Les dessous de la Françaftique
1. Vo ir chap i( re Ir.
188
Congo: la malédiction du pétrole
cains en les corro mpant. D 'autre part, une part ie de cet argent revenait
en France et servait à fin ancer des panis po litiques lnétropo litains.
La co mpagnie a do nc fo nctionné com me une sorte de réseau para l ~
lèle en Afrique et, sans su rprise, o n y a rerro uvé pas mal de personnages
qui étaient par exemple très proches de Focca rt.
189
Les dessous de la Françafrique
190
Congo: la malédiction du pétrole
191
Les dessous de la Françafrique
192
Congo: la malédiction du pétrole
Malgré leur coût, les armes n'ont jamais manqué au Congo. À l'évi-
dence, c'est l'argent du pétrole, généreusement distribué à tous les bel-
ligérants, qui a servi à acheter ce matériel. Pour les pétroliers, il n'étai t
pas ques tion d e m e ttre leurs œ ufs dans un seul panier, tant l'avenir
demeurait in certain.
En fait, cen e première guerre du Congo dure jusqu'en 1995, avec,
parfois, des accalmies. À la fin de l'année, la paix est signée entre les dif-
193
Les dessous de la Françafrique
fére nts belli gé rants. Mais il est certain que le confl it repartira à la
moindre étincell e. Ne serait-ce que parce que les miliciens d émobili-
sés so nt abandonnés à eux- mêmes. Dans un pays ruiné par le chômage,
ils ne demandent qu'à reprendre les armes car ils vivent de la guerre.
D 'autre part, les leaders Il' ont en rien renoncé à leurs ambitions. Denis
Sassou-Nguesso ne rêve que de reprendre le po uvoir qu'il a perdu dans les
urnes. Quant à Lissouba, il espère bien se débarrasser définitivement de
ses deux ri vaux. C 'est pourquoi, au cours de cette paix armée, les uns et
les autres continuent de s'équiper ct recrutent même des mercenaires :
israéliens, sud-africains, ukrainiens. Et des Français, bien sûr, des hOlnmes
qui ont autrefois combattu aux côtés de Bob Denard ou qui viennent direc-
teinent de l'extrêm e d roite et du service d'ordre du Front national. Un vrai
panier de crabes. Sans compter les agents des services de renseig nement.
À Paris. on suit très attentivement l'évolution de la situat ion congo-
laise. Et on a déjà choisi son camp, celui d e Sassou-Nguesso.
Jacques Chirac, élu en 1995, a toujours eu beaucoup d'amitié pour
Denis Sassou-Nguesso à qui, lors de la première cohabitation, il a même
donné un petit coup de main saJ1S en référer au président Mitterrand. Preuve
de cette connivence, Sassou-Nguesso est reçu très secrètement à l'Élysée en
1996. 11 est alors accompagné par le président gabonais Omar Bongo,
son gendre. Bongo, l'un des membres les plus influents de la Ftançafrique' ,
À Paris, il est donc clair qu'on n'aime guère Lissouba. À la présidence
du gro upe Elf, c'est encore plus évidenr. D 'aurant que Sassou-Nguesso,
toujours prévenant, a permis à la société pétrolière de s' introduire en
Angola et d'arracher une grosse co ncession offshore. Lancien dirigeant
congolai s est en effet très proche d'Eduardo dos Santos, le président
angolais, autre marxiste repe nti. Il a donc usé de toute so n influence
pour favoriser la co mpagnie française. Ce qui lui a probablemenr valu
de toucher une grosse commiss ion.
Autre raison de la faveur dont il jouit auprès d' Elf, Sassou-Nguesso
a promis, s'il revenaü à la prés idence, de diminuer les redevances d 'ex~
ploitation pétrolière augmentées par Lissouba.
1. Voir chapitre V.
194
Congo: la malédiction du p étrole
1. Pi erre Fatcone est accusé d'avo ir fourni à l'Angola, via b Fnlllce, des arm es ache-
tées dan s les ex-démocraties populaires po ur des ce ntaines de l11illion ,~ de doll ars.
195
Les dessous de la Françafrique
196
Congo: la malédiction du pétrole
199
Les dessous de la Françafrique
1. C'est au début des an nées 19 70 que 'Tombalbaye décide de le tchadiser » les no ms,
Fon- Lamy devenant par exempl e N 'Djamena .
200
Tchad (1) : le mystère Bono
Général de Gaulle 1 :
1. C it:ltions ex traites de convc rS:1tiûns entre le Général er J:lCq lJ(:'~ Focc.,1ft que relate
ce dern ier da ns ses M émoires, journal de l'ELysée, Fayard , 1995 .
20 1
Les dessous de la Françafrique
202
Tchad (I) : le mystère Bono
203
Les dessous de la Françafriqlle
204
Tchad (J) : le mystère Bono
205
Les dessous de la Françafrique
206
Tchad (1) : le mystère Bono
207
Les dessous de la Françafrique
Le méd ecin ne se laisse pas co nva incre aisém ent. Il est bien placé
po ur savo ir que la politique en Afrique est dangereuse. D 'autre part,
O utel Bono n'a aucune voca ti o n à entrer dans la peau d'un dictateur.
Enfi n, il sait qu'on ne peut pas co nquérir le pouvoir au Tchad sans l'aval
de Paris. Et donc d e Jacq ues Foccart !
Or, justement, un ancien colo nel qui a longtemps navigué dans les
e..1. UX des services secrets rapproche Ct lui offre son aide. Bono n'igno re
pas les rapports qui existent entre le Sdece Ct l'ancienne éminence grise
du général d e Ga ulle. Il est donc ame né à penser que l'Élysée l'encou-
rage à agir et il se décide à descendre dans l'arène: il envisage m ême
de créer so n parti, le MORT, le Mouvement démocratique d e réno-
vatio n tchad ienne.
Outel Bono a donc sauté le pas et se pose d ésormais en opposant
e t successeur d e Tombalbaye. L, nou velle se répand rrès vire dans les
milieux tchadie ns. À Paris d 'abord mais aussi à Fort-Lamy, devenue
désormais N ' Djamena depuis que son lead er s'esr fâché avec la France.
Lui-même a changé de prénom à la faveur de cerre « rchadisation ».
Fi n aOllt 1973, Bono doit publiqueme nt a nnoncer la création de
son parti . E iltre~re mps, lIll journal très influent en Afrique et relative-
ment proche de Foccarr a laissé entendre que l'entrée en politique de
Bono signifie que la France a décidé de lâcher le président Tombalbaye.
Mais, deux jours ava nt que le médecin ne fasse sa déclaration officielle
devant la presse, un assassi n m et fin à ses jours.
Ce matin-là, le docteur Bono sort de chez lui et monte dans sa voi-
ture. Soudain , avant même qu'il ne démarre. un homme ouvre sa por-
tiè re e t lui tire presque à bout porta nt deux balles de revolver. Puis
l'ho mme s'enfuit, monte dans une 2CV et disparaît.
C ela ressemble à l'exécution d ' un contrat. Tombalbaye est aussitôt
so upço nné d 'avo ir commandité l'assassinat de so n prin cipal adver-
saire politique. M ais il n'est pas le seul. Quelques indices permettent
auss i de menre en cause ce clan des Franç.'1is qui ont fai t leur nid dans
l'e ncourage du présidenr tchad ien e t règne nt en maîtres sur les se r-
vices de sécu rité du T chad. Bono, plutôt classé à ga uche, aurait menacé
leur tranquilliré et leurs privilèges s'il était parve nu au pouvoir.
208
Tchad (1) : le mystère Bono
Caf/àjre n'a jamais été réellement élucidée. M ais il est certain que des
hommes appartenant aux services français y ont été mêlés. La suite le prouve.
Après la mo n de son épo ux, sa veuve, une Française, subit d'abo rd
la présence très pressante de ce colo nel qui a encouragé son mari à se
lancer en politique. Ensuite, un proche de Bo no, qui a acco mpagné
le médecin tout au long des derniers mois de sa vie, manifeste l'envie
de raconter ce qu' il sait. 11 n'en aura pas le temps : il meurt d'une diar-
rhée fo udroya nte un mois après son ami .
Enfin, l'appartement du médecin a été minutieusement fouillé et tOus
ses papiers ont disparu. Quant à l'enquête judiciaire, malgré les efforts
de la ve uve de Bono, ell e n'aboutira jamais. M ais il est vrai qu' un des
juges d'instruccio n chargé de l'affaire est celui-là même à qui a été confié
le dossier des « plombiers' " du Canard enchaîné. Cependant, c'est à l'oc-
casio n d 'une autre affaire tchadienne, l'enlèvem ent d'une scientifique
fran ça ise, Françoise C laustreZ, qu'on entreverra une partie de la vérité.
Cun des négociateurs envoyé au Tibesti' , pour prendre lan gue avec
le chef des ravisseurs, Hissène H abré, est un certain capitaine Galopin .
C'es t l'adj oint de ce co mmandant G ou rve nnec qui fait la plu ie et le
beau temps à N ' Dj amena. Le choix de G al opin est détestable ca r ce
militaire français a combattu avec la plus grande brutalité les rebelles
Toubou . Ce qui devait arri ver arri ve : G alopin est pris à son [Our en
otage et il finira par être exécuté. Mais, avant de mo urir, il parle et accuse
l'un de ses homm es d'être l'assassin du docteur Bono! D ès que l' in-
formation est connue à Paris, ce perso nnage fa it l'obj et d'une enquête
de po lice. Il a été établi qu' il grenouillait avec le Sdece et possédait
une 2CV en to ut point semblable à celle de l'assassin de Bono. Toutefois
le juge refusera d'aller plus loin .
Autre détail tro ublant: au moment où cet homm e est interrogé
par la police française, son chef, le fameux Go urvennec, meurt subi-
tement, victime d'une indigestio n!
209
Les dessous de La Françafrique
En réal ité, il semble bien que les assassins de Bono ont fait coup
double. D 'un côté, ils se sont débarrassés d'un homme qui était en posi-
tio n de succéder à Tomba lbaye et de faire le ménage à N'Djamena. Et
d'un autre côté, ils Ont fa it porter la responsabilité du crime sur le pré-
sident Tombalbaye. li s'agissa it alors de le discréditer un peu plus et
donc de précipiter sa chu te. Cc qui sera le cas en 1975 quand il sera
assassiné à l'occas ion d ' un putsch organisé avec la bénéd iction de la
France et la participation matérielle de ses services secrets.
1. op. cit.
XIII
Tchad (2) : la prisonnière du désert
2 11
Les dessous de la Françafique
212
Tchad (2) : la prisonnière du désert
un fon, n'a pas pu o u vo ulu intervenir. Il ex iste aussi une autre troupe
composée essentiellement de gardes nomades . Mais ces hommes ont
choisi prudemment de se sauver. Autant parce qu' ils sont proches de
leurs frères Toubou que parce qu'ils craignent d'éventuelles rep résailles
du gouvernement de Tombalbaye.
Des liaiso ns radio SO nt assez rapidement établies avec les ravisseurs.
Ils exigent la libération d' une trentaine de prisonniers politiques déte-
nus par le gouvern ement tchadien. Ils veulent ensuite qu' un de leur
manifeste soit diffusé par les radios nationales française et allemande.
Enfin, ils réclament le versement d'une rançon d'un milliard de francs
CFA, c'est-à-dire vingt millions de fran cs.
Face à ces revendications, Tombalbaye ne veut rien savoir. Sa pre-
mière réaction est désastreuse et risque de mettre en péril la vie des
otages. Il envo ie des so ldats à Bardai. Des militaires transpo rtés par
des avions fran ça is et qui s'empressent, à peine arrivés, d'in cen dier la
palmeraie par mesure de représailles.
À Paris -la mise à disposition des appareils militaires en témoigne-
on opte aussi pour la manière forte. Mais le contexte politique est très
particulier: Georges Pompidou est mort quelques jours plus tôt, la cam-
pagne électorale bat son plein et c'est un président intérimaire, Alain
Poher, qui se trouve à l'Élysée. Par ailleurs, au Tchad même, l'ambas-
sadeur français vient de partir. C'est un sim ple chargé d'affaires qui le
remplace. Et quand arrivera le nouvel ambassadeur, il ne manifestera
guère d'intérêt pour cette prise d'otages. C'est si vrai qu'à Paris comme
à N' Djame na, on co nsidère que Franço ise C laustre est une aventurière,
une militante de gauche ou d'extrême gauche et qu'elle ne récolre au
fond que ce qu'elle mérite. Il faudra attendre le milieu de l'ann ée 1975
pour que le président Giscard d'Estaing lui rende un hommage app uyé
et balaye coutes ces infâmes rumeurs.
En tout cas, cette prise d'o tages tombe do nc au plus mauvais
mome nt. D 'autant que nos rel ations so nt alors au plus mal avec
Tombalbaye, de plus en plus despotique, susceptible et alcoolique.
Hissè ne Habré, qui fait à cette occasion son apparition sur la scène
in ternationale, éta it jusque-là un quas i-in connu . Âgé d'ull e trentaine
213
L es dessous de la Françafrique
2 14
Tchad (2) .' la prisonnière du désert
2 15
Les dessous de la Françafrique
2 16
Tchad (2) " la p risonnière du désert
2 17
Les dessous de la Françafrique
servir d' inte rmédiaire alo rs même que les services secrets po urraient
jouer ce rô le? D isposant d'avio ns discrets, ils peuvent tro uver des armes
sans tro p de difficultés . 0 '0l! cette question: le gouvernement veut-il
se défausser de ses responsabili tés?
1. op. cit.
2 18
Tchad (2) " la prisonnière dit désert
2 19
Les dessous de la Françaftique
220
Tchad (2) : la prisonnière dt< désert
22 1
Les dessous de la Françafrique
Françoise Claustre 1 :
Je voudrais que tous les Libyens sachent com bien nous
avons été touchés, mon mari et moi, de L'accueil chaleureux
que la Libye nous a réservé. Je n'oublieraijamais ces trois jours.
[L'ancien otage parle ensuite longuement de sa cap-
tivité au Tchad, des femmes et des enfants Toubou qui ,
dit-elle, ont comp ris sa détresse et tenté de leur mieux de
l' intégrer à leur vie familial e en dépit de l'état de guerre
dans le Tibesti . Et quand on lui demande si el le ne s'est
pas sentie abandonnée par la France, elle répond de façon
lapidaire :]
Dans les conditions présentes, seul le porte-parole du gou-
vernement français peut répondre à cette question. Pour ma
part, je ne peux parler que de ce que j'ai vu, et de tout ce qu'a
foit la Libye pour moi.
1. Faya"d , 1990.
223
Les dessous de la Françaftique
1. Vo ir chapitre XIII.
224
Tchad (3) : l'imbroglio
1. op. cit.
225
Les dessous de la Françaftique
226
T chad (3) : l'im broglio
ancienne colo nie. Par conséquent, il est décidé d 'aider Hissène H abré
à reconquérir le po uvoir. Les services français commencent à livre r des
armes à ses fo rces toujo urs repliées au Soudan. Une initiati ve qui n'est
pas dénuée d'arrière-pensées. On sait depuis plusieurs années que le sous-
sol tchadien est riche en pétrole et il se murmure que d ans le No rd , il
y aurait aussi la présence d ' uranium. II n'est donc pas seldement ques-
tion de se baga rrer po ur quelques arpents d e sable et d e cailloux.
I.:arrivée au po uvoir des socialistes en France est susceptible de chan-
ger la donne. La gauche anno nce à grands cris qu'elle entend en finir
avec la politique néocolonialiste de ses prédécesseurs si longtemps incar-
née par Jacques Foccarr. Mais fin alement le réalisme, c'est-à-dire essen-
tiellem ent la défense d e nos intérêts, l'empo rte sur la morale.
En attendant, le nouveau gouvernement français, qui découvre avec
un certain eflàrement l'imbroglio tchadien, tente d'y mettre un peu d'ordre.
227
Les dessous de la Françafrique
228
Tchad (3) : l'imbroglio
229
Les dessous de la Françaftique
230
Tchad (3) : lïmbroglio
rat o rga nisé selo n tou te vraisembl ance par les serv ices secre ts de
Kadhafi, ne décolère pas. Et ce n'est pas l'annonce d' une prochaine
re nco ntre entre le colon el et le président français qui éta it suscep-
tibl e de le calmer 1
Cerre entrevue se déro ule en C rère au mois de nove mbre 1984.
Mais malgré les belles paroles qui sont échangées, Mitterrand se rend
rapidement co mpte que Kadhafi n'a to ujo urs pas l'intention d'éva-
cuer le nord du Tchad. Pourrant, Paris se refu se enco re à y mener un e
guerre. Certes, o n promet à Hissène H ab ré qu'on ne le lâchera pas.
Ma is il n'est pas question d'aller plus loin . D 'aurant que des nouvelles
très préoccupantes parv ie nn e nt à Pari s. l'a rm ée tchadienne co m-
mandée par le général Idriss Déby aurait perpétré des massacres au
sud afin de mater les codas (une abrév iation po ur « co mm andos »),
des rebelles qui COntestent le régime nordiste de Hissène Habré et sont
considérés par N'Djamena comme étant des alliés objectifs de la gué-
rilla du Nord dirigée par Weddeye. La brutale intervention de l'armée
tchadie nn e a surto ut touch é les popul at io ns civiles : manifestement,
il fallait terroriser tous ceux qui po uva ient être tentés de venir e n aide
aux rebelles.
La patrie des droits de l'homme, com me elle aime à s'appeler, peut
difficil ement ap prouver. Même si cerre réprobation est teintée d' une
grande hy pocrisie. Car n OliS e ntretenons une garnison à N 'Djamena Ct
nos agents secrcts sont toujours présents. Ma is les exactio ns comm ises
au sud permettent à Paris de justifier sa décision de ne pas s'engager
militairement contre les Libyens.
Au déb ut de l'année 1986, on assiste à un e nouvelle offensive de
Goukouni Weddeye qui franchit la fameuse ligne rouge. Paris peut di f-
fi ci lement laisser faire sans perdre la face. La seco nde opération mili-
tai re françai se au Tchad, J!.pervier, est lancée. Ll France envo ie des cen-
ta in es d'hommes et de no mbreux équi pem en ts mili tai res. Avec l'aid e,
il faut le souligner, de l'aviation américaine. À l'occasion, les États-Un is,
trop contents d'a.ide r la France, ne se privent pas de lui fa ire comprendre
qu'cl le manque cruell ement de moyens de transporr pour les in ter-
ve n tio ns à lo ng ue dista nce.
23 1
Les dessous de la Françaftique
Lorsque les forces françaises sont à pied d'œ uvre, nos chasseurs-bom-
bardiers attaquent une base libyenne au nord du T chad. Pu is les troupes
tchadiennes de Hissène H abré, puissamment aidées par les Français et les
Am éricains, entrent en action. Elles vont peu à peu triompher des Libyens.
Ça leur est d'aurant plus facile qu'un surprenant renversement d 'al liance
- un de plus - se produit. Goukouni Weddeye se fâche avec Kadh afi et
annonce son intentio n de se rapprocher de son vieux rival, H issène Habré.
Ce dernier gagne do nc la guerre du Nord à la faveur de ce rebondissement.
E n septembre 1987, le colonel Kadhafi est contraint de signer un
cessez-Ie-fcu. Ce qui met fin très provisoirement aux troubles.
