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Du même auteur

Farid-ud-Din ‘Attor
Le Livre de l'épreuve
Fayard, 1881

Le Livre des secrets


Deux Océans, 1985

Le Livre divin
Albin Miche!, 1990
Le mémorial
Le Livre des oiseaux
Aibin Michel, 1996 des saints
Traduit d'après le ouigour
par À. Pavet de Courteilie

introduction de Eva de Vitray-Meverooitch

Éditions du Seuil
ISBN 2-02-004468-4.

© ÉDITIONS DU SEUIL, 1976.

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Introduction

Untémoîgnage : celui d'hommes et de femmes qui, dès


les débuts de l'Islam et pendant dessiècles, se vouèrent à la
pratique de vertus héroïques; une interpellation : celle que
la sainteté, d'où qu'ellevienne, adresse à chacun,et avec ici
une force d'autant plus grande qu'elle exige un certain
décentrementspirituel; une prise de conscience aiguë, enfin,
d'une autre dimension de l'être, rejoignant, à un niveau
beaucoup plus élevé, les découvertes de la psychologie des
profondeurs — tels sont peut-être les aspects les plus
actuels du message du Mémorial des saints.
En dépit du goût pour le miraculeux, de la complaisance
quelque peu naïve à l'égard du prodige, caractéristiques du
genre, cette « Légende dorée » musulmane du xm° siècle
traduit de façon émouvante une profonde soif de Absolu
—le chawg, ce désir essentiel de la Face de Dieu, premier
pas surle sentier que les soufis dont nous parle ’Attar vont
s'efforcer de suivre.
Qu'est-ce donc que le Tasawwuf, que les Occidentaux
appellent soufisme?
Les traités en ont multiplié les définitions, tout en
précisant qu'aucune d'elles n'en épuise le donné, caril est
autant de « chemins » qu'il est de pèlerins; chacun ne peut
percevoir qu'un reflet de la Vérité suprême. Ainsi, des
aveugles à qui l'on présente un animal inconnu d'eux —
l'éléphant — s'imagineront,l'un pouravoir tâté sa trompe,
qu'il s'agit d'un tuyau,l'autre, ayant palpé sa jambe, que
c'est un pilier, un autre encore, ayant posé sa main sur son
dos. concluera que c'est un trône!
Aussiles explications mettront-elles l'accent surtelle ou

1. Cf. Djaläl-od-Din Rümi, Marhnawt, m1, 1259 sg.


8 Le mémorial des saints Le mémorial des saints 9

telle qualité requise du disciple: détachement, pureté du Cette langue du Qorân, dont nulle iraduchion ne peut
cœur, où sur Ja vision des choses qu'il convient d'acquérir. rendrela puissance incantaioire. constitue le seul miracle
Le soufisme, à dit un mystique célèbre, c'est « le {ijéz} revendiqué par la religion musulmane. Nous trou-
renoncement à tous les plaisirs égoistes ! ». Un autre?: vons, dans {e Mémorial des saints, la mise au diapason de
« Le soufismme est une essence sans forme. » Et le grand ses résonances les plus profondes. C'est ainsi qu'un maitre
Shibli décrit l'adepte spirituel comme « celui qui ne voit y déclare que la lecture du Livre sacré agit sur le cœur
dans les deux mondes ren d'autre que Dieu ? 5. Peut-être même qui ne le comprend pas, à ta façon d'un remède dont
pouvons-nous simplement définir le soufisme comme l'inté- le malade ignore la nature —ayant, toutefois, une action
nionisation vêcue de l'islam. plus efficace quand on en pénètre le sers.
S'il est, en effet, indéniable que la mystique est un Toutes les « aventures » rapportées rar le Mémorial
langage universel, il n'est pas moins vrai que chaque commencent par une nouvelle orientation de l'âme qui
grande tradition religieuse possède sa propre expérience et s'éveille du sommeil de l'indifférence et de Foublii, Alors,
son expression personnelle. Le mysiicisme musulman tra- dit Fun des plus grands poètes mystiques de l'Islam:
duit l'attitude fondamentale qui s'appuie sur la Révélation « Dans le cœur passe une image: " Reitourne vers ta
coranique : l'Unité, at-Tawhid. Unité de Dieu. auquel rien Source. ” Le cœur s'enfuit de tous côtés, loin du monde
ne doit être associé, ni méfaphysiquement, ni psycholo- des couleurs et des parfums, en criant: “ Où donc est
giquement. Lorsque par miséricorde I $e fait connaitre, ce la Source? ” et en déchirant ses vêtements par amour ?. »
sera par une Révélation, elle aussi unique. et dont seules L'âme aspire désormais à se connaître dans sa vérité
des réflexions irop humaines, en fa formulant de façons supraconsciente, car « celui qui se connaît connaît son
différentes selon les peuples ei les époques, ont aïtéré la Seigneur », sclon unc célèbre tradition prophétique méditée
pureté originelle. Reflet terrestre de celte unité divine, la par tous les soufis. Mais comment pourrait-elle se voir
Communauté des croyants embrasse tous ceux qui, sans dans un miroir oxydé par la rouille du péché, troublé par la
distinction de races, de castes, de nationalié ou de volubihité du mental?
dénomination confessionnelle, atiesient cetie Unité; et, ce C'est alors que va débuter T'ascèse; dont de Mémérial
faisant, Hs font acte d'islém, c'est-à-dire de remise à Dieu retrace tant d'exemples d'austérité non sans un penchant à
{on sait que c'est là le sens du mot « Islam», qui se l'exagération cher à l'hagiographe, mais d'où n'est pas
rattache à une racine signifiant la paix et se définit comme exclu ce solide bon sens auquel nous a habitués une sai
ce qui, à la fois, provient de la paix et confère celle-ci). Thérèse d'Avila. Telles ces paroles adressées par le grand
Par aüleurs, la méditation du Qor'ân, que le fidèle doit Hassan Basri à un disciple qui poussait des gémissements
lire comme une Parole révélée à l'instant à luiméme., aura chaque fois qu'ils récitaient ensemble le Qor'ân: « Crier
pour fin de lui faire aticindre une unité intérieure: les comme cela n'est la plupart du temps que l'œuvre de
soufis ont très souvent parlé de la nécessité de parvenir à Satan *. »
une intégration de toutes les puissances de fa psyché* Dans l'hisioire de la mystique musulmane, {e Mémorial
porte l'empreinte brûlante d'une recherche de la Présence
LU CE Hujwiri, Kashfol Mahjüb. traduction anglaise par R, À. Nichol-
son, p. JO sg.
2. Hhid. 1. Mémorial, D. 42.
3. hit 2. Dialéi-cd-Din Rümi Odes mreriques. traduction par E. de Vitray-
4, CP E. de Vivray-Meyerovich, Myctique et Poëvie en Islam, Desclèe . Meverovitch, Khncksieck. p 31-32 (Ode 18}.
dé Brouwer. p. FÉd TS 3. Mémoriai, p. 43.
15 Le mémorial des saints Le mémorial des saints li

divine par l'abandon de tout le créé: « L'univers de Dormants ! qui, bien que n'étant que chair et os, sera
l'Amour, dit ‘Atlar dans le Zivre divin, n'a que trois admis au Paradis.
chemins : le Feu, les Larmes et le Sang» Les lignes qui précèdent permettent d'entrevoir quelaues-
Dans le préface du Mémorial, ‘Attar explique pourquoi uns des traits de ‘Atiar: sa piélé, son humilité, sa
il a COMPOSÉ cette anthologie, C'est, dit-il, parce qu'aprèsle tendresse. C'était en effet un homme profondément reli-
Qor'ân et les Hadith (traditions du Prophète Mohammed}, gieux, menant une vie austère, méprisant les richesses. Il ne
nen ne surpasse les paroles des saints, et que plusieurs trouvait pas d'opposition entre une vie active sage et pure
raisons lincitaient à le faire : et la contemplation, Esprit trés ouvert et induigent, il
détestait l'intolérance qui, écrit dans son Livre des
1} $es frères en region le lui ont demandé: 2) 1 espérait secrets, « empêche l'homme d’adorer Dieu ». $a compas-
que certains de ses lecteurs béniraient l'auteur; 3} H croit sion s'étendait aux plus pauvres et déshérités, ainsi qu'aux
que les paroles des saints sont utiles même pour ceux qui animaux, dont il parle avec bonté et humour. Sa culture
ne penvent les mettre en pratique, parce qu'elles renforcent était immense et l’on ne peut que s'émerveiller devant ses
les aspirations et combattent la vanité: 4) Djonayd a dit : connaissances : Qor'ân, histoire de lPislam, littérature,
« Leurs paroles sont l'une des armées du Dieu Tout- musique, philosophie, astronomie, médecine, 1 a tout
Puissant par lesquelles I conforte et raffermt le disciple si étudié, et certains de ses biographes racontent qu'il avait
son cœur est triste »: $} Selon le Pronhèie, « la Miséricorde passé soixante-dix années à rechercher les épisodes compo-
descend sur les pieux »: 6} ‘Altar espère que l'influence sant le Mémorial?. Le grand mystique Diami disait : « On
bénie des saints fui sera accordée: 7} Il a réunt teurs dits ne peut trouver ailleurs que dans les odes et poèmes de
dans l'espoir de leur ressembler; 8} Le Qor'ëânet les Hadith ‘Attar le dévoilement d'autant de mystères de l'unification,
ne peuvent être compris que par ceux qui savent la langue l'explication d'autant de vérités spirituelles, la révélation
arabe: or, ces paroles en sont le commentaire et elles sont d'autant de secrets de l'état extatique. » Et Doulatchäh :
accessibles aux lecteurs qui ne savent que le Persan: 9} Une « Les mystères de fa spiritualité s'offraient à fui par milliers’
parole de Vérité {sukhun-i Hagq} peut avoir un immense et à découvert: dans sa cellule, les vérités les plus
effet: 10} Seutes, les paroles spirituelles plaisent à ‘Attar : il unpénétrables et les plus inaccessibles à l'homme parta-
a voulu faire partager ces délices à ses contemporains: }1} geaient Le secret de sa retraite, comme Îa nouvelle épouse
Dés son enfance, 1 a éprouvé de Finclination pour les partage avec son époux l'appartement nuptial ?. »
soufis: F2} À son époque. les saints sont oubliés : *Atiar Le plus grand poète mystique de Fran. Djalät-od-Din
souhaite y remédier; 13) Les paroles des saints disposent les Rümi, à qui ‘Attar avait offert, alors qu'il n'était encore
hommes à renoncer au monde, à méditer sur la vie future, qu'un enfant, son Livre des secrets, édrouvait pour fui une
à aimer Dieu et se préparer à leur dernier voyage. « On admiration sans bornes : « ‘Attar, disait-il, a parcouru les
peut dire, écrit ’Aitar, qu'il n'y a pas dans la création un sept cités de l'Amour, tandis que j'en suis toujours au
meilleur livre que celui-ci, car ces mots sont un commen- tournant d'une ruelle. »
taire du Qoran ei des Traditions, qui sont les meilleures Bien quese défendant d'être lui-même poëête — à l'instar
des paroles... Quiconque les Lit convenablement percevra de la plupart des grands soufis dont Île dessein n'est nas
quel amour a dù se trouver dans les âmes d'hommes qui
ont effectué de telles actions et dit de telles paroles. » 14) Allusion à l'histoire des Sept Dormanis d'Éphése. Qorän, xvut
; CE. Introduction à la traduction du Livre divin (Elohi-Nümeh) de
Enfin. ‘Attar espère obtenir dans l'au-delà l'intercession ‘Attar par FE. Rouhani. Albin Michel. 1961.
des saints, ei être pardonné, comme le chien des Sept 3. bi.
12 Le mémorial des saints Le mémorial des saints 13
l'art pour l'art, mais l'enseignement — ‘Atiar écrit dans œuvres et pratiques Qui distinguent les saints : }} la péni-
une langue très pure, très simple et trés belle. pleine de tence: 2) l'application au travail pour gagner sa vie; 3} le
finesse et de goût. C'est aussi un merveilleux conteur, respect de la Loi écrite; 4) l'observance des règles religieuses
sachant captiver Fattention par s0n imagination el son de l'Islam (profession de foi, prières canoniques, aumêne,
lyrisme. pélerinage); 5) l'humilité; 6) la générosité consistant ä ne
Les œuvres attribuées à ‘Atlar sont mnombrables: toutes rien refuser à personne de ce que l'on possède, 7) la dou-
ne sont sans doute pas de lui: ses biographes parlent de ceur et la tolérance: 8) l'acquiescement à la Volonté de
100 000 4 200 000 vers! Il est en tout cas mdubriablement Dieu: 9) la patience: 10} la sincérité.
l'auteur, outre le Mémorial des saints, en prose, des ou- Il est impossible de préciser fes sources du Mémorial.
Vrages DOÉIQUES SUIVARIE: ‘Attar nous dt qu'il considère le sheikh Abü Said Abu't-
Le Langage des oiseaux (Mantig-ut-Tayr), traduit en Khavyr, né un siècle avant lui (967-1049), et qui est le
français par Garcin de Tassy en 1863, conte le pèlerinage premier grand podie mystique d'expression persane !,
mystique des âmes en quête de Dieu, sous la forme comme son guide spirituel. I cite lui-même, au début de
symbolique d'un voyage effectué, au prix de mille difficul- son ouvrage, trois livres que nous ne possédons plus,
tês, par trenie oiseaux {Simorgh, en persan) à la recherche Shahr-ul-Qaib, Marifat an-Nafs et Kashf-ul-Ansar À.
de l'Oiseau merveilleux, le Simorgh. Lorsqu'ils le trouvent Quant au Mémorial, contient un grand nombre de
enfin, ils s'aperçoivent qu'il n'était autre qu'eux-mêmes. renseignements que l'on ne trouve nulle part ailleurs, non
Ainsi le mystique parvenu à l’'umon iransformante décou- plus qu'après lui C'est dire loute son importance pour
vrira-t-Ù son identité avec la Déité. l'histoire du soufisme.
Le Livre divin (lahi-Näma), traduit en français per Nous avons très peu d'informations précises sur la vie de
F. Rouham (Albin Michel, 196/) contient de nombreuses Farid-ud-Din Abu Hamad Mohammad, fils d'Abu-Bakr
anecdotes, religieuses et profanes, d'une haute inspiration. Jbrahim. Son surnom de ’Atiar (fapothicaire} vient du
Le Livre des conseils (Pand-Nâma), très populaire, a êté métier exercé par son père, homme aisé et respecté, ori-
traduit par Silvesire de Sacy en 1819. ginaire de Kadakan, près de Nichapour, dans le Khorassan,
Le Livre de l'udversité {Mossibat-Nâma) conte le voyage
. CF Les Etapes mystiques du chavkh Alä Sa'id, par Moh. Ebn
de l'âme autour de sa clôture. Elle finit par s'anercevoir Ë. Monawwar, traduction par M. Achens. Desclée de Brouiver, 1974.
que l'homme, comme le dit Pascal, « passe infiniment 2. Le premier serait de ‘Âttar, et le dernier une rédaction abrégée du
l'homme », l'homme véritable étant, dit ‘Attar, « secret plus ancien :raité de soulisme connu. le Kashf-ul-Malniib (le Dévoilement
divin ». des Amoureux} de ‘Ali b. "Uthman al-Huiwiri, antérieur galement d'un
siècle. De la même énoque date l'œuvre de San$i, notamment le Jardis de
On peut encore citer le Livre des secrets (Asrar-Nôraa) le la Vérité et la Loi de la Voie {Hadigam Thagige-sse shart ‘atu'i-tariga} qui
Livre de Khosrau, et le Divän (Recueii des odes). rassemble de nombreuses anecdotes et paraboles tirées des vies de sais.
Quant au Mémorial des saints (Todhkirar-al-Aiwtivé}, Sanâ i esi un très grand poète que Djalàl-od-Din Rümi considère comme
c'est-à-dire, plus exactement, des « Arms de Dieu», il représentant, avec Âltar, « l'âme du mysticisme ». Une aulre source
importante pour noire connaissance du Zascinienfest le Sifai-ul-Safver de
comprend les vies de soixante-douze soufis. Rédigé en Abu'l-Farradj Baghdadi, qui raconte des hisicires ei des miracles.
persan, il a été traduit en turc-ouigour dés le début du L'auicur, contemporain de ‘Autar, est mort lorsque ce dernier était à
xv° siècle. C'est de cette version que s'est servi Pavet de apogée de sa carrière, et 15 ect vraisemblable que le Afémiorial a pu utiliser
Courteille pour établir je texte que nous allons lire; elle céniains de ses récits. On peut cnoore rappeler le Hiivatu'Andy de Abù
Nu'aim al-fsfahâni, la célébre Risale de Abût Qäsim al-Qushavri (en
condense quelque peu l'original, nous dit Dans son arabe, du Ki siècle} le Tabarai-e-Soufive de Abd-er-Rahman Suiami
avant-propos, Le traducteur ture, Mir Al Chir, énumère les Nechapuri, et le Tabagätt's Sufiyra de ‘Abdallah at-Ansäri al-Harawi.
14 Le mémorial des saints
ville florissante et foyer de culture, détruite par les Mongols
au xIH° siècle.
Le mémorial des saints
‘Attar s'occupa durant toute sa vie du commerce des
drogues, épices et parfume, et c'est dans sa boutique que,
selon la légende, eut lieu l'événement qui décida de sa
conversion au soufisme Un derviche y étant entré lui
demanda l’aumône. ‘Attar ne lui répondit pas. « Comment
donc vas-iu mourir? », s'enquit le mendiant. « Comme
toi », répondit ‘Attar, étonné. Le derviche, se couchant sur
le sol, posa sa tête sur son écuelle, et rendit l'âme. ‘Autar, Louanges à Dieu, le Seigneur des mondes! Bénédiction
bouleversé, aurait alors vendu son bien pour se consacrer à et Salut surla plus excellente de ses créatures, Mohammed,
la vie mystique. En réalité, il semble que sous l'influence de ei sur tous les membres de sa famille! Oui. louanges sans
ses parenis, suriout de sa mère, femme très pieuse dont il nombre et actions de grâces à ce Créateur, qui a toujours
mentionne la mémoire avec vénération, ‘Attar ait toujours existé et ne finira jamais, qui à Créé ct coordonné Îles dix-
été attiré vers une vie contemplative : 5 le dit lui-même fuit mille mondes, le Dieu irès haut, puisse-t-il être
lorsqu'il énumère les motifs qui l'ont incité à composer de glorifié! Puisse son saint nom être exahté! Il est, et pas
Mémorial. On sait qu'il effectuera, sans pour autant d'autre Dieu n'existe que fui! Cent mille bénédictions et
renoncer à sa profession. de longs et nombreux voyages salutations sur l'âme, sur l'esprit de cet Elu des dix-huit
afin de rencontrer les grands maitres spirituels de son nulle mondes, de ce chef des cent vingt-quatre mille
temps. I devint notamment le disciple du sheikh Majd-od- prophètes, Mohammed, l'Envoyé de Dieu! Ainsi soit-il, à
Din Bagdadi et du célébre Nadim-od-Dfn Kobra. Seigneur des mondes! Que des miséricordes innombrables
1 vécut sans doute jusqu'à un âge très avancé: né et infinies atteignent les âmes des compagnons del'Envové,
vers 1142, il serait peut-être mort vers 1230, lors d'un sur but soit le salut! si tel est le bon plaisir du Dieu très
massacre perpéiré par les hordes mongoles. Il parle, dans le haut.
Livre divin, de ses cheveux « devenus blancs dans la foi de Sache que le titre de ce livre est {e Mémorial des saints.
l'islam», Toutes les dates proposées sont incertaines, tant Nous l'avons traduit du persan en langue turke, au grand
pour le début que pour la Fin de cette vie exemplaire à plus profit des dévots et des croyants sincères, qui recherchent
d'un titre : s’u fut, lui aussi, un walé, un « anu de Dieu », il avec zèle l'enscignement oral des docieurs et désirent
demeure l'un des plus grands écrivains mystiques de la s'instruire à leur école, si Dieu très haut le permet. L'auteur
httérature universelle. de ce livre, Le cheïkh Ferid od-din ’Attar, que la miséri-
corde de Dieu soit sur lui! dit: « Après avoir passé par la
Eva de Viray-Mevyerovitch. lecture et la méditation de la Parole du Dieu trés haut et des
hadis du Prophèie, que sur lui soit le salut! on ne trouve rien
qui puisse être comparé aux sentences des docfeurs, parce
qu'elles proviennent d'une illumination intérieure et non
d'une tradition verbale. d'une percention claire de la vérité
et non pas d’une explication doctrinale: parce qu'elles
émanent directement de la source des mystères et non de la
transmission: de fa science infuse et non de l'interprétation,
té | Le mémorial des saints Le mémorial des saints i7

outre que fes docteurs sont les héritiers du Prophète S: quence. Ensuite, si les fumées de l'orgueil se trouvent dans
quelqu'un désire avoir sur les séntences des docteurs plus .sa cervelle, elles en sortiront, tandis que les veux de son
de détails qu'il n'en est écrit dans cet ouvrage, qu'il les cœur s'éclaireront à la lumière bienfaisante de cet enseigne-
recherche dans le Cherh el-gouloub {la Dilatation des ment, » Cheïkh Ali, que la miséricorde de Dieu soit sur lui!
cœurs) le Kechf ekesrär (la Découverte des secrets} et le a dut : « Garde-toi de peser les autres dans ta balance, mais
Ma'rifer en-nefs vel rebb (a Science de l'âme et du Seigneur}. pêse-toi toi-même dans la balance des hommes d'élite, afin
Quiconque dira ces trañés ne pourra manquer d'être d'apprécier leur grandeur et leur prééminence .et d'avoir
pleinement éclairé sur les sentences des docteurs. $i nous w conscience de ton infériorité. » On demandait à Cheïkh
avions ajouté à cet ouvrage tout ce qui 5€ trouve dans ces Diuneïd Bagdàdi ce que pouvaient gagner les disciples à
traités, nous pensons qu'il en serait résulte un livre trop entendre Les sentences des docteurs. « La parole des
gros et d'une rédaction trop longue. Nous n'avons donc docteurs, répondit.il, redonne la vie au cœur brisé des
fait qu'un résumé, parce que présenter une exposition en disciples et ravive leur ardeur à marcher dans la voie de
forme d'abrégé esi de précepte traditionnel. » Dieu, » C'est ainsi que le Seigneur très haut, dans le
L'auteur de cet ouvrage l'a composé pour plusieurs Qoran' dit à Mohammed en l'instruisant : « CO Moham-
motfs qu'il explique ainsi: f} Un certam nombre de ses med! dans ce livre nous te racontons l'histoire de ceux qui
anus réclamatent un livre sur les sentences des docteurs: À ont vécu anciennement, afin que ton oœur brisé par le
Nous avons voulu que ce livre restât comme un mont chagrin recouvre la paix et que tu te sentes réconforté. »
ment, dans l'espérance que, &i quelqu'un de ses lecteurs Un hadis de l'Envoyé de Dieu, sur lui soit Le salut! di:
bémissait notre mémoire, nous pourrions avoir le bonheur « Là où la parole des hommes d'élite se fait entendre. fa
de profiter de cette prière d'un musulman. en sorte que le miséricorde du Très-Haut tombe en rosée bienfaisante: et
Dieu très haut, grâce à cette Eénédiction, nous ferait là où iombe la rosée de la miséricorde céleste, ceux qui
miséricorde et nous pardonnerait nos péchés. On raconte parlent comme ceux qui écoutent ne seront pas frustrés de
qu'un docteur nommé ŸYahya Mo'âz, qui était imam dans leur part. » 3) Si je remets en mémoire les sentences des
la ville de Herat et avait été le maître de Cheïkh Abd Allah docteurs et si leurs esprits me prêtent secours en ce monde,
Ansâri, ayant érnigré de ce bas monde, un saint personnage j'espère que le Seigneur très haut, par un effet de sa grâce,
le vit en songe et lui demanda : « Yahvya, que t'a dit le Dieu m'accordera la félicité dans l'autre monde. 4) Comme je
très haut? » Et lui de répondre : « Le Seigneur m'a dit: voyais que les sentences de ces docteurs étaient conformes
Yahya, je t'aurais fait voir de terribles Choses; mais un jour à ce qui est enseigné dans le Qoran et dansles hadis, je me
que tu prêchais et que tu me louais en présence de mes suis adonné à l'étude de leur doctrine dans la pensée que, si
serviteurs, un de mes fidèles en a ressenti une joie je n'étais pas digne d'entrer dans leurs rangs, du moins ne
intérieure, et voilà pourquoi je lui ai accordé ta grâce: serais-je pas exclu de ceux de leurs disciples fidèles. 5) A
autrement tu aurais vu ce que nous t’aurions fait. » On moins de lire une grande quantité de fivres arabes, on ne
raconte encore Que, comme on interrogaii Cheikh Al peut pénétrer ni le sens du Qoran ni celui des hadis, d'où il
Dagaëq en lui demandant si celui qui, après avoir entendu suit qu'on demeure impuissant à en retirer AUCUN Avantage
les sentences des hommes d'élite, se trouve incapable d'y spirituel: or, ces sentences étant tout à fait conformes à
conformer ses actes, en retire néanmoins une utilité l'enseignement contenu dans le Qoran et dans les Hadis,
quelconque : « Oui certainement, répondit-il D'abord. si quiconque étudiera cet ouvrage sera comme s'il avait pris
c'est un homme qui désire s'instruire, ses aspirations
deviendront plus hautes et son désir s'accroitra en consé- 1. Sour, XE vers. 121.
18 Le mémorial des saints Le mémorial des saints 19
sa part, en foule connaissance de cause, des vérités voyage, Maintenant que j'ai réunt toutes les sentences que
enseignées par le Qoran et les hadis. 6} Lorsque quelqu”un renferme ce livre, il est absolument nécessaire d'en faire la
vient à te tenir un mauvais propos, l'impression qu'ii laisse règle dé sa conduite. 10) I} ect certain qu'il existe pas au
dans ton cœur est telle que tu ne saurais l'oublier de monde de livre meilleur que celui-ci, attendu que les
plusieurs années: eh bien, les bonnes paroles, elles aussi, paroles qu'il renferme ne sont que le commentaire des
laissent une impression dans le cœur de celui qui les entend, paroles mêmes du Qoran. ti} Les enseignements qu'on y
mais elle est cent fois aussi forte. Un jour on demandait à trouve feront des hommes de ceux qui étaient indignes de
Abd er-Rahmân Arab si, un homme lisant Le Qoran, mais ce nom, et de ces hommes is formeront des fidèles au cœur
n'en comprenant pas le sens, cette lecture produira de tion, puis des individualités d'élite dont les Âmes seront
néanmoins sur SOcœur une impression « Oui certaine- essence même de la douleur dans les voies de Dieu.
ment, répondit-il, elle produirait une impression, éxacie- Quiconque aura compris les enseignements de ce livre
ment comme une potion que boit un malade et qui agit Sur acceptera de bon cœur les épreuves douloureuses S'i
jui quoiqu'il en ignore la nature. I en est de même pour le accepte ces épreuves, il en trouvera le remède par la grâce
Qoran, qui agit sur le cœur même quand on ne Île de Dieu très haut. Et voilà comment ces hommes, par cela
comprend pas, mais qui a une action bien plus puissante même qu'ayant accepté la douleur ils en ont trouvé Île
quand on en pénètre le sens. » Le cheikh Abou Al Siâk, remède, sont arrivés au rang des saints. « Un jour, dit
que la miséricorde de Dieu soit sur luif dit: « Je suis ‘Attar, je vis limam Mohammed Khârezmi qui pleurait
heureux quand 1 m'arnive d'entendre lire le Qoran à amèrement, Pourquoi pleures-tu? lui demandai-je, — Parce
quelqu'un où de le lire moi-même devant quelqu'un qui que, cette nuit, j'ai adressé une supplique au Seigneur très
m'écoute. » Un jour on demanda à Abou Youcouf haut : Mon Dieu, admets-moi dans les rangs des hommes
Hamadäni : « Quand Îles docteurs auront quitté ce bas d'élite et crée dans mon cœur à leur égard une douce
monde pour aller dans Fautre, que ferons-nous pour vénération que rien ne puisse arracher: €t je pieure dans
assurer notre salut? — Si chaque jour, répondit}, vous l'espoir que peut-être le Seigneur exaucera ma demande et
lisez six feuilles des Senrences des docteurs, la négligence comblera mes désirs, » 12} Au jour de la résurrection, ces
sera extirpée de vos cœurs et vous serez dans la voie du hommes d'élite ne me refuseront sans doute pas un regard
salut. » 7} Comine depuis mon jeune âge j'ai toujours eu les de bienveillance. 13; De même que le chien des Core
docteurs en vénération, je me suis adonné à l'étude de leurs gnons de la caverne, en récompense de sa constance à suivre
sentences. 8) Nous avons réuni dans ce livre ces sentences, les fidèles, n’a pas été laissé dans la désespérance, je me
afin que quiconque létudiera sache distinguer les derviches flatte que je ne le serai pas non plus, s’il plait au Dieu très
de ceux qui ne le sont pas, apprenne à honorer les hommes haut, On raconte que Diemâl Maucili se donna beaucoup
d'élite qui confonment leur conduite aux sentences des de peine et dépensa des sommes considérables jusqu’à ce
saints et prenne sa part de leur regard bienveilant. 9} Jai qu'il eût acquis un lieu de sépulture dans le voisinage du
vu dans Îles sentences quatre sortes de profits: elles tombeau de l'Envoyé de Dieu, sur lui soit le salut! Dans ses
extirpént des cœurs l'amour des choses terrestres: elles font derniers moments il recommanda qu'on inscrivit Sur son
penser à la grande affaire de l'autre monde; elles aug- iombeau les paroles oué Kelhouhoumn bâcitoun zir4 eïhi
mentent dans les cœurs l'amour du Dieu très haut: bilouassidi\, c'est-à-dire: & Mon Dieu, un chien a fait
quiconque entend ei comprend les sentences contenues quelques nas à la suite de tes amis, et, par considération
dans ce livre connaîtra Îla voie de la vie fuiure et 4. Qoran, sur, KV, Vers, 17. mot à mot: « et leur chien était couché,
«
commencera à rassembler des provisions pour faire le les paites tendues, au seuil de la caverne 5.
20 Le mémorial des saints

