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L I R E À L’ É C O L E

Les méthodes de lecture


en cours préparatoire
Difficultés d’application

A
pprendre à lire est une priorité de l’enseignement primaire. On doit donc
réfléchir aux méthodes et moyens les plus efficaces pour réaliser cet objectif.
On considère qu’un apprentissage chaotique de la lecture est susceptible d’aboutir,
bien qu’il n’en soit pas la cause exclusive, à l’illettrisme. Les méthodes de lecture
pourraient ainsi avoir une part de responsabilité en ce qui concerne l’entrée mal réussie dans
l’écrit. La prévention de l’illettrisme consiste, dans cette perspective, à assurer des bases solides
pour tous lors de l’apprentissage, par une pédagogie de la lecture adaptée au plus grand nombre,
et différenciée lorsque c’est nécessaire auprès des élèves diagnostiqués en difficulté.

En charge d’un cours préparatoire pédagogique s’avère donc plus opé-


(CP),l’enseignant se sent particulière- ratoire : l’enseignant de CP saura qu’il
ment responsable de l’apprentissage est soutenu par ses collègues et que
de la lecture,même si les programmes son travail s’inscrit dans une conti-
rappellent l’aspect continu de cet en- nuité. Mais le choix reste difficile, de
Bruno Germain seignement,en cycles 2 et 3 (cf.enca- même, pour l’équipe.
dré). Le professeur cherche légitime- Toutes les méthodes ont le même
Observatoire national ment comment l’organiser et avec objectif : permettre l’apprentissage
de la lecture quels outils d’accompagnement, et, de la lecture et faire de chaque enfant
bruno.germain@education.gouv.fr en particulier, selon quelle méthode. un futur lecteur expert. Néanmoins,
Choisir une méthode ou un ma- elles revendiquent des différences
nuel n’est pas facile. C’est la raison dans le moyen d’y parvenir (grâce à
pour laquelle il serait heureux que ce une méthodologie et des objectifs
choix revienne à l’équipe qui com- opérationnels déterminés).
pose le cycle 2, voire à toute l’école. Nous n’entrerons pas dans la polé-
On sait qu’aujourd’hui le choix se fait mique des querelles de chapelle et
presque toujours par l’enseignant des terminologies, nous nous limite-
seul, sous la pression éventuelle des rons à donner du sens et de la cohé-
parents, d’un(e) collègue, du direc- rence à une vue d’ensemble. Pour ce
teur…,d’idées reçues ou d’une repré- faire nous allons observer les diffé-
sentation poétique de l’apprentis- rentes méthodes et tenter de cerner
sage. De plus, les enseignants sont les difficultés particulières qu’elles
souvent peu assurés et modifient vo- sont susceptibles d’engendrer.
lontiers leur comportement, voire Par commodité, nous distingue-
leurs idées, si un regard pertinent les rons trois méthodes, telles qu’elles
y invite.Un choix collectif de l’équipe sont définies dans l’ouvrage de l’Ob-

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DOSSIER
suffisant de conscience phonolo-
Chargé de mission à l’Observatoire national de la gique. L’enfant doit pouvoir explicite-
lecture, Bruno Germain enseigne la linguistique Présentation des cycles 2 et 3
à l’université Paris V et est professeur associé à ment décomposer la chaîne parlée en
l’IUFM de Paris. Il a exercé auparavant en école Depuis la loi d’orientation de 1990,
sons identifiés, savoir les reconnaître l’enseignement primaire est organisé
primaire. Auteur d’articles sur les méthodes et les
manuels de lecture, il a participé à l’ouvrage de et les produire séparément. en trois cycles pédagogiques. La nou-
l’ONL Le manuel de lecture au CP (CNDP/Savoir Une première difficulté peut naître velle structure doit permettre, en parti-
Livre, 2003). culier, la mise en œuvre des pro-
de la mauvaise connaissance de la grammes par période et non plus par
langue orale française et donc de la année, de favoriser l’évaluation conti-
gêne à pouvoir analyser cette langue nue des enfants et d’ouvrir un espace à
diverses formes d’enseignement diffé-
servatoire national de la lecture, Le de manière volontaire. On observe rencié ou de remédiations adaptées.
