Nous célébrons en ce jour une fête solennelle, mes très
chers frères, en ce jour où Notre-Seigneur est mort, attaché à la croix. Et ne soyez pas étonnés que nous nous réjouissions d’un événement qui semble aussi triste; les choses spirituelles sont toujours en contradiction avec l’habitude humaine. Pour que tu l’apprennes exactement, la croix, qui auparavant était un titre de condamnation et de punition, est devenue un objet précieux et désirable. La croix, qui auparavant était un sujet de honte et d’opprobre, est devenue maintenant une source de gloire et d’honneur. Que la croix est un titre de gloire, écoute-Le du Christ qui dit : « Père, glori�e-moi de la gloire que j’avais auprès de toi avant que le monde fût ». (Jean, XVII, 5) Il appelle la croix un titre de gloire. La croix est le principe de notre salut, la source d’une in�nité de biens. Par elle, nous qui auparavant étions rejetés et avilis, nous sommes admis au nombre des enfants. Par elle, nous ne sommes plus dans l’erreur, mais nous connaissons la vérité. Par elle, nous qui adorions le bois et la pierre, nous connaissons le Maître et le Créateur du monde. Par elle, nous qui étions esclaves du péché, nous sommes élevés à la liberté de la justice. Par elle, la terre désormais est devenue le ciel. La croix nous a a�ranchis de l’erreur, elle nous a conduits à la vérité, elle a réconcilié l’homme avec Dieu, elle nous a arrachés de l’abîme du vice pour nous porter au comble de la vertu. Elle a éteint l’erreur des démons, elle a détruit l’égarement. Par elle, il n’y a plus la fumée, la fétidité, et le sang des animaux qui coule ; mais partout domine un culte spirituel, partout retentissent des hymnes et des prières. Grâce à la croix, les démons sont mis en fuite. Grâce à la croix, la nature humaine le dispute à la condition angélique. Grâce à la croix, la virginité habite sur la terre; car depuis qu’un Dieu est venu d’une vierge, la nature humaine a connu la voie de cette vertu. Nous étions assis dans les ténèbres, la croix nous a éclairés; nous étions ennemis, elle nous a réconciliés; nous étions éloignés de Dieu, elle nous en a fait Sien ; nous étions étrangers, elle nous a fait citoyens du ciel. Elle a fait cesser pour nous la guerre, et nous a assuré la paix. Par elle, nous ne craignons plus les traits en�ammés du diable, parce que nous avons trouvé la source de la vie. Par elle, nous ne sommes plus en viduité, parce que nous avons acquis l’Époux. Par elle, nous n’avons plus peur du le loup, parce que nous avons connu le bon Pasteur: Je suis, dit-il, le bon Pasteur (Jean, X, 11.) Par elle, nous ne redoutons plus le tyran, parce que nous sommes accourus chez l’empereur. Voyez-vous de combien de biens la croix est pour nous la cause ? C’est donc avec raison que nous célébrons ce jour comme un jour de fête. Et c’est à quoi nous exhorte l’apôtre Paul. Célébrons la fête, dit-il, non avec l’ancien levain, avec le levain de la perversité et de la malice, mais dans les azymes de la sincérité et de la vérité. (I Cor. V, 8.) Et pourquoi, bienheureux Paul, nous exhortes-tu à nous réjouir comme dans un jour de fête ? Dis-nous-en la raison. C’est que le Fils de Dieu, notre pâque, a été immolé pour nous. Voyez-vous que la Croix est une fête ? Comprenez-vous pourquoi l’Apôtre nous exhorte à en célébrer la fête ? C’est que le Christ Dieu a été immolé sur la Croix; or, là où il y a sacri�ce, il y a rémission des péchés, il y a réconciliation avec le Seigneur, il y a fête et allégresse. Jésus-Christ, notre pâque, dit l’Apôtre, a été immolé pour nous. (I Cor. V, 7.) Et où