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Prise en charge du nouveau-né de mère

dépendante aux opiacés


E. Mazurier1, C. Chanal2, M. Misraoui1, RM. Toubin3, P. Boulot2, G. Cambonie1
23

Résumé
Depuis la fin des années 1990, l’autorisation en France de mise sur le marché pour
les personnes dépendantes des opiacés, de la méthadone puis du Subutex® a trans-
formé le suivi des femmes enceintes dépendantes et la prise en charge de leur enfant.
Les travaux et les recherches menés auprès de cette population ces quinze der-
nières années confirment le bénéfice pour la mère et l’enfant d’une prise en
charge spécifique, individualisée, multidisciplinaire, réalisée en coordination.
Le propos de cet exposé est de faire le point sur les données actuelles de la prise
en charge du syndrome de sevrage chez l’enfant.

Mots clés : syndrome néonatal d’abstinence aux opiacés, allaitement, parentalité.

HISTORIQUE
Identifié dès la fin des années 1950 [1], le syndrome de sevrage du nouveau-né aux
opiacés était reconnu dans 60 à 90 % des cas [2]. L’avènement d’opiacés de synthèse
utilisés chez la femme enceinte : méthadone dès la fin des années 1970 aux États-Unis
et 1990 en France, la buprénorphine (Temgésic® puis Subutex®, formule haut dosage
mis sur le marché en 1996), a considérablement amélioré le devenir de la grossesse
mais n’a pas diminué la survenue ni l’expression du syndrome de sevrage néonatal [3].

MÉCANISMES
Ce syndrome est caractérisé chez le nouveau-né par des signes neurovégéta-
tifs et comportementaux en rapport avec un relargage anormalement massif de
noradrénaline dans les synapses terminales [3] suite à l’arrêt brutal de l’action des
opiacés sur leurs récepteurs. Les signes cliniques néonataux seraient liés à un dys-
fonctionnement de la régulation dans le système nerveux végétatif [4].

1
Service de néonatalogie et réanimation, CHRU Montpellier
2
Service de gynécologie, CHRU Montpellier
3
Service de pédopsychiatrie, CHRU Montpellier
Hôpital Arnaud de Villeneuve
371, avenue du Doyen Gaston-Giraud
34295 Montpellier Cedex 5
E-mail : e-mazurier@chu-montpellier.fr

Société Française de Médecine Périnatale, 42es Journées nationales de la Société Française de Médecine
Périnatale (Montpellier 17- 19 octobre 2012) © Springer- Verlag France, 2013
270 42es Journées nationales de la Société Française de Médecine Périnatale

23
LE SYNDROME DE SEVRAGE

Fréquence

Lors d’une exposition du fœtus aux opiacés, un syndrome de sevrage survient


dans 60 à 80 % des cas selon Lejeune et al. [5], 55 à 94 %, selon l’Académie amé-
ricaine de pédiatrie [3].
La fréquence varie selon le produit consommé, plus importante avec la méthadone
que l’héroïne et moins fréquente avec la buprénorphine [6].

Délai de survenue

Il survient durant la première semaine de vie, plus ou moins précocement en


fonction de la nature de l’opiacé pris par la mère, de sa demi-vie, du métabolisme
maternel, du métabolisme placentaire, du métabolisme néonatal, et des traitements
psychotropes associés (décalé avec les barbituriques ou les benzodiazépines) [3]. Il
peut apparaître dès le premier jour voire dès la naissance pour l’héroïne [7], vers
le deuxième jour pour la buprénorphine [6], ou le troisième-quatrième jour pour
la méthadone.

Intensité

Elle diverge selon les nouveau-nés sans qu’il y ait de relation entre le traitement
maternel, la prise de cocaïne et la symptomatologie observée [3, 8]. Elle peut être
majorée par un tabagisme à plus de 20 cigarettes par jours [9].
En l’absence de traitement adapté, les complications sont : déshydratation, convul-
sions, voire décès du nouveau-né par inhalation, déshydratation, désordres méta-
boliques.

