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Publié le 04 janvier 2021 à 16h54 - Mis à jour le 05 janvier 2021 à 13h42 • Lecture 4 min.
Édition du jour
Daté du vendredi 8 janvier
« J’avais 14 ans et j’ai laissé faire (…). J’avais 14 ans, je savais et je n’ai rien dit. »
Camille Kouchner est maîtresse de conférences en droit et n’a publié que des PUB L I CI T É
Dire l’inceste, c’est donner un grand coup de pied dans la fourmilière familiale,
briser le pacte social et passer pour un traître, même s’il y a prescription d’un
point de vue juridique. Camille Kouchner endosse tous ces risques, quitte à tordre
un peu le bras de son frère, soucieux qu’on le laisse tranquille. « Pour m’avoir
laissée écrire ce livre alors qu’il ne souhaite que le calme, je [le] remercie », écrit-elle.
Signaux faibles
« Ni [mon frère jumeau] ni [moi] ne pouvons dire avec certitude l’âge que nous
avions (…), 14 ans, je crois. » Tout à coup, on ne se marre plus du tout. Autour de
1988, le livre bascule. Tant pis si les souvenirs d’adolescente sont flous : Camille
Kouchner a fini par accepter que ces trous de mémoire ne soient qu’une
pathologie typique de ce type de traumatisme, qui « noie la mémoire [et] efface les
dates pour laisser sa proie dans le noir ».
Les affaires d’inceste cancérisent tout. Dans une tension dramatique très
maîtrisée, la maison du bonheur se transforme en maison de l’horreur, puis la
« familia grande » en statue de pierre, quand, vingt ans plus tard, elle finit par
apprendre. « Je ne les ai pas vus se demander si eux aussi n’avaient pas un peu
merdé », regrette l’autrice. Ça aussi, les spécialistes de l’inceste le savent : quand la
vérité explose, souvent une fausse famille se lève et fait corps pour remplacer la
vraie.
Camille Kouchner ne se met pas à la place de son jumeau. Elle ne veut qu’émettre
une voix parallèle. Traduction littéraire des violences subies ? Ses mots sifflent
comme des balles, les phrases se hachent en rimes intérieures. Au fil des pages, le
« beau-père adoré » devient « l’autre », puis ce « mari dérangé » auquel Camille
tente d’arracher « Evelyne ». « Je t’aime malgré tout, maman », conclut Camille
Kouchner. Il y a trois ans, elle posait un brin de mimosa sur le cercueil de sa mère.
Dans le caveau des Duhamel où on l’a inhumée, elle jette aujourd’hui ce livre –
cette catharsis, cette bombe.
« La Familia grande », de Camille Kouchner (Seuil, 206 pages, 19 euros). Parution le 7 janvier 2021. Le
Seuil
Ariane Chemin
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