MAGAZINE HERVÉ 

GUIBERT,  EN ARGENTINE,  RETOUR SUR LES 

MÉMOIRE VIVE LA RÉVOLUTION DE L’IVG « TERRITOIRES PERDUS »

WEEK-END
UNIQUEMENT EN FRANCE MÉTROPOLITAINE,
EN BELGIQUE ET AU LUXEMBOURG

SAMEDI 9 JANVIER 2021 - 77E ANNÉE - NO 23640 - 4,70 € - FRANCE MÉTROPOLITAINE - WWW.LEMONDE.FR - FONDATEUR : HUBERT BEUVE-MÉRY DIRECTEUR : JÉRÔME FENOGLIO

Trump lâché par des républicains sous le choc
▶ La prise d’assaut du
Congrès par une foule
▶ Plusieurs hauts respon­
sables de l’administration,
▶ Les démocrates et
d’anciens conseillers
▶ Face à l’incendie, le
président a opéré un revi­ 1 ÉDITORIAL
de partisans du président dont les secrétaires de Trump demandent rement, se disant « scan­ UNE LEÇON POUR 
américain ouvre un à l’éducation et aux une procédure d’éviction, dalisé » et reconnaissant
torrent de critiques et transports, ont présenté à moins de deux semaines à demi­mot sa défaite LES DÉMOCRATIES
déchire son propre camp leur démission jeudi de la passation de pouvoir PAG ES 2-4 ET PAG E 11 PAGE 28

COVID­19 Sciences Po 
L’affaire Duhamel 
LE GOUVERNEMENT REMANIE ébranle l’école 
SON PLAN DE VACCINATION du pouvoir
le constitutionnaliste Olivier
▶ Les contaminations restent Duhamel, accusé d’inceste, a tissé
depuis trente ans ses réseaux au
au­dessus de 15 000 par jour, sein de l’Institut d’études politi­
et les variants du virus inquiètent ques, dont il était devenu l’une des
personnalités les plus influentes.
▶ Les plus de 75 ans pourront se faire Son entregent lui a permis d’ap­
vacciner à partir du 18 janvier, puyer l’ascension de ses direc­
teurs, de Richard Descoings à Fré­
et les démarches seront simplifiées déric Mion, et la nomination de
Dominique Strauss­Kahn comme
▶ Sur la défensive, le premier ministre professeur d’économie. Malgré les
a annoncé le maintien des restric­ révélations du Monde établissant
tions et l’extension du couvre­feu qu’il a eu connaissance des accusa­
tions à l’encontre de M. Duhamel
▶ Selon l’épidémiologiste Mahmoud Le premier ministre, Jean Castex, en 2019, Frédéric Mion, qui fait face
et le ministre de la santé, Olivier à la pression des étudiants, a exclu
Zureik, une troisième vague compro­ Véran, au ministère de la santé, jeudi de démissionner, estimant
mettrait le succès de la vaccination à Paris, jeudi 7 janvier. n’avoir jamais contribué à « l’édifi­
JEAN-CLAUDE COUTAUSSE POUR « LE MONDE » cation du silence ».
PAG E S 6 À 9 PAGE 12

Patrimoine Péril sur la cité­jardin  Hommage
Photo auteure : Pascal Victor / ArtComPress via Leemage

Justice
Benzema renvoyé
de la Butte rouge devant le tribunal
Macron 
correctionnel entre de Gaulle 
PAGE 1 1
et Mitterrand
Industrie
Le chef de l’Etat devait se
Les fonderies recueillir sur la tombe de
de France dans l’ancien président socia­
la tourmente liste vendredi et inaugurer
une « année Mitterrand »
PAGE 1 4
après l’« année de Gaulle »
PAGE 10 ET IDÉES PAG ES 24-25