a-t-il été immolé ? Sur une haute Croix. L’autel est extraordinaire et nouveau, parce que le sacri�ce n’est pas ordinaire, et ne ressemble pas aux autres. Jésus-Christ était en même temps la victime et le prêtre; la victime selon la chair, le prêtre selon l’esprit. Il o�rait et il était o�ert. Écoutez encore saint Paul qui dit : Tout pontife, pris parmi les hommes, intercède pour les hommes auprès de Dieu : il faut donc nécessairement qu’il ait de quoi lui o�rir (Héb. V, 3; VIII, 3.) Ici Jésus- Christ s’o�re lui-même. Jésus-Christ, dit ailleurs le même apôtre, a été o�ert une fois pour expier le péché de la multitude. (Héb. IX, 28.) Il dit donc qu’il a été o�ert, après avoir dit qu’il s’est o�ert lui-même. Vous avez vu comment Jésus-Christ était en même temps prêtre et victime, et que la Croix était l’autel. Mais il est nécessaire d’examiner pourquoi le sacri�ce n’est pas o�ert dans le temple – celui des Juifs – mais hors de la ville, hors des murs. Jésus-Christ a été cruci�é hors de la ville comme un condamné, a�n que cette parole du prophète fût accomplie : Il a été mis au nombre des malfaiteurs. (Is. LIII, 12.) Pourquoi donc a-t-il été cruci�é hors de la ville, dans un lieu élevé, et non sous un quelconque toit ? Cela ne s’est pas fait non plus sans cause; c’était a�n de puri�er la nature de l’air. Voilà pourquoi il est mort dans un lieu élevé, et non sous un toit. Il est mort sous le toit du ciel, a�n que tout le ciel fût puri�é, l’Agneau étant immolé sur un lieu élevé. Le ciel a donc été puri�é; la terre l’a été aussi, puisque le sang du Sauveur a coulé de son côté sur la terre, et l’a puri�ée de toutes ses souillures. Telle est donc la raison pour laquelle le sacri�ce n’a pas été o�ert sous un toit. Et pourquoi n’a-t-il pas été o�ert dans le temple même des Juifs? Cela ne s’est pas fait encore sans une raison particulière : c’est a�n que les Juifs ne s’approprient pas le sacri�ce, a�n que l’on ne croit pas que le sacri�ce a été o�ert pour ce seul peuple. Ce sacri�ce a été o�ert hors de la ville, hors des murs, a�n que l’on sût qu’il était universel, a�n que l’on sût que la puri�cation était faite pour toute la terre, qu’elle était commune à toute la nature humaine. Dieu a ordonné aux Juifs de choisir dans toute la terre un lieu unique où on lui o�rît des sacri�ces, où on lui adressât des prières, parce que toute la terre alors était souillée par la fumée, par l’odeur, par le sang des victimes o�ertes aux idoles, et par les autres abominations des gentils. Voilà pourquoi il leur a marqué un lieu unique. Mais Jésus-Christ étant venu dans le monde, et ayant subi la passion hors de la ville, a puri�é toute la terre, a rendu tous les lieux propres aux prières. Voulez-vous apprendre comment toute la terre est devenue désormais un temple, comment tous les lieux ont été rendus propres aux prières? Écoutez encore le bienheureux Paul, qui dit : Je veux donc que les hommes prient en tout lieu, en élevant des mains pures, sans colère ni mauvaises pensées (I Tim. II, 8). Vous voyez comment Jésus-Christ a puri�é le monde ; vous voyez comment nous pouvons en tout lieu élever des mains pures ? Oui, toute la terre est désormais devenue sainte, et même plus sainte que ce que les Juifs avaient de plus saint. Comment cela ? C’est que dans le temple des Juifs on n’immolait que les animaux dépourvus de raison, au lieu qu’ici un Agneau douée de raison a été immolée. Or, autant ce qui est doué de raison l’emporte sur ce qui en est dépourvu, autant la sancti�cation est plu grande. C’est donc bien véritablement que la Croix est une fête.