Mais avant de voir la suite, il faut évoquer un point très curieux. Si les
Français ont longtemps hésité à s'engager militairement, les Américains n'ont
pas eu ce ge nre de scrupules. Aidant de plus en plus le régime de Hissène
Habré (,m saurien qui doit être mis en parallèle avec la volonté to ujours plus
affirmée du président Reagan de se débarrasser physiquement du colonel
Kadhafi '), ils ont aussi mis au point un programme très secret dont les
Français n'auront connaissance que très tardivement. Il s'agissait de créer une
véritable armée libyenne anti-Kadhafi, nom de code, Haftar, du nom de l'of-
fi cier qui a été choisi pour commander cette armée secrète. Cette troupe,
formée par des soldats libyens fai ts prisonniers, des hommes retournés et des
exilés libyens en provenance de différents pays arabes, a été entraînée par des
Bérets verts américains et des agents de la C IA. C1Sernée près de N 'Djamena,
à la barbe des militaires fran çais présents, elle a regroupé à peu près six
cents combattants qui, parachutés ou infil trés à partir de la Tunisie ou
de l'Égypte, devaient participer à des opérations de déstabil isation en Libye.
Lo rsqlle les Français apprendront bien p lus ta rd l'existence de cette
fo rce, ils auronr J>impress io n d'avo ir été trahis par Hissène Habré. Ce
ne sera pas sans conséquence sur le destin de ce dernier qui sera fin a-
lement lâc hé par Paris' .
1. En 1986 , les Ëra ts-Un is bo rnbard ero nrTripo li et la rés idence de Kadh afi . Ma is
le leader libye n en réc happera, au grand dam de Reagan.
2. l'ancien pat ron de la DGSE, Claude Sil ben..a hn , co nfirm e dans so n li vre, Ail
cœu r du secret (Fayard, 1995), que Paris a bien abandon né Habré parce qu'i l avai t trah i
la France en « jo uant da ns so n dos avec les Am éri ca in s ».
232
Tchad (3) : l'imbroglio
Malgré son échec Kadhafi ne reno nce pas à se mêler des affaires rcha-
dien nes . Ne serair-ce que parce que la question de la bande d'Aouzou
est touj ou rs en suspens et ne sera réglée qu'en 1994 par la Co ur de
justice internationale qui décidera que ce rcrrÎroire appartient au Tchad.
Le cessez-le-feu est donc rapidemem rompu par le bouillant colo-
nel. Mais le Tchad et la Libye ne tardent pas à se rabibocher et réta-
blissent même leurs relations diplomatiques en 1988 . Un apaisement
bienvenu pour Hissène H abré qui a fort à faire dans son propre pays.
Au sud , ça bouge toujours. Et le N igeria n'y est pas vraiment étran-
ger. Mais c'est à l'est que la situa tio n est la plus préoccupante. De nom-
breux opposam s a m trouvé refuge au-delà de la frontière avec le Soudan,
c)est-à-dire au Darfour. Ils y sont comme chez eux car ils appartiennent
aux mêmes ethnies que les populations autochto nes .
Ces opposams som presque naturellement soutenus par Kad hafi qui
les équipe en matériels. Une aide qui leur permet d'effectuer de fré-
quentes incursions au Tchad.
En même temps, Hissène Habré gouverne d'une main de fer, empri-
sonne à tout-va et ordonne de no mbreuses exécutio ns : sous son règne,
plus de quarante mille Tchadiens SOnt éliminés . Ce qui ne manque pas
de préoccuper Paris, co mplice indirect de ces exactions en raiso n du
saurien officiel que la France accorde au président tchadien. Mitterra nd
233
Les dessous de la Françaftique
234
Tchad (3) " lïmbroglio
235
Les dessous de fa Françafrique
Habré comprend très vite qu' il a perd u la partie et n'attend pas l'en-
trée des troupes de D éby pour s'enfui r, non sans avoir préalablement raflé
rour ce qui resrait dans les caisses de l'État tchadien. Il se fixe d'abord au
Cameroun puis au Sénégal où il séjourne toujours, malgré les charges qui
pèsent sur lui et les plaintes déposées en particulier par une association de
victimes de la rorture. Sera-t-il jugé un jour' ? Certainement pas au T chad
oü son successeur Idriss Déby n'a sans doute pas envie d'un tel procès qui
risquerait de le mettre personnellement en cause en raison de sa longue
proxilTuté avec l'ancien dirigeant.
1. op. cit.
2 . Néa nmoi ns, la justice tchadienne vient de condam ner Hissène Habré à mort par
con rumace. Mais ce sont les Sénégalais qui le jugeront à la demande de l'Union afri-
cai ne: il est accusé de quarante mille assassinats ct de deux cent mille cas de torture.
236
Tchad (3) : l'imbroglio
237
Les dessous de la Françaftique
François-Xavier Verschave ! :
[Lauteur évoque lin rapport d 'Amnesty International
de 1996.]
Les autorités françaises affirment que leur mission est
de restructurer Les forces de sécurité tchadiennes. Cependant)
1. Noir Procès, Lc~ Arènes, 2001. Le 1ivre de François-Xavier Vcrschavc ct Laurent
Beccaria a été atraqué par Idri ss Déby po ur offen se à ch ef d't.rac Mai s le présidenr
tchad ien a été débouté.
238
Tchad (3) : l'imbroglio
239
Les dessous de la Françafriqtte
240
Tchad (3) : l'imbroglio
241
Les dessous de La Françafrique
1. La Banque mondiale, rcprochanr à Déby de ne pas tenir ses promesses, finÎ r par
lâcher le T chad en septembre 2008, non sa ns avoir exigé le rcmbo ursc menr d'un
prêt de cinq cents mi llio ns de dollars.
2 . Vo ir Le terrorisme islamique, Monsi eur X - Parrick Pes nor, collecti on « Les
Dossiers secrets de Monsi eur X », Nouveau Monde édicions, 2008.
242
Tchad (3) : l'imbroglio
243
Les dessous de la Françafrique
Même l' un de ses adversai res politiques les plus réso lus, Laurent
Gbagbo, l'actuel président ivoirien, lui a rendu hommage à l' heure de
sa mort. JI a parlé de la chuœ du « plus grand baobab » . Ainsi en France,
lors de la disparition du général de Gaulle, avait-on évoqué « le chêne
qu'on abat ». Une comparaison qui ne doit ri en au hasard. Les deux
hommes étaient proches, s'estimaient et entendaient pareillement incar-
ner leur pays. Le « Vieux », co mme on appela it fami lièremen t le pré-
sident Houphouër-Boigny, a régné pendant plus de trente ail s sur la
245
Les dessous de la Françafrique
246
Côte d'Ivoire ,' le miracle et le chaos
1. Sym boliqu ement , Félix H ouph ouër ajoure ra Boigny à son n OIll, c'es r· à,·dirc
«béli er » en baoulé.
247
Les dessotts de la Françaftique
Ce chef, qui n' hésitera jamais à revendiquer sa ruralité, est donc riche.
Au fil des ans, il ne cessera d'a rrond ir sa pelote. On dira mêm e, vers
la fin d e Sa vie, qu' il était l'hom me le plus riche d 'Afrique.
E n 1944, il crée le SAA, le Syndicat agricole africain , une o tgan i-
sa tion de planteurs naru re llement antico lo nialiste et antiraciste. C'est
à cette époque qu' il s'engage vraiment dans le combat politique et
devient Ho uphouët-Boigny. La conférence de Brazzaville de 1944 ayant
prévu la représentation d es colonies au Parlement, Houphouët- Boigny
est élu fin 1945 député de la Côte d 'Ivoire à l'Assemblée constituante
fran çaise. Son syndicat do nne naissance au Parti démocratique de Côte
d 'Ivoire, le l'DC I, un parti qui seta tOujours à sa dévotion . En 1946,
nouvell e étape c ru ciale, il est à l' init iat ive d ' une lo i abolissa nt le tra-
vail fo rcé dans les colo nies. H o upho uët-Boigny, compagno n de tOute
du parti communiste fra nçais, est alors considéré par les colons comme
un homme dangereux, un agitateur.
À la fin des années 1940, son parti o rga nise grèves et manifestations,
autant d'actions vio lemment réprimées par le pouvo ir co lo nial et cau-
sant de no mbreux mOrts .
Riche p lanteur, Houphouë t-Boig ny n'est pas lui- même inquiété.
D 'ailleurs, il ne tarde pas à tOurner casaque. Rompant avec les com-
munistes, il se rapproche d e la ga uche modérée et adh è re mê me à
l'UDSR, le parti de Fra nçois Mitte rra nd, un homme politique dont
il sera tO ujo urs très ptOche.
Cette évolutio n s'exp lique aisé ment. S'il était proche des commu-
nistes, c'était à ca use d e leurs positions a nticolonialistes. C hassés du
go uvernement, ils ne lui sont plus utiles. En outre, la guerre froide ayant
d éjà co mm encé, H o uphouët-Boigny a déjà ch oisi so n cam p, ce sera
l'Oues t. Ce changement de position va de pair avec un autre reviremenr
politique. C ontrairement à la plupart des principaux leaders africains
qui demand ent un e indépendan ce imm édiate, il envisage déso rmais
une tran sitio n e n do uceur au sein de J'ensemb le françai s, sa ns rup-
ture. Il préfère do nc coopérer pour mieux préparer l'avenir. H ouphouët-
Boigny e ntreti ent d es liens très étroits avec les milieux d 'affaires, ras-
surés depuis qu'il s'est éloig né des co mmunistes . Sa fortune est aussi un
248
Côte d'fvoire " le miracle et le chaos
gage de tranqui lli té! D ès 1957, il est le plus riche planteur de cacao
et de café de Côte d' Ivoire.
Aux côtés de Gasron Defferre, Houphouët-Bo igny travaille à l'éla-
boration de la loi-cadre qui prévoit l'auto nomie des colonies. En même
temps, il e lltre au go uvernem ent frança is e t se ra ministre sans inter-
ruption jusqu'en 1959. Il est do nc naturellement l' interlocuteur ivo i-
rien de Paris. Le seul!
Attaché au développement éco nomique et à la modernisat io n, il
estime main te nan t qu'il ne peut arri ver à ses fin s qu'en préserva nt le li en
fi lial que la Côte d'ivoire entretient avec la métro pole. Et c'est malgré
lui qu' il proclamera l'indépendance de son pays en 1960 .
Le Monde ' :
Pressé par François Mitterrand, jeurle ministre de la
France d'outre-mer. qui veut foire accepter par Les coLons la
nouvelle politique africaine, Houphouët est contraint de don-
ner de multiples gages de collaboration à l'administration.
fl ira jusqu'à dire, en J955 : « Il n'y a pas, il ne peut y avoi,.
d'action utile en dehors de la Coopération. » Cette collabo-
ration rapporte des dividendes. Même si les brimades admi-
nistratives se poursttivmt encore quelque temps, Houphouët
remporte, en J956, lm très net succès électoral. Pourtant,
encore une fois, il se trouve un peu à contre-courant, à Lëpoque
de la loi-cadre et de la mOrltée des nationalismes africains, au
lendemain de Diên Biên Phu et des débuts de l'insurrection
algérienne. Il n'est alors guère fovorable à des réformes. En
revanche, à l ëpoque où la Côte d'lvoire est devenue la « 1Iache
à lait» de l'Aj;';que-Occidentale française, il se foit de pllls
en plus l'avocat des colons français locaux et des planteurs ivoi-
riens, en voulantjouer les seules cartes du territoire. Il ne tolère
pas, en effet, que ceilli-ci «porte à bout de bras l'A-OF », et
préconise « une adhésion directe de chaque t'tat fi la
249
Les dessous de la Françaftique
25 0
Côte d'Ivoire,' le miracle et le chaos
tions pour sa parrie. Ce libéral , au moins sur le pla n économ ique, veut
an Îrer des in vestisseurs chez lui, rant il est persuadé que ces capitalistes,
attirés par les facilités qu'o n leur offre, finiront pa r enrichir la Côte
d'Ivoire et donc ses nationaux.
Lorsq u' il est arri vé au pouvoir, ce pays agr icole qui dépendait érroi-
remem de la France pour ses ex portations était totalement sous-équipé :
peu d 'écoles et d 'équipements collectifs, et pratiquem e nt pas d' indus-
trie . En ouvrant large ment la Côte d'Ivo ire aux invest isseurs étran-
ge rs, essentiellemem français, il fait don c le pari du libéra lisme. Non
sans clairvoyance, il proclame qu'il va ut mieux créer des richesses que
de partager la misète. La Côre d' Ivoire, manquant no n pas de btas m ais
de cadres, doit par co nséq uent attirer chez elle des hommes d 'affai res
et des gens compérents capables de dévelo ppet le pays.
Sur le plan de la sécutité, Houphouët-Boigny n'est pas moins clairvoyant.
Et d'abord parce qu'il se méfie instinctivement des militaires, trop souvent
tentés par les coups de force. Aussi décide-t-il que l'armée ivoirienne sera
réduire au minimum, qu'elle sera surveillée par le pouvoir politique, mais
surtour par les troupes françaises qui resterOnt sur place er l'encadrerom.
Et il est vrai que jusqu'en 1999, l'armée ivoirienne ne sortira de ses
casern es que lorsque le pouvoir le lui demandera. Revers de la m édai lle,
la sécurité de la CÔte d' Ivoire dépend de l'armée française. Un traité entre
les deux pays prévoit même que la France in tervienne militairement si
elle estime que ses intérêts so nt menacés. En d'autres termes, la colo-
nisation perdure m ais H o uph ouët-Boigny n'en a cure tant il est persuadé
que l'avenir d e so n pays réside dans une étroite coopération avec Paris.
flu rri o mphalem em président de la République, il a aussi pris so in
de faire adopter une constitution taillée à sa mesure. Le régime est do nc
présidentiel. H o uph o uët-Boig ny peu t d écide r de tout. Et, malgré la
reconnaissance officielle du mu ltipartisme, c'est en réalité le système du
parti unique qui prévaut. Le parti du président, le l'DCI, règne sans
partage pe nda nt des d écennies. Tourefoi s, pa r prudence et à la diffé-
rence d 'autres chefs d ' f tat afr icains, H o uphouët-Boigny ne commet
pas l'erreur de se faire nommer prés ident à vie. Il n'en a d'ailleurs nul
besoin puisqu'à chaque électio n , tous les cin q a ns, il est réélu sans pro-
25 1
Les dessous de la Françafrique
1. op. cit.
252
Côte d'Ivoire : le miracle et le chaos
253
Les dessous de la Françafique
254
Côte d'ivoire: le miracle et le chaos
Dans une écono mie Ao rissante, cct affiux de migran ts ne pose aucune
difficulté. Mais en cas de retOurnement de situation, les autOchtO nes ris-
quent de se recourner contre ces étrangers qui viennent « manger leur pain »
et « prend re leur travail ». Et il est à craind re que cette réaction xénophobe
classique ne soit un jo ur exploi tée de fàçon démagogique et politicienne.
Enfin, derniers poisons : les dépenses de prestige ou « éléphants blancs »,
comme o n les appelle là-bas. C'est-à-dire des investissements surdimen-
sio nnés qui accro issent la dene extérieure de la Côte d )[vo ire Ct favori-
sent la corruptio n. L1 fameuse basilique de Yamoussoukro est l'exemple
le plus caricatural. H ouphouët-Boigny a beau prérendre qu' il a payé de
sa poche la construction de cette réplique de Saint-Pierre de Rome dans
son village na tal, il est certain que le Trésor ivoirien a aussi contribué à
construire ce monument démesuré bâti en pleine brousse ct qui a calI té la
bagatelle d'un milliard et demi de francs. Une dépense si choquante que
le pape a dû se fai re tirer l'oreille pour venir consacrer l'édifice.
En to ut cas, quand arri vera la crise écono mique mondiale au début
des années 1980, to us ces poiso ns produiront leurs sinistres effets.
Auparava nt, il fa ut souligner co mbien la Côte d'Ivoi re a été « ins-
trumentalisée» par la France. Il en a été ai nsi lors de la crise guinéenne',
lorsqu' il s'est agi de corriger Séko u Touré, l' ho mme qui avait osé dire
no n au général de Gaulle. Une provocation que H o upho uët-Boigny
a vécu co mme une véritable insulte à so n éga rd. II en ira de même
avec un aut re vo isin , le G hana an glopho ne do nt le d irigeant progres-
siste et panafricain Nkrumah p rovoque presque naturell ement l'hos-
tilité d'H ouphouët-Boigny. L1 Côte d' Ivoire partici pera à tO utes les ten-
tatives de déstabilisation dirigées co ntre Nkrumah jusqu'à la chute de
ce dernier en 1966. Autre interventio n notoire de la Côte d'Ivoire dans
les affaires intérieures d' un pays africain : la tragiq ue aventure biafraise
au N igeria' .
Toujo urs en liaison avec les services français e t les réseaux Foccarr,
la Côre d' Ivo ire a parti cipé aux re ntatives de dés ta bilisatio n du prési-
1. Vo ir chapitre Vl.
2. Voir chapitre Il.
255
Les dessous de la Françafrique
Pierre Nandjui' :
Personnalité complexe du monde politique africain, rusé,
superstitieux à l'extrême et intelligent, si l'on en juge par le
rôle qu'il joua dans le démantèlement de l'unité de L'A-OF,
de l'AEF et de L'Afrique dans son ensembLe, M Houphouët-
1. Voir chapitre III.
2. Charles Taylor, ancien président libérien est aujourd'hu i inculpé de crimes contre
l'humanité ct de crim es de guerre. Il s'est rendu tristement célèbre en recru (am des
enfanrs-so ldats coupables d'innombrables mutilations sur leurs adve rsa ires ou co nsi-
dérés co mme tels. Les guerres dans lesquelles il a été engagé (au Liberia et en Sierra-
Leo ne) om eu surtout comme obj ectif l'extractio n et le commerce des diamants (les
cc Bl ood di amond s ») .
256
Côte d'Ivoire: le miracle et le chaos
257
Les dessous de La Françaftique
Deux ans plus tatd , une unité d 'élite basée à Yamo ussoukro, deve-
nue la capitale officielle de la Côte d 'Ivo ire, sort de sa caserne et occupe
la rue. Les mutins réclament le paiement de leurs soldes. Une nouvelle
fois, le gouvernement cède et leus concède quelques avantages. Les rebelles
regagnent leur caserne. Toutefois l'alerte a été chaude. E n même temps,
l'état de santé du président ivoirien se dégrade. Houphouët-Boigny, soi-
gné en France et en Suisse, gouverne, quand il le peut encore, à distance.
Cette absen ce quasi permanente déchaîne la guerre des héritiets.
Au premier rang se situe bien entend u le Premier ministre, Alassane
Ouacrara. Ce personnage, anc ie n haut fon ctionnaire international, né
en Côte d ' Ivoire, est d 'origine burkinabé, une particularité qui prendra
un peu plus tard une importance considétable.
Cependant, l'héritier naturel se nomme H enri Konan Bédié. En tant
que président de l'Assemblée nationale, il est constitutionnellement appelé
à succéder à H ouphouët-Boigny si celui-ci meurt ou se trouve dans l'in-
capacité d 'assumer ses fo nctions. Soutenu par le parti ptésidentiel,le PDC! ,
il est en outre le favori du « Vieux ». Mais il existe aussi un rroisième lar-
ron, le candidat défait en 1990 par Houphouët-Boigny, Laurent Gbagbo,
l'éternel opposant de gauche. Une contestar.io n qui a valu à ce profes-
seur socialiste d'être jeté en prison à la suite des violentes manifestations
du premier semestre 1992. Avec quelques centaines de ses partisans dont
sa femme, Simone, il a été arrêté en vertu d'une loi anti-casseurs adop-
tée en toute hâte à l'initiative du Premier ministre. li est pourtant gracié
à l'occasion de l' un des rares et brefs retours au pays d'Houphouët-Boigny.
Cette fin de règne se d éroule donc dans un climat explosif Tout le
monde pense à la succession même si perso nne n'ose en parler ouver-
te ment. Fin décembre 1993, quand le Premier ministre prend connais-
sa nce d e la gravité de l'état de sa nté du président, il obtient que celui-
ci revienne en Côte d ' Ivo ire. Mais Houphouët- Boigny, moribond, ne
quittera plus son palais de Yamo ussoukro. Il est même maintenu arti-
fi ciellement en vie tant que la question de la successio n n'est pas réglée.