manuel de lecture au CP* : « Par mé- mal ce que l’on connaît mal. D’autres
thode, nous entendons l’ensemble enfants peuvent avoir une difficulté Le cycle 2
des soubassements théoriques qui de discrimination des sons entre eux, Le cycle 2, appelé cycle des apprentis-
sages fondamentaux, se positionne de
construisent un modèle méthodo- du fait d’un accent, d’une particu- manière tout à fait intéressante. D’une
logique opérationnel de la lecture. larité régionale, ou d’un problème durée de trois ans, il regroupe la grande
Chaque méthode repose ainsi sur d’audition. Le développement de la section de maternelle, le cours prépa-
ratoire et le cours élémentaire 1. Ceci
un ensemble de caractéristiques conscience phonologique en mater- signifie que le CP se trouve inclus au
identifiables qui la distingue des nelle et en CP est incontournable, cœur d’un cycle, comme son point pivot.
Cela signifie aussi que les apprentis-
autres méthodes. Elle peut ensuite mais il peut s’avérer délicat.
sages dont il est l’enjeu trouvent un
être diversement déclinée en dé- La méthode synthétique induit en- espace nouveau de consolidation : ils
marches qui exploitent de manière suite la découverte et la compréhen- commencent en amont et se poursui-
vent en aval. La place de la maternelle
spécifique et précise ces caractéris- sion du principe alphabétique. De grande section ne peut pas laisser indif-
tiques théoriques, grâce à des acti- quoi s’agit-il ? En fait, il faut « seu- férent, dans cette configuration. Tou-
vités choisies. » lement et nécessairement » com- jours incluse dans la maternelle, avec
ses orientations de travail et le dévelop-
prendre qu’il existe un mécanisme de pement de compétences qui relèvent
correspondances arbitraires relative- tout autant des savoir-être et savoir-
La méthode synthétique ment régulier entre les unités de la faire que des contenus, elle préfigure
plus précisément son positionnement
langue orale et celles de la langue par rapport à l’enseignement élémen-
La méthode synthétique s’appuie écrite. Pour certains enfants, l’appro- taire et l’entrée à « la grande école ».
sur la découverte des unités constitu- priation de ce lien formel peut La grande section est un lieu où des ap-
prentissages seront mis en œuvre dans
tives de la langue, puis sur la prise de prendre un certain temps, dû à son un esprit de continuité avec le CP. Ceci
conscience par l’élève des correspon- degré d’abstraction et aux irrégulari- concerne tout particulièrement l’ex-
dances qui rapprochent les consti- tés qui naissent du passage de l’oral pression puis la maîtrise de la langue
orale et l’entrée dans l’écrit. En mater-
tuants formels de la langue orale (les vers l’écrit ou l’inverse. Il faut une nelle, on prépare l’entrée dans la lec-
phonèmes et leur réalisation en pratique fréquente et répétitive, ce ture.
sons),qu’il utilise spontanément mais qui fait dire de cette démarche de dé-
Le cycle 3
sans les connaître de manière expli- codage-encodage qu’elle est « méca-
Le cycle 3, appelé cycle des approfon-
cite, et les unités de la langue écrite nique ». dissements, concerne les trois dernières
(les graphèmes et leurs graphies en Lors des activités de fusion et de années du primaire. Trois années pour
préparer au collège tout en consolidant
lettres et groupes de lettres), qui lui combinatoire, les élèves sont amenés
les bases. Trois années qui, chacune,
sont encore étrangères. à lier les unités minimales en unités comptent : tout élève qui n’aura pas pu
En premier lieu, l’apprentissage plus grandes – les syllabes – puis en dépasser ses difficultés ou qui en aura
accumulé de nouvelles au cours de
engage l’enfant à segmenter (c’est-à- mots. Pour certains, cela s’apparente cette période rentre en situation extrê-
dire à fragmenter la chaîne parlée en à apprendre le nom des atomes et mement précaire en sixième. Les poten-
mots, en syllabes et en sons) et dis- leur structure, puis à s’attacher à for- tiels offerts par l’organisation en cycles
doivent être explorés et utilement ex-
criminer (c’est-à-dire être capable de mer des molécules, sans avoir les ploités pour aider autant que possible
reconnaître la présence et la place moyens de deviner à quels grands en- les enfants les plus fragiles tout en ré-
d’un son dans un mot) les unités mi- sembles elles participent et sans voir pondant aux attentes de ceux qui sont
scolairement plus avancés.