Description clinique (tableau I) [10]

La symptomatologie n’est pas spécifique. La particularité sémiologique est l’ag-


gravation progressive des signes qui, sans mise en place de soins spécifiques vont
en quelques jours devenir d’isolés et intermittents à quasi permanents et induire
une perte pondérale marquée.
Deux grands types de signes sont distingués  : ceux témoignant d’une excitabi-
lité neurologique centrale au premier plan et quasi constants, ceux concernant la
sphère digestive relativement fréquents.
Les signes respiratoires sont moins fréquents : tachypnée, accès de cyanose, apnée
et ceux en rapport avec le système nerveux végétatif : bâillements, éternuements,
marbrures, sueurs et fièvre.
Prise en charge du nouveau-né de mère dépendante aux opiacés 271

Tableau I – Fréquence des signes cliniques. D'après [10]


Symptomatologie commune Fréquence %
Trémulations modérées à la manipulation 96
Trémulations modérées au repos 95
Trémulations marquées à la manipulation 77
Trémulations marquées au repos 67
Cris aigus intermittents 95
Cris aigus continus 54
Éternuements 83
Hypertonie 82
Succion frénétique des poings 79
Régurgitations fréquentes 74
Sommeil moins de 1 h après le repas 58
Fréquence respiratoire > 60/min 66
Difficulté d’alimentation 65
Symptomatologie moins commune

Sueurs profuses 49
Excoriations 43
Marbrures 33
Encombrement nasal 33
Bâillements fréquents 30
Fréquence respiratoire > 60/min + rétraction 28
Vomissements en jet 12
Diarrhée 12
Hyperthermie > 38,3 °C 3
Convulsions généralisées 1
Déshydratation 1

Signes d’hyperexcitabilité du système nerveux central

Sont décrits des trémulations, un cri aigu, une irritabilité, une hyperexcitabilité,
une hypertonie, une insomnie, voire des myoclonies, et dans les cas sévères des
convulsions.
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23 Signes de troubles alimentaires et digestifs

La succion est exagérée, frénétique, désorganisée en rapport avec l’agitation


neurologique. Les troubles de la coordination succion-déglutition aggravent la
prise alimentaire. Les régurgitations sont fréquentes. La prise du sein ou du bibe-
ron est souvent chaotique bien que l’enfant semble avoir un appétit vorace [11].
Il est rapporté un hypercatabolisme conduisant à des besoins nutritionnels aug-
mentés qui cesse avec un traitement approprié.

DIAGNOSTIC DIFFÉRENTIEL
Les signes neurologiques d’hyperexcitabilité, trémulations peuvent se voir en
situation d’hypoglycémie, d’hypocalcémie, d’hypomagnésémie, d’encéphalopathie
anoxo-ischémique, de sepsis, d’hyperthyroïdie… [3], mais aussi chez un enfant
agité le troisième jour de vie lors de difficultés d’allaitement. Le cri aigu, les tré-
mulations peuvent évoquer une hémorragie méningée.

EXPRESSION CHEZ L’ENFANT PRÉMATURÉ


Chez le nouveau-né prématuré de moins de 35 SA, sont habituellement consta-
tées une fréquence d’expression, une intensité moindres et une durée plus courte
[3]. Ces caractéristiques seraient liées à l’immaturité du système nerveux central,
au temps d’exposition écourté et à une masse graisseuse plus faible [3].

DÉPISTAGE BIOLOGIQUE (TABLEAU II)


Les analyses toxicologiques réalisées dès les premiers jours de vie dans les
urines, dans le méconium ou dans les cheveux peuvent permettre d’affiner le dia-
gnostic clinique.
Néanmoins, chaque technique a ses contraintes, des faux négatifs, des faux positifs
en limitent les interprétations.

