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Définition de la concentration
« La fixation de l’activité mentale sur un lieu circonscrit
est la concentration », nous dit Patanjali (Yoga-sûtras, III, 1).
L’amalgame de ces termes implique donc quelque chose de
plus qu’un simple exercice d’attention. C’est avec détermi-
nation, volonté de connaissance que l’on doit pointer sa pen-
sée sur un seul objet, qu’il s’agisse, comme nous le précise le
commentateur Vyâsa, d’un endroit du corps (nombril, cœur,
lumière visualisée dans la tête, bout du nez, bout de la lan-
gue) ou d’une forme extérieure au corps (image d’une déité
par exemple). Et la nécessité de cette pratique s’impose par la
constatation du caractère agité, incohérent, volatil du mental,
lieu où se bousculent pêle-mêle les désirs, les souvenirs, les
projets, les pulsions et les fantasmes de l’homme (puisque la
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Rites et pratiques
Les simples curieux vont vite être dépassés par les difficul-
tés du rituel qui nécessite, au préalable, certaines qualités qui
ne sont pas données à tout le monde, dont une grande sen-
sibilité à l’aspect énergétique de l’univers, puisque tout vient
de la Nature, de la shakti, qui sommeille dans le corps du tan-
trika. Celui-ci devra donc utiliser ses désirs, ses émotions, pour
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1. « Quel est donc ce Soi (âtman) ? – C’est cet Être infini (purusha) qui s’identi-
fie avec l’intellect et qui réside au milieu des organes – c’est cette Lumière qui brille
au-dedans du cœur » (Brihad-âranyaka-up., IV, III, 7). « Dans ce séjour de Brahman
est un petit lotus, une demeure dans laquelle est une petite cavité occupée par
l’Ether (âkâsha) ; on doit rechercher Ce qui est dans ce lieu et on Le connaîtra »
(Chândogya-up., VIII, I, 1). « Brahman est réalité, connaissance, infinitude. Celui
qui sait qu’il est caché dans le creux (du cœur) et au suprême firmament, il réalise
tous ses désirs avec le sage Brahman » (Taittirîya-up. II, 1). Pour ce qui est des upa-
nishads plus récentes, on pourrait multiplier des citations analogues.
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1. Le mental est composé de quatre facultés principales : raison, mémoire, vo-
lition et imagination (passive, à distinguer de bhâvanâ). Par aucune de ces quatre
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facultés, ni par leur conjugaison, il n’est possible d’atteindre l’Éveil. Mais, une
fois l’Éveil obtenu, on « réalise » que le mental aussi est dans Shiva puisque tout,
absolument tout est dans la Conscience. Dès lors la pensée est perçue comme une
forme, une manifestation de la Conscience, et elle cesse d’être une entrave. Il
faut noter d’ailleurs que la « mise à mort du manas dans le cœur » (qui est un des
« trois joyaux » tantriques) n’implique pas la cessation définitive de toute activité
mentale. Ce qui est brisé, « tué », c’est la relation entre l’ego et la pensée. Il reste
une pensée mais il n’y a plus de « penseur ».
1. La principale différence peut-être entre les deux « non-dualismes », celui
du védânta et celui du Trika, tient à la conception de la liberté. Le vedântin pense
essentiellement à « se libérer », à être « libre de » (en anglais freedom from) et il met
pour cela l’accent sur la renonciation, l’élimination, l’isolement. L’approche du
Cachemire est, elle, englobante, elle n’exclut rien. C’est être « libre de » mais en
un sens positif : « libre de faire » (freedom to). Pour une comparaison approfondie
entre les deux doctrines, nous conseillons un excellent livre écrit par un Indien, L.
N. Sharma : Kashmir Saivism, Ed. Bharatiya Vidya Prakashan, U. B. Jawahar Nagar,
Bungalow Road, Delhi 110007.
2. Tantrâloka IV, 273-275. Trad. Lilian Silburn.
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1. Traduit et cité par Lilian Silburn dans sa préface au Vijñâna-Bhairava, op. cit.,
p. 39-40.
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pas non plus comme une limite. Le Soi est à la fois être et non-être, et par-delà être
et non-être, par-delà plénitude et vacuité.
1. La meilleure approche contemporaine de cette voie fut donnée par Jean
Klein, un des très rares Occidentaux à avoir reçu en Inde la double tradition de
l’advaita-védânta et de l’ancien yoga du Cachemire.