nimales de la langue orale, démarche concrètement les matières qu’elles
L’organisation en cycles peut paraître
intellectuelle réflexive qui n’est pas constituent : cela peut paraître frus-
un artifice inutile dix ans après sa mise
naturelle, afin d’atteindre un degré trant dans les premiers temps, du en œuvre. Elle représente néanmoins,
point de vue de l’adulte.Mais n’en va- encore aujourd’hui, une dimension
pleine de promesses et de potentiels
t-il pas de même lors de l’apprentis- pour un enseignement audacieux.
* Observatoire national de la lecture, Le manuel
de lecture au CP, réflexions, analyses, critères de sage de la numération, et pourrait-on B. G.
choix, CNDP/Savoir Livre, Hatier, 2003. en faire l’économie pour autant ?

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Plus tard, la connaissance du code et régulière. C’est artificiel, mais c’est livres. Les nouveaux programmes in-
et la pratique régulière de la lecture aussi ce qui en fait la force. Car sistent sur cette dimension de l’en-
accompagneront l’enfant vers une lorsque les correspondances seront trée des livres (et leur mise en rela-
fixation orthographique qui permet enfin intégrées automatiquement, la tion) et de la littérature de jeunesse
l’accélération de la vitesse de lecture, partie décodage/codage des signes dans la classe.
une meilleure endurance de lecture graphiques ne fera plus mystère. La
de textes longs et surtout la disponi- langue pourra être écrite ou lue avec
bilité intellectuelle nécessaire à un un minimum d’erreurs possibles. Or La méthode analytique
travail plus approfondi de la compré- une langue est essentiellement faite
hension. Il faut donc prendre du pour permettre la meilleure inter- Parce qu’elle s’appuie sur la dé-
temps pour lire de plus en plus. compréhension possible, au moindre couverte du matériau écrit sans faire
Certains obstacles peuvent naître coût intellectuel. Et un automatisme nécessairement de lien avec la struc-
de la démarche choisie, au sein de est peu coûteux en terme cognitif. ture linéaire de la langue orale, la mé-
cette méthode. On considère que la méthode syn- thode analytique induit certaines dif-
Une démarche syllabique,qui s’ap- thétique donne des résultats positifs, ficultés. Celles-ci sont inhérentes à la
puie plus précisément sur la connais- permettant un accès à l’autonomie séparation entre code oral, qui ne fait
sance des lettres, leur épellation, et pas l’objet d’une analyse, et code
la combinaison des graphies vers écrit, considéré comme nouveau, au-
la phonie correspondante, part, en tonome et distinct. En effet, cette mé-
quelque sorte, du code inconnu (les thode part des grandes unités écrites
combinaisons de lettres) vers le code Pour devenir (le texte, la phrase) pour aller vers
connu (la chaîne des sons de la langue leurs composantes (le mot). Chaque
orale), c’est le b.a.-ba. Ceci peut déso-
lecteur autonome phrase ou chaque mot est une entité
rienter certains élèves. de la langue française, qui a son identité propre et son sens
On lui préfère une démarche gra- associé.
pho-phonologique qui s’appuie sur la langue alphabétique, Ceci impose une immersion dans
construction des correspondances la connaissance les textes,à la manière de Champollion.
