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Ann Chir 2000 ; 125 : 179–83

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Fait clinique

Diagnostic des voussures inguinocrurales non herniaires

V. Della Santa, Y. Groebli


Service de chirurgie (Pr P. Tschantz), hôpital des Cadolles, avenue des Cadolles 4, 2002 Neuchâtel, Suisse

RÉSUMÉ alors qu’elle est de 45 % ou plus chez les hommes


Les voussures inguinocrurales sont herniaires sauf chez 1 de plus de 75 ans [1]. Un demi-million de cures her-
à 2 % des patients. Sept observations de voussures ingui- niaires sont réalisées chaque année aux États-
nocrurales atypiques ont été rapportées. Les principales Unis [1] et 110 000 en France [2].
étiologies de ces voussures ont été rappelées de même
Ce diagnostic clinique si souvent péremptoire
que les examens complémentaires utiles. Un bon interro-
après une anamnèse typique et un examen clinique
gatoire et un examen clinique bien conduits permettent
d’orienter le radiologue et d’effectuer l’examen complé-
classique peut, dans de rares cas, se révéler douteux.
mentaire le plus pertinent pour chaque patient. © 2000 Certains facteurs peuvent intervenir telle une obésité
Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS ou une absence de voussure au moment de l’examen
(voussure anamnestique). Ces situations sont rares
voussures non herniaires (moins de 1 % des voussures inguinocrurales) [3].
Cependant il est nécessaire de les connaître afin
d’éviter une intervention exploratrice inutile qui peut
ABSTRACT être grevée de complications non négligeables, de
Diagnosis of non hernia groin masses. névralgies résiduelles invalidantes de l’aine ou
Hernia is the most frequent etiology of a groin mass except encore d’une lymphorrhée surinfectée du Scarpa.
in 1 or 2 % of cases. Seven cases of atypical groin masses Le but de cette série était de rapporter sept cas de
were reported. The different etiologies of the masses were voussure inguinocrurale atypique ayant nécessité des
reminded, with useful investigative procedures. A precise examens complémentaires et de rappeler les princi-
history and a detailed physical examination are necessary paux diagnostics qui peuvent être évoqués.
to determine the most valuable exam in each patient.
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non hernia groin masses


OBSERVATIONS

Les observations sont résumées dans le tableau I.

INTRODUCTION
COMMENTAIRES
Le diagnostic de hernie est le plus souvent évoqué
devant une voussure de la région inguinocrurale, Examen clinique
puisqu’il s’agit de la pathologie la plus fréquente
L’anamnèse et l’examen clinique permettent de
dans cette région. Il existe une hernie chez 10 à 15 %
poser un diagnostic de quasi certitude sans examen
des adultes dans l’hémisphère nord [1]. Sa fréquence
complémentaire dans la plupart des cas [4].
varie de 5 à 8 % chez les adultes de 25 à 40 ans,
La hernie inguinocrurale reste de loin la voussure
la plus fréquente de la région et son apparition pro-
Reçu le 20 mars 1999 ; accepté après révision le 20 août 1999. gressive, son caractère expansif à la manœuvre de
180 V. Della Santa et al.

Tableau I. Observations.

Patients Clinique Radiologie


1. M.K., homme de 74 ans Masse ovoïde de 10 cm dans l’aine G non Tomodensitométrie : gros lipome inguinal
expansible au Valsalva
2. C.A., femme de 69 ans Douleurs à l’aine lors de la marche ; examen Tomodensitométrie : kyste synovial de l’articula-
orthopédique normal. Masse dure qui semble tion coxo-fémorale D (figure 1).
soulever les vaisseaux fémoraux droits
3. R.B., homme de 80 ans Hospitalisé pour un état septique sur thrombose Echographie et artériographie : anévrisme myco-
veineuse profonde au membre inférieur gauche. tique de l’artère fémorale gauche (figure 2, 3).
Voussure inguinocrurale gauche douloureuse,
pulsatile
4. P.H., homme de 78 ans Hernie inguinoscrotale bilatérale connue. Dou- Tomodensitométrie : kyste synovial de l’articula-
leur de l’aine à droite avec masse soulevant les tion coxofémorale droite (figure 4)
vaisseaux fémoraux
5. M.D., homme de 55 ans Voussure de la région inguinale droite, non Ultrasonographie : testicule cryptorchide en posi-
expansible à la toux. Scrotum homolatéral vide. tion inguinale
6. S.I., femme de 25 ans Voussure au Scarpa, expansible à la toux, en Ultrasonographie couplée au Doppler : ectasie du
regard d’une cicatrice de crossectomie. moignon de la crosse de la saphène interne
(figure 5)
7. P.T., homme de 39 ans, Hospitalisé pour des cruralgies droites. Cure Tomodensitométrie : pyélonéphrite polaire infé-
diabétique inguinale droite sans effet sur les douleurs. Pas rieure droite avec abcès sur le muscle psoas
de fièvre