Tableau II – Examens toxicologiques chez le nouveau-né. Données chez l’adulte


(www.drogues-info-service.fr dernière consultation 25 avril 2012)
Urines Méconium Cheveux

Positivité

Méthadone 3-7 j

Buprénorphine 1-2 j

Héroïne 1-2 j

Barbituriques 2-6 semaines


Prise en charge du nouveau-né de mère dépendante aux opiacés 273

Tableau II (suite)
Urines Méconium Cheveux

Amphétamine 2-4 j

Benzodiazépines 3-6 semaines


(abus)
Cocaïne (métabolites) 2-4 j

Marijuana, utilisation 3-6 semaines


régulière
Limites Difficulté du recueil Technique de Technique de
du fait de la rareté laboratoire plus laboratoire très
des urines les tout complexe complexe
premiers jours Dosages plus difficiles Nécessite une
Pas réalisé en routine importante quantité
de cheveux, non
réalisé en routine
Intérêt Exposition récente Recueil facile Essentiellement pour
Le plus couramment Exposition au cours la détection de la
réalisé du deuxième semestre cocaïne

Sensibilité Fonction des seuils Serait plus sensible Faible


choisis que les urines
Faux négatifs Possible Possible Possible
Faux positifs Possible

SCORES D’ÉVALUATION DE L’INTENSITÉ DU SYNDROME


Les plus utilisés sont le score néonatal d’abstinence dit score de Finnegan [10]
et le score de sevrage pour les opiacés dit score de Lipsitz [13]. Établis pour des
enfants à terme ou proches du terme (33-41  SA), ils reposent sur l’observation
du comportement du nouveau-né. Il n’existe pas à l’heure actuelle de score éla-
boré pour les grands prématurés. Le score de Finnegan (annexe  I, 10) comporte
21 items cotés de 1 à 5 selon leur sévérité. C’est un score diagnostique qui guide
la thérapeutique. Finnegan préconise une évaluation au moins toutes les 4 heures.
Le score de Lipsitz (annexe  II) est recommandé par l’Académie américaine de
pédiatrie [14], il comporte 11 items, cotés de 0 à 3. Il ne prend pas en compte les
troubles du sommeil, ni les difficultés d’alimentation. C’est un score diagnostique
(un score supérieur à 4 identifie avec succès 77 % des syndromes de sevrage aux
opiacés). Lipsitz évalue les enfants deux fois par 24  heures, 90  minutes avant un
repas. Il n’a pas été conçu comme un guide à l’instauration du traitement médica-
menteux. Il est néanmoins utilisé comme tel par de nombreuses équipes.
L’Académie américaine recommande aux équipes de maternité d’être formées à
l’utilisation appropriée d’un score [3]. Chaque équipe élabore ou se rapporte à un
schéma de surveillance clinique et thérapeutique basé sur une évaluation de 2 à
6 fois par 24 heures selon l’état de l’enfant.
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Annexe I – Score de Finnegan. D'après [10]


23
SIGNES NEUROLOGIQUES
Cris aigus 2

Cris aigus incessants 3

Sommeil < 1 h entre repas 3

Sommeil < 2 h entre repas 2

Sommeil < 3 h entre repas 1

Moro hyperactif 2

Moro très hyperactif 3

Trémulations légères à stimulation 1

Trémulations nettes à stimulation 2

Trémulations légères au repos 3

Trémulations nettes au repos 4

Hypertonie 2

Convulsions 5

Myoclonies 3

Excoriations genoux ou nez ou orteils 1


(1 par localisation)
SIGNES DIGESTIFS
Succion exagérée 1

Difficultés d’alimentation 2

Régurgitations 2

Diarrhée ++ (selles molles) 2

Diarrhée +++ (selles liquides) 3

Vomissements en jets 3

SIGNES NEUROVÉGÉTATIFS ET RESPIRATOIRES


Sueurs 1

Éternuements répétés > 3-4 par 1


intervalles
Bâillements répétés 1

Marbrures 1

Reniflement 1
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Annexe I (suite)
SIGNES NEUROVÉGÉTATIFS ET RESPIRATOIRES
Battements ailes du nez 2

Température 37° 2-38° 3C 1

Température ≥ 38° 4 C 2

Rythme respiratoire 60/min 1

Rythme respiratoire > 60/min + tirage 2

TOTAL SCORE

Annexe II – Score de Lipsitz. D'après [13]