Elevage
Les Landes
confrontées Diplomatie
à une flambée de
L’offensive  Yasmina
Reza
la grippe aviaire
La Butte rouge, à Châtenay­Malabry, le 4 janvier.
CHRISTOPHE CAUDROY POUR « LE MONDE »
PAGE 1 6 sanitaire de la 
devenu une référence de l’ur­ l’état catastrophique des bâti­
Enquête
Chine en Afrique
Serge
banisme de l’entre­deux­guerres, ments. L’Etat souhaite au con­
le quartier de la Butte rouge, à traire sauvegarder le site, insis­
Châtenay­Malabry (Hauts­de­ tant sur sa valeur historique. Le
La vie kafkaïenne La construction par Pékin
Seine), pourrait disparaître au dossier illustre la difficulté à pro­ de Kamel Daoudi, en Ethiopie du siège
profit d’une vaste opération im­ téger le patrimoine du XXe siècle, du Centre africain de
mobilière. La municipalité en­ en particulier dans des commu­ suspect Rentrée d’Hiver
tend raser jusqu’à 80 % de cette
cité­jardin utopique de 4 000 lo­
nes soumises à une forte pres­
sion des promoteurs privés.
à perpétuité
contrôle et de prévention
des maladies fait débat Flammarion
gements très sociaux, arguant de PAGE 17 PAGE 1 9 PAGE 5
Algérie 220 DA, Allemagne 3,80 €, Andorre 3,80 €, Autriche 3,80 €, Belgique 4,90 €, Canada 5,80 $ Can, Chypre 3,20 €, Danemark 36 KRD, Espagne 3,60 €, Gabon 2 400 F CFA, Grande-Bretagne 3,20 £, Grèce 3,50 €, Guadeloupe-Martinique 3,30 €,
Hongrie 1 460 HUF, Italie 3,50 €, Luxembourg 4,90 €, Malte 3,20 €, Maroc 23 DH, Pays-Bas 4,00 €, Portugal cont. 3,50 €, La Réunion 3,30 €, Sénégal 2 400 F CFA, Suisse 4,50 CHF, TOM Avion 500 XPF, Tunisie 4,50 DT, Afrique CFA autres 2 400 F CFA
 INTERNATIONAL
2|
C R I S E   P O L I T I Q U E   A U X   É TAT S ­ U N I S
Le président
Donald Trump,
dans la vidéo
postée sur son
compte Twitter,
le 7 janvier.
DONALD TRUMP
VIA TWITTER /VIA REUTERS
Trump lâché par des républicains sous le choc
L’assaut du Congrès a provoqué un séisme révélant une ligne de fracture entre les élus du Grand Old Party
washington ­ correspondant
U
n pays en état de choc
après son humiliation
à la face du monde,
une administration
Trump surnageant à grand­peine,
et un Parti républicain coupé en
deux : le séisme provoqué par l’as­
saut donné au Congrès par une
foule incontrôlée de militants
chauffés à blanc par Donald
Trump et ses allégations de
fraude électorale a continué de
produire ses effets délétères jeudi
7 janvier.
Dans la nuit précédente, après
l’annonce par le vice­président,
Mike Pence, des chiffres officiels
entérinant la victoire du démo­
crate Joe Biden, le président des
Etats­Unis avait été contraint à
une première retraite. « Même si
je ne suis pas d’accord avec le résul­
tat de l’élection, et les faits me le
confirment, il y aura néanmoins
une transition ordonnée le 20 jan­
vier », avait­il assuré sur le compte
Twitter d’un fidèle – le directeur
de sa communication numéri­
que, Dan Scavino –, le sien étant
provisoirement bloqué par le ré­
seau social.
Jeudi, en fin de journée, il a pu­
blié sur son propre compte une
vidéo dans laquelle il a assuré
avoir été « scandalisé » par les vio­
lences et juré d’organiser une
transition « sans accrocs », recon­
naissant ainsi pour la première
fois, mais à demi­mot, sa défaite.
Ce revirement brutal, après des
semaines d’imprécations, a été
dicté par les circonstances et il est
destiné à répondre aux critiques
venues de son camp. Donald
Trump était obligé de corriger
Trump, a ainsi annoncé avoir dé­
« ON NE PEUT PAS VOIR CE  missionné de ses fonctions d’en­
QUI S’EST PASSÉ HIER ET  voyé spécial pour l’Irlande du
Nord où il avait été propulsé
VOULOIR EN ÊTRE PARTIE  après son éviction de la Maison
Blanche, en mars 2020. « Je ne
PRENANTE D’UNE  peux pas rester, pas après hier. On
ne peut pas voir ce qui s’est passé
QUELCONQUE FAÇON » hier et vouloir en être partie pre­
MICK MULVANEY nante d’une quelconque façon »,
ex-bras droit de Donald Trump a­t­il assuré dans un entretien à
la chaîne CNBC.
L’ancien représentant républi­
l’impression désastreuse laissée cain de Caroline du Sud a laissé
la veille par la vidéo dans laquelle entendre que de nombreux res­
il avait invité les émeutiers à « ren­ ponsables de l’administration
trer chez [eux] » tout en leur expri­ Trump se posaient la même ques­
mant son affection et en assurant tion. « Ceux qui choisissent de res­
les comprendre. ter, et j’en ai parlé avec certains
Au­delà du problème de crédibi­ d’entre eux, décident de le faire
lité que pose ce tête­à­queue, la vi­ parce qu’ils craignent que le prési­
déo de jeudi soir arrive cependant dent ne mette quelqu’un de pire »,
trop tard pour ramener un sem­ a­t­il ajouté.
blant d’ordre dans une présidence
consumée par le refus de la dé­ « Point d’inflexion »
faite. Aucun des scandales d’un La secrétaire aux transports,
mandat qui n’en a pourtant pas Elaine Chao, par ailleurs épouse
été avare n’a produit les secousses du chef de la majorité républi­
enregistrées depuis mercredi. caine au Sénat qui a coupé les
La parole, d’un coup, s’est libé­ ponts avec le président, Mitch
rée. Les responsables démocrates McConnell, a emboîté le pas de
du Congrès, la speaker démocrate Mick Mulvaney, tout comme Ste­
de la Chambre des représentants phanie Grisham, chief of staff de
Nancy Pelosi (Californie), et le fu­ la First Lady, Melania, et an­
tur chef de la majorité sénatoriale cienne porte­parole du prési­
Chuck Schumer (Etat de New dent, et Matt Pottinger, influent
York), se sont certes montrés les adjoint au conseiller à la sécurité
plus virulents (ils ont appelé à nationale. Ou encore Betsy De­
destituer le président par le biais Vos, secrétaire à l’éducation. « Il
du 25e amendement ou par une ne peut y avoir aucun doute sur
procédure d’impeachment), mais l’impact de votre rhétorique sur la
les craquements internes républi­ situation, et c’est le point d’in­
cains ont été autrement plus flexion pour moi », a­t­elle assuré
spectaculaires. dans une lettre au président.
Mick Mulvaney, ancien direc­ La crainte d’un véritable exode a
teur du budget et ancien bras alarmé le sénateur républicain de
droit (chief of staff) de Donald Caroline du Sud, Lindsey Graham.
Ce dernier a en effet laissé enten­
dre que le bras droit de Donald
Trump, Mark Meadows, son con­
seiller juridique, Pat Cipollone, et
son conseiller à la sécurité natio­
nale, Robert O’Brien, étaient éga­
lement dans les mêmes disposi­
tions. « La plupart des Américains
ne sauront jamais les services que
Mark Meadows et Pat Cipollone et
ceux sous leurs directions ont ren­
dus à ce pays au cours de l’année
passée. Robert O’Brien, vous avez
été un bon avocat auprès du prési­
dent, vous avez été une force
constante et stable (…), restez », a­
t­il imploré.
D’autres anciens responsables
de l’administration Trump se
sont montrés virulents. L’ancien
chief of staff John Kelly a évoqué
sur la chaîne CNN le recours au
25e amendement de la Constitu­
tion des Etats­Unis qui encadre
une procédure d’éviction du pré­
sident, désormais ouvertement
évoquée tout comme une nou­
velle mise en accusation (impea­
chment).
« Je ne pense pas que cela arri­
vera. Mais je pense que le cabinet
devrait se réunir et en discuter.
Parce que le comportement d’hier,
et des semaines et des mois précé­
dents, a été scandaleux de la part
du président. Ce qui s’est passé hier
au Capitole est le résultat direct du
bourrage du crâne des gens avec
des mensonges », a estimé cet an­
cien militaire.
L’ancien attorney general des
Etats­Unis (ministre de la justice)
William Barr a évoqué une « trahi­
son » de la fonction présidentielle.
« Orchestrer une foule pour faire
pression sur le Congrès est inexcu­
sable », a­t­il ajouté.
Les votes, dans la nuit de mer­
credi à jeudi, sur les ultimes tenta­
tives républicaines visant à re­
mettre en cause les résultats de
l’élection présidentielle du 3 no­
vembre 2020 dans l’Arizona et en
Pennsylvanie, ont dessiné deux
factions divisées non pas sur des
questions politiques mais sur le
seul critère de la loyauté à Donald
Trump. En dépit des violences qui
ont entraîné la mort de plusieurs
personnes (cinq, dont un policier
décédé jeudi soir suite à ses bles­
sures), dans le saint des saints de
la démocratie américaine, une
majorité d’élus républicains de la
Chambre a privilégié quelques
heures plus tard la sujétion à Do­
nald Trump.
Renouvelables tous les deux
ans, ces élus sont placés bien plus
que les sénateurs sous la pression
d’une base républicaine qui affi­
che un soutien aveugle au prési­
dent. Au Sénat, seuls six élus se
sont joints à la contestation des
résultats de l’Arizona et sept pour
ceux de Pennsylvanie. Parmi ces
sept noms figurent ceux de qua­
tre nouveaux élus. De même, une
représentante républicaine élue
« CE QUI S’EST PASSÉ AU  juin 2015. Y compris celles de Lind­
CAPITOLE EST LE RÉSULTAT
DIRECT DU BOURRAGE  sident. Les élus républicains qui
DU CRÂNE DES GENS  après son élection, n’avaient eu
AVEC DES MENSONGES »
JOHN KELLY
ancien chef de cabinet
de Donald Trump
0123
SAMEDI 9 JANVIER 2021
en novembre 2020, par ailleurs
proche de la mouvance complo­
tiste QAnon, Marjorie Taylor
Greene, a tenté sans succès de
contester les résultats dans son
Etat de Géorgie qui a basculé d’un
cheveu au profit de Joe Biden.
L’alignement de ces nouveaux
arrivés sur la Maison Blanche
constitue la preuve de l’influence
dont jouit le président. S’y sont
ajoutés au Sénat des élus dont les
ambitions présidentielles sont
transparentes, comme Ted Cruz
(Texas), Josh Hawley (Missouri)
ou Rick Scott (Floride).
« Il voit la fin venir »
Un ancien chief of staff de Mitch
McConnell au Sénat cité par le
New York Times, Billy Pipper, con­
sidère que « Donald Trump est un
David Koresh politique », dans une
allusion au chef de la secte décédé
avec ses partisans lors d’un siège
de la police fédérale à Waco, au
Texas, en 1993. « Il voit la fin venir
et veut tout brûler et emmener
avec lui autant de personnes que
possible », a­t­il estimé.
Par un curieux effet d’écho, les
critiques nouvelles contre Trump
venues de son propre camp rap­
pellent celles qui avaient accom­
pagné son entrée en politique, en
sey Graham et de Ted Cruz deve­
nus par la suite des fidèles du pré­
lui étaient restés hostiles même
d’autre choix que de renoncer à la
politique. Un rappel du passé qui
relativise la force de la contesta­
tion d’aujourd’hui. 
gilles paris
0123
SAMEDI 9 JANVIER 2021
Au Capitole, l’incroyable dysfonctionnement policier
Le chef de la sécurité du Congrès démissionne. Un agent de police décède de ses blessures
washington ­ correspondante
L
a construction d’une bar­
rière de 2 mètres de haut,
« infranchissable », selon
les autorités, a débuté,
jeudi 7 janvier, autour du Capitole,
à Washington. Plus de 6 000 mili­
taires venus de plusieurs Etats
sont attendus aux abords de la ca­
pitale fédérale et dans la ville, dans
les prochains jours. Vingt­quatre
heures après le spectaculaire as­
saut des bâtiments du Congrès
américain par les partisans de
Donald Trump, responsables poli­
tiques et policiers tentent de
corriger les manquements mani­
festes ayant permis l’intrusion de
centaines de personnes au cœur
de ce symbole de la démocratie
américaine. Ils entendent aussi
prévenir de nouveaux déborde­
ments alors que la cérémonie de
prestation de serment du prési­
dent élu, Joe Biden, est prévue le
20 janvier, devant le Capitole.
Alors que chacun cherche encore
à comprendre comment de tels
agissements ont pu se produire,
les premières têtes sont tombées
jeudi après­midi : le chef de la po­
lice du Capitole, Steven Sund, a été
contraint à la démission, emporté
par les critiques sur l’imprépara­
L’administration Trump octroie
des concessions pétrolières en Alaska
Précipitées, les enchères n’ont pas eu le succès escompté, mais
un coin a été enfoncé dans la protection d’une vaste zone arctique
new york ­ correspondant
L es enchères ont été un bide,
mais elles ouvriront peut­
être la voie à une exploita­
tion pétrolière dans le sanctuaire
du nord de l’Alaska, l’Arctic Natio­
nal Wildlife Refuge (ANWR). Mer­
credi 6 janvier, pendant que les
partisans de Donald Trump enva­
hissaient le Capitole à Washing­
ton, à Anchorage, capitale écono­
mique de l’Alaska, les autorités fé­
dérales s’empressaient de mettre
aux enchères des concessions pé­
trolières et gazières dans les plai­
nes du nord­est de l’Alaska. Il y
avait urgence : le processus devait
être mené avant la fin du mandat
de Donald Trump, son successeur
élu, Joe Biden, s’étant déclaré op­
posé à une exploitation pétrolière
des terres fédérales de l’Arctique.
La vice­ministre fédérale de l’in­
térieur, Katharine MacGregor, a
qualifié les enchères de « succès ».
En réalité, le gouvernement amé­
ricain n’a levé que 14,4 millions de
dollars. Seuls onze des vingt­deux
lots proposés ont trouvé preneur,
soit 2 200 km2. Et surtout, neuf de
ces lots ont été achetés par le bras
armé du gouvernement de
l’Alaska, l’Alaska Industrial Develo­
pment and Export Authority
(Aidea). Aucun des trois grands
producteurs de l’Etat, qui forent
dans la baie de Prudhoe (Conoco­
Philips, ExxonMobil, Hilcorp), n’a
soumis d’enchère. Seuls deux lots
ont été achetés par des acteurs pri­
vés, la filiale d’un groupe austra­
lien 88 Energy et Knik Arm Servi­
ces, détenue par un certain Mark
Graber, écrit le Anchorage Daily
News. Ces contrats doivent encore
être finalisés.
Les grandes compagnies sont ré­
ticentes à participer à de telles en­
chères : la pression des défenseurs
de l’environnement et du climat
tion de ses troupes (2000 hom­
mes) face à une manifestation
pourtant prévue de longue date.
Les sergents d’armes du Sénat et
de la Chambre des représentants
vont également quitter leurs
fonctions. La facilité avec laquelle
une foule violente a pu pénétrer
dans ce lieu de pouvoir a sidéré le
pays et le monde. La stratégie de
cette force de police, placée sous la
responsabilité du Congrès améri­
cain, s’est donc retrouvée au cœur
des interrogations.
Aucun dispositif déployé
Les images de l’assaut montrent
des policiers rapidement débor­
dés, parfois frappés, incapables de
contenir les manifestants derrière
de simples barrières métalliques.
Malgré ces violences, les fonction­
naires chargés de la sécurité des
lieux n’ont pas fait usage de gaz
lacrymogène, ouvrant la voix aux
assaillants qui, une fois ce mince
cordon de sécurité franchi, ont pu
pénétrer sans opposition dans le
bâtiment et jusque dans les bu­
reaux des élus. Dans la confusion,
l’un des policiers a toutefois tiré
un coup de feu, touchant une
femme qui a succombé à ses bles­
sures ; il a été suspendu. Un des
agents de sécurité du Capitole,
est trop forte tandis que le marché
de la prospection est au plus bas
avec la crise du Covid­19. S’y ajou­
tent des critères particuliers à
l’Alaska : le coût exorbitant du fo­
rage en ces terres reculées, les in­
connues géologiques sur la ri­
chesse des lieux – des explorations
conduites par BP dans les années
1980, restées confidentielles,
n’auraient pas été fructueuses, se­
lon le New York Times.
Enfin, s’y ajoutent les incertitu­
des juridiques alors que l’ouver­
ture de la zone à l’exploitation fait
l’objet de multiples recours, de la
part des « Natives Americans », des
associations de défense de l’envi­
ronnement et d’autres Etats amé­
ricains. Les études d’impact me­
nées par l’administration Trump
sont contestées. S’y ajoute enfin
l’arrivée au pouvoir de Joe Biden,
qui pourrait multiplier les con­
traintes environnementales et ju­
ridiques, rendant de facto impos­
sible l’exploitation.
Pourra­t­il revenir en arrière et
annuler les enchères, si celles­ci
sont finalisées avant son arrivée à
la Maison Blanche le 20 janvier ?
Cela n’est pas certain. Aucun des
opérateurs ayant souscrit des con­
cessions n’est capable de les ex­
ploiter, tandis que les banques se
déclarent de plus en plus opposées
à financer des projets d’hydrocar­
bures. Mais il y a un effet cliquet,
« CETTE VENTE EST  Joint au téléphone, Karlin It­
BUDGÉTAIREMENT  Society d’Alsaka, donne son senti­
IRRESPONSABLE  ment : « Cette vente est inappro­
ET JURIDIQUEMENT  ble et juridiquement douteuse. Nous
DOUTEUSE »
KARLIN ITCHOAK
Wilderness Society Alaska
blessé durant les affrontements,
est mort quelques heures plus
tard, jeudi soir, à l’hôpital.
Selon le Pentagone, la police du
Capitole avait, les jours précé­
dents, décliné ses propositions
pour renforcer la sécurité autour
du bâtiment avec l’envoi de mili­
taires. Aucun dispositif supplé­
mentaire (barrière, grille…)
n’avait été déployé. Aucun service
de renseignement n’avait envi­
sagé une telle attaque. Le chef de
la police du Capitole a reconnu
qu’il s’attendait à une « manifes­
tation » et non pas à des « émeutes
criminelles ». Les policiers de la
ville, arrivés les premiers en ren­
fort, n’ont pas suffi.
Selon le Washington Post, les
responsables militaires avaient,
de leur côté, mis des conditions
au déploiement des hommes de
la garde nationale du district de
Columbia, qui englobe la capitale
fédérale, et dont les troupes
dépendent du ministère de la
défense et non de la ville. Selon
les sources citées par le quotidien,
les autorités ne souhaitaient pas
voir se répéter les images de l’été,
lorsque la répression des mani­
festations antiracistes avait été
marquée par la présence massive
de soldats dans les rues de
avec des concessions dans les
mains du gouvernement de
l’Alaska, et pas fédéral. « En acqué­
rant ces concessions, l’Alaska pré­
serve son droit de développer de
manière responsable ses ressources
naturelles », selon Alan Weitzner,
directeur général de l’Aidea. « Cette
enchère ne s’est pas déroulée dans
les conditions idéales, mais cela
profitera aux habitants de l’Alaska
à court terme et longtemps dans
l’avenir », a estimé la sénatrice ré­
publicaine Lisa Murkowski.
Protestation
L’affaire donne lieu à une bataille
politique en Alaska depuis des dé­
cennies. La bascule est intervenue
en 2017, dans un cavalier à la ré­
forme fiscale de M Trump, qui ap­
prouva la vente aux enchères et
l’exploitation de la réserve arcti­
que. La loi exigeait que deux en­
chères soient organisées, en 2021
et avant la fin 2024. Il était prévu
que celles­ci rapportent 1,8 mil­
liard de dollars sur dix ans, à parta­
ger entre l’Alaska et l’Etat fédéral.
On en est loin, ce qui a conduit à la
protestation de l’association de
contribuables « Tax payers for
Common Sense ». « Tenir ces en­
chères de la onzième heure de l’ad­
ministration Trump pendant une
pandémie alors que la demande de
pétrole est faible et les prix bas, tout
cela a condamné cette mise aux en­
chères, qui était discutable depuis le
début », a déclaré Autumn Hanna à
l’Anchorage Daily News.
choak, directeur de la Wilderness
priée, budgétairement irresponsa­
espérons que l’administration Biden
agira immédiatement pour empê­
cher l’exploitation de l’ANWR. » 
arnaud leparmentier
international | 3
▶▶▶
lice de la ville, la police du Capi­ Matter [le mouvement antiraciste
LE CHEF DE LA POLICE  tole, l’armée, le Secret Service à l’origine des rassemblements de
DU CAPITOLE A RECONNU  – chargé de la protection des per­ 2020], ils n’auraient pas été traités
sonnalités –, le FBI…, a largement très, très différemment de la foule
QU’IL S’ATTENDAIT  contribué aux délais dans les pri­ de voyous qui a pris d’assaut le
ses de décision et les interven­ Capitole, a­t­il déclaré, jeudi.
À UNE « MANIFESTATION »,  tions. Et, depuis le départ du Nous savons tous que c’est vrai, et
procureur général William Barr, c’est inacceptable. » Le président
ET NON PAS À DES  en décembre 2020, la quasi­va­ Trump, qui traitait les manifes­
« ÉMEUTES CRIMINELLES » cance de pouvoir à la tête du mi­ tants antiracistes d’« animaux » et
nistère de la justice – qui, aux de « voyous » avait assuré, mer­
Etats­Unis, est aussi chargé du credi, à ses partisans occupés à
Washington et de plusieurs maintien de l’ordre – a grande­ saccager le Capitole qu’il les
autres grandes villes américaines. ment compliqué la coordination « aim[ait]».
Ces réserves ont ralenti l’arrivée entre les différents services. La justice, elle, a commencé à
des militaires, lorsque la police du poursuivre plusieurs responsa­
Capitole a compris que la situa­ Ouverture de 55 procédures bles des violences. Selon le
tion était hors de contrôle. Il a Mais, au­delà des failles de com­ procureur fédéral de Washington,
fallu plusieurs heures avant que mandement et de l’impréparation Michael Sherwin, cinquante­cinq
les forces de l’ordre obtiennent patente des forces de l’ordre, les procédures ont été ouvertes en
l’autorisation d’intervenir, en événements de mercredi ont sou­ trente­six heures. « Ce n’est que le
nombre, pour déloger les mani­ levé d’autres interrogations. Le début », a­t­il assuré, en expli­
festants. Alerté par des élus enfer­ contraste entre la relative passivité quant que des centaines d’agents
més à l’intérieur du Congrès, le des policiers envers les partisans cherchaient à identifier sur les ré­
gouverneur du Maryland voisin, de M. Trump et la répression sou­ seaux sociaux les principaux fau­
le républicain Larry Hogan, a de­ vent brutale des manifestations teurs de troubles.
mandé, en vain, durant plus de contre les violences policières et le Au lendemain d’un des plus
quatre­vingt­dix minutes l’auto­ racisme du printemps et de l’été grands ratés des forces de l’ordre
risation d’envoyer sa garde natio­ n’a échappé à personne. M. Biden américaines, plusieurs élus dé­
nale. La maire de Washington, lui­même a déploré une forme de mocrates et républicains deman­
Muriel Bowser, souhaite désor­ « deux poids deux mesures » dans dent aussi une enquête sur le dé­
mais que la garde nationale de la le comportement des policiers. roulement des événements, qua­
ville passe sous son autorité. « Personne ne peut me faire lifiés, par certains d’entre eux,
La multiplication des niveaux croire que, s’il s’était agi hier d’une d’« attaques terroristes ». 
de commandement entre la po­ manifestation de Black Lives stéphanie le bars
UNE INCROYABLE DENSITE,
DE LA LITTERATURE PURE COMME ON DIT
UN DIAMANT PUR.
Jérome Garcin, L’Obs
«Bouleversant.»
Raphaëlle Leyris, Le Monde des Livres
«Il faudrait savoir dire, partager,
la poésie de chaque page,
l’émotion de chaque phrase,
la tension de chaque mot.
Tout est infiniment beau
dans ce tombeau d’un
orphelin, inconsolable.»
Jean-Claude Raspiengeas, La Croix
«L’inconnue est un texte
littéraire qui, loin de confier
un témoignage strictement
personnel, livre une
expérience universelle.
Le livre qu’on attendait,
comme une voix à l’autre bout
du fil. Un appel à l’éternel.»
Alice Develey, Le Figaro littéraire
«Un cri d’amour et
un concentré de poésie.»
Axelle Simon, France 24
«Les inflexions déchirantes
d’un lied de Schubert.»
Sophie Creuz, RTBF
«Ce texte court est un joyau
de papier pour la pensée.»
Christian Montaignac, Service Littéraire
www.grasset.fr Grasset

