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site : www.pulim.unilim.fr
Nouveaux Actes Sémiotiques
ISSN - 1961-8999

Denis Bertrand et Jean-François Bordron


Bilan provisoire du séminaire « Espace et signification, I » (2008-2009)

Publié en ligne le 19 novembre 2009

Texte intégral :

Les exposés de la première année du séminaire consacré à la sémiotique de l’espace ont fait
apparaître quelques lignes de force qu’il peut être utile de rappeler au moment d’aborder
une seconde année sur la même problématique. Il ne s’agit nullement ici d’une synthèse,
mais d’un document de travail qui peut éclairer les discussions à venir. Les organisateurs
du séminaire avaient proposé que cette première année porte plutôt sur des questions
d’ordre épistémologique et théorique, en réservant pour la seconde les interventions plus
précisément centrées sur les domaines de spécialité des univers spatiaux. C’est en effet, peu
ou prou, ce qui s’est passé. Et lorsque des exposés s’attachaient spécifiquement à des objets
concrets relevant de la peinture, de l’architecture ou de l’urbanisme (cf. entre autres ceux de
P. Boudon, de M. Hammad, de Ph. Nys ou de J. Petitot), c’est bien par les questions
théoriques qu’ils soulevaient que leur apport s’est fait sentir.
Le texte d’intention du séminaire suggérait de centrer ces interrogations sur quatre grands
domaines : celui qui avait été appelé la spatialité matricielle, l’espace assurant dans le
langage la scénographie première du sens ; celui, ensuite, de la spatialité perceptive,
concernant aussi bien les problèmes de cohésion et de fragmentation dans l’aperception que
celui des relations de dépendance soumis à la rection du sujet sensible (à travers la question
du point de vue par exemple) ou ceux, plus généralement, des modalités sensorielles de la
saisie de l’espace sur un horizon sémio-phénoménologique ; puis, en troisième lieu, la
question de la spatialité sémantisée, entre figuralité des traits, iconicité, figurativité et
thématisation spatiales, avec en particulier cette question laissée en suspens des objets
vagues, sans bords, comme les nuages, les halos, les reflets, les atmosphères et les
« climats » ; et enfin, quatrième question, celle de la spatialité narrativisée et passionnée,
peut-être transversale aux précédentes, qui concernait un domaine mieux balisé par les
sémioticiens et qu’on peut résumer par le mot de clôture de Cl. Zilberberg : « Le syntagme
‘espace thymique’ apparaît, strictement mesuré, comme un pléonasme. » Question
transversale et donc « matricielle » si on se réfère à l’affirmation de Cassirer : « Tout ce qui
possède un sens s’enracine dans la couche de l’affect et de l’excitation sensible, et s’y
ramène. »

Avec le recul, ces quatre directions esquissées apparaissaient comme un programme : on


pourrait les lire en effet, l’une à la suite de l’autre, comme un parcours ordonné de saisie et
d’appropriation de l’espace par le sujet. Mais là n’était pas le projet. Il ne s’agissait que
d’une liste ouverte contenant des concepts, ou de thématisations suggérant des lieux
particuliers de questionnement pour une problématique d’ensemble. Et on ne saurait les
retenir, tels quels, pour rendre compte de ce qu’on peut considérer comme des avancées
sémiotiques dans un champ déjà si profondément labouré. Ces avancées sont ici regroupées
sous quatre titres de problèmes : (1) la mise en question de l’évidence de la spatialité, (2)
les hypothèses d’une générativité pour une saisie articulée de l’espace, (3) la flexibilité et
l’instabilité de l’espace comme signification, (4) l’interdéfinition de l’espace et de
l’actantialité.