Valsalva, sa situation par rapport à la ligne de Mal- de l’apparition d’une voussure, mais le diagnostic de
gaigne et l’axe vasculaire iliofémoral ne laissent que récidive herniaire ne peut être posé sans examiner le
peu de place au doute diagnostique. En effet, les her- patient de façon précise.
nies inguinales surviennent par définition au-dessus La découverte d’une masse pulsatile met le clini-
de cette ligne virtuelle qui relie l’épine iliaque cien sur la piste d’une pathologie artérielle anévris-
antéro-supérieure à l’épine du pubis, alors que les male ou pseudo-anévrismale, mais l’absence de pul-
hernies fémorales sont trouvées sous cette ligne, satilité ne permet pas d’exclure une telle éventualité.
mais à l’intérieur de l’axe vasculaire fémoral.
La découverte d’une masse ferme, polylobée, par-
La notion d’antécédent de cure herniaire est pré-
fois inflammatoire, sur la partie haute du triangle de
cieuse lors de l’approche d’un patient se plaignant
Scarpa est fortement évocatrice d’une origine gan-
glionnaire et ne nécessite en général pas d’investi-
gation complémentaire, si ce n’est la recherche du
point de départ, sans oublier les organes génitaux
externes et le périnée. Il faut toutefois garder en
mémoire le diagnostic de hernie crurale étranglée, à
plus forte raison si cette masse est douloureuse et
d’apparition rapide, ceci en particulier chez une
patiente maigre et âgée.
Une voussure de l’aine fluctuante, mais non
inflammatoire, apparue dans les jours qui suivent
une revascularisation fémorale homolatérale, une
ligature de la saphène interne ou une biopsie gan-
glionnaire est typique d’une lymphorrhée et ne
devrait pas poser de difficulté diagnostique, mais
susciter un débat quant au traitement à adopter [5].
Dans un cadre voisin, une telle masse fluctuante et
expansible à la manœuvre de Valsalva peut apparaî-
Figure 1. Coupe scanographique : kyste synovial de l’articulation tre quelques semaines après une crossectomie et le
coxo-fémorale droite. diagnostic d’ectasie du moignon résiduel de la
Voussures inguino-crurales non herniaires 181

Figure 4. Coupe scanographique : kyste synovial de l’articulation


coxo-fémorale droite.

Une tuméfaction localisée en regard ou à l’exté-


Figure 2. Échographie : anévrisme mycotique de l’artère fémorale rieur de l’axe vasculaire iliofémoral, sous la ligne de
gauche. Malgaigne n’est pas commune et fait suspecter un
diagnostic non habituel (par exemple un kyste syno-
vial [10] ou un abcès rétropéritonéal). De même,
l’apparition d’une deuxième voussure à côté d’une
hernie bien connue du patient devrait rendre prudent.
En règle générale, il convient de faire appel à la
radiologie en fonction du diagnostic supposé
(tableau II et figure 6).

Figure 3. Artériographie : anévrisme mycotique de l’artère fémo-


rale gauche.

crosse de la saphène interne pourra être posé après


s’être assuré de l’origine veineuse de cette voussure, Figure 5. Échodoppler : ectasie du moignon de la crosse de la veine
aucun traitement n’étant à appliquer par ailleurs. saphène interne.
182 V. Della Santa et al.

Tableau II. Diagnostic des voussures inguinocrurales (les chiffres entre parenthèses correspondent à la figure 6).