4 | international
C R I S E   P O L I T I Q U E   A U X   É TAT S ­ U N I S
Facebook bloque Donald Trump
Après des années de laisser­faire, Mark Zuckerberg annonce le blocage
des comptes Instagram et Facebook du président sortant
O
n sait finalement,
après quatre ans de
provocations à tous
les niveaux, ce qu’il
faut pour que Facebook ou Twit­
ter modèrent strictement le
compte d’un président des Etats­
Unis : un appel à l’insurrection.
Mercredi 6 janvier dans la soirée,
après que des pro­Trump ont en­
vahi le Capitole de Washington,
siège du Congrès américain, les
deux réseaux sociaux ont tempo­
rairement suspendu les comptes
du président. Ils ont aussi sup­
primé certains des messages en­
courageant les manifestants, qu’il
avait publiés mercredi.
Puis, ce 7 janvier, c’est le PDG de
Facebook en personne, Mark Zuc­
kerberg, qui a annoncé la sanc­
tion : le blocus des comptes Insta­
gram et Facebook de Donald
Trump sera prolongé après la pas­
sation de pouvoir du 20 janvier. Le
président sortant ne pourra donc
plus publier sur ces deux plates­
formes, qu’il a utilisées ces der­
niers jours pour « justifier plutôt
que pour condamner les actes de
ses supporteurs au Capitole », écrit
M. Zuckerberg. Les décisions de Fa­
cebook et Twitter ont ouvert les
vannes : ces vingt­quatre derniè­
res heures, Twitch, Snapchat, Tik­
Tok, Shopify et YouTube ont tous
annoncé, à des degrés divers, des
blocages ou des sanctions accrues
pour les comptes pro­Trump.
En quatre années de mandat, le
président américain a publié
nombre de messages violant les
règles des réseaux sociaux – voire
la loi. Depuis des semaines, il a
écrit chaque jour, sans preuve
aucune, que l’élection était tru­
Joe Biden face à l’affaissement moral du pays
La fin de la présidence Trump porte atteinte à l’identité américaine et à son image internationale
ANALYSE
L aissez­moi être clair : les scè­
nes de chaos au Capitole ne
représentent pas qui nous
sommes. » Le 6 janvier, Joe Biden a
essayé d’incarner une forme de di­
gnité et d’autorité respectable, en
réaction aux émeutes de
Washington. Par ces mots, le pré­
sident élu poursuivait le récit de
sa campagne victorieuse : celui
d’une promesse de réconciliation,
de restauration sur le plan des va­
leurs et du fonctionnement cor­
rect des institutions. Mais le ver­
tige historique qui a saisi le
Capitole et le pays entier révèle
exactement ce qu’est l’Amérique
aujourd’hui : un pays déchiré,
abîmé, aux institutions sous ten­
sion, où brûle la haine décom­
plexée chez les extrémistes trum­
piens, et dont l’image à l’étranger
est durablement affectée.
Joe Biden sera investi le 20 jan­
vier. Président, il sera entouré
d’une équipe compétente et expé­
rimentée, notamment en politi­
que étrangère. Grâce à la double
victoire arrachée lors du scrutin
en Géorgie, il disposera même
d’une courte majorité au Sénat. Sa
marge de manœuvre sera donc
plus large que prévu. Tous ceux,
notamment en Europe, qui atten­
dent un réengagement américain
constructif dans les affaires du
monde devraient donc trouver là
des motifs d’espoir. L’équipe
Biden n’a­t­elle pas souhaité cons­
tituer une coalition pour la démo­
PENDANT QUATRE ANS,  Fin 2020, Facebook et Twitter
POLÉMIQUE APRÈS  prendre des mesures, un peu plus
POLÉMIQUE, FACEBOOK ET  plus incendiaires du président
TWITTER ONT CHOISI DE  ce durcissement s’est fait à re­
LAISSER EN LIGNE LES  culons. En juin, lorsque Twitter a
MESSAGES DU PRÉSIDENT
quée. Au cœur des contestations
liées au mouvement Black Lives
Matter, il publiait des messages ra­
cistes et menaçants. Au début de la
pandémie de Covid­19, il mettait
en avant des traitements douteux.
En 2017, une série de provocations
contre la Corée du Nord avait
laissé craindre le début du premier
conflit armé lancé sur Twitter.
Face à cette avalanche de messa­
ges illégaux, obscènes ou dange­
reux, les réseaux sociaux ont tou­
jours tenu la même position : en
tant que président en exercice,
toute publication de Donald
Trump doit être maintenue en li­
gne, parce qu’elle a valeur d’infor­
mation et constitue un document
historique. Polémique après polé­
mique, Facebook comme Twitter
ont choisi de laisser en ligne les
messages du président, dont la
page Facebook a plus de 30 mil­
lions d’abonnés, et le compte Twit­
ter près de 90 millions. En paral­
lèle, Donald Trump et l’aile droite
du Parti républicain accusaient,
sans preuve, les réseaux sociaux
de censurer les conservateurs et
d’avoir un biais prodémocrate. Et
menaçaient, pour accentuer la
pression, de réformer la loi sur la
modération des réseaux sociaux.
cratie, réhabilitant des expres­
sions comme « leadership moral »
ou « monde libre » ? Vapeurs d’un
temps révolu.
Hélas, le départ de Donald
Trump ne sera pas une cure mira­
culeuse. Le jardinier en chef a fait
son œuvre : les graines d’une
haine trafiquée en patriotisme
ont germé, grâce au soutien d’un
écosystème médiatique irrespon­
sable, à droite. L’intolérance et les
réflexes complotistes condition­
nés ne sont pas de simples pertur­
bations passagères, par rapport à
l’immense victoire électorale, en
nombre de voix, de Joe Biden. Ils
en relativisent et en diminuent la
portée, creusant la polarisation.
Conviction ébréchée
Le court­circuit américain, dont
ces émeutes représentent l’acmé
en imposant des mots comme
« sédition » ou « insurrection »
dans le débat public, finit de vider
de sa substance l’exceptionna­
lisme dont s’est longtemps pré­
valu le pays. Ce processus ne date
pas d’hier. Le discours du secré­
taire d’Etat Colin Powell à l’ONU,
en 2003, sur les supposées armes
de destruction massive de l’Irak,
avait fracassé la crédibilité des
discours sur la liberté à l’export.
La pratique systémique de la tor­
ture et les détentions illégales, qui
ont suivi l’intervention en Irak au
nom de la lutte sans fin et sans li­
mites contre le terrorisme, ont
fini de déstabiliser un Moyen­
Orient déjà traversé de tensions.
ont, cependant, commencé à
sévères, contre les messages les
des Etats­Unis. Mais à chaque fois,
commencé à publier des avertis­
sements à côté de certaines publi­
cations de Donald Trump, Face­
book s’y est d’abord refusé, provo­
quant une fronde de ses salariés.
Lors de la présidentielle, les deux
réseaux sociaux ont multiplié les
avertissements sous les posts du
dirigeant américain sortant, qui
affirmait que l’élection était tru­
quée et qu’il en était le vainqueur
– au mépris des résultats.
« Trop, c’est trop »
Etait­ce suffisant ? Le 6 janvier, de
nombreuses voix se sont élevées
pour dire qu’il était temps de « dé­
plate­former » Donald Trump,
c’est­à­dire de fermer ses comp­
tes sur les réseaux sociaux. Parmi
eux, des spécialistes du sujet et
des observateurs connus habi­
tuellement pour leurs positions
modérées. Après l’envahisse­
ment du Capitole, « publier des
avertissements, ça ne va pas suf­
fire », a notamment prévenu Alex
Stamos, ancien responsable de la
sécurité de Facebook.
« Il est temps pour Facebook,
Twitter et YouTube de bannir
Trump », a lancé le journaliste spé­
cialiste des réseaux sociaux Casey
Newton, dans sa newsletter Plat­
former, jeudi. Il a rappelé que pen­
dant des années, il était « opposé à
l’idée de supprimer Donald Trump
des grandes plates­formes », pour
Mais la fin de la présidence
Trump porte atteinte au cœur
même de l’identité politique amé­
ricaine. A sa puissance de séduc­
tion, à l’idée que les institutions
prévalent toujours, traversées par
le souffle des « pères fondateurs »,
en permettant une transition pa­
cifique. Cette ère a ébréché la con­
viction qu’au­delà des divisions
intérieures – géographiques, racia­
les ou économiques – la maison
commune tient. Que c’est même
la capacité sans cesse retrouvée à
surmonter ces divisions qui fonde
la grandeur de la démocratie amé­
ricaine. Or la crise actuelle met en
doute la capacité du pays à se régé­
nérer dans un temps proche. Ce
doute est en soi un poison. Si les
Américains ne reconnaissent plus
leur pays, comment croire en son
retour, vu de l’étranger ?
La domination militaire et fi­
nancière des Etats­Unis demeure
vraie. Les compétences peuvent
être retrouvées, à tous les étages, à
commencer par la Maison Blan­
che. Mais comment restaurer le
langage des valeurs, des droits de
l’homme, de la justice, lorsque
Washington ressemble à la capi­
tale d’un Etat failli, comme le
6 janvier ? Lorsque le Capitole est
vandalisé par des émeutiers, ima­
ges dont les télévisions russes ou
chinoises pourront se repaître ?
Elles y verront la démonstration
d’un échec supposé, l’anarchie
comme stade ultime de la démo­
cratie, confortant ainsi ces systè­
mes autoritaires répressifs.
des « raisons pratiques », mais
aussi « parce qu’il était le président
dûment élu ». Mais « trop, c’est
trop », a­t­il conclu. Pendant l’en­
vahissement du Capitole, de
nombreuses voix avaient déjà vi­
lipendé les réseaux sociaux.
« Bannissez­le, à la fin ! », a tweeté
Ellen K. Pao, ancienne dirigeante
du site collaboratif Reddit, rappe­
lant qu’elle avait demandé dès no­
vembre 2020 au fondateur de
Twitter, Jack Dorsey, de « faire ce
qu’il faut » face aux discours in­
surrectionnels du président.
D’autres ont nuancé le rôle des
grands réseaux sociaux dans la
propagation du complotisme :
« Les plates­formes en ligne ne sont
pas seules fautives dans l’envahis­
sement du Capitole », a écrit l’édi­
torialiste du Financial Times John
Thornhill. Une manière de souli­
gner l’influence des chaînes d’in­
formation comme Fox News et de
son propriétaire, le magnat aus­
tralien conservateur Rupert Mur­
doch, comme de certains élus ré­
publicains, dans les accusations
erronées de fraude électorale.
Le site d’information Protocol
avance également une autre rai­
son pour le « changement de pied »
de Facebook et de Twitter vis­à­vis
de Donald Trump : « Les républi­
cains viennent de perdre leur pou­
voir. » Les réseaux sociaux s’adap­
teraient à la nouvelle ère démo­
crate… Jeudi, le président Trump a
lui refait son apparition sur Twit­
ter, mais avec un ton bien diffé­
rent, feignant la contrition. « Je
suis scandalisé par la violence [au
Capitole] », a­t­il assuré. 
damien leloup
et alexandre piquard
Il faut être fort et sûr de soi, de
son identité et de son organisa­
tion, pour se faire entendre dans
un monde dérégulé. Sans cela,
comment parler à la Chine de la ré­
pression à Hongkong, ou à la Rus­
sie de Navalny et des opérations
de propagande anti­occidentales ?
Et l’Iran, et la Turquie, et l’Egypte ?
Comment promouvoir la force
universelle du modèle démocrati­
que, sans risquer d’être inaudible
ou ignoré au nom d’un magistère
perdu, et d’être renvoyé à ses pro­
pres affres ? Richard Haass, prési­
dent du Council on Foreign Rela­
tions, a résumé l’ampleur du dé­
sastre, mercredi sur Twitter. Selon
lui, « il faudra longtemps avant que
nous puissions défendre de façon
crédible la primauté de la loi »,
mais aussi avant que « nous puis­
sions convaincre nos alliés de se re­
poser sur nous ».
Parmi tous les défis auxquels elle
sera confrontée, l’administration
Biden devra suivre une cure de so­
briété et de sagesse, dans son ex­
pression et son action extérieures.
Notamment dans ses rapports
avec les Européens, dont l’affirma­
tion souveraine serait un précieux
renfort, face aux assauts des
« Etats carnivores », telles la Tur­
quie, la Russie ou la Chine.
Washington ne pourra se reposer
sur son aura et rêver d’un aligne­
ment automatique sur ses posi­
tions. L’Amérique devra convain­
cre, écouter, surtout construire
des compromis et des coalitions. 
piotr smolar
L’enquête sur l’avion
ukrainien abattu
piétine à Téhéran
Les familles des 176 victimes demandent
justice, un an après les tirs de missiles
par des gardiens de la révolution
E n ce premier anniversaire
de la destruction du
Boeing d’Ukraine Airlines,
près de Téhéran, par des missiles
des gardiens de la révolution
(l’armée idéologique du régime),
les familles des victimes se sont
rendues, jeudi 7 janvier, sur le
lieu du drame, à Shahedshah.
Non sans tensions, car les forces
de l’ordre avaient d’abord bloqué
la route menant à cette localité,
avant de laisser passer les fa­
milles. Des photos des 176 victi­
mes, la plupart de jeunes Ira­
niens vivant au Canada, ornées
de bouquets de fleurs, et une affi­
che « Pourquoi nous avez­vous
tués ? » tapissaient le sol, alors
que cris et pleurs brisaient de
temps à autre le silence. Dans
une vidéo publiée sur les réseaux
sociaux, on voit un autre rassem­
blement des familles des victi­
mes, le même jour, cette fois­ci
dans l’aéroport Imam­Khomeini
de Téhéran. Un homme âgé
prend la parole devant une petite
foule, vêtue de noir : « Mort aux
assassins qui ont tué nos enfants.
Nous réclamons justice ! »
Le 8 janvier 2020, alors que
l’Iran menait des frappes contre
une base américaine en Irak, en
représailles à l’assassinat par un
drone américain du général ira­
nien Ghassem Soleimani – chef
de la branche des gardiens de la
révolution chargée des opéra­
tions extraterritoriales –, deux
missiles sol­air ont été tirés,
touchant un avion civil qui avait
quitté Téhéran pour rejoindre
l’Ukraine.
Pendant trois jours, alors que les
autorités canadiennes, ukrainien­
nes et américaines évoquaient la
responsabilité directe de Téhéran,
les dirigeants iraniens ont dé­
noncé des « allégations menson­
gères ». Mais le 11 janvier 2020,
les gardiens ont reconnu leur
propre responsabilité.
Aujourd’hui, l’enquête semble
au point mort. « Selon les lois
internationales, le pays où le
crash a eu lieu est censé mener les
investigations, explique Payam
Jamshidi, dont la sœur, Shadi, est
morte, à 32 ans. Mais, dans ce cas,
c’est comme si l’assassin devait
mener l’enquête. Dès le début, les
Iraniens n’ont pas arrêté de tenir
des propos contradictoires et de
tout retarder. Tout est mensonger
dans cette affaire. »
Les familles pointent notam­
ment du doigt le fait que, peu
après le crash, les bulldozers ont
roulé sur les lieux de la tragédie,
« nettoyant le site de l’accident,
alors que tout devait rester intact
pour l’enquête », explique Payam
Jamshidi au Monde, depuis
Londres. « Nous n’avons aucun
espoir que l’enquête avance en
Iran », affirme­t­il.
L’Iranien rappelle également
que les enterrements de certai­
nes victimes en Iran ont eu lieu
sous la pression des agents du
renseignement iranien qui cher­
chaient à éviter tout déborde­
ment ou slogan politique. Pour
ce premier anniversaire, certai­
nes familles disent avoir fait l’ob­
jet de menaces.
Les familles
pointent le fait
que, peu après
le crash, les
bulldozers ont
roulé sur les lieux
de la tragédie
0123
SAMEDI 9 JANVIER 2021
Sur les réseaux
sociaux, les
Iraniens rendent
hommage
aux victimes,
non sans prendre
des risques
Les doutes sur l’enquête sont
partagés en Ukraine, dont onze
ressortissants ont péri dans la
tragédie. Alors que, fin décem­
bre 2020, un rapport technique
préliminaire de Téhéran sur les
circonstances de la catastrophe a
été envoyé à Kiev, le 6 janvier, le
président d’Ukraine Interna­
tional Airlines (UIA), Ievgueni
Dykhné, a accusé l’Iran de « faire
traîner l’enquête », demandant à
la communauté internationale
de renforcer la « pression » sur
Téhéran.
Pour le moment, la dernière
version officielle de Téhéran con­
siste à dire que le vol PS752 a été
abattu à la suite d’une « erreur »
