Résumé
Depuis la fin des années 1990, l’autorisation en France de mise sur le marché pour
les personnes dépendantes des opiacés, de la méthadone puis du Subutex® a trans-
formé le suivi des femmes enceintes dépendantes et la prise en charge de leur enfant.
Les travaux et les recherches menés auprès de cette population ces quinze der-
nières années confirment le bénéfice pour la mère et l’enfant d’une prise en
charge spécifique, individualisée, multidisciplinaire, réalisée en coordination.
Le propos de cet exposé est de faire le point sur les données actuelles de la prise
en charge du syndrome de sevrage chez l’enfant.
HISTORIQUE
Identifié dès la fin des années 1950 [1], le syndrome de sevrage du nouveau-né aux
opiacés était reconnu dans 60 à 90 % des cas [2]. L’avènement d’opiacés de synthèse
utilisés chez la femme enceinte : méthadone dès la fin des années 1970 aux États-Unis
et 1990 en France, la buprénorphine (Temgésic® puis Subutex®, formule haut dosage
mis sur le marché en 1996), a considérablement amélioré le devenir de la grossesse
mais n’a pas diminué la survenue ni l’expression du syndrome de sevrage néonatal [3].
MÉCANISMES
Ce syndrome est caractérisé chez le nouveau-né par des signes neurovégéta-
tifs et comportementaux en rapport avec un relargage anormalement massif de
noradrénaline dans les synapses terminales [3] suite à l’arrêt brutal de l’action des
opiacés sur leurs récepteurs. Les signes cliniques néonataux seraient liés à un dys-
fonctionnement de la régulation dans le système nerveux végétatif [4].
1
Service de néonatalogie et réanimation, CHRU Montpellier
2
Service de gynécologie, CHRU Montpellier
3
Service de pédopsychiatrie, CHRU Montpellier
Hôpital Arnaud de Villeneuve
371, avenue du Doyen Gaston-Giraud
34295 Montpellier Cedex 5
E-mail : e-mazurier@chu-montpellier.fr
Société Française de Médecine Périnatale, 42es Journées nationales de la Société Française de Médecine
Périnatale (Montpellier 17- 19 octobre 2012) © Springer- Verlag France, 2013
270 42es Journées nationales de la Société Française de Médecine Périnatale
23
LE SYNDROME DE SEVRAGE
Fréquence
Délai de survenue
Intensité
Elle diverge selon les nouveau-nés sans qu’il y ait de relation entre le traitement
maternel, la prise de cocaïne et la symptomatologie observée [3, 8]. Elle peut être
majorée par un tabagisme à plus de 20 cigarettes par jours [9].
En l’absence de traitement adapté, les complications sont : déshydratation, convul-
sions, voire décès du nouveau-né par inhalation, déshydratation, désordres méta-
boliques.
Sueurs profuses 49
Excoriations 43
Marbrures 33
Encombrement nasal 33
Bâillements fréquents 30
Fréquence respiratoire > 60/min + rétraction 28
Vomissements en jet 12
Diarrhée 12
Hyperthermie > 38,3 °C 3
Convulsions généralisées 1
Déshydratation 1
Sont décrits des trémulations, un cri aigu, une irritabilité, une hyperexcitabilité,
une hypertonie, une insomnie, voire des myoclonies, et dans les cas sévères des
convulsions.
272 42es Journées nationales de la Société Française de Médecine Périnatale
DIAGNOSTIC DIFFÉRENTIEL
Les signes neurologiques d’hyperexcitabilité, trémulations peuvent se voir en
situation d’hypoglycémie, d’hypocalcémie, d’hypomagnésémie, d’encéphalopathie
anoxo-ischémique, de sepsis, d’hyperthyroïdie… [3], mais aussi chez un enfant
agité le troisième jour de vie lors de difficultés d’allaitement. Le cri aigu, les tré-
mulations peuvent évoquer une hémorragie méningée.
