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Comprenez que des gens dormaient là, et que ça a fini par gêner les habitants
de l’immeuble attenant. Je les voyais déjà, il y a quelques années, quand
j’habitais le quartier. Des familles qui tentaient de trouver le sommeil sur des
matelas de récupération, à quelques mètres de la contre-allée de l’avenue
Billières. A peine cachées du regard des passants, dans un renfoncement quelconque,
qui offrait, à défaut d’autre chose, un abri contre la pluie et le vent. A quelques
mètres de là, des boutiques un peu chic, mais aussi un centre social, désormais
fermé, et dont l’accès est à présent bloqué par des blocs de béton. Seuls témoins :
ces pochoirs, au sol, qui soulignent qu’on ne fait que pousser la misère plus loin,
sans résoudre le problème. Triste politique de la ville.
Et c’est à quelques rues de ces immeubles que réside Mix’Art depuis 2005. Un
lieu aujourd’hui menacé, après avoir été frappé par une fermeture administrative.
Une décision qui arrive au pire moment pour nous, mais au meilleur, de leur point
de vue, à savoir en plein couvre-feu. Un nouveau coup de couteau dans dos, après la
destruction du Bleu-Bleu, après la procédure d’éviction judiciaire envers le
Pavillon Mazar, après l’expulsion du DAL31 et de la Fondation Abbé Pierre de leurs
locaux de l’hôpital Lagrave. Une série d’événements, qui, selon la mairie, n’est
due qu’au hasard… Mais là, ça fait quand même beaucoup de hasards, vous ne trouvez
pas, monsieur le Maire ? Pourquoi fermer Mix’Art maintenant ? Ils n’ont jamais été
aux normes, et ils ne s’en sont jamais cachés. Ils ont toujours demandé à la Mairie
ce qui allait être fait pour pallier à ce problème. Même si on peut imaginer que le
dialogue n’a jamais dû être simple, car ce sont deux mondes tout à fait différents
qui se rencontrent. Au final, lettre morte. On est en train de perdre un des
derniers lieux alternatifs de Toulouse, tandis qu’il devient de plus en plus
compliqué de se mobiliser… Toutefois, le succès des manifestations impulsées par
l’association qui gère encore les lieux semble montrer qu’à ce niveau-là, au moins,
tout reste possible. Et qu’on avait peut-être juste besoin d’un électrochoc de ce
genre pour avoir envie de descendre dans les rues, histoire de montrer que le monde
que l’on défend existe encore.
UN QUAI DE DECHARGEMENT
Ce vaste hangar de la rue Ferdinand Lassalle, c’est là que je les ai connus.
La première chose que l’on voit en arrivant, c’est un quai de déchargement. Un quai
pour décharger sa colère et sa joie, mais aussi pour se recharger. C’était quand,
ma première fois, à Myrys ? Je pense me souvenir des gens avec qui j’y suis allé la
première fois, mais pas de ce que j’ai vu là-bas, en terme d’expositions ou de
concerts. Etrangement, je n’en garde pas de souvenir particulier… Mais ça ne fait
rien : Myrys, c’est avant tout les gens. Entrer dans ce lieu, c’est goûter à
quelque chose de nouveau. Je regrette d’être peut-être passé devant leur fief de la
rue de Metz sans m’arrêter, et d’avoir été trop jeune pour avoir eu la chance de
voir à quoi ressemblait leur première repaire, à la Patte d’Oie. Mais c’est comme
ça, je suppose. Et l’histoire doit s’écrire au présent.
J’ai toujours aimé les lieux à l’abandon, ces lieux que l’on oublie. J’ai
grandi avec ces friches, à Toulouse et aux alentours : j’y allais avec mon petit
argentique à pas cher, à la fin des années 90, en quête de murs à immortaliser.
J’ai plus tard exploré des usines désaffectées pour en recouvrir les murs avec des
amis. Même si je ne skate plus beaucoup (et sans grand talent, pour ne rien
arranger), je suis allé rouler dans ces skateparks construits sans autorisation :
Chez Claude, construit il y a maintenant des années dans l’ancienne usine
Caterpillar de l’Ormeau (un spot découvert tout à fait par hasard, en allant
graffer), puis la Digue, petit joyau d’ingéniosité populaire caché entre les rives
de l’Hers, au nord de la ville. Aller dans ces endroits, ce n’est pas anodin. Ca a
un peu de sens. Et y construire quelque chose de ses mains, à plus forte raison. Un
peu de débrouille, une pincée de liberté, et des sacs de ciment. Ca aussi, c’est
l’esprit de la Friche.
La suite pour Mix’Art ? Rester là, aller ailleurs ? L’idéal serait bien sûr
qu’ils retrouvent une implantation plus proche du centre. Un lieu auquel les gens
pourraient accéder avec plus de facilité. On a jadis évoqué l’ancienne prison
Saint-Michel, à l’abandon depuis une éternité, ou les halles de la Cartoucherie…
Ils ont besoin de cette ouverture sur la ville pour mettre en lumière leurs
actions, qui ont toujours été tournées sur l’extérieur, mues par l’envie de faire
participer les gens, en leur montrant qu’ils n’ont besoin de personne pour faire
exister ce dont ils rêvent, afin de rester au coeur des luttes culturelles et
sociales qui ont nourri l’esprit du collectif depuis les premiers jours. Occupation
légale, occupation illégale ? Qu’importe, au final. Mix’Art est un dragon, et les
dragons ne meurent jamais vraiment. Leur force et leur beauté vivra toujours
quelque part en nous.
LE MOT DE LA FIN
A l’aveugle j’ai zoné, car j’ai la passion des dédales
Et souvent j’ai marché vers la rue Ferdinand Lassalle
Car j’aime la rouille, j’aime que les fleurs brisent le béton
J’aime avoir la trouille et j’aime les cabanes en carton
Ce texte (un peu long, j’en conviens) avait été ébauché plusieurs mois avant
l’annonce de la fermeture administrative de Mix’Art, alors qu’on était déjà en
confinement, sous une forme ou une autre. Je m’y étais attelé sans trop savoir
quelle direction lui donner, ni comment le finir. Je m’y suis remis en janvier
2021, et là, le texte s’est plus ou moins bouclé tout seul, vu la situation. Ca
vaut ce que ça vaut, et ça ne reflète que mon point de vue, mais je tenais à
partager ces quelques pensées avec les gens qui pourraient s’y reconnaître, si cela
peut leur donner un peu de force, et un peu d’inspiration.