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Regards croisés

LES CHANGEMENTS ORGANISATIONNELS INDUITS PAR LA CRISE DE LA


COVID-19

Soufyane Frimousse, Jean-Marie Peretti

EMS Editions | « Question(s) de management »

2020/3 n° 29 | pages 105 à 149


ISSN 2262-7030
Article disponible en ligne à l'adresse :
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https://www.cairn.info/revue-questions-de-management-2020-3-page-105.htm
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Les changements
organisationnels induits par
la crise de la Covid-19
Soufyane FRIMOUSSE,
Jean-Marie PERETTI

Le grand confinement a favorisé l’expérimentation accélérée de nouvelles pratiques organisationnelles.


Les impacts de la crise sanitaire ont été très forts, dès le mois de mars 2020 pendant le temps de
confinement et ensuite dans les temps de déconfinement à partir du 11 mai et de la relance après le
24 juin, en termes d’engagement collectif et individuel, d’adaptation, de santé, d’adoption très rapide
de nouveaux modes de travail, de remise en cause du management. Les entreprises ont été mises au
défi de s’ajuster très rapidement pour faire face à l’urgence. Avec l’interconnexion des crises – sanitaire,
économique, sociale, environnementale – la donne a changé et l’ensemble des parties prenantes doivt
s’interroger sur les impacts durables de cette expérience tout aussi inédite qu’intense.
Durant le grand confinement, en avril et début mai, Question(s) de management avait interrogé 155 en-
seignants-chercheurs, experts, consultants, dirigeants d’entreprise, DRH, responsables opérationnels
et fonctionnels, résidant dans 16 pays répartis sur les 5 continents sur les répercussions durables de la
crise sur le management qu’ils anticipaient. Leurs réponses faisaient ressortir une conviction partagée :
La crise a revalorisé le rôle de la proximité et engagé les organisations à une plus grande humanisation
de la gestion, avec de nouvelles formes d’organisation du travail et de vie au travail, et à une raison d’être
et un modèle économique plus soucieux de la nature, du genre et de l’équité sociale pour répondre au
renforcement de plusieurs grandes tendances sociétales (QDM, N°28, juin 2020, pages 149-242).
L’expérience vécue pendant ces semaines où l’économie s’est brutalement arrêtée et dans la période
de reprise doit être une source de réflexion et d’enseignement pour les chercheurs et les décideurs.
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Deux ouvrages collectifs récents apportent des témoignages très riches et instructifs en décrivant
la manière dont les organisations ont réagi à la crise, les changements, innovations et adaptations
déployés lors des épisodes de la Covid-19 (confinement, déconfinement, reprise de l’activité). Dans
Changement de crise : les organisations à l’épreuve de la Covid-19 (Autissier, Besseyre des Horts et
Peretti, ESKA, juin 2020), un collectif de professionnels et de chercheurs en management a proposé une
première formalisation qui vise à comprendre la manière dont a été vécu la crise dans les organisations
privées et publiques et aussi à mettre en valeur les bonnes pratiques susceptibles d’être pérennisées.
Les témoignages et réflexions de 30 coauteurs vivant dans des pays aux contextes différents (Chine,
Corée, France, Indes, Québec, Sénégal, Tunisie…) sur la situation des organisations lors de la crise
de la Covid-19 décrivent comment les organisations se sont adaptées, les difficultés rencontrées, les
innovations qui émergent et les grandes problématiques de management qui se posent avec la crise.
Dans Trajectoire de crise : adaptation des organisations aux crises de la Covid-19 (Autissier, Besseyre
des Horts et Peretti, ESKA, juillet 2020), les co-auteurs s’interrogent sur ce qui va changer à partir des
expérimentations vécues dans la trajectoire de crises, cette succession de périodes d’interconnexion
des crises sanitaire, économique, sociale et sociétale.
Pour alimenter le débat sur les leçons à tirer de cette expérience vécue durant un premier semestre
2020 profondément perturbé par la crise vécue par les organisations et sur les impacts durables sur
le plan managérial, Question(s) de management a interrogé en juin 2020 un nouveau panel d’acteurs

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REGARDS CROISÉS

engagés sur leur vision du monde d’après en leur demandant de répondre à une question cruciale
en cette période de reprise : « Quels sont les changements organisationnels induits par la crise de la
Covid-19 ? ».
83 enseignants-chercheurs, experts, consultants, dirigeants d’entreprise, DRH, responsables opération-
nels et fonctionnels, résidant dans 22 pays répartis sur 4 continents, ont apporté leurs réponses. Merci
à Jamila ALAKTIF, Patrick AMAR, Jean-Marie ARDISSON, Fabien AREVALO, Cécile ARRAGON, Zeyneb
ATTYA, Mohamed BAYAD, Mohamed BENABID, Moez BEN YEDDER, Charles-Henri BESSEYRE des
HORTS, Mustapha BETTACHE, Alfred BIAOU, Julien BILLION, Nicanor BLEY, Marc BONNET, Natalia
V. BOUROVA, Carole BOUSQUET, François BOUYER, Philippe CASTILLA, Philippe CERVERA, Didier
CHABANET, Adil CHERKAOUI, Franck CHERON, Françoise CHEVALIER, Mireille CHIDIAC El HAJJ,
Philippe CLERC, Sié Azaria COULIBALY, Richard DELAYE-HABERMACHER, Marc DELUZET, Anne-
Sophie DERAME, Anne DIETRICH, Caroline DOGUET, Claire DOUSSARD, Michelle DUPORT, John
Kofi Idao EGBETO, Pierre FERRACCI, Robert FOUCHET, Anne-Marie FRAY, Jean-Michel GARRIGUES,
Franck GAVOILLE, Laurent GIRAUD, Marie-Léandre GOMEZ, Maya HAGEGE, Laurence HIRBEC,
Mahrane HOFAIDHLLAOUI, Jacques IGALENS, Abderrahman JAHMANE, Gilles-Emmanuel JACQUET,
Thierry JOLIVET, Assya KHIAT, Bertin Léopold KOUAYEP, Arnaud LACAN, Éric LAMARQUE, Alain
LEMPEREUR, Pascale LEVET, Jessica LICHY, Murielle Natacha M’BOUNA, Henri Jean Paul MABIALA,
Véronique MONTAMAT, Mathieu MOUILLON, Jean-Louis MOULINS, Christine NASCHBERGER,
Cedomir NESTOROVIC, Elias Perrier NGUEULIEU, Joseph NZONGANG, Nicolas OLIVERI, Philippe
PACHE, Yvon PESQUEUX, Nadezhda N. POKROVSKAIA, André-Yves PORTNOFF, Nathalie SANNIER
THERET, Thierry SIBIEUDE, Stephan Alain TAGBO, Alain TAKOUDJOU NIMPA, Gérard TAPONAT,
Omar THIAM, Lassana TIOTE, Amadou TRAORE, Isabelle VANDANGEON-DERUMEZ, Yann VAUCHER,
Dominique VERCOUSTRE, Mohamed ZAHID, Romain ZERBIB. Ces regards, dans leur diversité, sou-
lignent l’accélération des transformations, des innovations managériales et des nouveaux modes de
travail pendant la crise et font ressortir les principaux changements organisationnels dans le monde
d’après.
Selon Jamila ALAKTIF, il faut investir dans les nouvelles plateformes en ligne pour faciliter le leadership
à distance. Pour Patrick AMAR, la crise de la Covid-19 met au défi une culture managériale française
très hiérarchique fondée en grande partie sur le « Command and Control ». Jean-Marie ARDISSON
insiste sur l’importance de la « data ». Fabien AREVALO s’intéresse aux changements organisationnels
au sein des services clients. D’après Cécile ARRAGON, la crise de la Covid-19 est un accélérateur de
transformations. Zeyneb ATTYA évoque une véritable rupture avec le modèle organisationnel classique.
Mohamed BAYAD s’inquiète d’un retour à l’anormal du management. Mohamed BENABID parle d’une
transition forcée. Moez BEN YEDDER préconise de suivre la courbe en U sans déraper. Charles-Henri
BESSEYRE des HORTS conseille de réaliser des retours d’expérience sur ce qui a bien marché et sur
ce qui a été plus difficile à mettre en œuvre dans les entreprises. Mustapha BETTACHE s’inquiète d’un
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retour vers l’ancien monde, loi du marché oblige ! Alfred BIAOU présente des exemples africains de
modernisation organisationnelle. Pour Nicanor BLEY, le management post-Covid-19 est un bon alibi
pour goupiller la proximité. Marc BONNET souligne la nécessité de renverser les habitudes de prise de
décision, en privilégiant l’intelligence collective. Carole BOUSQUET interroge les changements de para-
digmes de nos modèles organisationnels. Pour Natalia V. BOUROVA et Nadezhda N. POKROVSKAIA, la
réintroduction des gens en création de valeur est l’effet essentiel hérité de Covid-19. François BOUYER
évoque notamment l’opposition entre stratégies de contrôle externe et de contrôle interne. D’après
Philippe CASTILLA le grand confinement est révélateur du niveau de maturité des organisations face
aux défis du XXIe siècle. Philippe CERVERA évoque la comédie humaine pour une co-construction de
la régulation et du contrat sociale numérique ! Didier CHABANET propose des pistes pour échapper
au gouvernement des médecins. Adil CHERKAOUI retrace quelques-unes des actions réalisées par les
entreprises au Maroc face à la Covid-19. Franck CHERON se demande comment travailler ? Où travailler
et avec Qui ? Françoise CHEVALIER considère cette crise comme deux lames de fond pour l’éducation.
Mireille CHIDIAC El HAJJ rappelle que concilier bien-agir et bien-être est synonyme de justice so-
ciale. Philippe CLERC présente les CCI comme des corps intermédiaires de la connaissance. Sié Azaria
COULIBALY présente l’adoption du télétravail dans les organisations ivoiriennes. Richard DELAYE-
HABERMACHER évoque la distanciation ou la schizophrénie du B2B. Pour Anne-Sophie DERAME, ces
changements arrivés subitement semblent maintenant être là pour longtemps. Mais sont-ils pour autant

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véritablement vécus comme positifs. Selon Marc DELUZET, le télétravail exigera des managers agiles.
Anne DIETRICH souligne que cette crise révèle davantage les inégalités sociales. Caroline DOGUET
pense que le travail à distance imposé a été un catalyseur de digitalisation. Claire DOUSSARD et Julien
BILLION considèrent la Covid-19 comme une source d’opportunités pour les entrepreneurs en situation
de handicap. Michelle DUPORT évoque le choix entre l’inconcevable retour en arrière des organisations
ou l’obligation de changer de trajectoire. John Kofi Idao EGBETO retrace l’odyssée de la victoire de
l’infiniment petit sur les dispositifs organisationnels puissants. Pierre FERRACCI analyse les nouveaux
usages du télétravail. Robert FOUCHET s’interroge sur le distanciel en tant que ressource inhumaine.
Anne-Marie FRAY pense qu’un changement en prépare un autre. Jean-Michel GARRIGUES rappelle que
la cohérence collective dépend beaucoup du partage des moments informels du quotidien profession-
nel. Pour Franck GAVOILLE, cette crise ouvre de nouvelles perspectives au niveau du management.
Laurent GIRAUD propose des pistes pour redonner du sens à la mission de l’hôpital. Marie-Léandre
GOMEZ présente les nouveaux défis de l’évaluation de la performance. Maya HAGEGE s’interroge sur
l’impact de la crise sur le management de la diversité et l’inclusion. Laurence HIRBEC distingue les
changements déterministes et les changements volontaristes. Mahrane HOFAIDHLLAOUI revient sur
la capacité dynamique de résilience.
Jacques IGALENS suggère de revisiter la relation managériale après la Covid. Abderrahman JAHMANE
insiste sur l’importance et le rôle du collaborateur-acteur comme leader du changement. Gilles-Emmanuel
JACQUET présente les limites du télétravail. Thierry JOLIVET revient sur les liens entre la crise et la
performance collective. D’après Assya KHIAT le grand confinement amène à penser une manière de ne
plus subir les dysfonctionnements de tout genre et réagir avec intelligence. Bertin Léopold KOUAYEP
insiste sur le passage de la Responsabilité Sociétale des Entreprises à la responsabilité Sanitaire des
entreprises, dans le contexte Africain. Arnaud LACAN évoque la transition du télétravail subi vers le télé-
travail choisi. Selon Éric LAMARQUE, plus que des changements, la crise va avoir un effet accélérateur
sur des évolutions qui étaient déjà naissantes ou engagées avant la crise. Alain LEMPEREUR s’inter-
roge sur le rôle et l’avenir de l’utilisation de Zoom. Pascale LEVET présente le passage du travail réglé au
travail régulé. D’après Jessica LICHY, il est impératif d’analyser les changements de comportement des
consommateurs et de pratiques commerciales afin de fournir aux chercheurs et aux praticiens de nou-
velles idées susceptibles d’enrichir la recherche. Pour Murielle Natacha M’BOUNA, l’investissement
en capital immatériel est nécessaire car il apporte les leviers technologiques et les compétences utiles
au succès de la transformation organisationnelle post-Covid-19. Henri Jean-Paul MABIALA considère la
Covid-19 comme un mal nécessaire. Véronique MONTAMAT insiste sur l’importance du management
par la confiance. Pour Mathieu MOUILLON, derrière une décentralisation apparente, se cache une ultra-
centralisation. « Et si rien n’avait changé » s’interroge Jean-Louis MOULINS. Christine NASCHBERGER
espère que le monde d’après sera plus inclusif. Cedomir NESTOROVIC revient sur l’importance des
travailleurs essentiels et pourtant invisibles à Singapour. Elias Perrier NGUEULIEU analyse le passage
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de la frugalité panoptique à la contingence polyphonique.
Joseph NZONGANG et Alain TAKOUDJOU NIMPA insistent sur la redéfinition des pratiques de tra-
vail par la diffusion d’une culture de coopération. Nicolas OLIVERI propose d’organiser le changement.
Pour Philippe PACHE, il reste donc à savoir ce que cette crise aura changé en nous afin que le monde de
demain ressemble à nos souhaits d’aujourd’hui. Yvon PESQUEUX rappelle la faillite de la responsabilité
sociale de l’entreprise. D’après André-Yves PORTNOFF, le bilan pour la société dépendra des progres-
sions relatives des deux modèles antagonistes induits par la crise. Nathalie SANNIER THERET explore
la maïeutique à l’heure de la Covid-19. Thierry SIBIEUDE s’interroge sur la généralisation du télétravail.
Est-ce une avancée sociale majeure ou une fausse bonne idée ? Pour Stephan Alain TAGBO, cette crise
est une aubaine pour les entreprises. Gérard TAPONAT, pense que le coronavirus a été un test car-
diaque pour les organisations. Omar THIAM suggère de bâtir une culture organisationnelle et un noyau
technologique résilients aux crises. D’après Amadou TRAORE, la Covid-19 impose une accélération
de la transformation numérique tout en accentuant les inégalités. Isabelle VANDANGEON-DERUMEZ
s’interroge sur la capacité à pérenniser la mobilisation des leviers utilisés lors de la crise pour faire
preuve de résilience à tout moment. Yann VAUCHER pense que nous devons inclure le changement
comme source d’innovation. Dominique VERCOUSTRE insiste sur le développement et l’importance de
la confiance. Mohamed ZAHID évoque l’expérience de son groupe qui a su agir entre vigilance et tran-
sition. Romain ZERBIB présente l’expérience des écoles de commerce face à la transformation digitale.

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REGARDS CROISÉS

Coronavirus et leadership : loin du bureau mais pas loin du travail !


Jamila ALAKTIF, Visiting scholar at France-Stanford Center for Interdisciplinary Studies,
Professor at ISC Paris Business School
C’est pendant les crises que les personnalités se révèlent. Les véritables leaders ont su transmettre
tant bien que mal une énergie positive malgré le contexte d’incertitude engendré par le coronavirus.
Les autres ont dupliqué, à distance, leurs modèles hiérarchiques de bureau, avec des demandes irréa-
lisables pour un employé, désormais noyé par de nouvelles tâches jusque-là déléguées : la garde des
enfants et l’école à la maison. D’où le besoin d’un leadership fort. Comment motiver les équipes à
distance lorsque le leader est lui-même impacté par la crise ? Voici trois points essentiels pour y remé-
dier et se préparer pour l’avenir :· Communiquer : rester confiné ne signifie pas être isolé, d’où une
nécessaire communication pour libérer la parole des employés, les encourager, les tenir informés des
évolutions et, développer ensemble des plans d’action en tenant compte de leurs feedbacks ; ren-
forcer les outils technologiques : le travail du futur sera d’autant plus connecté. Autant investir sur
les nouvelles plateformes en ligne pour faciliter le leadership à distance ; flexibilité : loin du bureau
mais pas loin du travail. Les leaders les plus efficaces savent combien la flexibilité est cruciale surtout
pendant la crise et se concentrent sur les tâches essentielles avec des délais ajustables. Se passer, le
temps de l’orage, des tâches les moins significatives est un gain de temps et d’énergie.
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Quels changements organisationnels pour le « monde d’après » ?
Patrick AMAR, Directeur général AXIS MUNDI
La crise de la Covid-19 met au défi une culture managériale française très hiérarchique fondée en
grande partie sur le « Command and Control ». S’il est évidemment trop tôt pour dire quels change-
ments organisationnels vont s’installer dans la durée, elle invite à, voire force une prise de distance
physique et psychologique dans le management traditionnel. Elle va accélérer la gestion par objectifs
au détriment du micro management, renforcer l’importance du management de proximité, plus à
même de gérer et faire remonter les problématiques locales pour une adaptation rapide, le besoin
d’empowerment et de confiance. La crise sanitaire appelle à trouver d’autres moyens pour faire exis-
ter et assurer la cohésion du corps social, organiser l’intelligence collective dans un monde où le travail
à distance sera structurellement plus important. Les questions d’identité, de mission, du « qu’est-ce
que nous faisons ensemble ? » se poseront avec encore plus d’acuité. L’infrastructure technologique
des organisations devra être considérablement renforcée pour pouvoir délivrer produits et services et
permettre accès et travail collaboratif à distance. La crise économique qui vient, forcera néanmoins
des arbitrages avec le risque de devoir trop concéder au court terme et d’apprendre insuffisamment
de la période.

108 / Question(s) de Management ? / N°29 / Septembre 2020 © Éditions EMS


Covid-19 : la disparition des organisations ?
Jean-Marie ARDISSON, Vice-Président Corporate Partnership chez Headspring Executive.
Les organisations (entreprises, Etats, organisations syndicales et internationales) viennent de passer
la 1re phase de la crise de la Covid-19. Elle a eu des effets multiples pour les populations, les écono-
mies et les organisations. Mais que va-t-il rester de cette crise et à quoi va ressembler « le monde
d’après » ? Il sera influencé par de nombreux facteurs parmi lesquels 3 me semblent particulièrement
importants :
1. La digitalisation accélérée au sein des organisations, à un rythme tel que nous avons fait autant en
quelques mois qu’en plusieurs années auparavant ;
2. Une évolution drastique du lieu de travail et de la communication. La communication virtuelle est
devenue importante, y compris dans les lieux de production où seule une partie des effectifs est
présente ;
3. Des équipes éclatées, travaillant à distance, qui demandent un autre type de leadership, à la fois
plus important et plus intimiste puisque nous avons « vécu chez les autres » avec leurs conjoint
et enfants.
Nous devons donc nous attendre à une évolution des demandes des salariés vers :
1. Une recherche plus importante de sens puisqu’une partie des effectifs ne viendra qu’occasionnel-
lement au bureau ;
2. Une meilleure prise en compte de la santé et du bien-être de chacun, probable 1re étape d’une
prise de conscience plus importante de l’environnement ;
3. Une place plus importante de la technologie dans notre quotidien, renforçant encore l’importance
de la « data ».

Les changements organisationnels au sein des services clients ?


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Fabien AREVALO, Fondateur et Directeur d’Altamedia, conseils et formations pour la relation
client
Dès le début de la crise sanitaire, les services clients et helpdesks internes ont été sur sollicités,
alors qu’ils devaient parallèlement faire face à une réorganisation inédite. Au-delà des questions tech-
niques, c’est surtout dans l’organisation du service que 3 grands éléments sont apparus. Le premier
enjeu était lié à la priorisation des contacts entrants, par l’utilisation de chatbots pour répondre aux
questions basiques et fréquentes. Ce qui a permis aux agents de se consacrer aux situations plus
complexes et nécessitant un contact humain. La deuxième grande question est liée au management
à distance. Il peut sembler plus facile au superviseur de virevolter sur le plateau du centre de contacts
que de se montrer présent et disponible pour des collaborateurs répartis au quatre coins de la ville.
Et même si les principes fondamentaux restent les mêmes qu’en présentiel (fixation et suivi des
objectifs, entretien de la motivation, se montrer présent sans être pressant…), plusieurs managers
de proximité doivent encore travailler les particularités du leadership distanciel. Enfin, cette crise a
surtout montré que des évolutions étudiées depuis plusieurs années au sein de certaines sociétés
peuvent se mettre en place en quelques semaines, quand le sentiment d’urgence se fait ressentir.
Pour accélérer les changements nécessaires au monde de la relation client à distance, la crise nous
a finalement démontré que les méthodes de type « Sprint » sont probablement les plus adaptées !