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Manas
Ce n’est pas un hasard si, dans tant de langues, une même
racine man ou men a servi à former de nombreux mots qui
désignent à la fois le « mental » et l’homme lui-même (et aussi
la Lune, astre qui « réfléchit » la lumière du Soleil). Le mental
ou la pensée en mode discursif et formel est en effet ce qui
constitue l’homme en tant que tel, ce qui le distingue des ani-
maux, d’une part, et des dieux (un chrétien dirait peut-être des
anges), d’autre part : les premiers fonctionnant sur un mode
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Prâna
Si la notion de manas inclut toute l’activité psychique de
l’homme, tant consciente qu’inconsciente, le concept de prâna
n’est pas moins riche, englobant non seulement la fonction
respiratoire mais toutes les autres fonctions vitales. En sanskrit,
celles-ci sont appelées vâyus, littéralement « vents ». Il existe
cinq vâyus principaux correspondant, pour abréger, à l’absorp-
tion de l’air et de la nourriture, à l’élimination des déchets, à
la digestion, à la circulation sanguine, à l’expression vocale ; et
un certain nombre de vâyus secondaires gouvernant des phé-
nomènes aussi divers que l’éternuement, la toux, le hoquet,
la bâillement, l’éructation, le cillement, la démangeaison, etc.
Comprenons que c’est de cet ensemble fonctionnel que le yogin
doit acquérir la conscience puis la maîtrise et non de la seule
respiration. Néanmoins celle-ci occupe une place privilégiée
parce qu’elle est la seule fonction vitale importante que l’étu-
diant puisse, dès le départ, diriger et modifier à volonté, du
moins jusqu’à un certain point. En outre elle nous donne
directement accès à notre corps subtil sur lequel nous devons
maintenant rappeler quelques notions, parfois oubliées.
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Vîrya
Selon la doctrine tantrique, la semence (shukra) existe sous
une forme subtile dans le corps entier. C’est sous l’aiguillon
du désir sexuel que cette substance omniprésente se retire et
s’élabore dans les organes génitaux en liquide séminal gros-
sier. Avec la pratique intense de prânâyâma, dit-on, le sperme
se tarit. La puissance séminale « s’élève », « s’écoule vers le
haut », redevient « nectar d’immortalité » (amrita) : il s’agit là
d’une opération réelle, entraînant d’immenses modifications
dans l’être corporel et subtil, et non d’une simple « sublima-
tion » idéale inspirée par une morale plus ou moins puritaine.
On appelle urdhvaretas le yogin non seulement capable d’em-
pêcher l’éjaculation de la semence grossière déjà formée mais
d’empêcher cette formation dans son organisme. On peut dire
d’un tel homme qu’il est paradoxalement à la fois « chaste » et
« viril », au sens supérieur, et que même il est le seul être doué
de ces deux vertus opposées en apparence.
Vîrya, on le voit donc, connote une virilité d’ordre psychi-
que et même spirituel beaucoup plus que corporel. Économiser
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Désarroi, stupeur !
Je n’ai pas trouvé le monarque
Sa chambre était vide
Rien
sauf un miroir brisé
Peut-être est-il mort depuis longtemps
Peut-être n’a-t-il jamais existé
À qui donc obéissaient les gardiens ?
Triple sot !
Tu as retrouvé ton royaume
et tu poses encore des questions !
Ne poursuis pas ton ombre
Ouvre grandes les portes
Déjà sous la caresse de l’aube
la nuit s’entrouvre et frémit
Congédie tes soldats
Transforme tes gardiens en gazelles
et réunis les femmes
s’il en reste
dans l’aurore vibrante d’oiseaux
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1. À cet égard – et sans vouloir froisser personne – on peut dire que le Tantra
est un peu au Veda ce que le Nouveau Testament est – du point de vue chrétien – à
l’Ancien. Mais bien sûr sa vocation universaliste, aujourd’hui indéniable (notre
époque entière est « tantrique », quoique sur un mode passif, inconscient et tour-
menté), n’est pas de la même nature que celle du christianisme et ne devrait jamais
prendre un tour missionnaire. On ne se convertit pas au tantrisme car, répétons-le,
c’est une voie initiatique, non une religion. L’incompatibilité n’est pas fatale, il faut
seulement savoir à quel niveau on se situe. Au Bengale, on trouve des Baûls mu-
sulmans qui pratiquent le tantrisme sans cesser d’être musulmans ; le soufisme du
Cachemire a été également très imprégné de tantrisme. En milieu chrétien – nous
songeons ici à l’Occident – il y a davantage de réticence et de crispation, tant la
peur du « syncrétisme » reste forte. On devrait pourtant se souvenir qu’au Moyen
Age, et même après, il y a eu d’excellents chrétiens qui pratiquaient l’alchimie, –
or la tradition hermétique, sous sa forme intégrale, est certainement ce qui chez
nous est le moins éloigné du tantrisme, et spécialement du shâktisme.