À défaut d e pouvoir tenter un coup de force, les héritiers sont bien
ob ligés de res pecter la Co nstitutio n. Malgré la mauvaise humeur
d 'Alassa ne Ouattara, Bédié assure donc l'intérim du pouvoir jusqu'à
258
Côte d'Ivoire : le miracle et le chaos
François-Xavier Verschave 1 :
Les adversaires de la Françafrique nëprouvent pas une
sympathie excessive pour le candidat Ouattara. C'est un grand
ami d'Omar Bongo et de Ma rtin Bouygues, dont le groupe
s'estfoit concéder quelques-uns des principaux services publics
ivoiré" . ft apprécie les conseils du général Jeannou Lacaze.
Il a choisi pour avocat l'apologiste attitré d'Eyadéma, Jacques
Vergès, et comme communicant Max-Olivier Cahen, un ex-
prestataire de Mobutu. Sa rivalité avec Bédié est plus œdi-
259
L es d essous de la Françafrique
260
Côte d'Ivoire: le miracle et le chaos
de leur ivo irité. Les mauvais lyo iriens co mme on va désormais les appe-
ler, autant d'étrangers appelés par Houphouët-Bo igny à venir rravailler
en Côte d'Ivoire.
Les peuples islamisés du Nord se sentent solidaires de tous ces ostra-
cisés et ont le sentiment d'être rejetés eux aussi par les sudistes.
Le tribalisme gagne don c progressivement du terrain. Un véritable
feu de brousse. C'est la première cause de la crise que connaît aujour-
d'hui la CÔte d'Ivoire. M ais il n'y a pas que cet antagonisme entre le
Sud er le Nord. À l'ouest, les Bété font remarquer qu'ils SOnt les pre-
miers habitants de la Côte d'Ivo ire. Et que les autres, les Akan, groupe
auquel appartiennent les Baoulé, sont venus du G hana. Ce sont donc
des envahisseurs au même titre que les Dioula ou les Malinké issus du
lointain Sahara. Ce uibalisme est fonement tei nté de racisme ct il n'est
pas fortuit qu'un des intellectuels Bété qui propagent cette thèse soit
un laudateur du Front national français!
Les antagonismes se traL1uisent rapidement sur le terrain. Fin 1994,
par exemple, la police envahira la grande mosquée d'Abidjan au pré-
rexte que les autorités religieuses soutiennent Alassane Ouattara. Lors
des contrôles policie rs, les papiers des hom mes porranr des noms à
co nsonance musulmane seront systématiquement déch irés .
Lagon ie d'Houphouët-Boigny a pris fin en décembre 1993 .
I.:élection présidentielle peut avoir lieu. En vertu du nouveau code élec-
toral, O uattara est éli miné de la compétition. Il se refuse à essayer de
passer en force. La lu tte aura donc lieu entre Bédié et G bagbo. Le cli-
mat est alo rs très tendu et on observe de nombreux actes de violence.
Des bagarres écl atent entre les différents clans. On compte plusieurs
morts. Dans ces co nditions, et pour manifester un e certaine so lida-
rité avec Ouattara, Gbagbo ap pelle au boycott des élections.
Bédié sera donc mathématiquement élu. Mais juste avant le scrutin ,
un nouveau venu fait parler de lui: le chef d'état-major des forces ivoi-
riennes, un saint-cyrien, le général Gueï. Accusé de préparer un putsch,
G ueï est embastillé tandis que Bédié est élu avec un score sralinien, plus
de 90 % des voix. M ais c'est une vicro ire à la Pyrrhus car le pays est
divisé et fragilisé .
26 1
Les dessous de la Françafrique
262
Côte d'Ivoire: le miracle et le chaos
263
Les dessous de la Françaftique
soldes. Mais, pour reprendre une formule célèbre, il ne s'agit pas là d'une
révo lte mais d'une révo lution.
Dès le lendemain , le général G ueï, l'ancien chef d'état-majo r limogé
par Bédié, apparaît à la télévisio n. En unifo rme, entouré de so lides
gaillards bien armés, il an nonce qu' une junte vient de prendre le po u-
vo ir, sans effusio n de sang. D 'ailleurs, bientô t, o n é tablit une compa-
raiso n avec la « révo lution des œ illets » au Portugal.
Bédi é a beau lancer un appel à la résistan ce, il n'est pas entendu.
Le putsch de G ueï est bien acc ueilli dans le pays, à l'exceptio n bien
sûr des Baoulé qui Ont perdu leur champion.
Si les jeunes mutins sont allés sortir G ueï de sa retraite pour prendre
la tête du mouvement, ils ont vraisemblablement agi à l'initiative de cer-
tains éléments de nos services secrets. Ou peut-être même d'officiers fran-
çais ptésents en Côte d' Ivoire. Gueï, ancien sai nt-cyrie n qui a F.1it l'École
de guerre à Paris, est en effet très bien vu des cercles militaires français.
Paris a donc anticipé. On y savait que le régime ivoirien était prêt
à to mber comme un fr uit trop mûr. Mais il n'y a pas eu unanimité au
sommet de l'État, en cette période de cohabitation! Si, à l'Élysée, on
a été tenté d 'envoye r des re nforts militaires po ur sauver Bédié, à
Matignon, au co ntraire, on a laissé faire. Quoi qu'il en soit, la Fran ce
évacue discrètement Bédié et ne co ndamn e pas. D 'autant que le géné-
ral Gueï, qui dénonce la co rruption et l'appauvrissement de son pays,
promet la tenue rapide d'élections libres et transparentes, ce que pro-
mettent rous les militaires qui arri vent au pouvo ir. Mais le chef de la
jun te, lui , va tenir parole.
En attendant, pendant quelques mois, on peut penser que la Côte
d'l yo ire va recouvrer la paix e t en finir avec les co n Airs tribaux. Toutefois
ce ca lme est trompeur.
D 'abord parce qu'il ya eu un putsch, pour la première fois dans l'his-
ro ire de la Côte d' Ivoire. Un précédent dangereux même si l'opinion
s'accorde à penser que le régime de Bédié était détestable et devait être
renversé. Ensuite, les poisons semés par le pouvo ir ne peuve nt pas dis-
paraître d'un seul coup de baguette magique. Très vite, les co nAi ts eth-
niques ne tardent pas à réapparaître.
264
Côte d'ivoire: le miracle et le chaos
265
Les dessous de la Françafrique
regagne son village tandis que Gbagbo est p rocla mé vainqueur de l'élec-
tion préside ntielle.
Mais ce n'est pas la paix.
Les partisans de Ouattara estiment que leur candidat a été scandaleLl-
sement évincé de la com pétitio n. Ils réclament donc de nouveUes élections.
Le jour même où le président G bagbo prête serment, de jeunes par-
tisans de Ouattara se mettent en marche vers le centre-ville d'Abidjan . Les
ge ndarmes ivoiriens o pèrent préventivement des rafles dans les bidonvilles
et embarquent des musulmans et des étrangers, Maliens, Burkin abés,
G uinéens, etc. Dans une cour où habitent des Dioula, l'ethnie du No rd
dont es t originaire Ouau ara, il se produit une ri xe entre les gendarmes
et les habitants. Un militaire est tué ! D ès que la nou velle est connue à
l'état-major, les gendarmes décident d'opérer des représailles. U n véritable
massacre : cinq cents nordistes sont tués. On retrouvera les cadavres d'une
soixante d'entre eux enterrés dans un charnier à Yopougon.
Après un te! drame, il est d iffici le de prêcher la paix et la réconci-
liat io n, d'autant que peu après Ouauara est interdit de partic iper au x
élections législatives. Ce qui provoque d e nouveaux heurts ttès violents
entre ses partisans e t les ge ndarmes. D éso rma is d ans la moitié no rd
du pays, des Ivo iri ens évoquent o uve rtement la partition du pays.
G bagbo ne fait pas grand-chose pour ca lmer le jeu. Quelques
sema in es plus tard, a u d ébu t d e 2001 , d es milita ires Dioula tentent
un pU[$ch. Ils écho uent après une bata ille de plusieurs heures qui les
o ppose aux gendarmes. Mais ils parviennent à s'enfuir au Burkina Faso.
La suite est connue. Les tro upes rebeUes triomphent dans le nord du
pays, le général Gueï est assassiné. Et dans un pays au bord de la séces-
sion, Paris envoie des troupes. COpératio n Licorne doit d'abord consis-
ter e n un e force d'in terpos ition . U n insrant, les acco rds de Marcoussis
laissent espérer la paix. Mais ils ne sont jamais vraiment appliqués.
Puis il y a l'attaque aérienne d 'un camp fran çais à Bouaké. NeLLf mili-
taires fran ça is so nt tués. Le président Gbagbo est soupçonné d 'avoir
comma ndité l'opération. Mais l'enquê te, tant du côté fran çais qu' ivo i-
ri en, pi ét in e et se heurte de part et d 'autre à la raiso n d'État. En rout
cas la ripos te d e l'a nnée fran çaise es t foudroyante: elle an éant it la
266
Côte d'Ivoire: le miracle et le chaos
267
Les dessotts de la Françafriqtte
qu' il veut ouvtit le marché national. La Côte d'Ivoire ne doit plus être
la chasse gardée de la France. Et il cligne de l' œil en direction des États-
Unis où , depuis longtemps, on veut tailler des croupières aux Français
en Afrique.
À Paris, les propos du président ivo irien sont reçus très défavora-
blement. Alors de là à penser qu'on n'a pas été méco ntent de voir le
po uvoir de Gbagbo menacé par les rebelles ... Un chantage dont Paris
détenait peut-être les clés.
Il faut simplement observer que depuis, les grandes entreprises fran-
çaises, Bouygues, EDF, France-Télécom, Bolloré, etc., ont signé de très
juteux contrats avec la Cô te d'Ivoire. Et sont don c revenues e n force
dans le pays. Comme si Gbagbo avait reçu le message.
Mais il reste que la Côte d'Ivoire demeure un État fragile où, à tous
moments, la guerre peut reprendre malgré la réco nciliation in terve-
nue entre les belligérants. Et même si les tensions locales se so nt aujour-
d'hui déplacées vers le centre de l'Afrique.
Laurent G bagbo, longtemps soupçonné de vo uloir reporter ad vitam
aeternam l'élection prés identiel le, a enfin fi xé la date du scrutin à la
fin du mois de novembre 2008. Et, parallèlement, pour donn er satis-
factio n aux instances internationales et apparaître dans son propre pays
comme le « Monsieur Propre» de la Côte d'Ivoire, il a donné un grand
coup de balai dans la fili ère cacao, allant même jusqu'à jeter en priso n
des notables de so n propre parti . Mais jusqu'où pourra aller cette opé-
ration vérité, puisque dans son entourage proche des personnes sont
suspectées d'avoir participé à l'élimination physique du journaliste Guy-
André Kieffer, coupable à leurs ye ux de s' intéresser de trop près au co m-
merce des précieuses fèves, et que la propre épouse du président, Simone
G bagbo , refuse roujours de déférer aux convocations du juge d' ins-
truction fran çais chargé d'enquêter sur cette mystérieuse affaire?
XVI
Ex-Congo belge: 1) Rapt en plein ciel
269
Les dessous de la Françafrique
1. Vo ir ch apitre xv.
270
Ex-Congo belge : 1) Rapt en plein ciel
protection qu i lui attire des inimitiés. Les Belges considèrent que l'ar-
ri vée des Américai ns représente une me nace pour leurs in térêts éco-
nom iques, d'auta nt que Mobutu a anno ncé son iluentio n de natio-
naliser l'Uni o n minière. Mais il y a aussi les Français que rien de ce
qui touche l'Afrique francop ho ne ne peut laisser indi fférents. Malgré
la tache de l'assass in at de Lumumba 1, Paris continue d'aider en sous-
main l'ex-président katangais. D 'autant que l'ascensio n de Mobutu ,
l'homme des Américains, irrite. En Afrique, la concurrence est déjà rude
entre les États-Unis et la France.
Enfin, parmi les alliés de Moïse Tschombé se trou vent toujours les
protagonistes de la consp iratio n qui a abouti à l'assassin at de Dag
Hammarskjiild, le secrétaire général de l'ONU . Ils so nt toujours là,
ils n'ont pas renoncé, et ils bénéficient to uj ours du soutien de l'Afrique
du Sud et des Portugais . Une fois de plus, ils pensent que Tschombé
peut être l'homme qui leur permettra d'édifier un Katanga indépen-
dant, farouchement anticommuniste ct dominé par le pouvoir blanc.
Patrice ChairofP :
[Cet auteur au passé plurôt trouble évoque la tenta-
tive de Tschombé de revenir au Co ngo. 11 s'agissait d'un
plan de reconquête, le plan Kérillis, mis au point par le
Congolais et l'un de ses conseillers, professeur à l'univer-
sité de Liège, M. C lemens.]
Conscient de la carence de son entourage, le leader katan-
gais a fait appel à une centrale contre-révolutionnaire, basée
à Lisbonne, dont la raison d'être est d'opposer à l'appareil sub-
versif de la Tricontinentaie du tiers-monde une autre
Tricontinentale, musclée, offimive, résolument anticommu-
niste, décidée à agir sur tous les théâtres d'opération contre les
forces marxistes, qu'eiies soient d'obédience chinoise, castriste
ou soviétique. C'est la centrale camouflée sous les activités
27 1
Les dessous de la Françafrique
272
Ex-Congo belge : 1) Rapt en plein ciel
273
Les dessous de la Françafrique
274
Ex-Congo belge: 1) Rapt en plein ciel
275
Les dessous de la Françafrique
Pierre Canavaggio 1 :
276
Ex-Congo belge : 1) Rapt en plei" ciel
277
Les dessous de la Françafrique
Officiellement, il s'agit de l' une des plus belles pages de l' histoire
de l'armée française ... Le 19 mai 1978, les paras de la Légion sau-
tent sur Kolwezi, une ville minière du Shaba, ex-province congolaise
du Katanga. En quelques heu res, ils libèrent les otages européens,
pour la plupart des cadres des entreprises industrielles et leurs
familles, et mettent fin aux massacres perpétrés par les Katangais.
Cette action éclair parfaitement menée arrive à point nommé pour
redorer le blason d' une armée qui vit toujours dans le douloureux
souvenir des guerres perdues d' Indochine et d'Algérie.
Mais la réalité est beaucoup plus complexe. Non pas que cette
action militaire ait été magnifiée à tort, mais les objectifs poursuivis
par les différents protagonistes de cette affaire n'ont jamais vraiment
été éclaircis. La France, par exemple. A-t-elle agi en fonction de buts
humanitaires o u pour protéger d 'autres intérêts? Et que penser de
la curieuse attitude du gouvernement belge ? Ou de l'intervention du
bloc de l'Est, représenté sur place par des soldats cubains et des ins-
tructeurs venus tout droit de RDA?
279
Les dessous de la Françaftique
Le Monde' :
Médiocrement soutenu par ses prétoriens, le général
Mobutu doit foire foce à l'apathie ou à l'hostilité de ses conci-
toyens. La corruption générale qui sévit dans la fonction
publique, la flic;'euse réputation du chefde l'État lui-même,
qui passe pour l'un des hommes politiques les plus fin·tunés du
tiers-monde, menace gravement la pérennité du régime. Le
cuivre représente les deux tiers des ressources du pays en devises
étrangères et place le Zaire au sixième rang des producteurs
mondiaux de ce minerai. D éjà mauvaise du fait des excès
de l'endettement extérieur et par suite de l'accumulation des
dépenses de prestige, la situation financière de l'État mirois
serait catastrophique si les gendarmes katangais s'emparaient
de Kolwezi. Dans certains milieux diplomatiques européens
et africains, on parle même avec insistance d'un voyage à
l'étranger du général Mobutu au cours duquel il pourrait
décider de se retirer dans tune de ses luxueuses résidences de
Belgique, de Suisse ou de France.
1. Vo ir chapitre XVl.
2. Ëdito rial de mai 1978.
280
Ex-Congo belge: 2) Le le"rre de Kolwezi
Katangais ou des descendants de ces hom mes qui , après avoir combattu
pour Tschombé, ont trouvé refuge en Angola et créé un mou vement
armé d'oppos ition. Ce Front national de libératio n du Congo est dirigé
pat un ancien commissaire de po lice de Kolwezi, Nathanaël Mbumba.
Cependant, Mobutu n'a pas entièrement tort dans la mesure Ol!
ces hommes ont été matériell ement aidés et équipés par les C ubains qui
se trouvent en Ango la et, bien sCi r, par les Soviétiques. En tout cas, l'ac-
tion militaire de ces envahisseurs a suffisamm e nt d'enve rgure pour
inquiéter Mobutu, qui s'avère incapable d 'y faire face tou t seul. Le pays
est déjà en pleine déliquescence, la corruption est généralisée et l'armée
zaïroise fréquente plus souvent les bars que les champs d e manœ uvre.
Mo butu cherche donc de l'aide à l'étranger et se tourne ve rs la
France. O n peut se demander pourquoi il ne s'adresse pas à la Belgique,
l'ancienne puissance coloniale. C'est sa ns doure parce qu' il s'en méfi e.
Il n'a pas tout à fait tort : l'attitude des Belges n'est pas très claire dans
cette affa ire. Nos voisins possèdent enco re d'éno rmes intérêts au Shaba
et les dirigeants de l'ancienne Union minière, qu i s'appdle désormais
G~ca min es, n'o nt pas renon cé à l'idée d'un Shaba indépendant, mais
sous inRuence belge, ce qui leur permettrait d'avoir la haute m ain sur
l'explo itation des ressources de la province.
Sollicité par son homologue zaïrois, le président G iscard d 'Esta ing
refuse une action directe de no n e armée mais se décide prêt à coor-
donner une intervent io n africa ine. Il réussit ainsi à conva incre Hassan
1r d 'envoye r au Shaba des troupes convoyées par des avions français ...
Lopération est un succès. Les troupes marocaines [[iomphent assez f.'lci-
Jemellt des Katan ga is. Mais à l'évidence, cette facile victO ire ne réso ut
rie n. Les rebelles, qui se sont repliés e n Ango la, recommencero nt Ull
jour o u l'autre. Mieux, les me illeurs spécialistes d e l'Afrique pensent
que les Katangais ont effectué une sorte de répétition avant un retour
encore plus musclé. Ce qui se produit le 13 mai 1978. Ce jour-là, des
so ldats katan gais in vestissent sa ns coup fér ir la ville de Ko lwezi.
La localité est l'un des principaux centres m inie rs du Shaba, une
grosse bourgad e de qu inze m ille habitants, dont d eux à trois mille
Européens, principalement des Belges, mais aussi des Français. En 1977,
28 1
L es dessous d e La Françafrique
les rebelles n'avaient pas pu prendre la ville, mais cette foi s-ci l'opéra-
tion a été habilement menée. Ils sont venus à pied à travers la brousse
et les habitants ont été p ris au dépourvu.
Parmi les assai llants, on compte des C ubains et quelques Allemands
de l'Est. M ais assez rapidement, cet encadrem ent politiqu e et mili-
taire disparaît. C es offi ciers sont-ils rcpassés de l'autre côté de la fron -
ti ère, laissant les so ldats katan gais à e ux- mê m es ? Ou ont-ils poursuivi
un autre obj ectif ? E n tout cas, pour l'instant, ce départ subit est l'un
des grands mys tères de cette affaire.
À Kinshasa, Mobutu pense qu' il a les moye ns de mater la rébel-
lion. Il se trompe lourdement. Trois jours après la prise de la cité minière,
une compag nie parachutiste zaïroise es t larg uée au-dess us de Kolwezi.
C'est un massacre. Les pauvres bougres sont tirés comme des lapins à
peine arrivés au sol. Le désastre est total. Le gé néral Mobutu doit donc
se résoudre, comme la première foi s, à f.,ire appel à des forces extérieures.