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REGARDS CROISÉS

La crise de la Covid-19, un accélérateur de transformations


Cécile ARRAGON, Directrice du développement des relations entreprises et des programmes
sur mesure, ESSEC Business School, Executive Education
La crise de la Covid-19 a constitué pour les programmes sur mesure de l’ESSEC un accélérateur de
transformations. Ces transformations qui étaient en germe avant la crise vont structurer la nouvelle
normalité de notre activité, pour accompagner les entreprises et leurs leaders dans l’adaptation de
leur propre activité et pratiques. Dans cette nouvelle normalité nous sommes en mesure d’offrir
des solutions de formation distancielles qui ne renoncent pas aux liens sociaux et à la chaleur de la
relation humaine, ainsi qu’à l’innovation pédagogique et l’excellence académique qui caractérisent
nos programmes. Nous anticipons pour les années à venir des solutions mixtes, avec une partie des
apprenants présents physiquement dans nos salles de classe et d’autres connectés à distance. Au-
delà des équipements technologiques que cela suppose, la totalité de notre organisation est en train
de s’adapter à cette nouvelle normalité. Agilité, mode projet, cycles stratégiques courts et espaces de
travail digitaux partagés seront les clés de voûte de la nouvelle ère qui s’ouvre devant nous. 

La rupture
Zeyneb ATTYA, Consultante R.H, Tunis, Tunisie
Il est indéniable que la crise de la Covid-19 a été un choc inédit pour le monde entier et a fait des
ravages sur le plan individuel ainsi que sur le plan privé et professionnel dans les différents pays
et à des degrés divers. Spécifiquement dans notre pays dans le domaine socioéconomique et au
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niveau des entreprises les dirigeants et les collaborateurs ont été contraints de sortir de leur zone de
confort, rompre avec leurs habitudes, leurs réflexes routiniers, leurs rôles respectifs et leurs compor-
tements coutumiers. Réinventer l’organisation, l’adapter, la réajuster, la mettre à l’image du monde
d’aujourd’hui et demain et surtout lui permettre de survivre voici les défis que cette crise a permis
d’identifier. Cette rupture avec les modèles classiques fait partie des changements organisationnels
induits par la crise de la Covid-19 et a concerné aussi bien les structures d’organisation que les modes
de travail que les relations interpersonnelles et les attentes et besoins des travailleurs. Les structures
d’organisation hiérarchiques verticales ont cédé la place à des structures horizontales en insistant
sur l’échange, le partage et les nouvelles formes de solidarité interpersonnelles. Cette crise a été un
déclencheur d’une prise de conscience pour les entreprises des avantages du travail à distance, d’une
économie de cout sur les bureaux et sur les frais généraux, d’une culture de l’autonomie des travail-
leurs et de l’organisation flexible de leur temps de travail ainsi que l’équilibre à engager entre leur vie
privée et vie professionnelle, de l’anticipation et la gestion de l’absentéisme et de l’engagement au
travail. Revisiter les processus, questionner les choix d’accompagnement des collaborateurs, imagi-
ner de nouvelles pistes de solutions pour instaurer un leadership digital et l’empowerment des col-
laborateurs en privilégiant les réseaux sociaux collaboratifs et imposer un nouveau type de dialogue
social sans passer au licenciement des travailleurs tout azimut, toutes ces modalités d’action se sont
imposées pour préparer des lendemains meilleurs.

110 / Question(s) de Management ? / N°29 / Septembre 2020 © Éditions EMS


Covid-19 et dé-confinement : un retour à
l’anormal du management ?
Mohamed BAYAD, Professeur au CNAM, Cnam-Entrepreneur(s)
La crise de la Covid-19 m’amène à considérer le leadership comme un processus dynamique d’inter-
action qui crée un changement. En ce sens, le leadership apparaît comme un processus social de
collaboration dynamique, où les membres de l’organisation s’autorisent à interagir de manière à expé-
rimenter de nouvelles formes de développement personnel et social. La vision partagée est partagée
parce qu’elle est le résultat du développement de ce processus social, et pas simplement le produit
d’un individu ou d’un petit groupe qui a décidé d’un objectif. Le bien collectif créé est collectif parce
qu’il est inextricablement lié à la synthèse du summum bonum collectif des salariés d’une organisa-
tion avec la réalité sociale. Le leadership, de ce point de vue, semble inéluctablement être fondé en
crise. A ce titre, la crise de la Covid-19 agit comme un catalyseur du processus de leadership. Cette
crise peut être définie comme un différentiel perçu entre ce qui existe dans l’ordre social et ce qui
est désiré par un individu. La crise de la Covid-19 est une perception individuelle qui peut être reçue
de la même manière (ou différemment) par de nombreux individus en même temps. La crise de la
Covid-19 a incité les collaborateurs à commencer à réfléchir au changement. La crise de la Covid-19
a encouragé les collaborateurs à envisager des actions, des compromis et des sacrifices qu’ils n’au-
raient pas envisagés autrement. Résultat en grande partie d’un processus incontrôlable, le leadership
qui se produit alors peut entraîner des résultats imprévisibles et être extrêmement perturbateur pour
le management. Avec le dé-confinement, si les managers essaient de revenir aux pratiques d’avant
Covid-19, cela signera le retour à une relation d’autorité dans laquelle seul le pouvoir est exercé. Ce
n’est pas du leadership authentique puisque la confiance et l’autonomie, dont chacun des collabora-
teurs ont fait preuve durant le confinement, n’auront pas été valorisées. D’où mon inquiétude, avec
le dé-confinement, « d’un retour à l’anormal » du management.

Une transition forcée


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Mohamed BENABID, Rédacteur en chef de L'Economiste, enseignant-chercheur à l’ISCAE (Maroc)
La crise de la Covid-19 a conduit à repenser les structures organisationnelles dans des dynamiques
qui nous semblent mettre en évidence une double lecture. D’abord les processus de décision se sont
raccourcis de manière spectaculaire, consacrant les organisations plates. Dans le feu de l’urgence,
face à l’incertitude de la demande, aux perturbations des chaines logistiques, aux pressions sur les
coûts et sur la trésorerie, tout se passe comme si la pandémie avait apporté une certaine lucidité.
Les priorités devenant plus claires tandis que dirigeants-acculés à se « déconfiner » du formalisme du
pouvoir-et employés se voient condamnés à partager un objectif commun. Un objectif somme toute
trivial et à la finalité évidente : sauver l’existant dans une conjoncture chaotique. S’il est autorisé d’y
déceler quelques caractéristiques de changements organisationnels, à notre sens, il s’agit dans la
majorité des cas d’improvisation organisationnelle, dans la mesure où les entreprises n’ont pas eu le
recul nécessaire pour planifier leurs actions. Ensuite, la crise Covid a été sans aucun doute un cheval
de Troie inédit pour la transition numérique. Que ça soit dans la production, avec la vague forcée du
télétravail ou dans la distribution à travers le déploiement, lorsque le cœur de métier le permet, de
circuits plus dématérialisés, chaque entreprise est désormais technologique. Même les plus réfrac-
taires (ou « trainards » pour reprendre la formulation de Kanter dans sa recherche sur les dotcoms au
début des années 2000), n’ont pas eu à hésiter alors même que beaucoup ne sont pas convaincus
des retombées de ces réorganisations pour la productivité !

© Éditions EMS Question(s) de Management ? / N°29 / Septembre 2020 / 111


REGARDS CROISÉS

Gérer la qualité de l’emploi post crise :


suivre la courbe en U sans déraper
Moez BEN YEDDER, Professeur Assistant de Management/RH, Abu Dhabi University
La crise de la Covid-19 compte aussi parmi ses victimes la qualité de l’emploi au niveau international.
Les prédictions de l’Organisation Internationale de Travail lors des mois de Mars à Mai 2020 publiées
sous formes de mise à jour confirment la tendance d’une perte d’un grand nombre d’emploi et de la
détérioration de la qualité de l’emploi dans plusieurs secteurs. Autrement dit, à côté du chômage, il y a
aura sur le court terme un préjudice qualitatif au niveau des emplois créés et même au niveau de em-
plois existants avec, toutefois, des variations en fonction des régions et des secteurs. Concrètement,
cela va se traduire par une tendance à la précarité avec aussi des emplois plus contraignants et moins
bien rémunérés. Cependant, l’évolution de la qualité de l’emploi a tendance à se superposer l’évolu-
tion de la conjoncture économique qui suit généralement une courbe en U après la crise. Cela veut
dire qu’après la détérioration à court terme suivra une embellie sur le long terme. Parler d’une phase
de croissance sur le long terme n’est pas le fruit d’un optimisme naïf mais une conclusion de l’analyse
des retombées économiques sur des cycles longs de presque toutes les crises passées. Lors de la
deuxième phase, la qualité de l’emploi s’améliorera et les ressources humaines en redeviendront plus
exigeantes quant aux conditions de travail qui leurs sont offertes. Dès lors se pose la question de
l’implication pour les entreprises car in fine chaque entreprise est responsable de la qualité des condi-
tions de travail de ses employés. Ce que nous suggérons ici c’est de penser sur le long terme avec
l’horizon de la reprise en vue et de faire que sur le court terme il y’ait le moins de dégradations pos-
sibles sur l’emploi et les conditions du travail. Dans une perspective de planification des ressources
humaines, il est en effet plus intéressant de préserver ses effectifs moyennant parfois des mesures
temporaires d’optimisation des coûts que de faire des plans sociaux et de devoir réembaucher par la
suite. Sur ce plan, il convient de considérer que les changements organisationnels mineurs tels que
les mesures de mobilité interne ou les ajustements horaires sont moins couteux et plus facile à gérer
que les changements radicaux lourds de conséquences sociales tels que la réduction du personnel.
Au-delà des retombées négatives sur le plan humain de ces démarches, les entreprises les ayant
mises en place se retrouvent en moins bonne posture lors de la reprise car disposant d’un capital hu-
main (et de ses corollaires les capitaux connaissances et métier) amoindri et d’une image de marque
employeur moins favorable pour attirer les talents du fait de la faible qualité de l’emploi desservie au
moment de la crise. Pour conclure, il est important que les entreprises évaluent les conséquences
immédiates et futures de la crise et qu’elles y apportent la réponse idoine sans tomber dans le piège
des ajustements lourds en matière d’emploi. Une telle approche, au-delà des considérations sociales,
réduira leur potentiel de récupération lors de la reprise à venir. Préserver la qualité de l’emploi face à
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un court terme morose est un investissement en capital humain qui s’avère payant sur un long terme
propice à la croissance.

112 / Question(s) de Management ? / N°29 / Septembre 2020 © Éditions EMS


Quel changement suite à la pandémie ? Sachons rester modestes !
Charles-Henri BESSEYRE des HORTS, Professeur Emérite à HEC Paris, Président de l’AGRH
Cette pandémie a été l’occasion pour les entreprises d’inventer en quelques jours des modes de
fonctionnement et d’organisation totalement inédits depuis la mise en télétravail d’une partie plus
ou moins importante de l’effectif jusqu’au démarrage ou au renforcement des ventes en ligne. Mais
ces transformations forcées doivent-elles se pérenniser et dans quelles conditions ? L’expérience des
premières semaines de déconfinement et surtout les défis des mois à venir notamment en termes
d’emploi appelle à une attitude humble et réaliste : la première préoccupation aujourd’hui de nos
entreprises est, en effet, de retrouver un équilibre entre, d’une part, le respect des règles d’hygiène
et de sécurité pour les collaborateurs et, d’autre part, le retour rapide à un niveau d’efficience et
d’efficacité économiques pouvant assurer leur survie en préservant les emplois et leur développe-
ment futur. Bien sûr, l’expérience de la pandémie aura laissé des traces profondes dans les modes
de fonctionnement et l’organisation des entreprises mais de là à nous faire croire que rien ne sera
plus comme avant, c’est juste un discours de certains qui veulent en faire un nouveau business de
conférences et de conseil. Il nous faut « raison garder » en pratiquant des retours d’expérience sur
ce qui a bien marché et sur ce qui a été plus difficile à mettre en œuvre dans les entreprises et sur ce
registre les DRH peuvent avoir un rôle clé pour développer les capacités de résilience des individus
et des organisations.

Et maintenant… Qu’allons-nous faire ?


Mustapha BETTACHE, Professeur titulaire, Département des relations industrielles,
Université Laval, Québec
Quels sont les changements organisationnels induits par la crise Covid-19 ? Cette interrogation se
retrouve au centre des débats actuels. La trame de fonds semble être la technologie qui servira de
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vecteur essentiel de changement dans l’organisation générale et le fonctionnement des institutions,
et ce, à travers des procédés tels le télétravail, l’enseignement à distance, la communication à dis-
tance, etc. Dans ce nouveau contexte, la formation du personnel tiendra une place importante, et ce,
y compris en termes de polyvalence afin de garantir, dans des circonstances particulières, des relèves
temporaires ou pour satisfaire aux exigences de nouveaux profils d’emplois. D’autres défis viendront
également se greffer telle notamment l’implantation dans tous les milieux de travail de mesures d’hy-
giène visant à protéger, plus que par le passé, la santé et la sécurité des travailleurs et travailleuses.
À une échelle plus large, les pays veilleront à assurer une réorganisation industrielle à l’effet de
minimiser au mieux, voire éradiquer toute dépendance vis-à-vis de l’extérieur, plus particulièrement
dans des secteurs jugés névralgiques tels que la santé par exemple, autant qu’ils veilleront à garantir
une relative pérennité des affaires. Dans un environnement de grande incertitude, le mot-clé quali-
fiant la réaction souhaitée pour faire face aux retombées de la pandémie est celui de la ré-invention
en termes de changement organisationnel avec un accent particulier sur l’humain. Pour l’exemple,
les reconfigurations d’emplois devront s’accompagner de considération des droits des travailleurs. Il
s’agirait alors d’une transformation sociétale et organisationnelle et, si tel serait le cas, cette dernière
ne devrait être que le fruit d’une vision partagée et ancrée sur une participation de l’ensemble des
parties prenantes. Si l’après Covid-19 est dans tous les esprits, ne faut-il pas craindre toutefois un
retour vers l’avant, loi du marché oblige !

© Éditions EMS Question(s) de Management ? / N°29 / Septembre 2020 / 113


REGARDS CROISÉS

Covid-19 : Le virus catalyseur de la modernisation


organisationnelle dans les entreprises africaines
Alfred BIAOU, Directeur du Groupe Talents Plus (Bénin, Burkina, Cote d’Ivoire, Mali, Togo)
Si les pronostics de la destruction massive de la population n’ont pas été confirmés en Afrique,
les conséquences de la Covid-19 sont plus marquées en organisation. Personne n’a pronostiqué un
revirement aussi profond en matière organisationnelle. Dans la pratique depuis quelques mois, trois
(3) entreprises sur cinq (5) sont aujourd’hui ouvertes à la remise en cause de leur système organisa-
tionnel et se posent la question fondamentale de leur pérennisation. Notons à cet effet l’utilisation
accrue des outils digitaux (Microsoft teams, Jitsi, Zoom, …) où les réunions du Comité de Direction,
du Conseil d’Administration ou d’Assemblée Générale d’Actionnaires se font maintenant par visio-
conférence à la grande satisfaction de tous. Le télétravail qui était embryonnaire est rentré dans la
culture des entreprises et organisations dont les activités le permettent. Il y a une explosion des
e (e-learnig, e-commerce, e-client, etc.). Cette recherche d’adaptation des outils dans ce contexte
risque de devenir les nouvelles habitudes même après la pandémie. Les effets organisationnels de
la crise sanitaire éprouvent également le droit social dans les pays africains. Ainsi, un vide juridique
apparaît dans les cas de licenciement dû à la crise. La pandémie de Covid-19 n’était pas prévue dans
le dispositif juridique des pays comme un élément de cas de force majeure. Cela amène les pouvoirs
publics à exiger des preuves de corrélation de la pandémie aux activités économiques de l’entreprise.
La Covid-19 a aussi provoqué des bouleversements structurels dans beaucoup d’organisations. On
peut citer pêle-mêle l’optimisation des effectifs (la mise en congé de certains employés a permis à
des organisations de mieux apprécier l’effectif optimal), le recours à d’autres formes de contrat autre
que le contrat de travail.
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Management post-Covid-19 : un alibi pour goupiller la proximité
Nicanor BLEY, DRH de la Banque Populaire de Cote d’Ivoire, Abidjan
Les sévices de la Covid-19 ont imposé une manière de se comporter et conséquemment une façon
de travailler…à distance, à l’exception de certains secteurs en raison de la nature de leur activité. Au
fil du temps, les effets meurtriers de la Covid-19 se dissipent à une échelle moins effrayante qu’ini-
tialement. Concomitamment, se maintient implicitement un type de management qui s’était imposé
pendant la période de confinement et qui a rythmé le télétravail. Quoique à distance, il a paru plus
ou moins nécessaire d’être proche des collaborateurs pour obtenir du rendu, faire fonctionner le ser-
vice et atteindre les résultats attendus tout comme faire sentir à ces collaborateurs la proximité de
la hiérarchie. A l’heure du dé-confinement, la bonne pratique à préserver pourrait bien être celle de
l’ingérence indolente dans le quotidien du collaborateur. Sans en arriver à une omniprésence dans son
intimité, il serait opportun de la part du management d’asseoir une communication intuitu personae,
dans un cadre de rapprochement collaborateur. Cela aurait l’avantage de mettre à l’aise celui ou celle-
ci, qui ne se trouvera pas outré d’être sollicité en dehors des locaux et des heures de travail. Cette
forme d’ingérence serait recevable car goupillée. La Covid-19 aura eu l’avantage de générer un bon
alibi pour la proximité vu que l’avenir demeure incertain, les crises aidant.

114 / Question(s) de Management ? / N°29 / Septembre 2020 © Éditions EMS


Développer une ingénierie de l’intelligence
collective pour faire face à l’incertitude
Marc BONNET, Professeur, ISEOR, iaelyon, Université Lyon 3
La crise de la Covid-19 a placé les entreprises et organisations face à une situation d’incertitude et de
complexité. Nous avions tous appris à gérer des problèmes compliqués et à chercher des solutions
optimales en nous appuyant notamment sur des données statistiques et financières, et cela a souvent
assez bien fonctionné dans le passé. La crise nous apprend que les données sur lesquelles nous ap-
puyons nos raisonnements de gestion sont multidimensionnelles, instables et souvent insaisissables,
tout comme le comportement du coronavirus. Les théories du développement organisationnel nous
ont appris que ce type de situation nécessitait un changement des méthodes de management, sous
peine de transformer une crise en catastrophe : il faut en particulier faire preuve d’une grande qualité
d’interaction avec toutes les parties prenantes internes et externes de l’entreprise, et tester pas à
pas des solutions innovatrices en donnant du sens à l’action et en transformant l’environnement plu-
tôt qu’en étant balloté par des logiques d’adaptation à un environnement imprévisible. Comme dans
l’exemple de l’ingénierie du management socio-économique de l’agilité, cela nécessite de renverser
les habitudes de prise de décision, en privilégiant l’intelligence collective et plus seulement l’exper-
tise individuelle, tout en développant la responsabilité et l’engagement individuels de chacun.

De la déshumanisation du processus de
production à son humanisation
Natalia V. BOUROVA, Directrice de l’Ecole Internationale d’Economie et Politique de
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l’Université d’État d’Économie de Saint-Pétersbourg, Russie
Nadezhda N. POKROVSKAIA, Professeure, Université d’État d’Économie de Saint-
Pétersbourg, Russie
La crise Covid-19 a démontré les opportunités et limites de l’économie numérique et communication
éloignée à distance. L’organisation est impliquée aux chaînes de valeur qui peuvent être reconçus
avec « usine connectée » et déshumanisée en termes de duplication ou du transfert de l’information.
La révision des fonctions en Covid-19 a souligné le rôle humain en échange et enrichissement de
connaissances comme étape en création de valeur. La déshumanisation du processus de la création
de valeur a bien démontré ses limites lors de l’isolation sociale. Une leçon de Covid-19 consiste au
fait que les technologies éliminant la participation humaine réduisent simultanément la valeur ajoutée.
Plus standardisé est le produit, moins est la marge, plus est la masse d’acheteurs qui est nécessaire
pour assurer le chiffre d’affaire couvrant les coûts. Le coût des connaissances est élevé en production
et est bas ou proche du zéro en reproduction. Covid-19 a provoqué une meilleure compréhension
du rôle humain en transfert de connaissances – en éducation (il ne suffit pas de donner l’accès à
une bibliothèque, l’enseignant doit guider l’étudiant et l’aider à s’intégrer), en services (importance
du component émotionnel en communication et de l’individualisation) et même en production (les
machines ne se réparent pas sans l’assistance d’une personne). La réintroduction des gens en créa-
tion de valeur est, à notre avis, l’effet essentiel hérité de Covid-19.