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1. « O Gautama, la femme est le feu (du sacrifice), son sexe est le bois, sa toison
est la fumée, le vagin est la flamme, la pénétration est le charbon, la jouissance
est l’étincelle ; en elle les dieux offrent la semence ; et de cette oblation le purusha
est né » (Brihadâranyaka-upanishad 6, 2, 13 et, en termes voisins, Chhândogya-up.
5, 8, 1-2). « Brahman est présent dans l’organe sexuel en tant que reproduction,
immortalité et joie » (Taittirîya-up., 10, 2, 3). On constate aussi que dans le brah-
manisme hindouisant et théiste cette conscience sacrée du sexe perdure : cf. Bha-
gavad-Gîtâ : « Je suis l’eros dans ce qui procrée » (10, 28) ; « Dans les êtres je suis
le désir qui n’est pas contraire au dharma » (7, 11). Le Bhâgavata-Purâna (4, 11, 22)
voit dans le désir sexuel la manifestation de Dieu. Le puritanisme est relativement
récent dans l’hindouisme et nous le croyons contraire au génie de cette religion.
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1. Si nous spécifions « à celles », c’est que cette voie est éminemment ouverte
aux femmes, à la différence du Védânta (traditionnel) réservé aux mâles « deux
fois nés ». Et il ne s’agit pas d’une participation décorative, esthétique ou subor-
donnée. Il existe (ou il a existé) dans certains courants des lignées de maîtres fémi-
nins et des traditions d’initiations conférées aux hommes par les femmes. Abhina-
vagupta assure que les femmes réussissent plus facilement et plus rapidement que
les hommes dans la voie tantrique, car elles possèdent une énergie spirituelle plus
puissante, elles sont l’Énergie.
2. On pourrait objecter à cela que certains éléments tantriques subsistent dans
le Shingon-shû. Néanmoins on ne saurait parler d’un véritable tantrisme japonais
qu’à propos de la branche Tachikawa de cette secte fondée par Ninkan (xiie s.), qui
avait étudié la « Voie du yin et du yang » (onmyô-dô), proche du taoïsme, et dont la
doctrine fut reprise par Monkan (1278-1357) et Enkan (1281-1356). Malheureu-
sement ces enseignements ne nous sont connus que par les réfutations du Tendai
orthodoxe, car le mouvement Tachikawa fut durement réprimé à l’époque Edo.
Il semble que ses adeptes pratiquaient des rites sexuels sous l’égide de Matara-jin,
divinité d’origine indienne, et soutenaient que l’« obtention en ce corps de l’état
de Buddha » devait être réalisée par l’union des deux mandala (jap. mandara) que
sont le corps masculin (mandala du Plan de diamant) et le corps féminin (man-
dala du Plan de la matrice). – Quant au bouddhisme tantrique chinois (mijiao), il
fut répandu dans le milieu impérial des Tang par le moine indien Amoghavajra
(Bukong) dans la deuxième moitié du viiie s., mais il ne « prit » jamais vraiment
en Chine, sans doute à cause de la concurrence du taoïsme. En revanche le mijiao
pénétra plus tard au Tibet et joua un rôle certain dans la formation de ce qu’on
appelle improprement le « lamaïsme ».