Il voudrait bien rééditer l'inte rvention marocain e, mais H assan Il n'est
pas chaud. À Btuxelles, même refus. Les Belges n'ont qu'une idée : sau-
ve r leurs intérêts au Shaba. Ils préfèrent une négociation à un affronte-
ment qui risquerait de leur faire tout perdre et les dirigeants de Gécamines
s'entreti ennent en secret avec le Front national de libération du C ongo . ..
282
Ex-Congo belge ,' 2) Le leurre de Kolwezi
Bien sûr, les hommes d 'affitires belges n'ignorent pas que les Soviétiques
et les Cubains se trouvent derrière cette invasion, mais ces finan ciers pen-
sent sans doute qu'illclU' sera possible de trouver des aménagements avec
les no uveaux dirigeants. De toute façon , cela ne peut pas être pire qu'avec
Mobutu qui a nationalisé plusieurs de leurs compagnies ...
D o nc, comme en 1977 , en désespoi r de cause, le dirigeant zaïrois
appelle Paris au secours. Mais cette foi s, la réponse de la France va êtte
positive. Pou rq uoi '
Avant même cette demande d'interventio n, notre ambassadeur à
Kinshasa a réagi et aussitôt informé Paris. Il connait très b ien le pays et
est parfaitement informé de ce qui se passe à Kolwezi, par quelques agents
de nos services de renseig nement qui se trouvent sur place. Ceux-ci sont
formel s : des mass.acres contre la popu lation blanche sont en préparation.
Po ur le président G iscard d 'Estaing, la d écision eSt pourtant déli-
cate. Il n'a pas envie de d evenir le gendarme de l'Afrique, surtout dans
un pays qui n'appartient pas à la sphère fran çaise. Mais d 'un autre côté,
il ne peut pas abandonner une po pulation menacée. Il y a enfin les argu-
ments politiques . En mars, les élections législatives ont été périlleuses
et l'élection présidentielle se profile: une opération réussie redorerair
son p restige et son autorité. Cependant le risque est énorme. Si l'in-
terve ntion militaire échoue o u si elle provoque la mort de di zain es,
de centaines de soldats fran çais, elle se reto urnera contre son in iriateur.
On mesure donc la d iffi culté de la décision que le président doit
prendre. D 'au(an( qu'il doi( (rancher crès vite. Les massacres SOIl( imm i-
nents, peut-être m ême ont- ils déjà commencé. Alors, le prés ident de
la Répub lique se décide : c'est oui!
283
Les dessoltS de la Françafique
284
Ex-Congo belge : 2) Le leurre de Kolwezi
Le prés ident a de bonnes raisons d'être satisfait. Tous les obj ecti fs
om été atteints. Quant au bilan, il est éloquent : on compte seulemem
cinq morts chez les militaires françai s mais plus de trois cents chez les
Katanga is. Quoi qu'il en so it, pour évite r route complication, Giscard
d'Estaing décide l'évacuation de nos troupes . ..
Laffaire semble, en apparence, terminée, puisque la rébellion est
anéantie. Mais il reste à élucider ce grand mystère: pourquoi les cadres
cubains et esr-allemands ont-ils disparu après la prise de Kolwezi, lais-
sant ainsi les militaires katangais livrés à eux-mêmes?
La vérité, que seuls les services de re nseigneme nt pouvaient
connaître, est que la prise de Kolwezi n'était sans doute pas leur objec-
tif et qu' une foi s celle-ci effectuée, ils ont co ntinué plus loin, vers leur
but véritab le, qui était rigo ureuse ment secret. .. Une histo ire très
curieuse et passablement mys térieuse.
Au milieu des années 1970, Moburu loue pour vingt-cinq ans à une
société ouest-allemande un morceau de territoire zaïrois grand comme
le quart de la France, un e zo ne située dans le nord du Shaba. Cette
société, l'OTRAG (Orbital Transport und Raketen Aktien Gesellschaft),
construit des fusées. À sa tête se trouve un intéressant personnage, le
DrKurt Oebus, ancien directeur des essais de la base de Peenemünde,
un sire oi! l'on concevait ct fabriquait les V 1 et les V2, sous H itler. Debus
a d'ailleurs fait partie de l'état-major du Führer.
285
Les dessous de la Françaftique
286
Ex-Congo belge : 2) Le leurre de Kolwezi
289
Les dessotts de la Françaftiqtte
290
Ex-Congo belge: 3) D e Mobutu à KaWa
Che Guevara' :
Le seul homme qui ait d'authentiques qualités de diri-
geant de masse me semble être Kabila. Mais un homme qui
a des qualités de dirigeant ne peut, par ce seul mérite, mener
une révolution à bien. Il fou t encore qu'il ait le sérieux révo-
lutionnaire, une idéologie qui guide son action, un esprit de
sacrifice qui accomp agne ses objectifi. Jusquâ maintenant,
Kabila n'a pas foit la preuve qu 'il possède quoi que ce soit
de ce genre. fl est jet",e et il peut changer, mais je tiens à
Laisser, dans un écrit qui verra fa lumière dans bien des années,
29 1
Les d essous de la Françafrique
Kabi la, lui , reste au maquis et rés iste aux troupes d e Mobutu au
moins jusqu'au mili eu des années 1970. Après avoir créé un parti révo-
lutionnaire d)jnspirarion maoïsle, il organise autour de lui dans un sec-
teur montagneux et désert une sorte de phalanstère, une terre dite libre
ail, en réalité, tous ses compagnons (et co mpagnes) so nt d 'abord à sa
dévotion. GO UtoU ou tyranneau, d éjà perce en lui l' homme qui régnera
avec férocité sur la future République démocratique du Congo!
Après le maquis et cette expérience de communauté utopiste, il semble
bien que Kabila ait renoncé à la lutte politique. Mais il existe dans sa bio-
graphie de nombreuses zones d'ombre qu'il s'est bien gardé de dissiper.
Il se serait donc lancé ensuite da ns les affaires ou le trafic. KabiJa achète
et vend de l'or, des pierres précieuses et des pointes d' ivoire. On lui prête
aussi des intétêts dans des établissements un peu louches. Plus avéré est
le fait qu' il se déplace beaucoup, dans les pays voisins, mais aussi en C hine
maoïste dont il est un fervent admirateur et à laquelle il réservera sa pre-
mière et seule visite d'État lorsqu' il deviendra président.
Kabila réapparaît donc politiquement en 1996. JI l'a toujours nié,
mais ce sont les Rwandais qui le remettent en selle. A l'époque, l'homme
fort du Rwa nda, le général Kagamé, veut en finir avec les camps de réfu-
giés Hutu installés de l'autre côté de la frontière au sud et au nord de
Kivu. Al'abri de cette population misérable, les responsables du géno-
cide pe rpétré Co ntre les Tutsi en 1994' , reco nstituent un e véritabl e
armée. En oune, même si le dirigeant rwandais ne peut l'avoue r, il
entend profiter de la déliquescence du régime de Mobutu pour annexer
tOut ou partie de la région du Kivu où vivent d éjà de nombreux Tutsi
et dont le ri che sO ll s-so l suscite sa convoitise.
Kigali réclame donc à cor et à cri le d émantèlement de ces camps de
réfu giés installés au Zaïre, et menace: si on ne l'entend pas, cette ques-
tion sera réglée par la force !
292
Ex-Congo belge: 3) De Mobutu à KabiLa
293
Les dessous de la Françafrique
Certes, l'armée de Kabila parait bien hétérocl ite. Mais en face d'elle,
eUe va rencontrer des soldats zaïrois démotalisés qui ne pensent qu'à piller
et v ioler et no n pas à se battre. Quant à son chef, il ne tarde pas à s' im -
poset à ses partenaites, avec l'appui déterminant du Rwandais Kagamé '
En octobre 1996, cette force passe à l'action. Co mm e prévu, elle
co mm ence à attaquer les camps de réfug iés Hutu. Personne ne s'y
trompe: c'est bien l'a rmée rwandaise qui est le fer de lance de cette
offensive qui provoque la fuite de dizaines de milliers de réfugiés . À
cet exode (une deuxième fuite pour ces malheureux) s'ajoutent des mas-
sacres et des exactions de toutes sortes, tant les Tutsi ont so if de ven-
geance. li s'ensuit donc une véritable boucherie.
Malgré le peu d'empressement de la communauté internationale, le
secrétaire général de l'ONU, Kof, Annan, nomme un e commission
d'enquête. Le rapport qu'elle rédige accuse explici tement Kabila, mais
auss i le président rwandais Paul Kagamé, de crimes contre l'huma-
nité. Ainsi, le rapporteur chilien esti me qu'entre cent ci nquante mille
et cent quarre-vingt mille personnes ont été ruées lors de la prise du
pouvoir de Laurent-Désiré Kabila dans le Kivu.
Le Monde':
L'instabilité politique et militaire dans la région des
Grands Lacs, la crainte de l'éclatement de la République
démocratique du Congo et surtout le sentiment collectifde
culpabilité à la suite du génocide de 1994 au Rwanda oru
contribué à la décision de la communauté internationale de
ne pas harceler M. Kabila dans le domaine des droits de
l'homme.
294
Ex- Congo belge: 3) De Mobutu à Kabila
295
Les dessous de fa Françafrique
Sa vicro ire suscite un imm e nse espoir chez les Congo lais qui vien-
ne nt de subir une trentaine d'années de d ictature. Mais Kabi la déço it
très vite. Contraire m e nt à ce qu'il ava it promis, il ordonne l'arres tat ion
de tous ceux qui s'opposent à lui et, m ê me s' il en termine avec les mani-
Festations les plus visibles de corruption et de gabegie, il met en place
une adm inistrati o n tatillonne qui paralyse peu à peu l' éco nomie. Bref,
Kabila se révèle un piètre dirigeant.
Plus grave enco re, il doit sa victoire au Rwanda er à l'Ouga nda, deux
pays qu i n'ont nullclnenr l'inte ntion d'abandonne r la place et so nt
déso rma is militairem e nt présents au Congo. D es Rwandais sont inté-
grés dans les forces armées congolaises ct conseill e nt m ê me directeJn enr
le président congolais.
Rapidement, Kabila se rend compte que ses all iés ougandais er rwan-
dais SO llt d écid ém ent très e ncombrants.
Fin jui ller 1998, le prés idenr de la République démocratique du
Congo - c'est le nouveau nom du Zaïre - prend une décision lourde
de co nséquences : il demande aux troupes rwandaises de quitter le pays
ct laisse entendre qu'il annu lera certains contrats co mmerciaux passés
avec Kigali.
La répo nse du Rwanda esr quasi immédiate : au début du m ois
d'août, un e rébellion éclate au Kivu. Les an ciens alli és de Kabila au
sein de l'Alliance, les Tutsi du Kivu , so nt au cœur de ce mouve me nt
insurrectionn el. Les Rwandais ne diss imul ent pas qu'i ls se trouvent der-
rière ces troupes rebelles et arguent du même prétexte que par le passé:
la présence permanenre au Co ngo des H utu responsables du génocide
de 1994. Selon Kigali, lo rs des massacres de 1996, ce sont essentielle-
ment des c ivi ls qui ont été élim inés. Les autres , anciens mil itaires ou
mili c ie ns, DIU fui à temps. Le Rwanda exige don c que ces hommes, qui
représen tent [Qujours LIlle menace, lui so ie nt rCln is ct va m ême plus loin:
Kabila est accusé d'avoir recruté certains d'entre eux dans son armée.
En tout cas, la ré be llion , en couragée et m ê m e provo quée par le
Rwanda, rempone rrès vire des succès . Bi entôt, elle co ntrôle 40 % du
territo ire co ngo lais , à l' es t et au nord. L'ancien alli é ougandais inter-
vient à son tour. Kampala, comme Kigali, considère que l'est du Congo
296
Ex-Congo belge,' 3) De Mobutu à Kabila
f.1 it panic de son arrière-pays et qu' il peut y exploiter ses richesses. Mais
si le prés ident ougandais Museveni part icipe à la razzia, il n'engage
pas directemem son armée, préféram soutenir les rebelles du
Mouvemem pour la libératio n du Congo, diri gé par un homme d 'af-
f.1ires, Jean- Pierre Bemba.
Il résulte de ces différemes initiati ves un chaos généralisé. On assiste
à la floraison de petits partis armés, soutenus soir par le Rwanda , sOÎt
par l'Ouganda, ct qui , souvent, luttent les uns co ntre les autres.
Une no uvelle fois, les populations locales paiem le prix fan. Femmes
violées par des soudards parfois séroposi tifs, villages pillés, brûlés; réfu-
giés qui trainem sur les routes ou les pistes, brefl'ord inaire d' une guerre
civile en Afrique.
En aOllf 1998, Kabila est victime d ' une tentative de putsch. Mais il
en réchappe. Pour CO lltre r les menaces rwandaises et ougandaises, il
fait appel à d eux aurres pays africains, l'An gola et le Z imbabwe, qui
répondent aussitôt et interviennent militairement. G râce à ces deux nou-
vea ux protecteurs, Kabila réussi t in extremis à sauver sa vie et sa capitale,
Kinshasa, mais aussi la province du KasaYqui fournit au régime l'essentiel
de ses ressources grâce à l'explo itation des mines diamantifères.
Cet appel au secours a surpris tout le monde. Et pas seulement en
Afrique. À Washingto n, par exemple, al! l'on pensa it bien être débar-
rassé d' un personnage aussi incontrô lable, la Maison-Blanche a été désa-
gréablem ent prise d e court.
Cependant, l'Încervenrjon de ces deux nouveaux États africains com-
plique une situatio n déjà fort embrouillée. Car l'Angola et le Zi mbabwe
entende nt aussi recevo ir leur pan du gâteau. Ce qu'ils obtiennent:
Kabila signe de très importants COntrats commerciaux avec le Zi mbabwe
qui reçoit aussi sa part de diamants. Le cas d e l'Angola est quelque
peu différent: l' interve ntion de l'armée angolaise avait d 'abord pour
objectif de lutter contre ses propres rebelles : l'Unita de Jo nas Savim bi
qui sévit aussi au sud du Congo al! le chef rebell e a trou vé refuge.
D ès le début d e ces nou velles hostilités, l'O NU essa ie d ' imposer
un cessez-le-feu. En vain. Mais, plus sérieusem ent, Ull an plus rard, elle
réussit à réun ir à Lusa ka la plupart des belligérants. Un accord est dif-
297
Les dessous de la Françafrique
fi cilement conclu. 11 prévoit l'e nvo i de trois mille Casques bleus. C'est
très peu à l'échel le d 'un pays aussi grand et où la guerre fait rage un peu
partout. 11 a aussi été décidé que les armées étrangères devaient se reti-
rer du Congo dans un délai maximum de six mois. D élai au bout duquel
l'autorité de l'É tat congo lais serait rétab lie après l'ouverture d'un vas te
débat national auquel tous les partis participeraient, les rebelles au même
titre que le gouvernement de Kinshasa. Cela signifie que Kabila est ravalé
au rang de chef de factio n, à l'égal des autres!
Il apparaît pourtant, dès la signature d e cet accord d e Lusaka, que
perso nne n'en respecterait les termes. Kabila, affaibli, ne règne plus que
sur L1ne partie d'un Congo qui est m aintenant divisé en proœc mrars régis
ct explo ités par les puissances de la région , aucun de ces États n'ayant envie
de renoncer à la manne financière apportée par cette annexion de fuir.
La démo nstration est faite que le Co ngo, trop grand pays, abritant
une multitude d'e thnies hostiles les unes aux autres, est in go uve rnable.
Pour autant, ce morcellement du Co ngo, d 'abo rd prôné par les
Am éricains, ne peut les sa tisfa ire ca r il déstabi lise un peu plus l'Afrique
centrale. Mais il est vra i que Kabi la, qu'ils ont contribué à hisser au pou-
voir, demeure pour eux un réel problème !
Kabila es t assass iné en janvier 2001 dans des circonstan ces qui n'on t
toujo urs pas été élucidées. Si la vie de l'ancien guérilleto comporte de nom-
breuses zones d'ombre, sa mon n'est pas mo in s o bscure. Et malgré un pro-
cès- Aeuve où trente condam nations à mon ont été prononcées, on n'en
sa it to ujours pas plus sur le modus operandi de cette exécutio n. Il n'est
jusqu'à l'heure de sa mo rt qui demeure Aoue. Les autorités congolaises ont
en effet atte ndu deux jours avant d'annoncer que le prés id ent avait été
assass in é. E t, très étrangement, sa dépo uille a été tran sportée par avion
au Z imbabwe ava nt d'être rapatriée pour les obsèques. Peut-être n'était-
il pas 1110[[ e t resta.i t-ilune chance de le sauver. En tout cas, personne n'a
encore donné d 'explication crédible à ce curieux dernier voyage de Kabi la.
Au fond , dans cette affaire, le seul élément avéré, c'est que le prés ident
congolais a été victime de plusieurs coups de fe u.
fi existe cependant une vers io n officielle: le 16 janvier 2001 , Kabila
travaille dans so n buteau avec son min istre de l'Économi e, Émile Mota.
298
Ex-Congo belge : 3) De Mobutu à Kabila
C'est le rour débur de l'après- midi. Kabila n'a pas mangé parce que so n
état-major particulier aurait reçu un coup de téléphone avertissanr que
le déjeuner du prés idenr aurait été empoiso nné. Le fait n'a jamais été
éclairci. Kabi la es t à sa table de travail quand un jeune homme en uni-
forme entre dans son bureau sans être préalablement annoncé. Le pré-
sident congolais ne s'éto nne pas outre mesure. Ce jeun e ho mme,
Kasereka Rachidi , est l'un de ses gardes du co rps. Il fait partie de ces
enfants-so ldats recru tés au début de la marche trio mph ale de Kabila
vers Kinshasa, en 1996. Le président n'a donc aucune raison de se méfi er
de lui. Rachidi s'approche. Exactement, co mme s'il ava it un message
co nfidentiel à lui transmettre. Il se penche au-dessus du chef d' État.
Il SOrt une arme d'une poche de son uni fo rme et rire prat iquement à
bout portant. Puis il s'enfuit.
Toujours selon la version officielle, Rachid i est maîtrisé et jeté à terre
par d'autres gardes du corps, alertés par les coups de feu. Survient alors
le chef d'état-major particulier de Kab il a, le colonel Eddy Kapend . Il
brandit une arme, sans doute un pisrolet- mitrailleur, et crible de balles
l'assassin alors que celui-ci est déjà maîtrisé!
Kapend a-t-il voulu empêcher Rachidi de parler ' C'est en rout cas
ce que prétendra plus tard la justice. Car ce haut gradé sera accusé d'être
J'un des acteurs du complot et peut-être même so n cerveau.
Toutefoi s, selon une autre version, le colo nel Kapend aurait tiré
sur le jeune homme alors qu'il fu ya it vers les appartements privés du
président afi n d'éviter que l'assassin ne s'en prenne à la fami lle de Kabila.
Mais selon plusieurs témoignages, d'autres ga rdes du co rps se trou-
vant dans le palais présidentiel auraient eux aussi ouvert le feu. Et cer-
tains, sans doute des complices, auraient ensuite pris la fuite.
Au milieu de toutes ces allégations contradicroires, le conditionnel
est donc de rigueur. Car il n'est même pas sûr que Rachi di ait été l'as-
sass in de Kabila.
Po urrant, selon la versio n officiell e, il ex istait un té mo in, le ministre
de l'Économie. Mais Émile Mata confiera plus tard qu'on lui a dema ndé
de raconter qu'il se trouvait dans le bureau présidentiel alors qu'en [lit, il
attendait dans l'antichambre le moment d'être reçu. Encore un mensonge?