Positivité
Méthadone 3-7 j
Buprénorphine 1-2 j
Héroïne 1-2 j
Tableau II (suite)
Urines Méconium Cheveux
Amphétamine 2-4 j
Moro hyperactif 2
Hypertonie 2
Convulsions 5
Myoclonies 3
Difficultés d’alimentation 2
Régurgitations 2
Vomissements en jets 3
Marbrures 1
Reniflement 1
Prise en charge du nouveau-né de mère dépendante aux opiacés 275
Annexe I (suite)
SIGNES NEUROVÉGÉTATIFS ET RESPIRATOIRES
Battements ailes du nez 2
Température 37° 2-38° 3C 1
Température ≥ 38° 4 C 2
TOTAL SCORE
Signes 0 1 2 3
Trémulations Normal Minimes quand Modérées ou Augmentation
à faim ou est marquées quand marquée ou
dérangé est au calme. continue même
Diminue quand quand est au
est nourri ou bercé calme jusqu’à des
mouvements de
type convulsion
Irritabilité Aucune Légèrement Modérée à sévère Marquée même
Cris excessifs augmentée quand est dérangé quand est au calme
ou a faim
Réflexes Normaux Augmentés Augmentés
nettement
Selles Normales Explosives mais Explosives plus
fréquence normale de 8/jour
Tonus Normal Augmenté Rigidité
musculaire
Lésions cutanées Non Rougeurs coudes Érosions cutanées
et genoux
Fréquence < 55 55-75 76-95
respiratoire/mn
Éternuements Non Oui
répétés
Bâillements Non Oui
répétés
Vomissements Non Oui
23
ÉTAT ACTUEL DES CONNAISSANCES SUR LE TRAITEMENT
Pour Velez et Jansson [15], les soins non pharmacologiques devraient être
le standard de soins pour tous les enfants à risque d’exprimer un syndrome de
sevrage. Ils devraient être mis en place dès la naissance sans attendre l’expression
clinique. En utilisant le cadre conceptuel de la théorie synactive du développement
élaboré par Als dans les années 1980 à la base du programme NIDCAP® (New-
born Individualized Developmental Care and Assessment Program) chez les enfants
grands prématurés [16], Velez offre un modèle de compréhension de l’enfant en
sevrage sur quatre axes – équilibre neurovégétatif, réaction posturale et tonique,
contrôle veille sommeil, réaction aux stimuli sensoriels – qui permet d’orienter
vers des soins individualisés. Ces soins ont pour objectif de « soutenir la matura-
tion neurologique et l’autorégulation comportementale » (tableau III).
Pour la majeure partie, ils sont réalisés selon leurs possibilités par la mère, le père,
avec le soutien des soignants. Le rôle du soignant est d’accompagner la mère, le
parent à interpréter les réactions de l’enfant afin d’ajuster au plus près son comporte-
ment aux besoins de l’enfant. Les apports du soutien comportemental, physiologique,
émotionnel liés au contact peau à peau aujourd’hui reconnus [17] pourraient s’avérer
très bénéfiques pour la mère et l’enfant exposé in utero aux opiacés. De nombreuses
équipes le proposent à la mère tout en s’assurant qu’il soit réalisé dans des conditions
de sécurité satisfaisante. Cette approche et les bénéfices qui en découlent en termes de
durée de traitement nécessitent que l’enfant reste auprès de sa mère, qu’il ne soit pas
hospitalisé dans une unité de néonatalogie isolé de son parent [18].
Les soins de soutien ne doivent pas se substituer au traitement pharmacologique
si l’enfant le nécessite. La réponse de l’enfant aux mesures de nursing, l’évolution
pondérale, la disponibilité et l’implication des parents interviennent dans l’indi-
cation d’un traitement médicamenteux. Il sera souvent débuté devant la triade :
sommeil très perturbé, alimentation difficile et prise pondérale médiocre.
Tableau III – Soins non pharmacologiques selon 4 axes. (Adapté de Velez [15])
Domaine Neurovégétatif Posture et tonus Veille-sommeil Stimuli
de soutien sensoriels
Modalités
Favoriser le repos Succion non Préserver le Toucher doux,
Ajuster nutritive sommeil lent
environnement et Regroupement en Soutien à la Lumière tamisée
stimuli flexion transition Bruits atténués
Identifier Portage sommeil éveil calme sonore
les signes de soutenant Sollicitations Mouvement
déséquilibre* Aides appropriées contenu, soutenu
Comprendre positionnelles Multiples
les limites de la Emmaillotement enveloppements
tolérance sensoriels
Bercement
*Changement de couleur, tachypnée, hoquet, nausée, renvois, bâillements, borborygmes.