Score

Signes 0 1 2 3
Trémulations Normal Minimes quand Modérées ou Augmentation
à faim ou est marquées quand marquée ou
dérangé est au calme. continue même
Diminue quand quand est au
est nourri ou bercé calme jusqu’à des
mouvements de
type convulsion
Irritabilité Aucune Légèrement Modérée à sévère Marquée même
Cris excessifs augmentée quand est dérangé quand est au calme
ou a faim
Réflexes Normaux Augmentés Augmentés
nettement
Selles Normales Explosives mais Explosives plus
fréquence normale de 8/jour
Tonus Normal Augmenté Rigidité
musculaire
Lésions cutanées Non Rougeurs coudes Érosions cutanées
et genoux
Fréquence < 55 55-75 76-95
respiratoire/mn
Éternuements Non Oui
répétés
Bâillements Non Oui
répétés
Vomissements Non Oui

Fièvre Non Oui


276 42es Journées nationales de la Société Française de Médecine Périnatale

23
ÉTAT ACTUEL DES CONNAISSANCES SUR LE TRAITEMENT

Traitement non pharmacologique : nursing environnemental, soins de soutien

Pour Velez et Jansson [15], les soins non pharmacologiques devraient être
le standard de soins pour tous les enfants à risque d’exprimer un syndrome de
sevrage. Ils devraient être mis en place dès la naissance sans attendre l’expression
clinique. En utilisant le cadre conceptuel de la théorie synactive du développement
élaboré par Als dans les années 1980 à la base du programme NIDCAP® (New-
born Individualized Developmental Care and Assessment Program) chez les enfants
grands prématurés [16], Velez offre un modèle de compréhension de l’enfant en
sevrage sur quatre axes –  équilibre neurovégétatif, réaction posturale et tonique,
contrôle veille sommeil, réaction aux stimuli sensoriels  – qui permet d’orienter
vers des soins individualisés. Ces soins ont pour objectif de « soutenir la matura-
tion neurologique et l’autorégulation comportementale » (tableau III).
Pour la majeure partie, ils sont réalisés selon leurs possibilités par la mère, le père,
avec le soutien des soignants. Le rôle du soignant est d’accompagner la mère, le
parent à interpréter les réactions de l’enfant afin d’ajuster au plus près son comporte-
ment aux besoins de l’enfant. Les apports du soutien comportemental, physiologique,
émotionnel liés au contact peau à peau aujourd’hui reconnus [17] pourraient s’avérer
très bénéfiques pour la mère et l’enfant exposé in utero aux opiacés. De nombreuses
équipes le proposent à la mère tout en s’assurant qu’il soit réalisé dans des conditions
de sécurité satisfaisante. Cette approche et les bénéfices qui en découlent en termes de
durée de traitement nécessitent que l’enfant reste auprès de sa mère, qu’il ne soit pas
hospitalisé dans une unité de néonatalogie isolé de son parent [18].
Les soins de soutien ne doivent pas se substituer au traitement pharmacologique
si l’enfant le nécessite. La réponse de l’enfant aux mesures de nursing, l’évolution
pondérale, la disponibilité et l’implication des parents interviennent dans l’indi-
cation d’un traitement médicamenteux. Il sera souvent débuté devant la triade  :
sommeil très perturbé, alimentation difficile et prise pondérale médiocre.