dans le système radar d’une
unité de défense antiaérienne,
commise par un opérateur. Le
président Hassan Rohani a ré­
pété jeudi cette version des faits,
promettant que ce dossier serait
bientôt examiné « lors d’un pro­
cès grandiose et à l’issue d’une
étude précise ». Selon le bureau
de procureur de Téhéran, une
personne, arrêtée dans le cadre
de cette affaire, est toujours der­
rière les barreaux.
L’idée d’un dédommagement
Depuis quelques semaines, l’Iran
parle également de vouloir ver­
ser un dédommagement de
150 000 dollars (123 000 euros)
aux familles de chaque victime
– initiative dénoncée par des
proches qui y voient une tenta­
tive par Téhéran de clore le dos­
sier sans faire la lumière sur les
responsables. « Nous ne voulons
même pas entendre parler d’ar­
gent, s’emporte Payam Jamshidi.
Nous cherchons en priorité que les
autres pays exercent de la pres­
sion sur l’Iran pour que finale­
ment les commanditaires et les
exécuteurs soient désignés. »
Pendant ce temps, la justice ira­
nienne continue à condamner à
des peines de prison, allant jus­
qu’à cinq ans, ceux qui ont pris
part en 2020 aux manifestations
survenues après le crash dans les
villes iraniennes. Sur les réseaux
sociaux, les Iraniens rendent
hommage aux victimes, non
sans prendre de risque. Dessins,
morceaux de musique, vidéos,
textes et poèmes ont inondé
Twitter et Instagram, témoi­
gnant des plaies encore bien
ouvertes par le crash chez les Ira­
niens, notamment ceux issus de
la classe moyenne éduquée, aspi­
rant aux changements.
« Ceux qui ont péri étaient un
concentré des meilleurs enfants
de cette terre qui avaient choisi un
autre pays pour pouvoir vivre
mieux, parce qu’ils n’étaient pas
assez appréciés à leur juste valeur
dans leur pays natal », confie une
ancienne journaliste vivant à Té­
héran. Pour un photographe ira­
nien, qui a couvert de nombreu­
ses vagues de répression, le crash
du Boeing a changé son regard à
tout jamais. « Tuer des innocents
dans les airs, alors qu’ils sont en
train de quitter le pays… Après ça,
rien de la part de ce régime ne me
semble impossible. » 
ghazal golshiri
0123
SAMEDI 9 JANVIER 2021
La Chine accentue sa diplomatie sanitaire en Afrique
La construction par Pékin du siège du Centre africain de contrôle et de prévention des maladies pose question
L
a Chine au chevet de l’Afri­
que. L’image n’est pas
nouvelle, mais la
deuxième vague de Co­
vid­19 qui frappe le continent l’a
encore confortée. Le ministre chi­
nois des affaires étrangères, Wang
Yi, s’est arrêté, mercredi 6 janvier,
en République démocratique du
Congo (RDC) dans le cadre de sa
tournée dans cinq pays africains.
Avec le président Félix Tshisekedi,
le chef de la diplomatie chinoise a
notamment abordé le sujet de la
pandémie et a annulé des prêts ar­
rivés à échéance pour aider le pays
à faire face à la crise.
Dans la course effrénée aux vac­
cins, Pékin tient à s’imposer face à
ses rivaux occidentaux dans les
pays africains, où la Chine a mis en
œuvre, dès mars 2020, une diplo­
matie du masque et de don de ma­
tériel médical particulièrement
volontariste. La RDC, l’un des théâ­
tres des rivalités politiques et éco­
nomiques avec Washington,
compte d’autant plus pour Pékin
que son chef de l’Etat, Félix Tshise­
kedi, s’apprête à prendre la prési­
dence tournante de l’Union afri­
caine (UA) en février.
Quelques semaines plus tôt, à
Addis­Abeba, en Ethiopie, où siège
l’organisation panafricaine, la
Chine a célébré une nouvelle vic­
toire de sa diplomatie sanitaire : le
lancement de la construction du
futur siège du Centre africain de
contrôle et de prévention des ma­
ladies (CDC Afrique) présenté par
Pékin comme le nouveau symbole
d’une « communauté de destin
sino­africaine plus forte ».
Tensions et tractations délicates
Une cérémonie en petit comité
s’est tenue le 14 décembre dans la
banlieue sud de la capitale éthio­
pienne, où devrait être érigé d’ici
vingt­cinq mois un immeuble
moderne de 40 000 m2. La Chine,
qui finance les travaux estimés à
80 millions de dollars (65 mil­
liards d’euros), y a convié des offi­
ciels éthiopiens et des représen­
tants des pays où seront installés
les cinq centres régionaux du
CDC Afrique (Egypte, Gabon, Ke­
nya, Nigeria et Zambie) et de l’UA.
Pourtant, selon les textes et sta­
tuts, la première pierre n’aurait
pas dû être posée avant que les
chefs d’Etat et de gouvernement
se retrouvent en février, au som­
met de l’UA. C’est lors de cette réu­
nion de haut niveau que devait,
théoriquement, être décidé quel
serait le pays d’accueil de ce siège
Des drones chinois dans les eaux indonésiennes
Un pêcheur a pris dans ses filets un engin bardé de capteurs qui serait un Sea Wing chinois
Q uand un pêcheur, Sae­
ruddin, a pris l’engin
dans ses filets le 20 dé­
cembre 2020, les camé­
ras incrustées dans le nez de cet
étrange tube d’acier à ailerons
étaient, selon lui, encore actives.
L’objet, pesant autour de 100 kilo­
grammes, que venait de récupérer
le villageois indonésien de 60 ans
au large de l’île de Selayar, dans la
province de Sulawesi, a été pré­
senté une semaine plus tard par
un média local, detikNews : il s’agi­
rait, selon les spécialistes militai­
res internationaux, d’un drone
sous­marin chinois Sea Wing (ou
« Haiyi » en Chine).
« S’il est vrai que c’est un
Sea Wing, cela soulève de nom­
breuses questions sur la façon
dont il a réussi à pénétrer profon­
dément dans notre territoire », a
noté le blog indonésien « Jato­
sint », en en diffusant les caracté­
ristiques. Long de 2,25 mètres,
muni de deux ailes de 50 cm,
d’une hélice et d’une antenne,
« La Chine
renforce son
influence en
continuant à
instrumentaliser
des pays »
THIERRY PAIRAULT
directeur de recherche
du CDC Afrique, dont le secréta­
riat est temporairement installé à
Addis­Abeba depuis sa création
en janvier 2017. L’année suivante,
lors du Forum sur la coopération
sino­africaine, le gouvernement
chinois s’était engagé à soutenir
l’institution, notamment en ma­
tière de santé, et à investir dans ce
centre stratégique. « Les Etats
membres de l’UA ne sont jusque­là
pas arrivés à s’accorder sur une ca­
pitale d’accueil du CDC Afrique, qui
est particulièrement convoité »,
précise un diplomate africain.
Un consensus s’est dégagé sur la
création de centres dans chacune
des cinq régions d’Afrique, mais
pas sur le lieu de l’implantation
du siège, qui a donné lieu à de dé­
licates tractations et a ravivé les
tensions entre la Chine et les
Etats­Unis. Les deux puissances
avaient signé un accord en 2016
pour soutenir conjointement le
CDC Afrique tant sur le plan fi­
nancier qu’en dépêchant des ex­
perts. Mais sous la présidence de
Donald Trump, Washington s’est
durci. L’administration améri­
caine s’est fermement opposée à
l’idée d’un centre construit par les
Chinois, de surcroît dans la capi­
tale d’une Ethiopie jugée déjà per­
méable à l’influence de Pékin.
Les Américains privilégient jus­
qu’à aujourd’hui leur partenaire
marocain, qui a réintégré l’UA
en 2017. Cette proposition alter­
native d’une domiciliation du
siège au Maroc a vite été écartée
par la majorité des pays africains.
Et ce malgré les efforts de lob­
bying de Rabat, qui a, selon nos in­
formations, insisté pour que le su­
jet soit discuté en février au som­
met des chefs d’Etat et de gouver­
nement de l’UA. En vain.
« Au sein de l’UA, les Marocains
sont soupçonnés d’être à la solde
des Etats­Unis et de la France, cette
dernière étant pourtant en retrait,
pour retirer le dossier aux Chi­
nois », rapporte un cadre de l’orga­
nisation. Finalement, la Chine est
CHINE
Mer
de Chine
méridionale
Iles Riau
Ile de Selayar
INDONÉSIE PROVINCE
Djakarta DE SULAWESI
Surabaya
Détroit
de Sunda Détroit Darwin
de Lombok
OCÉAN INDIEN
500 km AUSTRALIE
l’engin est un « planeur » auto­
nome équipé de différents cap­
teurs, capable de couvrir de très
longues distances.
« Le drone collecte des données
océanographiques et bathymétri­
ques et les envoie par liaison sa­
tellite ; il peut être utilisé à la fois
pour des missions civiles ou mili­
taires », a indiqué la marine na­
Au siège de l’Union africaine, à Addis­Abeba, le 27 janvier 2018. SIMON MAINA/AFP
passée en force pour précipiter la
décision de l’UA et de l’Ethiopie,
l’un de ses partenaires privilégiés
en Afrique, et ainsi prendre de
court l’axe Washington­Rabat.
« C’est une violation claire du rè­
glement de l’UA », s’agace un di­
plomate marocain. Contacté, le
ministre marocain délégué en
charge des affaires africaines, Mo­
hcine Jazouli, n’a pas souhaité
réagir, de même que la Commis­
sion de l’UA. Pour le sinologue
français Thierry Pairault, « Pékin
agit vite en prévision de l’arrivée
au pouvoir de Joe Biden, qui va hé­
riter de la politique africaine de
Donald Trump avec laquelle il ne
va pas forcément rompre ». C’est
ainsi que la Chine « renforce son
influence en continuant son soft
power qui consiste à instrumenta­
liser des pays et des institutions
d’Afrique pour mieux affirmer sa
puissance », ajoute le directeur de
recherche émérite du CNRS.
Reste que le futur siège du CDC
Afrique dont la Chine a entamé la
construction préoccupe aussi
pour des raisons sécuritaires.
Dans cette nouvelle infrastruc­
tionale indonésienne le 4 janvier
depuis sa base de Surabaya, où
elle analyse la prise. « Aucun pays
n’en a revendiqué la propriété », a
souligné l’amiral Yudo Morgano.
« C’est un espion », a cependant
assuré le gouverneur provincial,
Nurdin Abdullah.
Légitime émoi
Le 5 janvier, le ministère des af­
faires étrangères a dit attendre la
fin des investigations pour attri­
buer l’espion à son propriétaire
et faire part d’une réaction offi­
cielle. Plusieurs parlementaires
indonésiens ont d’ores et déjà
appelé à renforcer les défenses
sous­marines du pays.
Début 2020, un drone similaire
avait été repéré près de la base de
Surabaya. Et, en mars 2019, un
autre avait été découvert plus au
nord de l’Indonésie, près des îles
Riau. Au­delà de l’Indonésie, la
découverte suscite un légitime
émoi en raison des craintes que
génère l’affirmation de la puis­
ture, particulièrement sensible en
termes d’informations traitées, lo­
geront notamment des laboratoi­
res de recherche et un data center
où seront stockées les données in­
formatiques sanitaires continen­
tales. Washington ne cesse de dé­
noncer le risque d’espionnage et
d’infiltration des systèmes infor­
matiques du futur CDC Afrique
par Pékin, menaçant de suspendre
son soutien financier.
Intrusions
Le Monde avait révélé en 2018
comment le siège de l’Union afri­
caine avait déjà fait l’objet d’intru­
sions. Le bâtiment avait été offert
et construit en 2012 par la Chine,
qui a aussi fourni les systèmes in­
formatiques avant d’en aspirer les
données. Tous les contenus sensi­
bles de l’organisation ont pu être
espionnés par la Chine entre jan­
vier 2012 et 2017, cette dernière an­
née ayant été marquée par la dé­
couverte de micros installés dans
les salles de réunions.
Selon l’agence Reuters, l’UA a ré­
cemment été alertée par des cher­
cheurs japonais que des pirates in­
sance chinoise en mer. Cité par
ABC Australia, Malcolm Davis,
un expert de l’Australian Strate­
gic Policy Institute, a souligné
pour sa part que le Sea Wing avait
été trouvé sur l’importante route
maritime qui relie la mer de
Chine méridionale à la ville la
plus septentrionale de l’Austra­
lie, Darwin. « Cela envoie le signal
que la marine chinoise se prépare
à déployer des sous­marins plus
près de nos approches maritimes
au nord de Darwin », a­t­il assuré.
Des dizaines d’engins repérés
« La découverte a eu lieu près des
deux routes potentielles reliant la
mer de Chine du Sud et l’océan In­
dien, et ces routes, le détroit de
Sunda et celui de Lombok, pour­
raient prendre de l’importance en
temps de guerre », a complété le
site spécialisé Naval News, selon
lequel la Chine déploie en masse
ce type de drones sous­marins
dans l’océan Indien. Là, des dizai­
nes d’engins sous­marins chi­
international | 5
La représentation
chinoise auprès
de l’UA accuse les
médias de diffuser
des « fausses
informations » pour
« saboter la relation
entre la Chine
et l’Afrique »
formatiques chinois avait infiltré
les serveurs et aspiré les vidéos des
caméras de surveillance des im­
meubles constituant le siège de
l’organisation. La représentation
chinoise auprès de l’UA nie systé­
matiquement et accuse les médias
de diffuser des « fausses informa­
tions » pour « saboter la relation
entre la Chine et l’Afrique ».
Les dons d’immeubles officiels à
l’UA et plus largement à une qua­
rantaine de pays africains facili­
tent­ils l’espionnage de ces Etats
et institutions par Pékin ? « Des
nois ont déjà été repérés. Une ex­
pression est utilisée dans la
région pour parler de l’activisme
naval de Pékin : celle de « grande
muraille de Chine sous­marine ».
Les Chinois, qui aguerrissent
leur flotte de combat sous­ma­
rine dans tout l’indo­Pacifique,
ont besoin d’établir les caracté­
ristiques des eaux de la région,
notamment en matière de tem­
pérature et de salinité, savent les
spécialistes.
Mais, à ce jeu, les acteurs sont
nombreux. Au début de l’année
2020, des « pêcheurs » miliciens
chinois de la région du Jiangsu,
au nord de Shanghaï, se sont vu
récompenser par les autorités
pour avoir trouvé des drones
étrangers au large des côtes na­
tionales. A un petit millier de ki­
lomètres de Taïwan, sur les rou­
tes du Japon et de la Corée du
Sud, d’autres moyens, ceux des
Etats­Unis au premier chef, ne
manquent pas. 
nathalie guibert
sociétés chinoises, toutes légale­
ment obligées d’aider le Parti com­
muniste chinois à collecter des ren­
seignements, ont construit ou ré­
nové au moins 186 immeubles
gouvernementaux en Afrique de­
puis 1966 », note le centre de ré­
flexion conservateur américain
Heritage Foundation, dans une
étude datée de mai 2020.
Au CDC Afrique, on se félicite
plutôt de cette assistance chinoise
en plein essor tout en s’inquiétant
des tensions diplomatiques. « La
Chine cherche à entrer sur le terrain
de la santé publique en Afrique et
son aide est toujours bienvenue,
tout comme celle des Européens,
des Américains, déclare au Monde
le virologue camerounais John N.
Nkengasong, directeur du CDC
Afrique. Mais il faut que cette aide
soit coordonnée et non compéti­
tive. » Or là est bien le problème : la
coordination fait défaut et la con­
currence s’exacerbe. 
joan tilouine
Retrouvez en ligne l’ensemble de nos contenus
CORÉE DU SUD
La justice condamne
Tokyo à dédommager
des « femmes de
réconfort »
La justice sud­coréenne a
condamné vendredi 8 janvier
le Japon à dédommager
12 femmes qui avaient été ré­
duites à l’esclavage pendant la
seconde guerre mondiale, une
décision dénoncée par Tokyo.
Selon le tribunal du district
central de Séoul, le gouverne­
ment doit payer à chaque
victime ou à leurs familles
l’équivalent de 74 000 euros,
rapporte Yonhap, l’agence
sud­coréenne – (AFP.)
I NDO NÉSI E
Libération d’un chef
religieux islamiste
Abou Bakar Bachir, le chef
religieux islamiste lié aux
attentats de Bali de 2002, a
été libéré vendredi 8 janvier
de sa prison indonésienne,
bénéficiant d’une réduction
de peine. Agé de 82 ans, il
avait été condamné en 2011
à quinze ans de prison pour
avoir aidé à financer des
camps d’entraînement isla­
mistes dans la province
conservatrice d’Aceh. – (AFP.)
 PLANÈTE
0123
6| SAMEDI 9 JANVIER 2021