Prise en charge du nouveau-né de mère dépendante aux opiacés 277
Durée de traitement
ALLAITEMENT
Les données pharmacologiques actuelles et l’évolution des enfants permettent,
en l’absence de contre-indication (HIV, poursuite de consommation de produits
illicites…), de conforter et d’encourager l’allaitement chez les femmes sous métha-
done ou buprénorphine qui le souhaitent [26, 27].
Les concentrations de méthadone dans le lait sont basses, restent stables durant la
lactation, elles ne sont pas fonction de la dose [28]. Chez des mères traitées avec
des doses de 40 à 200 mg/j en moyenne 102 mg/j, la forme active de la molécule de
méthadone (R-méthadone) se retrouve chez l’enfant au taux thérapeutique moyen
de 0,02 mg/kg/j [29]. La relative infant dose mesurée est en moyenne de 2,7 %
[29]. La toute première étude révèle une quantité de buprénorphine ingérée par le
nouveau-né très faible, 3,28 microgrammes par jour [30]. La relative infant dose
pour la buprénorphine est inférieure à 1 % [31]. Les effets de l’allaitement sur la
diminution du traitement pharmacologique du syndrome de sevrage aux opiacés
ne sont pas liés à la concentration du lait en opiacés, trop faible comme nous
280 42es Journées nationales de la Société Française de Médecine Périnatale
PARENTS
La proximité de la mère ce qui sous-entend la surveillance et si possible le trai-
tement de l’enfant auprès de sa mère permettent de réduire à la fois la durée de
traitement et d’hospitalisation [18]. Ceci implique que la mère soit une partenaire
active. Elle est accompagnée par les soignants dans les soins de nursing, dans son
allaitement. Elle est présente lors de l’évaluation des scores ; son avis est pris en
compte et est important.
Les parents seront d’autant plus en capacité de contenir et de calmer leur enfant
qu’ils se sentiront eux-mêmes accompagnés en sécurité. Il sera crucial :
– de les rassurer sur la confidentialité vis-à-vis des visites amicales, familiales ;
– d’éviter de séparer la mère et l’enfant ou de proposer de l’accompagner en néo-
natalogie afin d’éviter les non dits et les quiproquos ;
– de rappeler le cadre de l’hôpital en cas de débordement dans le service tout en
restant souple sur ce qui est tolérable ;
– d’exercer une vigilance particulière lors de l’apparition du syndrome de sevrage
de l’enfant. Le premier jour la mère est souvent euphorique : « mon bébé est
normal, tout va bien aller maintenant ». Le soignant reprendra alors avec les
parents le score d’évaluation du syndrome et s’assurera que le point médical soit
fait tous les jours. L’apparition progressive de la symptomatologie est vécue de
diverses manières par les mères. Trois types de réaction peuvent se voir : la fuite,
le déni, les pleurs. À chaque fois, c’est la responsabilité de ce qui arrive à l’en-
fant, la culpabilité qui se manifeste. Le travail de l’équipe soignante sera d’aider
la mère à exprimer ses émotions. Elle pourra alors accueillir cette culpabilité et
proposer au besoin le soutien d’un soignant du champ psychologique ou pédo-
psychiatrique [33]. La confiance entre les parents et l’équipe est d’autant plus
grande que cette alliance thérapeutique a pu s’initier en anténatal [34].
CONCLUSION
La compréhension du syndrome de sevrage nécessite la prise en compte d’une
variété de facteurs qui en font un spectre particulier à chaque dyade mère-enfant.
Sa prise en charge, sans être codifiée internationalement, est de plus en plus ajus-
tée aux besoins de l’enfant et sa famille. Le fil conducteur reste à notre sens que la
meilleure manière de prendre soin de l’enfant exposé aux opiacés est de prendre
soin de sa mère.
Prise en charge du nouveau-né de mère dépendante aux opiacés 281
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