© Éditions EMS Question(s) de Management ? / N°29 / Septembre 2020 / 115


REGARDS CROISÉS

La crise de la Covid-19 : quels changements de


paradigmes pour nos modèles organisationnels ?
Carole BOUSQUET, Enseignant-chercheur, IDRAC Business School
La crise de la Covid-19 peut être – et sera sûrement – considérée comme une temporalité révélatrice
de nouveaux modèles d’organisations, de structures et de comportement des individus. Le plus
évident est certainement le télétravail. Là où bon nombre d’entreprises étaient ouvertement réfrac-
taires à ce mode « à distance », elles ont été contraintes de le mettre en place. Certes, l’urgence de
la situation a généré quelques loupés, néanmoins, les organisations ne pourront plus plaider contre
les demandes de télétravail sous prétexte que « ce n’est pas possible », qu’on ne peut pas « contrôler
nos salariés » et qu’il y aurait un risque de « sous-performance ». Il serait même intéressant de voir
quel impact cet assouplissement aura sur la vision du présentéisme en France d’une manière plus
générale. Le deuxième point qu’il nous semble important d’étudier est un pendant du télétravail : la
connexion permanente. Bien que déjà alertes sur la connectivité des cadres depuis quelques années,
celle-ci s’est étendue à l’ensemble des salariés en télétravail pendant la crise de la Covid-19. Vaste
sujet que le droit à la déconnexion, mais il semble important d’aborder les nouveaux modes d’orga-
nisations en même temps que leurs écueils éventuels. Enfin, the last but not least, cette crise de la
Covid permet de poser une question à l’opposé des modèles dominants du siècle dernier : celui de
la valeur ajoutée de nos métiers respectifs. Alors que la doxa dominante aime à penser que celui « le
plus haut » est « le plus important » (en termes de fonction, d’années d’études, etc.), nous aurions
été bien mal en point sans nos agriculteurs, routiers, infirmiers, aides-soignants, caissiers… De la
même façon que l’ouvrier, sur sa ligne de production, est bien le premier à permettre à son entreprise
de vendre ses produits… espérons que cette crise permettra une meilleure reconnaissance de cette
valeur ajoutée créée et une abolition de la pensée des « personnes productives et non-productives »
encore prégnante dans nos organisations et à l’origine de nombreux dysfonctionnements.

Sens du devoir ou… devoir de sens ?


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François BOUYER, Consultant, Enseignant ESSEC Executive Education
La France entière a applaudi à leur courage, leur implication, leur dévouement ; certains y ont laissé
leur vie. Infirmier(e)s, médecins, le corps médical dans son ensemble a suscité l’admiration de la
nation. Il est tentant d’analyser cette situation à partir du questionnement que tous les consultants,
professeurs, contrôleurs de gestion et managers connaissent lorsqu’ils travaillent sur les stratégies
de contrôle des organisations. Questionnement que l’on peut formuler à travers l’opposition entre
stratégies de contrôle externe et de contrôle interne. Les premières reposent sur des procédures,
des outils, des objectifs à atteindre et des indicateurs supposés fiables et non manipulables pour en
mesurer les résultats. Les secondes s’appuient principalement sur le partage de normes, de valeurs
autour d’une culture de l’organisation censée mobilisée tous ses membres pour accomplir des mis-
sions dans lesquelles ils se reconnaissent. La crise de la Covid en obligeant l’organisation hospitalière
à travailler dans un contexte non prévu a mis en valeur une capacité des acteurs de santé à y faire
face. Et il peut être tentant de penser que c’est parce qu’ils ont trouvé dans cette situation une raison
du choix de leur métier ; dans d’autres circonstances (attentats de Charlie Hebdo…), on avait déjà pu
observer pareille implication. Mais ce qui est vrai pour des circonstances exceptionnelles, est proba-
blement plus difficile le quotidien des organisations commerciales. A l’image de Danone, certaines
s’y sont lancé, avec plus ou moins de succès. Mais en observant le développement d’autres (logis-
tique…), les consultants ou autres formateurs ont de beaux challenges à relever.

116 / Question(s) de Management ? / N°29 / Septembre 2020 © Éditions EMS


Covid-19 : révélateur du niveau de maturité des
organisations face aux défis du XXIe siècle
Philippe CASTILLA, Corporate Programs Designer, ESSEC Executive Education
Dire que, pour atteindre des objectifs toujours plus exigeants, dans des environnements de plus en
plus diversifiés, complexes et incertains, les organisations doivent devenir plus agiles et collabora-
tives fait aujourd’hui consensus dans le discours managérial de la quasi-totalité des entreprises. Mais
réussir à réellement fonctionner de la sorte individuellement et collectivement demeure souvent un
défi colossal, et le confinement lié à la pandémie de coronavirus Covid-19 aura joué un rôle de révéla-
teur du niveau de maturité des organisations pour fonctionner en mode agile sur quatre dimensions :
– Systèmes d’information, pour autoriser le travail en mode ATAWAD (any time, any where, any
devise) ; – Procédures et niveaux de délégation des acteurs, pour réagir rapidement au juste niveau
et limiter les aller-retours hiérarchiques ; – Capacité des lignes managériales à donner le sens, pour
permettre l’empowerment des équipes ; – Culture d’entreprise, pour que les relations d’autorité et
de dépendance laissent place à des rapports d’interdépendance et de responsabilisation. Grâce à la
cette crise, certaines organisations ont révélé de véritables zones de vulnérabilité sur tout ou partie
de ces quatre dimensions. Espérons qu’elles sauront en tirer les enseignements et entreprendre les
changements nécessaires pour en sortir plus forte et plus adaptées aux défis du XXIe siècle.

Balzac : la comédie humaine pour une co-construction


de la régulation et du contrat sociale numérique !
Philippe CERVERA, Président chez KHEPER
Parmi les changements organisationnels de notre actualité, nombre d’acteurs ont pu bénéficier du
télétravail. Cet exercice en dehors de l’entreprise a été rendu possible par une culture de société
préparée au numérique et en fonction de la nature des tâches à réaliser. Son attrait est de permettre
continuité de service et souplesse dans sa mise en œuvre pour faciliter – accroître, le temps d’acti-
vité. Pourtant son déploiement à grande échelle en raison du confinement, nous amène à réfléchir à
ces conséquences. Comment le ou les intervenants coexistent et pratiquent une profession dans un
même espace ? De manière asynchrone ? En exerçant plusieurs rôles ? La concentration du temps
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dans l’espace. Les caractéristiques propres de lieu d’habitation (localisation, taille, superficie, jardin)
et du nombre d’acteurs qui y évolue (seul, en couple, avec ou sans enfant), mettent en évidence son
adaptabilité à un usage « augmenté » (puisqu’il y a fusion entre sphère privée et professionnelle).
Dans cet espace, coexistent physique et virtuel, comme c’est le cas dans les loisirs et jeux, et avec
le téléphone mobile (à tel point que l’on a parlé de cure de désintox numérique). Ce qui est nouveau,
c’est la concentration du temps de notre journée dans un emplacement unique. La privatisation du
travail : une gestion du temps. Jusqu’alors, les activités étaient différenciées par un lieu et par un rôle.
Il a toujours existé des interférences entre les opérations privées et professionnelles, quel que soit le
lieu. L’évolution du télétravail depuis quelques années a habitué certains acteurs à ne plus différen-
cier le lieu, mais juste le temps. Ce qui est nouveau, c’est à la fois le passage quasi immédiat à cette
fusion des emplacements dans le temps pour une grande majorité d’acteurs pour lesquels c’était
nouveau ; et le fait que ce passage soit effectué à plusieurs (actifs/actifs ; actifs/inactifs) non plus en
dehors, mais dans la sphère privée. Nous avons là une piste de réflexion sur la nature de(s) mission(s)
transposable(s) et possible hors entreprise.
Le cumul de rôles dans une unité de temps et de lieu inhabituel, source de tensions, d’adaptation
et d’innovation. Le sexe et les rôles de chacun (civil, social, statutaire, familiale…) exercés dans un
même espace, cohabitent, alternent et/ou se cumulent. Cette mixité sur un endroit unique est inha-
bituelle et demande donc la construction d’un nouveau référentiel, un ajustement, un soutien, de

© Éditions EMS Question(s) de Management ? / N°29 / Septembre 2020 / 117


REGARDS CROISÉS

l’invention de la part des bénéficiaires. Nous voilà acteurs de théâtre avec une unité de temps et de
lieu pour jouer notre (nos) comédie(s) humaine(s) ! Ainsi, quand cela est possible, la transition numé-
rique permet d’apporter une réponse sur une séquence relativement courte. Avec des avantages
économiques, de santé et de productivité mais aussi des inconvénients en fonction des situations.
Elle représenterait un défi sociétal majeur dans la perspective d’un déploiement intégré plus inclusif.
Dès lors, une approche systémique pour co-construire à la fois le renouveau de la régulation et du
contrat social serait novatrice et digne d’être en alignement avec la raison d’être.

Pour échapper au gouvernement des médecins


Didier CHABANET, Directeur de la Recherche du réseau IDRAC
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Pendant toute la crise de la Covid-19, l’avis des hommes de sciences et en particulier des médecins
a été abondamment sollicité, notamment par les dirigeants politiques qui ont cherché à appuyer leurs
décisions sur un diagnostic et parfois même un pronostic de santé publique le plus fiable possible.
Jour après jour, le gouvernement a ainsi agi à l’aune des recommandations du « Conseil scienti-
fique », qui ont globalement constitué la boussole des orientations prises pour gérer la pandémie. La
volonté de l’Exécutif de s’entourer d’experts aurait dans d’autres circonstances pu prêter à sourire,
tant la « Macronie » s’était jusqu’alors construite sur la valorisation du « non spécialiste » et même
de « l’amateur » dans l’action publique. Au-delà de ce paradoxe, en lui-même instructif, deux autres
enseignements majeurs peuvent être tirés. D’abord, la science pose plus de questions qu’elle n’ap-
porte de certitudes. Il est donc vain que le politique se réfugie derrière elle pour tenter de justifier ses
décisions. Même s’il est évidemment souhaitable qu’il agisse « en connaissance de cause » (avec
toutes les limites de l’exercice), il doit assumer l’une de ses fonctions premières : choisir et arbitrer.
Ensuite, il a fallu décider jusqu’où les règles de santé publique devaient être prises en compte dans
l’organisation de la vie en société. Doit-on, par exemple, protéger la santé des personnes coûte que
coûte, même si l’on met durablement l’économie à terre ? Faut-il interdire aux personnes âgées
d’entrer en contact avec leurs proches sous prétexte qu’elles peuvent être contaminées et en mou-
rir ? Ces difficiles questions se reposeront à l’avenir. Il est urgent d’en débattre collectivement et d’y
apporter des réponses non pas uniquement médicales ou hygiéniques mais démocratiques.

118 / Question(s) de Management ? / N°29 / Septembre 2020 © Éditions EMS


Les entreprises marocaines à l’épreuve de la Covid-19 :
quelles actions responsables au profit des collaborateurs ?
Adil CHERKAOUI, Professeur à la Faculté des Sciences Juridiques, Économiques et Sociales –
Ain Chock, Université Hassan II de Casablanca

La pandémie de Covid-19 n’est pas exclusivement une crise sanitaire. Elle est également une crise
économique ayant généré des répercussions d’une grande ampleur sur les entreprises, particuliè-
rement les collaborateurs. Dès lors, les entreprises sont appelées à atténuer l’impact économique
de la pandémie en évitant les licenciements collectifs et la perte d’avantages sociaux, à maintenir
les contrats avec les fournisseurs et prestataires, à être attentives aux personnes les plus vulné-
rables, et à s’engager avec l’État pour répondre aux besoins sanitaires et financiers immédiats des
travailleurs. Conformément aux dispositions de l’article 24 du code marocain du travail, l’employeur
est responsable de la santé et de la sécurité de ses employés. Il doit prendre toutes les mesures
nécessaires pour les assurer, en les adaptant aux dispositifs recommandés par les autorités compé-
tentes. Concrètement, l’employeur doit privilégier le télétravail lorsque celui-ci est possible. A défaut,
il convient d’opter pour d’autres alternatives, comme par exemple le travail par groupe pour diminuer
le nombre de salariés. L’employeur doit mener des actions de sensibilisation et d’information et de
mettre en place un protocole de prise en charge des salariés contaminés ou suspectés de l’être. Quant
aux employés, leurs devoirs consistent à sauvegarder leur sécurité et celle des autres personnes sur
les lieux de travail. De ce fait, ils ont l’obligation de suivre les instructions, de bien utiliser le matériel
sanitaire et de respecter les gestes barrières. En cas de doutes par rapport à une éventuelle conta-
mination, ils sont tenus d’informer l’employeur, le médecin du travail et tout autre responsable apte
à gérer la situation. Les entreprises doivent entretenir un dialogue social avec les représentants des
travailleurs et des employés afin de négocier non seulement les conditions de sécurité et d’hygiène,
mais également les plans de relance et d’appui afin de s’assurer de leur efficacité et de leur équité
sociale. En publiant des fiches, guides et vidéos, afin de réorganiser le travail des salariés (diminution
des heures de travail, télétravail et autres alternatives). Mais aussi en expliquant les dispositifs de pré-
vention à mettre en place au sein de l’entreprise, pour garantir la sécurité des employés. Un protocole
de gestion du « risque Covid » est à mettre sur les lieux de travail des entreprises, qui continuent à
travailler, pour mieux adapter leurs dispositifs d’hygiène. Il servira aussi, après le déconfinement, à
toutes celles qui seront autorisées à reprendre leurs activités.

La crise sanitaire : sanitaire des transformations organisationnelles ?


Franck CHERON, Partner, Conseil, Capital Humain Deloitte Conseil
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La crise sanitaire actuelle est un véritable accélérateur de la transformation au niveau des ressources
humaines faisant tomber les derniers vestiges du présentiel et des organisations trop rigides et ex-
cessivement hiérarchiques tout en préparant finalement les entreprises à un monde du travail diffé-
rent, celui du futur désormais plus immédiat que jamais. Les organisations doivent devenir plus adap-
tables et agiles afin d’être en capacité de répondre à une gestion de crise, des stop & go à intégrer
dans son business model ou encore tout simplement l’attraction et la fidélisation des talents dans un
écosystème mouvant de plus en plus rapidement notamment d’un point de vue technologique. C’est
un véritable paradoxe car dans le même temps la personnalisation et l’expérience collaborateur est
au cœur des attentes du capital humain.
Ces modifications organisationnelles passent nécessairement, voire quasiment obligatoirement dé-
sormais, via trois questions essentielles à se poser : Comment travailler ? Ou travailler et avec Qui ?
La crise traversée a alors poussé à la mise en place d’équipe virtuelle posant la question, parfois non
encore résolue, d’un nouveau style de management. Dans la continuité un grand nombre d’entre-
prises réfléchissent à revoir leur parc immobilier pour privilégier le distanciel ou proposer des hubs
d’accueil disponibles sur le territoire tout en gagnant en productivité. Enfin, les formes alternatives
de travail vont aussi nécessairement se rappeler aux bons souvenirs des transformations des entre-
prises avec la possibilité de recourir à de l’open talent, voire de l’automatisation d’une partie des
tâches à réaliser.

© Éditions EMS Question(s) de Management ? / N°29 / Septembre 2020 / 119


REGARDS CROISÉS

Crise Covid-19 : deux lames de fond pour l’éducation


Françoise CHEVALIER, Professeur HEC
La crise Covid-19 a, pour nous, précipité ou plutôt exacerbé deux grands changements organisa-
tionnels dans le monde de l’éducation. Exacerbé, car ces changements étaient déjà bien amorcés.
Première lame de fond : la formation ouverte à distance. Le confinement rendant les déplacements
et les regroupements impossibles, le télétravail et l’éducation à distance en ligne sont venus, en toute
urgence, se substituer aux fonctionnements habituels. Dans le monde entier, atteint par la pandémie,
les établissements d’enseignement, des écoles primaires aux universités, ont mis en œuvre, comme
jamais auparavant, l’enseignement en ligne. Deuxième lame de fond dans le monde de l’éducation :
celle de l’entreprise académique étendue valorisant le travail coopératif et éducatif. Une forme d’orga-
nisation, largement répandue dans des secteurs comme l’automobile ou l’aéronautique, et qui inves-
tit aujourd’hui le monde éducatif. Sous la pression de l’événement, l’entreprise académique étendue
caractérisée par un nombre grandissant d’acteurs et de systèmes éducatifs en ligne, existants et foi-
sonnants bien avant la crise, est propulsée sous le feu de projecteurs. La formation ouverte à distance
et l’entreprise académique étendue bouleversent les systèmes académiques classiques et, par rico-
chet, interrogent encore plus fortement les stratégies et les organisations académiques de demain.
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Rupture, Réinvention, Résilience
Mireille CHIDIAC El HAJJ, PhD, Professor, Faculty of Business and Economics, Department of
Management, Lebanese University, Beirut, Liban
Suite à l’annonce de la Covid-19, la vie de toute entreprise a été bouleversée. Paralysée, celle-ci
est incapable de réagir en temps d’incertitude, l’anxiété et la tension bloquant son activité. La crise
mène à une rupture collective de son modèle organisationnel et met en exergue une question-clé
pour son Leader : faut-il céder aux défis ou réinventer son entreprise ? Le chef d’entreprise, guidé
par une vision stratégique constructive, fait appel à une révolution silencieuse mais profonde. Il invite
son entreprise à se réinventer, intégrer le télétravail, développer les infrastructures technologiques
voire même l’intelligence artificielle. Il organise la vie de l’entreprise à distance et gère de nouveaux
talents basés sur les soft skills pour répondre aux nouveaux besoins du marché. Toutefois, exercer
un Leadership axé sur la seule réinvention des capacités techniques et technologiques est une condi-
tion nécessaire mais non suffisante. En cette période de crise, il est temps de privilégier l’Homme,
sa santé, sa sécurité et son Bien-être. Le moment est venu pour réinventer un contrat social capable
d’insuffler la confiance et de créer une main-d’œuvre dotée d’une capacité dynamique de résilience.
Concilier Bien-agir et Bien-être est synonyme de justice sociale. Encore faut-il les mettre en place
conjointement et durablement !

120 / Question(s) de Management ? / N°29 / Septembre 2020 © Éditions EMS


Changements organisationnels induits par la crise :
les CCI, corps intermédiaires de la connaissance1
Philippe CLERC, Conseiller expert Etudes et prospective, CCI France
La crise sanitaire et son impact économique et sociétal a agi sur nos organisations comme un révéla-
teur et un amplificateur des faiblesses et des pierres angulaires refondatrices. Concernant le réseau
des CCI, la crise hors norme de la Covid-19 a eu un effet considérable et inespéré. En crise depuis des
années, à la recherche d’un nouveau modèle économique fondateur, les CCI en grande difficulté, sont
« organisationnellement révélées » par la crise. De quoi s’agit-il ? Face à des situations inconnues,
au-delà d’être inédites, les conjoncturistes, l’Etat en région, l’administration, les experts de l’ingé-
nierie territoriale découvrent que « leurs intelligences sont aveugles » face à l’effondrement. Quelle
organisation dès lors mettre en place pour éclairer le chemin de la résilience ? Les sociologues des
organisations connaissent depuis longtemps la capacité des organisations à produire de la connais-
sance et s’imposer comme des « problem solving organizations ». Dans le cas qui nous intéresse, il a
fallu pallier aux « pathologies cognitives organisationnelles » traditionnelles par l’organisation d’intel-
ligence de terrain, agiles, transversales et réactives et trouver l’organisation capable de déchiffrer en
temps réel des situations très complexes impliquant crises, ruptures de chaînes de valeurs, pertes
de repères, pour des décisions dans l’heure. Les capacités et les compétences des CCI de diagnos-
tic, d’analyses, d’alerte, de veille ont été mobilisées et ont transformé leur réseau en « organisation
intelligente », pluridisciplinaire capable d’éclairer « les pionniers ». De cette mutation de fond créant
« un corps intermédiaire de la connaissance » surgissent deux essentiels : la nécessité de créer des
think tank régionaux et locaux auxquels participeront les CCI et la nécessité de réinventer les réseaux
d’intelligence prospective.1

1 Ce billet est extrait du rapport d’un groupe d’élus et DG de CCI « Réussir la relance », CCI France, 16 juin 2020, dont
l’auteur a été le rapporteur.

À l’épreuve de l’adoption du télétravail dans les organisations


ivoiriennes : le nécessaire management par la confiance
Sié Azaria COULIBALY, Directeur Associé, Afrique Experts Consultants
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Les plans de continuité de l’activité professionnelle ont placé le télétravail au cœur de la stratégie
de pilotage des organisations en cette période de crise sanitaire. Cette crise bouleverse ainsi, en
plus des habitudes personnelles et sociales, les dispositions et relations professionnelles. Le travail
collaboratif à distance encadré (ou télétravail) est une forme d’organisation du travail dans les organi-
sations. Elle nécessite donc la mise en place d’un cadre consensuel de mise en œuvre, l’acquisition
et l’utilisation d’outils et technologies de l’information et de la communication et, l’accompagnement
des acteurs à sa mise en œuvre. Aussi, cet important changement organisationnel a-t-il besoin d’être
initié de façon volontaire et volontariste pour lui garantir un succès certain. La brusque survenue de
la pandémie de la Covid-19 n’a pas donné le temps aux organisations ivoiriennes de s’y préparer. De
plus, à l’instar des pays de la sous-région ouest africaine, en Côte d’Ivoire, ni la règlementation du tra-
vail ni les accords collectifs professionnels ne traitent de la question du télétravail. La mise en œuvre
prolongée de ce dispositif de façon impromptu dans les organisations pourrait générer de la jurispru-
dence. Par ailleurs, la présente crise sanitaire met à rude épreuve les modèles organisationnels qui
du reste nécessitent une réflexion et une révision profondes.
Le seul levier permettant d’assurer une mise en œuvre de cette stratégie, utilisée dans le contexte
de la Covid-19 pour la sauvegarde de l’emploi et de continuité de l’exploitation est le management par
la confiance. Il permet d’offrir aux organisations la flexibilité nécessaire à la conduite de changement
sans heurts et à la mise en œuvre d’un dialogue social apaisé en période de crise.