pour eux, tu as daigné abaisser tes regards sur lui: à mon


| Le mémorial des taints 21

tour, je fais profession d'amitié pour tes amis et je mie joins


à eux de ma personne, Mon Dieu. je sais bien que je ne suis | + Sentences de Dja far Sédiq\.
pas digne de leur amitié, mais je les aime de tout mon
cœur. Mon Dieu, au nom des prophètes et des saints, ne
rejette pas les prières d'un pauvre misérable comme je le Sache que dans ce livre se trouvent consignées les paroles
suis. Daigne faire attention à mai, s'ù te plait, et me de tous les docteurs, mais non pas celles des familiers et des
réserver une part dans tes miséricordes. » compagnons du Prophète, Pour attirer sur nous la bénédic-
Après avoir inscri les noms de ces docteurs suivant Lion céleste, nous avons tout d'abord parlé de Dja'far
l'ordre où on les voit consignés en tête de ce livre, nous Sâdia, parce qu'il était comme un des membres de
allons décrire leur progrès dans la voie spirituelle et les l'Éntourage intime, parce qu'il est le modèle de tous les
miracles opérés par leur intercession. docteurs et qu'il à mieux parlé qu'eux tous de la voie qui
Imâm Dia’far Sâdiq, Veïs Qarni, Haçan Basri, Mälik mène à Dieu. En évoquant le souvenir de Dija’far Sâdia, à
Dinér, Mohammed Vâci', Habib ’Adijemi, Abou Hächim nous semble que c'est comme si nous évoquions celui de
Mekki, ‘Ataba ben Goutâm, Râbi'a "Adaviveh, Fuzeïl ben tous les membres de la Famille. En outre ceux qui suivent
*Avâz. Ibrahim Edhem, Buchr Hâfi, Dsou'n-Noun Misri, la doctrine de Dia'far Sâdiq considèrent les douze imarns
Bayezid Bestämi, Abd Allah Mubärek, Sofiân Tsavni, comme ne faisant qu'un tout, chacun d'eux représentant les
Chagig Balkhi, Abou Hanifeh de Koufa, Imâm Châffi, douze ef les douze ne faisant qu'un. D'ailleurs le degré
Imâm Ahmed Hanbal, Daoud Tai, Harits Muhäcibi, Abou atteint par Din'far Sâdia dépasse celui de tous les autres
Suleymân Dâräi, Mohammed ibn Semmäk, Mohammed docteurs. La foi qu'ils avaient à eux tous se trouvait tout
Astam Touci, Ahmed Harb, Hâtim Assam, Soheil Abd entière en hi seul, et 1} était versé dans toutes les sciences.
Allah Techters, Ma'rouf Karkhi, Sani Saqati, Feth Mau- Da'far Sâdig, que Dieu se complaise en luil nous a
ci, Ahmed Havâri, Ahmed Khizreviveh, Abon Turâb transmis beaucoup de récits d'après Mohammed Bâair.
Nakhchebi, Yahya Mo'äz Râzi, Châh Chedja’ Kermâni, Quiconque ayant foi en Mohammed n’a pas foi en ceux de
Youcçouf ben Huceïn, Abou Hafs Haddid, Hamdoun l'Entourage intime est comme s'il n'avait pas foi en
Gassär, Mansour Ammâr, Ahmed ibn Hâchim Antäki, Mohammed lui-même. Imâm Chäffi aimait tellement ceux
Abd Allah Gabih, Diuneïd Bagdâdi, Omar ben Osmân de l'Entourage intime que tout le monde le traitai
Mekki, Abou Said Kharrëz, Abou Hucein Nouri, Abou d'hérétique. À avait coutume de dire: « $i l'on traite
Osman Khaïin, Abou Mohammed Rouyam, Ibn At Veh, d'hérétiques ceux qui aiment l'Entourage intime, que tous
Abou Abd Allah ben Dielà, Ibrahim Ragqi, Youçouf les hommes et les oénies me soient iémoins que je suis un
Asbât, Abou Ya'qoub Neher-Dijouri, Semnoun Mubhibb, hérétique, » Mohammed est le roi de ce bas monde et de
Abou Mohammed Murte’ach. Mohammed ben Fazi, Abou l'autre monde; or quiconque aime le roi et le connait doit
Hucein Bouchendii, Mohammed ben Alt Hekim Termiai, connaître, chacun en son rang, les fils et les serviteurs du
Abou Bekr Varrâa, Abd Allah Menäzil, Al Sehel Isfahäni, roi. On demandaà Abou Hanifeh: «De tous les
Khaïr Nessâdi, Aboul-Khaïr Ahdaq, Abou Hamza Khora-
Gâni, Ahmed ben Mesroua, Abd Allah Raougadi, Abé 1. Diafar Sédia. le sixième imam, était fils de Mohemmed Bâäqir, fils
Abah Ahmed Magrebi, Abou Ali Diordjâni, Abou Bekr de Zeïn el'Abidin. fils de Hucein, tué à Kerbela, fils d'Afi Sa mère fait
Qumm Farva. fille de Mohammed, fils d'Abou Bekr, premier khalife, Né
Kettäni Abou Abd Allah Mohammed Khafñf, Abou à Médine l'an 83 de l'hégire (702-7033il y mourut empoisonné le 25 du
Mohammed Hariri, Huceïn ben Mansour Hallâdi. mois de chewval de l'an 148 624 décembre 765).
22 Le mérnorial des saints Le mémorial des saints 23
compagnons de l’Envoyé, que sur lui soit le salut! quel est l'avaler avec cette coupole Et c'est ainsi que, frappé
celui que tu proclames le plus grand? — Parmi les vieux, d'épouvante à fa vue de ce dragon, je suis tombé sans
répondit-il, c'est Abou Bekr et Omar; parmi les ieunes, connaissance. »
Osman et Ah; parmi ses épouses, Aicha, et parmi ses filles, On raconte qu’un jour Cheïkh Daoud Taï, étant venu
Fatima. » trouver Dija'far Sâdia, Hi dit: «Fils du Prophète,
On raconte qu'une nuit le khalife Mansour di à son conseille-moi et donne-moi de bons avis, car mon cœur ect
vézir: « Va, amène-moi Dia’far Kâdig, je veux le Faire rempli de ténèbres. » Dia‘far Sädiq lui répondit: « Ô
mourir. — © khalife! dit le vézir. Dja'far Sâdiq est assis Daoud! tu es le plus grand ascète de ce temps: qu'as-tu
dans un coin où il s'adonne entièrement aux œuvres de besoin que je te donne des conseils? — Dja'far, dit Daoud
piété. I ne se soucie ni de la royauté ni de la dignité de beg Tai, le Dieu très haut vous a créé au-dessus de toutes les
et il a renoncé au pouvoir; ne le fais pas mourir. » Et créatures: il est nécessaire d'écouter vos conseils. — Ô
comme le vézir insistait, le Khalife se mit dans une colère Daoud! répliqua Dja'far, je crains qu'au jour de la
épouvantable contre lui, Lorsqu'il fut parts pour aller résurrection mon aieul Mohammed ne me reproche de
chercher Dhia'far Sâdia, le khalife dit à ses serviteurs : n'avoir pas pratiqué les œuvres qu'il avait recommandéeset
« Aussitôt que Dja'far Sâdiq sera arrivé et que je léverai ne me fasse rougir. Q Daoud! dans cette voie-là la
mon bonnet au-dessus de ma iête, il faut que vous le grandeur et fa. petitesse ne servent À rien: ce qui est
frappiez de vos sabres »: et ti leur fit promettre de n'y pas nécessaire, c'est de pratiquer des œuvres dignes de compa-
manquer. Cependant Dia’far Sâdio, que Dieu se complaise raître devant le trône du Seigneur très haut. » En entendant
en Juil arriva, et, sur-“e-champ, le khalife, descendant de ces paroles, Daoud Taï se mit à pleurer et dit à Dieu dans
son trône, pieds nus, vint le saluer, lui baisa les mains et les un élan de son cœur: « Mon Dieu, fui qui a un rère
pieds, le fit asseoir à sa propre place et, s’'inchinant devant comme le sien et une mère comme Fatima se trouve ainsi
lui sur les deux genoux, s'assit lui-même en lui présentant glacé d’épouvante,; qu'est donc Daoud pour avoir
toutes ses excuses. Les vézirs et les serviteurs, lémoins de ce confiance dans ses propres œuvres? Mon Dieu, daigne ne
qui se passait, demeurèrent confondus. Alors le khalife faire désespérer aucun de nous tous des effets de ia
s'adressant à Dia'far : « Que désires-tu? Dernande-le moi. miséricorde. »
— Ce que je désire, c'est que tu ne m'appelles plus auprès On raconte qu'un jour Dja'‘far Sâdiq, étant assis avec
de toi et que tu me laisses en repos, afin que d'un cœur ses compagnons fidèles, leur diff: « Venez, mes amis,
iranouille, étant uniquement occupé à des œuvres de piété, faisons entre nous tous cette convention que, quels que
je serve sans cesse le Seigneur très haut, » Le khalife l'avant soient ceux d'entre nous qui seront giorifhiés au jour de la
congédié. lorsqu'it fut parti, un tremblement s'empara du résurrection, nous intercéderons les uns pour les autres et
prince, qui tomba à Îa renverse sans connaissance et adresserons nos supplications au Seigneur très haut. » $es
demeura ainst jusqu'à ce que trois des cinq prières fidèles lui répondirent : « Fils du Prophète, toi qui as un
canoniques fussent accomplies, Une fois que le khaïife eut père comme fe tien, qu'as-tu besoin de notre intercession?
repris sés sens, on lui demanda : « Que vous est-il donc C'est à ton père qu'il appartiendra d'intercéder pour tous.
arrivé? — Lorsque Dija'far Sädia s'est présenté ici, répon- — Moi, it Dia'far Sâdiq rougissant, avec toutes ces
dit, j'ai vu venir avec lui un dragon si grand que sa lèvre mauvaises actions que j'ai commises, je n'oserai MÊME pas,
inférieure reposait à lerre, tandis que sa lèvre supérieure au jour de la résurrection, regarder le visage de Moham-
était placée sur cette coupole; et le dragon m'a dit: Situ med mon père et de Fatima ma mère, »
fais de la peine à Dja’far Sädia, je ne manquerai pas de On raconte que Dia'far Sädig se confina pendant
24 Le mémorial des saints Le mémorial des saints 25

quelque temps dans une retraite d'où il ne sortait pas. Un Dia’far Sâdiq, celui-ci refusa de le recevoir en disant :
jour un docteur, nommé Sofiân Tsavri, vint le trouver et fui « Nous ne reprenons pas ce que nous avons donné. —
dit : « Ô fils du Prophète! le peuple désespère d'entendre Mais quel est donc ce personnage qui refuse de recevoir
encore ta parole bénie. Pourquoi ne sors-tu pas de cette son argent? demanda cet homme. — C'est Dja’far Sâdiq »,
retraite? — Parce que, répondit Dja’far Sâdiq, les temps lui direntles assistants. Alors lui, tout honteux, baisa les
sont devenus durs, que les mœurs du peuple se sontaltérées mains et les pieds de Dja'far Sâdiq en lui demandant
et qu'il ne reste plus ni sincérité ni pureté au milieu des pardon, mais Dja'far ne voulut jamais reprendre son
hommes. » | argent.
Unjour on vit Dja'far Sâdiq revêtu d’une belle tunique Un jour Dja'far Sâdiq marchait seul dans une plaine tout
de prix. Quelqu'un lui dit : « Fils de Mohammed, comment en disant : « Allah! Allah! » Un pauvre étudiant suivait
se fait-il que tu portes une tunique de ce genre? » Dja’far Dja'far Sädiq en disant, lui aussi: « Allah! Allah! » Au
Sädiq ayant introduit la main de cet homme dans bout d'un certain temps Dia'far Sädiq dit : « Mon Dieu, je
l'intérieur de sa manche, il vit qu'il portait en dessous une n'ai pas de tunique. Mon Dieu, je n'ai pas de manteau. » À
tunique de camelot grossière et rude au toucher. « C'est peine avait-il parlé que, dans un paquet, descendit du ciel
pour le peuple, dit Dja'far, que je porte cette tunique de un habillement compiet dont il se revêtit. Le derviche
dessus: quant à celle de camelot, c’est pour Dieu que je la s'écria : « Nous étions associés dans la prière: maintenant
porie. » que tu as mis les habits neufs, donne-moi les vieux. » Cette
On raconte que quelques dissidents dirent à Dja’far demande plut à Dja'far Sâdiq, qui lui donna ses vieux
Sädiq : « Tu possèdes toute espèce de qualités éminentes: habits.
tu as la science, la piété: tu es de plus le fils de On raconte que quelqu'un vint trouver Dja'far Sädiq et
Mohammed, mais tu es un orgueilleux, au cœur superbe. » lui dit : « Fais-moi voir le Seigneur très haut »; et lui de
Dja'far Sâdiq répondit : « Je ne suis pas un orgueilleux, et répondre aussitôt : « © homme! lorsque Mouça le pro-
c'est parce que j'ai chassé l'orgueil de mon cœur que le phète a demandé à voir la face du Seigneur, une voix venue
Seigneur très haut m'a accordé un degré st élevé qu’il me de lui a dit : tu ne pourras jamais me voir. — Mais, reprit
fait paraître avec majesté aux yeux du peuple. » l'autre, nous sommes le peuple de Mohammed, nous
Un jour Dja’far Sâdiq demanda à Abou Hanifeh: autres, et il nous est permis de voir. — Liez cet homme et
« Quel est l'homme raisonnable? — Celui-là, répondit-il, jetez-le dans le fleuve », commanda Dja'far Sâdia. Aussitôt
qui sait distinguer le bien du mal. — Mais, dit Dija’far on l’attacha et on le jeta à l’eau. Ily plongea une fois et
Sädiq, les animaux, eux aussi, en savent faire autant. — reparut à la surface en criant : « O Fils de Mohammed!
Quel ést donc l’hommeraisonnable? reprit Abou Hanifeh. viens à mon secours »; et il s'enfonça une seconde fois
— C'est celui qui, de deux choses bonnes, sait reconnaître sous l’eau. Quand il remonta, d’après l’ordre de Dja'far
la meilleure et est capable de discernerle pire d’entre deux Sädiq, on le laissa crier sans que personne lui tendit la
maux. » main. Alors, n'espérant plus rien des assistants, il dit:
Une autre fois un homme qui avait perdu mille pièces « Mon Dieu, fais-moi miséricorde et viens à mon
d'or s'attaqua à Dja'far Sâdiq, qu'il ne connaissait pas, et secours. » Cette fois Dja'far Sädiq commanda qu'on le
lui dit: « C'est toi qui m'as pris mon argent. » Dja'far retirât de l'eau. Au bout de quelques instants. quand il fut
Sädia lui donna mille pièces d'or. À peine rentré chez lui, revenu à lui, Dja'‘far Sâdiq lui demanda : « Eh bien, as-tu
cet homme retrouva la somme qu’il avait perdue. Commeil vu le Seigneur très haut? — J'avais beau vous appeler,
rappontait l'argent qu'il avait reçu, afin de le restituer à répondit-il, je ne voyais venir aucun secours. Lorsque,
26 Le mémorial des sainis Le mermorial des saints 27