phonies/graphies et graphies/pho- Et comme Christophe Colomb, on y
nies, et l’automatisation des procé- de ses constituants navigue sans trop savoir où l’on va,
dures de décodage/codage. Certes, en privilégiant des activités d’hypo-
c’est technique et nouveau pour l’en-
et de ses correspondances thèses sur le sens ; on découvre des
fant. Souvent stigmatisée, au début, entre l’oral et l’écrit mots, des indices. D’une certaine ma-
par un ânonnement lors de la lecture nière,c’est une approche qui construit
orale de phrases et la routine de dic- est une nécessité des correspondances entre mots,
tées de sons à écrire, cette démarche phrases et sens : pour certains élèves,
pourrait démobiliser la motivation cela va amener des difficultés.
pour l’apprentissage de la lecture, si La première vient de la saturation
elle était exécutée seule,sans une ren- de la lecture,y compris chez les élèves assez rapide de la mémoire, puisque
contre avec les textes et les livres et les plus fragiles face à la langue, dans la méthode impose la rétention de
un travail régulier sur leur compré- un temps assez court, entre six mois mots entiers ou de phrases dans leur
hension. et deux ans. Mais, comme pour tout immense diversité. Les mots devien-
Cette méthode est préconisée dans apprentissage, sa mise en œuvre né- nent des images, avec un sens asso-
les nouveaux programmes. cessite des efforts et de la persévé- cié. Cette vision logographique des
Il faut savoir que,pour devenir lec- rance. unités (mots,phrases) a conjoncturel-
teur autonome de la langue française, Il faut rappeler que la méthode lement fait apparaître le terme de
langue alphabétique, la connaissance synthétique nécessite d’être immé- « méthode globale ».
de ses constituants et de ses corres- diatement liée à des activités paral- La seconde difficulté vient de la re-
pondances entre l’oral et l’écrit est lèles portant sur les textes et l’ap- présentation de l’écrit : un code spé-
une nécessité. prentissage de la compréhension, qui cifique à apprendre de toutes pièces,
Si la méthode synthétique est mé- peut être commencé de manière différent du fonctionnement de la
canique, c’est qu’elle reflète cette orale dès la grande section de mater- langue orale. Certains élèves en vien-
spécificité des langues alphabétiques nelle. Cet apport permettra de légi- nent à dire « Je sais lire telle phrase
dont la graphie fut, à l’origine, vo- timer un véritable apprentissage de ou tel livre, mais pas les autres ».
lontairement liée aux phonies, avec la lecture, c’est-à-dire l’entrée dans Cela revient à considérer que lire,
un souci de générativité automatique le sens et une culture partagée des c’est reconnaître des textes appris, et

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que le meilleur lecteur est celui qui a textes seront prélevés dans la littéra- mémoire et « la motivation », justifiée
appris à lire tous les livres. ture de jeunesse, dictés à l’adulte par parce qu’elle ressemble à l’approche
La méthode analytique impose par les élèves, etc. faite en maternelle, n’est sans doute
ailleurs une perspective hypothé- Finalement, la mise en œuvre de pas nécessaire.
tique sur le « sens » plus que sur la la méthode analytique (et de ses di-
forme des textes, ce qui ne sera pas verses variantes) nécessite une très
forcément facile à gérer pour l’en- grande continuité dans l’apprentis-
fant. En effet, si la signification d’un sage et au sein de l’école (plusieurs Si la signification
mot est stable (on la découvre dans le années) pour espérer un impact si-
dictionnaire),le sens d’un mot,lui,dé- gnificatif. Il faut donc s’assurer, au
d’un mot est stable,
pend de la place qu’il occupe dans minimum, de cette continuité homo- le sens d’un mot, lui,
l’environnement des autres mots ; le gène au sein de toute l’équipe de
sens s’actualise en contexte. Il ne se l’école et, par ailleurs, que certaines dépend de la place
partage pas formellement et n’offre activités engagent l’analyse de la qu’il occupe
pas d’invariants ni de régularités. En structure de la langue.Il faut éviter un
d’autres termes, rien n’est jamais sûr travail trop exclusif et systématique dans l’environnement
dans la négociation sur le sens.Un ap- sur le sens, qui finit par cacher que des autres mots
prentissage fondé exclusivement sur l’enjeu est aussi l’apprentissage de la
le sens se construit donc très lente- langue écrite avec les caractéristiques
ment, sur des bases instables et des des signes qui la constituent.