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1. Le bouddhisme tantrique est on ne peut plus explicite à cet égard : il est
vain, affirme-t-il, de recourir à la technique (upâya) si celle-ci n’est pas soutenue
par la connaissance (prajñâ) et vice versa. Les quatre étapes que distingue le Vé-
dânta restent valables pour le tantrisme : d’abord écouter un Maître déjà réalisé ;
ensuite réfléchir sur l’enseignement afin d’éliminer les doutes ; méditer ce qu’on a
compris intellectuellement mais en abandonnant le raisonnement, l’analyse et les
mots (laisser mûrir la compréhension dans le silence) ; enfin réaliser l’Expérience
non duelle (cette dernière étape est abrupte et spontanée alors que les trois pré-
cédentes sont progressives et volontaires). Abhinavagupta souligne en outre la
nécessité de vaincre à la fois l’ignorance intellectuelle (bauddha ajñâna), par l’étude
des Écritures sous la direction du guru, et l’ignorance « existentielle » (paurusha
ajñâna, c’est-à-dire impliquant le purusha, la personne entière), ce qui n’est gé-
néralement possible que par l’initiation (dîkshâ) et un sâdhana approprié, menant
à la « Reconnaissance » (pratyabhijñâ) de notre nature véritable, Shiva. Le maî-
tre du Cachemire admet cependant (Tantrâloka 13, 150) que l’on puisse attein-
dre l’illumination par soi-même, sans l’aide d’un guru (sâmsiddhika-jñâna). Ce cas
n’est pas si rare dans l’hindouisme (Ramana Maharshi et Aurobindo en sont des
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exemples assez récents). Il est attesté également dans le bouddhisme (le Buddha
lui-même atteignit l’Éveil par son seul effort et on lui prête des paroles telles que
« Soyez votre propre lampe » ou « Ne prenez pas refuge auprès des autres ». Dans
le bouddhisme tibétain on insiste davantage sur la nécessité du Maître et sur les
« initiations » mais sans donner à ce mot tout à fait le même sens que dans le
tantrisme hindou).
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1. Dans le symbole du miroir, cher aux shivaïtes (et aussi aux bouddhistes tan-
triques), Shiva est à la fois l’archétype devant le miroir et le miroir où il se reflète.
Le reflet tire toute sa réalité de l’archétype mais celui-ci existe indépendamment
de son reflet et n’est pas affecté par ce qui arrive au reflet (à supposer qu’une
pierre vienne frapper le reflet, le modèle n’en sera pas blessé). De plus, le miroir
peut refléter simultanément les formes les plus diverses sans en être modifié. Il
faut remarquer enfin que l’image est inversée par rapport au sujet (le monde est un
reflet inversé de Shiva). – Un symbole voisin est celui du cristal qui prend l’appa-
rence de multiples couleurs tout en restant un. De même Shiva prend l’apparence
des dieux, des hommes, des animaux, des arbres, etc., tout en demeurant inaltéré
et « sans forme ».
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1. Il y a cependant là une équivoque car les vedântins ne croient pas davantage
en l’âtman en tant qu’âme individuelle permanente : une telle âme n’a une exis-
tence – et encore sur un mode illusoire, « fonctionnel » en quelque sorte – que
jusqu’à la Délivrance (mokska), laquelle consiste justement à prendre conscience
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que cette âme n’existait pas séparément du Tout. Trop souvent les bouddhistes
donnent au terme hindouiste âtman le sens d’individualité ou d’ego, ce qui est non
seulement restrictif mais erroné. Ils ne se demandent pas assez non plus qui nie le
Soi. « Celui qui nie le Soi, ce négateur lui-même est le Soi » (Sârîraka-bhâshya 1, 1,
4). On n’est pas fondé à dire que les choses « changent » ou « deviennent » si l’on
n’admet pas un être immobile. Et inversement celui-ci ne peut prendre conscience
de soi (de sa propre immutabilité) que si les choses bougent autour de lui. Toute
métaphysique intégrale doit donc inclure l’être et le devenir, sans nier l’un pour
exalter l’autre.