n'attendant plus rien de vous, 3 ‘ai mis mon espoir dans le société de cinq espèces de personnes: Î}les menteurs:
Seigneur très haut, une ponte s'est ouverte dans mon cœur, 2} les sots qui, s'imaginant qu'ils vous seront utiles, vous
et quand j'ai regardé par cette porie, j'ai trouvé tout ce que causeront du dommage sans se rendre compte qu'ils vous
Je désirais. — Maintenant donc, dit Dja’'far Sàdiq, laisse là sont nuisibles : 4) les ladres qui, dans les temps d'indigence,
tout le reste et n'abandonne jamais cetie porte. » ne vous préteront aucun secours el se monireroni avares
Une autre fois Dia'far Sâdiq dit : « Quiconque prétend envers vous; 4) ces gens sans cœur qui, dans les circons-
que le Seigneur très haut est en haut, en bas, dans tances critiques, détourneront leurs visages de vous et vous
n'importe quel endroit, ou bien encore qu'il est de telle ou faisseront périr; S) ces hommes vicieux et sans dignité qui,
telle nature, celui-là est un infidèle Quiconque ayant en toute occasion, médiront de vous nour une bouchée de
commis un péché en ressent d'abord de la crainte, puis 5e paur »
montre repentant et en dernande pardon, 1} est certain que H disait encore : « Le Seigneur très haut a créé le paradis
celui-là est bien près du Séigneur très haut, Toute œuvre de et l'enfer dans ce bas monde. Le paradis de ce bas monde,
piété qui, ne procédant pas d'abord d'un sentiment c'est la sécurité, l'enfer, c'est le malheur. La sécurité
d'humilité, finit par donner au cœur une assurance fondée consiste À remettre ses affaires entre les mains du Seigneur
sur la superbe, cette œuvre-là éloigne le fidèle du trône de très haut et à placer sa confiance en Jui. Le malheur, c'est
Dieu. Quand un fidèle se montre obéissant, mais est que, dirigeant en personnetes propres affaires, tu veuilles
arrogant ef plein d'orgueil, il devient rebelle. si, étant ne t'en rapporter qu'à toi-même pour les conduire» Il
devenu rebelle, Ü éprouve le sentiment de la crainte, alors disait encore : « Si un dommage quelconque venant d'un
cet arrogant rentre dans les rangs des serviteurs obéis- méchant pouvait nous atteindre, certes il en serait arrivé un
sants. » à Acta Khatoun’ de la part de Firaoun. De même, si un
On demandait à Dia'far Sâdiq si un pauvre qui supporte profit avait dû revenir aux méchants de la part des bons, la
patiemment ja pauvreté valait mieux qu'un riche qui se femme de Noukh le prophète aurait profité de sa société.
montre reconnaissant, « Le plus méritant, répandit.il, est Le Tout ce qui arrive dans ce monde dépend de la touie-
pauvre qui supporle patiemment la pauvreté, parce que le puissance du Seigneur très haut. » Dieu seul sait tout.
cœur du,fiche est avec son argent, tandis que ie cœur du
pauvre qui n'a pas d'argent mais de la patience est touiours
avec le Seigneur trés haut. $e souvenir de Dieu n'est Sentences de Veïs Qarni*.
possible qu'à la condition d'oublier tout ce qui est en
dehors de lui, Le fidèle est celui qui renonce à lui-même.
L'homme éclairé est celui qui, laissant de côté toute chose, HI faut maintenant commencer à rapporier les paroles de
ne recherche que le Don plaisir de Dieu et parvient à la celui qui a été le point de mire des suivants (les musulmans
connaissance de Dieu. Quiconque se morlifie en vue de ce
bas monde obtient le pouvoir d'opérer des miracles, et FL. Acia, épouse de Pharon, l'une des quatre femmes parfaites suivant
quiconque sé mortfie en vue de Dieu parvient jusqu'à Mahomet : Acia. Marie. mère de Jésus, Khadidia, première femme du
Dieu. » Prophète, et Fatima, sa file, marée à Al Cf. le Qoran, sour. LXVI vers,
Il disait encore : « le n'ai eu une connaissance tout à fait EF, où fa femme de Pharaon est proposée pour modèle aux croyanis.
2. GQaran. où Qu, esi un lieu de rendez-vous des habitants du Nedjd.
claire de la route des mystères que du jour où l'on a dit que Veïs ou Oveis Qarani où Garni en trait son nom. El-Gaouri dit qu'il
j'étais fou. Quiconque à un ennemi éclairé, c'est le signe sonait Originairement des der Quran. Sa mon eut heu. d'après lès uns, le
d'une heureuse fortune. Î1 faut vous tenir éloignés de la 3 de redjeb de l'an 22 4642), d'aprés les autres, à Siffin Fan 37 4657458).
28 Le mémorial des saints Le mémorial des saints 29
de la deuxième ou troisième sénération), le nlus savant des homme velu: sur la paume de sa main gauche y à un
hommes éclairés, le prince des dévots {des amoureux}, cette signe blanc de la dimension d'une pièce d'argent; mais c'est
étoile du Yernen, ce Veis Qammi, qu'Allah se complaise en bien un signe et non pas une dartre. Lorsque vous le verrez,
lui! Le Prophète, que sur lui soit le salut! répardant chaque je vous charge de lui faire parvenir le salut de ma part et de
jour dans la direction du Yemen, disait : « C'est de ce câté- lui dire d'intercéder pour mon peuple, » L’Envoyé, sur lui
là que j'entends le son de la miséricorde du Seigneur très soit le salut! dit encore : « Parmi les sainis, 4 la cour du
haut. » L'Envoyé dit encore que, « lorsque viendra le jour Seigneur très haut, le meilleur et le plus aimé est celui qui
de fa résurrection, le Seigneur très haut créera soixamie-dix pratique les bonnes œuvres en secret; el celui-là, c'est Veis
mille anges qu'il revêtira de la forme de Veïis Qarni. Celut- Qarni. » .
ci se rendra avec eux aux assises du jugement dernier, puis On raconte qu'au moment où l'Envoyé, sur lui soit le
dans le paradis, sans que personne puisse savoir lequel salut! allait rendre l'âme, les compagnons lai demandèrent:
d'eux tous est Veïs Qarni; et cela parce que, durant son « Ô Envoyé de Dieu! à qui faudra-t-il donner ta robe
séjour dans ce Das monde, il se cachait de ious pour se bénie? — Donnez-la à Veis Qarni », répondit. Aprésla
bvrer aux actes d’adoration et d'obéissance, et qu'il doit mort du Prophète, sous te khalifat d'Omar, lorsque celui-ci
aussi être caché aux veux d'auinai dans l’autre monde ». et Al furent arrivés à Koufa, Omar, ayant récité le prône
L'Envové, sur ut soit le salut! dit encore: « 1 y à dans du haut de la chaire, demanda : « Ô fidéles! y a-tl parmi
mon puple un homme qui, au jour de Ia résurrection, vous quelqu'un qui soft natif de Qarn?» Beaucoup
présentera pour mes fidèles des pnères dont le nombre d'individus s'avancèrent et Omar leur demandait des
égatera celui des poils des moutons de Rebia et de souvelles de Veïs Qarni, mais aucun d'eux n'en savait.
Modhar, » Or il faut savoir que leurs moutons étaient en « Cependant, dit Ornar, les paroles de l'Envoyé, sur lui soit
masses plus épaisses ei plus nombreuses que ceux de toutes le salut! ne sauraient être mensongères, peut-être ne le
les autres tribus de la race arabe. « Mais quel est donc cet connaissez-vous pas? » Un d'entre eux dit alors : « I y à en
homme? lui demandèrent les compagnons. — C'est un effet parmi les natifs de notre paysun hommetel que vous
serviteur du Seigneur très haut. — Et quel est son nom? — le signalez, mais c'est un fou, un insensé qui, par un effet
Veïs Qarni. — Est-il venu ou n'est-il pas venu vous voir? de sa folie, ne vit pas au milieu de ses compatriotes. —
demandèrent-ils encore. — Ïl ne nous voit pas encore des Mais où est-il? demanda Omar, je veux le voir. — Il vague
veux du corps. — Il est vraiment étrange de la part d'un à la garde des chameaux dans une plaine nommée Arna. Le
homme dévot comme celui-là qu'il ne soit pas venu vous soir venu,il rentre dans le campement et y achète du pain:
visiter. — Il y a deux motifs qui l'empêchent de venir en mais il n'y couche pas et retourne à la campagne, Ïl ne
personne me rendre visite: l'un, c'est qu'il ne peut se fréquente personne et ne mange ni ne boit rien de ce que
résoudre à quitter un seul instant le service du Seigneur très mangent et boivent les autres. Ït ne connaît ni fa tristesse ni
haut; le second, c'est que, fidèle observateur de la loi, ii né la joie: quand les autres rient, lui pleure, et quand ils
veut pas, pour venir, laisser seule sa mêre aveupie et privée pleurent, lui se rnet à rire. » Ensuite Omar et Ali, s'étant
de l'usage des mains et des pieds. Pendant le jour il garde rendus à l'endroit que cet homme avait indiqué, virent Veis
les chameaux de sa tribu, et tout ce qu'il gagne à faire Qarni occupé à faire la prière tandis qu'un ange, que le
l'office de chamelier, if le consacre aux dépenses de sa mère Seigneur très haut avait envoyé, gardait les chameaux.
et de lui-même. — Et nous autres, pourrons-nous Le voir? Lorsque Veïs Qarni entendit le bruit du pas de l'homme, il
demandèrent les compagnons. — Omar et Al le verront très acheva vite sa prière et donna la salutation finale, Omar et
certainement; et voici quel est son signalement : c'est un Ali s'approchèrent et lui adressèrent le salut qu'il leur
30 Le mémorial des saints Le mémorial des saints 31
rendit. « Quel est ton nom? li demanda Omar. — Mon sainteté Où 1 voyait Veïs Qarni lui avait paru plus beau que
nom est Veis». répondit-il. et Omar ayant ajouté: sa propre existence et que la dignité suprême de khahfe.
« Montre-nous ta main », Veis la montra. Elle portant bien Veis Qammi dit: « Il faudrait être dénué de raison pour
le signe dont l'Envoyé, sur ln soit le salut} avait parlé. acheter le khatfat. Alions, Omar, que parles-tu de Île
Omar dit : « L'Envoyé m'a chargé de te porter le salut et à vendre? Jette-moi ça là: le ramasse qui voudrals Plus
a ajouté : Qu'il prie pour mes fidèles et qu'il mtercède en tard, lorsqu'il retourna chez lui, Omar voulut déposer le
leur faveur, — Omar, dit Veïs, prie toi-même, car, sur la khalfat, mais tous Îles comnagnons s'écrièrent : « Omar,
surface de Ja terre, tu es un personnage vénérable entre cette dignié de khalife t'est venue d'Abou Bekr: ne la
ious. — Sans doute je prierai moi-même; mais toi, obéis à dépose pas: ne laisse pas se perdre les affaires de tant de
la recommandation de Mohammed. » Veïs Qarni poursui- musulmans. La récompense de la justice pour un seul jour
vit: « Omar, fais-y bien attention, celui dont l'Envoyé a sera aussi grande que celle d'un nullier d'années d'actes de
parlé est peut-être un autre que moi. — Non, c'est toi- piété. » Pour en revenir à Veïs Qarni, lorsqu'il eut revêtu le
même, insista Omar. — Eh bien, s’il en est ainsi, reprit manteau, 1 dit: « © Omar! par la vertu de ce manteau, le
Veïis, donnez-moi le manteau de l'Envoyé et je vais faire Seigneur très haut m'a accordé la grâce d'autant de fidèles
une prière. » Alors ils donnèrent à Veis le manieau de de Mohammed qu'il y a de poiis sur les moutons de Rebl'a
l'Envoyé en lui disant : « Mets-le et fais une priére — Un et de Modhar. »
peu de patience », dit Veïs, et, prenant le manteau, if Sache que Veis QGarni n'était pas supérieur à Omar, mais
s'éloigna d'eux à une bonne distance, le posa à terre; puis, c'était un homme de détachement des choses de ce monde.
frotiant sa face sur le soi, il dit : « Mon Dieu, je ne saurais Omar, lui, était d'une perfection accomplie dans toutes ses
mettre ce manteau tant que tu ne m'auras pas accordé la œuvres, seulement, 1 voulait se montrer plein de déférence
grâce de tous les fidèles de Mohammed. » Une voix se fit pour le degré du renoncement, poussé par la même humilité
alors entendre: « F'ai fait grâce en ton honneur à bon que FPEnvoyé, sur hat soit le salut! lorsqu'il frappait à la
nombre d'entre eux; mets le manieau. — Mais je les porte des vieilles femmes et leur demandait de se souvenir
demande tous, ê mon Dieu!» dit Veiïs, Et la voix de de lui dans leursprières.
reprendre : « Nous t'en avons accordé tant de milliers! — Omar dit : « O Veis Qarni! pourquoi n'es-tu pas venu
Mon Dieu, c'est tous que je demande. » Et ainsi se voir Moharmmed? —— Et vous autres, avez-vous vu le
succédaient ses paroles et les rénonses qu'il entendait, Prophète? demanda celui-ci — Certainement nous l'avons
lorsque Omar et ÂlÏi dirent : « Îl faut nous avancer et voir à vu, répondit Omar. — Eh bien, si vous l'avez vu,
quoi est occupé Veis Qarni » Lorsqu'ils se furent avancés, poursuivit Veis Qarmi, dites-moi si ses sourcils étaient
Veïs les apercevant leur cra : « Hélas! pourquoi êtes-vous panagés par le milieu ou s'ils se joigmaient? » Omar,
venus? si vous n'étiez pas venus, je n'aurais pas mis ce qu'intimidait la présence de Veïs Qarni, ne put répondre.
manteau tant que le Seigneur trés haut ne m'aurait pas Celui-ci demanda encore : « Êtes-vous les amis de Moham-
accordé la grâce de tous les fidèles de Mohammed. » Omar ed? — Oui, dit Omar. — Eh bien, reprit Veïs, Le jour où
remarqua que Veïs Qarni était revêtu d'un froc grossier fait on a brisé la dent bénie de Mohamed }, pourquoi vous
de poil de chameau, tandis que sa tête et ses pieds étaient aussi, par esprit de conformité, n'avez-vous pas brisé vos
nus; mais ioutes les richesses des dix-huit mille mondes denis? car une des conditions de l'amitié, c'est la confor.
étaient renfermées dans l'intérieur de ce froc. Omar dit : mité. » Et Veis, ouvrant la bouche, fit voir à Ornar qu'il ne
« Qui est-ce qui m'achètera cette dignité de khalife pour un 3. Au combat d'Ohod. Ce fut le goraychite Oiba, fils d'Abou Wagqäs,
morceau de pain? » Et il parlait ainsi parce que le degré de qui lui cassa une dent de devant et lui fendit la lévre inférieure.
Le mémorial des saints 33
32 Le mémorial des sainis
fui restait pas une dent et qu'il les avait toutes arrachées li y avait un docteur appelé Hurum ben Khayän, que la
sans exception. Puis il ajouta : « Moi, sans avoir jamais vu miséricorde de Dieu soi sur uit lequel racontait:
a Lorsque jentendis parler de tout ce qu'avait dit Veïs
Mohammed, par esprit de conformité, j'ai brisé toutes mes
dents, uniquement parce que cela était une manière de me Qarni et du degré de sainteté qu'il avait atteint, je devins
mettre à l'unisson. » Frappé de stupeur d'un pareil acte, très désireux de le voir. C’est pourquoi je me rendis dans le
Omar fui dit: « © Veis! adresse à Dieu une prière pour pavs de Koufa. où je me mis à le chercher. Un jour je
moi. — Omar, répondit Veis Qarni, dans la foi on ne fait l'aperçus sur le bord de l'Euphrate qui faisait ses purifica-
acception de personne, J'ai prié une fois, c'est assez tions. le hui adrescai un salut qu'il me rendit en fixant sur
D'ailleurs, après chacune des prières canoniques, je fais une moi son regard. Je voulus lui prendre la main et Ja baiser,
mais il ne me la donna pas. Alors je lui dis : Ô Veiïs! que la
prière pour tous les fidèles en général. $i vous maintenez
miséricorde de Dieu vienne sur toit Comment es-tu? quel
jusqu'à la fin votre foi dans son intégrité, vous êtes de vrais
est l'état de ta santé? Et telle était mon affection pour lui
fidèles. et cette prière qus je fais est pour vous: s'il en est
que je commençai à pleurer, puis je rémarquai qu'il était
autrement, je ne veux pas dépenser mes prièrés en pure
perte. »
devenu bien faible, Alors lui aussi, se meitant à pleurer, me
dt: © Hurum ben Khayän! puisse ie Seigneur très haut te
Omar lui di encore: « Donne-moi un conseil, —
Connais-tu le Seigneur très haut? lui répondit Veis Qarni. donner une heureuse fin! Comment es-tu? et qui donc m'a
— Qui, je le connais. —— 8; en effet tu le connais, extirpe de signalé à 101? — © Veiïs! répondis-je, comment as-iu su
ton cœur toute affection qui aurait un autre que ui pour mon nom et le nom de mon père? jamais {u ne m'avais vu
objet, » Et il ajouta : « © Omar! le Seigneur très haut te auparavant: comment à cette heure m'as-tu reconnu? —
Celuidä m'a renseigné, reprit-il, auquel on ne peut rien
connaft-il, lui? — Qui, dit Omar. — Eh bien, le meilleur
serait que personneautre ne te connût et ne sÛt qui fu €. » cacher, ei si mon âme a reconnu ton âme, c'est parce que
Alors Veïs Qarni, tirant de son sein deux pièces d'argent. les âmes des fidèles sont en relation les unes avec les autres.
dit à Ornar : « Reçois de moi cet argent que j'ai gagné en — GG Veis! lui dis-je, fais-moi quelque récit touchant
l'Envoyé, sur lui soit le salutt — je ne l'ai jamais vu de mes
peinant à faire le métier de charnelier. — Dénense-le pour
toi-même, reprit Omar. — Mais, fil observer Veis Le yeux, s'écria-t-il, mais l'ai entendu citer beaucoup de ses
pories-iu garant que je conserverai la vie jusqu'à ce que hadis; toutefois je ne désire être ni un directeur juridique
{mafin ni un coliectionneur de hadis ni un prédicaieur. Je
j'aie dépensé ces deux pièces d'argent? » Ensuite il ajouta :
« © Omer! vous avez affronté la fatigue: maintenant suis tellement absorbé moi-même que je ne peux pas mé
livrer à des travaux de ce gene — Mais, hu dis-je alors,
retournez en paix, car k jour de la résurrection est proche
récite-moi un verset: je veux l'entendre de ta bouche Veïs
et j'espère que nous nous revérrons Îà-bas. Cependant,
se mit à réciter: Je me réfugie auprès de Dieu contre
comme la route de fa résurrection est longue, je m'occupe À
Cheïtén le lapidé (Qoran, xvE, 100}: et 1! se prit à pleurer
ramasser des provisions pour elle. » Ensuite ils se sépa-
amèrement. Puis il ajouta : Sache que le Seigneur très haut
rèrent et s'en alèrent chacun de leur côté,
s'est exprimé ainsi dans la Parole (le Qoran): Nous
Lorsque les sens de Qarn, revenant de Koufa, arrivèrent
n'avons pas créé les cieux et la terre et toui ce qui est entre
dans leur pays. ils témoignèrent à Veïs toute espèce de
eux en nous jouant: nous les avons créés en vérité, mais la
considération et de respect, Ces marques de considération
déplurent à Vers, qui se détermina à fuir de ce canton et à plupart d'entre eux ne le savent pas. Certes le jour He la
Décision sera leur rendez-vous à tous. Dans ce jour Île
se rendre dans fe district de Koufa, où il vécut, ei dès lors
maître ne satisfera en rien pour Faffranchi: ils ne seront
personne ne le vit plus dans son pays.
34 Le mémorial des saints Le mémorial des saints 35
pas secourus, sauf ceux dont Dieu aura pitié. Certes 1} est le Pattendais patiemment qu'il eût fini l’une et Pautre, mais il
puissant, le miséricordieux (xLIv, 38). Le Seigneur très haut ne se leva pas de œætîte place. Trois nuits et trois jours de
dit : Nous avons créé les hommes et les génies pour qu'ils suite il fit la prière et récita le 1esbih, à tel point que durant
nous servent {LI 56} Veïis Garni, après avoir récité ces ces trois nuits et ces trois jours il ne mangea quoi que ce
versets, poussa un tel cri que je me demandai s'il n'avait für, ne se coucha pas et ne dormit pas. La quatrième nuit,
pas perdu la raison. Alors s'adressant à moi: © fils de après avoir un peu dormi, il s'éveilla vite et fit cette prière
Khavân! qu'es-iu venu faire ici? — J'y suis venu, répondis- dans l'élan de son cœur : O© mon Dhieul je cherche refuge en
je, pour m'entretenir avec 101, dans la pensée qu'il m'en toi contre mon œil qui est porté au sommeil et contre mon
reviendrait quelque avantage. — {1 serait étrange, observa- ventre avide de nourriture. Lorsque j'entendis Veïs pronon-
til, que quelqu'un ait eu connaissance du Seigneur très cer ces paroles, je me dis : Ïl est vraiment impossible de le
baut et ait trouvé la tranquillité d'esprit dans les relations troubler dans ses exercices, et je repris le chemin par lequel
qu'il aura pu avoir avec n'imporie qui. — Veis, continuai- j'étais venu. »
je, donne-moiï un conseil. — Vois toujours la mort devani On rapporte que Veïs ne se couchai jamais la auit.
tes veux, répondit-il et lorsque tu es couché, sache qu'elle Tantôt, jusqu'aux premiers rayons de l'aurore, il récitait le
repose sous ton oreiller. Ne considère pas un péché comme tesbih les bras croisés sur la poirine, droit sur ses pieds;
peu de chose sous prétexte qu'il est léger: considère-le tantôt 1? récitait Ke resbih la tête inclinée, se tenant les
comme grave et séricux. je lui demandai encore dans quel genoux, le corps courbé en deux: tantôt il récitait le fesbiñ
pays je devais établir ma résidence et il me répondit que en appuyant sa tête sur le tapis à prière et il adoraït ainsi à
c'éta en Syrie: et il ajouta: Ton père et ta mère sont la manière des anges.
morts, Adam, Hava, Moucça, Daoud, Mohammed, sur lui On demandait à Veis: « Quel état de recueilement
soi le salut! sont morts, et ioi aussi tu mourras. Passe donc convient-il d’avoir dans la prière? — Un état tel, répondit-
ia vie de manière à n'être pas couvert de confusion au jour il, que, si quelqu'un te frappe avec une hache, tu ne dois
de la résurrection. © fils de Khayân, n'oublie jamais la pas l'en apercevoir. » Une autre fois, comme on lu
mort dans tes entretiens avec les homtmes veriueux. Récite demandait pourquoi il était soucieux, « C'est, répondit-
souvent la Parole du Seigneur très haut. Ne te refuse pas à il, parce que ma route est longue el mes provisions
donner aux fidèles de bons conseils et des exhortations. G nulles. »
fils de Khayän! appelle sur moi les bénédictions de Dieu, Il disait encore : « Quand bien même tu accomplirais
comme je les appellerai sur toi, de mon côté. Etif se sépara autant d'œuvres de piété que tous les êtres qui sont dans le
de moi. Comme je lui demandais la permission de Îe ciel et sur {a terre, Dieu ne les acceptera qu'au moment où
reconduire quelque temps, il ne le permit pas et se mit à tu auras extirné de ton cœur toute pensée d'assoriation ei
pleurer abondamment, Depuis. je ne l'ai jamais revu, » de doute: ioute pencée d'association, en Ce sens que iu
Un docteur nommé Rebi'a Khotsaïm, que la miséricorde n'adjoindras pas un associé au Seigneur très haut; qu'en
de Dieu soit sur luif racontait : « J'étais à la recherche de outre tu n'apporneras aucun doute sur son unité: que tu
Veis Qarni. Au moment de la prière du matin je le vis qui seras rassuré sur le succès de tes bonnes œuvres sans faire
faisait la prière, à la suite de laquelle il récita le tesbih!. passer dans ion cœur la moindre incertitude sur leur
acceptation: que tu ne seras occupé à rien autre chose qu'à
. On entend par ce moi ou une invocation ainsi conçue : « que SOit servir Dieu et à obéir à sa loi. »
exalté le nom du Scigneur le très grand!» ou, ce dont i doit s'agir ici
l'énumération des attributs de Dieu, au nombre de 09, qu'il est d'usage de Ï disait encore : « Quiconque aire trois choses, l’enfer
récier aprés chaque priêre canonique. est bien près de lui, Ce sont : f) le goût des mets délicats:
36 Le mémorial des saints Le mémorial des sainis 37
2) ja recherche des beaux habitiements: 3} la fréquentation salut est dans luniguiré !, qui consiste à chasser de ton
des riches, » cœur l'amour du monde entier pour Îe remplir exclusive-
Quelqu'un di à Veïs : « [} y a dans tel endroit un homme ment de l'amour du Seigneur très haut, On appeile ce degré
qui, depuis trente ans, a creusé une tombe dans laquelle ji a k degré du véhider, c'est-à-dire de l'uniquité. Si l'amour de
suspendu un linceul, et qui resie assis jour ei nuit, sans toute autre chose entre dans ton cœur, ce n'est plus le degré
relâche, auprés de cette tombe, tout baigne de pleurs » de l'uniquité, mais celui de la dualité. »
Veïs Qarni se mit à la recherche de cet homme et le trouva. On raconte que Veïs Qarni jeünait le jour et priait la nuit
El vit que son visage était pâle et ses yeux creux. « Hé! jusqu'aux premiers rayons de l'aurore. Îl recueillait dans les
Fhomme! lui cria-1-11, voilà trente ans que ceite tombe et ce balayures les chiffons qui y étaient tombés, les lavait dans
linceul te tiennent éloigné du Seigneur très haut. Tu es là, l'eau et, après avoir fait la prière, les cousait l'un à l'autre
les veux firés sur cette tombe et sur ce linceul, comme celui pour s’en faire un vêtement. Quand fl marchait dans les
qui est en contemplation devant une idole. » Les paroïkes de rues, les enfants le frappaient à coups de pierre: et lui de
Veïs Qarni produisirent sur cet homme une profonde leur dire : « Enfants, lancez-moit de petites pierres, car mes
impression; il poussa un soupir et rendit l'âme aussitôt. Si pieds sont faibles, et s'ils étaient blessés, je ne pourrais plus
donc le iombeau et le linceul sont un voile entre nous et m'acquitter des œuvres de dévotion, » Sur la fin de sa vie,
Dieu, comment les autres choses terrestres n'en serajent- Veiïis Qarni, s'étant rendu auprès de l'émir des croyants,
elles pas un? A, partit avec lui pour la guerre sainte et fut martyr au
On raconte que Veis Qarni resta trois nuits et irois jours combat de Siffin?.
sans mangér. Le quairième jour il vit une piéce de monpaie
laissée Là sur la route. Faisant réflexion qu'elie était tombée
de la poche de quelqu'un, i ne voulut pas la ramasser et
s'en emparer. Plutôt que de s'approprier le bien d'autrui, à
se dit: « Je vais aller dans la campagne et y cueillir des Sentences de Haçan Basrii.
herbes que je mangerai pour satisfaire ma sensualité. »
Tout à coup un mouton, tenant dans sa bouche un pain
éniier encore chaud, s'approcha de lui Veïis Garni Ce nourrisson de la prophétie, ce sanctuaire de Ja
craignant que le mouton n'eût enlevé le pain à quelqu'un, science, ce président des hommes d'élite, Cheïkh Haçan
ne se fut pas plus 4ôt détourné de lui que le mouton, se Basri, que la miséricorde de Dieu soit sur luit Il avait été
mettant à parler, dit : « © Veïs! je suis le serviteur de Celui élevé dans la maison de Mohammed, sur lui soit le salut!
dont, toi aussi, tu es le serviteur. Recois donc dé moi la Sa mére était servante de celle des femmes de l'Envoyé
nourriture que t'envoie le Seigneur très haut. » Et Veïs qu'on nommait Oumm $elarna. Chaque fois que sa mére
n'eut pas plus tôt pris ce pain que le mouton disparut. On
pourrait citer sur Veis Qarni beaucoup d'autres traits du
méme genre. Cheikh Aboul-Qâcim Gourgäni, dans les L Je risque ce mot, qui me semble traduire plus exactement l'expres-
sion ouigoure.
commencements de son êtat d’extase, ne cessait de répéter : 2. Entre l'usurpateur Moaviyah et le khalife Kégiime Ailan 37 de
& © Veïs! à Veïs! ô Veiïst » l'hégire (647-658 de notre ëre), le mercredi, 1° jour du mois de safar. dans
Veïs disant : « Quiconque à la connaissance du Seigneur la plaine de Siffin, orés de Ragaa. sur fa rive occidentale de l'Euphrate.
3. Surnomimé Abou Sc'id el-Hacan ben Abil-Haçan Yecär, né l'as 2}
très haut, rien n'est caché à ses yeux dans ce bas monde et {641-652}, mont le $ de redjeb de l'an 110 (728-729). f} n'avait donc pu
H possède toute la science terrestre. » 1} disait encore : « Le rencontrer le Prophète. mort en 632.
Le mémorial des saints 33
38 Le mémorial des saints
était occupée à quelque ouvrage. si Haçan Basri se mettait rendu dans le pays de Roum pour yexercer son commerce,
à pleurer, Oumm Selama, que Dieu se complaise en elle! et il existait des relations amicales entre lui et le vézir du
lui donnait le sein. Quelques gouttes de lait pénétraient pâdichâh de cet empire. Un jour le vézir hui dit : « Aujour-
dans son gosier, et les milliers de bénédictions que le d'hui nous devons sortir de la ville et nous rendre à un
Seigneur très haut répandi plus tard sur lui sont dues à certain endroit : viendras-tu avec nous? — Oui, répondit
l'influence heureuse de ce lait béni. Haçan, j'irai. » Êt. en effet, il se mit en marche avec eux.
On raconte qu'un jour Maçan Basri, étant dans la «Je vis dans une plaine, racontait-il, une vaste tente dont
maison d'Oumm Selama, but de l'eau 4 la cruche dom se es cordes étaient de soie et les piquets d'or. Je vis aussi une
servait l'Envoyé,sur lui soit le salut! Celui-ci étant survenu nombreuse troupe de soldats tout couverts de leurs
demanda qui avait bu de l'eau à cette cruche. Oumm armures. Ils firent le tour de cette tente, échangérent entre
Selarna lui ayant répondu que c'était Basri, if dit : « Autant eux quelques paroles et se retirèrent. Ensuite s'avancérent
il a bu d'eau de la cruche, autant de ma science il fui environ quatre cents molla et soufi* qui firent le tour de la
écherraen partage. » Une autre fois l'Envoyé, surlui soit le tente et se retirérent après avoir aussi prononcé quelques
salut! étant venu chez Oumm Selama, ft asseoir Haçan paroles. À leur place quatre à cinq cents vicillards vinrent
Basri sur fe pan de sa sainte robe et appela sur sa tête Îles faire le tour de la tente, prononcèrent quelques paroles et
bénédictions de Dieu. C’est grâce à cette prière que le s'en retournérent. Puis vinrent quatre à cinq cents belles
Seigmeurtrés haut accorda à Haçan Basri un rang si élevé. jeunes filles, ayant chacune dans la main un plat rempli de
On rapporte que, lorsque Haçan Basri fut mis au monde ioute espèce de choses précieuses, telles que or, argent,
par sa mére, on le porta à Omar, qui dit : « Voilà un bel rubis, hyacinthes, perles, turquoises. Elles firent le tour de
enfant, donnez-lui le nom de Haçan »; car dans la langue ja tente et s'en allérent. Ensuite le qaisar-roi et son vézir
arabe, pour dire « beau », on se sert du mot « haçan ». entrèrent dans la tente et en ressortirent. Pour mot,
Oumm Selama eut soin de Haçan comme de son propre continuait Haçan. je restai immobile d'étonnement à ce
fils, tellement que, lorsqu'elle lui mit à la bouche son sein spectacle. — Que signifie tout cela? demandai-je au vérir.
béni, il en sortit du lait par un effet de la toute-puissance — Le qaïsar-roi avait un fils, me répondit-il. C'était un
du Seigneur très baut, quoiqu'i füt déjà tart. De plus enfant extrêmement beau et plein d'heureuses dispositions.
Oumm Selama disait en le bénissant : « Mon Dieu, accorde Le pâdichäh avait pour ce fils un amour démesuré.
ta grâce à cet enfant et fais qu'il devienne le modèle de la Soudain l'enfant tomba malade et mourut. Son tombeau
famille. Ï'en arriva, par le fait, à avoir des relations avec est actuellement dans l'intérieur de cette tente et on vient le
cent trente des compagnons et il avait vu personnellement visiter une fois par an. Ces nombreux soldats tout couverts
soixante-dix de ceux d'entre eux qui étaient au combat du de leurs armures viennent, font le tour de la tenteet disent :
puits de Bedr'. Haçan Basri était favorable à la cause de Ô fils du sultan! si nous avions pu te racheter à a pointe de
lémir des fidèles, AÏi, de la part duquel il fui revint plus nos épées ou aux coups de nos masses d'armes, nous
tard un manteau. l'aurions fait en te sacrifiant notre vie, mais tout cela est
Voici ce qui fut tout d'abord cause que Haçan Basri fit arrivé par le commandement du Seigneur très haut et il est
pénitence. H était marchand de pierreries et on l'appelait impossible d'y rien changer; et aprés avoir ainsi parlé, ils
« Haçan le lapidaire ». À une certaine époque il s'était s'en vont. Les molla et les soufi, venant à leur tour, disent :
Ô His de roit si nous avions pu te racheter avec l'aide de fa
. Ce combat eut lieu le vendredi. 16° jour du mois de ramazän de ja 1. Soufi est pris ici Sans ke sens de « moine, religieux s.
seconde année de l'hégire (13 janvier 624),
40 Le mémorial des saints Le mémorial des saints 4i
science où de la parole, nous l'aurions fait par la puissance qu'il n'avait plus rien à attendre de toutes les créatures.
de la discussion: mais les paroles et la science du monde C'est pour cela que le Seigneur très haut lui accorda un
enter ne peuvent rien changer aux arrêts suprêmes du degré si élevé qu'il serait impossible d'en donner une idée.
Seigneur irès haut: et ils s'en retournent. Puis viennent les Hi devint considéré entre tous. Un jour quelqu'un disant de
vieillards, qui s'écrient : S'H avait été possible de te racheter lui: « Ce Haçan est plus grand que nous tous, if est plus
au prix des supplications et des gémissements, nous considéré, il est meilleur. » Un personnage vénérable qui se
laurions fait; mais notre intercession n'a servi à rien: et ils trouvait là fui répondit: « La considération dont jouit
s'en vont, eux aussi Viennent alors les belles jeunes filles, Haçan vient de ce que toutes les créatures demandent
qui disent : © fils du sultan! st nous avions pu te racheter conseil à son savoir qui est profitable à tous, tandis que lui
au prix de la beaulé et des richesses, nous aurions sacrifié. n'a besoin de qui que ce soit, si ce n'est du Seigneur très
pour ta rançon nos pérsonnes et tous ces trésors; mais on haut. »
ne détourne la marche du destin ni par l'argent ni par la Cheïkh Haçan Basri faisait une homélie une fois par
beauié; et elles se retirent. Après elles le pâdichäh et le semaine et donnait des avis au peuple. Le jour où il devait
vézir entrent dans cette tente. Le pâdichäâb dit : © mon fiis! prononcer cœtte homélie, si Râbi'a ’Adaviyeh n'était pas
jai fait tout ce que je pouvais faire. J'ai amené ici ces présente, il descendait de chaire et ne parlait pas. Quel-
nombreux soldats, tous ces savants, ces saut, ces vieillards, qu'un lui dit : « Ô Cheïkh Haçan! voilà ici tant de begs,
ces belles jeunes filles chargées de tant de trésors: et de riches et de grands; parce qu'une vieille femme ne s'y
cependant je n'ai pu te racheter. Cela ne dépend pas de {rouvera pas, est-ce UNE TAISON DOUT QUE VOUS né pronon-
moi, La puissance suprême appariient à Celui qu'aucune ciez pas lhomélie? » Et Haçan Basri de répondre : « Le
jure ne saurait atteindre et auprès duquel les forces du breuvage que nous préparons pour l'estomac des éléphants,
ronde entier restent impuissantes, Que Les miséricordes du on ne saurait le verser dansle gosier des fourmis. » Chaque
Seigneur très élevé se multiphent sur toi jusqu'à l'année fois que Haçan Basri prononçait une homélie, au moment
prochaine) Et avant ainsi parlé, ils reprennent le chemin où le feu de l'amour divin tombait sur les oœurs de tous les
par lequel ils étaient venus. » assistants et où les larmes commencçaient à couler de leurs
Cheïkh Haçan Basri, avant entendu ces paroles, se seniit veux. lui, regardant Räbl'a, s'écriait : « QG Râbia! le feu
touché au fond du cœur. Aussitôt, quittant le pays de qui s'allume dans ces cœurs vient tout entier d'un seul de
Roum, il se rendit à Basra, où 1} fit le serment de ne plus tes soupirs. » Comme on lui demandait un jour s'i n'était
rire dans ce bas monde aussi longtemps qu'il ne saurait pas pasfier de tout ce concours de peuple qui se pressait pour
au juste à quel sort il était réservé. Dès lors 1 accepta de entendre sa parole : « Nous ne tenons pas à la foule des
bon cœur toute espèce d'épreuves et d'afflictions. De plus il auditeurs, répondit-il. mais qu'il vienne seulement deux
s’adonna aux exercices de piété avec une telle ardeur que derviches à nos instructions ét nous nous en rélouirons. »
personne, dans ce siècle, naval pu supporter de serm- Une autre fois on lui dernandait en quoi consiste
blables mortifications: jusque-là que, pendant soixante-dix Fisiamisme ei qui sont les musulmans. « L'islamisme est
ans, chaque fois qu'il avait rompu la pureté légale en dans les fivres, répondit-il; quant aux musulmans, ils sont
satisfaisant aux besoins naturels, il ne manquait pas de se sous terre, — Mais, lui demandait-on encore, quelle est La
purifier de nouveau ! Î se confina dans une telle solitude racine de la religion? — L'abstention de toute mauvaise
action et la crainte du Seigneur trés haut. — Et ces deux
Ï. La loi n'exigeait de lui cette purification qu'avant l'accomplissament conditions essentielles, qui les vicie? — La convoitise. »
de la prière, tandis que lui n'attendaii pas ce moment pour 56 pudifier. On le questionna aussi sur ce qu'on appelle les Jardins de
42 Le mémorial des saints Le mémorial des saints 43
l'Eden. « Les Jardins de l'Éden, répondit-il, sont un seul et ensemble un verset du Qoran. « Ces gémissements que tu
unique paradis d'or rouge, dont le Seigneur trés haut pousses, lui dit Haçan Basri, si tu as la force de les retenir,
connaît seu) les splendeurs. Dans ce paradis entreront les sont comme un feu de perdition que tu souffies sur tes
prophètes, les hommes droits, les martyrs, les sultans qui propres œuvres: mais si tu les pousses malgré toi et sans
auront pratiqué la justice et tous Ceux encore qui n'auront pouvoir les retenir, moi qui suis Haçan Basri, je me déclare
pas admis dans leurs cœurs l'amour de ce bas monde, » Un de dix degrés en arrière de toi»; et il ajoutaift: « Crier
jour on lui demandait comment un médecin, qui est malade comme cela et pousser des gémissements n'ést, ka plupart
lui-même, pourrait remédier aux souffrances des autres; du temps, que l'œuvre de Cheïtän. »
car on dit: Soigne-toi toi-même d'abord afin de pouvoir On raconte qu'un jour Haçan Basri prononçait une
ensuite soigner les autres. « Ce que je sais, répondit-il, vous hommélie, lorsque fout 4 coup Heddiädj ben Voucçouf,
m'avez entendu vous lexposer dans l'espoir que cela vous accompagné d'un grand nombre de ses serviteurs, le sabre
serait utile; Quant à mon ignorance de bien des choses, il ne nu, pénétra dans la mosquée. Un grand personnage, qui
VOUSen et TEVEnU AUCUN préjudice. » . était assis fa, dit: «li nous faut observer aujourd'hui
On lui disait, sous forme de reproche: « © Cheïkh Haçan Basri pour voir s'il sera gêné par la mrésence de
Haçan Basrit nos cœurs sont engourdis dans le sommeil et Heddiädi. » Lorsque celuict fut entré et eut pris place,
ts ne s’éveillent pas à ta parole. — Ah} plüt à Dieu qu'ils Haçan Basri, sans faire la moindre attention à lui, allongea
ne fussent qu'endormis! s'écria-til Celui qui est endomni, son discours, bien loin d'en rien retrancher. Une fois son
on le secoue et il s'éveille: vos cœurs à vous sont bien homélie terminée, le grand personnage qui avai dit qu'il
morts: el voilà pourquoi on 4 beau les secouer, ils ne fallait l'observer s'écria : « Bravo Haçan! » Lorsqu'il des-
s'éveillent jamais. — Mais, lui demandait-on. il y a des cendit de la chaire, Heddiâd; s’avancça et, lui prenant Îa
gens qui nous effrayent tellement par leurs menaces que main, dit en s'adressant au peuplé : « Si vous désirez voir
nos cœurs en sont brisés; est-ce permis cela? — Est-ce qu'il celui de ses serviteurs quele Seigneur très haut a distingué
ne vaut pas mieux, leur f-il observer, trembler auiourd'hui entre tous, Venez et conternpiez Haçan Basni. »
en entendant la paroie de Dieu que de frémir demain, au Après la mort de Heddjäd}, un personnage vénérable fe
jour de la résurrection, quand vous serez saisis par le vit en songe, gisant renversé au milieu des assises de la
châtiment suprême? » Alors on lui lançai cetie obijurga- résurrection. « À Heddijädi! lui dit-il, que demandes-tu? —
tion : « Haçan, iant que tu ne l'es pas purifiétoi-même, Rien autre chose que ce que tant d'hommes respectables et
d'où vient que tu nous donnes des avis? — © hommes! œux qui proclament l'uniié de Dieu demandent eux.
répondit-1i, le désir de Cheïtân est de susciter dans vos mêmes. » Au moment de sa mort Heddjädj avait dit : « Ô
cœurs des objections comme celles-là afin que, fermant la mon Dieu! fais voir à ce malheureux, au cœur serré, ta
porte de la veriu, vous ouvriez celle du mal.» On lui générosité et ta miséricorde. Les voilà tous qui, d'un seul
demanda encore si les fidèles étaient sujets à l'envie: et lui cœur ei d'une même bouche; déclarent que le Seigneur trés
de répondre : « Sans doute, vous avez oublié la conduite haut condamne Heddjâdi sans espoir de retour et ne lui
des frères ainés de Youcçouf le prophète? Mais, à tout pardonnera jamais. Eh bien, en dépit d'eux, par un effet de
prendre, 1 eût été bien préféraüle qu'iis ne manilestassent ta munificence, ne tiens pas compte de mes pèchés et fais.
pas publiquement Îa plaie de l'envie cachée dans leurs moi miséricorde. » Lorsqu'on rapporta ces paroles à
cœurs. » Haçan Basri, il dit: « Heddiâdi est capable de prendre
Haçan Bacsri avait un disciple qui se jetait à terre en l'autre monde par escamoiage. »
poussant des gémissements chaque fois qu'ils récitaient On raconte que l’émir des croyants, Al, vint à Basra et y
éà Le mémorial des saints Le mémorial des saints 45
demeura trois jours, au bout desquels it se rendit 4 la lui demandèrent ses voisins. — Je pleure, répondit-il, en
réunion de Haçan Basri. « Ô Haçan! lui demanda-t-il es-tu pensant que peut-être aujourd'hui, sans le savoir, lai posé
un savant où un homme qui étudie? — je ne suis ni Pun ni le pied sur un endroit prohibé ou laissé échapper une
l'autre, dit Haçan, Les quelques paroles qui sont venues à mauvaise parole qui ne sera pas agréée devant le trône du
moi de la part de l'Envoyé, sur lui soit le salut! je les Seigneurs très haut, d'ob je serai chassé sans coup férir. Va,
enséigne au peuple. — Voilà un bon jeune homme, s'écria me dira-t-on, tu n'as pas accès ici, Les œuvres de piété ne
A, il est vraiment digne d'enseigner la parole de Dieu »: sont pas acceptées. Et que répondrai-je alors? Voilà
et, sur-le-champ, sortit de Basra. Haçan Basri, ayant pourquoi jé crains. »
appris tardivement que le personnage auquel il avait eu Un jour Haçan Basri, assis sur lé toit de sa demeure
affaire était Ah en personne, descendit aussitôt de la chaire. solitaire, pleurait si abondamment que Îles larmes de ses
H courut sivite sur la route qu'Ali avait suivie qu'it ke yeux coulaient par la gouttière. Comme cctie eau avait
ratirapa. « © émir des fidèles, AH! je Pen supplie au nom atteint la tunique d'un passant, celui-ci demanda si c'était
de le Divinité, enseigne-moi à faire la purification. » 11 y a de l'eau propre. « Non, elle n'est pas propre, dit Haçan
à Basra un endroit qu’on appelle la Porre di bassin. Haçan Basri, puisque ce sont les larmes des veux d'un prévarica.
y apporta de l'eau et Al lui enseigna à faire la purification: teur, Dépêche-toi d'aller te laver, »
puis 1l s'éloigna. Une année 1 y eui à Basra une sécheresse. Une autre fois, un homme étant venu à mourir, Haçan
Toute ta population, étant sortie en masse de la ville, faisait Basri accompagna le convoi jusqu'à ce qu'on fût arrivé au
des prières pour obtenir de la pluie. On installa une chaire monument funèbre. Quand on eut déposé le corps dans la
sur laquelle Haçan Basni monta et dit: « Ô habitants! si tombe, lui se mit à pleurer sifort que la terre en fut toute
vous voulez qu'il tombe de la pluie, chassez-moi de détrempée, et il s'écriait : « Ô vous tous qui êtes ici} cette
Basra. » iombe est notre dernière étape dans ce bas monde et la
Haçan Basri avait dans le cœur une telle crainte du première dans l’autre monde. D'où vient donc votre goût
Seigneur très haut que, semblable à un homme assis près pour une vie qui finit de cette manière, ct pourquoi ne
du bourreau, 1 était sans cesse dans Pappréhension: à craignez-vous pas l’autre vie qui commence là où fa
n'était personne qui l'edt jamais vu rire, On raconte première finit? © gens de peu de prévoyance! puisque tel
qu'ayant vu un jour quelqu'un qui pleurait, it lui demanda est le commencement de votre lin dernière, pourquoi
ce qu'il avait, « C'est, répondit celui-ci, que l'ai été à la témoignez-vous une telle incurie pour les intérêts de l'autre
réurHOn de Mohammed Ka’b, et it a dit qu'il se trouvait
monde? »
certainement panni les musulmans un grand nombre Un autre jour, comme il passait au milieu d'un groupe
d'hommes qui, en punition de leurs péchés, resteront de tombes avec plusieurs personnes, Haçan Basri dit: « Il y
beaucoup d'années dans l'enfer, d'où on les retirera plus a dans ces tombes nombre de fidèles dont les visées sont
tard, — Pit à Dieu, s'écria Haçan Basri, que je fusse un de tefles qu’ils ne se soucient guère du paradis; mais is ont au
ceux qui, à la fin, sortiront de lenfer! » L'Envoyé, sur lui cœur un regret aussi grand que l'espace qui s'étend de la
soit le salut! dit : « Quatre-vingis ans après tous les fidèles, terre au finnament, lorsqu'ils se disent: Ah! plüt au ciel
on fera sortir de l'enfer un homme de mon peuple nommé que, dans ce bas monde, nous eussions servi Dieu avec plus
Hounnâd. — Plût à Dieu, s'écria Haçan Basri. que je fusse de zèle encore, parcé que, à la cour du Seigneur très haut,
ce Hounnäd qui, finalernent, sortira de l'enfer! » nous aurions trouvé un rang bien plus élevé que le nôtre! »
Unenuit, raconte-t-on, Haçan Basri gémissait et pleurait Dans son enfance Hacçan Basri avait commis une mauvaise
dans sa maison, « Pourquoi ces gémissements et ces pleurs? action, Chaque fois qu'il mettait une nouvelle chemise, il
46 Le mémorial des saints Le mémorial des saints 47
inscrivait je nom de ce péché sur le collet et il pieurait à la Toutes les fois que Haçan Basri faisait une invocation.
vue de ce qu'il avait écrit. Habib'Adiemi, levant le pan de sa robe, restait debout et
Un jour le khalife Abd el-Aziz, que Dieu se complaise en disait : « Je vois la miséricorde du Seigneur irés élevé qui
lui} envoya à Haçan Basri une lettre dans laquelle H li tombe en plein du haut du ciel, »
demandait de lui adresser un conseil. Haçan Basri lui On rapporte qu'un personnage vénérable disait : « Nous
répondit : « Q Abd el-Azi! si le Seigneur très haut est avec nous rendions à la Ke'abeh avec Haçan Basn. Dans le
101, que crains-tu? et S'n'est pas avéc 10, en Qui peux-tu désert nous étions très altèrés, lorsque nous arrivâmes
mettre ton espoir? » auprés d'un puits où il n'y avait ni seau ni corde pour tirer
Tsabit Bennâni, que la miséricorde de Dieu soi sur lui! de l'eau. Haçan Basri dit : Quand je me mettrai en position
envoya à Haçan Basri une letire dans faquelle il lui disait : pour faire la prière, il vous sera possible de boire de l'eau
« Vous vous rendez à la Ke‘abeh! si j'y allais avec vous? de ce puits. En effet, aussitôt qu'il se disnosa à prier, l'eau,
— Laisse 1à ce propos. répondit Haçan Basri, afin que s'élevant du fond, vint jusqu'à l'orifice du puits, et tous se
nous restions tous deux sous la protection du Seigneur très mirent à boire; mais l'un de nous n'eut pas plus tôt rempli
haut. $i nous étions ensemble, il arriverait que, voyant une cruche que l’eau s'abaissa de nouveau jusqu'au fond
réciproquement nos défauts. nous deviendrions ennemis. » du puits, et Haçan Basni de s'écrer : Ô gens de la caravane!
Haçan Basn dit à Zâhid Dhâbir : « I y a trois choses que parce que vous n'avez pas confessé hautement a toute-
tu ne dois pas faire: {} garde-toi bien d'entretenir des puissance du Seigneur très haut, l'eau s'est retirée au fond
relations avec les rois: 2} ne tiens jamais compagnie seul à du puits. Lorsque nous fimes à une certaine distance de ce
uné femme seule: 3) ne tends pas ton oreille aux parotes puits, Haçan Basri trouva sur la route une datte, qu'il nous
des autres: ne va pas recueillir des rapports de tous côtés, » donna. Aprés l'avoir mangée, nous vimes qu ‘elle avait un
Maäfik Dinâr demandait à Haçan Basri quelle est la fin la pépin d'or. Nous pourvümes à nos dépenses à Médine avec
plus fniste pour les savants. « Le plus grand mafheur pour la moitié de cet or et nous donnâmes l'autre moitié en
un savant, répondit-1}, est que son cœur vienne à mourir et aumônes. »
reste dans les ténèbres. — Et cela, reorit MAGlik Dinâr, On raconte qu'Abou Omar, imam de Garchi, ayant
arrive aux savants par suite de leur amour exagéré pour le considéré d'un œït pérfide la beauté d'un jeune garçon,
monde. » oublia tout le Qoran par un effet de ta toute-puissance du
Un personnage vénérable racontait: « Une nuit, à Seigneur très haut. Le cœur brûlé d'une flamme secrète,
Faube, je me rendis à a porte de la mosquée que out en larmes,il se rendit auprès de Haçan Basri, auquel il
fréquentait Haçan Basri, pour y faire la prière. Je vis que la exposa son état. Celui-ci, pénétré d'inquiétude à son sujet,
porte était fermée, mais on entendait Haçan Basri faire des dit : « Ô Omar! voici te temps dese rendre à ia Ke’abeh;
invocations auxquelles plusieurs personnes répondaient vas-y. visite-la et ensuite transporte-toi à la mosquée de
amen. Je m'assis en dehors jusqu'à ce que l'aurore bnillât. Gaïf. Sur le mihrdh de cette mosquée est assis un homme à
Alors je posai la main sur la ponte, qui s'ouvrit et laissa barbe blanche. Expose-lui ton état. S'il fait une prière pour
voir Haçan Basri assis tout seul. La prière faite, je hui loi, tu es assuré de trouver satisfaction. » Abou Omar
demandais qui répondait amen quand il faisait des invoca- partit donc et visita la Ke'‘abeh: puis, allant à la mosquée
tions. — Sache. me répondit-il, que, la nuit de chaque qui lui avait êté indiquée, il y vit un vieillard vénérable assis
vendredi. les génies viennent prendre une leçon auprès de sur le mihräb et une troupe de gens installés près de lui.
moi et s'initier à la science : et chaque fois que je prononce Abou Omar s'assit lui-même dans un coin de la mosquée.
une invocation, ils disent arren. » Bientôt après à vit pénéirer dans la mosquée un homme
48 Le mémoricl des saints Le mémorial des saints 48
vêtu de blanc. Tous ceux qui étaient assis là allèrent à sa suivante, Haçan Basri vit dans l'intérieur du paradis de
rencontre et le saluèrent, Els s’assirent un certain ternps et nombreux palais et des jardins niches en toute sorte de
conversérent ensemble. Lorsque vint l'heure de la prière, produits. « À qui tous ces biens? demanda-t-il. — A celui.
cela qui avait des vêtements blancs s'en alla ainsi que tous là, lui répondit-on, qui, ayant acheté un obiet à quelqu'un,
ceux qui étaient assis avec lui. Ce vieillard à barbe blanche n'hésite pas à le rendre à son propriétaire lorsque celui-ci
resta seul. « Alors, racontait Abou Omar, je m'approchai vient lui dire : Je ne veux plus te vendre cet obiet, j'ai regret
et je li dis: Au nom de la Divinité, viens à mon secours: d'avoir fait ce marché. » Aussitôt que l'aurore parut,
et je lui expliquai ma situation. Ce vieillard intercéda pour Haçan Basri restitua le cheval à son premier maître.
moi. Regardant le ciel du coin de l'œil, après avoir invoqué On raconte que Haçan Basri avait un voisin infidèle,
Dieu, il n'avait pas encore baissé la tête vers la terre que, adorateur du feu, nommé Chem'oun. Ce Chem'oun tomba
subitement, par un effet de fa toute-puissance divine, je malade, Lorsque son dernier moment approcha, on dit à
rétrouvai dans ma mémoire le Qoran tout entier, Dans ma Haçan Basri: « Chem'oun est votre voisin et sa dernière
joie, comme j'étais tombé aux pieds de ce vieillard en lui heure est arrivée, que n'allez-vous le visiter? 5 Haçan Basri,
baisant les mains, il dit : Qui m'a désigné à toi? — Haçan s'étant rendu auprés de hi, vit qu'à force de se prosterner
Basrt, répondis-je. Et lui de reprendre : Celui qui a un devant le feu ses cheveux et sa barbe étaient tout enfumés.
dirècieur et un imam comme Haçan Basri, qu'a-t-il besoin Dans l'espoir que cet infidèle pourrait devenir musulman, il
de recourir à d'autres? Et le vieillard ajouta : Puisque lui dit: « Allons, Chem'oun, crains le châtiment que te
Haçan Basri m'a dévoilé, moi aussi, je veux le dévoiler. It a prépare le Seigneur très haut, toi qui, te prosiernant devant
déchiré le rideau qui m'abritait; à mon tour, je vais le feu pendant sotxante-dix ans, as passé toute ta vie dans
déchirer le rideau qui le cache. Ce personnage vêtu de l'infidélité. Fais donc profession maintenant de la foi, afin
blanc qui est venu tout à l'heure et est réparti, c'était qu'à ton dernier moment le Seigneur très haui te prenne en
Haçan Basri en personne. Chaque jouril fait la prière de piué, — Pour moi, répondit Chem'oun, je vois de votre
midi à Basra, puis il vient ici, s'entrelient avec nous et part trois manières d'agir, que je ne puis m'expliquer et qui
retourne ensuite à Basra pour y faire la prière de l'après- m'empéchent de devenir musulman: {) vous ne cessez de
midi. Quiconque jouit de sa compagnie, qu'a-t-if à faire de répéter que ce bas monde est périssable, qu'il est impur, et
nos prières? » cependant, nuit Et jour. sans trêve ni rEDOS, VOUS enfassez
On raconte qu'un homme ayant égorgé son cheval ses trésors, 2} vous diies que la mort est certaine et
mourantresta tout soucieux de cette perte. Haçan Basri, le inévitable, et cependant vous ne vous én préoccupez
voyant si chagrin, lui donna quatre cents pièces d'or pour nullement et vous ne pratiquez pour vOus-MÊmMeEs aucune
prix de son cheval. La nuit venue, le propriétaire du cheval des œuvres de l'autre monde: 4} vous dites qu'il est vrai
vit en songe sa monture qui paissait dans le paradis, au qu'on pourra contempler la face du Seigneur très haut, et
milieu d'une prairie, entouré de ses quatre cents poutains cependant vous commettez des actes qui ne sont pas du
gris. « À qui donc est ce cheval? — Mais, fui répondirent tout dignes de sa majesté. — Tu parles comme les initiés,
plusieurs voix, ce cheval était d'abord à toi; actuellementit dit Haçan Basri, mais, quoique les fidèles commettent des
appartient à Haçan Basri. » Et, sur l’heure, il s'éveilla. « Ô péchés, ils n'en confessent pas moins l'unité et l'existence
Haçan Basri! lui dit-1, je me repens du marché que j'ai du Seigneur très baut, tandis que Loi. tu as dépensé toute
fait; ramêne-moi mon cheval. — Mais, mon cher, reprit ion existence à te prosterner en adoration devant le feu. Au
Haçan Basri, ce songe que tu as vu, je l'avais vu avant jour de la résurrection, si l'on nous précipite dans l'enfer
toi » Et fautre de s'en aller tout attristé. Or, la nuit toi et moi, le feu, sans te respecter en rien, L'emportera à
50 Le mémorial des saints Le mémorial des saints Si
l'instant même, tandis que, si la grâce du Seigneur très haut beauté, une couronne sur la tête, revêtu de beaux habits,
m'est accordée, la puissance du feu n'ira même pas jusqu'à qui se promenait dans le paradis «Chem'oun, fui
enlever un seul de mes poils: ce qui prouve qu'il n'est demanda-t-i, quelle est ta condition? — Celle que tu vois,
qu'une créature, Ce n'est pas tout : il y a soixante-dix ans répondit Chem'oun. Le Seigneur très haut m'a Fait miséri-
que tu le sers, tandis que moi, je ne l'ai jamais servi. Eh corde. De plus. par un effet de sa générosité, il m'a
bien, viens: tous deux nous allons mettre nos mains dans le pardonné mes péchés et m'a montré sa face, Pour toi, tu es
feu, et nous verrons sa nature bienfaisanie et en même déjà dégagé de toute responsabilité comme caution,
temps la toute-puissance du Seigneur très haut, » Et, sans Reprends l'écrit que tu m'avais donné; actuellement il ne
plus tarder, Hagan Basri plongea sa main dans le feu sans m'est plus d'aucune utilité.» Lorsque Haçan Basri
qu'elle en éprouvât la plus lépère brûlure. Chem'oun, à ce s'éveilla, il vit dans sa main un écrit. Alors, dans l'effusion
spectacte, demeura stupéfait, puis, son cœur s’éclairant à fa de sa reconnaissance, if s'écria : « Mon Dieu, par un effet
lumière de l'initiation, if dit à Haçan Basri: « © Haçan! de ta miséricorde, tu as montré ta face à celui qui a vécu
pendant soixante-dix années j'ai adoré le feu: que faire soixante-dix ans dans l'infidélité: faut-il s'étonner st tu fais
maintenant? — Faire le profession de foi et devenir miséricorde aux musulmans? »
musulman, répondit Haçan Basri. — Koit, reprit Che. On raconte que Haçan Basri considérait comme bien
m'oun, mais donne-moi un engagement écrit en vertu supérieur à lui quiconque il} voyait. Un jour, comme il
duquel, au jour de la résurrection, le Seipneur très haut ne marchait sur le bord du fleuve, il vit un noir qui était assis
me châtiera pas: ei je suts prêt à faire la profession de foi, tout près d'une femme. Devant lui étaient placées une
Autrement, tant que bu ne m'auras pas donné cet écrit, je cruche et une coupe; chacun d'eux versait à son iour de la
ne la ferai pas. » Ausshôt Haçan Basri écrivit un acte tel cruche dans la coupe et buvait. Haçan Basri se dit en
que le désirait Chem'oun et le lui mit entre les mains. « Ce voyant cet homme : « En voilà encore un qui vaut mieux
n'est pas tout, dit celui-ci, fais-y apposer le sceau des que moi. » Toutefois il lui vint à l'esprit : « Sous le rapport
gadi. » Lorsqu'ils leurent scellé de leur sceau, Chem'oun, de l’observance légale, il est bien possible qu'il ne l'emporte
pleurant très fort. Ft pénitence de ses péchés passés; puis il pas sur moi, puisqu'il à auprès de lui une femme de
prononcça la formule de la foi et devint musulman. Alors, mauvaises mœurs ei qu’il est installé à boire du vin. » Au
s'adressant à Haçan Bas, il lui fit cette recommandation : milieu de ces réflexions vint à paralire sur le fleuve un
« Quand je serai mort, fais laver mon corps et dépose-moi bateau lourdernent chargé et monté par sepl personnes.
toi-même dans ma dernière demeure en ayant soin de me Commeil allait aborder, it sombra tout à coup. Le noir, se
mettre cet écrit entre les mains. » Après avoir donné ces jetant à l'eau, en retira successivement six personnes, puis,
instructions, f répéta la profession de foi et rendit Île allant à Haçan Basri, i lui dit : « Lève-10i; si tu es meilleur
dernier soupir. Aussitôt on le lava, on récita sur lui les que moi, j'en ai sauvé six pour ma part, tu peux bien en
prières des morts et, en Île déposant dans sa dernière sauver un pour la tienne »: et il ajouta : « O musulmans!
demeure, on lui mut cet écrit entre les mains. Cette nuit-Jà dans cette cruche il y à de l'eau, et quant à cette fermme,
même Hacçan Basri était plongé dans 5es réflexions et le c'est ma mère. J'ai voulu éprouver Haçan »; et, s'adressant
sommeil ne hui venait pas. « Qu'ai-je fait? se disait-il, je ne à Haçan : « Voilà, tu as vu avec l'œil du dehors et tu n'as
suis pas capable de me retirer moi-même de l'abime: pas été capable de voir avec l'œil de l'intérieur. » À ces
comment donc en retirerai-le les autres? » Cormme il était mots Haçan Basri, tombant aux pieds de ce noir, lui baisa
dans ces pensées, il tomba tout d'un coup dans le sommeil. la main et comprit que c'était un des serviteurs d'élite du
Dans son rêve 1} vit Chem'oun. Le visage resplendissant de Seigneur très haut. « O vénérabie! lui dit-il, de même que
si Le mémorial des saints Le mémorial des saints 53
tu as retiré ces naufragés des eaux du fleuve, sauve-moi de femme! lui dis-je, couvre d'abord ion visage et ensuite tu
l'abime du culte de moi-même. » Et le noir de lui parleras. — © Haçan! me répondit-elle, dans ma passion
répondre : « Va, tu es sauvé. » Depuis lors il ne considéra pour une créature j'ai perdu la raison et je ne sais même
plus personne comme moindre que lui, 1 estimait que tous pas que j'ai le visage découvert. $itu ne m'en avais pas fait
jui étaient Supérieurs. Un jour, voyant un chien, i dit: apercevoir, je serais entrée ainsi sans voile dans le bâzär.
« Mon Dieu, pardonne-moi en faveur de ce chien, éléve- Mais toi, qui cultives avec un zéle si imfatigable l'amitié du
moi aussi haut que lui. — Quoi donc, lui demanda Seigneur très haut, ne devais-tu pas tenir en bride ton œil
quelqu'un, Ô Haçan! est-ce toi le meilleur, ou Le chien? _— pour ne pas voir que mon visage était découvert? Les
Si je suis à l'abri de la colère du Seigneur trés haut, paroles de ccite femme me firent une profonde impres.
répondit-if, c'est moi qui suis le meilleur; mais si je n'en sion. »
suis pas délivré, ce chien vaut cent fois mieux que moi. » Haçan Basri dit un jour à ses familiers : « Vous autres,
On raconte que Haçan Basri disat: «Je suis resté vous ressembiez aux compagnons de l'Envoyé. sur lui soit
stupéfan devant les paroles de quatre personnes : 1) d'un le salut! » Eux tous de se réjouir, mais 1 aiouta : « Ce sont
ivrogne; 2) d'un mignon infâme: 3) d’un enfant: 4) d'une vas visages et vos barbes qui portent cite ressemblance,
femme. — Comment cela? lui demanda-t-on. — Un jour, mais rien autre en vous. De plus, si vous les aviez vus, tous
répondit-il, comme je passais près d'un mignon, craignant vous auraient fait l'effet d'insensés. Eux, de leur côté, s'ils
que le pan de ma robe ne le touchât, je la serrai autour de VOUS avaient vus, n'auraient Das traité de vrai musuiman
moi. Lui de me dire: O© Haçan! pourquoi ramasses-tu le un seul d'entre vous; attendu qu'eux tous, dans la pratique
pan de ta robe loin du contact de ma personne? Nul auire de la foi, étaient comme des cavaliers montés sur des
que ke Seigneur trés haut ne sait quelle sera la fin de chevaux rapides, ou comme le vent, où encore comme
chacun. Une autre fois je vis un homme ivre qui allait Poiseau qui vole dans les airs; tandis que nous cheminons
tombant et se relevant au milieu de la boue. Je lui dis: comme moniés sur des ânes qui ont une plaie sur le dos. »
Tâche donc de poser mieux ion pied de manière à ne pas On raconte qu'un Arabe, étant venu trouver Maçan
tomber. — © Haçan! me répondit cet ivrogne, malgré Basri, lui demanda ce que c'était que Ja patience. « 1} y a,
toute la peine que lu te donnes, marches-iu, Out où non, répondit Haçan Basri, deux espèces de patience: l'une
d'un pas bien assuré dans la voie de Dieu? Si je suis consiste à supporter courageusement f'aïfliction et Îes
renversé dans la boue, it n'v aura pas grand mal: j'en serai calamités, à ne pas commettre les actions que le Seigneur
quitte pour me laver et me nettoyer; mais loi, que iu très haut nous à interdites; et l'autre à ne jamais prêter
tombes dans ke puits du culte de ta personne, jamais tu n'en loreille aux suggestions de Cheïtân. — Pour moi, dit
sortiras net et La situation en sera foncièremnent ruinée, Ces l'Arabe, je n'ai jamais vu personne plus retiré de ce monde
paroles me firent mal au cœur. Une autre fois encore un et plus patient que toi — Hélas! dit Haçan, mon
jeune enfant s'avançait, tenant un flambeau allumé. D'où renoncement au monde et ma patience ne peuvent être
apportes-tu cette lumière? demandai-je. La, sur-le-champ, comptés pour rien. — Pourquoi parles-tu ainsi? s'écria
la souffla avec sa bouche, l’éteignit et, s'adressant à moi: O l'Arabe. — Parce que, si je pratique le renoncement, ce
Haçan! dis-moi où elle est allée et ensuite je l'expliquérai n'est que par crainte du feu de l'enfer: et je ne suis fidèle à
d'où je l'ai apportée. Un jour une belle femme, le visage la patience que parce que j'espère enirer en possession du
dévoilé, les bras levés, venait à moi, Elle sortait de se paradis. Or celui-là seul rnérite d'être compté qui, sans
quereller avec son mari, €t à peine m'eut-élle abordé qu’elle s'inquiêter de sa tranquillité à lui, pratique la patience pour
commença à me répéter les propos qu'il lui avait tenus. © le Seigneur très haut, et dont le renoncement n'a pas pour
54 Le mémorial des saints Le mémorial des saints 55
but le paradis, mais uniquement le désir de plaire à Dieu. sentiment de l'envie, il parviendra au rang des hommes
Une tclle manière d'agir est le signe manifeste de Îla généreux. S'il persévère dans ces voies, 1 obtiendra la
sincérité du cœur. » félicité dans les deux mondes, »
Haçan Basri disait : « Î} faut à un homme une instruction Ï disait encore’ « Les degrés de la crainte sont au
solide et pratique: plus, une bonne conduite conforme à nombre de trois : le premier consiste à dire toujours la
son instruction: plus, trois choses qui vont de pair avec vérité; le deuxième à garder sa personne de toutes les
cette instruction et cette conduite: 1l}la simcérité; 2} la œuvres que n'aime pas le Seigneur très haut: le troisième à
patience; 3) ia modération dans les désirs. Celui chez lequel se conduire de mantère à voir ses actes agréés de lui. » Et El
ces trois conditions sont pleinement remplies ne restera ajoutait : « Un mirsqgél (environ six grammes et derni) de
jamais frustré dans ses espérances: il Aura sa part dans les crainte vaut nueux que mille »nisqäl de icûnes et de prières.
miséricordes du Seigneur très haut. » La plus excellente de toutes les œuvres, c’est la pratique de
F disaencore : « Les moutons sont plus attentifs que la crainte et la méditation sur ses propres actes. Celui dont
les hommes, car lorsque le pâtre les appelle, ils cessent de le cœur ne va pas de pair avec la larigue, dont l'extérieur et
paitre, tandis que les hommes, quoiqu'ils aient entendu l'intérieur ne sont pas à l'unisson, porte sur lui l'empreinte
tant de fois les avertissements du Seigneur très haut, ne se de l'hypocrisie. Le vrai fidéle est celui qui s'applique
retiennent pas de faire le mal, lequel mal provient toujours constamment à ne pas tomber dans l'hypocrisie, qui ne fait
des mauvaises compagnies. » rien de ce qu'il ne doit pas faire, qui ne prononce jamais
1 disait encore : « $i quelqu'un m'invitait à boire du vin, une parole qu'il ne doit pas dire. »
J'aimerais mieux cela que s'il m'angelait pour entasser Î} disait : « I y a trois espèces de gens dont on meut mal
ensemble les biens de ce monde. — On ne gagne pas Le parler en leur absence sans que ce soit de la médisance :
paradis avec ces quelques œuvres que nous pratiquons, ljles prévaricateurs; 2} ceux qui ne distinguent pas l'illicite
mais avec de bonnes et sincères résolutions. — Lorsque les du ficite et qui marchent au gré de leurs désirs déréglés;
habitants du paradis regarderont en y faisant leur entrée, 3} les oppresseurs. Lorsqu'on a eu le malheur de médire de
ils seront comme frappés d'une ivresse de sept cœnt mille quelqu'un, 4l faut en demander souvent pardon à Dieu, »
années, parce que le Seigneur très haut se révélera à eux « Bien à plaindre, disait-1l, celui des fs d'Adam qui met
dans toute sa gloire. S'ils le contemplent face à face, ils sa complaisance dans ce bas monde, où l'on doi rendre
perdront le sentiment de leur être en présence d'une majesté compte de l'usage des choses légitimes et où il y a un
Si imposante. À la vue de sa beauté, devant la multiplicité châtiment pour les choses défenduest Chaque fois que
de ses attributs et son unité, ils s'abimeront dans les pro- mourra un des fils d'Adam, il partira avec trois regrets :
fondeurs de l'amour et resteront comme enivrés, » Pde ne s'être jamais rassasié d'entasser les biens de ce
Ïl disait encore : « La méditation est comme un miroir monde; 2) de n'avoir jamais trouvé la satisfaction des
dans lequel chacun de ceux qui la pratiquent, en examinant désirs qui étaient dans son cœur; 3) de n'avoir pas préparé
son état, voit réfléchis devant hui ses vertus et ses vices. » convenablement Îles provisions de route pour l'autre
Haçan Basni disait : « J'ai vu écrit dans le livre du Tevrit monde, » Quelqu'un lui di : « Un tel va rendre l'âme »: et
{le Pentateuque) que celui qui pratique la modération dans Haçan Basri de s'écrier : « Mais voilà soixante-dix ans qu'il
les désirs n'a pas besoin des autres. Celui qui, se mettant à rendait l'âme; aujourd'hui il va être délivré de cette
l'écart de tout le monde, choisit pour lui la retraite dans un peine. »
coin, y trouvera le salut, S'il met sous ses pieds la HE disait encore : « C'est un homme avisé celui qui prend
concupiscence, fl deviendra libre, S'H n'éprouve pas le soin de ses intérêts dansl'autre vie sans se donner de soucis
56 Le mémorial des saints Le mémorial des saints 57