© Éditions EMS Question(s) de Management ? / N°29 / Septembre 2020 / 121


REGARDS CROISÉS

La distanciation ou la schizophrénie du B2B


Richard DELAYE-HABERMACHER, IMSG, Genève, Propédia, Paris
Cet épisode pandémique a été douloureux pour l’économie. Il convient néanmoins de noter que les
contraintes liées à la distanciation auront eu pour effet de mettre bon nombre d’entreprises face à
leur homéostasie organisationnelle, entendons par là leur manque de créativité et de culture adapta-
tive face à un événement intrusif et imprévisible. Alors que certains domaines tels les transports et
les loisirs ont eu à vivre des situations catastrophiques, d’autres ont pu tirer profit de cette distance
imposée et se sont même « rapprochés » de leurs clients. Mais ces entreprises qui ont survécu
sont essentiellement celles qui ont su créer de la proximité avec leur marché en développant une
organisation agile plus que jamais orientée vers la relation client, et ce dans l’environnement digital
dont nous avions conscience de l’intérêt, certes, mais pour lequel nous n’avions pas mesuré (ou
pas voulu mesurer) le formidable « matériel de survie » qu’il représentait. C’est ainsi qu’en Suisse1,
avec une augmentation de 27 % du trafic internet moyen par rapport à n-1, les secteurs des jeux en
ligne, de la santé, des assurances et du e-commerce ont triplé leurs chiffres d’affaires. CRM, plate-
formes omnicanales, gestion des stocks fluidifiée, expérience client optimisée, storytelling doivent
être habilement combinés pour assurer la conquête de nouveaux clients tout comme leur fidélisation.
C’est pourquoi le B2B se doit d’être impérativement repensé. Face à une concurrence, n’ayant plus
de frontière physique, devenue particulièrement féroce, il doit être digital à outrance, c’est une évi-
dence, mais tout en préservant une proximité vis-à-vis de « consommacteurs » dont le confinement
a fait significativement évoluer les comportements d’achats. Une nouvelle forme de schizophrénie
en quelque sorte.

1 https://enigma.swiss/fr/
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Le télétravail exigera des managers agiles © EMS Editions | Téléchargé le 06/01/2021 sur www.cairn.info (IP: 196.65.143.119)
Marc DELUZET, Délégué général Observatoire Social International OSI
La crise sanitaire et le confinement ont fait sauter des verrous en matière de télétravail : alors qu’une
proportion de 15 à 20 % des salariés travaillant dans les emplois tertiaires bénéficiaient des accords
de télétravail en vigueur, c’est la totalité des salariés des fonctions support, de leurs managers et de
leurs dirigeants qui ont pratiqué durant deux mois le télétravail à plein temps. Il est souhaitable qu’un
reflux s’opère car les contacts en face à face sont essentiels pour l’efficacité et la créativité des col-
lectifs de travail, mais il est probable que le télétravail sera un élément important de la normalité qui
va se mettre en place. Par conséquent, il est urgent de réfléchir à un nouvel équilibre entre travail à
distance et travail en présentiel dans l’entreprise. Cela exige de repenser l’organisation du travail de
façon agile, avec d’une part, des modes de management adaptés à l’exercice des activités sur site,
dans le cadre de réunions régulières et d’activités projets, et d’autre part, des manières de manager
spécifiques au travail à distance. Les espaces de travail seront aussi amenés à évoluer tant au sein de
l’entreprise pour les rendre encore plus pertinents en matière de pratiques coopératives et relation-
nelles, qu’à domicile pour garantir un espace de travail optimum.

122 / Question(s) de Management ? / N°29 / Septembre 2020 © Éditions EMS


Des changements impromptus au long terme
Anne-Sophie DERAME, Digital Transformation Product Owner, Dublin, Irlande
Il semblerait que certaines sociétés utilisent la crise actuelle a leurs profits, et pas uniquement pour
la gestion de la crise. Beaucoup d’employés ne retrouveront pas leur poste de travail tel qu’il était
avant. Je parle bien sûr du fait qu’ils n’auront même plus de bureau où aller le matin. Le télétravail va
devenir un fait permanent pour beaucoup de gens. D’une part cela sera le bienvenu, les gens auront
plus d’autonomie…mais d’autres points sont à mettre en lumière. Ce télétravail a été mis en place
en urgence, sans vérifier si l’équipement de travail conformait aux normes attendues dans un bureau.
Pendant la crise les gens ont du « faire au mieux », travaillant souvent plus longtemps, et plus régu-
lièrement. Cette séparation du travail/maison a disparue, et il semblerait que cette nouvelle tendance
est en train d’être acceptée comme un fait. Le fait que les dirigeants ont plus d’expérience par rapport
au télétravail et souvent moins de contraintes domestiques pour le mettre en place que la plupart du
reste des employés de la société (espace, gestion d’enfants…) joue surement sur cette transition.
Ces changements qui arrivés subitement semblent maintenant être là pour plus longtemps qu’ini-
tialement pensés. Mais sont-ils pour autant véritablement vécus comme positifs par ces derniers ?
Personnellement je ne le pense pas.

La Covid-19 : révélateur des inégalités sociales


Anne DIETRICH, Professeure des Universités, IAE – Université de Lille
Si perdre le goût et l’odorat est un symptôme de la maladie, la gestion de la crise sanitaire liée à la
Covid-19 a fait de la distanciation sociale et du sans contact ses outils de lutte contre l’épidémie.
Penseurs et apôtres du monde d’après s’en emparent déjà pour réorganiser nos espaces de travail
(fini l’open space, le flex office, retour des box et du plexiglas), nos outils (parler aux machines pour
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ne plus les toucher), nos façons de travailler (télétravail bien sûr), notre environnement (relocaliser
la production contre la dépendance liée à la mondialisation ?). Dont acte. Mais le confinement a fait
plus : il nous a contraint à voir ce que nous ne voyons plus. Parmi ces choses devenues invisibles, il y
a le travail et les travailleurs. L’arrêt de l’économie nous rappelle que sans travail, pas de production.
La durée du confinement a fait sortir de l’ombre les travailleurs invisibles (caissières, livreurs, conduc-
teurs, auxiliaires de vie, agents de nettoyage…) et donné à voir l’utilité pour la vie d’un pays de ces
métiers dits peu qualifiés, sans lesquels pas de commerce, de transport ou de service aux personnes.
La contagiosité et la virulence de la Covid ont montré que le travail médical ne se réduit pas aux actes
chiffrés d’une normalisation comptable et financière, en révélant l’engagement des soignants et la
pénurie de ressources d’un système hospitalier éreinté par les restrictions budgétaires. Obligés de
travailler, souvent mal protégés, ces travailleurs dont beaucoup de femmes et d’étrangers ont été en
première ligne face au virus. La Covid-19 a ainsi souligné les distances sociales entre les mieux lotis
(télétravail en résidence secondaire) et les autres (logements exigus, difficultés accrues), ravivé les
inégalités au travail. S’il y a un changement à conduire, c’est celui des hiérarchies d’emplois et de
salaires, car « les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l’utilité commune1 » comme
l’a rappelé le Président de la République. Mais dans le monde d’après, aurons-nous encore envie de
voir ?

1 Article 1 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, en préambule de la constitution.

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REGARDS CROISÉS

Un travail à distance imposé, mué en catalyseur de digitalisation


Caroline DOGUET, Directrice des Ressources Humaines Groupe EUGENE PERMA
Déployé dans la précipitation, le travail à distance s’est imposé dans toutes les organisations, ache-
vant ainsi la levée des dernières résistances de managers pour le télétravail. La crise aura aussi été
un accélérateur inattendu de la digitalisation des organisations. La distance a étonnamment rappro-
ché les équipes. Que ce soit le besoin d’échange face à l’isolement du confinement ou l’impérieuse
nécessité de décider ensemble et vite, cette crise aura vu se multiplier les réunions virtuelles. Chacun
a expérimenté l’efficacité du distanciel dans de nombreux processus jusque-là réservés au présentiel.
Au-delà des réunions, les formations, le recrutement, l’animation du dialogue social se sont tenus à
distance. La convivialité en entreprise s’est développée en virtuel, pause-café et pot de départ ont
parfois été aussi réussis via le Web. A l’heure des économies auxquelles les entreprises vont être
confrontées, de la réduction nécessaire de l’emprunte carbone, la recherche d’efficacité sera de mise
et la réduction des déplacements une aubaine irrésistible. Il est ainsi fort à parier que la digitalisation
subie pendant la crise évolue en modernisation souhaitée des modes de travail.

Nouvelles complexités et opportunités pour les


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entrepreneurs en situation de handicap ?
Claire DOUSSARD, Fondatrice de TCS lab, chercheuse associée au laboratoire AHTTEP
Julien BILLION, Fondateur de TCS lab, chercheur associé à l’université Paris-Dauphine
« Aujourd’hui le marché de l’emploi est tel qu’il est. Il est déjà compliqué, encore plus compliqué
pour les personnes en situation de handicap » raconte un jeune entrepreneur malvoyant. La crise
Covid-19 a eu de nombreux impacts sur les entreprises et les entrepreneurs de tous bords. Dans le
cas des entrepreneurs en situation de handicap déjà fragilisés sur le plan professionnel, la pandémie a
accentué certaines pratiques existantes. Le domicile de l’handipreneur constitue un espace d’activité
professionnel privilégié, car pouvant être adapté au handicap dans une certaine mesure. Les déplace-
ments professionnels, souvent complexifiés par le handicap, sont réduits au minimum ou amplement
anticipés par l’entrepreneur. Alors qu’avant la pandémie, le télétravail constituait un mode d’organisa-
tion privilégié par les handipreneurs, cette pratique professionnelle est d’autant plus renforcé par le
contexte de santé public actuel. Les déplacements sont d’autant plus réduits et rendus complexes
par les mesures sanitaires en vigueur, tout en présentant des risques qui peuvent difficilement être
anticipés par les handipreneurs. La crise de la Covid-19 a cependant révélé certaines opportunités,
comme le développement des outils de télétravail de plus en plus acceptés et utilisés par les clients,
prestataires et autres partenaires professionnels.

124 / Question(s) de Management ? / N°29 / Septembre 2020 © Éditions EMS


L’inconcevable retour en arrière des organisations
ou l’obligation de changer de trajectoire !
Michelle DUPORT, Université Paul Valéry, Montpellier 3
Toute crise oscille entre danger et opportunité. La crise suscitée par la Covid-19 a bouleversé les
pratiques organisationnelles et plutôt qu’espérer un improbable retour à la normale et de décrire les
processus de résilience mis en œuvre intéressons-nous aux changements durables de trajectoires
autrement dit à l’hystérésis positive (Bourdieu). Les acquis en termes d’investissements technolo-
giques, d’ouverture à de nouveaux outils et d’apprentissage des outils collaboratifs sont tels qu’un
complet retour en arrière n’est pas envisageable et personne n’y songerait. Dans la période post-
crise, les organisations vont devoir tenir compte de ces nouvelles compétences, expériences et
attentes des personnels mais aussi de celles des parties prenantes externes en matière de déve-
loppement durable, de responsabilité sociale et sociétale, d’éthique des affaires et de stratégie.
La crise de la Covid-19 a mis au-devant de la scène, les incohérences managériales, stratégiques,
décisionnelles et organisationnelles et les entreprises ne peuvent manager et décider comme avant.
L’expérience du travail à distance, de la « déspatialisation » du travail1 (Taskin, 2010) d’une grande
partie de la population active a permis de lever une partie des réticences sur le télétravail et notam-
ment celle du contrôle. Ces réticences partagées par les employeurs comme par les employés ont
volé en éclat et de nouvelles stratégies voient le jour. La presse relaie ce phénomène en montrant
les entreprises qui suite à la crise ont résilié leur bail pour ne fonctionner plus qu’en distanciel avec
des réunions périodiques dans des centres de co-working. Les habitudes et les représentations ont
bougé, les routines reprendront leur cours mais la crise aura infléchi les trajectoires des organisations
et le management des équipes.

1 Taskin L., 2010, « La déspatialisation. Enjeu de gestion », Revue française de gestion, 36, 202, p. 61‑76.

Covid-19 : l’odyssée de la victoire de l’infiniment petit


sur les dispositifs organisationnels puissants
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Dr John Kofi Idao EGBETO, Président /INVESTEK GROUP, Lomé, Togo
Dans l’odyssée de la victoire de l’infiniment petit, David ou Covid, beaucoup ont vite fait de les
confondre et ils n’ont pas tort. Ils ont les mêmes nombres de syllabes et se terminent de la même
façon. La Bible nous dit que David était tout petit devant le géant Goliath et qu’il a suffi d’une fronde
pour terrasser ce titan. La Covid-19 est encore plus petit, il est même invisible et vient aussi de le
démontrer en terrassant les géants de la planète. Mieux, il a provoqué la débandade partout et a
réussi à faire dormir le monde en plein jour. Et ce faisant, il a induit des impacts considérables dans
tous les domaines imposant des changements organisationnels sans exception. Mais au-delà de tous
ces changements touchant tous les secteurs, il y a lieu de faire remarquer que la principale leçon
tirée de la Covid-19, est de savoir compter sur ses propres forces comme moteur-clé de résilience.
En effet, si la Chine l’a si bien démontré, l’Occident au contraire, l’a appris à ses dépens avec la
pénurie des équipements de protection pour raison de délocalisation de ses usines en Asie. Quant
à l’Afrique qui n’a toujours compté que sur les aides extérieures mais handicapées par la fermeture
des frontières, elle a été forcée de découvrir le génie créateur de ses fils qui ont mis au point des
équipements de protection dont des respirateurs. La force de compter sur soi-même a fait libérer les
énergies créatrices endogènes et pose dès lors, un regard interrogateur sur l’aveuglement de cer-
taines aides extérieures. Préparer l’avenir par l’innovation et le changement par l’expérimentation, le
tout en s’appuyant sur ses racines, voilà ce que nous enseigne la Covid-19.

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REGARDS CROISÉS

Les deux clés du télétravail


Pierre FERRACCI, Président du Groupe ALPHA
La crise sanitaire inédite que nous avons traversée bouleversera sans doute profondément l’orga-
nisation des entreprises, une fois passé le choc brutal de la réduction d’activité auquel elles ont dû
faire face. La Covid-19 aura permis, par exemple, ce que personne n’avait imaginé : le passage au
télétravail de millions de salariés, cela littéralement du jour au lendemain. Au mieux une fraction des
salariés concernés en avaient un peu l’expérience, mais pour des temps limités et en choisissant les
tâches qui leur paraissaient les plus adaptées à cette situation. Pour des millions d’autres, on leur
avait expliqué, jusqu’au 16 mars, que c’était strictement impossible. Or, ils l’ont fait. Ils auront alors
découvert que les deux clés essentielles au télétravail sont, d’une part, l’autonomie professionnelle
et, d’autre part, les relations de confiance avec son manager. Certains l’auront très mal vécu lorsque
ces deux conditions n’étaient pas au rendez-vous, d’autres, en regard de la cohabitation confinée et
des contraintes spécifiques, vont revenir au travail en étant vraisemblablement plus efficaces. Pour
autant, il faudra sans aucun doute négocier les conditions d’un télétravail « normal », en tous les
cas, hors confinement. Les entreprises qui y parviendront en retireront des bénéfices tant en termes
de qualité de vie au travail que de productivité qui seront les moteurs précieux pour un retour aussi
rapide que possible à une meilleure situation.
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Le distanciel : une ressource inhumaine ?
Robert FOUCHET, Professeur Aix Marseille Université
Oui nous l’avons tous vécu, nous pouvons en parler, le télétravail, plutôt à la mode ces dernières
années, peu appliqué et basé sur une démarche volontaire avec un impact positif sur la motivation
au travail… oui ce « télétravail » nous a été imposé dans le cadre d’une crise sanitaire afin d’assurer
notre sécurité et notre santé. Nous l’avons observé et vécu dans tous types d’organisation et dans le
cadre d’un travail en mode dégradé. Il est surement trop tôt pour dresser un bilan sur son efficacité et
son impact sur la motivation et la performance, mais il convient d’être prudent et de ne pas considérer
le distanciel comme la panacée de nos nouveaux modes de vie. Déjà de nombreuses voix s’élèvent
pour mettre en garde ceux qui voudraient installer ce mode de travail sans prendre en compte les
conséquences psychologiques et sociales. Par ailleurs le télétravail à temps plein que nous avons
vécu a été, dans la plupart des cas non organisé, sans norme ou référentiel particulier. Il a souvent
envahi nos maisons déjà occupées, entraînant des modes d’organisation difficiles ; alors même qu’il
n’était pas accompagné d’outils de contrôle ou d’évaluation. Pour autant certaines organisations sou-
haitent installer de manière durable ce nouveau mode de travail. Le distanciel hybride arrive, soyons
vigilants à ce qu’il corresponde aux attentes des salariés et à celles des usagers-clients.

126 / Question(s) de Management ? / N°29 / Septembre 2020 © Éditions EMS


Un changement en prépare un autre
Anne-Marie FRAY, Secrétaire générale de l’IAS
Ainsi s’exprimait déjà Machiavel au XVIe siècle. S’interroger sur les changements induits par la crise
Covid serait donc s’interroger sur l’après – demain en regardant les faits actuels. La fracture sanitaire
entre les régions, les âges, mais également et surtout les modes de vie, les types de métier, donc
les formations et le type d’emploi recouvre la ligne de la fracture sociale, financière, etc. Et suivant
l’emploi vécu, le risque social, financier, sanitaire voire mortel face à une pandémie virale peut être
analysé et maintenant pratiquement prévu en statistiques : professions exposées, professions abri-
tées. Les organisations doivent donc réfléchir au-delà des conditions et modes de travail. Pour la pre-
mière fois de leur histoire, elles sont heurtées de plein fouet par des éléments sanitaires extérieurs
capables d’agir sur la mortalité de leurs acteurs. Soutenues par l’exposition médiatique nécessaire
car garant de fait des mesures de protections, les organisations doivent se préparer à de nouvelles
responsabilités dépassant les accidents habituels de chaque profession. Il ne s’agit plus de protéger
le salarié contre les dangers de son métier mais bien d’assurer les conditions de la durabilité de sa vie
en tant qu’être humain. Garder les compétences vivantes, ce pourrait être le nouveau slogan réaliste
des organisations. Pour cela l’ouverture vers l’extérieur, la veille et la capacité stratégique de multi-
plier les scenarii seront une des clés majeures de l’attractivité interne et externe des organisations.

La tête à l’envers
Jean-Michel GARRIGUES, Associé BLB, RH et Développement
Certes, le choc pandémique est rude, et le long confinement fut inédit. Beaucoup espéraient le grand
matin (à défaut du grand soir), et la pérennisation du monde temporaire que nous avons connu pen-
dant deux mois. Evidemment un vœu pieux, tout repart comme avant avec la bénédiction des élites,
car la machine doit redémarrer pour éviter que le système ne s’écroule. Au mieux, après-demain sera
différent, mais le demain d’aujourd’hui toque déjà à la porte. Globalement, l’adaptation à ce nouvel
environnement fut rapide, même pour les néophytes du travail à distance. Les soucis sont plutôt
apparus du côté des tuyaux, avec des sous-dimensionnements sévères des capacités de transmis-
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sion à haute dose et haut débit. Désormais, vient le temps des cadrages et des cadencements, mais
aussi des calibrages et des recadrages. Car beaucoup veulent tirer parti de cette période bousculée,
mais pas toujours Pour un vrai sens commun. Certes, des efforts sur la durée de travail sont faits pour
étaler la circulation dans les transports, mais ces questions, comme celle du travail à distance, accroît
les inégalités entre cols blancs flexibles et cols bleus rigidifiés par les contraintes des outils de pro-
duction. D’autant plus que nombre d’entreprises, flairant la bonne aubaine financière et immobilière,
n’hésitent pas à faire lit du corps social pour imposer un télétravail majoritaire (plus de la moitié de la
semaine), y compris donc à des tombereaux de salariés qui n’y sont pas du tout volontaires, parfois
pour des contraintes logistiques ou matérielles. A l’inverse, notamment dans les services, beaucoup
de collaborateurs se verraient bien ne plus venir du tout au bureau, et travailler intégralement à dis-
tance depuis leur domicile, voire même en allant s’établir en région, comme ces start-up à la mode,
mais qui elles intègrent ce fonctionnement depuis l’origine dans leur modèle économique. Comme
toujours, il faut raison garder, et que les DRH luttent contre cette tendance à profiter de cette réduc-
tion des coûts inespérée. Un délitement du lien social n’est pas plus souhaitable que l’initiative en
vienne de l’entreprise ou du collaborateur. Bien sûr, la logique financière est souvent irrépressible,
mais elle est court-termiste, comme si souvent. La cohérence collective dépend beaucoup du partage
des moments informels du quotidien professionnel. Oublier ces évidences risque de faire naître des
dangers bien plus sournois et corrosifs que le coronavirus lui-même…

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REGARDS CROISÉS

Covid-19 : de nouvelles questions de management ?