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1. Il est vrai qu’au Kerala ou en Assam, terres fortement marquées de shâk-
tisme, les traditions matriarcales sont puissantes et un rôle actif est volontiers
reconnu à la femme dans la relation amoureuse. Mais des formes matriarcales
(parfois doublées de polyandrie) sont attestées également parmi les populations
himalayennes bouddhistes. Un bon connaisseur du tantrisme, Kamalakar Mishra,
(Kashmir Saivism, Rudra Press, 1993), propose de son côté l’explication suivante,
un peu « simplette » : « Des deux parents d’un enfant, le père est associé à la
raison ou à l’intellect qui guide, discipline, réprimande, etc., les enfants, tandis
que la mère est fondamentalement conçue comme tout amour et affection envers
ceux-ci. Aussi la mère est-elle associée au cœur, qui est le siège des émotions et
sentiments. Il est évident que le pouvoir d’agir provient des émotions, le cœur, et
non de la raison, la tête. La raison ou l’intellect contrôle l’activité, mais l’activité
réelle découle de l’aspect émotionnel de la personnalité. Ainsi peut-on compren-
dre pourquoi la mère ou la femme, la personne du cœur, est devenue le symbole
de la Shakti. »
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1. Ce qui n’exclut pas, bien entendu, qu’il ait pu se produire des déviations au
sein des écoles de la « Main gauche » en Inde comme au Tibet, mais cela ne remet
pas en question la légitimité de la voie, pas plus que le fait que certains alchimis-
tes se soient épuisés à fabriquer de l’or matériel ne frappe de nullité la tradition
hermétique. Même une secte extrémiste comme celle des Aghorîs (qui utilise des
substances « objectivement » très impures) n’est pas illégitime d’un point de vue
tantrique. Elle est excessive si l’on veut, répulsive même, mais ne relève ni du
« satanisme » ni de la « contre-initiation ». En revanche certains mouvements ré-
cents, « néo-tantriques » ou « pseudo-tantriques », sous leur aspect plus anodin
nous semblent plus condamnables, d’une part parce qu’ils admettent n’importe
qui dans leurs pratiques (les pashu ou « bêtes » qu’excluaient les anciennes ini-
tiations) et d’autre part parce qu’ils réduisent l’enseignement à ce qu’il n’a jamais
été : un hédonisme doucereux dénué de toute transcendance. Une telle doctrine,
si l’on peut même ici parler de doctrine, n’a aucun fondement ni dans les tantras
hindous ni dans les tantras bouddhistes. Le Kulârnava-tantra (2, 119) nous avertit
non sans ironie : « Si en ayant simplement un rapport sexuel avec une femme on
pouvait être libéré, alors toutes les créatures de ce monde seraient libérées (mukta)
par l’acte sexuel. » Et le Hevajra-tantra, un des plus anciens et importants tantras
bouddhistes, affirme qu’on ne doit pas pratiquer l’union (maithuna) pour y trou-
ver du plaisir. « Les sens, précise-t-il, peuvent être cultivés lorsqu’ils sont rendus
inoffensifs par la purification. »
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1. Cela explique que, sur un plan empirique et humain, les tântrika, même
réalisés, gardent une « personnalité » haute en couleur, voire extravagante, loin
de l’image conventionnelle du « sage » (les légendes concernant les 84 siddha en
offrent de multiples exemples savoureux). L’un peut paraître terriblement colé-
reux, l’autre aimer outrancièrement le vin ou les femmes, etc. Si presque tous les
grands vedântins sont des brahmanes, on cite parmi les « saints tantriques » des
vagabonds, des mendiants, des danseuses, des prostituées, des brigands, des arti-
sans, des rois et même un dalaï-lama…
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1. Le livre Aghora de Robert E. Svoboda (Éditions du Relié, 1997), dont nous
avons rendu compte dans le n° 57-58-59 de la revue Connaissance des Religions,
fournit à cet égard des informations intéressantes et authentiques, malgré une
certaine « mousse » romanesque.
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1. Peut-être aussi nous reprochera-t-on d’avoir fait la part trop belle au cou-
rant de la « Main gauche » et d’avoir trop amalgamé shivaïsme et shâktisme. Nous
n’ignorons pas qu’il existe une tradition shâkta originale, métaphysiquement et
opérativement très remarquable (l’école Shrîvidyâ ou Samayâcâra), qui, elle, se
veut « védique » et refuse les rites kaula, mais son étude aurait entraîné des déve-
loppements qui n’avaient pas leur place ici.
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1. Il ne semble pas qu’il y ait eu, dans le Paris de la Belle Époque, d’équiva-
lent pour l’hindouisme de ce que furent, par exemple, Pouvourville-Matgioi pour
le taoïsme et Aguéli-Abdul Hâdi pour le soufisme : des Européens capables de
transmettre un enseignement oriental, limité peut-être mais authentique, et une
initiation régulière.
2. P. Chacornac, op. cit., p. 42.
3. P. 197 de René Guénon et l’actualité de la pensée traditionnelle, « Actes du collo-
que international de Cerisy-la-Salle : 13-20 juillet 1973 », Ed. du Baucens, 1977.