pour que sa prospérité temporelle ne soit pas endommagée. On demandait à Haçan Basri quelle était sa situation.
Quiconque connaît le Seigneur très haut voit son amour « Ma situation, répondit-il, est celle d'un homme dont
pour lui s'accroitre de jour en jour; quiconque connait ce lembarcation s'est brisée en mér ét qui résté sur un
monde passager le considère comme un ennemi. L'homme fragment de planche, »
intelligent est celui qui pose un frein solide à la tête de ses Dans une oraison éjaculatoire Haçan Basri disait:
passions et qui tient la bride d'une main ferme, Regarde « Mon Dieu, tu m'as accordé des grâces, et je ne l'en ai pas
bien ce que deviennent les affaires de ce bas monde pour remercié. Tu m'as envoyé des épreuves, et je ne les ai pas
quelqu'un qui meurt, parce qu'elles seront exactement de supportées avec patience, Tu ne m'as pas retiré tes faveurs
même pour toi aprés ta mort. C'était par amour pour le pour avoir manqué de reconnaissance et tu as supprimé les
monde d'ici-bas que les infidèles rendaient un culte aux épreuves en voyant que la patience me faisait défaut. Mon
idoles. » Et il ajoutait : « Quiconque prise l'or et l'arsent, Dieu, que ta générosité et ta miséricorde sont donc
le Seigneur très haut Île fera tomber à la fin dans grandes! »
lavilissement. Me commande aux autres que ce que tu Haçan Basri ne riait jamais. Àu moment de rendre l'âme,
pourrais toi-même exécuter. » JI disait aussi : « Quiconque il sourit une fois et s'écria : « Quel péché? quel péché? »et
te rapporte les paroles d'autnu est capable de rapporter à il expira. Quelqu'un le vit en songe et lui demanda : « G
autrui tes propres paroles. Ne donne pas accès auprès de Haçan Basri! toi qui ne sourtais jamais, pourquoi donc, en
toi À un tel personnage. Au jour de la résurrection il faudra rendant l'âme, disais-tu, le sourire aux lèvres : Quel est ce
rendre compte non seulement de toui ce qu'on aura mangé péché? quel est ce péché?» Et Haçan de répondre:
soi-même, mais de tout ce qu'on aura fait manger à son «Corne je rendais l'âme, un bruit de voix se fit entendre
père, à sa mère où à ses petits enfants. Quant à ce qu'on l'on disait : Ô Azraïil! tiens bien son âme, elle à encore
aura donné à manger aux hôtes, il n'y aura pas à en rendre un pêché; et moi, dans ma joie, je disais : Quel péché? » La
compte. Pour chaque prière que tu feras sans recueillement, nuit même où mourut Haçan Basri un personnage
le châtiment suivra de près. » vénérable vit en songe qu'on avait ouvert les portes du ciel
Haçan Basri racontait: « Un iour que je me tenais sur la et qu'on criait: « Haçan Basri vient d'arriver chez le
terrasse de ma maison, j'entendis la ferme de notre voisin Seigneur très haut, qui Est satisfait de fui »
dire à son mari: Voilà cinquante ans que je suis dans ta
demeure, toujours d'humeur égale, dans abondance
comme dans le dénuement. Qu'il ff froid ou chaud, je t'ai
servi fidèlement, sans jamais rien demander. J'ai conservé Histoire de Mälik Dinar \.
intacts ton nom ei Lon honneur. Je n'ai porié plainte contre
10i à personne; mais aujourd'hui je ne puis supporter de te
voir prendre une autre femme et £’entrétenir farmiliérement Ce prince des hommes d'élite, cet esprit subtil dans le
avec elle. En entendant ce discours, je fus en proie à une domaine de la science, ce voyageur sur les routes de la
douce émotion et fe pleurar Dans la Parole sacrée le vérité; lui qui semblait avoir des ailes dans la région de
Seigneur très haut dit ?: @ mon serviteur! je te pardonne l'amour, ce Mâlik Dinèr, que la miséricorde de Dieu soit
ton pêché; mais st, dans 1on cœur, tu te laisses aller à en sur luit Son père était esclave d'un maître. Pour lui,
adorer un autre que moi, je ne voudrai pas te pardonner. » quoique fils d'un esclave,il était homme libre dans les deux

{. Qoran. sour. Fv. vers. SI et 116. 1. Néen l'an 137 754755).