Franck GAVOILLE, Professeur associé et Directeur des programmes Grande Ecole et MSc,
ESSCA School of Management
La crise sanitaire mondiale liée au coronavirus est venue bouleverser le monde des organisations et
soulève de nouvelles questions de management. Des questions de management quant aux modes
de travail pour tirer les leçons d’une expérimentation à large échelle du télétravail et de ses incidences
sur le développement de nouvelles compétences en agilité et en capacité de changement, sur la qua-
lité de vie au travail et l’hyper-connectivité, sur la conciliation entre vie personnelle et professionnelle,
ou encore sur les questions d’égalité professionnelle dans ces modalités virtuelles et à distance.
Des questions de management à propos de la perception du travail en lien avec l’utilité sociale de
l’activité, à propos de l’effet de la crise sur l’image de métiers jusqu’alors peu considérés qui ont
été placés sur le devant de la scène et qui ont reçu une reconnaissance unanime soudaine, ou à
l’inverse à propos de la remise en question de certaines fonctions dans l’organisation. Des questions
de management concernant le rapport au travail pendant cette crise qui a pu exacerber l’engagement
de certains, remettre en question l’implication d’autres dans un tel contexte, interroger sur le rôle de
socialisation du travail, sur la responsabilité sociale et sociétale des organisations. Tant de questions
de management et bien d’autres encore qui ouvrent de nouvelles perspectives de recherche et qui
intéresseront sans aucun doute les praticiens pour tirer les leçons de cette période inédite et, espé-
rons-le, faire évoluer les pratiques managériales.

Changement de crise et raison d’être à l’hôpital


Laurent GIRAUD, MCF, Université Toulouse 1 Capitole, TSM Research (UMR 5303 – CNRS),
Chercheur associé à la Chaire ESSEC du Changement
Dans un contexte éprouvant de crise sanitaire due à la Covid-19, les personnels hospitaliers ont fait
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preuve d’une forme de performance précieuse : l’agilité. En pleine épidémie, le CHRU de Nancy a
assuré le triplement de ses lits en infectiologie, des formations accélérées en réanimation et une
augmentation de 70 % de ses palettes en Pharmacie à Usage Intérieur. Le défi était de taille car les
hôpitaux n’obtiennent pas toujours les moyens de leurs ambitions. Sous la bannière d’un Nouveau
Management Public qui a bousculé leur culture et leur raison d’être, les hôpitaux s’étaient effective-
ment vu imposer la tarification à l’activité à partir de 2004 et la réalisation d’économies de 11,7 mil-
liards € sur les 10 dernières années. Si des transformations ambitieuses sont en passe d’être réussies
(i.e. Virage ambulatoire, Groupements Hospitaliers de Territoire), une attention doit aussi être portée
aux indicateurs de viabilité de la production qui suggèrent parfois l’existence d’un certain mal-être
(hausse de l’absentéisme, burnouts et turnover). Les stratégies comptables de court terme ont effec-
tivement tendance à provoquer des surcharges de travail, des dysfonctionnements puis des coûts
cachés : difficulté à recruter, diminution du moral des équipes et saturation vis-à-vis de changements
incessants. Quatre grandes pistes s’offrent aujourd’hui à nous pour redonner du sens à la mission de
l’hôpital et nous pouvons nous réjouir que certaines d’entre elles soient déjà à l’œuvre : – Redéfinir
la performance hospitalière ; – Renforcer la souplesse organisationnelle ; Revaloriser les personnels ;
Repenser les Partenariats Publics Privés. Sans une réflexion approfondie et des actes forts dans ces
quatre directions, il sera délicat pour les cadres hospitaliers d’obtenir l’engagement de leurs agents.

128 / Question(s) de Management ? / N°29 / Septembre 2020 © Éditions EMS


Les défis de l’évaluation de la performance
Marie-Léandre GOMEZ, Professeure ESSEC Business School
Suite à la crise Covid-19, l’évaluation de la performance est un défi à plusieurs titres : tout d’abord,
pour l’évaluation de la performance des équipes sur l’année 2020. Difficile de maintenir les règles
d’évaluation prévues avant la crise, avec des objectifs à atteindre qui ne correspondent plus à la réa-
lité vécue par les entreprises. De plus, au sein des équipes, tous les salariés n’ont pas été dans les
mêmes conditions de travail et de disponibilité. Les évaluations individuelles, comme les évaluations
collectives, sont peu adéquates dans ce contexte et peuvent même durablement entacher la moti-
vation et la confiance des équipes. Il semble nécessaire de fixer de façon claire et transparente des
modalités d’évaluation différentes pour 2020, qui tiennent compte de l’engagement et des efforts
entrepris pendant cette crise. Par ailleurs, les changements stratégiques et organisationnels induits
par la crise invitent à revisiter durablement les modalités d’évaluation de la performance. La place
du télétravail va modifier significativement les collaborations et modes de travail ; le management
des équipes, la délégation, la motivation, la définition des objectifs doivent être repensés. En consé-
quence, l’évaluation de la performance est à adapter. De nombreuses entreprises ont vu leur modèle
économique invalidé par la crise, certaines au contraire, voient de nouvelles opportunités à saisir.
Avec la redéfinition des objectifs stratégiques dans laquelle beaucoup d’entreprise se lancent, la prise
en compte d’objectifs de création de valeur à long terme, positionnant la contribution de l’entreprise
sur les enjeux environnementaux, sociétaux et de bonne gouvernance, la performance attendue et
ses processus d’évaluation sont à repenser : critères ESG, approches de type « balanced Scorecard »
veillant à réconcilier les attentes des différentes parties prenantes, démarches « beyond budgeting »,
permettant de dépasser les approches financières court-termistes, les bases sont déjà posées, il
reste aux entreprises à les adapter à leur propre transformation.
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Les politiques diversité face au crash-test de la Covid-19
Maya HAGEGE, déléguée générale AFMD
La crise sanitaire et économique engendrée par la propagation de la Covid-19 a fortement impacté
les thématiques portées par l’Association Française des Managers de la Diversité (AFMD) et par ses
membres, des responsables diversité, égalité des chances ou encore RSE. Ces impacts se traduisent
par l’accélération de changements tels que l’implémentation du travail à distance (composante forte
des politiques de conciliation des temps de vie), la prise en compte des risques psychosociaux dans
une politique « Santé » préventive ou encore la montée en puissance des politiques de Qualité de vie
au travail. De plus, des actions qui peinaient à trouver leur place dans les organisations ont été placées
au centre des polémiques du fait du confinement et de l’imbrication du lieu de vie et du lieu de travail.
La question des violences conjugales ou celles de l’intégration de populations « fragiles » en sont des
exemples. Enfin, il semble que, dans ce nouveau monde où la distanciation sociale devient la norme,
la notion d’inclusion prenne tout son sens. Il s’agit pour l’employeur de créer de nouveaux moyens
pour rassembler et coopérer ainsi que de nouvelles formes de sensibilisation et de mobilisation.

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REGARDS CROISÉS

Hybridation des changements organisationnels : au croisement


des changements déterministes et des changements volontaristes
Laurence HIRBEC, Responsable pédagogique programmes internationaux de leadership,
Formatrice en leadership et conduite du changement, Executive Coach, Thales

La crise Covid-19 a indubitablement eu un puissant effet accélérateur sur des changements qui s’opé-
raient préalablement à un rythme moindre, voire à bas bruit. Elle s’est imposée comme un détermi-
nant externe auquel les organisations ont dû s’adapter dans l’urgence, sans avoir eu le temps de
l’anticiper. Pour de nombreuses entreprises, ce changement déterministe a été concomitant avec des
initiatives volontaristes déjà lancées sur des sujets identiques ou connexes, tels la flexibilité du travail,
la raison d’être ou l’agilité organisationnelle. Cette hybridation a induit une rupture patente en termes
de rythme et d’échelle. Ainsi, la flexibilité du travail, clé de voute de la poursuite d’une partie des acti-
vités pendant le confinement, est d’ores et déjà un axe majeur du remodelage des modes de travail.
La crise a prescrit le lancement immédiat d’un gigantesque projet pilote, déployant le télétravail à une
échelle jamais envisagée précédemment, faisant fi des traditionnelles résistances au changement.
Le changement organisationnel correspondant reste cependant à définir, sur la base de l’expérience
acquise ces dernières semaines. Une idée-maîtresse se dégage assurément : au-delà des impacts di-
rects sur la performance, les changements organisationnels doivent aussi viser au renforcement de la
résilience de l’organisation, en anticipation des prochaines crises, puisque nous sommes désormais
confrontés à une succession de crises de toute nature, se croisant et interférant sans cesse. Ces
changements hybrides appellent à considérer les transformations de manière holistique, en évaluant
les effets induits immédiats ou à plus long terme, sur les écosystèmes partenaires, les collaborateurs
ou la communauté humaine dans son ensemble.

La Covid-19 comme leader du changement :


peut-être, mais à quel prix ?
Mahrane HOFAIDHLLAOU, Professeur – Directeur de recherche, ESSCA School of
Management, Campus de Lyon

Le changement n’a certes pas vraiment été conduit comme nous avons l’habitude de le prévoir, il a
été construit pas à pas, par itérations, et en réaction. Osons tout de même poser la question : quel
manager, quel leader du changement, quel chef d’entreprise aurait pu faire accepter aussi vite un tel
virage en matière de pratiques, d’outils, de processus, et de rapport au travail que la Covid-19 ? Que
vous le vouliez ou non, l’organisation des fonctions tertiaires dans les entreprises va être durablement
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impactée après le déconfinement ! Parce que la majorité des collaborateurs ne voudra pas revenir
rapidement dans vos locaux (transports en communs, peur…), parce que les obligations vis-à-vis de
la distanciation sociale vont le rendre impossible, a fortiori dans les open-spaces et les Flexoffices,
parce que les collaborateurs ont pris goût au télétravail, parce que les managers ont vu disparaître
leurs arguments contre le télétravail… Il va donc falloir manager durablement entre collaborateurs et
managers présents et à distance. Donc s’organiser autrement. Le provisoire et l’urgent mis en place
à l’occasion du confinement va devoir être formalisé et mieux organisé pour garantir une efficacité
et donc une compétitivité dont vont avoir profondément besoin les entreprises face à la récession.
Récession dont les conséquences touchent toutes les entreprises d’ores et déjà : les périodes d’es-
sai dans de grandes banques et assureurs ont été interrompues ; des licenciements vont survenir,
les indépendants affrontent des pertes drastiques de chiffre d’affaires, etc. Enfin, 73 % des colla-
borateurs placés en télétravail depuis le 17 mars souhaitent continuer à l’être et de 54 à 68 % au-
raient aimé ou aimeraient être accompagnés pour le faire ! (Source Malakoff Humanis 06 mai 2020).
Absorber le choc, se renouveler et apprendre de la crise : les travaux en sciences de gestion autour
de la résilience organisationnelle fournissent donc des clés de compréhension et d’action tout à fait
intéressantes pour les organisations et les managers en proie à une situation aussi exceptionnelle
que difficile à anticiper. Cette capacité dynamique de résilience apparaît de plus en plus décisive dans
un monde économique et financier en proie à de multiples crises, sanitaires ou autres.

130 / Question(s) de Management ? / N°29 / Septembre 2020 © Éditions EMS


Revisiter la relation managériale après la Covid-19
Jacques IGALENS, Professeur émérite Université de Toulouse, président IAS
Les conséquences de la pandémie seront nombreuses et durables. Pour certaines organisations elles
entraîneront la disparition car les mesures de soutien mises en place par le gouvernement n’auront
qu’un temps et les conditions économiques vont se durcir. Mais pour les entreprises qui survivront
il faudra aussi tirer des leçons en terme de fonctionnement interne et notamment concernant la
relation managériale. Alors que la communication directe, la rencontre régulière étaient valorisées,
brusquement le manager n’a plus été en mesure de réunir physiquement son équipe ni de croiser
ses collaborateurs encore moins de les recevoir sur le mode « one to one ». En quelque sorte le
manager a déserté le terrain même si les outils digitaux ont heureusement pris le relai. La réunion
Zoom (ou autre) a permis de ne pas laisser les troupes en déshérence mais pour ceux qui n’y étaient
pas habitué le numérique a desséché la relation managériale, on est passé à un management réduit à
sa dimension directement instrumentale c’est-à-dire à l’exposé de considérants techniques, de ques-
tions/réponses souvent à sens unique (bottom/up) et non plus latérales, de cadrages et de rappels
des règles.
La dimension d’intercompréhension, avec son lot d’ajustements verbaux et non-verbaux (signes
d’assentiment ou d’agacement, rires, apartés, etc.) a disparu car le medium ne s’y prête pas et il est
difficile d’être attentif à chaque personne réduite à la taille d’une vignette lorsqu’il faut aussi décou-
vrir un slide partagé. Les relations de type « one-to-one » ont été beaucoup moins nombreuses que
les rencontres habituelles sous ce format lorsqu’on partage les mêmes locaux. Les stratégies qui
permettent de se rencontrer « incidemment » à la cafétéria ou au restaurant ont disparu. Bien sûr,
les managers n’ont pas refusé des entretiens digitaux ou téléphoniques chaque fois qu’un collabo-
rateur en faisait la demande mais leurs attentes dans ce type de relations sont élevées (ou sont per-
çues comme telles par le collaborateur) aussi le collaborateur hésite. Certains managers, plus avisés,
ont spontanément compris que pour éviter une relation rognée jusqu’à l’os il fallait compenser par
exemple par un usage intensif des réseaux sociaux mais ce cas est loin d’être une généralité. La rela-
tion managériale s’est donc appauvrie et il va falloir la revisiter voire la réinventer car la séparation va
laisser des traces et les conditions de l’activité vont se durcir en demandant également aux managers
de consacrer beaucoup de temps à des tâches techniques. Comment arriver à redonner du sens et
de la chair, peut-être par la pratique du management responsable (Igalens et Pourquier, 2019).
Igalens, J., & Pourquier, C. (2019). Étude exploratoire sur le leadership responsable. Mise en perspective des
modèles de Danone et d’Essilor. Question(s) de management, (1), 11-23.
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REGARDS CROISÉS

La nécessité de la présence d’un collaborateur-


acteur comme leader du changement
Abderrahman JAHMANE, Enseignant-chercheur, Chaire IPAG « Entreprise Inclusive », IPAG
Business School

La crise sanitaire (la Covid-19) a mis en lumière de nouvelles façons de voir et d’analyser le monde :
le travail, la technologie, le management, la gestion des ressources humaines et la responsabilité
sociale des entreprises d’une façon plus générale. Cette crise a donc permis de créer un sentiment
d’urgence et faire appréhender la nécessité de changer. Au niveau changement organisationnel, réin-
venter l’organisation est non seulement possible mais nécessaire, ce changement peut être ainsi,
radical ou continu. Dans ce cadre, la gestion du changement organisationnel est conditionnée par sa
légitimité, sous toutes ses formes (pragmatique, cognitive et morale). L’entreprise est obligée de se
rompre rapidement avec le modèle conventionnel et traditionnel. Renouveler la façon d’accompagner
les collaborateurs avec une nouvelle dynamique organisationnelle et managériale s’impose ainsi. La
nécessité de la présence d’un collaborateur-acteur qui peut s’appuyer sur des responsabilités, l’entre-
prise doit pouvoir s’appuyer sur et se développer grâce à des collaborateurs, acteurs, responsables
et autonomes. Il est celui qui manage ses rôles selon un faisceau de règles explicites, Pour avoir
cet acteur autonome et responsable, l’entreprise moderne doit détecter et former massivement en
proposant des solutions de formation, de tutorat, … Dans la perspective d’une bonne gestion du
management du télétravail. Alors qu’en travaillant chez lui, le collaborateur-acteur peut redéfinir son
temps en fonction de lui-même, de son activité et ces responsabilités familiales, et non en fonction
du temps quotidien de l’entreprise, au sein de l’organisation il faut ainsi, chercher à trouver un cer-
tain équilibre entre le contrôle du manager et la liberté totale du salarié. Le manager à distance doit
maîtriser les principaux codes et particularités de de changement tout en prévenant et limitant les
risques psychosociaux intenses qui peuvent être provoqués. Sans contrôler en permanence les col-
laborateurs, il faut savoir ainsi, organiser et déléguer les taches qui amèneront à la réalisation d’une
performance sociale optimale tout en garantissant la transparence et l’accès à l’information pour tous.
Vers des organisations multimodales !

Les limites du télétravail


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Gilles-Emmanuel JACQUET, Enseignant à l’International Management School Geneva Crise
et performance collective
La pandémie de Covid-19 et les mesures de confinement ont représenté un défi en terme d’organi-
sation et de coordination du travail, en particulier pour les entreprises dont les activités ou le fonction-
nement reposaient le moins sur les nouvelles technologies de l’information et de la communication.
La contrainte a été moins forte pour les entreprises dont les activités sont liées à la fourniture de
services dématérialisés (secteur informatique, bancaire ou de l’éducation). Le télétravail a pu s’impo-
ser facilement dans ces secteurs et représenter certains avantages en termes de flexibilité ou de
coûts. Le travail à distance peut représenter un modèle séduisant en termes d’organisation mais
il comporte les défauts de ses qualités. Son efficacité dépend de l’aisance des employés à utiliser
divers outils informatiques et plateformes, ainsi qu’à se coordonner sans pouvoir se rencontrer. De
nombreuses plateformes ou logiciels de communication comme Slack facilitent le travail d’équipe à
distance et peuvent améliorer son efficacité mais peuvent aussi trouver leur limite lorsque le facteur
humain reste une dimension essentielle des relations professionnelles voire un élément clé dans la
bonne marche de certaines activités ou la résolution de problèmes. Le télétravail requiert également
de pouvoir disposer d’un espace permettant de travailler efficacement, ce qui ne fut pas le cas, lors
du confinement, de nombreuses personnes devant travailler à leur domicile et trouver un équilibre
avec leur vie de famille.

132 / Question(s) de Management ? / N°29 / Septembre 2020 © Éditions EMS


Crise et performance collective
Thierry JOLIVET, Professeur, Le Mans Université, Argu’Mans-GAINS
Les accords de performance collective vont-ils se généraliser avec la crise due à la pandémie de
Covid-19 ? Ces accords ont été permis par les ordonnances Macron de 2017, et plus de 300 ont été
signés aujourd’hui. Ils offrent par la négociation la possibilité de sauvegarder les emplois en échange
de concessions sur les salaires, le temps de travail et la mobilité. Ces accords divisent les salariés
(Le Monde du 13 juin p.17), et les syndicats parlent souvent de « chantage à l’emploi » On peut s’at-
tendre à un bras de fer dans un certain nombre d’entreprises, à l’image de la grève chez Derichebourg
Aeronautics Services à Toulouse. Mais contrairement au cas toulousain, où FO, syndicat majoritaire,
a bien l’intention de signer, il est probable que les syndicats seront plus hésitants lorsqu’on sait que
les conséquences peuvent être drastiques pour ces derniers, comme le montre l’exemple de SFR
distribution rapporté par l’avocat Roger Koskas : au printemps 2019, lors des élections profession-
nelles, les syndicats ayant signé l’accord de performance collective en octobre 2018 (CFDT, CFE-CGC
et CFTC) se sont effondrés alors que l’UNSA est passé de 3 % à 47 % ! Le chômage généré par
la crise du coronavirus nécessite une réponse forte des entreprises, mais celle-ci passe-t-elle par la
généralisation de ces accords ? L’avenir le dira.

Se repenser dans l’urgence à l’aune des changements


de crise : entre actions et réflexions !
Assya KHIAT, Professeur, Université d’Oran 2
Les débats depuis mars 2020 tant dans les champs de la santé, de l’économie, du social et du poli-
tique tanguent, se font et se défont, se disent et se contredisent. Les faits mettent en exergue les
limites et les risques réels multidimensionnels/multifactoriels tant dans la réflexion que dans l’action.
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Par conséquent, à la question : « Quels sont les changements organisationnels induits par la crise
Covid-19 ? » les réponses ne peuvent constituer que des essais, des tentatives pour faire au mieux
dans un contexte qui du jour au lendemain fait s’effondrer tous les dispositifs existants. Au plan socio-
politique pour Edgar Morin « il est clair qu’une situation exceptionnelle appelle des mesures excep-
tionnelles et qu’une situation d’urgence appelle des mesures d’urgence » ; le risque est le retour aux
« états néo-autoritaires ». La baisse du PIB depuis le confinement plonge l’économie mondiale dans
une situation encore jamais connue. Le social sous perfusion risque de succomber au moindre retrait.
Le « let’s wait and see » de l’éducation transfert la fonction d’enseignement dans une autre dimen-
sion spatio-temporelle au dépend peut-être de la pédagogie. Quant à la santé, elle est montée au
front pour lutter contre vents et marées contre un virus terrifiant. Dans l’urgence, toutes ces actions
s’apparentent à des volontés intelligentes, collectives et immédiates pour vaincre la crise Covid-19.
Reste à déterminer quels changements ! Derrière la crise Covid-19, reviendrons-nous aux concepts,
outils et méthodes aux seuls fins du capital ou serions-nous capables d’anticiper, de prioriser sur les
questions ramenant l’Homme au centre de l’action et de la réflexion. Le moment est opportun pour
une refondation des modes de pensée dans lequel le temps court et le temps long se conjugue dans
la continuité et la cohérence dans l’infini recherche collective de solutions. Une manière de ne plus
subir les dysfonctionnements de tout genre et réagir avec intelligence dans un contexte de menaces
brutales et inattendues !