1. La mise en question de l’évidence de la spatialité. La difficulté de remonter d’une


préhension des objets dans l’espace à une appréhension de l’espace même a été maintes fois
soulignée. Et cela, en vertu de ce constat que l’espace est partout, qu’il est englobement,
qu’il est au fondement de l’expérience signifiante, qu’il est la condition d’émergence des
valeurs. La prégnance générale de la spatialité rend problématique le « retour » à un regard
naïf sur l’espace – Comment faire comme s’il n’existait pas et rejouer, pour le saisir, la
scène de son apparaître, alors même qu’il enserre de tous côtés, dans la perception, dans la
formation des langages et dans les produits de l’usage culturel, toutes les dimensions du
sens ? Cette question fondamentale, celle d’une constitution ontologique de la spatialité, est
bien entendu vertigineuse. Comme le vertige lui-même, elle provoque une démodalisation
généralisée, un abandon des repères, une perte de l’assise. Elle exigerait, si on voulait tenter
d’y répondre, une suspension – au sens phénoménologique – si radicale que le langage lui-
même ferait défaut pour l’exprimer. Il s’agirait de rompre avec l’évidence perceptive,
langagière et interagissante qui nous restitue imparfaitement, dans un mixte de débrayage et
d’embrayage, l’expérience vécue et ses illusions spatialisantes. On a bien perçu cette
tentative de reconstituer, à un niveau infra-langagier, au plus près des catégories naissantes,
la trame des conditions qui permettraient de franchir l’écran d’espace et d’en faire tomber
le masque pour, enfin, l’apercevoir. Il s’agissait d’interroger le statut véridictoire de la
spatialité sous la pression des langages. Sont alors apparues des catégories nodales, comme
celle de la séparation et de l’union, des limites et des bords, de la distance et de la
proximité, de l’intensité et de l’extension. Mais ces catégories n’ont pas la forme stabilisée
et rassurante que la structure leur reconnaît, comme l’illustre le problème de la profondeur
(Sémir Badir). Elles sont d’emblée travaillées, mises en mouvement, soumises à des
vibrations. Car elles sont imprégnées d’une signification syncrétique qui mobilise
simultanément les paramètres somatiques, thymiques et cognitifs qui s’y investissent. Les
catégories de la spatialité ne peuvent être appréhendées sur le seul mode du débrayage
objectivant, elles doivent se soumettre en même temps au proto-embrayage qui prescrit les
formes d’appartenance du sujet à l’espace, ne serait-ce que par le fait qu’il se perçoit
comme centre de référence.   

2. L’articulation générative de la spatialité. Le premier constat qu’on vient de faire invite à


interroger la position de la spatialisation dans le modèle de référence de la sémiotique, celui
du parcours génératif, au seul niveau superficiel de la figurativisation dans les structures
discursives. L’intérêt de ce positionnement, comme cela a été plusieurs fois souligné, est de
secondariser l’espace, de le priver de son autonomie, de le soumettre aux conditions plus
profondes de l’organisation du sens, conditions tensives, catégorielles, modales et
narratives. L’espace, dans ses formes toujours particulières, est sous la dépendance d’un
« ordre du sens à l’intérieur duquel il se forme à chaque fois » (Cassirer), et cet ordre peut
être soumis au contrôle de l’actantialisation ou, plus largement, de l’instanciation.

Le réflexe génératif des sémioticiens est, on a pu le constater, toujours agissant. Il permet