Le mémorial des sainis Le mémorial des saints 53
58
ntun méme, il s'adonna aux saintes pratiques avéc un CŒUr pur.
mondes. Dinâr était le surnom de son père. Suiva
voici ce qui était arrivé . Un jour Mix Dinâr Le lendemain matin, au lever de lPaurore. tous les gens du
autre récit,
étant entré dans une embarcation, On pOUSS A au large. Une quarliér se réunirent à la mosquée et, après l'avoir
fois en plein fleuve, le patron du bateau demanda à Mälikil
mspéctée avec soin, ils s'écrièrent : « Lt faut un administra-
e teur à cette mosquée pour l’entretenir et s'en occuper. » Et
Dinâr de l'argent pour payer Son passage, Comm
qu'il n'en avait pas, le patro n le battit si fort tous furent d'avis qu'il fallait investir Mälik de ces
répondait on fui fonctions. Alors îls lui dirent : « Charge-toi de Padminis-
Jui,
qu'il resta sans connaissance. Une fois revenu à tration de cetie mosquée. » En entendant cette proposition,
gent. Sur sa répon se qu'il n'en avai
demanda encore del'ar
on réco mmen ça à le batire ei on le frapp a ainsi MAX s'écria dans l'élan de son cœur : « Mon Dieu, tandis
pas,
lui dit : « Si tu ne nous que je té rendais des hommages hypocrites, durant toute
rudement jusqu'à trois fois. Puis on
l'eau. » À ce une année, personne ne m'a demandé qui j'étais, Pour une
donnes pas d'argent, nous fe jettérons 4
ons seule nuit où je t'ai adoré d'un cœur pur, voilà qu'aujour-
moment. sur l'ordre du Très-Haut, de nombreux poiss
e une pièce d'hui tu m'adresses tant de personnes qui veulent me faire
jevérent la tête, tenant chacun dans leur gueul
geant la porter ce fardeau: mais je jure par ton unité que je
de monnaie serrée entre leurs dents. Mâiik, allon
dans la gueul e de l'un d'eux une pièce qu # n'accepte pas une semblable tâche, » Et, se levant aussitôt,
main, prit
frappés de il sortit de la mosquée. Puis, se rendant dans un endroit
donna au patron. À cette vue les mariniers,
de Malik, écarté, il s'appliqua dans toute la sincérité de son cœur à
stupeur, baisérent tous les mains et les pieds
dèren t pardo n. Quan t à lui, sorta nt du servir le Seigneur très haut, en se soumeitant de bonne
auquel ils deman volonté aux austérités, aux mortifications él AUX épreuves.
ce du fleuv e,
bateau, il s'en alla en courant sur la surfa
terre ferme , et dispar ut. On raconte qu'i v avait à Basra un homme riche,
comme s'il eût cheminé sur la
Voilà pourquoi on le sumomma Mälk Dinär. ue possesseur de beaucoup d'argent et de bétail. Lorsque ce
à riche mourut, il laissa une fille très belle, Celle-ci alla
Voici cæ qui l'engagea à faire pénitence. Etant alé
qu avait fait bâtir trouver Tsabit Bennâni, le personnage le plus marquant de
Damas, il se rendit à la mosquée la ville, et lui dit : « le désire devenir la femme de Mâlik
beaucoup
Moaviyah et s'y assit. Cette mosquée possédait Dinär. » Tsabit Bennäni répéta ces paroles à Mälik, qui lui
de biens de mainm orte, et Mâlik conçu t Îe désir qu'on lui
ir | admin istre répondit : « J'ai répudié par trois fois ce bas monde, Or
en confiât la surintendance afin d'en deven une femme fait partie des biens de ce monde. et il n’est pas
penda nt un an, i s'ado nna
teur. Ce fut dans ce but que, se permis de reprendre une femme qu'on a répudiée trois
religi eux dans cêtle Mosqu ée. Un jour il
aux exercices fois !.»
livre ici à des
dit : « Voilà pourtant une année que je ME | On raconte qu'un jour où Mâk, couché à l'ombre d’un
dévotions mensongères et hypocriest» mur, s'était endormi, un serpent, tenant serré dans sa
e it menai t joyeu se VIE avec Ses amis
Une nuit, comm gueule un narcisse, s'occupait à l'évenier.
s endor-
dans un endroit retiré, ceux-ci se couchèrent et Pendant bien des années M£&lk Dinâr avait désiré aller à
mirent. Pour lui, il était étend u à terre, tout éveill é, les yeux
une voix se fit enten dre : « Q Mâlk! la guerre sainte, et 1 disait à cé propos : « Lorsque j'y alla:
ouverts. Soudain enfin, le jour même de la Bataille. je fus pris d'un si violent
» Mâlik,
qu'açtu donc pour ne pas faire pénitence? accès de fièvre que je ne pus y assister, Je restai couché et je
stupe ur. Puis il se leva,
entendant cette voix, fut frappé de me disais : Si j'étais compté pour quelque chose à ia cour
se rendit à la mosqu ée. Là it se dit :
fit ses purifications et t
an queje fais la prière en hypoc rite :doré navan
« Voilà un
» Et, dès cette nuit
je veux adorer Dieu en toute sincérité. L. Qoran. sour, 1. vers 229 et 240.
68 Le mémorial des sainis Le mémorial des saints él
du Seigneur très haut, je ne serais pas aujourd'hui gisant, de Mälik, qui était toujours dans les transes à cause de sa
en prois à la fiévre. M'étant endormi au milieu de ces méchanceté, mais attendait patiemment qu'un autre que fui
pensées, j'entendis qu'on me disait en songe : O Malik! si s'en plaignit. Un jour une troupe de gens vinrent lui faire
tu étais entré aujourd’hui dans la mélée, on t'aurait leurs doléances à ce sujet. Mâlik alla trouver ce jeune
renversé et fait prisonnier; une fois prisonnier, on t'aurait homme pour lui faire des rermonirances, mais c'était un
famanger de la viande de porc et on l'aurait rendu arrogant, au cœur altier, qui répondit: « Je suis un des
infidèle. Cette fièvre a donc été pour toi un grand bienfait familiers du sultan. — Eh bien, je te dénoncerai au sultan,
de la part du Seigneur très haut. Je me réveillai après ce dit Mâlik. — Bah! s'écria l'autre, quand même j'en ferais
songe et je rendis au Seigneur beaucoup d'actions de cent fois autant, le sultan ne me dira rien parce qu’il est
grâces. » content de mes services. — Alors, poursuivit Mätik, si nous
On rapporte qu'un infidèle, disputant avec Mähk, lui ne parlons pas au sultan, c'est au Miséricordieux que je
disait : « Ma religion est supéneure 4 la Uüenne. — Viens vats m'adresser. — La générosité du Miséricordieux est
donc, fui répondit Mâlik, mettons tous deux nos mains grande, observa le jeune homme; ce n'est pas pour si peu
dans le feu. Celui de nous dont la religion sera la vraie, ses de chose qu'il me prendra. le ne trouvai pas de réponse à
mains ne brüleront pas. » Cet infidèle ayant attaché sa cela, racontait MâHKk, et je me retirai chez moi Quelques
main à celle de Mâkk, tous deux les appliquérent sur le feu, jours après, l'insolence de ce jeune homme étant devenue
qui se retira, de sorte que la main de l'un et de l'autre resta plus grande encore, une foule de gens vinrent me trouver
intacte de toute brûlure. Mäâlik devint iout soucieux, pour s'en plaindre, Eh bien, leur dis-je, je vais aller hui
craignant que les synples n’en tirassent la conclusion que la donner une lecon. Comme j'étais en route, j'entendis une
religion de l'un et de l'autre étaient également bonnes. voix qui disait: © Mälk! ne va pas te commetire avec
« Plein de cette inquiétude, racontait Maik, je me retirai notre ami. En entendant cette voix, je fus frappé de siupeur
chez moi, où je pleurai beaucoup, adressant à Dieu et je me rendis chez ce jeune homme. Suôt qu'i me vit:
d'ardentes prières, Mon Dieu, m'écriai-je. tu m'as mis de Hét Mâhk! dit-il, qu'est-ce qui t'amêne encore ici? — Je
pair avec un adorateur du feu! Comme je parlais ainsi, L'aprorte une bonne nouvelle, répondis-je; et je lui parslai
j'entendis une voix qui me disait: © Mk! ta main a de la voix que j'avais entendue en route, À ce récit ce jeune
protépé la main de cet infidèle. S'i eût êté seul à meitre la homme s'écria : Puisqu'il en est ainsi, je vais dépenser à
sienne dans le feu, tu aurais vu ce qui lui serai arrivé. Son service tout ce que je possède. Tel sera Son bon plaisir,
Pendant un certain temps, continuait Mälik, je restai très tels vont être mmes actes. Or ff se plait surtout aux bonnes
gravement malade. Lorsque je mme sentis mieux. je me œuvres faites pour Lui rendré hommage; je promets, dans
rendis au bâzâr. Tout à coup je vis fe beg de la ville qui le mon repéniir, que je ne commetiral plus aucune mauvaise
traversait. précédé de ses huissiers, lesquels criaient: action. Et aussitôt 1 consacra au service de Dieu tout ce
Arrière, et frappaient la foule. À cause de mon état maiadif qu'il possédait en argent et en biens-fonds. Puis, sortant de
je ne pus m'éloigner à Lemps et un homme, s’approchant de la ville, il se dirigea vers le désert, et rersonne ne le revit
moi, me frappa d'un fouet. De ma langue s'échappa cette plus. Bien longtemps aprés, racontait toujours Mäk, je vis
imprécation : Que le Seigneur trés haut te coupe la main! dans la Ke'abeh ce jeune honune qui était devenu mince
Le jour suivant je vis le même homme, la main coupée, comme un cure-dent, Où en es-tu? fui dis-je. Et lui de me
étendu dans le bâzâr. À ce spectacle j'eus un remords et me répondre : Lui avait dit, en parlant de moi, # est notre ami;
promis bien de né plus maudire personne. » eh bien, Mälk, je vais chez mon Ami: et, après avoir dit
Un jeune homme, de manières font brutales, était voisin une fois Allah! if rendit Fâme. »
62 Le mémorial des saints Le mémorial des saints 63
On raconte que MAlk Dinâr prit une maison en finies et tu arriveras à une félicité qui n'aura jamais de
location, Il avait pour voisin un juif. Le muihréb où Mälik LEE. »
faisait sa prière était tourné du côté de la demeure du juif. H disait encore : « On prétend que quiconque ne mange
Celui-ci ne manquait pas, chaque jour, quand il satisfaisait vas de viande pendant un espace de quarante ans, sa raison
ses besoins naturels, de venir verser ses ordures contre le n'y résiste pas; pour moi, Voilà vingt ans que je persiste à
mihräb où Mâhk faisait sa prière: et MAÏK ne manquait n'en pas manger, et cependant ma raison va croissant de
pas non plus, chaque jour, de les enlever, Au bout de jour en jour. »
quelques jours ce juif vint trouver MAlik et lui dit : « Nos On raconte que Mâklk Dinâr, durant un séjour de
privés sont tournés du côté de ta maison; n'en résulie-t-i quarante ans à Basra, ne mangea jamais de dattes Chaque
pas pour toi bien des désagréments? — If y en 4 année, à l'arrivée de l'hiver, lorsque la saison des dattes
effectivement, répondit Mäfik, mais j'en suis quitté pour était passée, 5 découvrait son ventre en public at disait, en
nettoyer et laver, — Il est étrange, poursuivit le juif, que, s'adressant à la foule: « Voyez. vous autres, je n'ai pas
malgré la peine qui en résulte pour toi, tu restes assez mangé de dattes, et cependant mon ventre n'a pas diminué;
maltre de ta colère pour ne pas ja laisser paraitre. — Le ei vous qui en avez tant mangé. les vôtres n'ont en rien
Seigneur très haut, observa Mâtk, dit dans la Paroie: augmenté. » ÂAu bout de quarante ans la sensualité de
Quiconque ayant conçu de la colère contre quelqu'un la Dinâr s'éveilla et rêclama des dattes, et Mâlik de lui en
majtrisera et ne lui fera aucun reproche, je lui ferai refuser. Une nuit 1} entendit une voix : « Q Mälik! mange
miséricorde et lui accorderai un rang élevé près de moi des dattes; lâche la bride à ta sensualité. » Alors MäHk,
{Ooran, 14, DB). » Alors ke juif s'écria: « Bravo! voire s'adressant à sa sensualité, lui dit : « Si tu gardes le jeûne
religion est une bonne religion, puisque, grâce à elle, un une semaine entière et que tu ne manges rien ni la nuit ni le
ami du Seigneur très haut, comme tu l'es, souffre tout de jour, au bout de cette semaine je 1e donnerai des dattes. »
ses ennemis et ne se plaint à personne du mal qu'ils fui Mälik jeûna donc touie une semaine. à la fin de laguelle il
font. » Et sur-fe-champ ff ft profession de la vraie foi en acheia des daîtes qu'it mit dans le pan de sa robe. Comme
présence de Mâlk Dinar et devint musuiman. était entré dans une mosquée pour les y manger
On raconte que bien des années s'étaient écoulées tranquillement, un jeune enfant se mit à crier: « Père,il
pendant lesquelles Mâlik Dinâr n'avait rien mangé d'amer vient d'entrer dans la mosquée un juif qui s’y est installé
ni de doux. Une fois, après avoir été malade, 1} désira de la pour manger des dattes. » Le père de cet enfant vint, un
viande, I résista pendant dix jours, au bout desquels, ny bâton à la main, pour en frapper Mälik. JE erura et, du
tenant plus, ü se rendit à la boutique d'untripier auquel à premier coup d'œil, réconnut Mâlik. Aussitôt, tombant à
acheta un pied; puis 4 s'en alla. Le tripier dépécha son ses pieds, il s’excusa en lui disant : « Ne te fâche nas; chez
apprenti à la suite de MAHKk : « Va, lui dit-il, et observe s'il nous personne ne mange, le jour, dans la mosauée, excepté
mangera où non le pied. » L'apprenti rapporta que Mälik, les juifs, Voilà pourquoi cet enfant, qui ne te connaissait
s'étant rendu dans un lieu isolé, avait senti par trois fois ce pas, à dit: C'est un jf. Ne ie mets donc pas en colère
pied. puis s'était écrié : « Allons, ma sensualité, voilà tout contre nous. » En entendant ces excuses, MAHK hi répon-
ce que tu en auras »; et il avait donné à un derviche ce pied dit : « Mon cher ami, c'est pour me donner une lecon que
avec du pain. le Seigneur très haut m'a adressé ces paroles qui viennent
Î disait : « Q mon corps languissani! ce n'est pas par d'en haut. C'est à lui que je Les attribue et non à vous »: et
irumitié contre toi que je te fais voir toutes ces épreuves: # ajouta : « Mon Dieu, tu m'as traité de juif quand je
mais patiente seulement quelques jours, tes peines seront n'avais pas encore mangé les dattes; si j'en avais mangé, iu
Le mémorial des saints 65
64 Le mémorial des saints
je crains qu'il ne me vienne de sa part quelque grâce subite,
m'aurais traité d'infidèle. » Et sl s'engagea par serment à ne jaquelle, me voyant endormi, s'en retournera pour ne plus
jamais manger de dattes. revenir. »
On raconte qu'un jour un incendie s'étant déclaré à Comme on demandait à Mälik où i en était de ses
Basra, Mähk, prenant son bâton et ses chaussures, monta affaires, « Ma situation est désespérée, répondit-H, je me
Sur un térire, où 1 derneura, se félicitant d'avoir échappé nourris des dons du Seigneur très haut et je suis le serviteur
au danger. Tandis qu'une partie des habitants étaient la de Cheïtân. » I disait encore : « $i l’on demande quelle est
proie des flammes, d'autres prenaient la fuüe et d'autres la plus méchante des créatures, je serai bien obhgé de
s'occupaient à sauver jeur argent. Alors Mâbk s'écria : répondre que c'est moi » Abd Allah Mubärek, lorsqu'il
« Ceux qui sont pesamment chargés vont brûler et ceux qui entendit ces paroles, s'écria : « Le rang qu'occupe Mk
n'ont qu'un fardeau léger échapperont au fléau; ainsi en vient précisérnent de ce qu'il se juge inférieur au monde
sera-1-il au jour de la résurrection. » entier. »
On raconte que Mâlik Dinâr, étant allé prendre des MÂlik disait encore : « Gardez.vous de ce vieux monde
nouvelles d'un malade, vit que sa dernière heure appro- perfide: il égare même les oœurs de ceux qui sont éclairés et
chait. Aussitôt il commença à prononcer tout haut {es les soumet à son joug. Quiconque préfère la compagnie de
paroles Ge la profession de foi musulmane. Le malade, lui, Ja créature aux communications intimes avec ke Dieu irés
ne la répétait pas et H s’écria : « Je suis tout prêt à la faire, haut dans ke silence de la solitude, ne vous attendez pas de
mais 1 y a comme une montagne de feu qui s'incline en sa part à rien de bien, car il n’a ni savoir, ni discernement,
adoration devant moi chaque fois que je me dispose à faire ni la moindre parcelle de vertu, San cœur est plein de
la profession de foi. » Mätik alors de demander aux autres ténèbres, sa vie sera Courte et toutes ses peines ne tarderont
personnes présentes quelle était fa profession de cet pas à être perdues. À la cour du Seigneur très haut,le plus
homme. « 1} prétait son argent à gros intérét, répondirent- beau de tous les actes c'est la pratique de la sincérité. »
elles: quand il achetait { avait un poids excessif, et un Mälik disait encore : « Le Seigneur très haut envoya à
poids défectueux quand il vendait. » Mouça ce commandement : GO Mouça! fais-toi fabriquer un
On raconte que, chaque fois qu'on prononçait devant lui bêton et des chaussures de fer, marche avec dans le monde
ces paroles: fyaka na’boudou oué iyaka nasta‘inou?, il jusqu'à ce que le tout soit usé et considère les manifesta-
pleurait amérernent et disait : « Le sens de iyaka na'boudou ions de ma touic-puissance et de ma sagesse: c'est-à-dire
est: © mon Dieu! nous fe servons et nous le rendons marche sans te décourager et ne te lasse pas de voir. »
hommage; ce qui ne nous empêche pas de servir nos Mâlk disait encore : « Dans le livre de la Loi {Tevrit} le
passions. Par ces paroles : iyaka nasta‘inou, nous disons : Seigneur très haut parle ainsi : Nous avons tout fait pour
Mon Dieu, nous te demandons aide et protection; ce qui ne exciier Votre amour, mais VOUS êtes restés sans AMOUT. »
nous empêche pas d'aller à la porte des créatures et de leur MâBk disait aussi : « J'ai lu dans beaucoup de livres que
demander aide et protection. »
le Seigneur très haut à donné aux fidèles de l'Envoyé deux
On rapporte que MAHKk Dinâr ne dormait jamais la nuit. privilèges qu'il n'a jamais accordés à Dijebraïl ni à Mikail.
Une nuit sa fille lui dit : « Père, pourquoi ne pas domnir et Le premier, c'est qu'il dit dans la Parole ! : Chaque fois que
ne pas reposer? — Ma fille, répondit-il, je ne me couche vous vous souviendrez de moi, moi, à mon tour, je me
pes par crainte de deux choses : d'abord jai peur de la
colère du Seigneur trés haut et de ses châtiments: en outre
souviendrai de vous. Le second est cette promesse : Chaque

l. Qoran. sour. n. vers. 147. La séconde ciation se trouve XL, 62.