- hernies inguinocrurales et leurs récidives (1)


- complications chirurgicales : hématome, abcès, lymphocèle
- adénopathies et adénomégalies : inflammatoires, tumorales, métastatiques (2)
- testicule cryptorchide (3)
- tumeurs testiculaires et ganglions cordonaux
- abcès : froid (Pott) ou chaud (par exemple diverticulite sigmoïdienne) (4)
- hématome du psoas (patients sous anticoagulants en particulier) (4)
- anévrisme de l’artère iliofémorale (sacculaire, mycotique) (5)
- varices de la crosse de la saphène interne (6)
- kyste de l’articulation coxofémorale (7)
- tumeurs des parties molles bénignes (lipome) ou malignes (sarcome, métastases)
- pathologie osseuse : tumorale (Paget, métastase du pubis) ou traumatique (fracture-ascension du petit trochanter)

Examen radiologique près de 94 % ainsi que des valeurs prédictives posi-


tive et négative de 89,5 % et 91 % [6]. La spécificité
Dans la plupart des cas, le radiologue est peu habi- de l’ultrasonographie pour les hernies est globale-
tué aux subtilités anatomiques de la région et à ce ment de 96 % ; elle est également très élevée pour
type de pathologie. Le clinicien doit donc l’orienter les hématomes, séromes, abcès, lipomes et adénopa-
en évoquant le diagnostic le plus vraisemblable. thies. La sensibilité est beaucoup plus variable,
L’examen radiologique du bassin est utile dans allant de près de 100 % pour les séromes, à moins de
certaines pathologies d’origine osseuse voire articu- 70 % pour les abcès [6]. Il faut souligner que le
laire (maladie de Paget, métastase pubienne, défaut principal de cet examen, pour reconnaître une
fracture-ascension du petit trochanter). hernie, est qu’il est effectué en position couchée. On
L’échographie, couplée ou non au Doppler, cons- pourra donc demander à l’échographiste de passer sa
titue un examen complémentaire essentiel dans sonde chez un patient en position debout en cas de
l’exploration d’une masse inguinocrurale d’origine doute.
incertaine. Truong et al. ont montré que la sensibilité L’ultrasonographie permet dans tous les cas,
de cet examen était de 85 % avec une spécificité de même si un diagnostic précis ne peut pas être affirmé
d’emblée, de distinguer une masse liquidienne d’une
masse solide [7]. Dans les kystes synoviaux de la
hanche, par exemple, l’ultrason pourra éliminer un
diagnostic de hernie ou d’anévrisme iliaque (pas de
flux au Doppler) et la ponction ramènera un liquide
jaunâtre caractéristique d’un liquide synovial [8].
Dans le même temps, il sera même possible d’injec-
ter du produit de contraste dans l’articulation pour
effectuer un arthroscanner qui est actuellement un
bon examen pour une telle pathologie [9, 10].
Dans le cas d’un testicule cryptorchide, rappelons
que l’échographie est un examen de dépistage pour
repérer l’emplacement exact d’un éventuel testicule,
le diagnostic étant fondamentalement clinique.
La péritonéographie fut décrite en 1967 par
Ducharme et al. [11] afin de diagnostiquer des her-
nies inguinocrurales controlatérales dans une popu-
lation pédiatrique avec une sensibilité de 95 %. Par
Figure 6. Schéma de la région inguinocrurale : diagnostic présumé
des voussures de la région inguinocrurale en fonction de leur topo- la suite, elle fut largement expérimentée et utilisée
graphie (voir tableau II). chez l’adulte par Gullmo et al. [12] qui rapportent
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une expérience de plus de 3 000 cas sans complica- il s’agit d’une autre pathologie qui peut être recon-
tion majeure ni mortalité avec des anomalies trou- nue grâce à l’anamnèse et à un examen clinique pré-
vées dans plus de 85 % des examens. cis, grâce à l’échodoppler ou à des investigations
Cette méthode est actuellement moins utilisée, radiologiques ciblées.
mais devrait reprendre droit de cité dans des cas
sélectionnés, par exemple en cas de suspicion de REMERCIEMENTS
récidive herniaire. Dans la série de Gullmo et