299
Les dessous de la Françafrique
M ême l'a rme du crime n'a pas été retrouvée. Cependant, si Rachidi
était vraime nt l'assassin, o n aura it découvert son arme sur lui o u à côté
de lui. La confusio n n'explique pas tout et donne l' impression d ' une
actio n concertée dans laquell e Rachidi n'a vraisemblablement été qu'un
bouc émissaire dont personne n'a été auto risé à vo ir le cadavre.
Le jeune hom me ava it-il personnellement des raisons d'en vouloir
à Kabila ? Il a é té prétendu qu' il aurait voulu ve nger l'éliminatio n phy-
sique ordonnée par Kabila de l'un de ses anciens chefs. Mais cette liqui-
dation ava it cu lieu quatre ans auparavant. Le jeun e ga rde du corps
a urait eu bien des occasions d 'assassine r plus tôt le président congo-
lais qu' i! voyait presque quotidiennement.
Reste que dans cette affaire confuse, L1n e certitude émerge: si vrai ~
me nt il y a eu complot, le co lo nel Kape nd e n était! So n attitude le
prouve. D 'auta nt que le chef d'état-major particulier du président Kabila
joue un tôle éminent dans les heures et les jours qui suivent.
Le soir m êm e de l'attentat, il se rend à la tél évisio n, ap pelle les
Congolais au calme et ordonne à l'ar mée de demeurer consignée d ans
ses casernes. Ensuite, au cours de la nuit, il prend l'initiat ive de réunir
les principaux dirigeants du régime. Le colo nel révèle à ces barons du
régime que Kabila lui a confié, quelque temps avant de mourir, qu' il
d ésirait que so n fils Joseph lui succèd e. Sa parole n'étant pas mise en
d oute, le jeun e Kabila est tappelé du Ka tanga où il exerce un com-
mandement militaire et malgré son ineXpérience politique, il est pres-
tement invité à s'asseoir dans le [,ureuil de son père.
lei, il faut bien évoquer un e fllm eur : Kabila junior, qui n'a guère
montré d 'affliction, aurait pu être le co mplice d e Kapend , l'instiga-
teur du complot qui a abo uti à l'assassinat de son père! N 'est-ce pas à
lui que profite le crime? Mais alors po urquo i fait- il bie ntô t arrête r
l' homme qui l'aurait propulsé au pouvoir? Non, si Kape nd et le jeune
Kabila avaient été de mèche, ce derniet ne l'aurait pas jeté en priso n
mais fait assassiner afi n qu' il ne parle pas.
Le colonel Kape nd , o rigi naire du Sud- Katanga proc he de l'Angola,
était l'homme d e Luanda, chac un le savait à Kinshasa. D 'abord pro-
tec teurs de Kabila à qui ils avaie nt sauvé la mise, un e prérogative qu' ils
300
Ex-Congo belge: 3) D e Mobutu à Kabila
I.:Avenir ' :
Le 17janvier, le peuple congolais a célébré le 40' anni-
versaire de L'asstlSsinat de Patrice Lumumba, Premier ministre
du Congo indépendant, dans une étonnante répétition de
l'Histoire. Car le J6 janvier 200 J, le chefde l'Étatcongolais,
Laurent-Désiré Kabila, a été criblé de balles dans sa résidence
du Palais de Marbre de Kinshasa. Le 16janvier n'était pas
seulement la veille de l'anniversaire de Lumumba, mais aussi
presque la veille du changement d'administration aux États-
Unis d'Amérique. On ne peut pas ne pas trouver des liens
entre l'attentat contre Kabila et l'approche de la date d 'i n-
vestiture de George W Bush. De même l'assassinat de
Lumumba avait des liens avec le changement de pouvoir aux
États-Unis, Eisenhower s'apprêtant à passer le pouvoir à
Kennedy. Si Lumumba a été sacrifié sur l'autel de la guerre,
on se demande en revanche pourquoi on en veut à Kabila. De
toutes les foçons, depuis son arrivée au pouvoir, Kabila a
réveillé, dans certains milieux occidentaux qui jubilaient
d'avoir liquidé le communisme, des réflexes anachroniques.
Pourquoi continue-t-on à avoir peur des nationalistes fors-
301
Les dessous de la Françaftique
302
Ex-Congo belge ,' 3) De Mobutu à Kabila
303
Les dessous de la Françafoque
En fait, et c'est l'ex plicatio n de tous ces mystères, il n'ex istait pas une
co njuratio n mais plusieu rs! Tous ces co nspirateurs po ursuivaient le
même objectif avec des mo biles différents. C'était à qui tirerait le pre-
mier et raAerait la mise en fa isant po rter la respo nsabilité de l'assassinat
sur un autre!
M ais c'est peut-être un fa it-d ive rs français qui do nne la clé d e cette
affaire. Vingt jo urs ava nt l'assassinat de Kabila, la police procède à un e
curi euse découverte p rès d e Lyo n. Dans u ne voiture carbo nisée, elle
tro uve d eux cadavres masculins. l:autopsie révèle q ue les deux ho m mes
ne sont pas mo rts da ns l' incendie du véh icule mais qu' ils o nt été abat-
tus d' une balle d ans la tête.
Il s'agit de deux Congolais. G râce à des teStS génétiques, ils SOnt iden-
t ifi és . l:un s'a ppel ait Aimé Ate mbina. Capi taine, il était m emb re d e
304
Ex-Congo belge ,' 3) De Mobutu à Kabila
305
Les dessous de la Françafrique
306
Ex-Congo belge .' 3) D e Mobutu à Kabila
1. Le Momie, 5 ma i 2001.
307
Les dessous de la Françafrique
Il s'agit de l'une des pages les plus noires de l' histoire contempo-
raine. Un génocide, reconnu comme tel par l'Organisation des
Nations unies, c'est-à-d.ire la destruction systématique d'wl groupe
ethnique, des cennunes de milliers de femmes, d'hommes et d'enfants
massacrés: l'un des derniers génocides du xx' siècle. Il y a seule-
ment quatorze ans, au Rwanda.
À l'époque, et sans doute pour évacuer à la fois l'horreur et la cul-
pabilité, ce génocide a souvent été présenté dans le monde dit civilisé
comme un massacre de plus entre tribus africaines rivales. Bref, une
boucherie quasi banale, lointaine et exotique.
Une thèse qui nous arrange, nous Français. Car notre pays, pour
des raisons qui n'ont toujours pas été vraiment éclaircies, a été étroi-
tement mêlé à cette barbarie.
En 1998, les parlementaires français - et ce fur une première - ont
créé une mission d'information sur les opérations militaires menées
par la France au Rwanda. Présidée par l'ancien ministre de la Défense,
Paul Quilès, cette mission, après neuf mois de travail et de nombreuses
auditions, a souligné, selon le journal Le Monde, « les erreurs, les mutes
et l'aveuglement de la France avant le génocide ». Elle a aussi critiqué
l'opacité de sa politique africaine, domaine réservé de l' Élysée.
Toutefois, elle a conclu, de façon assez paradoxale, que Paris n'avait
aucune responsabilité dans les massacres de 1994 qui ont fait entre
cinq cent mille et un million de morts.
Cependant, depuis, deux documents ont jeté un éclairage nou-
veau sur la tragédie. Il y a d'abord le réquisitoire rédigé par le juge
Bruguière qui rejette la responsabilité du massacre sur le régime
309
Les dessous de la Françaftique
3 10
Rwanda,' la France en procès
Ce re nversem ent d 'alli ance a d es effets pervers parce qu' il acc roît les
rcllsions entre le.:; deux communautés. En 1959, o n assiste aux premières
émeutes raciales. Les Hutu, avec la bénédi ction des autorités colonial es.
s'en prennent vio lemm ent aux Tutsi dont certain s sont chassés vers
3 11
Les dessous de la Françafrique
3 12
Rwanda " la France en procès
3 13
Les dessous de la Françafrique
te r d ans l'Est afri ca in et d'agra ndir sa sphère d'influ e nce sur le co nti-
nent. D 'autant que le Rwanda francophone est victime d'un e agression
opérée depuis un pays anglophone, l'Ouganda !
Les de ux prés id e nts se connaissent bie n. On a m ê me prétendu que
leurs fil s étaient amis. Jean-Christophe Mitterrand, baprisé ironique-
me nt « Papamadir », e t qui est alors e n c harge de la ce llule africa in e
de l'É lysée, s'ente ndrait très bi en avec Jean- Pierre Habyarimana. Mais
il faur (, ire la parr d e la rumeur.
En outre, le président rwandais a été l'un des chefs d' État africa ins
qui a chaleureusem ent applaudi le fameux disco urs de Mitrerrand au
som met de La Baule, en juin 1990, une allocution dans laquelle le pré-
sid ent frança is de mandait aux diri gea nts africa in s d e faire progresser
la démocrat ie sur le contine nt e t d'e n finir avec le systè m e d es partis
uniques !
M itterrand a donc été favorablement impressionné par H abyarimana,
qui érait par ailleurs un homme cultivé. Aussi, lorsque le Rwandais l'ap-
pelle au secours, le Français réagît-il aussitôt e t ordonne l' e nvo i de paras
au Rwa nda. Ce sera l'Opération Noroît.
Le prétexte est humanitaire (la protection des Français et des Belges,
présents au Rwanda) mais il ne fera pas longtemps illusion: les so l-
dats fran ça is, presque six cents hommes, sont bie n là pour soute nir l'ar-
mée rwandaise qui se bat co ntre les troupes Tutsi du FPR, présentées
comme des agresseurs. Po urtant, ces Tutsi so nt des Rwandais c hassés
de chez e lLX par le racisme Hutu. Mais Paris ne veut pas e n tenir compte.
Les Hutu sont largement majoritaires dan s le pays. Donc le go uve r-
ne me nt du prés ide nt Habyarimana est légitim e ! Quant à le urs adver-
sa ires, les Tutsi du FPR, un général français - et pas d es moindres puis-
qu' il s'agit du chef d'état-major particulier du chef de l'É tat - n' hésitera
pas à les traiter de « Khmers no irs )) !
Cepe ndant, très tôt, no rre ambassadeur à K igali m et en garde
l'Élysée: un conAit erhnique de grande ampleur peut éclater à tout moment.
Mitterrand pense au contraire que notre inte rventÎon militaire contie n-
dra les risques de conAir er qu'un jour ou l'autre, grâce à la France, les adver-
saires se rencontreront autour d'une tab le de négociat ion.
3 14
Rwanda : la France en procès
Sur le terra in , les faits semblent contredire cerre estim ation: les paras
fran ça is sont à pe ine arrivés que le pouvo ir rwandais se li vre à une véri -
tab le provoca tion e n mCHant en scène une fausse 3[[aque d e la cap ita le,
fG gali, puis en orga nisant une vaste campag ne d'arresta tion s, suivie par
de nombreux massacres de civils.
Les militaires français, témoins malgré eux, ne peuvent donc igno-
rcr ces exactio ns mais laissent faire. Toutefois, à Paris, les ministres
concernés, cellXde la D éfense et des Affaires étrangères, ne sont guère
enthousiastes à l'idée de voir le contingent françai s demeurer sur place.
Mais l'affaire ressort du domaine réservé du président de la République!
E n princ ipe, Paris a mêm e exclu to ute présence acti ve de nos forces
dans la zone des co mbats. Ce pendant la réalité es t bien diffé re nte:
des militaires français pilotent des hélicoptères de co mbat rwandais,
mènent des actions de reconnaissance en profondeur ou font même
la police à Kigali. D 'autres soldats présents sur le front règlent la hausse
de pièces d'arti ll e ri e. Bien sûr, au dernie r moment, ce n'est pas l'artille ur
fran çais qui tire. Mais quelle est la diffé rence ?
Quoi qu' il en soit, l'aspect le plus important de cette coopéra-
tion militaire d e meure la formation d e l'armée rwanda ise qui, e n
1990, ne compte que quelques milliers de soldats ni très moti vés ni
bien entraînés. Paris décide donc de prendre les choses en main. D es
officiers in stru c te urs so nt e nvoyés au Rwanda. Larmée rwandaise vo it
ses effectifs grossir dans d es proportions considé rables. En 1992, elle
co mptera jusqu'à cinquante mille soldats. Pour autant, cette troupe,
si elle est nombteuse, ne se signale guère pa r son effi cacité : à chaque
fois que les rebelles du nord attaquent, le sou tien militaire fran çais est
indispensable.
C ela signifie que Paris est de plus e n plus e ngagé. Un lieutenan t-
co lonel frança is, chef du d étachem ent d 'assistance militaire, devient
m êm e en 1992 le co nseiller du président Habya rimana et le chef
suprê m e de l'armée rwandaise !
C'est donc la France qui co nduit la g ue rre conne l'e nvahisseur,
co mme on pe rsiste à qualifi er le FPR. Naturellement cerre assistance
militaire s'acco mpagn e de li vra isons d'armes e t de matériel: mi ss il es,
3 15
Les dessous de la Françafrique
3 16
Rwanda: la France en procès
1. En 1898, Fachoda, une place so uda naise du haU( Ni l, a dû ê rre évac uée par la
mi ss ion Marchand après un ultil11arur11 bri rannique.
3 17
Les dessoltS de la Françafriqlle
rwa nd ais. Co ntre to u te atte nte, un acco rd est signé entre le FPR er
les au to rirés d e Kigali . M ais H abya rim a na le rem er presque auss itô t
en cause, d'abo rd parce qu'il ne veut pas partager le po uvo ir avec des
Tutsi, et e nsui te pa rce que, placé d evant le fa it acco mpli , cee acco rd
lui a é[é imposé. Le président du Rwa nda n'a do nc aucuneme nt l' in-
te ntio n de l'appliquer.
La preuve n e [arde pas à en êrre d o n née: les m assac res d e Tu tsi
reco mm en cent rapideme nr. Co nséquence immédiate, le FPR, d epuis
ses bases o ugandaises, la nce un e o ffe nsive très musclée d a ns le no rd
du pays . Le pré tex te es t to ut t ro u vé : il s'agit de ve nir a u secours
d es po pulatio ns m e nacées pa r les milices Hutu (les Inte raha m we)
entraî nées par les Fra nçais et qui fo rmero nt plus ta rd le fer d e lance
du génocide.
L'l gue rre reCOInmence ct, Ull in stant. o n pense mêm e que les troupes
du FP R vont s'emparer d e Kigali.
Com m e à so n habi tude, H abyarim ana en appelle à la Fra nce qu i
répo nd aussitô t ( présente ». M itterrand envoie cent cinquante ho mmes
du 2 1' RPI Ma qui étaient statio nnés en Centrafrique. Ils do ive nt agir
en soucien arrière de l'armée rwandaise. Ce renfo rt ne suffit to utefo is
pas à juguler l'o ffensive du FPR.
Jean-Christophe Mitterrand 1 :
Je mïnquiétai néanmoins lorsque, en février 1991, mon
père décida de gonfler nos effictifi dans le cadre de l'Opération
No roît. j 'avais le sentiment que nous nolIS engagions beau-
coup trop et je lui demandai pourquoi nOlis en foisions autant.
Il me répondit, très net." " La situation au Rwanda est plus
que tendue. Explosive. L'agression du Ff'R déstabilise les rap-
ports politiques et attise la fracture ethnique. Il nolIS fout
gagner du temps pour obliger les parties à s'entendre, car dans
cette région des Grands Lacs les massacres sont devenus la
norme. Dans ce type de conflit, ne cherche pas les bons et les
1. op. cit.
3 18
Rwanda: la France en procès
3 19
Les dessous de la Françafrique
320
Rwanda : la France en procès
32 1
Les dessous de la Françaftique
bable qu' ils possédaient de tels engins, même si, après l'attentat, ils
o nt d émenti. Mais pouvaient-ils aussi accéde r à la zone d'où a été tiré
le missile, c'est-à-dite à proximité de l'aéroport)
En av ril 1994, cette aire était contrôlée par les forces armées rwan-
daises. Il leur aurait do nc fallu infiltrer un commando dans un sec-
teur hostile tenu par des Hutu. Rien n'est impossible à des gens déter-
minés et bien entraînés. Toutefois l'opération présentait quand même
pas mal de difficultés.
D e I)aune cô té, les Huw , form és par les Français, étaient-i ls en
mesute de tirer un missile? Tous les expertS militaires présents sur place
répondent par la néga tive : soldats o u miliciens Interaham we n'en
avaient pas la capacité technique.
Nous e ntrons là dans une zo ne ple in e d'ombres. Si ténébreuse m ême
que les hypothèses les plus biza rres ont été émises.
I..:indice le plus fiable es t fo urni par l'origine des deux missiles qui
Ont été tirés, des SAM- I G de fa bricat ion soviétique qui auraient été
técupérés par l'armée fran çaise lors de la guerre du Golfe.
Mehdi Ba' :
La version officielle se borne à constater que l'avion a été
abatttt par deux missiles, sans préciser le camp des auteurs du
tir. Et un seul indice tangible a pour l'instant été fourni sur
Lorigine des missiLes utiLisés, pour être aussitôt minimisé par
celui-là même qui l'avait avancé: l'universitaire belge Filip
Reyntjens. auteur dim livre très documenté sur ces Trois jours
qui ont fait basculer l'histoire. Les missiles, de modèle SAM-
/6 (série « Gùnlet »), auraient été rémpérés par la France
penwIrlt la guerre du Golfe sur un stock de l'armée irakienne.
M Reyntjens, après avoir récupéré un rapport des FAR (Forces
armées rwandaises) mentionnant les numéros de série de lan-
ceurs trouvés par une patrouille à Masaka (le lieu probable
du tir), a obtenu le tuyau d'une source britannique « bim
322
Rwanda: la France en procès
323
Les dessous de la Françaftique
doté de deux lanceurs portatifs, stationnait ce jour-là pas très loin de l'aé-
rodrome de Kigali. Or, d'après un témoin belge, deux de ces militaires por-
taient leur béret à la française. Et non pas à la rwandaise ou à la belge.
li faut se souvenir que des conseillers militaires français sont demeurés
au Rwanda après le débarquement des Casques bleus. Mais si cette jour-
naliste belge a raison, pourquoi la France aurait-elle voulu se débarrasser du
président H abyarimana qu'elle soutenait à bout de bras depuis si longtemps?
Lobjection est sérieuse et permet d 'envisager une autre hypothèse:
ces hom mes (des Français ?) ont peut-être agi de leur propre initia-
tive. Comme des mercenaires.
Les accords d'Arusha devaient conduire à la paix au Rwanda. Une
perspective qui ne satisfa isait pas tout le mo nde.
À qui profite d 'abord la guerre? Aux marchands d 'ar mes. En pro-
voq uant la mort du prés ident Habya rimana, il est certai n qu'on met-
tait le pays à feu et à sang et qu'on pouvait continuer à y vendre du maté-
riel mi li taire. Or il faut o bserver que pendant le génocide les ventes
d'armes se poursuivent. Certaines de ces livraisons passent par l'aéro-
drome d e Goma, au Zaïre. Goma où, dans le cadre d e l'Opération
Tttrquoise, la France installera bientôt une zo ne human itaire destinée
à héberger les réfugiés rwandais.
Paris a décidé très tôt un embargo sur les armes. Mais le chef de notre
mission militaire de coopératio n avec les Rwandais a longtemps main-
tenu le contact avec le lieutenant-colo nel Kayumba, un officier juste-
ment chargé des achats d'arInes pour les forces Hutu regroupées au sein
du gouvernement intérimaire qui orchestrera le génocide.
Une société française établie à Greno ble est impliquée dans ces ventes
d 'arm es. Curieuse ment, le patro n de cette entreprise, un certain
Lemonnier, ne sera jamais inquiété, alors même que sa compagnie n'était
pas accréditée par le ministère d e la D éfense. Ces livraiso ns illégales
auraient donc dû faire l'o bj et d'une e nquête suivie à coup sûr d'une
plai nte. Cepend ant si le dirigeant d e cette société a quand même eu
affa ire avec la justice, c'est seulemenr à l'initiarive du capiraine Barril !