Ï. Qoran. sour. x. vers. 4.
66 Le mémorial des saints Le mémorial des sainis 67
fois que vous m'adresserez une demande en invoquant mon
nom, je vous accorderai votre demande. »
Sentences de Mohammed Vâei' ©
Mäâk disait: « J'ai lu dans le livre de Ja Loi que le
Seigneur très haut dit : Ô hommes sincères! jouissez de mes
bienfaits dans ce bas monde, mais jouissez-en en vous Cet ascète illustre entre tous les ascêtes, ce serviteur
souvenant de moi; car c'est une grande jouissance en ce bas choisi entre tous, ce savant plus rapproché que tous les
monde que de faire mention de moi, et, en faveur de cette autres de la vérité, ce sujet parfait parmi les initiés, ce
mention de moi que vous ferez ici-bas, vous trouverez dans docteur célèbre entre tous par la modestie de ses désire, ce
l'autre monde de hautes distimctions. » Vâcr, que la miséricorde de Dieu soit sur luit Il n'avait pas
Mäbk disait encore : « J'ai lu dans beaucoup de hivres son épal dans la science. Longiemps il avait été l'humbie
que le Seigneur très haut déclare : Ceux d'entre les savants chsciple des suivants? et avait eu des relations avec les
qui auront la passion de ce bas monde, j'ôterai de leur docteurs des premiers temps. Î! était accompli dans Îa
cœur la douceur et le charme de la prière et des oraisons connaissance de la loi écrite et de la vie spirituelle, Il
intimes. Quiconque dans ce bas monde marche sans cesse poussait si loin la pratique de lascétisme qu'il mangeait
avec la convoitise et les désirs, Cheïtän n'a pas besom de son pain sec en l'assaisonnant d'eau pure, attendu qu'é
chercher à le posséder. » avait renoncé à toute espèce de douceurs. It disait:
Lorsque MGlk Dinôr mourut, un personnage vénérable « Quiconque pratique la modération dans les désirs n'a
le vit en songe et lui demanda comment le Seigneur très besoin de personne. » Dans les épanchements de son cœur
haut l'avait traité, « Malgré tous mes péchés, répondn-il, il disait en forme d'action de grâces: « Mon Dieu, tu
j'ai été admis à contempler la face du Seigneur. 1 a bien m'acceptes affamé et nu comme un de tes serviteurs bien-
voulu me pardonner toutés mes fautes, parce que jamais je aimés; comment ai-le pu mériter une pareille faveur?»
n'ai fait l'hypocrite vis-à-vis de lui et que je l'ai toujours Chaque fois qu'il tombait d'inanttion, 1 se rendait au logis
sérvi avec sincérité, » On raconie qu'un autre personnage de Haçan Basri, où il mangeait tout ce qu'il trouvant. Celui-
respectable vit en rêve que le jour de la résurrection était cine le voyait pas plus tôt arriver qu'il en était tout joyeux.
arrivé et que toutes les créatures étaient réunies dans le On raconte que Mohammed Vâcr disait: « Heureux
champ du Jugement. Une voix commanda : « Introduisez celui qui, en se levant avec l'aurore, se trouve à jeun et le
dans le paradis Mâlik Dinâr et Mohammed Väcr. je À soir, au moment de reposer, se couche à jeun; qui, dans
regardai, disait le narrateur, pour voir lequel des deux cette situation, se loue du Seigneur très haut et ne fait pas
docteurs entrerait le premier dans le paradis, et je entendre la moindre plainte! » Quelqu'un lui dit: « Mo-
remarquai que ce fut Mâik Dinär. Je demandai pourquoi hammed Väci, donne-moi un conseil. — Dans ce monde,
ü entrait Je premier, puisque, dans ce bas monde, Moham- lui répondit-ilvis en ascète et pratique de ton plein gré la
med Vâcr avait été le plus parfait et le plus docte, C'est, modération dans les désirs. Ne demande rien à qui que ce
me dit-on, parce que Mohammed Vâcr avait deux soit. Si tu agis ainsi, Lu n'auras besoin de mersonne, mais {U
chemises, tandis que Mâlik Dinâr n'en possédait qu'une. verras tout le monde avair besoin de toi, Par la suite, ton
Mohammed Vâciest resté en arrière pour avoir à rendre habitude de te contenter de peu sera pour toi un indice
compte de cette chemise qu’il avait en plus, » Dieu seul sat
tout. l. Je ne saurais préciser la date de la mon de ce personnage
2. On appelle ainsi les musulmans de fa deuxième ou troisième
génération. c'est-à-dire ceux qui avaient vécu avec les gnsir {partisans de
Mahomet à Medine} ou bien avec ceux qui avaient connu les ansér.
68 Le mémorial des saints Le mémorial des saints 68
certain que iu seras vraiment roi sur cette ierré ei dans Jemi, dont chaque pas était béni du ciel, que la miséricorde
l'autre vie, » . de Dieu soit sur fuit C'était un lutteur très énergique pour
Une fois it dit à MâHk Dinär : « O Mâtik! il est plus supporter les rigueurs de l'ascétisme. Îl avait commencé par
difficile de retenir sa langue que de garder son argent. être un personnage opulent et un usurier, Vivant à Basra, il
Quiconque retient sa langue atteindra certainement l'objet allait chaque jour recueillant d'un débiteur l'intérêt de
de ses désirs. » argent qu'il lui avait prêté En outre, 11 exigeait une
Un jour Mohammed Vâci, portant un vêtement de indemnité de déplacement et appliquait aux dépenses de sa
camclot. alla trouver Qotaïba ben Muslim. « Pourquoi ce maison ce Qu'il recueillait de cette manière. Un jour qu'il
vêtement de camelot? » lui dit celui-ci. Et Mohammed s'était rendu au domicile d'un de ses débiteurs, lorsqu'il eut
Vâcine répondant rien, « Pourquoi, demanda-t-1} encore, frappé à la porte, la femme de celui-ci lui dit : « Mon mari
ne me réponds-iu pas? — Je garde le silence, di Moham- n'est pas à la maison. — S'il n'est pas là, apporte-moi mon
med Vâct, parce que, si je te réponds que je m'habille ainsi indemnité de route: je vais me retirer, — Mais je ne
par suite de la pauvreté et du dénuement, j'aurai l'air de me possède rien, reprit la femme; toutefois E y a chez nous un
plaindre du Seigneur très haut, » cou de mouton. » Et elle alla le chercher et le lui donna,
Un jour que le fils de Mohammed Vâci marchait en Habib ’Adjemi le porta à sa femme et lui recommanda de
balançant ses bras en signe de fierté, son père lui di: le faire cuire. « Mais, lui fit observer celle-ci, n'y à ici ni
« Enfant, ne sais-tu donc pas quelle sorie de personnage tu pain ni bois. » Habib ‘Adiemi se remit en campagne,
es? J'ai acheté ta mère pour deux cents pièces d'or, et moi ioucha d'un autre débiteur l'indemnité de déplacement,
qui suis ton père, Ï n'y & personne parmi les musulmans acheta du pain êt du bois et révint chez lui, On mit le
qui vaille moins que je ne vaux. À} faut absolument que tes chaudron au feu, et on était en train de faire cuire le riz et
manières soient en rapport avec ta condition, » la viande, lorsqu'un derviche se présenta à la porte en
Une autre fois, comme on lui demandait dans quel état à demandant laumêne, « Va-t-en, lui dit Habib "Adiernt, tu
se trouvait : « De quelle nature, répondit-il, peut être f'état né deviendras pas riche avec ce que tu recevras de nous. »
d'un homme dont la vie diminue chaque jour et dont Îles Le derviche ainsi repoussé une fois parti, la femme voulut
péchés augmentent sans cesse? » On lui demandait encore verser dans un plat le contenu du chaudron, Elle vit que le
s'il connaissait le Seigneur trés haut, « Quiconque Je ragoût qui était dedans n'était plus qu'un amas de sang.
connait, répondit-il doit parler peu, avoir beaucoup de Rernplie d'énouvante, elle dit à Habib'Adjemi: «Ta
crainte et de trouble, et ne tourner vers personne autre que dureté envers le derviche nous a porté malheur, Tout le
le Seigneur très haut des regards déplacés. Un vrai fidèle ne ragoût qui était dans le chaudron n'est plus que du sang »
doit jamais être exempt de crainte. » Habib ‘Adiemni, saisi de fraveur à ce spectacle, se repentit et
se promit bien, comme gage de sa conversion, de ne plus
pratiquer l'usure. Le jour suivant était un vendredi.
Seniences de Habib ‘Adjemi". Habib ‘Adiemi, étant sorti de chez lui vit, tout en
cheminant, que des enfants jouaient sur la route, Ceux-ci
Cet homme aux aspirations grandes et vigoureuses, cel ne leurent pas plus tôt aperçu qu'ils se dirent les uns aux
autres : « Voilà l’usurier qui va arriver, Éloignons-nous de
habile rnédecin dans les voies de l'amour. ce Habib ‘Ad-
la route, de crainte que la poussière de ses pieds ne nous
1. JEétait originaire du Fars et éait sumommé Abou Mohammed. I .atteigne; car Ü ne faut pas devenir maudits comme lui, 5 À
mourut l'an 156 (772-773) ces paroles Habib ’Adjemi fut profondément attristé et se
70 Le mémorial des saints Le mémorial des saints 73
rendit auprès de Haçan Basri, qui justement était en train Au bout de quelque temps sa femme commença à se
de prononcer une homélie. En l'entendant, Habib ‘Adiemi, plaindre en disant : « Décidément, je suis À bout de forces,
frappé de terreur à l'idée des jugernents du Seigneur très épuisée de faim et de dénuement,; il me faut absotument
haut, perdit connaissance. Quand il revint à lui, 4 fit quelque argent. » À cette époque Habib ’Adjemi se rendait
amende honorable de tous ses méfaits, en présence de de jour à son ermitage sur le bord du fleuve et s'y adonnait
Hacçan Basnt. Puis 1 sortit de la mosquée et se rendit chez aux pratiques de piété: le soir il rentrait chez lui. Un soir sa
lui, Un de ses débiteurs, l'ayant aperçu, voulut se dérober à femme lui ayant demandé où il était allé dans la journée.
sa vue: mais Habib ‘Adijemi lui dit: « Ne me fuis pas. « Aujourd'hui, répondit-il, Fétais sorti pour travailler. —
Jusqu'aujourd'hui tu m'évitais; maintenant c'est moi qui Eh! il s'agit bien de ton travaill reprit-elle, qu'astu
cherche à t'éviter. » Poursuivant son chemin pour regagner rapporté? — Celui qui me fait travailler, dit Habib
sa maison, lorsqu'il arriva auprès de ces enfants dont ti a 'Adjemi, est un personnage généreux. Lui-même m'a
été question plus haut, ceux-ci se dirent Fun à lautre : « h déclaré qu'au bout de dix jours il me donnerait le salaire de
faut nous écarter de la route, de peur que la poussière de dix jours. » En eflet, jusqu'à ce que dix jours fussent
nos pieds n'atteigne Habib, qui à fait pénitence. I ne faut accomplis, Habib ’Adiemi allait et se livrait aux exercices
pas que nous devenions rebelles aux veux du Seigneur très de piété. Le dixième jour ft réfléchissait dans son ermitage,
haut. » Habib, en entendant ces paroles, s'écria : « Mon se demandant ce qu'i répondrait à sa femme lorsqu'il
Dieu, à cette même heure où, revenant de mes égarements, rentrerait chez hu le soir et qu'elle lui demanderait de quoi
J'ai cherché un refuge auprès de toi, tu as mis de l'affection manger, et, tout en se livrant À ces pensées, 1} continuait ses
pour moi dans le cœur de tes amis et tu as changé en exercices de piété, Le Seigneur très élevé, par un effet de ça
bénédictions les malédictions qui accucillaient mon nom! » générosité, envoya à la maison de Habib ’Adiemi quatre
Habib ‘Adiemi fit annoncer publiquement que qui anges sous une forme humaine, L'un portait une charge de
conque hui devait de l'argent n'avait qu'à reprendre son farine, l'autre un mouton écorché, un autre une outre de
engagement écrit, attendu qu'il faisait à tous une remise miel, un autre encore une outre d'huile, De plus un beau
complète. Tous les débiteurs vinrent et reprirent leurs jeune homme portait dans une bourse une somme de trois
obligations. Puis distribua tout l'argent qu'il avait amassé cents pièces d'or de fa monnaie de ce lemps. Après avoir
depuis tant d'années, tellement qu'il ne lui resta absolu. remis toutes ces choses à la femme de Habib, ile se
ment rien, Soudain arriva un de ses créanciers, qui réclama reurérent en lui disant : « © femme! Celui qui à envoyé
son dû. If lui donna le voile de sa femme. Un second vint toutes ces choses est celui-là même dont Habib fait fes
ensuite, qui réclama également, Il fui remit sa propre affaires »: et ils ajoutèrent : « © femme! dis à Habib que
chemise, de sorte qu'il resta au. notre maitre lui envoie cette recommandation : augmente
Use bâtit sur le bord de l'Euphraie ? un crmiage et s'y ton travail, ét nous, de notre côté, nous devrons augmenter
adonna entiérernent aux œuvres de piété. Le jour i se ton salaire. » Puis its s'éloignèrent. Le soir venu, Habib
rendait auprés de Haçan Basri pour s'y instruire: la nu, regagna sa maison, tout pensif et soucieux. En y entrant,il
jusqu'aux premiers rayons de l’aurore, 4 prialt ef gémissah. sentit une bonne odeur de cuisine. Sa femme, venant à sa
On Fappelle ‘Adjemi (le mal instruit} parce que, au rencontre, Jui dit: « © Mabibl celui dont tu fais chaque
commencement, il ne pouvait pas prononcer correctement jour Îcs affaires, sois toujours à son service, car c'est un
les paroles du Goran. personnage bien généreux et {rés bon. Aujourd'hui 1} nous
F. JF semble qu'il s'agit phuiôt ici de la réunion de l'Euphraie ei du a envoyé ce que tu vois là avec cette recommandation :
Tigre, C'est-3-dire du Chatt el-Arab. Habib n'a qu'à augmenter son travail, ét nous, de notre
72 Le mémorial des saints Le mémorial des saints 73
côté, nous devrons augmenter son salaire. » En entendant était assis dans ce marché, 1 s&æ leva pour aller s'acquitter
ces paroles, Habib détourna entièrement ses regards de ce de ses devoirs religieux, laissant là son vêtement. Survint
bas monde pour s'adonner au service de Dieu. Les choses Haçan Basri qui, voyant la pelisse de Habib, la reconnut et
en vinrent au point que, quelque prière qu'il adressât 4 la resta auprés pour la garder, de peur que quelqu'un ne
cour du Très-Haut, elle tait exaucée. l'emportät. Habib, revenant, s'écria : « Ô imam des musul-
Une femme vint trouver Habib ‘Adjemi et, tout en mans! pourquoi te tenir ainsi en faction? — Parce que,
pleurs, fui dit: « © Habib! mon fils est parti pour répondit Haçan Basri, tu avais laissé ici cette pelisse, que
l'étranger et je ne puis plus supporter d'être séparée de lui. quelqu'un pouvait emporier tout à Coup. À qui donc te
Fais une prière: il est possible que. grâce 8 elle, mon fils mc fais-tu pour l'avoir abandonnée ainsi? — À celui-là mème
revienne. — Âs-tu quelque argent? lui demanda Habib. — qui t'a envoyé ici, répondit Habib, et qui a fait que tu es
Deux pièces d'argent », répondit la femme. Habib. venu et que tu as veillé sur la pelisse. »
prenant, les donna à deux derviches; puis il fit une prière On raconte qu'un jour Haçan Basri rendit visite à Habib.
pour cette femme et hui dit : « Va voir ton fils. » Quand elle y avait chez celui-ci deux pains d'orge et un peu de sel
fut arrivée à sa demeure, elle y trouva son fils installé. qu'il apporta et déposa devant Haçan Basri. Comme celui-
« Mon fils, lui demanda-t-eile, que t'est-il arrivé? — J'étais ct se diéposait à manger ét allongeait déjà ja main, un
dans la ville de Kermân, répondit-il: mon patron venait de derviche se présenta à la porte ei demanda fa charité.
m'envoyer au bézär pour y acheter de la farine. Apres Aussitôt Habib de lui donner ces deux pains. « Habib, lui
l'avoir achetée, je retournais chez lui, lorsque, soudain, un dit Haçan, tu es un homme de bien, mais si lu avais une
vent surgit ét m'enleva: puis j'entends une voix qui disait : parcelle d'intelligence et d'instruction, tout serait pour
O vent! iransporte-le à sa maison. par la vertu de la prière le mieux. Ne sais-tu pas qu'on ne doit jamais retirer le
de Habib ‘Adjemi et des deux pièces d'argent qu'il a pain de devant un hôte? Au moins fallañ-ii ne donner
données en aumône, » Si l'on venait à demander : Com- qu'un de ces pains au derviche et laisser l'autre en place. »
ment le vent meut-i conduire quelqu'un à un but? réponds : Habib ne répondit rien. Quelques mstants après entra un
Éxaciement comme enlevai Île trône de Suleymän le homme, apportant dans une nappe du pain, un agneau
prophète et le conduisait en une heure à une distance d’un rôtû, un grand plat de halva et cinq cents pièces d'or. I
mois de route; comme aussi il {H arriver en un instant le déposa le tout devant Habib, et dit : « Maitre, un tel vous
trône de Balais auprès de Suleymân. envois ses comphments. » Tous deux (Habib et Haçan) se
Qn raconte qu'un jour avant la station d'Arafa on vi mirent à manger de ces provisions, et Habib distribua
Habib ‘Adjemi à Basra et que le jour même de l'Arafa on l'argent aux pauvres et aux derviches: puis il dit à Haçan
constata sa présence dans la Ke'abeh. Basri : « Hé! mon maitre! tu es un homme de bien, maissi
Une année il y eut une disette à Basra. Habib ‘Adjemi dans tout cela tu avais été plus sincère, tout aurait été pour
acheta à crédit une grande quantilé de provisions: puis. le mieux: car iu aurais eu à la fois le savoir et la sincérité,
ayant cousu une bourse de cotonnade, 1} la déposa je soir et la sincérité va toujours bien avec le savoir. »
sous son oreiller. Le lendemain matin, lorsque le marchand On raconte qu'un jour, au moment de la prière du soir,
vint réclamer son argent, Habib le tira de cette bourse et le Haçan Basni arriva à l'ermitage de Habib ‘Adiemi. Celui-ci
lui remit. avait déjà commencé la prière et if récitast &/-hamdt !, qu'il
Habib ‘Adjemi possédait une maison auprès d’un
4, C'est le commencement de la fiha ou ff chapitre du Goran. que
marché en plein vent de Basra, Il avait aussi un vêtement Fon doit réciter dans ia deuxième postion d'un rik or, qui en compte uni
de fourrure qu'il metian en toute saison. Or, un jour qu’ en tout, La pnére du soir est de trois rit ar.
74 Le mémorial des saints Le mémorial des saints 75
prononçait af-hemdu. Haçan se dit en lui-même: « Cet I, 135}, dix fois gouf houa-llahou (dis : C'est lui qui est
homme ne peut pas bien prononcer les paroles du Qoran:t Aah}, en outre, j'ai dit: Mon Dieu, je te confie Haçan,
est impossible de faire la prière sous sa direction »: et il fit garde-le. »
la prière à part. Cette même nuit Haçan, dans son sommeil, On raconte que Haçan Basri, au cours d'un voyage,
vit le Seigneur trés haut et lui demanda : « Mon Dieu, que arriva au bord du fleuve et s'y arrêta Survint Habib
faut-il faire pour mériter ton approbation? » Une voix ‘Adjemn, qui lui dit: « © imam des musulmans! qu’at-
l'imerpellant hui dit: « © Haçan! tu avais rencontré mon tendez-vous ici? — J'attends impatiemment la venue d'un
approbation, mais fu n'as pas su en apprécier la valeur. — bateau. répondit Haçan Bagsri. — © maitre! répondit
Qu'est-ce donc, ê mon Dieu? » s’écria Haçan Basri Ei la Habib, j'ai étudié la science auprés de vous. Pour le
même voix de lui dire: « I} faHait faire la prière sous la moment, chassez de votre cœur les désirs immodérés, la
direction de Habib ‘Adjemi. Cette prière aurait eu plus de passion et l'envie. Chassez-en aussi l'amour de ce bas
valeur que toutes celles que tu as faites dans le cours de ta monde. S'il vous survient des épreuves, considérez-les
vis entière. Si la langue des autres est droite, le cœur de comme une bonne fortune. Enfin, quoi qu'il puisse vous
Habib ‘Adjemi est droit. » arriver, songez que c'est le Seigneur très haut qui vous
On raconte qu'un jour Haçan Basni., fuyant devant les l'envoie; et puis posez votre pied sur l'eau et traversez. » Et
agents de Heddjidi ibn Youcçouf, vint se cacher dans À n'eut pas plus tôt parlé ainsi qu'il posa le pied sur le
l'ermitage de Habib ‘Adjemi. Les agents de Heddjädi, fleuve et le traversa. Haçan Basri, en entendant ces paroles,
arrivant à leur tour, demandèrent à Mabib par où était perdit connaissance, Quand il reprit ses sens, on l'interro-
passé Haçan Basri. « Il est dans cet ermitage, répondit-il. gea sur ce qui lui était arrivé; et lui de répondre : « Habib,
— Mais nous y sommes enirés et nous n'avons vu qui s'est instruit de la docirine auprès de moi, vient de
personne, objectérent-ils. O Habib! quelque traitement que m'adresser beaucoup de reproches : et puis 1 a posé le pied
vous fasse Heddjd}j, vous l'aurez bien mérité. Pourquoi sur le fleuve et l'a traversé. Si, au jour de la résurrection,
nous faire un mensonge? — Je vous répète, protesta Habib, on vient me dire : Traverse le pont du Srrar, et que je ne
que Haçan Basri est là-dedans. Si vous ne le voyez pas, que puisse le faire, que deviendrai-je? »
puis-je y faire?» Ceux-ci entrèrent de nouveau dans Ensuite 1 demanda 4 Habib ‘Adijemi par quelles œuvres
l'ermitage, cherchèrent partouiet, ne trouvant pas Haçan iétait arrivé à un si haut degré. « © Haçan! répondit celui.
Basni, ressortirent et s'en allérent. Haçan. sortant à son ci, en m'appliquant à blanchir mon cœur, tandis que toi, tu
tour, dut: « O Habib! voilà comme tu t'es acquitté de ce noircis du papier. — Hélas! reprit Hacan, faut-il donc que
que tu dois à ton maître! Tu m'as dénoncé! — Maitre, hui le bénéfice de mon savoir soit pour les autres, tandis qu'il
répondu Habib, c'est grâce à ma sincérité que tu as pu ne m'en revient que l'éclat extérieur!»
échapper. Si j'avais dit un mensonge, nous étions pris tous Hi ne laudrañt pas toutefois qu'il entrât dans vos esprits
les deux, 5 Haçan Basri demande alors À Habib: « Mais cette idée que le degré de Habib est supérieur & celui de
quelles paroles récitais-tu donc pour qu'ils ne m'aient pas Haçan Basri. Sachez que, à la cour du Seigneur très haut, il
vu? — J'ai récité dix fois. répondit Habib, le verser du n'y a pas de degré plus élevé que celui de la science, Cela
trône !, dix fois dminou-r-raçoul {ayez foi dans l'Envoyé, est si vrai que les docteurs ont dit: « Dans la voie
Ï. Qoran. sour. ni, vers. 256. En voici la traduction : « Allah. i n'y a H connaît ce qui est devant eux et derrière eux, et ils n'embrassent de sa
pas d'autre Dieu que lui. H est le vivant, limmuable, Ni l'assoupissement science que ce qu'il a Bien voulu. Son trône s'étend sur kes cieux et sur la
ni le somme ne s'emparent de ui. À lui anpartient ce qui est dans les ‘ terre, et leur garde ne le gêne pas. 1 est le très haut. le grand par
cieux ei sur la terre. Qui peut intércéder auprès de lui sans sa permission? excellence. n
16 Le mémorial des saints Le mémorial des saints 77
spinituelle, le don des miracles est le quatorzième degré, éclairé! Quiconque ne t'aime pas, puisse personne ne
tandis que la science appartient au dix-huitième. » D”ail- l'aimer! » On demandait à Habib ‘Adjemi en quoi le
leurs le don des miracles provient de l'accomplissement des Seigneur très haut pouvait se complaire. « En un cœur,
œuvres de piété, tandis que les mystères se révélent en répondit-il, où ne se trouve pas le moindre grain de
grand nombre au jour de la méditation. Voyez. par poussière d'hypocrisie, » Chaquefois qu’on récitait devant
exemple, Suleymân, sur lui soit le salut! Les div, les peri lui je Qoran, Habib se mettait à pleurer armèrement.
(génies mâles et femelles), les vers, les oiseaux, le vent, tout « Mais, lui obijectait-on, tu es un barbare (‘adjemi), le
était sous son commandement, comme vous l'avez entendu Qoran est en arabe et tu n'en comprends pas le sens;
raconter dans le livre des Qiças (les Histoires), En outre il pourquoi pleures-tu ainsi? — [l est vrai, répondait-il, que
comprenait le langage de tous les oiseaux; ei cependant, ma langue est barbare, mais mon cœur est arabe. » Un
quoique parvenu à un si haut degré, il se soumettait personnage de considération raconte : « Je vis en songe
docilement au livre que Dieu avait envoyé à Mouça et qui Habib placé à un rang très élevé. Mais, dis-je, voilà bien
est connu sous le nom de Tevrit (la Loi), et agissait d’après Habib ’Adjemni! S'il était ‘adjemi, me dit une voix,il n'en
ses instructions. était pas moins habib; c'est-à-dire ami en langue arabe. »
On raconte qu'Imâm Chäfii et Imâm Ahmed Hantal On raconte qu'on avait attaché à ja potence un jeune
étaient assis tous deux, occupés à converser, lorsque survint homme. La nuit qui suivit l'exécution, on le vit en songe
Habib ‘Adjemi, Ahmed Hanbal dit : « Il faut poser une promenant dans le paradis, richement vêtu. « Mais, lui
question à Habib. — Garde-t'en bien, objecta Châfri, car demanda-t-on, dans ce monde tu étais un homme sangui-
c'est un homme extraordinaire. » Néanmoins Ahmed naire, commént as-tu atteint un aussi haut degré? » Le
Hanbal s'adressant à Habib: « O Habib! quelqu'un se jeune homme répondit : « Le jour même où on m'attachait
trouve redevable d'une des cinq prières canoniques, maisil à la potence, Habib *Adjemi passait. Il m'a regardé du coin
ne sait pas de laquelle; que doit-on lui faire? — Cela, de l'œil, il a fait une prière pour moi; et voilà comment j'ai
répondit Habib, est le fait d'un homme dont le cœur ne se obtenu ce degré defélicité. »
soucie guère du Seigneur très haut. Il faut le corriger et
exiger delui qu'il fasse la totalité des cinq prières. » Ahmed
Hanbal resta stupéfait de cette réponse. « Ne l'avais-je pas
averti, observa Châfii, de t’abstenir de lui faire des Sentences d'Abou Hächim Mekki |.
questions? »
On raconte que Habib avait une servante qui était auprès
de lui depuis trente années. durant lesquelles 5l n'avait Cet homme sincère et pieux, cette aurore des cœurs
jamais vu son visage, Un jour Habib lui di : « Femme, véridiques, cèt Abou Hâchim Mekki, que la miséricorde de
appelle donc notre servante. — Mais votre servante, c'est Dieu soit sur lui! Dans l'ascétisme, comme dans la science,
moi-même », observa celle-ci; et Habib de répondre: il était incomparable. Il avait Vu en personneles suivants et
« Durant ces trente dernières années, nous n'avons jamais beaucoup de compagnons ?. Ses paroles étaient approuvées
eu la force de regarder personne autre que Dieu; voilà de tous les docteurs. Il avait connu Anas ibn Mâlik. Abou
pourquoi je ne te connaissais pas. » On raconte que Habib
‘Adjemi, assis dans un coin, disait : « Quiconque ne5e plait
}. Je ne saurais préciser la date de sa mort. Lu
pas avéc toi, puisse-t-il n'être jamais heureux! Quiconque 2. C'est-à-dire des musulmans de la seconde ei de la 1roisième
n'illumine pas son œil À ta lumière, puisse-t-il n'être jamais généralion, et même de la premiére.
78 Le mémorial des sainrs Le mémorial des saints
78
Horetra et bon nombre de compagnons. On raconte qu'un pour lof: Dis-lui qu'il ait les plus grands égards pour
sa
jour Hichäm ben Abd el-Melik lui demanda : « Que faut-il mere: cela lui vaudra une récompense supérieure à celle
que nous fassions pour trouver le salut? » Lui de répon- : une visite àla Ke'abeh. Quant à MOI, je renonçai
à mon
dre : « Chaque pièce d'argent que tu acquerras, tâche de voyage, j'allai retrouver ma mère et ne m'occupai plus
que
l'acquérir par des voies légitimes et dépense-la de telle de la soigner. »
manière que tu aies l'approbation du Seigneur très haut, —
Mais, reprit Hichâm, qui est en état d'agir ainsi? — Celui,
répondit Abou Hâchim, qui, craignant l'enfer et désirant le
paradis, cherche à s'attirer l'approbation du Seigneur trés Sentences d'Aicba ben Goulém ?.
haut. »
J} disait avssi: « Avez bien soin de vous tenir éloignés
des jouissances de ce bas monde, car, au jour de la Celui qui brûlait de amour de Dieu: celui qui, dans la
résurrection, on aménera ceux qui l’auront aimé au champ voie de Punion intime, était arrivé au but: cette mine
de
du Jugement et on criera : O vous qui êtes ici assemblés! sincérité et de pureté, l'âme de tous les hommes
fidèles:
sachez bien que voilà devant vous les serviteurs qui ont Fimam de tous les croyants, *Ataba ben Goulâm.
que fa
tenu en estime ce que le Seigneur très haut avait commandé miséricorde de Dieu soit sur luit Les docteurs de la
saine
de détester et ont adopté ce qu'il avait ordonné de doctrine, Où plutôt ious les hornmes, avaient pour
lt de
répudier, » 1 disait encore : « Ici-bas, à la suite d’une joie, l'affection. C'était un disciple de Haçan Basri, Un
jour
i y à toujours un chagrin »; el encore ‘ « Si Lu donnes ton qu'us se tenaient tous deux sur le bord du fleuve, ‘Alab
a
attention aux choces de peu de ce monde, tu Fais tort aux ben Goulâm, entrant dans le courant, se mit à marcher
sur
grands intérêts de l'autre vie » Comme on lui demandait la surface de l'eau. Frappé de stupeur à ce spectacle, Hacan
en quoi consistait sa richesse, « Ma richesse, répondit-il Basri lui demanda : « Ô ‘Ataba ben Gouläm! qu'as-iu fait
consiste à plaire au Seigneur très haut et à n'avoir pas Pour atteindre un pareil degré? — |
ÿ à
besoin de la créature ». rpondit-i, que te fais ce que le Seigneur trenie ans
très haut te
Unjour qu'il passait par le bâ2âr,i} s'arrêta à regarder la commande, el moi, y a trente ans
que P t
viande exposée à l'étai d'un boucher, Celui-ci Jui dit œuvre s dans lesquelles il se complait. Toutes
lestéct
« Prends cetie viande-là: elle est bien grasse. — Cest que je li a plu de m'imposer, j'ai courbé la tête devant res qui
les aï accep elles et je
n'ai pas d'argent, reprit Abou Hächim. — N'importe, Ps tées ET avec résignation. »
insista le boucher, prends tout de même la viande, j'ai Voici ce qui détermin DER mo à ge
a ‘Ataba ben Gou lâm à faire
confiance en toi, — Et moi, je n'ai pas confiance en moi, piece. enour il vit une jeune fille
et en devint
poursuivit Abou Hichim. — Mais on voit tes côtes tant tu avait envoyé un message pour lui
es maigre, cbserva le boucher. — Bah! répondit Abou faire part de Sa passion, cette jeune fille lui
fit demander :
Häâchim, c'est bien suffisant pour les vers qui sont dans la ‘Quellepartie de MON Corps as-fù Vue
pour être tombé
tombe. » anourer de moi » Lui répondit qu'il avait
été épris pour
On raconte qu'un personnage de considération disait Êlle alors, arrachant un de ses veux, le
« Comme je me disposais à partir pour la Ke'abeh, j'allar déposa Sur un plateau et l'envoya à ‘Ata
ba ben Goulâm
voir Abou Häâchim. Je le trouvai endormi et je m'assis avec ce message : « Voilà cet œil qui t'a rend
u amoureux,
Quand 1 s'éveilla, il me dit: Je viens de voir en songe
PEnvoyé, sur jui soit le salut! H m'a chargé d’un message L El mounul'an 167 1783-7864).
Le mémorial des saints 81
80 Le mémorial des sainis
vie passagère s'impose des épreuves pénibles, rencontrera
prends-le et regarde-le bien. » "Ataba ben Goulâm, témoin en récompense un repos qui ne finira jamais. »
d'un pareil acte, s'éveilla du sommeil de l'ncurie et, se Toutes les nuits, jusqu'aux premiers rayons de l'aurore, il
rendant auprès de Hacçan Basri, à! fit pénitence. Il en arriva restait sans dormir et répétait : « Mon Dieu. que tu me
à own point d'austérité tel qu'il semait de ses propres mains
chôties ou que tu me pardonnes, j'accepterai de bon cœur
ke grain destiné à sa nourriture, le moissonnait, le battai ia décision. » Une nuit il vit en songe une hourt qui fut dit :
en tirait la farine, en fabriquait la pâte, la façonnait en & O 'Ataba ben Goulâim! Je suis amoureuse de 161, Prends
galettes minces comme du pain, qu'il faisait sëcher au soleil
bien garde de commettre aucun acte d'où il résulie de
et conservait ainsi. Chaque semaine i} mangeait un de ces l'éloignement entre nous deux! — Hour. rénondit-il, j'ai
pains et consacrait tout son temps aux œuvres de piété. À}
répudié le monde par trois fois, parce que je tiens à arriver
disait : « Je rougirais devant les anges nommés Kiram el. jusqu'à toi. »
Katibin {les plus illustres des secrétaires}, qui sont assis
Un jour d'hiver quelqu'un vint le trouver et lui dit : « On
sur mes deux épaules, si allais plus de deux fois par me questionne eur toi: fais-moi donc vair quelque chose
semaine soulager la nature. »
d'extraordinaire, -—Que te faut}? demanda ‘Ataba ben
lest rapporté qu'on vit, par un froid rigoureux, ’Ataba Gouâm. —{] mme faudrait des dattes fraiches », répondit
ben Goulâm en chemise, se tenant soucieux et tout en cœlui-ci; et aussitôt ‘Ataba ben Goulèm apporta une
sueur au pied d'un mur. « Que t'arrive-t-il donc, lui
corbeille pleine de dattes fraiches qu'il lui remit.
demanda-t-on? — C'est qu'un jour, répondit-il, j'avais chez Un autre jour Dsou'n-Noun Misri et Mohammed
moi un hôte qui est venu s'mstaller, pour satisfaire un Semmäâk étaient assis auprès de dame Räbia, lorsque
besoin, au pied de ce mur, et moi, je lui ai passé un soudain arriva ‘Ataba ben Goulâm, tout joyeux, portant
fragment de brique que jen avais arraché. Actuellernent, une chemise neuve. « Pourquoi, lui demandérent ceux-ci.
chaque fois que je vois ce mur, Je sue de honte, et es-tu si joyeux et balances-tu ainsi Les bras?» Lui de
cependant javais demandé au propriétaire de me pardon- répondre : « Comment ne serais-je pas joyeux, lorsqu'on
ner. » m'appelle ‘Ataba ben Gouläm, c'est-à-dire serviteur du
On dernandait un jour à Abd el-Vâhid ben Zeïd s'il Seigneur très haut? » Et, en disant ces paroles, Il tomba à
existait un être qui, intérieurement désintéressé des créa- terre et rendit l'âme. Quelques-uns virent en songe ‘Ataba
tures, fût toujours occupé à servir Dieu. « Qui, répondit} ben Goulâm qui avait une partie de la figure toute noire
j'en connais un, qui vient en ce moment même. » Et à — Que signifie cela? lui demanda-t-on. Lui de répondre:
l'instant, arriva ‘Ataba ben Gouläm. « As-tu vu quelqu'un « Un jour, comme je me rendais chez mon maire. J'avais
en route? lui dermanda-t-on, — Non », répondit-il: et cepen- jeté un regard sur un enfant imberbe. Le Seigneur très haut
dant le chemin qui conduisait à sa demeure passait par a commandéquel'on me conduisit en paradis. En yallant,
l'intérieur du bâzär; mais il était si absorbé par la pensée tandis que je passais au--dessus de l'enfer, un serpent.
de Dieu qu'il n'avait vu personne. s'élançant du gouffre, m'a mordu ce côté de la figure et m'a
On raconte qu'Ataba ben Goulâm, de son vivant, n'avait dit : Si tu avais régardé cet adolescent avec plus d'atten-
jemais rien mangé ni bu d'agréable au goût, « Ô mon ik! tion. je t'aurais mordu encoreplus fort. »
hu dit sa mère, pourquoi l’imposes-tu tant d'épreuves
pénibles? — Ô ma mère! répondit-il, celui qui, dans cette