al. [12], sur 106 patients porteurs de hernie, le taux L’auteur tient à remercier les Docteurs José Lopez et
de vrais positifs est de 96 %. Récemment, sur une Ken Sakbani pour leur aide précieuse.
petite série de 34 patients ayant des douleurs de
l’aine d’origine indéterminée, MacArthur et al. [13]
trouvent une hernie chez dix patients sans faux posi- RÉFÉRENCES
tif (hernie présente à l’opération dans les dix cas).
Dans cette série et d’autres [14, 15], le taux de faux 1 Seymour J, Schwartz Harold E. Maingot’s abdominal opera-
tions. vol 1, International Edition, 9th ed; 1990.
négatif est de 0 % même s’il existe un risque théo- 2 Damamme A, Samama G, D’Alche-Gautier MJ, Chanavel N,
rique de faux négatif en cas de hernie étranglée par Bréfort JL, LeRoux Y. Evaluation médico-économique de la cure
de hernie inguinale : Shouldice vs laparoscopie. Ann Chir 1998 ;
exemple. Cette technique peut être également utile 52 : 11-6.
dans le diagnostic des hernies de l’aine récidivan- 3 Groebli Y, Gautard R de, Mirescu D. Investigations des voussu-
tes [16]. res inguinocrurales. Méd Hyg 1987 ; 45 : 1898-904.
4 Boudet MJ. Diagnostic des hernies inguinales. Rev Prat (Paris)
Lorsqu’elle est utilisée judicieusement, la périto- 1997 ; 47 : 256-61.
néographie réalise une véritable cartographie her- 5 Roberts JR, Walters GK, Zenilman Jones ME. Groin lymphor-
niaire inguinocrurale. Elle permet d’infirmer ou de rhea complicating revascularization involving the femoral ves-
sels. Am J Surg 1993 ; 165 : 341-4.
démontrer l’existence d’une hernie particulièrement 6 Truong S, Pfingsten FP, Dreuw B, Schumpelick V. Stellenwert
en cas de voussure uniquement anamnestique. der Sonographie in der Diagnostik von unklaren Befunden der
Bauchwand und Leistenregion. Chirurg 1993 ; 64 : 468-75.
La tomodensitométrie est l’examen de choix pour 7 Sandler MA, Alpern MB, Madrazo BL, Gitschlag KF. Inflam-
toute voussure inguinocrurale qui peut avoir comme matory lesions of the groin: ultrasonic evaluation Radiology
point de départ une pathologie rétropéritonéale. Cli- 1984 ; 151 : 747-50.
8 Harris JM, North JH Jr, Hamelink JK. The utility of ultrasono-
niquement, une tuméfaction de localisation inféro- graphy in the evaluation of groin masses: a case report. Am Surg
externe fait suspecter une collection issue du rétro- 1997 ; 63 : 1002-4.
péritoine et la tomodensitométrie est alors le 9 Binek R, Levinsohn M. Enlarged Iliopsoas bursa. An unusual
cause of thigh mass and hip pain. Clin Orthop 1987 ; 224 :
meilleur examen complémentaire. De même, une 158-63.
voussure repoussant l’axe vasculaire iliofémoral et 10 Forster BB, Connell DG, Scudamore CH. Synovial cyst of the
hip: an unusual cause of an inguinal mass. Can J Surg 1989 ; 32 :
pouvant être un kyste synovial de l’articulation 133-4.
coxofémorale, trouvera confirmation au moyen de 11 Ducharme JC, Bertrand R, Chacar R. Is it possible to diagnose
cet examen [9, 10, 17]. inguinal hernia by X-rays? J Can Assoc Radiol 1987 ; 18 : 448.
12 Gullmo A, et al. Herniography. Surg Clin North Am 1984 ; 64 :
Quant à l’imagerie par résonance magnétique 229
(IRM), elle s’avère être peu utilisée dans cette loca- 13 MacArthur DC, Grieve DC, Thompson AM, Greig JD, Nixon
lisation, sauf dans l’étude des tumeurs osseuses et SJ. Herniography for groin pain of uncertain origin. Br J Surg
1997 ; 84 : 684-5.
des tumeurs des tissus mous. 14 Ekberg O. Inguinal herniography in adults: technique, normal
anatomy, and diagnostic criteria for hernias Radiology 1981 ;
138 : 31-6.
15 Estes NC, Childs EW, Cox G, Thomas JH. Role of herniography
CONCLUSION in the diagnosis of occult hernias. Am J Surg 1991 ; 162 :
608-10.
16 Gullmo A. Herniography World J Surg 1989 ; 13 : 560-8.
Le diagnostic de hernie est habituel dans le cas d’une 17 Haller J, et al. Juxtaacetabular ganglionic (or synovial) cysts: CT
voussure inguinocrurale, mais dans 1 à 2 % des cas, and MR features. J Comput Assist Tomogr 1989 ; 13 : 976-83.

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