PA N D É M I E   D E   C O V I D ­1 9

Campagne vaccinale : l’exécutif revoit sa copie
Alors que le nombre
de contaminations reste
au­dessus de 15 000 par jour,
le gouvernement accélère
le calendrier et ouvre
la vaccination aux plus
de 75 ans dès le 18 janvier

L
a menace plane sur la France et Le premier
elle est prise « très au sérieux ». Le ministre,
premier ministre, Jean Castex, et Jean Castex,
son ministre de la santé, Olivier le 7 janvier,
Véran, l’ont répété jeudi 7 janvier, au ministère
au cours d’une conférence de de la santé.
presse commune : tous deux « s’inquiètent » JEAN-CLAUDE COUTAUSSE
de la nouvelle souche du SARS­CoV­2 appa­ POUR « LE MONDE » »
rue sur le sol anglais et de sa rapide propaga­
tion outre­Manche. « Nous voulons éviter à
tout prix sa diffusion », a insisté M. Véran.
Deux foyers épidémiques « à risque » de ce
variant plus contagieux ont été détectés en
Bretagne et en Ile­de­France, a fait savoir,
jeudi, le ministère de la santé. Au total, dix­
neuf cas de contamination par le variant
britannique sont pour l’instant avérés dans
toute la France, ainsi que trois autres par un
variant différent initialement repéré en
Afrique du Sud.
« En raison de ces incertitudes, il n’est pas
question que nous baissions la garde », a in­
sisté Jean Castex. D’autant que la situation
sanitaire dans le pays « est devenue plus fra­
gile au cours des dernières semaines et la pres­
sion sur le système hospitalier reste très
forte », a­t­il ajouté.
Selon les données de l’agence de sécurité
sanitaire Santé publique France (SPF), au
7 janvier, 24 488 malades du Covid­19 étaient
hospitalisés dont 2 573 en réanimation. « On
enregistre chaque jour 2 500 nouvelles hospi­
talisations et plus de 200 admissions en réani­
mation, où un lit sur deux est aujourd’hui oc­
cupé par un malade du Covid­19 », a résumé le
chef du gouvernement. Quant au nombre de
nouveaux cas de contamination quotidiens,
il est « un peu au­dessus de 15 000 », contre
10 000 en moyenne à la mi­décembre 2020,
s’éloignant encore un peu plus du seuil des
5 000 cas que s’était fixé le gouvernement
pour reprendre le contrôle de l’épidémie. nement se défend de vouloir rectifier le tir. Cette semaine, la vaccination a été égale­ centres de vaccination de ville sont progres­
« Il ne s’agit pas de modifier notre stratégie ÉRIGÉE EN PRINCIPE  ment étendue aux aides à domicile et aux sivement déployés : un centre par départe­
DEUX SEMAINES « DÉTERMINANTES » mais, par tous les moyens, d’optimiser, de sim­ pompiers de plus de 50 ans et elle est désor­ ment a déjà été ouvert, soit 100 sur le terri­
Dans son dernier bulletin épidémiologique plifier sa mise en œuvre et son déploiement »,
IL Y A ENCORE  mais « ouverte aux personnes en situation de toire, 300 devraient l’être à partir de lundi et
publié jeudi et portant sur la semaine du a justifié Jean Castex, avançant le chiffre de QUELQUES  handicap vulnérables qui sont hébergées en 600 à la fin du mois. A compter du 14 janvier,
28 décembre 2020 au 3 janvier, SPF con­ 45 000 personnes vaccinées au cours des maison d’accueil spécialisé et en foyer d’ac­ une ligne téléphonique va être mise en place
firme que la circulation du virus se poursuit cinq derniers jours. SEMAINES,  cueil médicalisé », a fait savoir jeudi Jean Cas­ pour permettre la prise de rendez­vous, qui
« à un niveau élevé » et indique que la ten­ Dans les faits, l’exécutif entend changer de tex, ainsi qu’aux personnels qui y travaillent, pourra également s’effectuer par Internet,
dance des deux prochaines semaines, braquet en décidant d’avancer la phase 2 de
LA CONSULTATION  s’ils sont âgés de 50 ans ou plus, ou eux­mê­ sur le site Sante.fr.
quand seront connus les chiffres des conta­ sa stratégie vaccinale qui ne devait démarrer MÉDICALE  mes porteurs de comorbidités. Parallèlement, le gouvernement entend
minations en lien avec les fêtes de fin d’an­ que fin février. Depuis lundi, tous les profes­ simplifier les démarches avant de réaliser la
née, « sera déterminante ». sionnels de santé de plus de 50 ans, ou à ris­ PRÉALABLE  600 CENTRES À LA FIN DU MOIS première injection du vaccin : « Les étapes
Dans ce contexte, la vaccination apparaît que, peuvent recevoir la fameuse injection Autre accélération de calendrier annoncée qui avaient été prévues pour les personnes
aujourd’hui comme la seule perspective en­ dans les hôpitaux, et non plus seulement les AU VACCIN N’EST  par le premier ministre : les personnes de très vulnérables en Ehpad en décembre,
courageante. Critiqué pour la lenteur du dé­ résidents et personnels des établissements PLUS OBLIGATOIRE plus de 75 ans, soit environ 5 millions de quand nous avions peu de recul sur le vaccin,
marrage de la campagne vaccinale française d’hébergement pour personnes âgées dé­ Français, pourront se faire vacciner à partir seront allégées pour les populations moins
par rapport à celles de ses voisins, le gouver­ pendantes (Ehpad). du 18 janvier. Dans cette perspective, des fragiles », a précisé Jean Castex. Erigée en

Epidémie de Covid-19 : situation au 7 janvier, 14 heures

HOSPITALISATIONS ET RÉANIMATION TAUX D’INCIDENCE PAR DÉPARTEMENT TAUX D’INCIDENCE DANS LE MONDE
Personnes hospitalisées pour 100 000 habitants pour 100 000 habitants Nombre de décès et rapport pour 100 000 habitants
Personnes en réanimation Nombre de personnes positives Petite couronne Moyenne
et en soins intensifs pour 100 000 habitants Guadeloupe nationale 501,5 19 936 morts Belgique 174 décès / 100 000 hab.
33 466
du 29 décembre 2020
au 4 janvier 77 291 Italie 128

153,5 78 632 Royaume-Uni 118

Martinique
66,2
24 488 365 317 Etats-Unis 111

2e confinement Mayotte du 26/08 au 1/09 du 29/12 au 04/01 51 675 Espagne 110

(30 octobre)
TESTS POSITIFS 66 700 France 99
de 250 à 358,3

4 586 2 573
de 200 à 250
de 150 à 200
de 100 à 150
La Réunion
+ 21 703
nouvelles personnes positives 200 498
8 178 Suisse

Brésil
95

95
Guyane
de 50 à 100 au SARS-CoV-2 en vingt-quatre
heures (tests antigéniques inclus) 38 988 Allemagne 47
418 Moins de 50
Cet indicateur dépend du nombre 59 628 Russie 41
1er septembre 2020 7 janvier de personnes testées, variable
Infographie Le Monde Sources : Santé publique France, Géodes, université Johns-Hopkins
selon les jours et les territoires.
0123
SAMEDI 9 JANVIER 2021
principe il y a encore quelques semaines en
amont de cette campagne, la consultation
médicale préalable n’est plus obligatoire,
remplacée par un dispositif « plus direct ».
Il s’agit en substance d’« aller plus loin, plus
fort et plus vite », selon la formule d’Olivier
Véran. Le ministre de la santé a de son côté
annoncé que les autorités sanitaires avaient
approuvé le report de l’administration du
rappel du vaccin de Pfizer : « Il est possible de
différer la seconde dose jusqu’à six semaines
au lieu de trois, ce qui permettra de disposer
d’un plus grand nombre de doses disponibles
tout de suite », a­t­il expliqué.
LA CADENCE « DOUBLÉE EN MARS »
L’objectif chiffré pour janvier reste toutefois
le même que celui annoncé en décembre :
« Nous visons un million de personnes vacci­
nées d’ici à la fin du mois », a rappelé M. Vé­
ran. A la fin de la semaine, la France devrait
avoir reçu 1 046 000 doses du vaccin de Pfi­
zer­BioNTech, à raison d’un rythme de livrai­
son de 500 000 doses par semaine et ce, jus­
qu’à la fin du mois de février. Le gouverne­
ment a annoncé que grâce à l’ouverture de
nouvelles lignes de production, cette ca­
dence « doublerait en mars ».
Une campagne de vaccination qui devrait
logiquement s’intensifier avec l’arrivée du
vaccin de Moderna, approuvé mercredi
6 janvier par l’Agence européenne des médi­
caments et dont les premières doses doivent
être livrées « dès lundi, a indiqué le ministre
de la santé. En tout, nous attendons plus de
100 000 vaccins pour le mois de janvier de
Moderna, 500 000 supplémentaires en fé­
vrier, un peu plus d’un million en mars et en
avril, et plus de 2 millions en mai et en juin. »
Mais Olivier Véran a préféré ne pas se ris­
quer à avancer le nombre de Français qui se­
ront vaccinés à coup sûr avant l’été, affir­
mant que cela dépendrait de « la validation
en bonne et due forme » des trois autres prin­
cipaux vaccins espérés. 
elisabeth pineau
L’efficacité des vaccins mise au défi
par des variants du SARS­CoV­2
Une palette d’anticorps semble moins efficace face à une mutation sud­africaine
L’ expansion du variant britanni­
que du SARS­CoV­2 à travers
l’Europe préoccupe les autori­
tés sanitaires. Nettement plus conta­
gieux que la souche habituelle, il me­
nace de ruiner les efforts entrepris dans
de nombreux pays et de nourrir cette
troisième vague qui semble inonder le
Royaume­Uni.
En France, jeudi 7 janvier, le ministère
de la santé a annoncé que dix­neuf de
ces mutants baptisés VoC 202012/01
avaient été retrouvés dans l’Hexagone.
Deux clusters ont été mis en évidence, à
Bagneux (Hauts­de­Seine) et à Rennes,
sans liens évidents avec le Royaume­
Uni, de quoi faire craindre une dissémi­
nation plus large. Des investigations
renforcées ont été lancées pour tenter
de tracer tous les contacts de ces per­
sonnes. Ce week­end, une vaste campa­
gne visera à faire remonter tous les
échantillons positifs des deux derniers
jours pour les tester une seconde fois
avec une PCR répondant au variant an­
glais afin d’en extraire les cas suspects
qui seront séquencés.
Mais le communiqué de presse du mi­
nistère indique aussi qu’une autre li­
gnée a fait son apparition dans le pays.
Baptisée 501Y. V2, elle a été repérée chez
trois personnes, un patient du Haut­
Rhin et deux autres en Provence­Alpes­
Côte d’Azur, qui ont été en contact avec
une personne venue d’Afrique du Sud.
Déjà bien implanté dans ce pays, où il
représenterait plus de 90 % des souches
en circulation, ce variant détecté en oc­
tobre 2020 semblait jusqu’ici moins
préoccuper les autorités sanitaires in­
ternationales que son cousin anglais,
avec qui il partage deux mutations.
La Chine face à un nouveau foyer
En Chine, où le nouveau coronavirus a fait son apparition il y a plus d’un an
et qui avait largement éradiqué l’épidémie au printemps, 63 nouveaux cas
ont été enregistrés en vingt-quatre heures, du jamais-vu depuis juillet, pour
l’essentiel à Shijiazhuang. Tous les établissements scolaires de cette ville,
qui est la capitale de la province du Hebei entourant Pékin, ont été fermés.
Les principales autoroutes y menant ont été coupées et les autocars
interurbains ont été arrêtés. La principale gare de Shijiazhuang a été fermée
et ne laissait plus entrer de voyageurs, selon la télévision publique CCTV.
Face aux polémiques, Jean Castex sur la défensive
Le premier ministre a annoncé le maintien des restrictions et l’élargissement probable du couvre feu
C’ est un premier ministre sur
la défensive, sur fond de dé­
gradation sanitaire et d’atta­
ques des oppositions, que les Français
ont retrouvé, jeudi 7 janvier, dans le ca­
dre habituel d’un point sur la situation
sanitaire, le premier d’une longue série
en 2021. Autant Emmanuel Macron,
avait vanté l’espoir du vaccin le 31 dé­
cembre, autant Jean Castex, pour sa
première grande intervention de l’an­
née, a eu le mauvais rôle d’annoncer le
maintien des restrictions sanitaires.
« Toutes les activités, tous les établisse­
ments, tous les équipements qui sont
aujourd’hui fermés le resteront encore
jusqu’à la fin de ce mois », a­t­il déclaré.
Il lui est revenu aussi d’annoncer le
maintien du couvre­feu au moins jus­
qu’au 20 janvier, le passage probable de
dix départements « plutôt situés dans
l’est de la France » en couvre­feu ren­
forcé dès dimanche. Pour la culture
comme pour les stades, rendez­vous
est pris au 20 janvier pour envisager
« la possibilité et les conditions d’une
reprise de l’activité à partir de début fé­
vrier ». Idem pour les stations de ski,
suspendues à l’espoir d’une réouver­
ture pour les vacances. Quant aux res­
taurants, bars et salles de sport, « une
réouverture en janvier n’est pas réaliste
Jeudi, la directrice de la santé publique
au ministère israélien de la santé a tiré le
signal d’alarme devant les députés de la
Knesset. « Le variant sud­africain est pré­
occupant car il pourrait causer des
symptômes sévères chez les jeunes, a dé­
claré Sharon Alroy­Preis. L’effet du vac­
cin sur ce variant n’est pas encore clair
mais il y a des études préliminaires in­
quiétantes. »
Publiée le 4 janvier sur le site de prépu­
blications bioRxiv, l’étude qui concentre
l’intérêt a été réalisée au centre de re­
cherche Fred Hutchinson de Seattle
(Etat de Washington). Coordonnée par
Jesse Bloom, elle dresse la carte des mu­
tations susceptibles de limiter le pou­
voir neutralisant des anticorps dévelop­
pés par d’anciens malades du Covid­19.
L’équipe s’est concentrée sur la fa­
meuse protéine Spike, qui permet l’en­
trée du virus dans les cellules humai­
nes, et plus particulièrement sur la ré­
gion qui assure la liaison avec les récep­
teurs de ces cellules (RBD). Elle a testé la
réponse de plusieurs mutants de cette
protéine, obtenus dans des levures, sur
des plasmas de convalescents possé­
dant une palette d’anticorps. Elle a mis
en évidence deux résultats majeurs.
D’abord que chaque individu réagit
différemment. Les échantillons de sang
provenant de deux personnes ne sont
pas sensibles aux mêmes mutations du
virus. Celle qui pourrait infecter l’un res­
terait sans effet sur l’autre. Toutefois, et
c’est le second résultat, deux mutations
retrouvées dans la base mondiale des
génomes du SARS­CoV­2, Gisaid, ont di­
minué l’efficacité des anticorps neutra­
lisant d’une majorité des plasmas étu­
diés. L’une est rarissime. Mais la se­
et sera d’ores et déjà reportée a minima
jusqu’à mi­février ». Le chômage partiel,
les prêts garantis et le fonds de solida­
rité, désormais restreint aux secteurs
fermés, continueront de s’appliquer.
D’une pugnacité inédite, M. Castex
s’est efforcé, surtout, de clore point par
point les nombreuses polémiques
autour de la lenteur de la campagne de
vaccination et de faire taire les critiques
des élus locaux et nationaux.
« Je demande que cessent les polémi­
ques stériles qui n’apportent rien, sinon
que d’inquiéter inutilement nos conci­
toyens déjà fatigués et à fleur de peau du
fait de la durée et de l’ampleur de cette
crise inédite, a déclaré M. Castex. On ne
peut pas, alors que le match vient de
commencer et qu’il durera plusieurs
mois, prétendre dès les premières minu­
tes, dès les premières secondes, qu’il est
déjà perdu. » A l’heure où des élus
– maires ou présidents de région, de
Paris aux régions Provence­Alpes­Côte
d’Azur (PACA) ou Auvergne­Rhône­Al­
pes – multiplient les exhortations à ac­
célérer la vaccination, voire à les laisser
gérer eux­mêmes les campagnes d’im­
munisation, le discours du premier mi­
nistre avait des airs de rappel à l’ordre.
« Beaucoup de maires se portent can­
didats pour épauler l’Etat et c’est très
conde, qui intervient sur le 484e acide
aminé de la Spike, se retrouve dans le
variant sud­africain. Et elle réduirait
« jusqu’à dix fois » le pouvoir neutrali­
sant des anticorps, selon l’article. Cette
mutation s’affiche aussi sur une autre
lignée apparue au Brésil et qui semble
se diffuser de plus en plus largement.
Optimisme
Face à l’inquiétude israélienne, Tal Zaks,
le médecin en chef de Moderna, a dé­
claré à la télévision qu’il ne doutait pas
de l’efficacité de son vaccin sur les va­
riants britannique et sud­africain. Con­
tactée par Le Monde, Moderna a expli­
qué les raisons de son optimisme :
d’abord son vaccin produit non pas un
seul type d’anticorps mais « des douzai­
nes, une soupe d’anticorps ». Ensuite, des
analyses in silico, autrement dit bio­in­
formatiques, confirmeraient l’efficacité
du produit sur les deux variants. Des vé­
rifications biologiques sont en cours
dans le laboratoire de l’immunologue
américain Anthony Fauci, aux National
Institutes of Health (NIH).
Chez BioNTech, le concepteur du vac­
cin de Pfizer, on reste plus prudent. In­
terrogé par le Financial Times le 22 dé­
cembre 2020, son patron Ugur Sahin, se
disait optimiste. Il relevait notamment
que la protéine Spike comporte plus de
1 270 acides aminés, encodés dans le
vaccin de son entreprise, et que ces va­
riants n’en touchent que moins d’une
dizaine. Le 7 janvier, dans une prépubli­
cation, une équipe de Pfizer et de l’uni­
versité du Texas a confirmé que le sé­
rum de personnes vaccinées reste effi­
cace contre les mutations sur le
501e acide aminé de la protéine Spike,
présentes sur les souches « anglaises »
et « sud­africaines ». Dans leur article,
les chercheurs reconnaissent qu’ils
n’ont testé qu’une mutation sur la di­
zaine présente sur cette protéine : l’in­
certitude subsiste quant à la mutation
E484, qui préoccupe les scientifiques,
sur le variant sud­africain. Le patron de
BioNTech a en outre indiqué que l’adap­
tation des vaccins issus de sa technolo­
gie à de nouvelles souches ne prendrait
que six semaines à réaliser.
heureux », a­t­il ainsi noté, avant de
rappeler la hiérarchie du « couple mai­
re­préfet » : « Le patron du déploiement
de la stratégie vaccinale au nom de
l’Etat avec l’ARS [agence régionale de
santé], c’est le préfet de département. Il
y a un pilote dans l’avion. » Outre les
maires volontaires pour ouvrir des
centres de vaccination, des présidents
de région, comme Hervé Morin en
Normandie ou Renaud Muselier en
PACA, ont commencé à démarcher des
laboratoires en vue de leur acheter des
doses. Mercredi, l’association Régions
de France a appelé dans un communi­
qué le gouvernement à « ne pas empê­
cher les régions qui le souhaitent
d’acheter des vaccins… ».
Agacement
Le premier ministre a composé, jeudi,
une réponse polie teintée d’ironie, tan­
dis que la ministre chargée de l’indus­
trie, Agnès Pannier­Runacher, rappelait
la longue coordination européenne
ayant abouti aux livraisons. « Toutes les
bonnes volontés sont bienvenues, a as­
suré M. Castex, simplement la fourniture
de doses vaccinales fait l’objet de très for­
tes tensions au niveau mondial (…). Je ne
suis pas certain que cette excellente in­
tention, louable, des régions puisse se
planète | 7
▶▶▶
Directeur de recherche à l’Institut Pas­
teur, le virologue Etienne Simon­Lo­
riere tempère, lui aussi l’inquiétude,
mais pour une autre raison : « La varia­
bilité observée chez les individus est ras­
surante car, même si certains s’avèrent
très sensibles à cette mutation, d’autres
le seront moins. » J esse Bloom, lui­
même, ne veut pas noircir le tableau.
Dans une déclaration sur Twitter, le
chercheur de Seattle indique que,
compte tenu de l’efficacité impression­
nante des vaccins, « il est possible que
même une chute substantielle du pou­
voir neutralisant ne provoque pas une
baisse substantielle de la protection ».
Au Monde, il précise que même si la
vaccination vise à mimer l’immunisa­
tion obtenue par une précédente infec­
tion, « nous ne savons pas si les résultats
observés chez les personnes convalescen­
tes se retrouveront complètement chez
les personnes vaccinées ». Il attend « des
études complémentaires », sur les anti­
corps de personnes vaccinées cette fois.
Hormis les analyses promises de
BioNTech et des NIH, des résultats de­
vraient venir du Royaume­Uni. Cham­
pions du monde du séquençage et pre­
mier pays occidental à vacciner, les Bri­
tanniques devraient pouvoir étudier ra­
pidement l’effet en laboratoire des
mutations sur les différents vaccins.
Mais Jean­Daniel Lelièvre, directeur
du département d’immunologie clini­
que et de maladies infectieuses de l’hô­
pital Henri­Mondor, à Créteil, imagine
d’autres moyens d’observation. « Avec
1,5 million de personnes vaccinées, ils
vont commencer à enregistrer des
échecs, des personnes malades malgré
l’injection, avance­t­il. Sont­elles plus
souvent contaminées par un variant et
lequel ? Sont­elles plus nombreuses là où
un certain variant est plus présent ? »
Des comparaisons internationales
pourraient également être riches d’en­
seignements. Les échecs seraient­ils
plus nombreux en Afrique du Sud ou au
Brésil ? Réponse sans doute d’ici quel­
ques semaines. 
chloé hecketsweiler,
nathaniel herzberg
et david larousserie
concrétiser à court terme. » Pour le reste,
M. Castex a défendu son gouverne­
ment, déchargeant momentanément le
ministre de la santé, Olivier Véran, du
rôle de fusible que ce dernier a semblé
endosser ces derniers jours.
Interrogé sur un éventuel rebond
épidémique lié aux fêtes, le chef du
gouvernement s’est agacé – « un coup
on en fait trop. Et puis les mêmes,
quinze jours après, vous reprochent de
ne pas en faire assez ». Quant à une fer­
meture des écoles à très court terme,
elle paraît peu probable. « Il faut vrai­
ment que la situation sanitaire soit gra­
vissime pour fermer les écoles, car nous
savons que les conséquences, y compris
sanitaires, (…) sont absolument drama­
tiques », a précisé M. Castex.
Mais le gouvernement se tient prêt à
« renforcer [les mesures] dès l’instant où
cela s’avérerait nécessaire en fonction de
l’évolution des prochains jours et des pro­
chaines semaines », a assuré M. Castex.
Les données des fêtes seront disponi­
bles « au milieu de la semaine pro­
chaine » et des expertises ont été com­
mandées quant à l’efficacité des mesu­
res de couvre­feu. Autant d’éléments
qui pourraient justifier, rapidement, de
nouvelles annonces… 
julie carriat