hypothèses à toujours renouveler. La démarche mixte conjointe pro-
Si cette approche paraît empirique- pose une entrée simultanée dans
ment dynamique, elle est aussi très La méthode mixte l’écrit par des activités relevant des
demandeuse d’énergie, de connais- méthodes analytique et synthétique.
sances personnelles et d’arrière-fond Parce qu’elle s’appuie sur un mé- Elles sont littéralement mises en
culturel,et si elle présente l’image po- lange des deux premières, cette mé- concurrence dans la représentation
sitive de développer la sensibilité à la thode induit certaines difficultés, in- que l’élève essaie de se construire de
langue, elle induit surtout une repré- hérentes à ses points d’appui plus la lecture : faut-il apprendre des mots
sentation fausse de la lecture, une dif- hétérogènes. Même si elle cherche à ou les décomposer ? Cette ambiguïté,
ficulté avec le respect de la structure rapprocher les qualités des méthodes souvent poursuivie tout au long de
morphologique et orthographique de synthétique et analytique, elle ras- l’année, introduit de la confusion
la langue écrite et, par conséquent, semble surtout des défauts et cause chez certains élèves qui hésitent dans
des problèmes d’écriture. des difficultés spécifiques. En effet, la stratégie de découverte des mots
Cette méthode ne donne pas la cette méthode articule un travail plu- nouveaux. Ceci gêne l’accès à l’auto-
priorité à l’analyse de la structure de tôt logographique et une entrée dans nomie et à l’endurance de la lecture.
la langue.Il ne faudrait pas la négliger le déchiffrage grapho-phonologique. De plus, pour rendre cette démarche
pour autant. En effet, les élèves les Deux démarches sont traditionnelle- pertinente, les mots appris sont le
mieux armés face à la langue finiront ment engagées. plus fréquemment organisés en caté-
par l’assimiler, au moins de manière La démarche mixte enchaînée pré- gories ou suivant des classements,
implicite,au bout d’un certain temps ; sente pour l’enfant la difficulté de par exemple les noms communs, les
les plus fragiles pourraient s’en trou- changer d’orientation en cours d’ap- verbes, etc. Ceci ajoute une dimen-
ver pénalisés. prentissage : il rencontre nécessaire- sion implicite grammaticale, dont on
Une réelle difficulté vient encore ment l’écrit par la méthode analytique peut chercher la réelle pertinence au
de la nécessaire maîtrise métalinguis- idéovisuelle dans les premiers temps, cours du CP.
tique de la langue par l’enseignant, en général jusqu’à la Toussaint. En- La méthode mixte, pour devenir
puisqu’il doit saisir en permanence suite, il découvre la décomposition efficace, nécessite de la part de l’en-
les origines des hypothèses sur le sens de la langue en basculant dans la mé- seignant une parfaite connaissance et
faites par les élèves,afin de les exploi- thode synthétique. Il croit avoir com- une bonne maîtrise des deux mé-
ter et de conduire chacun vers une pris comment se réalise la lecture, thodes qu’elle rassemble. Elle ne
meilleure expérience de la langue. Il puis on lui montre que ça fonctionne donne pas toujours satisfaction sans
faut aussi avoir effectué un choix ju- autrement en entrant dans le code. qu’on puisse dire aisément, pour
dicieux des textes sur lesquels les Cette modification des représenta- chaque élève mis en difficulté, quelle
élèves s’interrogent. Selon les dé- tions est propice à déstabiliser cer- en est l’origine.
marches choisies (Decroly, Associa- tains élèves. De plus, la première en- Ce court tour d’horizon peut lais-
tion française pour la lecture…), les trée logographique, reposant sur la ser perplexe : n’a-t-on que le choix

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entre de mauvaises propositions ? En ficultés pour l’enseignant comme sait-il alors précisément évaluer les
fait, non. Il existe des choix plus heu- pour l’élève. habiletés qu’il favorise, et connaît-il
reux que d’autres.La préférence pour Pour l’enseignant,cela signifie qu’il les apprentissages implicites qu’il en-
une méthode synthétique grapho- doit construire ses supports en per- gage ?