Tableau III – Soins non pharmacologiques selon 4 axes. (Adapté de Velez [15])
Domaine Neurovégétatif Posture et tonus Veille-sommeil Stimuli
de soutien sensoriels
Modalités
Favoriser le repos Succion non Préserver le Toucher doux,
Ajuster nutritive sommeil lent
environnement et Regroupement en Soutien à la Lumière tamisée
stimuli flexion transition Bruits atténués
Identifier Portage sommeil éveil calme sonore
les signes de soutenant Sollicitations Mouvement
déséquilibre* Aides appropriées contenu, soutenu
Comprendre positionnelles Multiples
les limites de la Emmaillotement enveloppements
tolérance sensoriels
Bercement
*Changement de couleur, tachypnée, hoquet, nausée, renvois, bâillements, borborygmes.
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Traitement pharmacologique (tableau IV)

Le bénéfice clairement défini du traitement pharmacologique est l’amélioration


de la symptomatologie clinique à court terme [3]. Plus de la moitié (50 à 75 %) des
enfants exposés en anténatal auront recours à un traitement médicamenteux [7].
De l’expérience des équipes entraînées, depuis l’avènement ces dernières années
des soins de nursing et des soins de soutien comportemental, l’incidence du trai-
tement médicamenteux semblerait avoir diminué. Les données dans la littérature
manquent pour confirmer ce propos. Le traitement médicamenteux peut être
initié à partir de trois scores de Finnegan consécutifs de 8 ou plus (score évalué
toutes les 4 heures), ou d’une moyenne sur la journée de scores de 8 ou plus [19].
Certaines équipes ne traitent qu’à partir de scores supérieurs à 10, voire de scores
supérieurs à  12. Le traitement est débuté pour un score de Lipsitz supérieur ou
égal à 4. Lejeune et al. [6] débutent à partir d’un score supérieur ou égal à 9. Il
n’existe pas de consensus international sur les modalités de traitement pharmaco-
logique du syndrome de sevrage néonatal aux opiacés.
Les médicaments disponibles peuvent se diviser en deux catégories [3, 20, 21]
(tableau IV). Aucun de ces traitements n’a d’AMM pour le nouveau-né.
Les traitements de substitution de nature opiacée sont les plus utilisés car les plus
physiologiques, réalisant une substitution au produit responsable du syndrome de
sevrage [20] : soluté de morphine, méthadone, buprénorphine. Diverses solutions
de morphine sont possibles : chlorydrate de morphine solution à 0,02 % (1 mL de
solution = 0,2 mg de morphine base), ou sulfate de morphine : Oramorph®.
Le schéma thérapeutique est en deux phases :
– une phase de début de deux ou trois jours : adaptation de la dose jusqu’à stabi-
lisation ;
– une phase de décroissance thérapeutique jusqu’à l’arrêt complet du traitement.
La posologie de morphine base dérive d’une adaptation des posologies d’élixir
parégorique utilisées par Finnegan et Kaltenbach [19] selon la sévérité du score
initial :
– début score de 8 à 10 : 0,32 mg/kg/j de morphine base en 6 prises par jour ;
– score de 11 à 13 : 0,48 mg/k/j de morphine base en 6 prises par jour ;
– score de 14 à 16 : 0,64 mg/kg/j de morphine base en 6 prises par jour ;
– score de 17 et plus : 0,80 mg/kg/j de morphine base en 6 prises par jour.
Une fois l’enfant stabilisé, score < 8, la posologie ayant permis la stabilisation est
poursuivie environ 48-72  heures. Puis les doses sont réduites de 10 % de la dose
initiale tous les jours. Quand la posologie arrive à 0,2 mg/kg/j, le traitement peut
être arrêté et sauf pathologie annexe, la sortie proposée après 48 heures sans trai-
tement. Si les scores sont à 3 ou moins, la vitesse de décroissance peut être aug-
mentée soit de 15 à 20 % de la dose initiale. D’autres équipes débutent d’emblée
à la dose de 0,5  mg/kg/j du soluté chlorydrate de morphine [22] et diminuent
par paliers de 2 à 4 j selon le score. La méthadone et la buprénorphine en soluté
alcoolique ne sont pas utilisées en pratique courante [3, 14].
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Tableau IV – Traitements pharmacologiques [3, 14]