8 | planète
PA N D É M I E   D E   C O V I D ­1 9
Au CHU de Grenoble,
« convaincre plutôt
qu’imposer » le vaccin
La file d’attente s’allonge devant le centre de
vaccination ouvert pour les soignants de plus de
50 ans ou à risques, mais certains restent réticents
REPORTAGE
grenoble ­ envoyé spécial
L
e centre de vaccination du
centre hospitalier univer­
sitaire (CHU) de Grenoble­
Alpes, site nord, vient à
peine d’ouvrir ses portes, jeudi
matin 7 janvier, dans un nouveau
local installé au rez­de­chaussée
du pavillon Elisée­Chatin, que la
file d’attente s’allonge déjà. La vac­
cination des personnels soignants
de plus de 50 ans ou présentant
des facteurs de comorbidité (dia­
bètes, maladies cardiaques, pul­
monaires, rénales, hépatiques,
cancers de moins de trois ans,
transplantés, surpoids…) semble
avoir trouvé son public. Sur les
quelque 11 000 personnels tra­
vaillant au CHU, 2 400 sont éligi­
bles à cette vaccination.
« C’est une course contre la mon­
tre, nous accueillons tous ces per­
sonnels de santé, mais aussi ceux
du secteur privé, les médecins gé­
néralistes, les infirmiers en libéral,
etc., sur l’ensemble du territoire et
j’ai dû mettre en place une organi­
sation spéciale avec trois chaînes
de vaccination en parallèle », ex­
plique Anne Tonoli, la responsa­
ble du centre de vaccination.
Tout doit s’enchaîner le plus
vite possible de l’entrée à la sor­
« Il faut à tout prix éviter une situation sanitaire dégradée »
Selon l’épidémiologiste Mahmoud Zureik, une troisième vague, probable sans nouvelles restrictions, compromettrait le succès de la vaccination
ENTRETIEN
P our Mahmoud Zureik,
professeur d’épidémiolo­
gie et de santé publique à
l’université de Versailles ­ Saint­
Quentin­en­Yvelines, la tendance
de l’épidémie est inquiétante, et
pourrait conduire à des mesures
de reconfinement, afin de limiter
les cas. Un impératif pour réduire
le nombre de morts et de mala­
des, mais aussi pour assurer le
succès de la vaccination.
Comment interpréter les indi­
cateurs des deux dernières
semaines ? Assiste­t­on à une
flambée épidémique à la fa­
veur des fêtes de fin d’année ?
Les indicateurs, à partir de mi­
décembre 2020, sont difficiles à
lire. Le nombre d’asymptomati­
ques parmi les personnes testées
était de l’ordre de 70 % il y a un
mois et demi, alors qu’il était de
presque 90 % pendant les fêtes. Le
taux de positivité est donc très
difficilement interprétable par
rapport aux autres indicateurs
que sont les taux d’hospitalisa­
tion et de morts qui, eux, arrivent
avec un décalage de quelques
jours à quelques semaines.
Pour l’instant, les chiffres d’hos­
pitalisation sont relativement
stables, ainsi que ceux des mala­
des en réanimation. Le nombre
de décès est toujours élevé. Mais
le bilan de Noël sera à faire la se­
maine prochaine.
tie, trente minutes maximum. Il
faut raccourcir le circuit et, sur­
tout, précise­t­elle, « éviter ce qui
s’est passé lors de l’ouverture du
centre de test, avec une foule im­
mense, six heures d’attente, des
gens qui se battaient ».
D’autant que le produit est sen­
sible. « Le vaccin [Pfizer­BioN­
Tech] peut être conservé plusieurs
mois à – 80 0C, puis cinq jours en
frigo, à froid positif (4 0C environ),
et six heures à température am­
biante une fois qu’il est prêt, c’est­
à­dire que l’on a dilué 0,45 millili­
tre [ml] de concentrât avec 1,8 ml
de sérum physiologique », dé­
taille Etienne Brudieu, pharma­
cien au CHU.
Dans la pharmacie centrale, où
travaillent 230 personnes, les
doses de vaccins sont distribuées
avec la plus grande attention. Il
faut trente minutes pour décon­
geler celles qui seront emportées
jusque dans les structures pré­
posées à la vaccination : établis­
sement d’hébergement pour
personnes âgées dépendantes
(Ehpad), hôpitaux…
Dès la décision prise d’étendre la
vaccination (le 31 décembre 2020)
jusqu’alors réservée aux résidents
des Ehpad et à leurs personnels
soignants, le CHU a reçu un super­
congélateur (− 80 0C) pouvant
« ON NE PEUT PAS 
ARRIVER À MAÎTRISER 
L’ÉPIDÉMIE SANS 
UN COUP DE FREIN DANS 
TOUS LES DOMAINES »
On est dans une situation incer­
taine, un peu dégradée, mais on
est encore loin d’une explosion
de l’épidémie comme celle qui
touche actuellement le Royaume­
Uni et l’Irlande.
Pendant les vacances, on a pu
observer la conjonction de deux
phénomènes opposés, avec d’un
côté une probable augmentation
de la circulation du virus via les
interactions intrafamiliales, et de
l’autre des contaminations moin­
dres dans le milieu professionnel.
A cela s’ajoutent des conditions
climatiques favorables au virus.
Nous verrons le résultat de ces
trois phénomènes conjoints dans
la semaine qui vient.
Malgré la difficile lisibilité des
indicateurs actuels, on observe
une démarcation nette entre
l’Est et l’Ouest. Comment
expliquer cette coupure du
pays en deux ?
Cette différence est très difficile à
expliquer. On ne peut pas exclure
le rôle des conditions météorolo­
giques. Il y a des travaux qui souli­
contenir 200 000 doses. Un autre
a été acquis pour suppléer une
éventuelle panne du premier.
Tout est sous surveillance électro­
nique et sous clé, et l’emplace­
ment du stockage, dans l’hôpital,
est tenu secret.
« Je surveille »
Pour l’heure, le CHU a reçu
10 000 doses – une dose permet
cinq vaccinations – et doit en re­
cevoir 3 000 autres en début de
semaine prochaine. « Il n’y a pas
de pénurie, mais on doit assurer
la bonne conservation des vac­
cins, organiser la distribution sur
l’ensemble du territoire, c’est un
job que l’on ne fait pas d’habi­
tude », explique le professeur
Pierrick Bedouch, chef du pôle
pharmacie du CHU. Et de présen­
ter l’objectif : « A partir du mo­
ment où on reçoit les doses vacci­
nales, il faut qu’elles finissent le
plus vite possible dans les deltoï­
des [muscles de l’épaule]. Il n’est
pas question de faire du stock. »
Avec une polaire bleue enfilée
sur sa blouse blanche, pour se
protéger du froid que laisse en­
trer la porte ouverte du centre de
vaccination, Dalila Da Silva ne
sait pas combien de fois elle a
répété son laïus aux arrivants.
Elle détailler encore le circuit
gnent de plus en plus le rôle du cli­
mat et de l’humidité dans la circu­
lation du virus, mais il n’y a pas
d’explications claires sur le sujet.
La deuxième hypothèse est la
proximité de l’axe est avec les
autres pays européens frappés par
le virus, comme l’Allemagne et la
Suisse. Des mouvements trans­
frontaliers allant dans les deux
sens ont pu favoriser la circulation
du virus dans ces régions.
Dans l’Ouest, on observe une
augmentation importante du
nombre de cas d’une semaine sur
l’autre, jusqu’à plus 50 % dans cer­
tains départements, mais, à partir
de taux d’incidence beaucoup
plus faibles à la base. Toutefois, si
cette dynamique se confirme, il ne
faudra pas tarder à prendre les
mesures nécessaires et fortes. Car
le pays ne peut pas vivre une troi­
sième vague. On en est déjà à
67 000 morts. Eviter une troi­
sième vague, c’est éviter plus de
décès et plus d’hospitalisations,
mais aussi plus de formes longues
du Covid­19.
Enfin, il faut faire en sorte que la
campagne de vaccination réus­
sisse. Le pays ne réussira jamais
une campagne de vaccination en
pleine troisième vague.
Outre­Manche, on observe ac­
tuellement une vague très vio­
lente arriver en même temps que
leur campagne de vaccination. En
conséquence, les autorités britan­
niques commencent à envisager
des mesures d’urgence, comme
que devront emprunter les can­
didats au vaccin : remplir une fi­
che de renseignements, discuter
avec l’infirmière chargée de véri­
fier si rien ne vient contre­indi­
quer l’acte, puis le vaccin, la prise
du rendez­vous pour la
deuxième injection, soit vingt et
un jours après et, enfin, « vous
devrez rester quinze minutes
dans le salon là­bas, au calme,
pour voir si tout va bien – atten­
tion, je surveille », dit l’aide­soi­
gnante dans un grand sourire.
Dalila Da Silva, 55 ans, s’est fait
vacciner et elle décrit la satisfac­
l’allongement du délai entre deux
doses, voire réduire le vaccin à une
seule injection, ou mélanger deux
doses de vaccins différents. Il faut
donc éviter à tout prix une situa­
tion sanitaire dégradée pour
réussir le défi très important de la
campagne vaccinale.
Quelles mesures plus fortes
que celles annoncées jeudi soir
pourraient être prises ?
Ces mesures peuvent être un
confinement national ou de préfé­
rence régionalisé, mais aussi un
couvre­feu beaucoup plus étendu
avec des seuils de déclenchement
plus bas qu’actuellement. Il faut
que le télétravail soit la règle pen­
dant cette période.
Et il faut mieux regarder ce qu’il
se passe dans les écoles. On ne
peut pas arriver à maîtriser l’épidé­
mie sans un coup de frein dans
tous les domaines. Dans d’autres
pays comme l’Allemagne, le
Royaume­Uni, le Danemark, les
Pays­Bas ou dans le nord de l’Italie,
on ferme les écoles.
Les enfants développent des for­
mes moins graves de la maladie
que les adultes. Avant 10 ans, ils
sont aussi moins contagieux.
Mais il est impensable que les
12 millions d’élèves français ne
participent pas à la circulation du
virus. Toutes les études internatio­
nales montrent qu’ils peuvent
jouer un rôle. Si on veut freiner
rapidement l’épidémie, il faut ap­
puyer sur tous les leviers disponi­
« À PARTIR DU MOMENT  visiteurs du jour.
OÙ ON REÇOIT LES DOSES  ture du centre, la salle n’a jamais
VACCINALES, IL FAUT  jeudi,
QU’ELLES FINISSENT
LE PLUS VITE POSSIBLE  nels du CHU et de l’ensemble du
DANS LES DELTOÏDES »
PIERRICK BEDOUCH
chef du pôle pharmacie
du CHU de Grenoble
bles, parmi lesquels l’école, le
collège et le lycée. Il faut appliquer
plus strictement le protocole (aé­
ration des salles, port du masque,
effectifs des classes allégés) effi­
cace pour protéger les enfants.
Le débat actuel se concentre uni­
quement sur les enfants, mais on
oublie que, s’ils attrapent le virus,
ils vont contaminer leur entou­
rage scolaire et familial. C’est illo­
gique de fermer tous les restau­
rants et de laisser ouvertes les can­
tines avec des centaines d’élèves
mangeant ensemble.
La France n’a­t­elle pas fait
un mauvais choix stratégique
en séquençant si peu le gé­
nome des virus circulant sur
son territoire, contrairement
au Royaume­Uni ?
En France, le séquençage est li­
mité à des laboratoires de recher­
che, et il n’est pas utilisé de façon
systématique pour la surveillance
de l’épidémie. La situation va pro­
bablement évoluer, mais, en effet,
on séquence très peu.
Pourquoi la période qui s’ouvre
est­elle si difficile à lire ? Parce
qu’on ne sait pas actuellement
combien de cas du variant sont en
France ni quelle est leur localisa­
tion géographique. D’où l’impor­
tance de faire des échantillonna­
ges pour savoir la prévalence de ce
variant et sa circulation réelle
dans le pays. Mais il ne faut pas
oublier le variant sud­africain, qui
est aussi un sujet de préoccupa­
0123
SAMEDI 9 JANVIER 2021
tion qu’elle perçoit chez tous les
Depuis 8 h 30, heure d’ouver­
désempli. En fin de journée, ce
l’hôpital annonçait
459 vaccinés et 1 028 au total de­
puis le 4 janvier, aux profession­
territoire. « On a accueilli des per­
sonnes de tous âges, beaucoup
d’anciens dont certains sont
même venus sans rendez­vous
[les personnels sont invités à en
prendre un sur un logiciel]. Ils
ont été mis au courant par des
tion. Il semble encore plus trans­
missible que le variant britanni­
que. Il s’est imposé très fortement
en Afrique du Sud, où il représente
actuellement 80 % à 90 % des sou­
ches. On sait très peu de chose sur
ce mutant, y compris si les vaccins
sont efficaces contre lui.
Selon vous, comment parvien­
drons­nous à sortir de cette
crise sanitaire ?
Je suis convaincu que la seule
solution est la vaccination. Le dé­
veloppement des vaccins a été très
rapide, mais il a respecté toutes les
étapes nécessaires. De grandes
études ont été mises en place, qui
ont montré des résultats specta­
culaires d’efficacité.
Certes, il y a encore beaucoup
d’incertitudes, à lever progressive­
ment, mais la balance bénéfice­
risque est très largement positive.
Par ailleurs, l’avantage de ces vac­
cins est qu’ils sont adaptables as­
sez rapidement aux mutations du
virus. Il n’est pas exclu qu’ils de­
viennent comme celui contre la
grippe, pour lequel, chaque année,
il y a des prévisions sur les muta­
tions dominantes du virus à venir
et donc une adaptation du vaccin.
Une troisième vague est fort pro­
bable en France. Mais cette fois,
nous avons des vaccins. Même si
les prochains trois à quatre mois
vont être très difficiles, il y a l’es­
poir de voir le bout du tunnel. 
propose recueillis par
delphine roucaute
0123
SAMEDI 9 JANVIER 2021
collègues. C’est bien de les vacci­
ner, mais il faudrait surtout élar­
gir à tous les personnels en con­
tact avec les malades Covid, quel