A u nom du gouvernement rwandais, celui-ci a attaqué Lemonnier qui
aurair escroq ué ses cl ienrs en ne li vranr pas to utes les armes comman-
324
Rwanda " la France en procès
325
Les dessous de la Françafrique
Le Monde ' :
[Extrait de l'analyse du rapport de la miss ion parle-
m enta ire prés idée par l'ancien mini stre socialiste Paul
Q uilèsl
La reconnaissance d 'un génocide commis à l'encontre des
Ti,tsi au Rwanda, après le 6 avril 1994, s'impose comme une
évidence. Tout concorde pour dire que l'extermination des
TiltSi par les H utu a été préparée longtemps à l'avance.
L'ambassadeur Georges Martres a estimé que le génocide était
prévisible dès octobre 1993 " sans toutefois qu'on puisse en
imaginer l'ampleur et l'atrocité », ajoutant que " le géno-
cide constituait une hantise quotidienne pour les Ti,tsi ». Avec
une telle clairvoyance qui n'apparaît pas aussi clairement dans
les télégrammes diplomatiques, on rte p eut que s'irtterroger sur
l'inaction de la Frartce pour prévenir le génocide par des
actions concrètes, souligne le rapport.
1. 17 décembre 1998.
326
Rwanda: la France en procès
Hutu, notre participation serait mal vue par les Tutsi du FPR qui sont
sur le po int de s'emparer de la capitale, Ki gal i, et occupent déjà l'aéroport.
Le co ntingent de l'ON U tarde pou rtant à partir po ur le Rwa nda.
De nombreux pays soll icités pour fournir d es tro upes tergiversent. Et,
malgré le vote du Conseil de Sécurité, les principales puissan ces ne sem-
blent pas désireuses de s'engager. D e lo ngues semaines sont donc encore
perdues. C'est alors q u'à la mi-juin, l'Élysée prend la décisio n de faire
intervenir nos tro upes sous couvert d'une o péra ti o n humanitaire.
Soudain, il ya urgence. C'est m ême une questio n d' heures ! Cela
fait pourtant plus de deux mo is que le génocide a co mmencé.
Pourquoi cette hâte si ta rd ive' François Mitterrand a été frapp é,
sinon bouleversé, par les no mbreux rappo rts qu' il a reçus. ]] co nsidère
donc que no tre pays doit en quelque so rte sauve r l'h o nneur de la com-
munauté in rernacionale ct prendre la décision d'agir! Mais il existe aussi
d'autres raisons moi ns avouab les. De plus en plus, la France est accu-
sée par des o rganisatio ns humanitaires Ct des jo urnalistes, essentielle-
ment belges, d 'être responsab le du gé nocide. E n organisant rout seul
une opération hu manitaire, notre pays veut redorer so n blaso n et effa-
cer ses fa u tes passées !
Cependant, certains es pri ts critiques in voquero nt une autre ex pli-
ca tion: l'Opé ratio n Ttaquoise n'aura it eu po ur but que de pe rmettre
aux Hutu d 'éch ap pe r à leurs ennemis Tuts i. Bref, la France aura it
d'abord agi pour préserver de la déroute et de la prison les respo nsables
du génocide . . . Et les faits se mblent accréd iter cette thèse.
Lorsque les soldats de Titrquoise arrivent au Rwa nda, via le Zaïre, les
tueries de masse o nt presque cessé mais ils vont encore sauver de nmn-
breuses vies Tutsi, surtout dans le sud du pays. Toutefois, l'essentiel de leur
mission consiste à prendre en charge la population Hutu qui fuit devanr
l'avance du FPR en la conduisant dans des camps installés à la frontière
zaïroise. O r, au milieu de cette po pulation se cachent des assassin s.
Le contingent frança is pouvait-il faire la d ifférence entre les innocents
et les victimes? Dans cenains C.:'lS, o ui. Nombreux parmi ces soldats éra ient
des anciens de l'Opération Noroît. Ils connaissaient donc les militaires et
les mili ciens rwandais puisqu'ils les ava ient entraînés. D es assass ins gui
327
Les dessous de La Françafrique
racontaient d'ailleurs bien volontiers les massacres auxquels ils avaient pris
parr: des aveux qu'ils jugeaient sans danger tant ces Hutu avaient confiance
en nos soldats, tant ils éta ient persuadés que Paris les avait envoyés pour
les sauver et combattre les Tutsi. C'est po urquoi les Français étaient
accueillis dans les vill.ges Hutu au cri de « Vive Mitterrand! ".
LOpér.tion Ttlrquoise a été une expérience do ulo ureuse pour beau-
coup de nos soldats. Non seulement ils ont pris conscience de l'am pleur
des massacres en déco uvrant les cadavres qui jo nchaient encore le sol,
mais ces milicaires, qui avaient déjà séjo urné au Rwanda et avaien r
fratern isé avec leurs ho mo logues rwandais, o nt soudain compris qu'ils
ava ient contribué à fo rmer des tueurs!
Patrick de Saint-EXupéry' :
[Le journaliste décrit l'arrivée d 'un officier de gendar-
merie du GIGN à Bisesero, au sud du Rwanda. Là, pendant
deux mois, les Ttasi ont été pourchassés comme du gibier. Une
colline est encore jonchée de cadavres. Et, soudain, contem-
plant ce terrible spectacle, le gendarme se met à pleurer.}
L'officier du GIGN avait effictivement craqué. Mais
ce nëtait pas les cadavres ni la violence de la chasse à l'homme
qui s'était déroulée ici, et encore moins Les récits des rescapés
qui l'avait fait baswler. Entraîné, il pouvait affronter cela.
En revanche, rien ne Lavait préparé à affronter Le sentiment
de culpabilité qu'il éprouvait à Bisesero. Car, expliqua-t-il,
l'année dernière, il avait entraîné la garde présidentielle
rwandaise. Autrement dit, il avait formé, lui, le soldat,
l'homme de devoir, des tueurs. Indirectement, il venait de par-
ticiper à un génocide. Et cela, il venait de le comp rendre. D'où
le terrible choc, d'où cette scène effrayante.
1. Le Figaro, 1998 .
328
Rwanda: la France en procès
te r : les d irigeants Hutu qui se sont échappés grâce à l' interve ntion fra n-
çaise po uvaient ê tre aussi des témoins très gênants. Il n'était do nc pas
inutile d e permettre aux p lus compro mis de se cacher.
M ais da ns les cercles hosti les à la présence fra nçaise d ans cette par-
tie d e l'Afrique, o n est allé en core p lus lo in : le véritabl e obj ectif d e
l'Opérat io n Turquoise aurait consisté à barrer la rOu te aux tro upes du
FPR et d e les empêcher de conqué rir to ut le Rwa nda. U ne thèse qui
n'est guère créd ib le : lo rsque l'action mili taire d e la France déma rre et
devient véritablement opéra tio nnelle, les Hutu so nt déjà pratiqueme nt
vaincus. Il est do nc trOp tard pour s'opposer militairement aux Tutsi du
FPR. En o utre, o n ne peut nier le caractère humanitaire de l'o pérat io n.
Les Hutu Ont fui en masse leur p ays et la situatio n est devenue rapi-
dement catastrophique da ns les camps de réfugiés installés au Zaïre, à
Ga ma et Bukavu. La France, aidée pa r les ONG présentes sur place,
a dû pa rer au plus pressé : o n a parfoi s compté jusqu'à cinq mi ll e morts
par jo ur da ns les ca mps!
D'autre parr, que se serait-il passé si nos soldats n'avaient pas pris en
charge to us ces réfu giés? Ces d ern iers auraient couru le risque d 'être
massacrés à leur (Qur par les vainqueurs. désireux de venger leurs frères
assassinés. Alors fallait- il ne pas les prendre en charge au prétexte que
parmi eux se tro uva ient des tlleurs ?
Cependant, à partir du mo ment o ù jls se tro uva ient dans des camps
de réfugiés, il devena it possible d e trier le bo n grain de l'ivraie. Il faut
reco nn aître que les França is n'ont pas été parmi les plus zélés à four-
nir informations et documents au Tribunal pénal international qui s'ins-
tallera à Arusha. D e la même faço n , la Fra nce ne se pressera guère de
reconnaltre ses respo nsabili tés. Il fa ud ra attendre le travail de la mission
pa rlementaire de 1998 pou r que so ient soulignés l'ave uglement et les
incohé re nces d e l'action fra nça ise au Rwa nda. Même si el le déniera
to ute res po nsabili té d e la Fra nce dan s le génocide.
D'aut res pays ont reconnu leurs erre urs. Les Belges o nt éré les pre-
miers. Ils a m mis en évidence que dès le primemps J 992, c'esr-à-d ire deux
ans avant le génocide, des informations précises leur étaient parvenues qui
f" isaiem état de la préparario n programmée de l'exrerm ination des Tutsi.
.329
Les dessous de la Françafrique
Les América ins aussi ont f"it leur mea culpa. Par la voix de Madeleine
Albright, ils Ont admis qu'ils avaient tOut tenté pour que le mot géno-
cide ne so it pas prononcé devant le C onseil de Sécurité, vo ulant ai nsi
év iter un e aucomatiquc intervention internationa le.
« II en a fa it de belles, le juge Bruguière!" C'est ce qu'on a dl. pen-
ser dans les milieux feutrés de la diplo matie en prenant connaissance
de la décisio n du magistrat de déli vre r neuf mandats d'arrêt interna-
tionaux contre des proches de Paul Kagamé, le président rwandais, accu-
sés d'avoir perpétré l'attenta t contre l'avio n du prédécesseur de ce der-
nier, Ju véna l Habya rimana. Le magistrat n'en es t d'ailleurs pas resté
là pui squ'il a estimé que Kagam é, malgré l' immunité due à sa qualité
de chef d'État, devrait être lui-même traduit devant leTPIR, c'est-à-
dire le Tribunal pénal international pour le Rwanda.
O n sait ce qu' il est advenu. Fâché, très fâché, le président rwandais a
rompu avec Paris et notre ambassadeur à Kigali a dû fai re ses valises. Mais
il est vrai que beaucoup de dirigeants de pays pseudo-démocratiques o nt
du mal à croire que la justice pu isse être indépendante du pouvoir politique.
Alors pourquo i ces mandats d'arrêt et ces graves mises e n cause?
C'est la conclusion logique de l'enquête menée par Bruguière à la sui te
de la plainte déposée par la famille de l' un des pilotes français de l'avio n
prés identiel. Mais le juge d'in struc tion assort ît ces acc usation s d'une
anal yse gravissime. Selo n lui , Paul Kagamé aurait pri s l' initiati ve de
commandiœr cet ancn(a( dans le seul but de parvenir au pouvoir. Quitte
à provoquer un véritable génocide chez les siens.
Certes, ce n'es t pas la premiè re fois que Kagamé est soupçonné. Cette
aff"ire, mais aussi la responsabilité frança ise dans le génocide des Tutsi
par les Hutu , a d'a illeu rs récemment provoqué une intense polém ique.
Certain s, re l Pierre Péan, en tenant pour l'inn ocence d e nos dirigeants,
d'autres, sur tOut représentés par des ONG, accusant Paris d'avoir aidé
sinon so utenu les génocidaires. Ces dernie rs aCClIsaceurs o nt été rejoints
par les rédacteurs d'un important et récent rapport co mmandé par les
auto rités rwandaises. Un document assorti de témoignages précis qui
accable la France et implique ses militaires qui auraient commis de nom-
breuses exactio ns ava nt et pendant l'Opération 7itrquoise.
xx
Carrefour du développement: le match nul
33 1
Les dessous de la Françafrique
332
Carrefour du développement.' le match nul
333
Les dessous de la Françaftique
334
Carrefour du développement,' le match nul
335
Les dessous de la Françaftique
de l'in frastru cture hôteli ère, installation d'un système tout neuf de li ai-
so ns hertziennes . Un certain nombre de ces équipements demeureront
après la tenue du sommet, Ct c'est tant mieux pour le Burundi , mais
la plupart des autres dépenses ne ressorte nt que du prestige et atteignent
des mo ntants faram ineux.
Tout aussi curieusement, le Carrefour du développement est cha rgé
d 'o rga niser et d e financer au moins la moitié des d épenses, c'est-à-dire
plus de quatre-vingts millions de fran cs de l'époque. Yves C halier, son
trésorier, se trouve donc en première ligne. Sa besogne n'est pas de tout
repos : le finan cem e nt d e cette g igantesque affaire est un vrai casse-
tête ! Le chef de cabinet doit faire appel à tout son sens de la débrouillar-
dise car l'enveloppe budgétaire qui lui est allo uée est largement insuf-
fisante. Il lui faut d onc jo ngler et se livrer à d es opérations comptables
parfa itement illégales po ur trou ver de no uvelles ressources ct en même
temps parer au plus pressé en échappant aux règles stri ctes d e la comp-
tabilité publique. J.:exercice n'est pas sans risques: jouant avec les fausses
factures o u les surfacrurations émises par des socié tés écrans amies, usant
sans discrétion ni modération d es fonds secrets mis à sa dispositio n,
C halier peut tricher à son aise.
To ut cet argent liquide qui passe si facilement par ses mains finit par
lui donner le vertige. Pourquoi ne pas en profiter personnellement? Le
trésorier du Carrefour du développement peut ainsi s'offrir un studio,
do nner huit cent mille francs à son ancienne épouse, quatre cent [re nte
mille francs à l' une de ses malt resses, offrir des bijo ux, des voitures o u
paye r d es voyages à qudques autres de ses bo nnes a mies tant C halier
a une vic sentimentale mo uvementée.
Enco re plus étonnant, on découvrira auss i dans cette caverne d'Ali
Baba l'achat d ' un ch âtea u. Un ép isode courrelinesque mais bien réel !
C halie r est informé par deux d e ses amies, une sous-préfète et une
voyante (un médium qui « voya ic )) peut-être po ur les aucres mais qui
était ave ugle pour ce qui la concernait, la suite le pro uve), qu'un châ-
teau solognot à mo itié délabré pourrait être rac heté po ur une bo uchée
de pain . Ces deux femmes suggèrent à C halier que si le bâtiment était
resta uré, il pourrait servir d e centre de form atio n pour les cad res afri -
336
Carrefour du développement: le match nul
337
Les dessous de la Françafrique
nombre de dirigea nts africains qui ne juraient que par lui. Grâce à ses
réseaux toujours e ll place, il Il e doit pas ignorer gra nd-chose des
embrouill es du Carrefour du développem ent.
Quoi qu'il en so it, le nouveau ministre co mmence à déco uvrir les
turpitudes des res ponsables d e l'association. Assez logiquem ent, il
convoq ue le chef de cabinet de son prédécesseur afin qu' il s'exp lique.
Mais Chalier, très opportunément, n'est pas joignable: il est parti en
vacances avec l'une de ses maîtresses, un e hôtesse de l'air qui a déjà
largement profité de sa gé nérosité.
Informé de la convocat ion qui l'attend à Paris, il comprend aussitôt
que le sol brûle so us ses pieds. Michel Aurillac vient en effet de saisir
la Co ur des comptes ! Le premier réAexe d e Chalier cons iste à aller
demander la protection de ses pairs et amis . À com m encer par le
" Monsieur Afrique » de l'Élysée : Guy Penne. Mais C halier comprend
qu'il ne faut pas en attendre un quelconque secours. Aussi se rend-il à
t> étage supérieur, directem ent chez Mitterrand.
La réaction du président est glaciale. Il n'est pas questio n que le pré-
sident, qui affirme tout ignorer de l'affaire, intervi enn e d e quelque
mani ère que ce so it. Par exempl e en bloquant l'enquête de la Co ur
des comptes.
Paniqué, C halier s'adresse en désespoir de cause à la partie adverse
qui , très vite, s'emploi era à faire du scandale du Carrefour du d éve-
loppement une formidable machine d e guerre contre les socialistes et
plus particulièrement co ntre François Mitterrand, pro bable candidat
à sa success ion!
338
Carrefour du développement: le match nul
Le premier à sa isir tout l' intérêt pour la droite que prése nte l'af-
faire du Carrefour du développement est sans nul do ute C harles Pasqua !
Ministre de l'Intérieur, il tiendra le premier rôle, au risque de se brO-
1er les doigts lui-même!
Il convient d'abord de circonvenir C halier. Ce n'est pas très difficile
tant l' homme est affolé.
Au cours d' une rencont re chez Mi chel Aurillac, le " terrible "
M. Pasqua, comme on l'appelait alors. lui aurait mis le marché en main :
si vous nous donnez des munitio ns co ntre N ucci , o n s'arrangera pour
vous protéger et même vous obtenir l'amnistie.
339
Les dessous de la Françaftique
C halier to mbe dans le piège . D éso rmais, il n'est plus qu' un jouet
entre les main s de la droi te !
Lancien chef de cabinet est confié à un homme qu' il co nn aît déjà,
un policier qu' il a d'ailleurs renco ntré lors du sommet de Bujumbura en
1984. Jacques Oelebois est le patron du Scrlp, le service de la police chargé
de la coordination in œrnarionale et de la coopération avec ses ho mo logues
étrangers. Un organisme très actif dans nos an ciennes colonies. Au fond,
pOlir simpl.ifier, c'est L1ne sorte de service des affaires étrangères de la police
qui ne dédaigne pas à l'occasion de faire du renseignement. Et ce n'est
pas un hasard si ce Oelebois est un ancien de la D ST.
Ce personnage a fait parler de lui quelques ann ées plus tôt lors de
j'affaire des ( plombiers du Canard enchaîné », une m alheureuse ten-
tative de placer des micros dans les locaux de l' hebdomadaire satirique.
D elebois était membre de l'équipe et, après cet épisode pitoyable, il a
dû se faire o ublier quelques années en Afrique. À so n rerour en France,
il a été versé au SCTIP et en est devenu le directeur en mars 1986, c'est-
à-dire dès le retour de la droite au po uvoir. Protégé de Pasqua, il par-
tage ses convictions politiques, ce qui lui vaut cette promotion. O elebo is
es t alors au sommet de sa carriè re de po li cier pui squ'il est désormais
co ntrôleur général, le plus haut grade de la hiérarchie policière.
Le scénario imaginé chez Pasqua, et que D elebois est chargé de mettre
en musique, est le suivant: C halier doit être mis au ve rt tandis que le
scandale du Carrefour du dévelo ppement va être habilement ex ploité
de façon à compromettre la gauche et par conséquent so n grand homme,
Franço is M itterrand. To ut doit en effet laisser penser que le chef de cabi-
net a fui pour échapper à la justice ! Mais auparavant, il lui est demandé
de rédiger une longue confessio n où il décrit les turpitudes du Carrefour
du dévelo ppement et accable son ancien ministre) C hri sti an N ucci.
Co nfessio n qui. comn1e par hasard. se retrou vera ensui te dans la boîte
aux lettres personnelle du successeur de Nucci, Michel Aurillac.
C halier est donc envoyé au Brés il o ù il sera pris en charge par des
Co rses qui appartie nn ent au milie u des jeux et ne do ive nt pas être
to ut à fait des inconnus pour Pasqua. Cependant, avant de fuir pour
Rio de Janeiro via Bruxell es et Londres, afin de brouiller les pi stes,
340
Carrefour du développement: le match nul
34 1
Les dessous de la Françafrique
Lun et l'autre, so upçonnés d ' avoir fauté lors d e leur exe rcice de
ministres, ne peuvent être jugés que par la Haute COllr de justice, une
jurid iction essentiellement composée de parlem entaires.
En ce qui concerne N ucci, effectivement, l'Assemblée nationale vote
afin qu' il so it déféré devant la H aute Co ur. Mais en 1988, Mitterrand
est réélu à la présidence de la République et, dans la foul ée, les élections
législatives donnent la victo ire à la gauche. La nouvelle majorité vote
à la hâte une loi d 'amnistie très opportune qui permet à Nucci d'échap-
per aux poursuites.