phonologique semble la plus légitime manence, en lien avec la progression Pour l’élève, l’absence de manuel
pour entrer dans l’écrit du français, et le profil de la classe. Cela nécessite ne permet plus de voir où il va ou de
langue alphabétique. Elle peut pré- de nombreuses activités diagnos- le montrer à d’autres, notamment à
senter des difficultés lors de l’appren- tiques, un choix de supports perti- ses parents. Il faut donc que l’ensei-
tissage, c’est pourquoi l’enseignant nents au jour le jour, et une grande gnant remplace ce manque par un
doit être très attentif lors de sa mise discours ou d’autres objets substitu-
en œuvre pédagogique. Il peut s’em- tifs, en évitant l’abus malheureux de
parer notamment des instruments photocopies.
d’accompagnement que sont les ma- L’enseignant Pour ne pas employer de manuel,
nuels de lecture et tous les outils et il faut à la fois être expérimenté et
périphériques (affiches, albums, ca- peut s’emparer compétent en matière d’apprentis-
hiers d’activités, cédéroms, etc.), con- des instruments sage de la lecture.
çus comme autant de supports dont L’usage d’un manuel impose qu’il
l’emploi est pertinent et légitime. Si d’accompagnement ait été choisi suivant des critères sé-
l’enseignant est formé pour pouvoir rieux : un manuel, cela s’analyse ! Les
choisir et utiliser au mieux ces outils,
que sont les manuels de difficultés que les manuels peuvent
cela ne réduit en rien sa liberté péda- lecture et tous les outils engendrer viennent des progressions
gogique : bien au contraire, c’est un proposées, de l’accent mis sur cer-
élément supplémentaire de son ex- et périphériques conçus taines activités plus ou moins utiles à
pression. comme autant de supports l’apprentissage réel de la lecture, et
surtout de leurs manques, qu’il faut
dont l’emploi est pertinent pouvoir remarquer et corriger. C’est
Manuels, outils ou objets et légitime ainsi que l’enseignant doit s’appro-
prier et utiliser un manuel dans les
Il est souhaitable qu’un enseignant meilleures conditions.
utilise les outils mis à sa disposition L’ouvrage de l’ONL Le manuel de
pour accompagner et favoriser un disponibilité de temps. Ceci dit, l’ins- lecture au CP est de ce point de vue
meilleur apprentissage des élèves ; piration peut manquer et le choix ne une référence. Il présente un tour
ceci implique qu’il sache choisir les pas être heureux. Le risque, c’est de d’horizon des éléments qui consti-
manuels de manière raisonnée : il est construire une routine artificielle tuent l’apprentissage de la lecture au
des publications plus valables que (par exemple faire « appel au vécu » CP, puis il offre une grille d’analyse
d’autres, plus conformes aux pro- ne permet pas toujours de dépasser des manuels complète et exempli-
grammes, ou mieux adaptées à l’en- ce que les élèves savent déjà pro- fiée, ensuite appliquée à quelques
seignant et à la méthode qu’il va duire) pour aller vers les objectifs de ouvrages. Chaque enseignant de CP
mettre en œuvre. l’apprentissage, ou solliciter les sup- devrait s’en saisir.
Pour certains pédagogues, les ma- ports ou objets (magazines, albums, Bien utiliser un manuel nécessite
nuels n’ont pas de raison d’être. affiches, etc.) de manière récurrente de bien connaître les éléments et
L’absence de manuel est fondatrice et peu homogène. compétences qui composent un ap-
de leur action et ils utilisent alors Ne pas avoir de manuel impose de prentissage réussi de la lecture et de
d’autres objets. Freinet défendait l’enseignant qu’il soit toujours perfor- savoir repérer l’origine des difficultés
cette perspective.Elle a été fortement mant, innovant, et le place en situa- rencontrées par les élèves.
soutenue dans les années 1970-1980, tion périlleuse. De plus, ses assises
mais une telle position induit des dif- théoriques peuvent être bien floues, Octobre 2003

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