que soit leur âge. J’en connais qui
voudraient, mais ils ne rentrent
pas dans les critères, c’est dom­
mage », confie Dalila Da Silva.
Dans la file d’attente qui ne
cesse de s’allonger, quelques jeu­
nes femmes en blouse blanche,
plus proches de la trentaine que
de la cinquantaine, expliquent
que c’est leur chef de service qui
leur a dit de venir se faire vacci­
ner. Mais elles sont l’exception,
car la moyenne d’âge semble
avoisiner les 60 ans.
L’aide­soignante n’est pas la
seule à regretter que l’accès à la
vaccination soit restrictif. Dans
leur petit local syndical, logé
dans un préfabriqué, les respon­
sables de la CGT du CHU de Gre­
noble – première des organisa­
tions syndicales sur l’hôpital
avec 29 % des voix – désirent
aussi que « les personnels qui sou­
haitent se faire vacciner, quels
que soient leur âge ou leurs co­
morbidités, puissent l’être ».
Ayant, au début de la pandémie,
dénoncé le manque de matériel,
de masques, d’équipements de
protection individuelle, le syndi­
cat accueille la vaccination
comme un atout. « Nous sommes
pour la protection des salariés et le
vaccin en est bien sûr un outil im­
portant, chacun doit y avoir accès,
à condition aussi qu’il ne soit pas
obligatoire », résume Chantal
Sala, secrétaire de la CGT du CHU.
Pour autant, les trois élus cégé­
tistes présents dans le local syndi­
cal estiment qu’il ne sera pas fa­
cile de convaincre. « La direction
va devoir ramer, c’est déjà dur
pour la grippe », constate Sophie
Burnaz, aide­soignante et élue au
« IL EST ABSOLUMENT  épouse Danielle, 72 ans, pédiatre,
NÉCESSAIRE DE POUVOIR  président de la Fédération de car­
DÉCONFINER LA  diologie des Alpes et je veux sensi­
POPULATION, PERMETTRE  coup sont âgés. Il faut convaincre,
AUX JEUNES DE  expliquer que le rapport risque­
SE FORMER, DE VIVRE  bénéfice est favorable », assure
LEUR VIE DE JEUNES »
ALMUTH SCHLEIERMACHER
médecin urgentiste
Des personnels de santé
remplissent des documents
administratifs, avant
d’aller se faire vacciner,
à Grenoble, jeudi 7 janvier.
PABLO CHIGNARD POUR « LE MONDE »
comité d’hygiène, de sécurité et
des conditions de travail. Son col­
lègue, élu et aide­soignant aussi,
Marius Bonhoure, confirme un
manque d’engouement. « Plus de
1 000 personnels ont été atteints
par le coronavirus sur l’hôpital, ils
pensent peut­être ne pas avoir be­
soin du vaccin. Et il y a une mé­
fiance un peu générale au vu de la
façon dont la crise sanitaire a été
gérée par le gouvernement. »
Agée de 60 ans, Chantal Sala ira
se faire vacciner, même si elle dit
hésiter encore un peu. Ses deux
camarades, non. L’une, mé­
fiante, préfère attendre de voir.
L’autre, qui dit ne pas être en
contact avec les patients, a le sen­
timent que cela n’est pas néces­
saire, mais il s’est fait vacciner
contre la grippe saisonnière.
Attendant de recevoir le vaccin,
Almuth Schleiermacher, 57 ans,
médecin urgentiste, explique que
dans son service, « nombreuses
sont les personnes qui ne se font
pas vacciner contre la grippe ».
Pour elle, il faut expliquer l’im­
portance du geste vaccinal, voire
être « plus incitatif pour les per­
sonnes âgées ». « Il est absolument
nécessaire de pouvoir déconfiner
la population, permettre aux jeu­
nes de se former, de vivre leur vie
de jeunes », dit cette mère de deux
adolescents de 16 et 18 ans.
« Hiérarchiser le déploiement »
La directrice du CHU – dans lequel
le ministre de la santé, Olivier Vé­
ran, a exercé comme neurolo­
gue – annonce que le taux de vac­
cination contre la grippe dans
l’hôpital chez les professionnels
de santé était de 35 % en 2019. « On
ne sait pas encore quel sera le
nombre de volontaires mais, avec
la crise du Covid, il devrait y avoir
beaucoup plus de monde désireux
d’aller se faire vacciner, juge
Monique Sorrentino. Il vaut
mieux convaincre plutôt que d’im­
poser. Ce serait une bonne chose
d’élargir l’accès à la vaccination,
mais il faut hiérarchiser son dé­
ploiement. Si on nous demande
d’accélérer, il faut que tout le
monde comprenne que cela ne
pourra pas se faire en un jour. »
En milieu de journée, la direc­
trice de l’hôpital, 58 ans, s’est fait
vacciner devant les caméras des
médias locaux. « Je le fais parce
qu’il faut inciter le maximum de
personnes hésitantes à la vacci­
nation. » Elle n’est pas la seule à
faire de ce geste une démonstra­
tion pédagogique. Sur un des
autres fauteuils dédiés à l’opéra­
tion, Marina (qui n’a pas sou­
haité donner son nom) demande
même à l’infirmière de la pren­
dre en photo pendant la piqûre.
« Pour montrer autour de moi »,
dit la sexagénaire, infirmière de
réserve. Le docteur Eric Movet,
médecin radiologue en libéral,
55 ans, parle, lui, d’« exempla­
rité » : « Il y a un motif personnel
bien sûr, mais on doit répondre à
l’inquiétude et au besoin d’infor­
mation de nos équipes. »
A 73 ans, Jacques Machecourt,
professeur de cardiologie, et son
veulent aussi persuader. « Je suis
biliser les adhérents dont beau­
car il y a beaucoup de réticences,
l’ancien cardiologue. Tout en re­
grettant un « excès de précau­
tion » pour cette campagne de
vaccination. 
rémi barroux
planète | 9
Un « Eco­score » pour évaluer
les produits alimentaires
Une dizaine de sites lancent un indicateur environnemental,
tentant de corriger certains biais dans les critères de notation
A iguiller le consommateur
vers des achats respec­
tueux de l’environne­
ment et encourager les indus­
triels à rendre leurs produits plus
reprise de la base de données Agri­
balyse de l’Ademe, une méthodo­
logie normée au niveau interna­
tional qui calcule les impacts envi­
ronnementaux d’un produit du
L’Eco-score est
déjà disponible
sur l’application
d’étude partenaire du projet. No­
tre objectif est d’avoir une métho­
dologie ouverte à tous ceux qui
souhaitent l’implémenter. »
L’Eco­score sera déployé sur
vertueux : ce sont les deux princi­ champ à l’assiette. Mais aussi d’Open Food l’application Yuka en février, mais
paux enjeux de l’information en­ complexe que soit l’ACV, cet indi­ il est déjà disponible sur le site et
vironnementale. Les membres de cateur comporte un certain nom­
Facts, avec l’application d’Open Food Facts,
la Convention citoyenne pour le bre de limites et a tendance à favo­ 240 000 sur 240 000 références, ainsi que
climat souhaitent rendre obliga­ riser les modes de production in­ sur les sites des autres partenaires
toire l’affichage d’une note envi­ tensifs et à forte productivité, au
références (Foodchéri, La Fourche…). « La dé­
ronnementale sur les produits ; détriment de productions à plus marche va dans le bon sens, car elle
Emmanuel Macron s’y est montré faibles rendements, comme celles vise à améliorer les biais des résul­
favorable, le 14 décembre, en ap­ issues de l’agriculture biologique FoodFacts et leurs partenaires tats d’Agribalyse, commente Char­
pelant au développement d’un ou l’élevage extensif en pâturage. ont inclus dans leur notation un les Pernin, délégué général du
« Yuka du carbone ». deuxième pilier, pondérant le Syndicat des entreprises agro­
Si l’on est encore loin d’un affi­ « Tout est transparent » score obtenu par Agribalyse avec alimentaires bio (Synabio), qui
chage environnemental centra­ Ces limites ont conduit, mi­dé­ un système de bonus­malus. Six avait cosigné la missive des 17 or­
lisé, validé par les autorités, et cembre, 17 organisations de dé­ critères ont été retenus : la pré­ ganisations signalant les limites
rendu obligatoire, une première fense de l’environnement sence d’un label certifié (Label d’Agribalyse. Le fait que soient
pierre est posée en ce début 2021 (Greenpeace, Générations futu­ rouge, Agriculture biologique, ajoutés ou retranchés des points
dans le domaine de l’alimenta­ res…), du bien­être animal (CIWF), Demeter…), l’origine du produit en fonction de l’appartenance à un
tion. Une dizaine d’applications et des consommateurs (UFC­Que (les produits français sont valori­ label, la distance parcourue ou la
sites, dont Yuka, Open Food Facts, choisir) et des organisations de sés par rapport à des productions saisonnalité est une très bonne
Marmiton, ou le site d’épicerie en production bio à dénoncer des plus lointaines), la politique envi­ chose. Mais nos interrogations
ligne La Fourche, vont déployer, à « aberrations » dans certains ré­ ronnementale du pays de pro­ quant à la façon dont sera utilisée
partir de jeudi 7 janvier, un score sultats issus d’Agribalyse, et à de­ duction (selon l’indice de perfor­ Agribalyse dans le futur affichage
environnemental baptisé « Eco­ mander un report du calendrier mance environnementale déve­ environnemental demeurent. »
score » sur leurs différents sup­ pour le déploiement du score en­ loppé par l’université de Yale et Au cabinet de la ministre de la
ports. A la façon du Nutri­score, vironnemental : « La méthode doit mis à jour tous les deux ans), l’im­ transition écologique, Barbara
qui renseigne sur l’impact santé être complétée et si besoin repen­ pact sur la biodiversité, le respect Pompili, on précise que la métho­
des aliments, l’Eco­score présente sée, écrivaient les organisations. Il de la saisonnalité et, enfin, la re­ dologie n’est pas encore arrêtée,
une note de A (pour les produits à y a urgence si l’on veut éviter que cyclabilité de l’emballage. et que les expérimentations is­
l’empreinte environnementale la certains acteurs de l’agroalimen­ La note finale ainsi obtenue, sur sues d’organismes privés, comme
plus faible) à E (pour ceux ayant le taire n’utilisent ces données biai­ 100, est ensuite traduite par une celle de Yuka, seront examinées et
plus fort impact), et un code cou­ sées à des fins de greenwashing ! » lettre de A à E. « Tout est transpa­ encadrées par un conseil scientifi­
leur du vert au rouge. Pour pallier les limites de l’ana­ rent, détaille Shafik Asal, cofonda­ que et un comité de pilotage. 
lyse de cycle de vie, Yuka, Open­ teur d’ECO2 Initiative, un bureau mathilde gérard
Calcul complexe
Mais là où le Nutri­score a été
conçu par une équipe de cher­
cheurs sur la base de publications
scientifiques, et déployé par une
agence publique (Santé publique
France), l’Eco­score est une initia­
tive privée. Pour établir cet indi­
cateur, ses promoteurs se sont
appuyés sur la base de données
Agribalyse de l’Agence de l’envi­
ronnement et de la maîtrise de
l’énergie (Ademe), pondérée par
un système de bonus­malus pour
rendre compte des critères d’ori­
gine, de saisonnalité ou de modes Vente Privée Mobilier d’Exposition :
de production. Les initiateurs de
l’Eco­score, forts de leur notoriété
Vendredi 15 janvier de 10h à 19h
(Yuka revendique 15 millions Samedi 16 janvier de 10h à 17h
d’utilisateurs, Marmiton 20 mil­
lions d’internautes mensuels…),
n’excluent pas de voir à terme
leur indicateur converger avec un
affichage environnemental enca­
dré par les pouvoirs publics.
La loi sur l’économie circulaire
du 10 février 2020 prévoit en effet
une expérimentation de score
E
PRIVÉ
VENTE
environnemental au cours du
premier semestre 2021 sur les noll
oom K ain
produits agricoles et alimen­
Showr Saint Germ
d
268 bv me
taires. Neuf projets ont été enre­
e
Paris 7
gistrés au 7 janvier et doivent être
lancés dans les prochains mois. Si
l’Eco­score ne figure pas en tant
que tel dans l’expérimentation
du gouvernement, Yuka a candi­
daté à l’appel à projet et son utili­
sation de l’Eco­score sera étudiée
dans ce cadre. « Un bilan sera tiré
de ces expérimentations et trans­
mis au Parlement d’ici à la fin de
l’été, précise­t­on au ministère de
la transition écologique. Ce bilan
devra donner lieu à un décret en
fin d’année pour définir la métho­
dologie qui s’appliquera à tous les
acteurs qui souhaiteront afficher
un score environnemental. »
Pour l’heure, la loi ne prévoit
pas de rendre ce score obligatoire,
mais des discussions sont en
cours entre la France et ses parte­
naires européens et de premiers
secteurs pourraient être cités
dans le projet de loi issu des tra­
vaux de la Convention pour le cli­
mat, qui sera présenté en conseil
des ministres en février.
Reste que la convergence vers
une méthode de calcul qui fait Conformément aux directives gouvernementales, le nombre de visiteurs sera régulé à l’entrée.
consensus s’annonce complexe. Le port du masque et l’utilisation de gel hydroalcoolique sont obligatoires.
L’Eco­score lui­même se compose
de deux strates : le premier pilier
est l’analyse de cycle de vie (ACV)
 FRANCE
10 |
L’hommage de Macron au président Mitterrand
Le chef de l’Etat devait se recueillir sur la tombe de son prédécesseur pour le 25e anniversaire de sa mort
L’
un et l’autre. Avant
même son arrivée à
l’Elysée, Emmanuel
Macron avait inscrit
son action dans les pas de Charles
de Gaulle et de François Mit­
terrand. « La ligne que je veux
avoir pour la France est celle que je
qualifierais de gaullo­mitterran­