23
Produit Posologie Action Effets Commentaires
indésirables
Soluté de 0,32-0,80 mg/kg/j Efficace sur Bradycardie Le plus courant
morphine de morphine base les troubles Constipation
en 6 prises/24 h neurologiques et
Traitement long
digestif
Méthadone 0,2à 0,4 mg/kg/j Efficace sur Longue demi-vie
en 4 prises/24 h les troubles 26 h
Puis en 1 ou neurologiques et Contient 8 %
2 prises par 24 h digestifs d’éthanol
Elixir Camphre N’est plus utilisé
parégorique et poudre
d’opium dont
les dérivés sont
convulsivants
Phénobarbital Charge 15-20 mg/ Contrôle Diminue le Longue demi-vie
kg/j irritabilité et réflexe de succion Solution alcoolisée
Entretien 3-5 mg/ insomnie pas à fortes doses et le
kg/j d’action sur les système nerveux
signes digestifs central
En 3 prises par
24 h Pas plus efficace Contrôle la
que solution de barbitémie
morphine
Chlorpro- 2à 3 mg/kg/j en Très efficace Possibilité d’ictère Très longue demi-
mazine 3 prises/24 h sur signes cholestatique, vie 3 j
neurologiques et syndrome extra- Surveiller
digestifs pyramidal Allongement du
QT
Solution alcoolisée
Diazépam 0,3-0,5 mg/kg/j en Rapide action Diminue le réflexe Élimination
3 prises/24 h sur les signes de succion, la des métabolites
Maxi 2 mg/kg/j neurologiques vigilance > 1 mois
Pas plus efficace Solution N’est plus
que le placebo alcoolisée préconisé
Clonidine Oral début 0,5 à Peu efficace sur Acidose Reste controversé
1 microg/kg puis insomnie métabolique
3 à 5 microg/kg/j décrite
en 4 à 6
prises/24 h
Ou patch
Buprénorphine 13 à 39 microg/ Serait aussi Solution à 30 %
kg/j en 3 prises efficace que d’éthanol
sub-linguales solution de Manque de
morphine données
Prise en charge du nouveau-né de mère dépendante aux opiacés 279

Les agents sédatifs non spécifiques et autres

Il s’agit essentiellement du phénobarbital, utilisé à la dose de charge de 15-


20 mg/kg puis en dose d’entretien de 3 à 5 mg/kg/j en 3 prises par 24 heures [14].
La chlorpromazine qui était utilisée de manière courante au Royaume-Uni (71 %
contre 11 % pour les opiacés) [23], du fait d’effets indésirables (ictère cholesta-
tique, allongement du  QT, syndrome extrapyramidal, sédation), et de sa longue
demi-vie, est assez peu utilisée actuellement. De notre expérience, elle garde un
intérêt en première intention pour un traitement court ou en association à la
morphine dans les syndromes sévères [24]. La clonidine, récepteur agoniste  F2
adrénergique, réduit les signes d’hyperfonctionnement adrénergique et baisse le
tonus sympathique périphérique. Les essais ne sont pas concluants pour la recom-
mander en routine chez le nouveau-né [3]. Le diazépam n’est plus recommandé
en raison de sa longue demi-vie et des effets sur la vigilance et la succion [14]. La
tendance actuelle est d’utiliser en première intention un opiacé et, si besoin, de lui
adjoindre un barbiturique [3, 21].
L’utilisation de la naloxone est absolument contre-indiquée, notamment en salle
de naissance car elle peut précipiter l’apparition du syndrome de sevrage et provo-
quer des manifestations brutales rapides telles des convulsions [3].

Durée de traitement

Elle varie de une à plusieurs semaines en fonction de l’intensité du syndrome


et du type de traitement. Elle peut être raccourcie sous chlorpromazine 6 j (3,5-9)
vs 16  j (10-21  j) sous soluté de morphine [24]. Jones et al. [25] dans une étude
randomisée contrôlée ont montré une durée de séjour raccourcie chez les enfants
traités médicalement exposés à la buprénorphine comparés aux enfants exposés à
la méthadone (durée de séjour de 10 ± 1,2 versus 17,5 ± 1,5 j).