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REGARDS CROISÉS

De la Responsabilité Sociétale des Entreprises à la responsabilité


Sanitaire des entreprises, dans le contexte africain
Bertin Léopold KOUAYEP, Enseignant-chercheur HDR, Directeur de l’ESCG – ISTEC-Yaoundé
Nous constatons qu’avec l’arrivé inattendu de cette pandémie qu’est la Covid-19, l’un des secteurs
ayant subi le plus de désagréments est l’entreprise car cette crise a fortement impacté sur leurs per-
formances (employabilité, mobilité et la productivité). Les mutations dans la gestion et la production
des entreprises ont le plus interpellé notre curiosité. En effet, deux changements majeurs ont carac-
térisé notre attention : le déploiement administratif et la productivité. Le premier axe de changement
est matérialisé par l’adoption du « modèle contingentiel de la GRH » (Peretti, 2018). Le deuxième axe
de changement a été analysé via les opportunités et des actions factuelles (De Villiers, 2018) sous
fond de management digital panoptique et polyphonique (Pichault et Friedberg, 2013). La responsa-
bilité « sanitaire » devient aujourd’hui un enjeu au cœur de l’activité des entreprises. En retenant la
« RSE » comme intégration des préoccupations sociales et environnementales dans le cœur d’acti-
vité des entreprises, avec l’avènement de la Covid-19, se joue de façon manifeste la problématique
de la responsabilité « sanitaire » des entreprises. Il est nécessaire de relever que ces changements
organisationnels et digitaux nous obligent au niveau opérationnel à la préparation optimale des RH
en se préoccupant de la santé au travail de nos collaborateurs. D’où la mise en œuvre des actions
correctives efficaces de renforcement de l’équation managériale adaptée.

Passer du télétravail subi au télétravail choisi ou pourquoi


apprendre à nager même si on ne s’est pas noyé
Arnaud LACAN, Professeur, KEDGE Business School, Titulaire de la Chaire AGIPI KEDGE « Le
travail indépendant et les nouvelles formes d’entrepreneuriat »

Le confinement brusque et sans anticipation a placé bon nombres d’entreprise et leurs collaborateurs
en situation de télétravail total sans aucune préparation. Bien sûr, dans certains cas, le télétravail était
déjà connu mais peu dans cette forme intégrale et puis selon un rapport de l’ANACT post confine-
ment, 49 % des télétravailleurs étaient de nouveaux télétravailleurs. La crise de la Covid-19 a donc
profondément changé la donne. D’abord parce que dans un pays où seuls 17 % de la population avait
accès au télétravail alors que 61 % le souhaitait, un grand nombre de collaborateurs a découvert qu’il
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était possible de télétravailler quand on leur répondait le contraire en objectant des impossibilités
techniques ou managériales. Résultats ? 91 % des primo-télétravailleurs veulent continuer à travailler
régulièrement chez eux1. Dans le même temps des managers qui avaient fait du contrôle surveillant le
pilier de leur pratique managériale se sont heurtés à l’impossibilité de surveiller tout et tout le temps.
Ils ont dû tenter le pari de la confiance et privilégier le « quoi » sur le « comment » et apprendre à
évaluer la qualité du travail plutôt que la quantité du travail. Et alors que le moment nécessitait de
renforcer la communication et les liens de l’équipe, certains managers, dépassés par la situation, ont
simplement disparus des écrans radars de leur équipe. Finalement, ce confinement a fait tomber tout
le monde dans le grand bain et ceux qui savaient nager comme ceux qui ne le savaient pas ont dû
se débrouiller pour regagner les bords. Maintenant que la vie normale va reprendre il va devenir dif-
ficile de refuser le télétravail aux collaborateurs qui en font la demande et il va être impossible de ne
pas ajuster le management à ces hybridations des temps de présence physique des équipes. Alors,
même si personne ne s’est noyé, il faut à présent apprendre à nager et mettre en place dans les
entreprises un télétravail choisi et non plus subi, un télétravail anticipé, concerté et accompagné par
de nouvelles pratiques managériales fondées sur la régulation qualitative des relations interperson-
nelles (même à distance) et non plus sur la mesure de la performance individuelle quantitative. Bref,
un télétravail réellement managé.

1 Ces données sont issues du rapport de l’ANACT « Le télétravail ça s’apprend ».

134 / Question(s) de Management ? / N°29 / Septembre 2020 © Éditions EMS


Un effet accélérateur sur des évolutions
naissantes ou engagées avant la crise
Éric LAMARQUE, Professeur, Université Paris 1, directeur de l’IAE de Paris
Plus que des changements, la crise va avoir un effet accélérateur sur des évolutions qui étaient
déjà naissantes ou engagées avant la crise. Assurément nous avons expérimenté, à grande échelle,
un démembrement de nos organisations avec la généralisation du travail à domicile et du travail à
distance. Les constats sont multiples et parfois assez paradoxaux. En n’ayant plus la contrainte de
déplacement sur le lieu de travail, les diverses réunions et séances de travail ont vu leur fréquenta-
tion fortement augmenter, la mobilisation et l’implication a été plus forte. A l’inverse, avec le prolon-
gement de ses activités à distance, le sentiment d’isolement s’est renforcé, ainsi qu’un sentiment
de perte substance de l’organisation, de perte de contenu. Comment évoluer ? Probablement vers
un recours plus fréquent à des modes de travail mixtes pour essayer de combiner mieux les effets
positifs des deux systèmes. La définition d’un dosage subtil de présentiel et de on line, selon les
activités et selon les personnes, sera un axe profond de changement de nos modes d’organisation.
Cela pose un défi dans le pilotage des ressources humaines, dans les pratiques de management et
les dispositifs de contrôle. Enfin gardons à l’esprit l’exigence de flexibilité pour nos organisations et
évitons de figer des dispositifs dans une forme de bureaucratie moderne. Les lenteurs de la prise de
décision, l’incapacité à sortir de schémas préétablis, l’absence de pragmatisme sont autant de raison
de mettre en danger nos organisations, en particulier en temps de crise. Tout dirigeant l’a fortement
ressenti ou clairement observé !

Zoom sur la pancrise, ses négociations et son e-proximité


Alain LEMPEREUR, Professeur, Université de Brandeis et Harvard PON
La crise causée par la pandémie est une pancrise ; elle s’est propagée partout et à propos de tout :
la santé, le social, l’économie, l’entreprise, la famille, l’éducation, la politique, etc. La distanciation
sociale, qui contrarie notre besoin de proximité sociale, a imposé un grand gagnant, le logiciel Zoom,
avec son cortège d’e-proximités. Si nous prenons du champ (zoom out), Zoom a envahi nos vies.
Nous passons des journées entières à « zoomer », à l’international et au local, dans la gestion de pro-
jets ou de contrats, mais même de conflits. Les organisations utilisent Zoom pour rassembler leurs
salariés, tenir conseil d’administration, travailler sur des propositions avec clients et fournisseurs,
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planifier une négociation à venir, ajuster le calendrier, etc. En négociation, Zoom s’est établi comme
l’outil global par excellence, remportant en quelques semaines la bataille des réunions à distance. A y
regarder de plus près (zoom in), si on le compare à Google Meet, Skype, FaceTime ou autre, Zoom a
aussi gagné, car la définition des visages et des traits y est meilleure et plus stable ; on y voit mieux
qui parle et on peut même zoomer pour saisir ses émotions (pin the video). Certaines fonctionnalités,
comme le pouce ou l’applaudissement contribuent à la joie d’être-ensemble. A côté de cette e-proxi-
mité ludique, auparavant réservée aux réseaux sociaux, de nouvelles formes de rituels consolident
l’e-proximité. En début de réunions, les personnes échangent (chat) sur la pluie et le beau temps,
l’endroit où ils se trouvent ou leur fond d’écran, et s’assurent que tout le monde va bien (check in).
Le principe d’alternance dans la conversation semble mieux respecté par la fonction de silence micro
(mute/unmute). Pour profiter de petits groupes de travail, on se rend en sous-commissions (breakout
rooms) à distance d’un écran avec 25 timbres-poste. Durant les pauses, les enfants ou les proches
apparaissent parfois. En fin de réunions, on ne se serre pas la main, mais on agite ses paumes,
comme dans notre jeunesse au théâtre de marionnettes. En très peu de temps, nous avons innové et
compensé notre éloignement physique par une flopée de nouveaux rituels d’e-proximité. Zoom sera-
t-il un feu de paille circonscrit à la pancrise et les organisations le renverront-elles aux oubliettes pour
retourner aux seules réunions en face-à-face (F2F) ? Ou relèvera-t-il de la nouvelle normalité en négo-
ciation de déconfinement et au-delà ? L’avenir nous le dira.

© Éditions EMS Question(s) de Management ? / N°29 / Septembre 2020 / 135


REGARDS CROISÉS

De l’espace collectif à l’espace domestique,


du travail réglé au travail régulé
Pascale LEVET, Déléguée Générale, Le Nouvel Institut, Professeure associée, iaelyon School
of Management

En quelques jours, les contraintes organisationnelles liées au confinement ont transformé la plupart
des organisations productives. Dans l’imaginaire collectif, c’est d’abord le bouleversement du travail
déménagé dans l’espace domestique – et abusivement qualifié de télétravail pendant de nombreuses
semaines – qui a dominé, très documenté par de multiples enquêtes et sondages. Ceux-ci ont livré
leur lot de données – notamment sur l’environnement de travail, les effets de ces conditions de travail
sur le management, sur le stress, mais, hélas, peu d’informations sur le travail lui-même. Or l’activité
a été profondément bouleversée pour de très nombreuses personnes, réclamant une réélaboration
des routines, des coopérations, des priorités. Avec la distance imposée, la recomposition des équipes
– entre celles et ceux qui télé-travaillaient, qui étaient en arrêt ou au chômage partiel – un intense
travail de régulation a dû être conduit, à marche forcée dans bien des cas. Les règles habituelles ne
pouvaient plus fonctionner. Dans les entreprises où l’autonomie et la responsabilisation étaient déjà à
l’œuvre, les ajustements ont pu être conduits avec fluidité – quand bien même, songeons au secteur
bancaire par exemple, l’activité était particulièrement intense. Dans les entreprises où les process
encadrent fortement l’activité, où les marges de manœuvre sont réduites, où le management cas-
cade les objectifs et de multiples prescriptions, les régulations ont été beaucoup plus couteuses pour
tout le monde. A commencer par les managers, appelés à longueur de journée dans des visio desti-
nées à les rééquiper de nouveaux process pour une activité qui, sur le terrain, devenu lointain par le
confinement, leur avait largement échappé… Quelles que soient les futures nouvelles organisations
du travail qui naitront de cette crise inédite – notamment avec les perspectives d’un recours plus
systématique au télétravail – la subsidiarité devra irriguer les projets de transformation.

Les entreprises qui comprennent et réagissent à l’évolution


des besoins et des habitudes des consommateurs
sortiront renforcées de la crise de la Covid-19
Jessica LICHY, Professeure, IDRAC Business School, Lyon
En ligne et hors ligne, la pandémie mondiale due à la Covid-19 a déclenché des changements dans les
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pratiques de consommation des consommateurs et a forcé de nombreuses entreprises à s’adapter
aux nouveaux comportements de consommation, tels que les achats de panique. Tout en maintenant
les liens avec les clients, les entreprises et les marques se sont également engagées dans la crise
en jouant un rôle social axé sur la communauté en faisant preuve d’empathie, en faisant des dons
et en soutenant le personnel médical, en aidant les autorités publiques à sensibiliser le public au
coronavirus, en fabriquant des masques et des désinfectants pour les mains et en développant des
contenus créatifs et humoristiques en ligne pour s’adapter à une nouvelle culture de consommation
en quarantaine. La distanciation sociale due à la pandémie a transformé notre vie quotidienne et le
comportement des consommateurs. Par exemple, alors que certains consommateurs ont fabriqué
des masques pour des associations caritatives, préparé des repas maison, d’autres ont participé à
des activités d’enseignement à domicile, de bénévolat et d’aide aux citoyens vulnérables. La pan-
démie a perturbé les pratiques des consommateurs et des entreprises, ce qui a conduit à la fois à
développer un mécanisme d’adaptation et une résilience permettant de gérer les situations de vulné-
rabilité et de se réinventer pour atteindre le bien-être individuel et collectif. À l’heure actuelle, nous en
savons très peu sur les ramifications à long terme. Pour les chercheurs, il est impératif d’analyser les
changements de comportement des consommateurs et de pratiques commerciales, dans différents
secteurs et selon différentes perspectives analytiques, afin de fournir aux chercheurs et aux prati-
ciens de nouvelles idées susceptibles d’enrichir la recherche.

136 / Question(s) de Management ? / N°29 / Septembre 2020 © Éditions EMS


La digitalisation : le défi de l’entreprise africaine post-Covid-19
Murielle Natacha M’BOUNA, Maître Assistant des Universités CAMES, Institut National des
Sciences de Gestion, Libreville, Gabon
La pandémie de la Covid-19 a conduit à réinventer le management des organisations. L’entreprise
étant un lieu de propagation du virus en raison des proximités physiques et sociales qu’elle favorise,
les décisions de confinement la mettent sous tension notamment parce qu’il importe de préserver à
la fois l’emploi et la santé des employés. La transformation digitale est une « réponse thérapeutique »
pertinente, permettant aux entreprises, de faire face aux ralentissements d’activité, voire, d’y trouver
de nouvelles sources de création de valeur grâce à un management agile (Goldman et al., 1995). Le
digital se révèle ainsi comme une perspective de conciliation de l’économique et du social par le
renouvellement de l’approche sociotechnique (Emery et Trist, 1965). Devant un tel enjeu, l’entreprise
africaine apparaît encore « hypoconnectée », c’est-à-dire faiblement numérique. Trois défis majeurs,
qui sont autant de changements en perspective, se posent à elle : le défi infrastructurel pour lui
permettre d’évoluer dans un écosystème numérique fiable ; le défi culturel pour la transformation
endogène des comportements en vue de légitimer le distanciel dans la relation de travail ; enfin, le
défi structurel pour intégrer le secteur informel dominant. L’investissement en capital immatériel
est ici nécessaire car il apporte les leviers technologiques et les compétences utiles au succès de la
transformation organisationnelle post-Covid-19.

Covid-19, un mal nécessaire


Henri Jean-Paul MABIALA, IMSG Pointe-Noire, République du Congo
Le monde entier vient d’être secoué par une crise sanitaire mondiale, Covid-19, qui continu à faire
des ravages non seulement dans le plan sanitaire, mais, elle défit sérieusement tous les systèmes
mondiaux dans le plan social, politique, militaire, économique et financier. Divisé autrefois en deux
blocs, socialiste et capitaliste, le monde du dernier siècle a connu une répartition géographique conti-
nentale des Etats : USA, UE, UA… Ce qui semblait être une organisation idéale pour mieux gérer les
flux d’information, des finances et des ressources humaines. Malheureusement, devant la Covid-19,
tous les systèmes organisationnels se sont révélés fragiles au sein de plusieurs Etats et dans ces
unions. La Covid-19 induit des changements organisationnels tel que la motivation des agents de
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santé, l’école à distance par internet et télévision ; renforcement de l’investissement dans le secteur
agropastoral ; adoption des lois fortes contre les discriminations raciales, régionales, tribales… Les
systèmes politiques basés sur la sauvegarde des intérêts particuliers n’ont pas permis de faciliter la
circulation de l’information et les prises de décision dans certains pays, d’instaurer un degré d’inté-
gration entre les différents acteurs, de définir clairement l’autorité attachés aux différents postes,
pour mieux gérer les incertitudes et utiliser les sources au mieux. La course aux armements, la cyber
compétitivité, l’essor du numérique, ont contribué à un système mécaniste basé sur le recours aux
règles et règlements formelles, la centralisation de la prise de décision, la rigidité de la voie hiérar-
chique. Et l’ennemi sournois venu de la Chine a réussi sa pénétration dans tous les pays, faisant des
nombreuses victimes. La Covid-19 nous oblige des nouvelles relations sociales, des systèmes tech-
niques et technologiques performant, des structures et modes d’organisation adapté à la nouvelle
conjoncture. Les membres de l’OTAN qui ont agi hypocritement en rangs dispersés doivent bâtir
des nouvelles stratégies pour affronter avec succès une éventuelle guerre bactériologique et divers
conflits. Pour la sécurité du monde, il faut un brin d’honnêteté, de respect mutuel, de saine coopé-
ration entre Etats. Les organes de l’ONU doivent aussi prouver leur impartialité dans leur prise de
décisions. Il devient impérieux de réorganiser des relations internationales. Cette pandémie a permis
aux dirigeants de prendre conscience et adopter des changements organisationnels qui restaurent le
sacré humain basé sur l’amour du prochain.

© Éditions EMS Question(s) de Management ? / N°29 / Septembre 2020 / 137


REGARDS CROISÉS

Management par la confiance : une nécessité à distance !


Véronique MONTAMAT, Directrice Marketing & Communication, Sopra HR
La crise aura eu raison des nombreux détracteurs du télétravail. La contrainte de maintenir les salariés
à domicile a accéléré l’usage généralisé des outils digitaux pour garantir l’activité à distance et cela a
positionné le management dans une nouvelle posture. Animer la communauté de travail, organiser
les interactions collectives, piloter la conduite des projets, planifier la structuration du temps, tout en
assurant un suivi personnalisé de collaborateurs que l’on ne voit pas au quotidien… ces nouveaux
enjeux ont bousculé le management. Le contexte est entièrement différent de celui du télétravail
« habituel », qui ne concerne qu’une partie des collaborateurs et une partie du temps. La clé de voute
d’un management efficace en temps de télétravail est la nécessité impérieuse et inévitable de faire
confiance. Avec, pour le collaborateur, la pression et la responsabilité nées de cette confiance. C’est
d’ailleurs l’un des points sur lesquels le télétravail peut avoir un impact managérial très positif à long
terme. Il faudra sans doute un peu de temps pour y voir clair et tirer toutes les leçons de cet épisode,
se servir de cette expérience pour améliorer le management, en intégrant davantage les possibilités
du télétravail et en cultivant ses effets secondaires positifs : autonomie, confiance, conciliation des
temps de vie pro-perso. Il reste que cette période peut se traduire par des bénéfices managériaux
pour l’organisation comme pour les collaborateurs, en créant une situation dans laquelle la confiance
est appelée à régner par la nécessité.

La Covid-19 va-t-il transformer l’entreprise ?


Mathieu MOUILLON, CEO de Human Station
La crise sanitaire que nous avons vécue est d’une ampleur inédite puisqu’elle est mondiale et qu’elle
a poussé les structures politiques, économiques et sociales à changer leurs comportements pour
s’adapter à cette menace. Quel bilan faut-il en tirer au niveau de l’entreprise ? Tout d’abord la situation
risque de durer et d’entrer dans les mœurs parce que l’intérêt est commun aux salariés (moindres
déplacements, plus de temps personnel, flexibilité accrue) et aux employeurs (moindres retards et
absences, baisses des coûts et des conflits). Parmi les fonctions gagnantes, les RH se sont imposés
comme une courroie efficace pour l’application des mesures gouvernementales. La Direction des
Ressources Humaine en sort renforcée, affirmant ainsi son rôle de Partenaire de la Direction et de
conseil interne auprès des managers (sur le télétravail). Le middle management est davantage per-
dant. La distance invalide les postures managériales acquises. Le leadership et les soft skills sont à
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redéfinir. Le lieu de travail au cœur du management par supervision directe est remis en question car
la Loi Informatique et Libertés rend impossible sa transposition dans l’univers digital. La logistique et
le sommet hiérarchique sont faiblement impactés par cette crise. Les premiers car la chaîne logis-
tique aura sans doute tendance à se simplifier par relocalisations. Le sommet parce qu’il a l’habitude
d’échanger à distance avec les collaborateurs. En perdant ses repères, le middle management sort
déboussolé. Un salarié devra toujours rendre des comptes sur ses objectifs et missions et se rendre
disponible pendant les heures de travail. Mais le contrôle moindre implique plus d’autonomie et une
meilleure formation. Derrière une décentralisation apparente n’allons-nous pas vers une recentra-
lisation du pouvoir et un lien direct entre le sommet et la base ? La crise sanitaire que nous avons
vécue est d’une ampleur inédite puisqu’elle est mondiale et qu’elle a poussé les structures politiques,
économiques et sociales à changer leurs comportements pour s’adapter à cette menace. La Covid
a également conduit les dirigeants à prendre des mesures exceptionnelles et à s’interroger sur leurs
faiblesses structurelles. Quel bilan faut-il en tirer ? La fonction RH à mi-chemin entre support et tech-
nostructure s’est imposée comme une courroie efficace pour l’application des mesures initiées par
le gouvernement. Le DRH en sort renforcé, affirmant son rôle de HR Business Partner. Le middle
management également a perdu de son côté ses prérogatives classiques. La distance rend caduque
bon nombre de postures managériales. Le leadership et les soft skills vont être redéfinis. Concernant
l’organisation proprement dite la coordination par supervision directe va perdre en importance le

138 / Question(s) de Management ? / N°29 / Septembre 2020 © Éditions EMS


digital ne permettant pas de transposer se mode de management du fait de lois protectrices (loi infor-
matique et libertés de 1976). En revanche la standardisation des compétences et l’ajustement mutuel
devraient se renforcer en particulier à travers la gestion de projet qui va se généraliser comme mode
de collaboration. Enfin nombreuses sont les entreprises qui ont préféré transférer leur centre de
gravité en dehors de leurs murs. Il est possible que le travail à distance redevienne la norme comme
c’était le cas la Révolution industrielle. Les entreprises pencheront-elles vers davantage de centrali-
sation ou bien vers une décentralisation de l’organisation ? La réponse est ambiguë. En perdant ses
repères managériaux très liés au lieu de travail, le middle management risque d’être affaibli au profit
d’un rapport direct entre le dirigeant et ses équipes. Derrière une décentralisation apparente, n’allons-
nous pas vers une ultracentralisation sur des modèles proches des princes de Machiavel ?