Vreede ajoute ce commentaire fort pertinent qui devrait faire réfléchir ceux des
guénoniens qui ont une conception trop ritualiste et figée de l’initiation : « Com-
me Guénon n’était jamais allé en Inde, il n’a pu constater sur place la multiplicité
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et la diversité des modes d’initiation aussi authentiques que celui qu’il avait connu
lui-même : le mode d’initiation propre aux brâhmanes orthodoxes. C’est pour cela
qu’il a tant insisté sur la nécessité pour le disciple d’être rattaché à une organisa-
tion traditionnelle. Plus tard, un jour que nous en reparlions, il reconnut de bonne
grâce la valeur restreinte de son insistance sur ce point. » Il me semble également
que le schéma guénonien de l’initiation, valable pour l’Occident et pour l’Islam, ne
s’applique pas tout à fait à l’extraordinaire richesse du monde hindou.
1. P. Chacornac, op. cit., p. 74.
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1. Mais on peut aussi contester son appréciation des Chinois, « le peuple le
plus profondément pacifique qui existe » (Orient et Occident, Guy Trédaniel, 1987,
p. 1O3) et estimer que, de façon générale, il a surévalué la capacité de résistance
de l’Orient traditionnel au modernisme occidental.
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1. Études sur l’hindouisme, chap. III et VII. Guénon dissipe la confusion fréquen-
te entre tantrisme et magie ; reconnaissant celle-ci comme une science tradition-
nelle authentique, il lui refuse nonobstant toute qualité initiatique. Cependant
comment a-t-il pu nier que la magie joue un rôle important dans le quatrième
Vêda ?
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1. Les objections que nous prêtons à notre « Hindou à l’esprit ouvert » (aussi
hypothétique et imaginaire, nous le reconnaissons, que le « Persan » de Montes-
quieu) peuvent paraître contredire l’appréciation très élogieuse portée sur Guénon
par les pandits de Bénarès (voir note 7). Mais ceux-ci, que fréquenta Alain Danié-
lou, forment une élite très particulière. Il vaudrait aujourd’hui de leur poser une
semblable question. Rappelons aussi la phrase de Ramana Maharshi : « La réincar-
nation existe aussi longtemps que l’ignorance existe. » C’est un thème fréquent de
l’hindouisme qu’une chose peut être vraie à un certain niveau de la conscience et
cesser de l’être à un niveau supérieur. René Allar a écrit assez justement : « Il y a
réincarnation du point de vue empirique, transmigration du point de vue théolo-
gique et ni l’une ni l’autre du point de vue métaphysique. »
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1. C’est la même aversion qui le fit se méprendre sur Jung. Partant du principe
que toute la psychanalyse est diabolique et contre-initiatique, Guénon n’a pas vu
que le rôle (providentiel ?) de Jung avait été, non pas de tirer l’homme encore plus
bas, de l’« enfoncer » encore plus que ne l’avait fait Freud, mais au contraire de
limiter les dégâts, d’opérer un certain redressement en sauvant de la méthode ce
qui méritait de l’être et en la débarrassant de ses opacités et de ses obsessions les
plus vénéneuses. Qu’il n’ait pas été suivi ou bien compris est une autre affaire mais
c’est son mérite d’avoir tenté – quoique trop timidement car il n’osait s’affranchir
de son milieu – de réorienter le « psychique » vers le « spirituel ». Il est vrai que
Guénon n’a pu connaître ses écrits les plus intéressants, ce « dernier Jung » alchi-
mique et catholique.
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1. Tous deux disparurent en 1950 et Guénon (dont on sait qu’il naquit l’année
de la mort de Râmakrishna) les suivit de très près. On ne peut nier la valeur de
certains maîtres hindous plus récents (par exemple Shri Nisagardatta Maharaj ou
W.L. Poonja) mais ils se situent, pour parler vite, dans la lignée « néo-védantine »
de Ramana Maharshi, en y ajoutant une certaine tendance « psychologisante »
(et même franchement « psychanalysante » chez un Swami Prajnanpad). Ces mo-
dernes gurus, comme beaucoup de lamas tibétains, répondent moins à un besoin
doctrinal qu’à une angoisse existentielle, plus térébrante encore aujourd’hui qu’il
y a cinquante ans, et il est frappant que même la méditation soit utilisée désormais
dans un but thérapeutique, alors qu’on n’y accédait pas autrefois avant que le
« mental » ne fût complètement purifié.
2. On ne veut pas diminuer ici l’apport de Frithjof Schuon, de Julius Evola ou
de A.K. Coomaraswamy (qui fut peut-être le vrai « frère spirituel » de Guénon)
mais, d’une part, tous lui doivent immensément et, d’autre part, aucun n’a eu un
sens métaphysique aussi pur et une connaissance aussi vaste de la Science sacrée.