1. Ce sont les anges gardiens, chargés d'écrire les bonnes et les


mauvaises actions.
82 Le mémorial des saints Le mémorial des saints 83
une créature. À] se leva donc, aila jusqu'à la porte du voisin
et revint sur ses pas en disant que tout le monde dormait;
Sentences de Räbi'a ‘Adaviyeh !. et lui-même se coucha, bien chagrin de n'avoir que des
filles, et s'endormit. Dans son sommeil il vit F'Envoyé, sur
lui soit le salut! qui ui dit : « Ne te chagrine pas; car, au
Cette bienvenue à la cour de Dieu: elle qui brülait jour de la résurrection, ta nouvelle fille intercédera pour
intérieurement des feux de l'amour: qui, s'étant donnée au soixante-dix mille de mes fidèles. Demain, à l'aurore,
Seigneur, s'était entièrement détachée des créatures: elle rends-toi chez le beg de Basra, ‘Iça Razän, et dis-lui de ma
qui rivalisait avec les hommes d'élite: qui avait pénétré part en signe de ta mission: Tu m'adresses chaque nuit
tous les mystères de la vérité; elle dont les prières et les cent bénédictions et quatre cenfs dans fa nuit du vendredi.
œuvres de piété étaient cachées à ious les regards, ceite Cependant, dans la nuit de vendredi dernier, tu ne m'as
Räbia ‘Abaviyeh, que Dieu se complaise en elle! Si rien adressé par oubli; eh bien, en expration de ces quatre
quelqu'un nous demande : « Pourquoi citez-vous Räbia cents bénédictions que tu as oubliées, donne-moi sur ce qui
dans les rangs de: hommes d'élite? » nous lui répondons t'appartient légitimement quatre cents pièces d'or. » À son
qu'il y a un hadis de l'Envoyé, sur lui soit le salut! ainsi rèveil le père de Räbi'a pieura beaucoup. Lorsque le jour
conçu : « Ne regardez pas l'extérieur d'une personne, mais parut,il écrivit sur un morcau de papier les paroles qu'il
tenez compte de ses bonnes actions et de sa bonne avait entendues en songe, se rendit à la porte d’Ica Rarân
volonté »;, ce qui revient à dire: ioute femme dont les et Je fui fit remetire dans ses appartements intérieurs. ‘Iça
exercices de piété et le culte sont agréés à la cour du Razôn n'eut pas plus tôt lu ot écrit qu'il donna en
Seigneur très haut comme ceux des hommes d'élite, on ne aumônes dix mille pièces d’or et en envoya quatre cenis au
doit pas dire que c'est une femme. ‘Abbaça Touci, que la père de Rôbi'a, en Jui présentant ses excuses : « Je veux
miséricorde de Dieu soit sur lui! dit: « Au jour de la afterte rendre visite, cAr je ne suis pas assez grand seigneur
résurrection Îes anges, par l'ordre du Très-Haut, crieront: pour te demander de venir en personne; c'est moi-même
O hommes d'élite! tenez-vous tous sur un rang, Or la qui trai el qui me présentera; humblement devant vous, en
première personne qui viendra se placer au rang des balayant de ma barbe le seuil de votre porte. De pius,
hommes d'élite, ce sera Meriem. » Remarquons de plus chaque fois que vous aurez besoin de quelque chose, je
que Haçan Basri n'avait pas prononcé d'homélle avant fa vous en conjure au nom de Dieu, envoyez nous le demander
naissance de Râbia. et nous vous Île ferons parvenir, » Pour k moment, le père
On rapporte que, dans la nuit où elle fut mise au monde de Râbl'a emporta cet or et Le consacra aux dépenses de sa
par sa mère, 1 n'y avait pas chez eux un vêtement pour maison.
l'envelopper ni assez d'huile pour allumer la lampe. Son Lorsque Räbr'a fut devenue grande, son père et sa mère
père, qui avait déjà trois filles, en eut quatre en la moururent. À cette époque 1} y eut à Basra une grande
comptant. Pour en revenir à la mère de Râbi'a, elle dit à disette par suite de faquelle toutes les sœurs aïînées de
son mari : « Va chez un tel de nos voisins, demande-lui de Râbi'a se séparèrent de leur cadette et partirent, Pour elle,
l'huile de l'une de ses lampes et reviens. » Or le père de un méchant homme la vendit comme une esclave lui
Râbi'a s'Atait promis que jamais il ne demanderait rien à appartenant. Le maître qui l'acheta la traitait durement et
hui faisait faire toute sorte de services. Ün jour qu'elle
20); Selon les traditions. elfe mourut l'an 135 (752-753), ou l'an 185 (801. voulait se dérober aux regards d'un étranger, elle s'écana
} du sentier fravé et tomba en se brisant une main. Aussitôt,
84 Le mémorial des saints Le mémorial des saints 85
appuyant sa face contre terre, elle dit : « Mon Dieu, je suis construisit un ermitage où elle était constamment occupée
loin des riens et captive, sans père ni mére, ma main vient aux œuvres de plêté.
de se briser, et cependant rien de tout cela ne me chagrine. Un jour elle se rendait à la Ke'abeh, avant en sa
Ce qui m'inquiète, c'est que j'ignore si, oui Où non, fu es possession un âne qu'elle avait chargé de ses effets. Cet âne
satisfait de moi. » Aussitôt une voix se fit entendre : « Ne étant mort, les gens de la caravane dirent : « Nous allons
te chagrine pas, à Râbl'af car, au jour de la résurrection, charger ton bagage sur nos bêtes. — Mais, dit Râbl'a, ce
nous t’assignerons un tel rang que tous les anges qui nous est pas sur VOUS que je complais quand je suis venue;
approchent de plus près lenvieroni. » Räbra, le cœur c’est dans le Seigneur très haut seul que je mets ma
satisfait, retourna au logis confiance; partez donc. » Une fots la caravane partie,
Êlle observait un jeûne perpétuel, fout en faisant le Râbi'a s'adressant au Seigneur : « Mon Dieu, dit-elle, est-
service de son maître. Une fois la nuit venue, elle priait ce ainsi que les rois en usent avec les serviteurs faibles et
jusqu'aux premiers rayons de l’aurore. Une nuit le maitre impuissants? Tu m'as invitée à me rendre à ta maison, et
de Râbra s'étant éveillé entendit je son d'une voix. }l voilà que tu fais périr mon âne dans le désert et que tu me
aperçui Râbia, la tête en adoration et disant: « Mon laisses là dans la solitude! » À peine avait-elle prononcé ces
Dieu, tu sais que le désir de mon cœur est dans là recherche paroles que l'âne se releva plein de vie Eile le charges,
de ton approbation et qu'il ne souhaite rien tant que poursuivit sa route et rejoignit la caravane.
d'obéir à tes commandements, Mon œil s'éclaire à la On raconte qu'un jour, comme elle se rendait à la
lumière des hommages que je rends à ta suprême majesté. Ke'abeh, elle resta seule dans le désert. « Mon Dieu, dit.
Si j'avais la Hibérté de mes actes. je ne voudrais pas rester elle, mon cœur est en proie à la perplexité au miheu de
un seul instant en dehors de ton service: mais tu m'as cœtte solitude. Île suis une brique ‘ et la Ke'abeh est une
livrée aux mains d'une créature, et voilà pourquoi j'arrive pierre. Ce qu'il me faut, c'est la contemplation de ta face. »
si tard comme ion humble servanie, » Le marchand vit À ces mots une voix l'apostropha de la part du Seigneur
aussi, suspendue au-dessus de la tête de Râbra, une lampe très haut : « G Râbl'a! feras-tu à toi seule ce qui exigerait
brillante dont l'intérieur de la maison était tout éclairé. Il se le sang du monde entier? Lorsque Mouça a désiré voir
dit aussitôt en lui-même qu'il n'était pas possible de la notre facs, nous n'avons répandu qu'un atome de notre
traiter plus longtemps en esclave: et, dès que faurore lumière sur une montagne et elle s'est trouvée dissoute en
parut, s'adressant à elle : « G Râbl'a! je te fais libre, Si tel mille morceaux. »
est ton désir, reste ici, et nous serons {ous à ion service. $i On raconte urine autre fois, comme Râbi'a se rendait à
iu ne veux pas demeurer ici, va pariout où il te plaira. » la Ke'abeh, elle la vit venir en plein désert au-devant d'eile,
Alors Räbla, prenant congé d'eux, partit et s'adonna « Ce qu'ii me faut à mot, dit Râba, c'est le maître de ia
entiérement aux œuvres de piété. Ke’abeh et non la Ke’abeh; qu'at-je à faire d'elle? » Et elle
On rapporte que Râbi'a dans l'espace d'une nuit et d'un ne daigna pas la regarder.
jour, faisait une prière de mille rik'ar ! et que, de temps en Ibrahim Édhem mit quatorze années à se rendre à la
temps, elle se rendait auprès de Haçan Basri, D'après un Ke'abeh, car à chaque pas il faisait une prière de deux
autre récit, elle exerça d'abord Île métier de joueuse de flûte rik'at. H disait : « Les autres marchent sur cette route avec
pendant un certain temps: ensuite elle fit pénitence. Elle se
1 C'est-à-dire : « Moi qui ne suis qu'une brique non culte, j'ai besoin,
pour passerà la cuisson et devenir meilleure. d'autre chose que la Ke‘abeh
. Les cinq prières canoniques ne forment ensemble que vingt-neuf qui n'est qu'une pierre : me faut La vue. » En d'autres termes : « Toi seul
rik'ar, dont dix-sept de précepte divin et les autres d'obhgation imitative. peux me délivrer des imperfections de ma nature. »
86 Le mémorial des saints Le mémorial des saints 87
leurs pieds: moi, j'y marche avec ma tête. » Au bout de nous avons placé sur la route des hommes d'élite, attendu
quatorze années, lorsqu'il fut près de la Ke’abeh, it ne fa vit que, lorsqu'il ne leur reste pour arriver jusqu'à nous que la
pas à sa place. Lui de dire en gémissant : & Hélas! suis-je pointe d’un cheveu, il peut arriver que leur affaire se pâte
donc devenu aveugle que je ne puis voir la Ke’abeh?» subitement et qu'ils se trouvent rejetés bien loin du but.
Alors il entendit une voix qui lui criait : « © Ibrahim! tu Quant à toi, tu es encore retenue dans l'intérieur des
n'es pas aveugle, mais la Ke’abeh est allée au-devant de soixante-dix rideaux ‘. Tant que tu ne seras pas sortie de
Rèbfa. » Ibrahim, trés ému, vit que la Ke'abeh était dessous eux et que tu n'auras pas posé le pied dans notre
revenue et avait repris sa place. Puis il aperçut RâbIa qui voie, tu ne seras pas capable de parler de pauvreté, — ©
s'avançait appuyée sur un bâton. « O Räbi'a! lui dits, Räbra! dit une voix, regarde en haut. » Quand elle eut
quelle œuvre est la tienne et quel bruit tu fais dans le regardé en haut, elle vit une mer de sang suspendue dans
monde! car tous disent : La Ke‘abeh est allée au-devant de les airs et une voix lui cria: « © Râbraf cette mer est
Râbra. » Et Râbia de répondre : « © Ibrahim! quel bruit formée des larmes de sang tombées des veux de ceux qui,
fais-iu toi-même dans le monde, toi qui as mis quatorze épris de nous, se sont mis à nous rechercher. Dès la
années pour arriver ici! Et tous disent : Ibrahim, à chaque première station ? ils ont été tellement anéantis qu'il n'est
pas, s'arrête pour faire une pnère de deux rik at. — Y} est plus resté trace de leurs personnes ni dans ce monde ni
vrai, dit Ibrahim, j'ai mis quatorze années à traverser ce dans l'autre. — Mon Dieu. dit Râbr'a, fais-mot voir un
désert en priant. — © fbrahim! reprit Râbl'a, tu es venu exernple du degré de félicité auquel sont parvenus ces
avec la prière et moi avec l'indigence »: et elle pleura amoureux. » Elle n'avait pas achevé ce paroles que,
abondamment, Puis, après avoir visité la Ke'abeh, elle soudain, ses mensirues lui vinrent, et elle se trouva en état
retourna à Basra. Dans un élan de son cœur elle dit : « Q d'impureté. En même temps une voix lui cria: «Le
mon Dieu! tu as promis deux belles récompenses pour premier degré auquel parviennent les amoureux est exacte
deux choses: l'accomplissement du pélerinage et la ment figuré par un homme qui, après s'être roulé sur ses
patience à supporter les épreuves. Si mon pèlerinage n'est reins pendant sept ans, arriverait pour visiter un mur de
pas valable devant toi, c'est un grand malheur pour moi: briques et qui, en approchant de ce mur, se barrerait à lui-
mais où sera la récompense pour un tel malheur? » mêmela route par suite d'un empêchement né de sa propre
L'année suivante elle dit : « Puisque la Ke‘abeh est venue personne. » Râbra, découragée, dit: « Mon Dieu, tu ne
au-devant de moi l’année dernière, C'est moi qui, cette me laisses pas m'asseoir dans ma propre maison et tu ne
année, vais aller au-devant d'elle, » Cheikh Ah Farmezi veux pas m'admettre dans la tienne. Qu laisse-moi m'instal-
raconte que, lorsque arriva l'époque du pélerinage, Râbra, ér tranquillement chez moi, à Basra, où permets-moi
prenant la direction du désert, se roula sur les reins et d'entrer dans la Ke'abeh, qui est ta demeure. Je te
arriva ainsi en sept années à la Ke’abeh. Lorsqu'elle y fut cherchais sans avoir d'abord courbé la tête devant a
parvenue, elle entendit une voix qui lui disait! « Que Ke‘abeh; maintenant laisse-moi m'en aller, car je ne suis
désires-tu, Râbra? Si c'est moi que tu désires, je vais pas digne d'entrer dans ta maison, » Et, s'en retournant,
Uapparaitre dans toute ma gloire, devant laquelle tu seras
immédiatement liquéfiée comme de l'eau. — Mon Dieu, l. Le nombre sens et ses multiples jouent un grand rôle chez Les
répondit-elle, je ne suis pas de force à atteindre un si haut Crientaux. Ainsi les scpt ceux, les sept étages de la terre. les sept stations
de la voie smrnuelle, l'ange aux soixante-dix têtes, les soixante.
degré. Je ne dernande qu'une parcelle de pauvreté spiri- dix divisions d'aschanges, les soixante-dix roumin de rideaux qui ier-
tuelle, » Et aussitôt la voix de reprendre : « © Räbra! la disent l'accès du trôné de Dieu, ete.
pauvreté est un sentiment de crainte de noire colére que à. Cehte premiére station où vallée est oûlle de la recherche.
88 Le mémorial des saints Le mémorial des saints 89
elle se rendit à Basra. Là elle s'installa dans son ermitage et eut-il remis le voile à sa place qu'il retrouva le chemin. I
s’y adonna entiérement aux exercices de piété. enleva de nouveau le voile, et le chemin lui fut encore
On raconte que deux docieurs allérent rendre visite à fermé. Ce fut ainsi qu'à sept reprises différentes il enleva le
Râbr'a. Commeils avaient faim, elle plaça devant eux deux voile et que la sortie lui fut interdite, sauf à se rouvrir
pans qu'elle possédait. À ce moment un derviche étant quand il le remettait à sa place. Alors une voix s'adressant
venu demander l’aurnêne à la porte, RAbi'a, enlevant les à ii: « O voleur! ne te donne pas tant de peine, car ily a
deux pains de devant les docteurs, les lui donna. Ceux-ci, déjà bien des années que Räâbr'a nous a confié le soin de sa
fort étonnés, s'assirent, suivant de l'œil tout ce qui se personne et nous ne pérmettons pas à Eblis de meitre le
passait. Ils virent une servante apportant dans une nappe pied dans son ermitage. Toi, voleur, tu voudrais prendre
des pains qu'elle déposa devant Râbi'a en lui disant : « Ma son voile! mais sache donc, fripon, que, quand un de nos
maitresse se met à votre disposition. » Lorsque Râbra eut amis est plongé dans le sommeil, il y à un ami qui veille sur
compté les pains, elle vit qu'il y en avait dix-huit, Elle les sa personne. »
rendit à cêtie servante avec la nappe qui les contenait et lui On raconte qu'une fois la servante de Räâbr'a, ayant fait
di: « Reprends-les et va-t'en : vous avez mal compté. — fondre un morceau de graisse, préparait une purée pour sa
Maisif n'y à pas d'erreur, reprit la servante. — Vraiment maitresse. Comme elle n'avait pas d'oignons, elle lui dit :
si 1} y à erreur », insista Râbia. La servante reprit donc la « Je vais aller en demander dans la maison d'un voisin et je
nappes et alla trouver sa maîtresse, à laquelle elle raconta reviendrai. — Il y a quarante ans, observa Râbfa, que j'ai
tout. Aussitôt celle-ci, posant deux nouveaux pains sur les pos l'engagement avec le Seigneur très haut de ne rien
autres, réexpédia le tout. Räbra fit le compte, vit qu'il y demander 4 personne autre qu'à lui S' ny à pas
avait vingt pains et les plaça devant les docteurs qui étaient d'oignons, on s’en passera. » Tout à coup parut un oiseau
ses hôtes. Ceux-ci, après avoir mangé, lui demandèrent ce qui apporta quelques oignons qu'il avait épluchés et coupés
que sigufiait ce mystère. « Lorsque vous êtes arrivés, en morcæaux et qu'il jeta dans le chaudron. Räbra ne
répondit Râbra, j'ai compris que vous aviez faim. Ce que mangea pas de cette purée et se contenta de pain; puis elle
je possède est bien peu de chose, me suis-je dit. À ce dit : « L'homme ne doit jamais être insouciant des pièges
moment esi survenu le derviche auquel j'ai donné les deux que lui tend Cheïtân. »
pains. Puis j'ai fait cette prière mentale : Mon Dieu, tu as On raconte qu'un jour Räbia étant montée sur une
dit: Je donnerai dix pour un; moi, je viens de donner deux montagne, toutes les antilopes qui sy trouvaient se
pains pour te plaire, à ton tour donne-moi dix pour un, réunirent auprès d'elle, Elles y restaient dans la plus grande
Lorsque cette servante à apporté les dix-huit pains, je me sécurité. Soudain arriva Haçan Basni,et toutes les antilopes
suis dit : Ou quelqu'un nous en a pris deux, ou bien ce ne de s'enfuir. « Räbl'a, dit-il, d'où vient que les antilopes me
sont pas ceux qu'on nous adressait, et je les ai renvoyés. fuient et ne te fluient pas, Loi? — Qu'asiu mangé
Lorsqu'on nous les à rapportés avec deux en plus, j'ai aujourd'hui, Hacan? demanda-t-elle. — J'ai mangé, révon-
compris que c'était bien }à ce qu’on me destinait. » dit-il, de la purée que j'ai fait cuire avec un morceau de
Une nuit que Râbr'a était en prière, un fragment de roseau graisse. — Toi qui manges leur graisse, reprit Râbia,
lui entra dans l'œil sans qu'elle s'en aperçût, tant l'amour comment ne te fuiraient-elles pas? »
de Dieu était profondément enraciné dans son cœur! On raconte qu’un jour Haçan Basri, voyant Räbl'a assise
On raconte encore qu'une nuit un voleur s'introduisit sur Je bord de l'Euphrate, jeta sur la surface de l'eau son
dans la maison de Râbla et, après lui avoir soustrait son tapis à prière, monta dessus et dit : « Allons, Râbl'a, il faut
voile, ne trouva plus d’issue pour s'en aller : mais à peine réciter sur l’eau une prière de deux rik'at, — Maitre, dit-
Le mémorial des saints Le mémorial des saints gt
60
On raconte que Râbi'a envoya à Haçan Basri trois
terre que tu vas montre au
elle. sont-ce les choses de cette chose que © choses, savoir: un morceau de cire, une aiguille et un
gens de l'au tre monde? Fais-nous voir Une cheveu, en lui faisant dire: « © Haçan! enflammetoi
issant à exécuter. >. <
commun des mortels soit impu comme de la cire et donne de la ciarié au monde:
s 4 PriTé, monta ess a
disant,elle lança en l'air son tapi is commence par être nu comme l'aiguille, et puis agis:
ÿ est plus retiré et Pæœ
cria : « Viens ici, Haçan, On , vour ans cons oier quand tu auras accompli ces deux opérations, deviens
» Puis
curieux ne saurait y atteindre. raince comme un cheveu si tu ne veux pas que tone ta
que tu as fait, ssposent
Haçan, elle ajouta : « Maitre, ce peine soit perdue. »
j'ai fait les mou a
aussi peuvent le faire, et ceque Haçan Basn demanda à Râbia si elle en arriverait à
ait Je è u
capables de le faire. is agir . | | prendre un mari. Elle de répondre : « Contracter mariage
érs ux deux que nou s avo ns ai
disait : & Jere stai me que est nécessaire pour quelqu'un qui est en possession de son
“Onapporte que Haçan Basri libre arbitre: quant à moi, je ne dispose plus de ma
aupr ès de Râbr 'a, disc ourant avee tant ardent
et un jour de la vérité au nos volonté, J'appartiens au Seigneur et ie reste à l'ombre de
ères
sur la voie spirituelle etles myst € cd ne sés commandements, je né compte DOUr rien Ma Dersonna-
Un homme, et
ne savions plus, moi, si J'étais nous termine ee té. — Mais. dit Haçan, comment es-tu parvenue à un tel
me. Lors qu'à la fin
était une fem degré? —En m'annihilant complètement. — Qui, observa
D étai s qu'un indigen
discussion, je reconnus que JE | . Haçan, tu sais le comment; mais, chez nous, ce comment-là
iche au cœur SINC ÈTE. D
ompagné de ses discipies n'existe pas. » Et il ajouta : « O Râbia! communique-moi
eau fois Haçan Basri, acc
il faisait patMeur quelque chose de ce que tu as appris par la propre
ce rendit chez Râbi'a. Comme 56 , inspiration, — Aujourd'hui, répondit Râbr'a. je me suis
: mais il n'y en avai pas. he, les en rendue au bâzâr, ayant avec mot quelques pelotes de corde
ts dans sa bouc
Menantle bout de es doig que j'ai vendues deux pièces d'or pour me procurer des
qu' aux pre mie rs ray ons de f'aurofs. il en sont
retira. et, jus vivres. J'ai pris dans chacune de mes mains une de ces
d'une lampe. Si queiq
une lumière pareille à celle pièces d'or, craignant que, si ie les tenais ensemble, toutes
Proda pu & produire
demande comment Un pareil ain deux réunies ne me fissent dévier de la voie droite, » Haçan
shui qu'il sortait ausst Ge ià lui soit À lui dit encore : « Si, dans le paradis. je demeurais l'espace
er que Mou ca, sur
Monca Si l'on te fait observ pas, rép ons d'un souffle éloigné de la face du Seigneur, je pleurerais
r'a ne l'était
salut! était prophète et que Râb pres crit es par = pe tllement que tous ceux qui s'y trouvent auraient compas-
œuvres
que quiconque exécute les des mir aci es 4, 4ke, sion de moi — C'est très bien dit, observa Râbi'a: mais
fair e
phètes participe à leur don de Pro pE x quiconque dans cœ bas monde ne néglige pas un seul
artiennent €n
s'il y à des merveilles qui app qui sont le privilég instant de bénir le nom de Dieu, tout en gémissant et en
y a auss i des pro dig es
prophètes, if plurant, c'est un signe manifeste que dans l'autre vie fl
un hadis de | Envoÿ
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te véri té est conf irmé es par


saints, Cet Lermes : & Quiconar a sera comme tu viens de le dire. »
sur lui soit le salut! conçu ER CES On lui disait : « Pourquoi n'en viens-iu pas à prendre un
ement, réstitue une D ce
une sormme qu'il détient injustaire, obtient une pe a man? — Jai trouvé trois choses qui me causent du souci,
d'argent à son légitime propriét : «Si eq ne PAR répondit-clie: si quelqu'un m'en débarrasse, j'en viendrai à
degré des prophètes », Et encore VO ns lé1€ prendre un mari. — Et ces choses qui le préoccupent, lui
ui se trouve ÊLrE è ai,, voit dans
vrai
songe qui rêve , c'es t là une part du demanda-t-on, qu'est-ce donc?» Elle de répondre : « La
en
SA eRENt commeil avait vu première est de savoir si au moment de la mort, Gui où
degré des prophètes. »
82 Le mémorial des saints Le mémorial des saints 93