de démêler ce qui est noué, d’étaler et de stratifier rationnellement ce qui se donne comme
invasif, en l’occurrence de déplier le syncrétisme catégoriel évoqué plus haut. L’espace
s’est ainsi trouvé pris en charge, de manière plus ou moins directe, plus ou moins
explicitement référencée au modèle canonique, à une générativité. Il serait utile à ce propos
de mettre en regard les propositions, au départ profondément disjointes, qui ont été faites en
ce sens. On en retiendra ici trois. Celle de J. Fontanille qui fait l’hypothèse de trois niveaux
de la spatialité corrélée à trois niveaux de la temporalité, tous deux associés aux trois
niveaux de l’actantialité : celui des formes tensivo-phoriques, celui des régimes modaux de
l’actance, celui des formes figuratives de l’acteur. L’espace serait appréhendé, aux deux
extrémités du parcours, comme espace de l’existence (avec ses traits élémentaires) et
comme espace de l’expérience (subjectif et sensible, soumis au mouvement), entre lesquels
s’insérerait un tiers-espace qui assurerait la conversion de l’un en l’autre, celui des schèmes
figuraux, produits régularisés de l’usage social et culturel. Une autre proposition à caractère
génératif a été présentée par P. Basso, fondée cette fois sur le concept transversal de la
médialité, posé comme assise de la spatialité. Quatre niveaux d’articulation étaient alors
établis, la conversion de l’un à l’autre étant assurée par une opération d’inter-médiation :
l’espace « médial » référé à la perception, l’espace « médiationnel » référé à l’énonciation,
l’espace « médiateur » référé à l’institutionnalisation, et l’espace « médiatique »,
introduisant les paramètres technologiques et référé à la transmission. Mais il est également
possible de considérer que la proposition d’E. Landowski, qui s’en défendrait sans doute,
relève elle aussi d’une générativité du sens spatial. Le parcours qu’il présente fait passer de
« l’espace conventionnel de la circulation des valeurs » fondé sur les classiques relations
jonctives, au niveau de « l’espace opératoire de l’usage des choses » fondé sur la
modulation des échelles de représentation avec les opérations propres qu’elles impliquent,
et enfin au niveau plus immédiatement sensible de « l’espace vécu de la présence » fondé
sur les mises en contact de l’union sans médiation. On peut considérer que, par delà
l’approche dialectique, on a là l’esquisse d’une générativité de la spatialité. La
confrontation de ces trois propositions serait sans doute éclairante, mais il faudrait en
ajouter d’autres qui, moins évidemment catégorisées, ont aussi été suggéres au cours du
séminaire. C’est naturellement le lien entre elles qui définit le titre de problème et devrait
être développé dans une sémiotique de l’espace.

3. La question de la flexibilité et de l’instabilité de l’espace comme signification. C’est sur


ce point que les propositions ont été les plus nombreuses. Un fil rouge de questionnement a
paru tracé sur ce constat que l’espace, de toutes parts, déborde l’espace, en amont comme
en aval. C’est peut-être même la cohérence entre cet amont et cet aval qui mériterait d’être
approfondie et, pour ainsi dire, restituée. Quand on parle d’amont, on évoque bien entendu
cette prégnance localiste de la spatialité qui montre qu’une expérience spatiale sous-tend
l’architecture sémantique de la lexicalisation. Comme le montre ce rappel que le mot
templum remonte à la racine *tem-, « couper », et « ne signifie rien d’autre que ce qui est
découpé, délimité » (Cassirer). Par delà la curiosité étymologique, c’est bien entendu
l’enjeu des catégories directrices de la spatialité qui est ici en question. Et lorsqu’on parle
d’un débordement de la spatialité en aval, on évoque la flexibilité de la spatialisation qui ne
se tient pas dans ses bords, qui se territorialise et se déterritorialise, qui fluctue en fonction
des investissements polémico-contractuels dont elle est l’objet, qui se transforme et se
qualifie en fonction des interactions dont elle est le site. Elle sépare, unit, agrège ou
égrège ; elle incorpore tous les réseaux esthésiques ; ses dispositifs à chaque fois singuliers
suscitent et exigent l’interprétation… et cela au point que l’espace – même une simple ligne
– peut arriver à signifier tout autre chose que la spatialité. L’espace s’efface alors derrière
les opérations qui se dressent comme un écran devant lui. On retrouve ici des définitions
d’espaces (et non de l’espace) aussi variées que celles de J. Alonso avec le « no man’s
land » stratégique, de P. Boudon avec le syncrétisme esthésique du pavillon Philipps de Le
Corbusier, de P.-A. Navarette avec l’invasion axiologique des dispositifs spatiaux en
littérature, d’I. Merkoulova avec l’espace du « glamour », de Ph. Nys avec les
manipulations urbanistiques du « pittoresque », d’I. Darrault avec la création d’une aura
thérapeutique dans un espace banalisé, de J. Petitot avec l’exploitation esthétique du
phénomène de la non-généricité, de M. Hammad avec les opérations d’agrégation et
d’égrégation dans l’analyse d’un site archéologique, de S. Badir avec son interrogation de
la profondeur. D’autres analyses devraient ici être citées qui, en dépit de différences
théoriques, ont avec celles-ci en commun cette dilatation, cette ouverture, cette diffusion du
sens dont l’espace est l’assise, mais qui tendent à se résorber et à se dissoudre dans les
opérations et les interactions auxquelles il donne lieu, et qui peut-être le transforment
précisément en « lieu ». A certains égards, ces contributions ont en partage d’être des
expansions de deux définitions, condensées, de l’espace : l’une de Leibniz, citée par Cl.
Zilberberg, « l’espace est la possibilité des coexistences », et l’autre de M. de Certeau, citée
par J. Alonso, « l’espace est croisement de mobiles ».