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1. Qualifier René Guénon (comme l’a fait, par une gratitude compréhensible,
Michel Vâlsan) de « Boussole infaillible » et de « Cuirasse impénétrable » n’est
peut-être pas la meilleure manière de servir sa mémoire. De telles expressions
tendent à accentuer l’aspect défensif et fermé d’une œuvre qui est assez forte pour
supporter la critique et qui, quand on la lit bien, est beaucoup plus ouverte et
nuancée qu’on ne le dit.
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1. Dire que Shankara n’a attaqué que les formes dégénérées du bouddhisme et
jamais le Bouddha lui-même est inexact. Malheureusement, il a accusé Shâkya-
muni de s’être adonné au « délire » et d’avoir eu du « dédain pour les créatures »,
ce qui est un comble quand on connaît la compassion universelle de l’Éveillé. Cf.
Maître Shankara, Discours sur le bouddhisme, traduction, présentation et notes par
Prithwindra Mukherjee, Guy Trédaniel, 1985.
2. Dans la première édition de Autorité spirituelle et pouvoir temporel (1929), il
emploie même l’expression « révolution antibrâhmanique et antitraditionnelle »
(cité dans B. Hapel, René Guénon et l’esprit de l’Inde, p. 142°). À ses yeux, le boudd-
hisme n’est pas seulement « révolutionnaire » mais « véritablement anarchique »,
de par sa négation absolue des castes (ibid., p. 139).
3. Dans cette même édition originale d’ASPT, Guénon consacre tout un pas-
sage (qu’il fera bien de supprimer dans la seconde édition de 1947) à ce « paral-
lèle » entre deux doctrines « ayant le même caractère négatif et antitraditionnel ».
« Le Protestantisme, écrit-il [nous respectons ses majuscules], fut surtout l’œuvre
des princes et des souverains, qui l’utilisèrent à des fins politiques, et sans lesquels
[…] il n’aurait sans doute eu qu’une importance fort limitée ; il supprime le clergé,
comme le Bouddhisme rejette l’autorité des Brâhmanes ; ses tendances indivi-
dualistes, qui préparaient la voie aux conceptions démocratiques et égalitaires,
représentent en cela l’équivalent de la négation des castes ; et il ne serait peut-être
pas très difficile de trouver encore d’autres points de comparaison. » Et il ajoute en
note : « Il y a lieu de noter cependant, sur un point important, une différence au
moins apparente : le Protestantisme maintient l’autorité de la Bible, tandis que le
Bouddhisme rejette celle du Vêda ; mais, en fait, il ruine cette autorité par le ‘libre
examen’, de sorte que cette différence est beaucoup plus théorique qu’effective. »
(B. Hapel, ibid., pp. 144-145).
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1. Peu importe aussi, lorsqu’on écoute la musique de Bach, de savoir qu’il était
protestant et donc appartenait à une tradition « hétérodoxe »…
2. Cette opinion paraîtra bien pessimiste à tous ceux qu’émerveille le fait que
certains pèlerinages hindous puissent encore rassembler des dizaines de millions
de personnes. Mais cette ferveur incontestable et spectaculaire n’empêche pas le
matérialisme pratique de « progresser » fortement en Inde et d’ailleurs on ne voit
pas, étant donné le contexte historique et « cyclique », comment il pourrait en
aller autrement.
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Lundi : Joie ! Pleurs de joie ! Je suis enfin fixé sur les ori-
gines du yoga. Cette découverte impromptue met fin aux
longues et âpres querelles qui ont déchiré le monde savant :
tenants d’une origine âryenne contre tenants d’une origine
dravidienne, sans oublier les aimables rigolos qui penchaient
pour l’Égypte, l’Iran, l’Atlantide ou l’étoile Aldébaran. Rien
de tout cela. Le yoga est nippon et date exactement de 1882
(après Jésus-Christ, non avant, comme vous seriez, à la limite,
prêts à l’accepter). Je tiens cette précision foudroyante d’une
dame venue prendre un cours de yoga avec moi. Je ne pus
réprimer une première expression dubitative qu’elle interpréta
comme un signe d’ignorance grave (un monsieur qui prétend
enseigner le yoga et ne sait même pas de quand ça date ni d’où
ça vient !). Devant mon ahurissement persistant et mon man-
que d’arguments qui devait me donner un air plus idiot que
d’ordinaire, elle m’assena la preuve fatale : elle l’avait entendu
la veille à la télévision dans l’émission « Qui veut gagner des
millions ? »
Après enquête, je découvris que la question de Jean-Pierre
Foucault portait non sur le yoga mais sur le judo : le judo fut
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Vous arrivez donc à une étape de votre vie où vous voyez un écueil à
travers ces pratiques de yoga qui ont donné naissance à toutes sortes de
techniques psychothérapeutiques et énergétiques. Ces pratiques attein-
draient-elles leurs propres limites par manque de profondeur ?