Et si rien n’avait changé…


Jean-Louis MOULINS, Professeur, Aix Marseille Université
Au-delà des emballements médiatiques, des incessants plateaux TV où les experts du Monde d’Après
succèdent à ceux des Gilets Jaunes, de la Réforme des Retraites et de la Covid-19, qu’en serait-il
réellement de notre futur ? Nos modes de consommation continueront-ils à régir nos modes de vie
ou l’inversion du paradigme, cher aux pourfendeurs de la société de consommation, va-t-il résulter
de cette crise sanitaire ? Les premiers ont-ils réellement changé ? La crise sanitaire a-t-elle recentré
notre consommation sur l’essentiel ? De fait, les achats d’impulsion, du superflu, n’ont jamais cessé
et se sont même développés pendant cette crise sanitaire ; leurs effets anti-anxiogènes sont en effet
bien connus. En Chine, premier pays déconfiné, les produits de luxe sont repartis à la hausse. Le
cours des actions de LVMH et de Kering ont rebondi, preuve de la confiance des investisseurs dans
la pérennité du mouvement. Et si les circuits courts, dans le système alimentaire, se sont développés
par obligation pendant la période de confinement, renoncerons-nous pour autant à consommer des
fraises d’Espagne pour accompagner les derniers frimas de l’hiver ? Nous ne l’avons pas vraiment fait
cette année. Allons-nous renoncer aussi à contempler les gratte-ciels de Manhattan, et les boutiques
de la 5e Avenue, ou à visiter la Muraille de Chine ? Et la Joconde cessera-t-elle d’être un bien commun
de l’humanité que s’approprient chaque année des centaines de milliers de visiteurs ? La hiérarchie
des besoins de Maslow avait expliqué, bien avant le C19, que les besoins d’accomplissement exigent,
pour être reconnus par l’individu, un minimum de réponses au besoin de sécurité. Il y a donc de fortes
chances que le monde de demain ne soit pas vraiment différent de celui d’avant. Mais qu’en sera-
t-il de celui d’après-demain ? Autrement dit, cette crise sanitaire va-t-elle impacter durablement des
tendances lourdes de consommation déjà présentes ? Prenons l’exemple des deux plus prégnantes :
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l’écologie et le numérique. Paradoxalement, la première risque de souffrir le plus de cette crise que
certains avaient pourtant qualifiée d’écolo-sanitaire. Nous avons tous apprécié la quiétude des rues
sans voiture mais, au-delà des effets d’annonce, quel sera par exemple l’impact d’une super prime à
la voiture électrique supposée aider à écouler des stocks remplis à 98 % de véhicules thermiques ?
Un plan d’investissement massif dans l’industrie atomique a aussi été évoqué, encore timidement
il est vrai. Que penser aussi du rebond très important de la filière plastique, dopée par les besoins
de protection légitimes des consommateurs citoyens ? Certes, le lobbying de cette profession pour
remettre en discussion des décisions d’interdiction antérieures n’a pas abouti, du moins pour l’ins-
tant, mais s’il est souhaitable de ne plus voir nos gobelets et couverts en plastique encombrer nos
décharges, pourrons-nous empêcher leurs homologues asiatiques en carton ou en bois reconstitué
d’envahir nos marchés à grand renfort de CO2 ? La grande gagnante à n’en pas douter sera la ten-
dance à la numérisation de notre société. Son tryptique majeur, le télé travail, la télé surveillance et
le télé enseignement a pu faire l’objet, pendant cette période de crise, d’expérimentations à grande
échelle. Mais la tendance est ancienne, déjà très largement engagée et poussée par des décideurs à
la recherche permanente d’une diminution des coûts. Pour autant les bureaux de la Défense ne vont
pas devenir immédiatement des no man’s lands, les enseignants continueront à voir leurs élèves (je
l’espère !) et le géomarketing a de beaux jours devant lui. Gageons pour conclure que, lorsqu’enfin
tomberont les masques, nous n’aurons aucune difficulté à nous reconnaître !

© Éditions EMS Question(s) de Management ? / N°29 / Septembre 2020 / 139


REGARDS CROISÉS

Le monde d’après sera-t-il … plus inclusif ?


Christine NASCHBERGER, Dr., Professeure Audencia, Département Management
 Le télétravail imposé – suite au confinement – cache des inégalités entre les femmes et les hommes
car les femmes occupent souvent des postes qui ne peuvent pas être exercés à distance (assistantes
maternelles, caissières, techniciennes de surface, infirmières, aides-soignantes, sages-femmes,
aides à domicile, etc.). Ces métiers à prédominance féminine sont exercés dans le secteur du ser-
vice et ils sont aussi sous-payés. Les économistes ont à nouveau tiré la sonnette d’alarme pour la
mise en place d’une équité salariale afin de revaloriser ces métiers. Un autre événement qui vient
de marquer nos esprits sont les manifestations dans le monde entier pour la lutte contre le racisme
et les violences policières suite au décès de l’Afro-Américain George Floyd le 25 mai dernier. Les
voix du changement deviennent plus fortes : les jeunes, les femmes, les écologistes, les victimes,
etc. veulent faire entendre leurs causes. Le racisme ne passe plus. Les inégalités sont pointées du
doigt. Est-ce que cette quête de sens elle sera entendue ? La prise de conscience est-elle collective ?
Peut-on espérer un monde plus inclusif ? Que nos organisations veillent à être d’avantage inclusives,
moins discriminantes, plus égalitaires, plus équitables, plus justes, moins sexistes, moins racistes,
moins homophobes, etc. bref plus humanistes ? Peut-on espérer une vraie transformation de nos
mentalités et de notre société ? Est-ce que les décideurs d’aujourd’hui vont mettre l’humain au cœur
de nos organisations et au centre de leurs préoccupations ? Vas-t-on enfin vers un monde plus égali-
taire qui respecterait les droits de chacun ? Nul ne le sait mais les petits pas nous emmèneront aussi
vers l’objectif final : une société humaniste.
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Travailleurs essentiels et pourtant invisibles à Singapour
Cedomir NESTOROVIC, Professeur de management à l’ESSEC Asia Pacific, Singapour
La pandémie de la Covid-19 a révélé au grand jour les conditions de vie et de travail des travailleurs
étrangers à Singapour. Ils sont 1 427 000 sur un total de 3 770 000 personnes employées, dont plus
de 730 000 à travailler dans les emplois qualifiés de 3D (dirty, dangerous, difficult), essentiels à la
bonne marche de l’économie singapourienne et pourtant invisibles, ignorés, voire inconsidérés par la
population locale. Comme ils sont majoritairement logés dans des dortoirs pouvant accueillir plus de
20 000 personnes à la fois, les conditions de promiscuité ont causé une explosion du nombre de cas
de contamination à la Covid-19. Face à cette explosion on aurait pu craindre une dérive chauvine, voire
raciste de la part de la société singapourienne cherchant à les désigner comme boucs émissaires et
les expulser de Singapour comme cela s’est produit dans certains pays du Golfe. Pourtant c’est tout
le contraire qui s’est produit. Le gouvernement s’est mobilisé pour affirmer le caractère essentiel
de ces travailleurs étrangers et s’est attaché à améliorer leurs conditions de vie. Il reste à voir si les
Singapouriens accepteront de les considérer comme partie intégrante de la population et permettre
par exemple l’établissement des dortoirs à coté de de leurs habitations. Ce sera le véritable test et il
n’est pas gagné d’avance.

140 / Question(s) de Management ? / N°29 / Septembre 2020 © Éditions EMS


Crise sanitaire Covid-19 et pédagogie universitaire : de la
frugalité panoptique à la contingence polyphonique
Elias Perrier NGUEULIEU, Enseignant-chercheur, Université de Yaoundé I, Laboratoire
CEREME de l’ESCG-Yaoundé, Cameroun

L’enseignement universitaire est l’un des secteurs ayant durement subi des transformations ou des
accélérations liées à la pandémie de la Covid-19. Ces mutations dans la pédagogie universitaire ont
le plus interpellé notre curiosité. En effet, deux changements majeurs ont caractérisé le déploiement
administratif et pédagogique de l’Université de Yaoundé I. Le premier axe de changement est maté-
rialisé par l’accélération de la mise en œuvre et du suivi de la replanification (frugalité panoptique) ;
l’adoption du « modèle contingentiel de la GRH » de Peretti (2018) centré sur la logique PAMPA
(Personnalisation, Agilité, Mobilisation, Partage et Anticipation) appliqués à la stratégie administrative
d’organisation et de gestion de l’urgence, des crises et des risques. À cela est associé le manage-
ment organisationnel ambidextre (O’Reilly et Tushman, 2008) analysé à travers la corrélation biva-
riée « 2cocomu » (comportement collaboratif multi-stratégique et comportement confiant mutualisé)
que laissent inférer les prises de décisions. Le deuxième axe de changement a été analysé via les
opportunités et des actions factuelles (De Villiers, 2018) sous fond de management digital centré les
« cinq forces » du style polyphonique de Pichault (2013) coordonné par le pôle technologique central
(CUTI), suivi par les Cellules de Veille et d’Assistance (CVA) dans les facultés et les CVP d’exécution
effective des options digitales interactives et multicanales au sein des départements. Toutefois, il est
nécessaire de relever que ces changements organisationnels frugaux et digitaux voilent des manque-
ments considérables au niveau opératoires liés à l’impréparation optimale des RH et à l’insuffisance
des RMF. Limites nécessitant la mise en œuvre des actions correctives efficaces de renforcement de
l’équation managériale adoptée.

Redéfinir les pratiques de travail par la


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diffusion d’une culture de coopération
Joseph NZONGANG et Alain TAKOUDJOU NIMPA, Agrégés en Sciences de Gestion, Centre
d’Études et de Recherche en Management et Économie (CERME), Université de Dschang-
Cameroun
En obligeant toutes les entreprises, lorsque cela est possible, à passer en télétravail ou en contri-
buant à l’adoption de nouveaux outils numériques, la crise sanitaire que nous traversons sert de test
à de nouvelles façons de travailler. De l’écriture des e-mails jusqu’aux comptes rendus de réunions,
en passant par la communication avec les clients, une transformation s’impose dans un climat de
complexité. Il faudra, au sens de Carney et Getz (2009), libérer les organisations du poids de leurs
procédures et de leur hiérarchie, substituer davantage l’autonomie au contrôle, et donc instaurer
une culture de coopération. Désignée comme ce moment crucial où les sujets opèrent, en vue de la
réalisation de l’œuvre commune, la coopération permet en effet de collaborer infiniment mieux qu’en
appliquant les seules règles de coordination techniques. Pour se faire, seules la reconnaissance des
intelligences mobilisées et l’élaboration de règles et de valeurs partagées seraient à même de préser-
ver les bases, fragiles, de la confiance et du désir de coopérer. Toutefois, la coopération comme acte
volontaire, se fait pour partie en dehors de la structure, elle ne se décrète pas, elle échappe largement
aux tentatives de formalisation, ce qui rend la difficilement contrôlable et gérable.

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REGARDS CROISÉS

Pour changer l’organisation, organisons le changement !


Nicolas OLIVERI, Enseignant-chercheur PhD, IDRAC Business School
La crise sanitaire majeure que nous venons de traverser aura fait voler en éclats nos certitudes les
plus ancrées. C’est pourquoi l’après-crise doit nous interroger dès à présent ; le télétravail est-il seul
responsable de cette demi-victoire ? Vraisemblablement non. Ce succès incombe avant tout aux
femmes et aux hommes qui ont su démontrer leur combativité au travail, leur abnégation à l’atteinte
des objectifs, avec ou sans présence sur leur lieu de travail. Gageons que les managers quant à eux,
auront su en tirer les conclusions qui s’imposent en renforçant à l’avenir le besoin d’agilité, le désir
d’autonomisation et la volonté de flexibilité de leurs équipes, corollaires d’un management adaptatif
et probablement salvateur au sein des organisations. Mais derrière la promesse d’un monde meilleur
par le déploiement massif de dispositifs sociotechniques censés contrevenir tous types de risques,
se pose de manière aigüe la question centrale de la ré-humanisation des pratiques managériales, de
la réciprocité des échanges interhiérarchiques, de la réaffirmation du sentiment de confiance entre
dirigeants et collaborateurs, bref de relations interpersonnelles abouties et pérennes. Sans nul doute,
pour changer l’organisation de demain faudrait-il dès aujourd’hui organiser le changement déjà à
l’œuvre.

Comment l’entreprise s’organise pour éviter de tousser


Philippe PACHE, Psychologue, EDBA IMSG, Genève
Cette crise, au niveau de l’organisation du travail, a accéléré un changement qui était déjà bien amor-
cé : celui de l’utilisation des outils collaboratifs en ligne et la nécessité d’évoluer vers une organisation
plus agile dans un monde V.U.C.A. Ainsi, l’évolution de l’organisation du travail est la résultante de
choix effectués en fonction de la soutenabilité économique, sociale et environnementale. La pondéra-
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tion de chacun de ces facteurs permettant de déterminer la réorganisation engendrée par la crise. De
fait, cette crise agit comme un révélateur et un accélérateur et les changements organisationnels en
résultants ne sont eux-mêmes que les produits de décisions humaines. L’on peut néanmoins antici-
per :
• Que le télétravail va continuer son accélération ;
• Que les contrats de travail vont s’organiser vers des formes de mandats et de contrat de durée à
déterminé plus fréquent, incluant probablement de nouvelles clauses de suspension de contrats
relatives à des situations de pandémies et permettant ainsi à l’entreprise d’alléger ses obligation
contractuelles ;
• Qu’un renforcement de la prophylaxie va devenir plus concret et entraîner des procédures et de
mesures plus controlantes ;
• Qu’une mise en place des chaines d’approvisionnement « pandémique-résistante » est très pro-
bable ;
• Que les critères de performance (KPI) vont se concentrer sur la valeur ajoutée de l’employé pour
s’éloigner du temps de travail.
Reste donc à savoir ce que cette crise aura changé en nous afin que le monde de demain ressemble
à nos souhaits d’aujourd’hui.

142 / Question(s) de Management ? / N°29 / Septembre 2020 © Éditions EMS


Relocalisation, RSE, NPM et compagnie…
Yvon PESQUEUX, Professeur du CNAM – Chaire « Développement des Systèmes
d’Organisation », Hesam Université
Je ne résiste pas à l’envie de rappeler, au-delà du réchauffement climatique face auquel aucune « ini-
tiative volontaire » n’a jamais eu d’impact :
1° La faillite de la responsabilité sociale de l’entreprise du business AND society et le fait que l’essen-
tiel de ce qui a été fait en son nom était largement factice ; c’est la société qui est venue à la res-
cousse des entreprises géantes (hélas pour le moment sans véritable effet sur leur gouvernance) ;
2° La remise en cause de l’éclatement irresponsable des chaines de valeurs (en particulier celles du
cartel de la pharmacie ayant entraîné des pénuries mondiales de médicaments et d’équipements
hospitaliers comme on l’a constaté avec la pandémie de la Covid-19) ; la question de la relocalisation
est difficile car elle ne peut s’effectuer sans contrainte publique et elle prendra du temps ; 3° La faillite
corrélative du « juste-à-temps » réduit à de l’optimisation financière par disparition des stocks qui a
mis à l’arrêt beaucoup d’usines et avait auparavant multiplié les cargos sous pavillon de complaisance
et les camions sur les routes ; 4° La faillite du New Public Management qui a étouffé les possibilités
de mettre en œuvre les missions régaliennes de l’Etat en ayant confondu « efficience financière »,
« fonctions régaliennes » et « relation de service public », comme on l’a vu en matière hospitalière
– un contrôleur de gestion et un tableau de bord n’ont jamais soigné personne ; 5° La faillite à venir
d’un certain nombre de business schools, leurs programmes devant réduire les stages et l’appren-
tissage, par absence de possibilités et les difficultés de voyage à l’étranger mettant fin au tourisme
universitaire, éléments auxquels s’ajoutera le chômage massif à venir de leurs diplômés ; 6° La fin
du tourisme universitaire des enseignants-chercheurs quant aux congrès pour des raisons similaires :
réduction drastique de budgets de déplacement à venir assortie des difficultés de circulation ; 7° En
matière de gestion des ressources humaines, la question des compétences de la génération Covid-19
déscolarisée se posera rapidement ; 8° En matière organisationnelle, l’expérience du télétravail qui a
pour conséquence une nouvelle forme de putting out system.

Deux visions antagonistes


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André-Yves PORTNOFF, Conseiller scientifique de Futuribles international, Professeur associé
MBA HEG Fribourg et IMSG Genève
La majorité des structures publiques et privées est marquée en Occident par la doxa néolibérale
court-termiste, le néo-taylorisme, la bureaucratie et une pensée cloisonnée. Défaut d’écoute, silos,
rivalités, mépris dégradent l’intelligence collective. Ces organisations sont inaptes à décider dans
l’incertain, à gérer à temps la complexité. Obsédée par les profits immédiats, une partie des acteurs
va maintenir ces options. L’expérience du télétravail servira à réduire les charges et à étendre le
contrôle du personnel jusqu’au domicile. A terme, ces comportements ne sont pas viables. Soucieux
du long terme, d’autres acteurs garderont ou renforceront des organisations créant de la valeur per-
çue par les actionnaires mais aussi par les clients à fidéliser, les personnels et les partenaires exté-
rieurs contribuant à leur intelligence collective. Ces acteurs seront solidaires de leur territoire, car si
celui-ci s’effondre, ils ne sauraient prospérer longtemps. Leur organisation encouragera l’écoute, les
collaborations, l’initiative individuelle et collective avec droit à l’erreur. Trois temps de travail seront
reconnus ; celui de la présence dans les locaux ; celui non localisé de disponibilité en ligne ; celui non
programmable de la créativité. Du télétravail conciliera avec souplesse vies privées et profession-
nelles. Ces acteurs agiles résisteront mieux aux aléas. Le bilan pour la Société dépendra des progres-
sions relatives des deux modèles antagonistes.

© Éditions EMS Question(s) de Management ? / N°29 / Septembre 2020 / 143


REGARDS CROISÉS

La maïeutique à l’heure de la Covid-19


Nathalie SANNIER THERET, Directrice éditoriale des éditions Foucher
Au cœur de la valeur ajoutée d’une maison d’édition se trouve la relation auteur-éditeur, et ce qui se
joue en son sein, la maïeutique : de la qualité de cette maïeutique dépend la profondeur du contenu
livré par l’auteur, la qualité de sa mise en scène par l’éditeur et la force de ce qu’il est commun
d’appeler la « promesse lecteur », à savoir « ce qu’il reste au lecteur une fois qu’il a refermé le livre ».
Quoique par essence nomade, la relation auteur-éditeur requiert le cadre spatio-temporel d’une rela-
tion in situ : ancrée dans le corps pour permettre les échanges non verbaux, portée par l’écoute active
de l’éditeur, par ses questionnements et ses reformulations de la pensée de l’auteur. C’est la mise en
place concrète de ce cadre d’échanges qui sous-tend la dynamique de co-création de l’ouvrage : sans
co-création point de manuscrit ! Or, le confinement et la mise à distance de l’autre, la communication
par moyens numériques (visio-conférences, appels téléphoniques, courriels) ont pour conséquence
de rendre difficile la communication non verbale et de réduire très fortement la perception des émo-
tions de l’autre : dès lors l’écoute active est plus difficile à mettre en place, les questionnements et
interactions de la maïeutique sont plus formels et surtout plus « plaqués », moins ancrés dans la dyna-
mique du corps. En outre, la distanciation des échanges modifie notre rapport au temps. Comme l’ont
montré des recherches récentes1, le télétravail rend moins perceptible le long terme et « découpe »
le présent en autant de séquences de travail discontinues, entrecoupées de sollicitations numériques
perturbatrices. C’est un temps de la micro-tâche qui, si l’on n’y prend pas garde, peut conduire au
micro-management et à la perte de sens qui est son corollaire. Si l’on relit Leibniz, les monades sont
reliées les unes aux autres par l’échange des regards et de la parole. Sans ces interactions ancrées
dans le corps, pas de partage possible d’une vision constitutive d’un monde. Sans ces interactions, la
maïeutique perd de sa force et avec elle l’œuvre s’appauvrit. C’est donc bien toute la valeur ajoutée
de l’édition qui est en jeu dans ce changement de modalité, qui pourrait passer inaperçu, de la pré-
sence réelle à la présence virtuelle.