ALLAITEMENT
Les données pharmacologiques actuelles et l’évolution des enfants permettent,
en l’absence de contre-indication (HIV, poursuite de consommation de produits
illicites…), de conforter et d’encourager l’allaitement chez les femmes sous métha-
done ou buprénorphine qui le souhaitent [26, 27].
Les concentrations de méthadone dans le lait sont basses, restent stables durant la
lactation, elles ne sont pas fonction de la dose [28]. Chez des mères traitées avec
des doses de 40 à 200 mg/j en moyenne 102 mg/j, la forme active de la molécule de
méthadone (R-méthadone) se retrouve chez l’enfant au taux thérapeutique moyen
de 0,02  mg/kg/j [29]. La relative infant dose mesurée est en moyenne de 2,7 %
[29]. La toute première étude révèle une quantité de buprénorphine ingérée par le
nouveau-né très faible, 3,28  microgrammes par jour [30]. La relative infant dose
pour la buprénorphine est inférieure à 1 % [31]. Les effets de l’allaitement sur la
diminution du traitement pharmacologique du syndrome de sevrage aux opiacés
ne sont pas liés à la concentration du lait en opiacés, trop faible comme nous
280 42es Journées nationales de la Société Française de Médecine Périnatale

l’avons vu pour avoir un quelconque effet thérapeutique, ils seraient en rapport


23 avec le maternage proximal ajusté et optimisé [32]. L’odds ratio en faveur de l’al-
laitement exclusif ou partiel sur le syndrome de sevrage est de 0,356 (0,178-0,711).
Lors de polyconsommation, les risques et bénéfices devront être abordés sur un
plan individuel.

PARENTS
La proximité de la mère ce qui sous-entend la surveillance et si possible le trai-
tement de l’enfant auprès de sa mère permettent de réduire à la fois la durée de
traitement et d’hospitalisation [18]. Ceci implique que la mère soit une partenaire
active. Elle est accompagnée par les soignants dans les soins de nursing, dans son
allaitement. Elle est présente lors de l’évaluation des scores ; son avis est pris en
compte et est important.
Les parents seront d’autant plus en capacité de contenir et de calmer leur enfant
qu’ils se sentiront eux-mêmes accompagnés en sécurité. Il sera crucial :
– de les rassurer sur la confidentialité vis-à-vis des visites amicales, familiales ;
– d’éviter de séparer la mère et l’enfant ou de proposer de l’accompagner en néo-
natalogie afin d’éviter les non dits et les quiproquos ;
– de rappeler le cadre de l’hôpital en cas de débordement dans le service tout en
restant souple sur ce qui est tolérable ;
– d’exercer une vigilance particulière lors de l’apparition du syndrome de sevrage
de l’enfant. Le premier jour la mère est souvent euphorique  :  « mon bébé est
normal, tout va bien aller maintenant ». Le soignant reprendra alors avec les
parents le score d’évaluation du syndrome et s’assurera que le point médical soit
fait tous les jours. L’apparition progressive de la symptomatologie est vécue de
diverses manières par les mères. Trois types de réaction peuvent se voir : la fuite,
le déni, les pleurs. À chaque fois, c’est la responsabilité de ce qui arrive à l’en-
fant, la culpabilité qui se manifeste. Le travail de l’équipe soignante sera d’aider
la mère à exprimer ses émotions. Elle pourra alors accueillir cette culpabilité et
proposer au besoin le soutien d’un soignant du champ psychologique ou pédo-
psychiatrique [33]. La confiance entre les parents et l’équipe est d’autant plus
grande que cette alliance thérapeutique a pu s’initier en anténatal [34].

CONCLUSION
La compréhension du syndrome de sevrage nécessite la prise en compte d’une
variété de facteurs qui en font un spectre particulier à chaque dyade mère-enfant.
Sa prise en charge, sans être codifiée internationalement, est de plus en plus ajus-
tée aux besoins de l’enfant et sa famille. Le fil conducteur reste à notre sens que la
meilleure manière de prendre soin de l’enfant exposé aux opiacés est de prendre
soin de sa mère.
Prise en charge du nouveau-né de mère dépendante aux opiacés 281

RÉFÉRENCES
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