non, je pourrai présenter ma foi dans toute sa pureté, La posa cette question : « Si un de ses serviteurs fait pénitence,
seconde, de savoir si, au jour de la Résurrection, on me le Seigneur très haut accepltera1-1l, oui ou non, sa
mettra, où où non, dans la main droite l'écrit où sont pénitence? — Tant que Dieu n'accorde pas là grâce de la
enrégisirés mes actes. La troisième est de savoir, lorsqu'au pénitence, comment un de ses servieurs pourrait4l faire
jour de la Résurrection on conduira les uns vers la drone pénitence ? et lorsque le Seigneur très haut fa lui accorde en
dans le paradis, les autres vers la gauche dans l'enfer, dans effet, 1} est hors de doute qu'il acceptera sa pénitence. »
quelle direction on me conduira moi-même. — Nous ne Elle disait encore: « Qn ne peut distinguer à l'œil les
connaissons rien de ce que tu nous demandes là, différentes siations qui sont sur la route conduisant à Dieu,
s'écrièrent-ils tous, — Eh quoi! repri-elle, lorsque j'ai pas plus qu'on ne peut arriver jusqu'à lui avec la langue.
devant moi de pareils sujets de préoccupation, Firais Applique-toi donc à tenir ton cœur en éveil. Lorsqu'il sera
inquiéter d'un mari!» éveillé, c'est avec ses veux que tu verras la route et qu'il te
&« D'où viens-tu? lui demandait-on encore, — De l'autre sera possible d'atteindre la station. » Elle disait encore:
monde. — Et où vas-tu? — Dans l'autre monde, — Que « Le fruit de fa science spirituelle, c'est de détourner ta face
fais-tu dans ce bas monde? — Je me joue de hui, — Et de la créature pour la tourner uniquementvers ie Créateur;
comment te joues-tu de lui? — Je mange son pain «t car par le mot science 1} faut entendre la connaissance de
j'accomplis les œuvres de l’autre monde. » On lui deman- Dieu. »
dait aussi : « Toi qui es si insinuante en paroles, ne serais- Qnraconte que Râb}'a, voyant un homme qui avait serré
tu pas excellente pour garder un poste? — Mais, dit-elle, je sa tête dans un bandeau, « Pourquoi t'attacher ainsi la
suis en effet la gardienné d’un poste; car je ne laisse sortir téte? demanda-t-efle. — Parce que jy ai mal. répondit-il
nen de ce qui est en moi et je ne laisse rien entrer de ce qui — Quel Âge as-tu? dit Râbra. — Trente ans. — Pendant
est en dehors, » ces trente années as-tu été plus souvent bien portant ou
« © Räbr'al lui demandait-on, aimes-tu le Seigneur très souffrant? — J'ai été plus souvent bien portant. — Quand
haut? — Oh! vraiment ou, te l'aime, — Ei Cheïtän, le tu étais en bonne santé, l’es-tu jamais bandéla tête en signe
considéres-tu comme un ennemi? — J'aime tellement Île d'action de grâces, pour venir maintenant te plaindre du
Seigneur rés haut que je ne m'inquiète pas de l’inimitié de Seigneur très haut à cause d'une douleur d'un jour et
Cheïän. » t'envelopper ainsi la tête? »
On raconte que Râbia vit en songe l'Envoyé, sur lui soit On raconte que, nendant l'été, Räbl'a se retirait dans une
le salut! qui la salua et hui dit: « Q Râbia! m'aimes-tu? maison isolée dont elle ne sortait pas. Sa servante lui dit:
— © Envoyé de Dieul répondit-elle, peut-il se trouver « Maïtresse, sors de cetie maison et viens contempler les
quelqu'un qui ne t'aime pas? Et cependant l'amour du œuvres de la touté-puissance du Seigneur très haut. —
Seigneur très haut remplit tellement mon cœur qu'i n'y Entre plutôt toi-même, répondit-elle, et viens contempler la
reste de place ni pour l'amitié ni pour l'inimitié envers toute-puissance en elle-même, » Et elle aioutait : « Mon
n'importe quel autre. » rôle à moi, c'est de contemplerla loute-puissance. »
On demandait à Râbi'a : « Celui que tu sers, le vois-tu? On raconte que Râbi'a garda le jeûne sept nuits et sept
— Si je ne le voyais pas, répondit-elle, je ne le servirais jours consécutifs sans rien prendre, ne dormant même pas
pas. » On raconte qu'elle était touiours en pleurs. Comme la nuit, pourse livrer à la prière. La huitième nuit sa nature
on lui demandait pourquoi ces pleurs, elle répondit: « le sensuelle lui dit en gémissant : « G Râbia! jusqu'à quand
crains qu'au dernier mosnent une voix me crie soudain: me toriureras-tu ainsi sans relâche? 5 Au milieu de ce
Räbl'a n'est pas digne de paraitre à notre cour. » On lui colloque intérieur, soudain on frappa à la porte, Râbi'a
g4 Le mémorial des saints Le mémorial des saints
as
ouvnt. C'était un homme qui lui apportait de quoi manger ajoutait : « S'il n'y avait ni paradis ni enfer,
dans une écuelle, Râbi'a la prit et la dépose quelque part vous ne
Servezdonc pas le Seigneur très haut? — Mais
dans la maison; puis, comme elle s'était éloignée pour aller toi fut
demandérent-ils, pourquoi le sers-tu? — Moi,
répondit.
allumer la lampe, le chat vint ei mangea tout. Râbi'a, 4 son elle, je le sers pour son bon plaisir. Ne me suffit
retour, n'eut pas plus tôt vu ce qui en était qu'elle se dit: -il pas
comme don gracieux de sa part qu'il me commande
« Je vais aller chercher de l'eau avec laquelle je romprai le de le
servir?»
jeûne. » À peine fut-elle partie pour aller puiser de l'eau On rapporte encore que quelques dévots perso
que la lampe s'éteignit. lle revint et souleva la cruche pour nnages
allèrent trouver Râba. En la voyant couverte
d'un
boire, mais elle lui échappa des mains et se brisa. Râbia vetement tout déchiré, ils lui dirent : « Ô Räbr'a! il y a bien
poussa un tel soupir que la maison faillit en être incendiée des BenS qui, si tu leur demandais un secour
s,
et s'écria : & Mon Dieu. que prètends-tu donc faire à cette donneraient. — Je rougirais. répondit-elle, de dema te le
pauvre misérable? » Une voix se fit alors entendre : « Ô nder les
biens de ce monde à qui que ce soit; car ils n'app
artiennent
Räbr'at si tu le désires, je m'engage à te donner le monde à personne €n DrOpre, mais ne sont qu'un
prêt dans les
iout entier: mais il faudra que j'enlève de ton cœur l'amour mains de ceux qui les détiennent. — Voilà une femm
que tu as pour nous, parce que l'amour de notre personne e qui a
de bien nobles sentiments », se dirent-ils: puis,
s'adressant
et celui de ce monde ne tiennent nas en méme lieu — En à elle: « Le Seigneur très haut a couronné la tête
m'entendant interpeller de ceite manière, disait Râbia, je hommes d'élite du don des miracles et en a des
fait une
chassai entièrement de mon cœur le goût des choses de ce ceinture à leurs reins; mais jamais de pareils
privilèges
monde et je détournai d'un seul coup mes regards de toutes n'avaient êté dévolus à une femme. Comment es-tu
les créatures terrestres. Voilà trente ans que je n'ai pas fait à un si haut depré? — Ce que vous dites est vrai arrivée
uné prière sans me dire: Cette prière est peut-être la répondit
elle: mais aussi la superbe, l'infatuation de soi-
même la
dermière que je ferai, et je ne me suis pas lassée de répéter: prétention à la divinité ne sont jamais venues d’une
Mon Dieu, rends-moi tellement absorbée par lon amour femune
Aucune d'elles ne s’est prostituée à d'autres femme
s. » |
que n'importe quelle autre passion ne puisse m'OCCUpEr. » On rappone que Räbia tomba malade. Comme
on lui
On rappone que Räbia gémissait continuetiernent. deman dait ce qu lui était arrivé, elle répondit
: « Cette
« Mais tu n'as mal nulle part, lui disait-on, pourquoi gémir auf, de grand matin, comme mon cœur soupirai
ainsi? — Hélas! répondit-elie, le mai dont je soufre est tel après le
paradis, le Seigneur très haut m'a envoyé cette
épreuve
qu'aucun médecin ne peut le guérir; seule, la vue du pour mme forcer à garder les convenances » Haça
n Basri
Seigneur lui servira de remède. Ce qui m'aide à supporter raconte : « Comme je m'étais rendu chez Räbi'
ce mal, c’est l'espoir que, dans l'autre monde, jarriverai au a pour
prendre des nouvelles de sa maladie, je vis assis
but de mes désirs. » à sa porte
un marchand qui pleurai. — Pourquoi pleur
On raconte que, plusieurs dévois personnages étant es-tu? jui
demandai-je. — de viens d'apporter pour
venus trouver Râbl'a, celle-ci demanda à l’un d'eux : « El Räbi'a me
répondit-it, cette bourse d'or. Je suis trés inqui
et de savoir
toi, pourquoi sers-tu le Seigneur très haut? — Par crainte si elfe l'accepiera, OU ou non. Va, Haçan, et
fais-lui toi.
de l'enfer, répondit-1. — Pour moi, dit un autre, je le sers même Îa proposition: peut-être Qu'elle lacce
par crainte de l’enfer et dans l'espoir d'arriver au paradis. ptera, —
J'entrai donc chez Râbi'a, continuait Haçan
Basn. et je ne
— Mauvais serviteur, observa Râbi'a, celui qui ne rend ses hi eus pas plus 1ôt transmis les paroles de ce
bommages au Seigneur trés haut que dans l'espérance marchand
que, me régardant du coin de l’œit; elle me dit
d'aller au paradis où dans la crainte de l'enfer »; et elle : Toi aussi
Haçan, tu sais bien que le Seigneur trés haut donn
e le pain
96 Le mémorial des saints Le mémorial des saints 97
quotidien à ceux-là mêmes qui ne s'inclinent pas devant sont nas rares à Basra. Cependant, jusqu'aujourd’ hui, j'ai
jui: comment ne le donnerait-il pas à celui dont le cœur est persisté à n'en pas manger. Je ne suis qu'une esclave et il ne
bouillonnant d'amour pour sa majesté? De plus, depuis m'appartient pas d'agir suivant les désirs de mon cœur;
que je connais Dieu, j'ai détourné mes regards de toutes les car, si moi je veux et que Lui ne veuille pas, ce serait de ma
créatures. Pour le moment, comment pourrais-je accepter part de l'infidélité, — Soit, continua Sofän, je ne suis pas
l'argent de quelqu'un, quand nous ne savons MÊME PAS St capable de parler de tes propres affaires, mais toi, dis-moti
c'est un bien légitime ou illicite? Et elle ajouta : Un jour on un mot des miennes. — Eh bien, dit Räbi'a, si tu n'avais
avait mis dans une lampe de l'huile de la maison du sultan. pas de goût pour ce bas monde, tu serais un homme
Je raccommodai à la lumière de cette lampe les déchirures irréprochable. Alors, raconte Sofiän, je m'écriai en pieu-
de mon vétement. Pendant plusieurs jours mon cœur fut sant: Mon Dieu, puisses-tu être satisfait de moil — G
rempli de ténèbres et ne retrouva sa clarté que lorsque j'eus Sofiân, poursuivit Räbia, ne rougis-tu pas de dire au
de nouveau décousu {le vêtement que javais FÉpare. Seigneur: Puisses-lu être satisfait de moi, sans avoir rien
Présente donc mes excuses à ce marchand, et qu'il s'en fait pour qu'il soit content de 1017 »
aille. » On raconte que Mâlik Dinâr disait : « Je me rendis chez
Un autre jour un riche négociant, étant venu trouver Räbj'a. Je vis qu'elle était en train de boire de l'eau à une
Râbi'a, vit que sa maison tombait en ruine. I} fui donna cruche brisée, Élle avait étendu sur le soi de sa maison une
mille pièces d'er et lui fit présent d’une maison en bon état. vieille natie, et une brique crue lui servait d'oreiller. Le
Râbra sy rendit et ny fut pas plus tôt installée que, cœur tout en feu, je fui dis : O Räâbra! jai des amis riches:
voyant les peintures de cetie maison, elle se laissa absorber si tu me le permets, je vais leur demander quelque chose
dans leur contemplation. Aussitôt, rendant à ce marchand pour loi. — Tu as mal parlé, Mâlik, répondit-cile: à eux
les mille pièces d’or et la maison, elle lui dit: « Je crains comme à moi, c'est le Seigneur irès haut qui donne le pain
que mon cœur ne s'attache à ceite maison el qu il ne me quotidien, Lui qui pourvoil aux besoins des riches, ne
soit plus possible de m'occuper des œuvres de l'autre pourvoira-t-1} pas à ceux des pauvres? S'it hu plait qu'if en
monde, Mon seul désir est de me consacrer au service du soit ainsi, nous, de notre côté, nous nous soumettrons de
Seigneur très haut. » | | bon cœur à sa volonté. »
On raconte au’Abd el-Vähid, fils d'Amir, et Sofän On raconte qu'un jour Mâtk Dinär, Haçan Basri ei
Tsavri allèrent rendre visite à Râbi'a. Saisis de respect à sa Chaqiq Baikhi allèrent rendre visite à Râbi'a. Comme on
vue, ils ne pouvaient proférer une parole. Enfin Sofiän parlait de la sincérité, Haçan Basri di: « fi n'est pas
Tsavri dit: « © Râbra! fais une priére pour que kÆ sincère celui qui ne supporte pas avec constance les coups
Seigneur très haut allège tes souffrances. — 0 Sofiân qui lui viennent du Seigneur très haut. — Voilà qui sent
Tsavni? lui demanda-t-elle, qui donc me les a envoyées, ces l'infatuation de soi-même », observa Râbra. Chaqiaq Balk-
souffrances? — C'est le Seigneur très haut, réponditl — hi dit: «Il n'est pas sincère celui qui ne rend pas dés
Eh bien, reprit-elle, si sa volonté est que cette Épreuve mé actions de grâces pour les mañheurs qui lui viennent du
soit infligée, comment m'adresserais-je à lui maintenant en Seigneur très haut, — I] faut encore mieux que cela »,
méconnaissant sa volonté? » Sofân Tsavri lui dit encore insista Râbra. Mäâlik Dinär prit la parole: « Il n'est pas
« Ô Räbi'a! que désire ton cœur? — Soffân, répondit-elle, sincère celui qui ne trouve pas de charme dans les maladies
toi qui es un homme éclairé, pourquoi profères-tu de teiles que lui envoie le Seigneur très haut. — Encore mieux »,
paroles? Le Seigneur très haut sait bien que mOn œœur, s'écria Râbri'aMais eux, s'adressant à elle: « Parle toi.
depuis douze ans, désire des dattes fraiches, lesquelles ne même.» Alors Râbia: « }i n'est pas sincère celui qui
98 Le mémorial des saints Le mémorial des sainis 88

n'oublie pas la douleur de la maladie qui lui vient du interdis-m'en l'accès: mais si c'est pour toi seul que je te
Seigneur très haut, exactement comme les dames de sers, ne me refuse pas la contemplation de ta face. »
‘Égypte, en voyant la figure de Vouçouf, oublièrent leur On raconte que Râbi'a disait : « Mon Eieu, si, au jour
mai de main. » de la Résurrection, tu m'envoies en enfer, je m'écrirai en
Un des docteurs de Basra, s'étant rendu chez Räbr'a, se gémissant : Seigneur, moi qui l'aimais tant! est-ce ainsi que
mit à discourir sur les défauts de ce bas monde. « Ah! il in traites ceux qui l'aiment? » Une voix se fit entendre:
faut que tu l’aimes bien œ bas monde, observa Râbi'a, car « O Räbia, ne conçois pas une mauvaise opinion de nous,
si tu ne l'aimais pas. tu n'en parlerais pas tant. Celui qui se car nous te donnerons place dans les rangs de nos fidèles,
propose d'acheter des étolles en parie à satiété. Si tu étais afin que tu puisses l'entretenir avec nous de nos mys-
|
entiérement dégagé de ce bas monde, que t'imporieraient ières, »
ses mérites ou ses défauts? » On raconte qu'une auit Râbra disait: « Mon Dieu,
On raconte que Haçan Basri disait : « Dans l'après-midi quand je fais la prière, éloigne de mon cœur touies Îes
jallai chez Râbia. Elle venait d'instalfer au foyer un suggestions diaboliques, ou, par un effet de ta générosité,
chaudron dans lequel elle avait mis de la viande. Comme accepte les prières qui sont accompagnées de ces sugges-
nous avions commencé à parler de la connaissance de tions. »
Dieu. ele me dit : Ji n'y a pas de sujet d'entretien meilleur Dans ses derniers moments beaucoup de dévots person-
que celui-ci, il vaut mieux le continuer que de faire cuire de nages se tenaient assis près d'elle. « Levez-vous, leur dit-
la viande; et elle n'alluma pas le feu sous le chaudron. elle, et sortez, laissez pour un moment la route libre aux
Lorsque nous eûmes fait la prière du soir, Râbia apporta messagers du Seigneur très haut.» Tous se ievêrent et
de l’eau et quelques pains tout secs, En même temps elle sortirent. Quand ils eurent ferméla porte,ils entendirent la
versa le contenu du chaudron. et il se trouva que la viande voix de Râbr'a qui faisait sa profession de foi. Aussitôt
qui était dedans avait été cuite par un eflet de la toute. qu'elle eut rendu le dernier soupir, les docteurs s'étant
puissance de Dieu. Nous mangeâmes de ce ragoût, dont ta réunis firent laver son corps, récitèrent sur lui les priéres
des morts et le déposérent dans sa dernière demeure.
saveur était telle que nous n'en avions jamais mangé de
pareil » On vit Râbla en songe et on lui demanda ce qu'elle avan
Sofiân Tsavri dit : & Un soir je me trouvais chez Räbl'a. répondu à Munkir et à Nekir {les deux anges chargés
Elle pria jusqu'aux premiers rayons de l'aurore et l'en fis d'interroger les monts}. « Munkir et Nekir sont arrivés, dit-
elle, et m'ont posé la question : mer rebbouki, c'est-à-dire
sautant. Au matin elle dit: Il faut jeûnér aujourd'hui en
action de grâces pour les prières que nous avons faites cette
qui est ton Dieu? Moi, je leur ai répondu : Ô anges! allez
nuit. » On rapporte qu'elle ne cessait de s'écrier dans un et dites de ma part à la cour du Trés-Haut: Tu me fais
élan du cœur : « Mon Dieu, si, au jour de la Résurrection, interroger, moi vieille femme, au milieu de tant de tes
{u m'envoies en enfer, je révélerai un secret qui fera fuir serviteurs, moi qui n'ai jamais Connu que toi! T'ai-je jamais
l'enfer à nulle années de distance de moi. — Mon Dieu, oublié pour que tu envoies Munkir et Nekir me poser des
disait-elle encore, tout oc que tu me destines des biens de ce questions? »
monde, donne-le à tes ennemis, el tout ce que Îu me Mohammed ben Aslam Touci et Na'mi Taratouci {de
réserves dans le paradis, distribue-le à tes amis; car c'est toi Tortose), étant venus tous deux sur le tombeau de Räbr'a,
seul que je cherche. — Mon Dieu, ajoutait-elle, si c'est par dirent : « O Räbl'a! tu te vantais de n'avoir jamais baissé la
crainte de l'enfer que je te sers, condamne-moi à briler tte ni devant oœ monde ni devant l'autre: où en es-iu
dans son feu, et si c'est par espoir d'arriver au parachs,
maintenant? » Une voix, sortant de son tombeau, s'écria :
Le mémorial des saints Le mémorial des saints 10
io
était bien ce quiFa lui avoir expliqué son affaire, n'eut pas plus {ôt déposé
« Bravo pour moi! ce que je faisais e que javais Gécou- l'argent devant lui, que cei homme hui dit : « Laisse ici ton
ë cell
faire. et c'était la bonne rout argent. » Le marchand l'y laissa en effet et se retira, Une
verte! » Die u seul sait tout .
fois de retour auprès de la caravane, il vit que les voleurs
l'avaient attaquée et dépouillée de toutes ses marchandises
aprés avoir Né et jeté à terre tous les hommes qui la
Sentences de Fuzeil ben ‘Ayäz ?. composaient. Le marchand avant dédié ces captifs, ceux-ci
ramassérent le peu qu'on leur avait laissé Quant à fui,
de sincérité et shui aussitôt de retour à la tente, il voit les voleurs rassemblés,
Celui dont le cœur était plein
de nuit et de jour était ja pe mt en train de se partager le bulin qu'ils avaient fait À ce
dont la préoccupation
éricorde de Dieu soi su me spectacle il se dit : « Maïtheur à moil j'ai confié mon argent
Fuzeil ben ‘Ayàz, que la mis e
savant LrÉS expert ans! voi à des voleurs. » Et il se disposait à s'en retourner, lorsque
C'était un grand docteur, un opéran
nes, de no m
spirituelle, d'une austérité sanss bor
Fuzeil lui cria: «Qu'y at-il donc? — J'étais venu,
dan fa connaissance ee : répondit-il, pour reprendre l'argent que j'avais mis ici en
breux miracles, CONSOMMÉ
I comment | proces si dépôt. — Eh bien, reprit Fuzeil, ramasse-le à lendroit où
Dans les commencements VOIC Aer
les plaines qui sont en tu l'as posé, » Le marchand y alla et reprit son argent.
avait planté une tente dans sièr e, po r k « Mais, s'écrièrent les compagnons de Fuzeïl, nous n'avons
e d'étoffe gros
et Bâverd. Vêtu d'une tuniqu Du é pas trouvé d'argent en espèces dans cette caravane; d'OÙ
re, un on a
sur la tête un bonnet de feut vient que tu lus restitues une pareille somme? — Cet
cou. il avait réuni auIour
des voleurs de grandse homme, répondit Fuzeil, y a été de bon cœur et s’est fié à
Eompagrons qui tous étaient
routes, HS rppo ne moi, à mon tour c'est de bon cœur que je me file au
Lorsque, après avoir battu les chef, ia meiliet pas J Seigneur très haut; et, de même que j'ai justifié la bonne

isa Je NE à PPquantité2dedeQUOUS
ME
butin, à s'en adjugeait, COM opinion qu'il avait aue de moi, j'espère que le Seigneur
qu et de À E justifiera celle que j'ai de lui »
r écrit ia note it des e
ais il RE négl igea On raconte qu'un jour les mêmes voleurs avaient
deœ Quirevenait à chacun, Jam
i de ses aai massacré une caravane et enlevé ses marchandises. Comme
la prière du vendredi, ef celu ques,If né mater Hs étaient en train de manger, un des survivants de la
oni
s’acquittait pas des Oraisons can
serv ice. Un jou r ses hom mes faisaien lequesse caravane teur demanda quel était leur chef. « Notre chef,
pas à SON
bre use caraane sun, me ténpondirent-ils, n'est pas ct Îl est À tel endroit, au pied
la route, lorsqu'une nom e ans sa ee d'un arbre, occupé à faire la prière. — Mais, reprit celui-là,
trouva à portée de à voix des r ne c ce n'est pas l'heure de la prière, quelle prière fait-il donc?
étain un marchand, passess de cac her Ne
bou rse . Des ieu r — Des prières surérogatoires. — Pourquoi ne vient-il pas
contenue dans une grande la ca mp agne !
direction de manger avec vous? — Parce qu'il jeûne. -— Cependant ce
trésor, à prit Sa COUTSÈ dans la tena it gssi s un à re r'est pas le mois du jeûne. — Cest un jeûne surérogatoire

vit dans la plaine une ienié OÙ Le mar cha nd, 49 qui observe. » Stupéfait, cet homme se leva et se rendit
gros siér e.
vêtu d'une tunique d'étoffe auprès de Fuzeil ben ‘Ayâz, qu'il vit faisant la prière dans
rot
Suivant Îles uns. 1 a ea le plus grand recueiflement, Îl atiendit patiemment qu'il eñt
j. Son sumom était AbOU A de Samargand a € po hara. aa
inai re fini, et alors il lui dit: « Comment le jeûne et la prière
suivant d'autres, M était orig
Hé élevée à Baverd où Abivde erd, entre Serakhs et Niça. peuvent-iis s'accorder avec le brigandage? 5 Et il ajouta :
dans le mois de moh arr em l'an 188 (803-804).
Le mémorial des saints Le mémorial des saints 103
192<
sais », répondit rable, dont là population tout entière, füt-elle réunie
« Sais-tu le Qoran, à Fuzeñt? — Qui, je le n'aurait pu venir à bout. Fuzeïl se mit à l'œuvre et petit à
à le réciter, Pautre
celuicci, Et comme il avait commencé petit if transportait le sable de ce monticule. En même
resta confondu. plus nobles temps, nuit etjour, il ne cessait de gémir devant le Seigneur
Fuzeïl était toujours animé des sentiments les tès haut. Une nuit, par le commandement de Dieu, fl
trouvait une dame
et les plus élevés. Par exemple, s'il se caravane d'une 5 élevaun vent qui balaya tellement la place que personne
dans une caravane, il n’abordait pas cette
À ceux qui possé daient peu n'aurait pu savoir Si, oui où non, il y avait eu là un
façon brutale et imconvenan te.
it, il leur restituait monticule. Le lendemain matin le juif, étant venu sur les
il ne prenait rien, £t Ceux à avi il prenail avait un penchant lieux, vit cè qui était arrivé et fut frappé de stupeur. I
caf
ensuite à chacun individuellement, emmenaFuzeïl chez fui et lui dit : « Commej'ai juré que je
natur el oour Le bien. né me déclarerais pas satisfait tant que je n'aurais pas reçu
ments, Fuzeïl était
On raconte que, dans les commence de toi de l'argent, viens donc; il y a là, sous mon coussin
il envoyait tout ce qu'il
amoureux d'une dame à laquelle s. Tantôt il allait la une somme en or. Retire-la et donne-la moi, afin que mon
route
ramassait dans ses battues sur les serment se trouve accompli, et je vais te pardonner. »
mettait à pleurer. Un
trouver, tantôt il pensait à elle et s€ cette caravane était Fuzeil s'avançant mit la main sous le coussin et en retira
u de
soir une caravane passait. Au mitie une poignée d'or qu'il donna au juif. Celui-ci lui dit:
qui récil ait ce verse t : Le moment est arrivé pOur
un homme paroles de ce verset « Fuzeïl, enseigne-moi fa profession de foi musulmane,
ller i, Les
vos cœurs endormis de se révei parce que je veux la prononcer et devenir musulman —
dans le cœur de Fuzeil.
c'enfoncérent comme une flèche Qu'est-il donc arrivé? demanda Fuzeïl. — C'estque j'avais
arrivé, ou plutôt it est
« Qui, s'écria-t-if, 11 est arrivé, il est lu dans le livre de la Loi (Tevrii} que celui qui se repent
e deva nt le Seigneur trés
passé. » Et, tout plein de hont sa course et entra dans toute la sincérité de son cœur, la terre se change enor
me un fou, ik prit
haut, hors de lui com er. Une troupe de dans sa main, et, pour t'éprouver, j'avais mis de la terre
pleur
dans un enclos ruiné où it se mit à camp é non loin de sous mon coussin. Maintenant que cette terre s'est changée
avait
gens faisant partie d'une caravane faut nous lever & en or dans ta main, j'ai compris que ta conversion était
à l'aut re: « Ji
à. Hs se dirent lun ne nous pille r el sincère et que la religion que tu professes est la vraie. »
vien
décamper de peur que Furet ne -ci, en ente ndan i Alors il fit la profession de foi et devint musufman
» Celui
s'emparer de nos marchandises. pour VOUS qui On raconte que Fuzeil ben ‘Avyâz envoya dire à
« Bonn e nouve lle
parer ainsi, leur cria: dans la voie de la quelqu'un ! « Attache-moi les pieds et les mains et conduis-
m'écoutez! Fuzeïl ben "Ayäz êst entré
fuyie z autrefois devant moi au sultan ‘. Harnvera sans doute qu'il me fera châtier
pénitence à tel point qué, si vous car th est nécessaire que je sois châtié sévèrement. » Cet
fuit devant vous. » Puis
lui, maintenant c'est lui-même qui homme, ayant lé Fuzeit, le mena en présence du sultan
ceux dont i s'était fait
it partit, aliant demander pardon à Celui-ci, en le voyant, ne lui dit rien et le renvoya chez lui.
ki.
des ennemiset les réconciltant avec juif, son ennemi, Fuzeil, en y arrivant. cria : « Femme, ouvre-moi la porte »,
1} y avait dans la ville de Bâverd un « Écoute, Fuzeil. et il poussait de longs gémissements. « Sans doute tu as èté
ne.
dont rien ne pouvait éteindre la rancu bien battu? lui dit sa femme. — Oui, répondit Fuzeïl, j'ai
veux- tu que je me décia re satis fait? Eh bien, # ya
Jui dit-il, té battu. — Mais sur quelle nartie de ton corps tombaient
e de sable : charge-toi de le
à tel endroit un monticuk une massé considé- ks coups? — Us tombaient sur mon âme et sur mon
niveler. » Or ce monticule présentait
1. Haroun er-Rechid.
. Qoran. sour. LVH, VEFS. F5.
104 Le mémorial des saints Le mémorial des saints 105
cœur. » Puis 1 dit à sa femme : « Je compte partir pour la traiter le pädichâh avec honneur, reprirent-ils, ét nous
Ke'abeh. Si iu le désires, je vais te rendre la Hiberté. — Je permettre d'entrer. — Ne me fatiguez pas, continua Fuzeil,
ne me séparerai pas de toi, lui dit celle-ci: partout où tu Je RE vous permets rien; à vous de voir si vous voulez
seras, je m'y trouverai pour te servir. » ls se rendirent donc entrermalgré moi. » Haroun er-Rechid étant entré, Fuzeil
tous deux à la Ke'abeh, dontils devinrentles hôtes les plus éteignit la lampe pour ne pas voir la figure de ces intrus.
assidus. Fuzeïl y fit la connaissance d'un grand nombre de Haroun er-Rechid ayant touché de sa main la main de
docteurs et eut avec Abou Hanifch, entre autres, des Fuzeïl, celui-ci s'écria : « Que cette main est douce! Ah! si
relations dont à profita beaucoup pour son instruction. elle pouvait échapper au feu de Penfer! » Et. ayant ainsi
Lorsqu'il se fut livré à la pratique de l'ascétisme, Île parlé, 11 se leva pour faire la prière. Quant à Haroun, il se
Seigneur très haut ouvrit devant hui les portes de la science, mit à pleurer et dit: « Adresse-moi au moins un mot»
à tel point qu'il prononçait sans cesse des homélies à la Fuzeïl, après avoir prononcé la salutation finale de Ja
Mecque. prière, lui dit: « O Haroun! ton ancêtre, qui &ait l'oncle
Un jour des gens de Réverd. qui étaient parents de patémé} de l'Envoyé, sur lui soit le salut! lui dit un jour : Ô
Fuzeïl, se rendirent à la K£'abeh nous le voir: mais il ne les Envoyé de Dieu! établis-moi prince sur un peuple. L'En.
admit pas auprès de lui Îls se mirent à pleurer et ne s’en voyé lui répondit: Je lai fait prince sur toi-même. Si,
allaient pas. Fuzeïl, étant monté sur le tof de la Ke'abeh, régnant sur ta personne sensuelle, tu la maintiens constam-
ls vit; eux. de teur côté, l'aperçurent et versérent dés ment ausérvice du Seigneur très haut, tu seras supérieur à
larmes; puis ils s'en retournèrent aussitôt. CEUX Qui auraient exercé pendant mille années Je principat
On raconte qu'une nuit Haroun er-Rechid dit à Fuzeï parmi les hommes. Omar, fils d’Abd el-Aziz!, une fois
Mekki: « Meis-moi cetie nuit en relation avec un homme installé sur le trône du khalifat, fit appeler auprés de lui
grâce auquel je puisse sortir un moment de la torpeur Slim ibn Abd Allah, Ridjë ben Hayât et Mohammed ben
morale où je suis et trouver Le repos. » Fuzeïl Mekki et Ke'ab, et leur dit : Me voilà pis dans les liens du khalifat:
Harovn er-Rechid allérent frapper à la porte de Sofiân ben comument ferai-je pour m'en débarrasser? Si le peuple
’Jyna. « Qui est là? demanda celui-ci. — L'émir des considère le pouvoir comme un bien, moi, je le considère
croyants, répondit Fuzeil Mekki — Pourquoi ne m'avez- comme une calamité. » Puis Fuzeïl ajouta : « Ô Haroun! si
vous pas prévenu? reprit ’Îyna, je serais venu en personne t veux échapper au châtiment fe jour du Jugement,
me mettre à sa disposition. » Haroun er-Rechid, entendant considère chacun des vieillards parmi les musulmans
ces paroles, s'écria : « Ce n'est pas là celui que je cherche. » comme ton père, les jeunes gens comme tes frères, les
lis se retirérent alors et se rendirent à la porte de Fuzeïl ben enfants comme tes propresfils, les femmes comme ta mère
‘Ayàz. Celui-ci était précisément en train de réciter le verset tt tes Sœurs, tant aînées que cadeties; visite sans cesse ton
suivant : $e sont-ils imaginé, ceux qui ont pratiqué le mal, pére et ta mère, fais du bien à ceux qui ont avec toi des
que nous les mettrions Sur le même pied que les hommes qui liens de parenté et montre-toi bon pour tes jeunes enfants.
ont pratiqué le bien? (QGoran, xiv, 20.) Haroun er-Rechid G Haroun! j'ai bien peur que ton beau visage ne brûle au
n'eut pas plus tôt entendu ce verset qu'i dit : « Si c'est un feu de Penfer. Crains le Seigneur très haut et sache qu'il te
conseil que nous cherchons, en voilà assez. » Et aussitôt ils fera un interrogatoire au jour de la Résurrection, Si une
frappèrent à la porte. « Qui est 1à? demanda Fuweil, fil veille femme se couche un sair sans avoir mangé, elle se
d'Avaz. — L'émir des croyanis, répondirent-ils. — Que me
voulez-vous? Je n'ai rien à faire avec vous, moi, Retirez- 1. Huitième khalife omeyade, succéda en 99 (717-718) à son cousin
vous ei ne me faites pas perdre mon temps. — Mais if faut Sukeymän.
106 Le mémorial des saints Le mémorial des saints 107
posera en ennemie devant toi dans ce grand jour. Pursque de ta Ke’abeh, se tenait sur le mont Arafa. Il vit que tout ce
tu es khalife, pratique la justice et observe l'équité, » À ces qu' y avait là de peuple pleurait et gémissait. « Grand
mots Harouner-Rechid pleura abondamment. Alors Fuzeil Dieul s'écria-t-il, si tous ces gens-là se rendaient au logis
Mekki dit à Fuzeïl ben ’Ayäz : « N'en dites pas davantage, d'un particulier et lui demandaient une pièce de menue
car le khalife est mort de chagrin. — © Hämän', reprit monnaie, if ne les renverrait pas déçus dans leur espoir, Ô
celui-ci, ce n’est pas moi, c'est Loi, ce sont tes parents, qui mon Dieu! pardonner à tous ces pécheurs est aussi facile à
avez égaré le khalife et l'avez perdu. » En entendant ces la cour qu'il Fest pour cet homme de donner une pièce de
paroles, Haroun er-Rechid pieura encore plus amèrement menue monnaie; et ne füi-ce pas aussi facile, tu es
et dit à Fuxzeïl Mekki: « Taistoi: s’il l’a apoclé Hämân, généreux, miséricordieux; j'ai la ferme espérance que tu
c'est parce qu'il m'a comparé à Firaoun. » Puis s'adressant pardonneras à tous. »
à Fuzeil ben ‘Ayâz: « ÂAs-tu quelque dette à acquitter? — Tous ceux qui étaient réunis dans la Ke'abeh lui
Qui, répondit celui-ci, j'ai à ma charge le service que je dois demandérent ce qu'il pensait de la situation des fidèles
au Seigneur très haut, — Et moi, poursuivit Haroun er- rassemblés là en foule. « Si je n'étais pas au milieu d'eux,
Rechid. je traine te fardeau d'une dette envers tous les répondit}, j'affirmerais que le Seigneur très haut leur
hommes. — Le Seigneur très haut me fournit ma subsis- pardonners à tous. » Ils lui demandèrent encore : « D'où
tance, continua Fuzeïl, je n'ai pas besoin d'emprunter. » vient Que nous. NOUS n