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Jean Klein reste donc pour vous la référence essentielle ? Vous consi-
dérez-vous comme un de ses continuateurs ?
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Douloureuse ?…
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Vous ne croyez donc pas à tous ces cours de Tantra qu’on trouve
maintenant à foison ? N’y a-t-il vraiment là rien d’intéressant ni
d’authentique ?
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Mais si, j’y crois et c’est justement pour cela que je supporte
mal les caricatures. Je crois en la réalité, en l’authenticité de
toutes ces choses : voie de la main gauche, maithuna, kunda-
lini, etc. Ce dont je doute, c’est de la possibilité de les pratiquer
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Voulez-vous dire que, pour aborder ces voies difficiles, nous man-
quons surtout de patience ?
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Pour le stage que vous nous proposez en été, vous avez choisi cette
appellation : « Plénitude et vacuité dans l’advaita-yoga ». Pouvez-vous
un peu préciser ces termes ?
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1. Virgile (Géorgiques II. 489). « Heureux celui qui a su pénétrer les causes
cachées des choses. »
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Jean Papin,
septembre 2009
Merci aux revues qui sont à l’initiative des textes publiés dans ce livre.
Infos Yoga
La revue à l’usage des aventuriers de l’âme.
Infos Yoga paraît au rythme de 5 numéros par an et est distri-
buée uniquement par abonnement.
La Haute Jambuère - 35320 Lalleu
www.infosyoga.info
Fidhy Infos
Publication périodique de la Fédération Inter enseignements de
Hatha Yoga, 3 fois par an. Source d’informations, de connais-
sances, de nouvelles du monde du yoga et lien entre les écoles,
les enseignants et leurs élèves adhérents.
Publication ponctuelle de dossiers hors-série
322 rue Saint Honoré - 75001 Paris
www.fidhy.fr
3e millénaire
La revue humaniste millénaire se donne comme premier
3e
objectif, depuis une vingtaine d’années, de dégager l’Essentiel
des grands courants de pensée et de sagesse philosophiques,
scientifiques ou traditionnels, en des dossiers réguliers sur un
niveau inédit et trop souvent méconnu.
Les Milléris - 89520 FONTENOY
www.revue3emillenaire.com
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Note de l’éditeur.................................................................7
1. Fragment d’« éveil » : Le chant de la licorne, n°29,
1er trimestre 1990...............................................................9
2. L’art de la concentration : Le chant de la licorne, n°31,
3e trimestre 1990................................................................15
3. Questions : Infos Yoga, n°38, juin-juillet 2002....................25
4. Le tantrisme : Actualité des Religions, n°15, avril 2000........29
5. Des yogis et des hommes : Infos Yoga, n°26, janvier 2000...39
6. La noble science des mudrâs : Tao Yin, n°13,
mars-avril 1999..................................................................43
7. Chakras et santé spirituelle : Tao Yin, n°14, juin 1999......49
8. Dormir dans les postures ? Infos Yoga, n°23, mai 1999......55
9. Hatha-yoga et tantrisme : Linga, n°46, septembre 1994...63
10. Approches : Infos Yoga, n°39, octobre 2002.......................67
11. Monsieur Klein : Infos Yoga, n°40, décembre 2002
(Partiellement extrait du Chemin des flammes, Éditions
Almora, 2008)....................................................................71
12. Le silence mental : Infos Yoga, n°41, février 2003..............75
13. Méditation sans objet : Infos Yoga, n°47, avril 2004...........79
14. Le cœur dans le shivaïsme tantrique du Cachemire :
Fidhy Infos, n°27, juillet 1999, et Connaissance des Religions,
n°57-58-59, janvier-septembre 1999.................................83
15. Histoire de cœur : Infos Yoga, n°36, février-mars 2002......101
16. Soyez graves dans le love : Infos Yoga, n°43,
juillet 2003.........................................................................103
17. Aperçus sur le prânâyâma : Infos Yoga, n°44,
octobre 2003.......................................................................107
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