Quant à Pasqua, malgré la levée du secret-défense pa r le nou veau
ministre de l' Intérieur, Pierre Joxe, et l'aveu du patron de la DST qui
reconnaît que c'est bien Pasqua qui lui a d emand é d e confectionner
le vrai-faux passeport, le ministre de la Justice du gouvernement Rocard
décide qu' il n'y a pas lieu de poursuivre.
Laffaire du Carrefour du d éveloppement se termine donc par un
match nul! Et ceux qui aurOnt affaire à la justi ce ne seront que les
seconds rôles. C halier d 'abord , parfait bouc émissaire, se ra condamné
à cinq ans de prison et Delebois écopera de quatre mois avec sursis mais
ne sera pas révoqué de la police. Cependant, au cours de ces procès, l'es-
sentiel n'a jam ais été évoqué.
Le Carrefour du développement n'a pas seulement servi à finan cer
l'o rganisation du sommet de Bujumbura et les fantais ies extra-co nju-
gales d'Yves C halier. En réalité cette association a été créée pour finan -
cer L1ne opération ( barbouza rde ».
En 1983, le régime du Tchadien Hissène Habré! est sérieusement
menacé. Son ri val et ancien allié, le To ubou Go ukouni Weddeye, sou-
tenu par le colonel Kadhafi , a repris les armes et ses troupes progressent
vers le Sud . Déjà la place de Faya-Largeau est tombée. ré tape suivante
sera la capitale, N ' Djamena.
Comme d 'habitude, H abré appelle au seco urs l'ancien colonisa teur.
Mais Mitterrand répugne à engager des militaires français dans des opé-
rations extérieures. Surtout lorsqu'il s'agit d e sou teni r un régime dou-
342
Carrefour du développement: le match nul
1. Terr iro ire anglophone, Je Da rfo ur fig ure néanmoins dans cef o u vrage en rai-
son de sa proxim i{é avec les ,Ulcienncs colo nies fra nçaises.
2. D arfo ur veur di re ft le pays des Four Il . Four étant un e ethnie noire viva nt de
l'agriculture et installée au ce nrre d u pays da ns u n massif mon tagneux, le djebel Marra.
C 'est cen e ethnie q ui d omina it l'ancien royaume du Darfour. Er c'est aussi au sei n
de ccne erhnie que naîtra en 2003 la rébelli o n co nrre Khartou m .
345
Les dessous de la Françaftique
346
Darfour,' la plus grande urgence
347
Les dessous de la Françafrique
Soudan à l' issue de la Seconde Guerre mondiale. Mais Farouk est chassé
du trô ne par les militaircs, dont un certai n Gamal Abdel Nasser. À la
suite d e ce coup d 'État perpétré en 1952, l'Égypte reco nnait le droit
à l'aurodétermination du Soudan. En 1956, le pays devient une répu-
blique indépendante. I.:aventure des colonels égyptiens a donné des
idées aux militaires so udanais. En 19 58, un général admirateur d e
Nasser, issu d'une tribu arabe du Nord proche de la fronti ère égyptienne,
s'empare du pouvoir. Ille ga rdera jusqu'au milieu des ann ées 1960 où
il sera lui -m ême renversé par une coalition civile soutenue en sous-main
par le cam p occiden taL
Ce général, à l'imitation de son grand homme, Nasser, s'était en effet
dangereusement rapproché d e l'URSS .
République indépendante, la compos i[ion ethnique et religieuse du
Soudan n'est pas moins co mpliquée que celle du Darfout. 11 y existe
deux g randes régions. Le Nord , essentiellement musulman, co nstitue
la partie la plus développée tandis que dans le Sud vivent des popula-
tions plus arr iérées, gé né ral enlc TH chrétiennes ct animistes. Un é tat
de fait hérité d e la colonisation: la Grande-Bretagne a encpuragé la
venue de missionnaires qui ont évangélisé ces populations. Londres qui
a aussi veillé à conserver dans cette région le tribalisme et à lui garan-
tir un statut particulie r car un terri to ire morcelé en pe ti res unités se go u-
verne bien mieux qu'un territoire uni .
D ès l' indépendance, le Sud se rebell e. Les officiers britanniqu es
qui administra ient la région so nt remplacés par des militaires arabes
et donc musulmans. C'est inacceptable pour les fon ctionnaires et mili-
taires qui so nt placés de facto sous leurs ordres . Ainsi commence une
premi ère guerre religieuse de di x-sept ans qui COlite la vie à plus d e cin-
quante mille perso nnes. Ell e s'achève par la signature à Addis-Abeba
d'accords de pai x au terme desquels le Nord consent une certaine auto-
nomie à la région sud.
D ans le Inêm e temps, le pouvo ir militaire est renversé à Khartoum.
Pour la première foi s de so n ex istence, le Soudan co nnaît un in termède
démocratique et parlementaire. Le fils posduune de l'ancien chef rebelle,
Al-Mahdi, a créé un parti, l'O umma, ce qui signifie en arabe la com-
348
Darfour: la plus grande urgence
munauté des ctOyants. Le fils n'a donc pas o ublié la dimensio n ptOphé-
tique du père. À cô té de l'Oum ma, on trouve aussi une émanatio n sou-
danaise des Frères musulmans dirigée par un certain H assan eI-Tourabi,
un jeune chef ambitieux qui ne manque pas d 'allure. Mais il existe éga-
Iement Ull pani communiste, relat ivement influent, et un parti laïc qui
rassemble des marxistes et des éléments chrétiens issus du Sud.
À l' issue des premières élections démocratiques, les mahdistes l'em-
portent. Sadiq al-Mahdi est naturell ement appelé à form er le go uver-
nement. Mais des querelles internes min ent le pouvoir. En 1969, un
colonel inspiré par Nasser renverse le gouvernement. Jaafar al-Nimeyry,
progressiste et même socialiste ava nt de changer de ca mp, reste au pou-
voir d e très longues années.
To utefois, un no uveau ve nu brouille les cartes et entend se mêler des
affaires soudanaises: Muamma! al-Kadhafi , le leader de la Libye depuis
1969 ! Un vo isin excessivement remuant.
349
Les dessous de la Françaftique
350
D arfour,' la plus grande urgence
35 1
Les dessous de la Françafrique
352
Darfour: la plus grande urgence
353
Les dessous de la Françafique
354
Darfour: la plus grande urgence
355
Les dessous de la Françaftique
les sudistes . L.:él ection de George Bush leur est apparue co mm e une
bénédi ction. Bush était très engagé auptès des chrétiens co nservate urs
et avait été sauvé de l'alcoo lisme par le prédicateur nord-américain Billy
Graham en personne. O r justement le fils du célèbre prédicateur avait
créé au Soudan une église évangélique qui rencontrait de plus en plus
de succès. Il est donc cerrain que ces évangéliques Ont trouvé une orei lle
arrentive à la Maison-Blanche. Mais ça n'a pas plu à rour le monde.
Le lobby pétrolier, lui aussi très influent dans les cercles du pouvoir amé-
rica in, craignait que les pressions exercées sur le go uvernement du pré-
sident Béchir ne finissent par nuire à leurs intérêts.
Finalement, ce SOnt quand même les premiers qui ont gagné. Béchir,
co ntraint et forcé, a dû se soumettre et conclure la paix. Mais une paix
mal ficelée qui peut se rompre à tout moment. Q uoi qu' il en soit, Bush
a donné satisfaction à son électorat religieux pour qui cerre question
était devenue une prio ri té ct rn êlne L1ne affaire intérieure.
Pour sa parr, la France a une longue trad ition d'alliance avec les isla-
mistes au pouvoir dans le no rd du Soudan avec lesquels eUe partage une
hostilité commune vis-à-vis de l'impérialisme anglo-saxon. Ces liens
Ollt été e ncore renforcés par des ve nteS d'armes françaises. Mais c'est
à l'occasion de l'affaire Carlos' que cerre proximité est devenue évidente.
Dès que nos services ont localisé le terroriste à KJ"rtoum, ils ont direc-
tement alerté leurs homologues so udanais et demandé leur coo péra-
tio n. Ce qui leur a été aussitôt accordé et a permis la capture de Carlos
par le fameux général Rondot.
Un tel cadeau méritait bien une petite récompense. C'est-à-dire
un do nnant-donnant. En rcrout, la France a do nc li vré aux autorités
soud anaises de précieuses photos aérienn es des positions des rebell es
sudistes. Mais. ce faisant , Paris prenait partie dans un confl it qui ne
rega rdait nullement nOtre pays '
Le Darfour, autre question brûlante du Soudan contemporain, a
do nc été annexé au début de xx· siècle. Et puis on l'a oublié! Cerre
356
Darfour: la plus grande urgence
357
Les dessous de la Françafrique
358
Darfour: la plus grande urgence
Jean-Louis Péninou 1 :
La chronique du Darfour est celle de conflits entre éleve/m,
à lA recherche d'eau et de pliturages, et paysans protégeant leurs
champs et leurs maigres biens. Dans ce pays chiche en ressources,
totalement dénué dëquipements et lAissé à l'abanMn, l'explosion
démographique (la province compte six millions d'habitanlJ, deux
fo is plus qu'il y a vingt ans) a rendu plus violente lA compéti-
tion pour l'eau. et l'espace. La régulAtion traditionnelle des conflilJ,
fondée sur le respect par les nomades d'itinéraires et de périodes
précises de transhumance, a commencé à s'effondrer avec la grande
sécheresse et la fomine du milieu des armées /980. Depuis, le
Darfour est en crise. Malgré lA présence de responsables politiques
originaires de lA région dans les allées du pouvoir à Khartoum,
ta situation sy détériore année après année.
Une guerre meurtrière avait opposé, en J985-1988, les
Four aux tribus arabes lancées à l'assaut de leurs villages,
sur fond d'allées et venues entre le Tchad et le Darfour, d 'in-
terventions de lA Légion isltlmique libyenne et dejeux de pou-
voir du parti Oum ma de M. Sadek al-Mahdi. Elle avait
pu sembler un moment de paroxysme, lié à lA période de séche-
resse. Avec le recul, elle apparaît comme une prémisse.
C'est une compagnie chino ise qui est désormais l'un des principaux
opérateurs pétroliers au Soudan. La C hine, qui consomme to ujo urs plus
d'énergie, ne veut donc pas prendre le risque de rompre avec le Soudan.
Er si la France, qui a par ailleurs toujours entretenu d'excellents rap-
ports avec les di rigeants islamistes de Khartoum, a pu VOter une résolution
qui contrarie le gouve rnem ent soudanais, c'est que la compagn ie Total,
propriéraire d'une concessio n, n'a pas encore commencé de l'explo iœr.
r; insécurité dans laquell e vive nt les popu lati o ns sédentaires du
Darfour ajo utée au so us-développement chroniqu e a donc fin i par
engendrer une véri table rébeHio n.
359
Les dessous de la Françafriqu e
360
Darfour: la plus grande urgence
36 1
Les dessous de la Françafrique
haïs. Soit en les ruant, soir en les obligeant à fuir le pays. C'est dans cette
mesure qu'on pellt parler de génocide.
En [Out cas) il es t certain que l'in tervention des janjawid contrarie
fortement les am bition s de l'ALS, l'a rmée rebelle. À cela s'ajo utent
des dissensions au sein de la rébellion . À côté du Front de libération du
Soudan , une autre organisation monte en puissance, le Mouvement
pour la justice et l'égalité, le MJE. La personnalité de so n chef, le doc-
teur Khalil Ibrahim , donne sans doute une des clés de cette affaire.
Ce notab le, issu d'une li gnée de souve rain s qui régnaient autrefois au
nord du Darfour, appartient, tout comme le président tchadien Déby,
à l'ethnie Zaghawa.
1. op. dt.
362
Darfour: la plus grande urgence
363
Les dessous de fa Françafrique
Malgré tOut, l'armée rebelle peut encore résister. Dotée d' un nou-
vea u chef, elle est forte d'un e dizaine de milliers d' hommes et donne
du fil à retordre aux croupes de Khartoum qui continuent à massacrer
ou à laisser massacrer, tandis que le prés ident ment effrontément e n
affirm ant qu'il a triomphé.
La situation humanitaire ne cesse de s'aggrave r, à la foi s dans les
camps de réfugiés de la fro ntière tchadienne et à l'intérieur du Darfour
Dl! des femmes et des enfants sont regroupés dans de véritables camps
de co ncentration et vi vent SO LI S la me nace permanente des janj awid,
364
Darfour,' la plus grande urgence
Même l'envoi d 'une force afri caine, qui compte ra jusqu'à sept mille
hommes, un déploiement que Béchir a accepté du bout des lèvres, n'em-
pêche pas les massacres de se po ursuivre.
La résolu tio n 1706 de l'ONU qui prévoit l' in terpositio n de Casques
bleus n'a pas été votée à l' unanimité : tro is pays se sont abstenus dont
la C hine. Béchir a donc beau jeu de ne pas en tenir compte. Po ur refu-
ser l'envo i de cette force o nusienne, il a d'ailleurs employé un curieux
a rgument: ce vo te à l'ONU serait le fruit d 'un complot sio niste visant
à p iller le pétrole du Soudan et à d ém em brer so n pays.
Cette histo ire de complot est bien sûr aberrante. Po ur le reste, c'est
mo ins sûr. Nombreux so nt ceux qui s'in téressent au Darfo ur. Ainsi
les évangéliq ues am éricains qu'o n a d éjà vus à l'œuvre da ns le sud d u
So ud an. co mmencen t à séri eusement s' impl anter au D arfo ur. Ces
gro upes de pressio n, très anti-islamiques, fo nt du lo bbying auprès de la
Maison-Bla nche.
Par ailleurs, la crise du Darfour est co ntagieuse et a déjà plo ngé le
voisin tchadien dans les affres. Idriss Déby a beaucoup de mal à résis-
ter aux mem bres de so n ethni e qui le po ussent à veni r au secours de
leurs frères du Da rfo ur. Il est d 'ores et d éjà certain que des Tchadiens
o nt fra nchi la fro ntière po u r combattre. Depuis, le Tchad et le Soudan
vivent en état d e belligéra nce. Si D éby ro mbe - sans la France, ce se rait
déjà arrivé - un e vraie gue rre risque d 'éclater entre les de ux pays .
La situa tio n du Darfour, mais aussi du Soudan, demeure donc explo-
sive. Surto ut depuis qu'O mar Béchir a subi coup sur coup deux décon-
ve nues m ajeures . La premi ère est venue de l'étran ger : la Cour pénale
in ternationale s'est enfin décidée à mettre le président soudanais en accu-
satio n po ur crime contre l'humanité. Une première en matière de jus-
tice : jamais un dirigeant en exercice n'avait fa it l'objet d' une telle mesure
humiliante. Le de uxième déboire n'a pas été mo ins inattendu: un beau
matin de mai 2008, des forces rebelles du Mouvement justice et li berté
de Khalil Ibrahim o nt soudain surgi de l'autre côté du Aeuve, à Kharto um
même. U ne vraie g i_Ac po ur Béchir Ct sa (D u ce puissante armée.
Certes les rebell es o n t été repo ussés. Ma is il n'em pêche q u'i ls o nt
creusé une im portante b rèche dans le dispositif m ili ta ire soudanais !
365
Les dessous de la Françaftique
Khalil Ibrahim est donc loin d'avo ir di r son dernier mot. Et il n'esr
pas inurile de savoir que cet opposant est un proche du célèbre Tourabi,
chassé du pouvoir en 1999 et qui , d epuis, ne cesse de chercher à se ven-
ge r du président Béchir qui l'a écarté.
11 y a donc fort à penser que Tourabi a encouragé la rébellion qui a
éclaré au Darfour. Et sa ns doute l'a-t-il même fin ancée grâce à touS ces
comptes banca ires dont il était le seul à posséder le secret. Un trésor de
guerre qui explique pourquoi les rebelles étaient si bien équipés.
Tourab i, éminence grise du pouvoir pendant si long temps et qui a
noué d e précieuses relations à l'étranger, en particul ier dans les pays
arabes, a déjà mo ntré par le passé que ses co nvi ctions éta ient à géo-
métrie variable. Islamiste p ur et dur pendant de longues années - c'est
même lui qui a accueilli Ben Lad en au Soudan - il en viendra à sou-
ten ir les sudistes soudanais chrétiens de l'armée d e Jo hn Garang. Le
Darfour n'est don c pour lui qu'ull levier lui permettant éventuellem ent
de revenir au pouvoir. Le reste, c'est-à-dire les Inassacres, les réfug iés,
etc., lui importe peu. M ais il faut reconnaître que ce n'est pas lui qui
a inventé les janj awid , le sous-développement chronique du Darfour et
les razzias de plus en plus nombreuses des no mades sur les villages des
sédentaires. Bref, il s'es t co ntenté d'explo iter cyniquclnenr une situa-
tion qui , tôt ou tard, aurait fini par dégénérer.
Gérard Prunier 1 :
il existe à l'heure actuelle une certaine « école de pensée
anthropologique" qui croit possible d'utiliser /es « leaders tri-
baux arabes traditionnels" pour peu à peu dompter les jan-
jawid et tes amener à résipiscence. On retrouve dans cette
mouvance aussi bien le colonel Kadhafi que certains spécia-
listes occidentaux du Darfour. L'idée vaut bien sûr la peine
d'être tentée car la situation du Darfour est tellement tragi-
quement bloquée que toutes /es voies de solution doivertt être
utilisées. Mais le succès semble peu probable. En effet, il Y a,
1. op. cit.
366
Darfour,' La p lllS grande urgence
369
Les dessous de la Françafrique
Dans deux de ces pays, le Mali et le N iger, les Toua reg so nt entrés
en rébe llio n co nue le pouvo ir central. Mais les deux go uverne ments
n'ont pas réagi de la même man ière. Au Mali , le prés ident Amadou
Touman i To uré vient de choisir la voix de l' apa isement et une trêve
es t intervenue e ntre l'armée et les rebelles . Par co ntre, au N iger, so n
homologue, Mamadou Tandja, a décidé d'opter pour la manière forte
afin de réduire la révolte des « hommes bl eus )} .
La ques tion nigérienne co ncerne les Français au premier chefà cause
des gisements d' uranium qu'ils exploitent. Un minerai qui est de plus
en plus demandé en raiso n de la crise mondiale de l'énergie. Le Niger
es t en effet l'un des principaux producteurs mondiaux d'uranium.
Pendant très longtemps, ce métal a été extrait du désert nigérien excl u-
sivement par une entreprise française, la Cogema, devenue aujourd'hui
Areva . Mais ce quasi-monopol e es t tombé et les C hinois en parti cu-
lier ne cessent de nous planter des banderilles. Autant dire que la crise
nigérienne doit d'abord être exam in ée au travers de ce prisme.
Deuxi ème remarque préliminaire: le Niger a longtemps fait partie
du pré carré fran çais. Et comme dans nombre d'autres anciennes co lo-
nies, Paris y a longtemps fait la pluie et le beau temps, et a souvent eu
la cel1r3tion d'intervenir.