1 Voir sur ce sujet l’étude menée par l’entreprise Cog’X sur les ressources cognitives et sociales des salariés après 8
semaines de confinement (www.cogx.fr).

La généralisation du télétravail : avancée


sociale majeure ou fausse bonne idée ?
Thierry SIBIEUDE, professeur, ESSEC Business School
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Selon une étude flash conduite mi-juin 2020 par Malkoff Humanis, les télétravailleurs représentent
41 % des salariés du secteur privé. Près de la moitié d’entre eux expérimentent cette modalité pour la
première fois avec un taux de satisfaction de 73 %. En outre 84 % des salariés interrogés souhaitent
continuer à y avoir recours et enfin 44 % souhaitent le demander de manière régulière. Les avantages
mis en avant sont une plus grande souplesse, une plus grande autonomie et responsabilisation, une
meilleure efficacité grâce à un engagement plus fort et une meilleure conciliation entre vie profes-
sionnelle et vie personnelle.
Le télétravail pourrait donc s’imposer comme une modalité de collaboration à part entière. Ainsi PSA
a annoncé sa généralisation aux 40 000 salariés des fonctions administratives et de R&D de ces
70 000 salariés basés en France via l’amplification et l’approfondissement de l’accord d’entreprise déjà
en vigueur : dès le 1er juillet 2020, la présence sur site sera limitée à 1,5 jour par semaine maximum.
PSA espère ainsi réduire de 14 % ses surfaces de bureau et économiser dix millions d’euros par an.
Cependant pour un sucés au long cours, cette généralisation repose sur deux conditions essen-
tielles : la qualité des connexions techniques et un espace dédié au domicile avec une organisation
familiale adaptée. Elle pose deux questions essentielles à l’entreprise : le risque d’étiolement du lien
social et du sentiment d’appartenance à l’entreprise, d’une part et la mise en place d’un management
par objectifs et aux résultats avec des modalités d’encadrement différentes et des compétences à
acquérir pour les salariés. Ce n’est donc pas gagné !

144 / Question(s) de Management ? / N°29 / Septembre 2020 © Éditions EMS


Covid-19 : Une aubaine pour les entreprises
Stephan Alain TAGBO, Délégué Général d’Afrique Pesage Guinée SA., Juriste-Ingénieur des RH
La crise de la Covid-19 a des impacts néfastes et bouleversants tant sur la vie économique des États
que sur celle des entreprises publiques et privées. Devant cette crise sanitaire qui a démontré le
caractère fébrile des organisations et fonctionnements de ces entités lucratives, le Top management,
qui doit être réactif, est dans l’obligation d’opérer des changements organisationnels relatifs à ce
marasme des affaires, pour maintenir son activité en l’état, préserver la santé et la vie de son per-
sonnel et faire du chiffre pour faire face aux diverses charges qui incombent à la société. Ainsi donc,
comme conséquences, l’on a pu observer entre autres : 1. l’utilisation massive des techniques de
l’informatique et de la télécommunication, à travers le télétravail et la digitalisation (dématérialisation)
des procédures de travail ; 2. la réorganisation du travail ; cela a permis de dissocier les emplois dits
essentiels de ceux dits secondaires (gérés par le biais des TIC). Des emplois ont été supprimés ou
réadaptés ; 3. avec la distanciation physique qui doit être de mise dans cette lutte, les bureaux « open
space » ont été réaménagés au profit des cloisonnements de l’espace de travail ; 4. la gestion opti-
male des coûts de production et d’exploitation face à la baisse des activités ; 5. la gestion maîtrisée
des ressources financières. Pour finir, la Covid-19 a permis aux managers de revoir leur gestion glo-
bale d’entreprise, d’être plus proactifs que précédemment, d’appréhender l’après-crise et d’anticiper
toute autre éventualité en opérant des choix stratégiques fondés dorénavant sur les TIC.
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Le coronavirus comme test cardiaque de nos organisations
Gérard TAPONAT, DRH, Professeur Associé et Directeur de Master à l’Université Paris Dauphine
Cette crise du coronavirus a frappé de plein fouet nos organisations d’entreprises. Derrière cette
« frappe », il y a le choc, l’impact, la déstabilisation… Avec son lot d’inconnu dans un monde de pla-
nification, d’incertitude dans un contexte d’initiative, de non maitrise dans un monde de processus
et de procédures. Si beaucoup de repères professionnels et organisationnels ont été gravement et
brutalement affectés par cette crise pandémique, elle a permis de dégager les lignes de force et de
faiblesse de chaque entité organisationnelle, que ce soit au niveau des groupes, des entités ou des
simples unités opérationnelles confrontées à une réalité imposée, et non immédiatement maitrisable.
Elle a mis en évidence la capacité d’initiative d’un encadrement, devant de telles situations : « hors
manuels » et exemptes d’expériences en la matière. La responsabilité et l’engagement ont trouvé
en pareilles situations à s’illustrer, mieux que dans tous les séminaires de management et d’engage-
ment des équipes. On ne souhaite évidemment pas vivre pareille crise de nouveau, mais elle nous
offre, à la fois un diagnostic extraordinaire de nos entreprises, tout en nous permettant de travailler
pour un avenir définitivement non linéaire, ainsi que dans des modalités de préparation à la gestion
de crise, au plan managérial et RH. La crise nous a offert un test d’effort cardiaque du cœur de nos
organisations.

© Éditions EMS Question(s) de Management ? / N°29 / Septembre 2020 / 145


REGARDS CROISÉS

Covid-19 : Bâtir une culture organisationnelle et un


noyau technologique résilients aux crises
Omar THIAM, Directeur de l’Ecole de Management et de la Recherche, Groupe ISM
La mise en œuvre d’un plan de continuité des activités durable à l’échelle organisationnelle nécessite
de la clarté et de la fermeté de la part de la haute direction de l’entreprise, ainsi qu’une volonté d’adap-
tation et de soutien du reste de l’organisation. Compte tenu des situations de plus en plus complexes
et se détériorant rapidement qui accompagnent les crises, telles que l’épidémie de Covid-19, les déci-
deurs ont du mal à approuver rapidement les compromis et les coûts à court terme, et ils ne peuvent
le faire qu’avec le soutien et la compréhension du reste de l’organisation. Une tâche rendue beau-
coup plus facile avec une culture d’organisation adaptative déjà préparée. L’adoption d’une transition
organisationnelle, en particulier du point de vue technologique, est essentielle pour établir un plan de
continuité des activités bien préparé. Cela nécessite un changement des mentalités qui peut soutenir
les transformations technologiques et la culture de travail nécessaires pour maintenir la stabilité lors
de situations de crise telles que la Covid-19 et maintenir et soutenir les progrès. La clé pour y parvenir
réside dans l’adoption d’une approche adaptative agile de la culture organisationnelle soutenue par un
noyau technologique solide. Une approche agile de la culture organisationnelle permet également aux
entreprises de s’adapter rapidement à leurs besoins. Les avantages de telles capacités s’étendent
bien au-delà de la simple gestion d’une entreprise à l’épreuve des pandémies. L’adhésion des parties
prenantes de l’ensemble de la chaîne de valeur de l’organisation se traduit par une adaptabilité plus
rapide aux nouveaux défis commerciaux et une meilleure réponse aux tendances dynamiques du
marché.

Crise Covid-19 : consécration du Digital


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dans l’enseignement en Afrique
Lassana TIOTE, Enseignant-chercheur en GRH au CESAG, Dakar, Sénégal
Le mois de mars 2020 restera gravé dans la mémoire collective comme celui de la « fermeture »
généralisée de l’Afrique. La quasi-totalité des pays du continent, à l’instar de ceux des autres conti-
nents ont fermé leurs frontières et leurs activités pour faire face à la pandémie Covid-19. Cette
période correspondant en général au début du second semestre dans les institutions d’enseignement
supérieur, l’on va se retrouver à se poser mille et une questions avec pour principal objectif de faire
l’activité autrement. La célèbre pensée du reggaeman Bob MARLEY va trouver ainsi tout son sens
« Tu ne sais jamais à quel point tu es fort, jusqu’au jour où être fort reste ta seule option ». Une fois
le choc de la brutalité de l’arrêt des activités passé, chacun a imaginé comment maintenir le contact
pédagogique avec les apprenants. Alors qu’il n’y a pas si longtemps, on se posait tant de questions
sur l’intégration de l’Intelligence Artificielle (IA) dans l’activité de gestion, cette crise a sonné le glas
de cette révolution numérique. On va assister indubitablement à la presque généralisation de l’utilisa-
tion du digital Learning avec des appréciations et expériences diverses dans la gestion des écoles et
universités africaines sans même trop se poser des questions sur les moyens. Le changement vient
de s’imposer à nous !
Cette expérience de gestion de crise sera à n’en point douter, le déclic véritable vers l’utilisation de
l’Intelligence Artificiel de manière effective dans le domaine de l’enseignement en Afrique !

146 / Question(s) de Management ? / N°29 / Septembre 2020 © Éditions EMS


Le numérique et l’accélération des inégalités dans
les organisations à l’ère de la Covid-19
Amadou TRAORE, Professeur de sociologie, Université de Ségou (Mali)
Caractérisé par le confinement, la distanciation sociale et autres mesures barrières, la Covid-19 met
les organisations à l’épreuve des TIC dans un système mondialisé. Cela donne un certain crédit aux
rencontres virtuelles dans les organisations, dont les entreprises, les universités, les administrations
publiques. Il s’agit des ventes en lignes, des cours à distance, des visioconférences, etc. Aujourd’hui
avec la prolifération des TIC entraînant une large dépersonnalisation du système de production, nous
pouvons parler de l’existence d’une prédisposition favorable dans les organisations ayant atteint la
transition numérique. Nous pouvons également dire que les GAFAM, Netflix, Disney+ par exemple,
à travers leurs performances relatives au premier trimestre 2020, profitent globalement de la pandé-
mie. Par contre les entreprises et organisations n’ayant pas atteint un certain niveau de transformation
digitale, et/ou qui requièrent la mobilité des hommes, en subissent le plus. Il s’agit par exemple des
compagnies de voyage, de l’industrie automobile, de l’hôtellerie, etc. Ainsi se dilate le fossé entre les
organisations de différents niveaux. Aussi, les entreprises faisant face à la baisse de la demande et
de la production, la gestion des ressources humaines devient un défi majeur. Avec la Covid-19, nous
assistons à de licenciements massifs et la restriction de la demande à certaines compétences liées à
l’internet. Ainsi, les entreprises et les salariés en souffrent. A titre d’exemple, les PME/PMI locales,
notamment dans les pays en développement ont du mal à s’y adapter. Pour une bonne marche des
affaires largement mondialisées et dépersonnalisées, la nécessité d’une large coopération autour
du numérique se fait sentir au sein de différents niveaux d’organisation à travers le monde. Ainsi, la
Covid-19 impose une accélération de la transformation numérique tout en accentuant les inégalités.

Pérenniser la mobilisation des leviers de la résilience


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Isabelle VANDANGEON-DERUMEZ, Université Paris-Est Créteil Val de Marne (UPEC)
La crise de la Covid a été soudaine et profonde pour grand nombre d’entreprises et de salariés. Mais
comme le souligne K. Weick une telle situation ne saurait être dramatique si face à cet événement les
organisations sont en mesure de mobiliser les leviers qui permettent de reconstruire du sens pour dé-
cider, prévoir et ainsi s’engager dans l’action. Si certaines organisations ne se relèveront pas de cette
crise, pour d’autres les managers ont su faire preuve d’improvisation et de bricolage (K. Weick) quand
ils ont détourné de leur usage les outils dont ils disposaient pour maintenir la cohésion du groupe. Par
ailleurs, malgré le travail à distance, certains managers ont su préserver le système de distribution
de rôle (K. Weick) en continuant à animer leur équipe alors que d’autres ont eu le sentiment d’être
dépassés car ils ne parvenaient plus à contrôler le travail de leurs collaborateurs. Pour d’autres cette
période d’incertitude a été l’occasion de questionner leurs croyances, leurs connaissances, d’émettre
des doutes quant à leur validité pour, par curiosité, s’ouvrir au nouveau et accepter l’inconnu (i.e. faire
preuve de sagesse selon K. Weick). Enfin des managers ont su compter sur leurs collaborateurs en
leur faisant confiance, en acceptant leurs doutes et leurs questionnements et en cherchant collecti-
vement à y répondre (développer les interactions respectueuses selon K. Weick). La question qui se
pose aujourd’hui est de savoir si ces managers auront la capacité à pérenniser la mobilisation de ces
leviers pour faire preuve de résilience à tout moment.

© Éditions EMS Question(s) de Management ? / N°29 / Septembre 2020 / 147


REGARDS CROISÉS

Fin de crise, début de la fin, ou fin du n’importe quoi ?


Yann VAUCHER, Directeur Leonardo3.4.5., Genève
Nous l’attendions toutes et tous cette fin de crise due à la Covid-19. Nous l’attendions pour revenir
vite, très vite au « comme avant ». Pouvoir enfin reprendre les bonnes vieilles habitudes. A moins
qu’entre-temps, elles ne se soient mutées en mauvaises habitudes ? En temps de crise, et si l’on
se réfère aux états de la matière, il vaut mieux être comme l’eau que comme la pierre, le gaz ou le
plasma. Cette métaphore illustre le fait que l’eau trouve toujours son chemin. Si un éboulement vient
interrompre le cours de la rivière, l’eau ruissellera à gauche ou à droite, refera son lit pour finalement
reprendre sa route jusqu’au prochain lac ou à la prochaine mer. L’eau innove, surmonte les difficul-
tés, repense sa manière de voyager, quitte ses habitudes pour en retrouver de nouvelles adaptées
à cette situation inédite. En résumé, elle a la capacité d’inclure rapidement le changement face à de
profonds bouleversements. Certes, la comparaison est sensible par les temps qui courent, mais elle
illustre toutefois très bien ce qui nous attend. Et si dans nos entreprises, nous incluions le change-
ment comme source d’innovation ? L’innovation pour repenser une partie des habitudes, ou pour
surmonter les difficultés, ou encore pour découvrir de nouvelles sources de revenus économiques et
plus logiques. Voilà un beau programme pour entamer un nouveau début et repenser le « n’importe
quoi » !

Changement de paradigme et développement de la confiance


Dominique VERCOUSTRE, Coach de dirigeants
Ce confinement nous aura permis d’accélérer la pratique du télétravail et renforcer son acceptation
par le management. Maintenant que l’on sort de ce confinement les questions se posent sur la
manière de gérer le retour à une organisation « normale ». Après avoir fait le bilan de la manière
dont cela s’est passé pour les salariés, au niveau organisationnel, performance, et psychologique,
des questions demeurent sur l’évolution de la pratique managériale, en intégrant tout ou en partie le
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télétravail. Deux éléments sont à prendre en compte : 1) Changement de paradigme. Il paraît impor-
tant de changer l’approche classique du télétravail. Il ne s’agit plus de savoir combien de jours sont
autorisés en télétravail, mais de définir le nombre de jours nécessaires au bureau pour le bon fonc-
tionnement de l’entreprise. Donc il faut donner les règles précisant quand le salarié doit être présent
au bureau : réunion de service, point avec manager, participation aux groupes de travail transverses,
réunion d’information et pourquoi pas des temps de convivialité. 2) Renforcement de la confiance
partagée. Ceci étant précisé, l’organisation du temps de travail est confiée au salarié lui-même. Il doit
être responsable de ses choix et du temps qu’il souhaite effectuer en télétravail. En effet chacun a
des contraintes différentes : espace chez lui, garde des enfants, matériel à disposition etc. Il peut être
utile aussi, dans ce cadre, de repérer les lieux de co-working proche des lieux d’habitation, avec des
possibilités pour les entreprises de finaliser des accords d’utilisation. Le mangement doit jouer sur
la responsabilisation et la confiance données au salarié qui est le seul à connaître ses choix les plus
appropriés. Le manager, par ses échanges, peut définir d’un commun accord ce cadre de façon à ce
que le salarié puisse faire ses choix en se sentant soutenu dans un climat de pleine confiance avec
son manager. En effet ce qui est important c’est l’objectif, le but et pas le chemin pour y arriver. On
retombe sur les basique du management : l’écoute, le sens, l’objectif et les moyens pour y arriver.
La confiance fait le reste. Mais avec ces deux composantes, c’est une petite révolution qui est en
marche : elle doit être bien pilotée par les managers et les ressources humaines.

148 / Question(s) de Management ? / N°29 / Septembre 2020 © Éditions EMS


Covid-19 : Vigilance-Transition
Mohamed ZAHID, Président Directeur Général, Ménara Holding, Marrakech, Maroc
Pour le Groupe Ménara, et à l’instar de toute autre institution, la crise de la Covid-19 est un événement
inédit et historique qui nous a imposé de modifier et de repenser notre organisation interne pour une
meilleure agilité et adaptation à cette crise que nous pourrions qualifier d’accélérateur de changement
car nous avons une totale conviction qu’après la Covid-19, énormément de changements vont se pro-
duire et la situation ne sera pas comme avant. En effet, durant ces trois derniers mois, cette pandémie
nous a démontré la nécessité de ce que nos différentes filiales et structures migrent d’une gestion Top
down vers des modes de gestion de plus en plus horizontaux et transverses, plus décentralisées, plus
agiles et flexibles. La résultante de ce changement imposé est l’émergence de l’intelligence collective
au sein de notre groupe qui nous a apportés plus de sens et nous a permis de renforcer l’adhésion de
toutes nos composantes pour faire face aux nouveaux challenges et problèmes complexes générés par
la crise Covid-19 et auxquels nous étions directement exposés et confrontés. Depuis le 20 mars dernier
notre groupe fonctionne en majorité avec des collaborateurs confinés chez eux. Le dit confinement qui
nous a donné l’occasion de réfléchir sur comment travailler autrement, et comment continuer à produire
et également à protéger l’indépendance des travailleurs en maintenant la solidarité et l’unité. Tout ça a
suscité le renforcement des canaux rapides et performants de communication (le digital et l’informa-
tionnel) et le travail en équipe très collaboratif. Par conséquent, nous avons pu mobiliser et solliciter nos
collaborateurs pour davantage d’engagement et de coopération tout en protégeant au maximum leur
indépendance et en maintenant la solidarité et l’unité à travers le renforcement du pacte de confiance
existant autour de la culture enracinée du Groupe qui incarne des valeurs fortes et fédératrices pour tous
les collaborateurs et aussi les parties prenantes en prenant en considération notre sphère d’influence
au niveau de notre écosystème. C’est ainsi, que nous pouvons dire que ces différents changements
induits par la crise Covid-19 nous ont permis, malgré leurs caractère accéléré et bouleversant, d’agir
positivement sur deux aspects liés à l’organisation interne : d’une part au niveau de nos collaborateurs
à travers l’augmentation de leur autonomie illustrée par une responsabilisation accrue leur permettant
de prendre des initiatives pour innover et gérer les situations difficiles, et d’autre part sur le style de
management à adopter dans ce contexte de crise au niveau de nos différentes filiales en les rendant
plus agiles à travers ces nouveaux modes de management ajustés pour mieux répondre aux exigences
de flexibilité souhaitées par les clients et les parties prenantes en général.

Les écoles de commerce face à la transformation digitale


Romain ZERBIB, Enseignant-chercheur HDR au Lara/ICD Business School, Rédacteur en Chef
Adjoint, La Revue des Sciences de Gestion
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La volonté d’engager une diffusion massive des cours en ligne est dans l’esprit de nombreuses écoles
qui ont découvert les vertus du distanciel avec l’épidémie de la Covid-19. Et pour cause, un module on-
line peut-être reproduit à l’infini, partout et dans toutes les langues. Le fait de passer d’une logique dite
traditionnelle, qui consiste à délivrer les enseignements dans une salle de classe, à un modèle de plate-
forme où la quasi-totalité des modules sont accessibles et consommés en ligne, implique cependant un
basculement vers un autre secteur stratégique. Les concurrents directs ne représentent en effet plus
uniquement les traditionnels homologues (généralement cités dans le classement FT des meilleures
écoles), mais un ensemble de plateformes qui délivrent des contenus, y compris gratuitement. Les
meilleures universités américaines (Harvard, Columbia ou encore Yale) ont par exemple récemment
mis en ligne 450 cours et formations en open access. Mieux vaut avoir à l’esprit ce type d’initiative
avant d’engager une démarche analogue… mais payante. Nous pourrions en outre évoquer LinkedIn
Learning qui fort d’une communauté de 660 millions de membres, appuyée sur un dispositif algorith-
mique sophistiqué, est en mesure d’adresser du contenu adapté à un public qualifié. Si l’audience, la
data et l’algorithme deviennent les éléments pivot de ce nouvel environnement concurrentiel, comment
composer avec les GAFAM ? Une transformation irréfléchie est en effet susceptible de produire un
déplacement involontaire du cœur de métier, une mutation du paysage concurrentiel et un choc éven-
tuel contre les acteurs de la Silicon Valley. La transformation digitale est une démarche puissante, à
même de propulser l’entreprise dans un ailleurs stratégique, mieux vaut en conséquence s’y préparer…

© Éditions EMS Question(s) de Management ? / N°29 / Septembre 2020 / 149

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