4. Cette dernière remarque – l’espace qui se transforme en lieu – conduit au quatrième point
annoncé qui a constitué une ligne de force insistante dans les travaux du séminaire :
l’interdéfinition de l’espace et du sujet. On devrait dire plutôt : les  modalités très diverses
de cette interdéfinition, selon les attributs et les propriétés que l’on donne à l’actantialité
subjective, depuis la corporéité jusqu’à l’énonciation en acte, depuis le thymisme jusqu’aux
sollicitations et aux variations pluri-sensorielles. L’interdéfinition dont on parle ici
résulterait des modes d’intrication complexe des instances de discours dans les opérations
de spatialisation. Il y a d’un côté l’instance qui s’enracine dans l’espace et l’espace qui
demande à être reconnu comme instance, par l’assomption d’un embrayage qui s’y trouve
projeté. Et il y a d’autre part la pluralité des instances en jeu dans les interactions
spatialisées, les ajustements d’espaces et des intensités dans l’espace, les réglages
proxémiques et le choix des stratégies – d’englobement, de particularisation,
d’accumulation ou d’élection. Il y a la relation tensive entre la cohérence, avec ses deux
volets d’inhérence et d’adhérence, et l’intimité (Bachelard). Il y a encore la sélection d’un
point critique de perception – dans la non-généricité – dont la probabilité de répétition est
nulle et qui, en raison même de son extrême singularité, engendre les émois du sujet
interprétatif. Il y a encore l’espace rapporté à l’acte d’une énonciation créatrice, comme
dans celle du récit de Genèse analysé par L. Panier, où la séparation institue comme en vis-
à-vis et l’espace et le sujet. Et puis il y a l’épaisseur thymique qui commande les valeurs
pathémiques du fermé et de l’ouvert, dilatables jusqu’à l’hermétique et au béant, et qui fait
dire à Cl. Zilberberg ce mot déjà cité : « espace thymique est un pléonasme ».

Qu’est-ce qui peut donc faire unité dans la réalité plurivoque de l’espace ? Le bilan
provisoire du séminaire conduit à cette question, en assumant la tentative que les différentes
contributions illustrent, chacune à leur façon : essayer de reconnaître et d’identifier les
présupposés qui nous font parler d’espace ou que nous attribuons à l’espace. Ce compte
rendu partiel – et partial sans doute – n’a d’autre ambition que d’inviter à poursuivre la
réflexion.

Pour citer cet article :

Denis Bertrand et Jean-François Bordron. Bilan provisoire du séminaire « Espace et


signification, I » (2008-2009). Nouveaux Actes Sémiotiques [ en ligne ].
Prépublications, 2008 - 2009 : Sémiotique de l'espace. Espace et signification.Disponible
sur : <http://revues.unilim.fr/nas/document.php?id=3144> (consulté le 22/03/2012)

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