Troisième observation : le Sahel devient une région particulièrement
sensible à cause du rerroriSlne islamique. Les spécia li stes alnéricains
en la matière considèrent même que le Sahel constitue un point de fi xa-
tion pour AJ-Qaïda à tel point qu' un général américain a même évoqué
un nouvel Afghanistan! Exagération? Certes, le mouve me nt terro-
riste algérien GSPC, Groupe salafiste pour la prédica tion et le com-
bat, a reve ndiqué son allégeance à la néb uleuse de Ben Laden et serait
même devenu un e branche d'Al-Qaïda. Mais n' importe quelle orga-
nisation clandestine peut se réclamer de Ben Laden. Quo i qu'il en soit,
ce GSPC s'es t surtout manifes té par des attentats en Algérie et des
actions contre des touristes. Peut-être est- il aussi à J'initiative de l'at-
raque meurtrière de Français en Mauritanie et de l'enlèvement de deux
touristes autrich ie ns. En [out cas, les menaces, avérées ou non , que le
GSPC fa it peser sur la régio n ont poussé les Américains à proposer
370
Niger : le destin des Touareg
aux États sahéliens la mise en place d' un véri table pla n de bataille contre
le te rrorisme et des acco rds de coopératio n militaire. Ce qu' ils o nt appelé
l'In iti at ive tra n ssa hari e nn e d e lutte cO llue le te rror isme . Ma is cerre
manœ uvre po urrait bien d issi muler en réalité une tentative des ÉtatS-
U nis de s' implanter dans une zo ne où traditio nnellement l'influe nce
fra nçaise a toujours été prépo ndéra nte.
Cependant, il est vrai que le Sahel est peu à peu deve nu une vaste
régio n o ù les trafiquants en p re nnent de plus en plus à leur aise. Armes,
drogues, cigarc[[cs et même vo itures vo lées circulent dans cette zone de
plus en plus dangereuse, Ct pas seuleme nt à cause du terroris me is la-
mique qui y sévirair.
Le N iger est d eux fo is grand comme la France. Mais en réalité, il y
a plusieurs N ige r. Trois, po ur simplifier. Le No rd, d 'abord, une zo ne de
hauts pl ateaux et de mo n tag nes qui couvre les deux tiers du pays . Partie
intégrante du Sahara, cette imm ense régio n est le rerriroire naturel des
Touareg do nt les caravanes le sillo nnent en tous sens. JI y pleut très rare-
me nt Ct o n y tfOuve quelques oasis isolées. Le deuxième N iger, au centre
du pays, est un peu mo ins a ride mais très fa iblement boisé. Enfin il y
a le Sud et sa sava ne. C'est la seule région fertile o ù les pluies saison-
niè res pe rme tte n t l'ex istence de c ultures vivrières.
Ces disparités géographiques correspo ndent auss i à des répa rti tions
ethn iq ues différe nciées. Au sud et à l'o ues t, d eux ethnies no ires, les
H ao ussa et les Djerma-So nghaï , préd o mine n t. Ce SOnt elles qui Ont
d o nné a u N iger la plupa rt d e ses dirigeants. Au no rd, près de la fro n-
tière li byenne, les To ubou SOnt majoritaires comme ils le sont au Tchad
et da ns le sud de la Libye. Pas teu rs no mad es, ce SO nt aussi à l'occasion
de rudes guerrie rs. Les so lda ts fra nçais, qu i les Ont so uve nt affro ntés
au Tchad , en savent quelque chose. Toutefo is, le no rd du N iger est prin-
cipale ment le terri tOire des Toua reg. U ne ethn ie qui n'est pas homo-
gène : il existe des To uareg blancs et d 'autres qui SOnt no irs. Une coha-
bitatio n souve nt difficile, les No irs accusant les Bla ncs de les exploiter
et mê me de les avoir parfo is réduits en esclavage. Une situation qui per-
dure: il exis te e nco re d es esclaves a u N ige r et plus gé néralem ent au
Saha ra malgré l'interdictio n pro mulguée en 2004 pa r les auto ri tés. Un
37 1
Les dessollS de La Françafrique
372
Niger: le destin des Touareg
373
Les dessous de la Françafrique
1. Voi r chapirre VI .
2. Vo ir chapitres XII ; XIII , XlV.
374
Niger: le destin des Touareg
375
Les dessous de la Françafrique
1. Voir chapitre V.
376
Niger: le destin des Touareg
Jot/mal de Focctlrl, publ ié en cinq tomes par Jeune AJi"ique et Fayard, 1997.
377
Les dessous de la Françafrique
378
Niger,' le destin des Touareg
379
Les desso us de la Françafrique
380
Niger: le destin des Touareg
1. Touareg du Niger: le destin d'un mythe, Emrn anuel Grégoire, Kanhala, 2000.
38 1
Les dessous de la Françafrique
382
Niger: le destin des Touareg
est incapable de répondre aux espoirs de ces ishomars. D 'autre part, ces
jeunes gens ont acqui s e n Libye une expérience militaire ct, co upés
de leur milieu d'origine, ils ont aussi oublié J'obéissance qu'ils doive nt
traditionnellement à leurs chefs de clan.
Formant une masse turbulente ct peu disciplinée, les ishomars ne
tardent pas à co ntes ter les conditions tnatérielles précaires qui leur SO llt
faites. Dans les camps où ils so nt parqués, la grogne monte. Les consé-
quences so nt à la mesure de leur déception: des ishomars prennent d'as-
saut les sièges de quelques organismes officiels, préfecture, gendarme-
ries et même bureaux de poste. Cerre agitat ion se focalise dans la petire
localité de Tchin-Taba raden, là même où de graves in cid ents se sont
déjà produits en 1985. Ce n'es t pas un hasard. Près de cette sous-pré-
fecture, plusieurs milliers d' ishomars sont regroupés dans un camp.
L'armée nigéri enne co mmence à procéder à des arrestatio ns. Puis,
elle se li vre à une sévère répress ion. Des paras interviennent. D es auto-
mitrailleuses se livent à un véritable bombardement de la localité tan-
dis que les soldats pratiquent des ratissages dans les camps des ishomars.
Manifestement la réponse est disproportionnée et prend rapidement
un caractère ex trêmement brutal. Les paras se livrent à de véritables
massacres et procèdent mên1e à des exécutions.
Au total, selon la version officielle, on comptera so ixante-dix morts.
Mais les organisations internationales évoqueront un chiffre beaucoup
plus im portant: au moin s six cents victimes. Quant aux Touareg, ils
parleront d' un millier de victimes.
À ce stade, il convient de faire plusieurs observations. D'abord,
l' homme qui est respon sable de cette sanglante répression et occupe
alors les fon ctions de ministre de l'Intérieur n'est autre que le président
actuel, Mamadou Tandja, un homm e qui se ra dès lors haï par les
Touareg. Ensuite, les auteurs de la répress ion , simples acteurs ou res-
ponsables de ces exac tions, ne seront jamais vraiment inquiétés. Et la
commission d'enquête qui sera final ement nommée sera impuissante à
désigner les vrais coupables . Enfin, et c'est sans doute le plus impor-
tant, ce tte tragédie va nourrir durablement le sentiment identÏtaire toua-
règue, et don c les revendications qui en découle nt.
383
Les dessous de la Françafriqtte
384
Niger: le destin des Touareg
1. op. cit.
385
Les dessous de la Françaftique
L' interventio n des services sec rets fran çai s se mbl e d'autant plus
urgente que la situation va encore en se dégrada nt. D 'une part, parce
que les forces armées nigériennes accentuent la répression contre la rébel-
lion. Et d 'autre part, parce que ces rebelles se livrent à des actions d e
plus en plus violentes . En janvier 1993, par exempl e, un commando
roua reg attaque une loca lité où sont déten us quatre des leurs. Bilan ,
neuf morts. Un peu plus tard , dans une vaine tentative de récupérer une
trenta ine de militaires ct de fonctionnaires pris en otages par le Front
de libération , l'armée arrête une vingtaine de militants et se li vre à un
véritable massacre: trente-s ix c ivi ls sont tu és.
Cep endant, à la différence de ses m éthodes d'antan en Afrique, la
D G SE, notre service d e renseignement, choisit le dialogue : nos agents
secrets se muent en diplo mates de l'o mbre et jouent les « messieurs bo ns
offices» entre la rébellio n et le go uve rnement nigé rien .
C 'est une mission à hauts risques qui suscite des réticences et Inême
d e franches hostilités . Au ministère fran çais d es Affaires étrangè res,
o n n'apprécie guè re cette immixtion d e la DG SE dans un domain e
réservé. Il en es t de même à Niamey OLI certains chefs de l'armée es ti -
ment que seule la force permettra d e venir à bout d e la rébellion tO ua-
règue. Malgré tOut, il est permis d ' espérer car la démocratisation du
rég ime nigé rien gagne du terra in . E n mars 1993, un e nouvelle co nsti-
tut io n es t adoptée et un civil , Mahamane Ousmane, es t élu à la prés i-
d ence d e la République tandis que l'arm ée regagne ses casern es.
Il en est donc fini de la dictature mi litaire et il est probable que la DG SE
a permis discrètement cette transition démocratique. On assiste donc à une
évolution significative de la mission des services secrets français qui, dans
le passé, o nt souvent privilégié les mauvais coups. Ce changement est essen-
tiellement dü au préfet Silbemlhn, le patron de la DGSE à l'époque, qui
pense que les services, cn agissant naturellement dans la plus grande dis-
crétion, peuvent parfois se poser en médiateurs, ou en « fucilitareurs )}. Les
agents de la DGSE ne m énagent pas leur peine pour aboutir à une trêve
entre les belligérants et réussissent au moins provisoirement.
Du côté Touareg, c'est Ma no Dayak qui a assumé la responsab ilité
de la négociation. Non sans d'ailleurs susciter quelques jalousies chez
386
Niger: le destin des Touareg
les siens qui ont trop souvent succombé aux démons de la division. Une
faiblesse qui permer à certains spécialistes de mettre en dou rc jusqu'à
l'existence même d'une nation touarègue.
Qui est Mano Dayak? Première originalité, ce Touareg, à la diffé-
rence de nombre de ses compatriotes, est Ull homme éduqué comme on
disait à l'époque colon iale. Sujet brillant, Mano Dayak a étudié aux lOtats-
Unis ct a même suivi en France les co urs de l'ethnologue Gern1aine
Ti lli on. C'est sans doute pourquoi il a pris rapidement conscience de
l'état de dénuement dans lequel vivaient ses frères souvent co ntraints à
s'exiler pOUt survivre. Mais il ne s'engage pas tour de sui te en politique.
Asse:z malignem ent, Mano Dayak choisit d'abord le tourisme car il sait
que so n pays et le mode de vie des siens font fantasmer les Occidentaux
avides de percer les mys tères des « Seigneurs du désert ».
Avec l'aide d e sa femme, une França ise, il fonde une agence d e
voyages qui permet à tous les amou reux du désert de réaliser leurs rêves
d'aventure! En mê m e temps, il ne fa ir pas de doute que ce jeune
homme e ntreprenant et très charismatique en profite pour populari -
ser la cause de son peuple. Dans les années 1980, Mano D ayak devient
un e so rte d e porte-parole officieux d es Touareg et participe à d e nom-
breux programm es dans les médias. Il est mêm e associé à l'orga nisa-
tion du rallye Paris-Dakar.
Cette hyperactivité ne va pas sans lui créer quelques difficultés. Au
Sud, c'est-à-dire dans la partie noire-afri ca in e du pays, on n'apprécie
guère que cet engouement touristique ne bénéficie qu'aux déserts du
Nord. Par conséquent, Mano D ayak irrite les dirigeants d e Niamey.
D 'autant que, déjà, on le soupço nne d e se li vrer à de la propagande
en faveur des Touareg. Aussi finit-il par sauter le pas et à s'engager réel-
lement en 1990, c'est-à-dire au moment où les ishomars, appelés à ren-
trer au pays, susciteront les premiers troubles.
C'est aussi l' un de ses employés, Rhissa Boula qui est à l'origine de la
création du Front de libération. Cependant les rapports entre les deux
hommes se dégraderont assez rapidem ent. Mais Mano Dayak n'aura de
cesse d'essayer d'unifier ces mouvements armés. Autre point très impor-
tant: ce leader touareg est très francophile, ce qui lui sera souvent reproché.
387
Les dessous de la Françafrique
Claude Silberzahn' :
[Lan cien patro n de la D GSE évoque les contacts éta-
blis avec les émissaires ro uareg.]
Le Tramail qui va les chercher clandestinement au cœur
du désert embarque nos agents, qui se rendent dans leurs cam-
pements, discuten t sur le terrain et tes ramènent fina lement
à Paris. Une équipe de grande qualité est chargée de cette
affàire qui, à plusieurs reprises, séjournera dans Le désert.
L'opération logistique est superbe, secrète bien évidem-
ment, et parfaitement menée par des hommes motivés qui
démontreront à maintes occasions des quaLités exceptionnefles
- techniques et humaines - auxquelles ilfout ici rendre hom-
mage, avec une mention spéciale pour celui d'entre eux, colo-
nel, qui assura la conduite totale de l'opération.
L'I!.lysée et Matignon ont donné leur acco,d. Le Quai
d'Orsay est au courant et se trouvera mêlé à l'op ération pra-
tiquement dès le départ. La Coopération envoie un obser-
vateur silencieux. Notre réussite dans l'affaire SénégaL-
Mauritanie a été appréciée, et ton se prend à penser
qu'effictivement il y a peut-être place pour une diplomatie
secrète dans certains conflits régionaux.
Mais po ur autan t toutes les di fficultés ne sont pas aplanies . Car les
représentants des Touareg veulent que ces discussio ns débouchent sur un
388
Niger: le destin des Touareg
389
Les dessous de la Françafrique
quelques missions africai nes pour le com pte de Valéry G iscard d'Estaing,
lu i offre une place dans son petit avion .
Mano Dayak emba rque donc à bo rd de l'avion que le journaliste
pilote lui- même. Mais l'appareil a à peine d éco llé qu' il explose. Bien
enœnd u, [Ous les passagers SOllt tués.
On a prétendu que l'avion était vieux et mal entretenu. Il n'empêche
que cet accident ressemble à un attentat. D 'autant que les mobiles pour
se d ébarrasser du Touareg ne manquent pas.
Mano Dayak avait repris la lutte armée. À Niamey, dans les cercles
militai res, on appréciait peu. Cependant, il comptait aussi de no mbreux
riva ux au sein de la communauté touarègue. Beaucoup lui reprochaient
les liens très étroits qu'il e ntretenait ou ava it entretenus avec la DGSE.
E nfin , même à Paris, le pourtant très fran cophile Mano Dayak com-
mençait à agacer : la reprise des combats risquait une nouvel le foi s de
compromcnre "exploitatio n de l'uranium.
Nombreux étaient do nc ceux qui avaient de bonnes raisons de sou-
haiter la liquidation de ce Touareg em blématique.
Après cette disparition , la situatio n poli tique se d égrade d e plus en
plus. Le déso rdre gagne d es deux côtés. C'est-à-dire à la fois à N ia mey
et chez les Touareg où les différents clans se déchirent. Quant au pou-
voir central , miné par la crise éco nomique, il est aussi l'objet d 'un e âpre
discorde entre le président Ct so n Premier minisue. Finalement, l'ar-
mée tranche et reprend les rê nes à la faveur d' un nouveau putsch, au
début d e l'année 1996.
Co mme d' habitude, la France a suivi l'affa ire de très près. À Pa ris,
Jacques Chirac a été élu président de la République et a emmen é avec
lui à l'Élysée Jacq ues Foccart. Malgré son âge et sa lon gue traversée
du désert, l'a ncienne émin ence grise du général de Ga ulle avait gard é
une ccnaine influence en Afr ique ct vei llé à ce que ses réseaux demeu-
rent en place. Le vieil homme, effaré par l'anarchie nigérienne, a sans
nu l doute agi avec son effi cacité coutumière. M ais, bien sûr, officiel-
lemen t, Paris a condamn é l'initiative des putschistes . Toutefois, il ne
s'est guère passé de temps ava nt que la France consente au no uveau pou-
vo ir une importante aide finan cière.
390
Niger: le destin des Touareg
391
Les dessous de la Françaftique
inco ntestablemen t sur ccrre division ct, bon gré, mal gré. le pouvo ir
central co ntient les rébellions et conclut mêlne quelques accords avec
les dissidents. On voit ainsi le principal rival d e Mano Dayak, Rhissa
Boula, devenir ministre et le rester huit ans, un record de longévité au
Niger. Cette ascension ministérielle de l'un des principaux chefs rebelles
permet d'assurer un certain retour au calme au mo ins jusqu'en 2004 .
Cerre année-là, accusé de corruptio n et d'avoir commandi té l'assassinat
d'un po liticien, Boula est démis de ses fo nctions et incarcéré. Aussitôt,
les troubles recommencent dans le No rd. Les Touareg réclament la libé-
ratio n de leur leader. l'année suivante, K..'ldhafi, qui n'avait plus fait par-
ler de lui au N iger depuis un certain temps, s'entremet. Des o tages so nt
libérés et le Front de libération remet même ses armes aux autorités.
Toutefois, l'accalmi e est de courte durée. Et d 'abord parce qu' un e
no uvell e séche resse menace! Mais une fois enco re, c'est la question
de l'uranium qui est au centre d e l'affaire. Une véritable partie de bras
d e fer s'engage entre le pouvoir et la rébellion qui redo uble d 'activité
à partir de 2007 .
La compagnie française Areva nav igue à vue au milieu de ce co nRit
entre deux adversaires irréconciliables. Une position d'autant plus incon-
fortable qu'en raison de la crise mo ndiale de l'énergie, le cours du mine-
rai Aambe ! Le gouvernement nigérien en profite logiquement pOUf E,üre
monter les enchères et in viter des sociétés chino ises de plus en plus pré-
sentes en Afrique à s'intéresser à so n uranium.
Areva est donc soumise à une so rte de chantage. Sa situation se com-
pl ique encore quand elle doit auss i faire (,ce il d es attaques de plus en
plus d éterm in ées des réseaux de vigilance sur le nucléaire et d'ONG
fra nçaise et nigérienne qui lui reprochent de po lluer et d 'exposer ses tra-
vailleurs à la radioactivité sa ns prendre les précautions nécessaires à cc
genre d'exp loitation .
Ces critiques semblen t fondées. Mais c'est bien sll r la pérenn ité de
son activité au Niger qui préoccupe en priorité Areva. Et là, tous les
coups bas so nt permis.
Le président Ta ndja veut plus, toujours plus pour so n pays! Un
accord commercial est à peine signé qu' il ex ige d e vendre encore plus
392
Niger: le destin des Touareg
Préface 9
395
Les dessous de la Françaftique
Lhistoire de la V' République est jonchée de cadavres, parfois bien gênants. Ministres
« su icidés» (Boulin, De Broglie ... ), juges élimi nés (d u juge Renaud de Lyon dans
les années 1970 au juge Borrel à Djibouti), règlements de comptes sanglants entre
la pègre et certains milieux d'affaires.
Mises bout à bout, ces affai res constituent une histoire souterraine mais édifiante
et dissimulent souvent des pratiques inavouables. Dans ce volume, Monsieur X revient
sur quelques-uns des dossiers les plus mystérieux de la V' République: assassinats de
ministres, magouilles immobilières, malversations du SAC, etc. avec de nouveaux éclai-
rages et son habituel le liberté de ton.
www.nouveau-monde . net
LES ESPIONS RUSSES
de Staline à Poutine
Patrick Pesnot
En Russie, Staline ne fait plus peur. Il aurait même pris les traits de Poutine. Poutine,
obscur colonel du KGB, qui a connu une ascension fulgurante, en partie grâce à la
Tchétchénie et quelques attentats perpétrés opportunément quelque temps avant
l'élection présidentielle de 2000. Avec Poutine, c'est le KGB, devenu FSB, qui revien t
en force après les parenthèses Gorbatchev et Eltsine.
Dans cet ouvrage, Monsieur X décortique les rouages du pouvoir, met en lumière les
escroqueries commises par les oligarques et la « famille» Eltsi ne. Il s'interroge sur
la destination du trésor du Pc. Mais il balaie aussi l'histoire des soixante-dix derniè-
res années en Russie en mettant en valeur les histoires les plus mystérieuses ..
vvvvvv.nouveau-rnonde.n e
Achevé d'imprimer en décembre 2008 par EMD S.A.S. (France)
Dépôt légal: novembre 2008 - N° d' imprimeur : 20629