dienne : c’est l’indépendance de la
France, c’est­à­dire une France
forte, qui fasse ses réformes, qui
soit crédible et qui soit forte en Eu­
rope », avait­il déclaré lors du dé­
bat de l’entre­deux­tours de la
présidentielle, en mai 2017.
Trois ans et demi plus tard, la ba­
lance mémorielle semble pen­
cher davantage d’un côté que de
l’autre. Si M. Macron a célébré la
mémoire du Général à plusieurs
reprises, il a rarement fait réfé­
rence au premier président de
gauche de la Ve République. De­
puis le début de son quinquennat,
il a en revanche multiplié les
égards envers ses prédécesseurs
de droite, en saluant « la moder­
nité » de Georges Pompidou,
avant de rendre des hommages
appuyés à Jacques Chirac et à Va­
léry Giscard d’Estaing à la suite de
leur décès. Sans parler de sa proxi­
mité affichée avec Nicolas
Sarkozy, aussi bien idéologique
que personnelle.
Pour contrebalancer ce déséqui­
libre, le chef de l’Etat entend met­
tre à l’honneur celui qui a porté la
gauche au pouvoir, avant de réali­
ser deux septennats, de 1981 à
1995. Après « l’année de Gaulle »
en 2020, avec la célébration des
80 ans de son appel ou le cinquan­
tième anniversaire de sa dispari­
tion, l’Elysée annonce « l’année
Mitterrand » en 2021.
Trois dates sont d’ores et déjà
cochées dans l’agenda de M. Ma­
cron pour une série de commé­
morations consacrées à l’ex­prési­
dent socialiste. La première étape
le mènera à Jarnac (Charente),
vendredi 8 janvier, pour partici­
per aux cérémonies célébrant le
25e anniversaire de sa mort.
Convoquer le « nous français »
Le locataire de l’Elysée se re­
cueillera sur la tombe de son pré­
décesseur, décédé le 8 jan­
vier 1996 à 79 ans, avant de visiter
sa maison natale, devenue un
musée, dans la petite ville située
entre Angoulême et Cognac. La
famille Mitterrand sera très peu
représentée. A l’heure actuelle,
seul Gilbert, l’un des fils du prési­
dent, est annoncé. Alors que l’Ely­
sée comptait sur sa venue, la fille
de l’ex­président, Mazarine Pin­
geot, a finalement indiqué qu’elle
ne s’y rendrait pas.
Côté politique, le patron du
Parti socialiste (PS), Olivier Faure,
sera présent aux côtés de proches
de l’ancien chef d’Etat socialiste,
dont François Hollande, Ségolène
Curieux cambriolage au siège du Parti socialiste
Le bâtiment d’Ivry a été visité le 2 janvier, vraisemblablement par une personne qui connaissait les lieux et cherchait des informations précises
C’ est un curieux casse
qu’a connu le Parti so­
cialiste (PS) à son siège
d’Ivry­sur­Seine (Val­de­Marne)
en pleine trêve des confiseurs.
Comme l’a révélé Le Canard en­
chaîné, mercredi 6 janvier, le local
qu’il avait acquis après avoir
quitté la rue de Solférino a été
cambriolé le 2 janvier. Les traces
laissées et la nature des objets dé­
robés ne semblent pas indiquer
qu’il s’agisse d’un acte crapuleux.
L’intrus cagoulé et couvert d’un
bonnet semblait savoir exacte­
ment ce qu’il cherchait. Selon les
images de la caméra de sur­
Dans la maison
de François
Mitterrand,
à Jarnac
(Charente), en
décembre 2005.
DERRICK CEYRAC/AFP
A seize mois
de l’élection
présidentielle,
difficile de ne pas
voir dans cet
hommage un clin
d’œil aux électeurs
de gauche
Royal ou Hubert Védrine. Ce der­
nier, actuel président de l’Institut
François Mitterrand, juge « nor­
mal » que M. Macron porte « un
intérêt » au natif de Jarnac, dans la
mesure où il l’a déjà fait pour les
autres anciens présidents. Cela ne
sera pas la seule marque d’atten­
tion. Dans les mois qui viennent,
M. Macron prévoit également de
célébrer le 40e anniversaire de
l’élection de M. Mitterrand le
10 mai 1981 et de l’abolition de la
peine de mort, le 9 octobre de la
même année.
D’après son entourage, le chef
de l’Etat veut « mettre en valeur
l’œuvre politique » du socialiste,
au même titre que ses autres pré­
décesseurs, avec une dimension
veillance, il s’est introduit en sau­
tant le portail et en cassant un car­
reau. Il a ensuite minutieusement
visité les bureaux d’Olivier Faure,
et ceux de son directeur de cabinet
et chef de cabinet. Dans cet espace
tout en verre et en transparence, il
est pourtant difficile, quand on ne
connaît pas les lieux, de savoir
quel bureau appartient à qui, tant
les locaux sont anonymes.
Le détail des faits laisse perplexe.
Dans l’antre du premier secré­
taire, l’homme a épluché les car­
nets de notes personnels laissés
sur la table en verre. Dans celle de
ses plus proches collaborateurs, il
strictement mémorielle. « Evo­
quer les figures présidentielles per­
met de partager une mémoire
commune avec tous les Français.
C’est une manière de convoquer le
“nous français” », estime l’Elysée.
La démarche vise à inscrire le
quinquennat de ce jeune prési­
dent, arrivé à 39 ans à l’Elysée,
dans une lignée historique. « Du
de Gaulle, du Mitterrand, du
Sarkozy… Il y a un peu de tout ça
chez Macron ! », s’enthousiasme
François Patriat, le patron des sé­
nateurs La République en marche
(LRM). Replacer son action dans
le temps long vise autant à pallier
son inexpérience qu’à renforcer
sa stature. « Cela lui donne une as­
sise », juge un proche. « La Répu­
blique est transmission », répète
lui­même M. Macron.
A seize mois de l’élection prési­
dentielle, difficile de ne pas voir
dans cet hommage à celui qui
avait refondé le PS en 1971, au con­
grès d’Epinay, un clin d’œil aux
électeurs de gauche. Comme s’il
s’agissait de casser l’étiquette de
« président de droite » et de con­
firmer que le « en même temps »
subsiste, tant bien que mal. « Em­
manuel Macron le fait pour recen­
trer son quinquennat, qui a dérivé
a sorti dossiers et cahiers et fouillé
les ordinateurs. Le voleur est re­
parti avec cinq ou six Macintosh
sous le bras. L’argent en liquide
qui traînait sur un des bureaux
– une centaine d’euros – n’a pas
été touché. Pas plus que le maté­
riel vidéo et autres téléviseurs en­
treposés dans un bureau voisin.
« On a l’impression d’un cam­
briolage ciblé dont la recherche
était de regarder le contenu des or­
dinateurs des proches du premier
secrétaire », remarque un cadre.
Le secrétaire national aux élec­
tions confirme le malaise : « La
personne a exploré les bureaux les
vers la droite », juge Ségolène
Royal. Aucune volonté de récupé­
ration ni d’arrière­pensée politi­
que, se défend l’Elysée. « La figure
que l’on commémore chez Mit­
terrand, c’est celle du président »,
assure un conseiller. Compren­
dre : pas celle du socialiste.
La volonté du locataire de l’Ely­
sée d’honorer la mémoire de
François Mitterrand est jugée
« sincère » par ceux qui ont eu l’oc­
casion d’échanger avec lui à ce su­
jet. « Ça l’intéresse en vrai. Il y a une
vraie démarche personnelle de cu­
riosité chez lui », assure un ex­mi­
nistre socialiste. Et s’il ne l’a ja­
mais rencontré, M. Macron entre­
tenait « un lien privilégié avec lui
par l’intermédiaire de Michel Cha­
rasse », témoigne le président du
conseil départemental du Puy­de­
Dôme, Jean­Yves Gouttebel, qui a
assisté à plusieurs dialogues entre
le chef de l’Etat et ce très proche de
François Mitterrand.
Les deux hommes s’étaient rap­
prochés après un déplacement
présidentiel en Auvergne, en jan­
vier 2018, jusqu’au décès de l’ex­
ministre, en février 2020. « Il ne se
passait pas un jour sans qu’ils
échangent. Le président deman­
dait souvent à Charasse quelle
plus politiques en cherchant quel­
que chose de précis. Ça inter­
roge… », remarque Pierre Jouvet,
porte­parole du PS.
Données sensibles
La direction tente de minimiser
l’impact du vol. A ses yeux, la fau­
che est bizarre, mais sans consé­
quence : « C’est un drôle de vol
mais on n’a pas à déplorer grand­
chose », assure Olivier Faure. « Les
ordinateurs dérobés étaient en
panne, ou ne contenaient rien
d’important et toutes nos données
sont en sécurité sur le cloud », sou­
ligne un proche d’Olivier Faure.
aurait été la position de Mit­
terrand sur tel ou tel sujet d’actua­
lité. Je l’ai entendu dire plusieurs
fois : “Toi, Michel, qui as vécu aux
côtés de Mitterrand, tu sais quelle
aurait été sa vision ?” »
Engagement européen
Aux yeux des socialistes, le chef
de l’Etat est pourtant mal placé
pour se réclamer de cette figure
de la gauche. S’il trouve l’hom­
mage « bienvenu », Olivier Faure
juge que M. Macron « serait en­
core mieux inspiré en reprenant
sa politique. Mitterrand avait
abrogé la loi sécurité et liberté,
augmenté les salaires, facilité le
droit d’asile, permis de partir plus
tôt à la retraite… ».
« Sur le fond, comme dans leur
manière de présider, François Mit­
terrand et Emmanuel Macron sont
aux antipodes, poursuit Ségolène
Royal. Alors que le premier incar­
nait la solidité de l’Etat, en suivant
le principe “se tenir droit et regar­
der loin”, la gestion du second est
un chaos permanent. L’un a connu
des épreuves et attendu vingt­
quatre ans avant d’arriver à l’Ely­
sée, en connaissant la solitude et la
calomnie, l’autre n’a pas cette en­
durance, car il a pris le pouvoir par
Même pas mal, donc. Le parti a
déposé plainte, jeudi 7 janvier, en
joignant les bandes­vidéo.
Il semble pourtant que le vol est
moins anodin qu’il n’y paraît. Se­
lon nos informations, deux ordi­
nateurs contenant des données
sensibles ont été emportés : dans
l’un, des éléments du fichier
d’adhérents ; dans l’autre, des no­
tes sur la stratégie politique du
PS, des comptes rendus de ren­
contres et autres détails sur les
rendez­vous du premier secré­
taire. La stupeur a gagné les rangs
quand les premiers arrivés se
sont rendus à l’évidence : « Ce qui
0123
SAMEDI 9 JANVIER 2021
le biais des circonstances. » Pour
elle, « il n’y a rien de commun entre
l’homme des conquêtes sociales,
qui défendait les services publics,
et celui qui n’a eu de cesse de les dé­
truire jusqu’à ce qu’il soit rattrapé
par la crise sanitaire ».
Si les emprunts idéologiques
sont rares, le sujet qui rapproche
le plus ces deux lettrés reste leur
engagement européen. Fin dé­
cembre, dans L’Express, M. Ma­
cron a d’ailleurs salué François
Mitterrand et sa « grande intui­
tion » qui était de tenter de « dé­
passer » le « doute existentiel » de
la France « par le rêve européen ».
Lors de son premier discours
après avoir été élu, le fondateur
d’En marche ! s’était mis dans les
pas de son prédécesseur, avec le
choix d’une mise en scène, au
Louvre, rappelant l’arrivée du
président socialiste au Panthéon
en 1981. Ces derniers mois, le pre­
mier a aussi repris le slogan du
second, « La France unie », pour
afficher une posture de rassem­
bleur. M. Mitterrand l’avait
adopté en 1988, pour sa campa­
gne de réélection. Avec succès.
Reste à voir si M. Macron connaî­
tra le même sort. 
alexandre lemarié
a été dérobé dit beaucoup de
choses de nous. »
La direction semble bien plus
ennuyée qu’elle ne veut l’admet­
tre. Car ce cambriolage tombe mal
en termes de timing. Le PS devait
conclure dans les prochaines se­
maines son échange de locaux
avec la Fondation Jean Jaurès et
préparer son déménagement à la
cité Malherbes, à Paris, en laissant
le siège d’Ivry pour les archives du
think tank. « Cela montre au
moins qu’on n’est pas morts et
qu’on s’intéresse encore à nous »,
s’amuse un salarié. 
sylvia zappi
0123
SAMEDI 9 JANVIER 2021
Benzema renvoyé
devant le tribunal
correctionnel
Le footballeur est accusé de « complicité
de tentative de chantage » dans l’affaire
de la « sextape » de Valbuena
A
u sommet de son art
avec le Real Madrid, le
footballeur Karim Ben­
zema, 33 ans, va devoir
honorer un rendez­vous judiciaire
malgré son agenda chargé sur le
plan sportif. Jeudi 7 janvier, le par­
quet de Versailles a confirmé le
renvoi de l’ex­attaquant des Bleus
devant le tribunal correctionnel
de Versailles du chef de « compli­
cité de tentative de chantage »
dans le cadre de l’affaire de la « sex­
tape » et du chantage présumé sur
le milieu international français
Mathieu Valbuena.
En fonction de l’évolution de la
situation sanitaire liée à l’épidé­
mie de Covid­19, le procès de
M. Benzema, mis en examen en
novembre 2015 pour « complicité
de tentative de chantage et partici­
pation à une association de mal­
faiteurs », pourrait avoir lieu dans
les prochains mois. Selon le code
pénal, le joueur encourt jusqu’à
cinq ans de prison et 75 000 euros
d’amende. « Bon, alors c’est pour
quand la mascarade, hein ? », a­t­il
ironiquement réagi sur Insta­
gram. Le parquet de Versailles in­
dique que les autres protagonistes
de l’affaire mis en examen sont
renvoyés devant le tribunal cor­
rectionnel pour « tentative de
chantage ». Il s’agit de Karim Ze­
nati, un ami d’enfance de M. Ben­
zema, de Mustapha Zouaoui, l’un
des maîtres chanteurs présumés,
Marine Le Pen critiquée pour son soutien à Donald Trump
Accusée de jeter de l’huile sur le feu, la présidente du RN a fini par reconnaître la victoire de Joe Biden aux Etats­Unis
L’ ensemble des responsa­
bles politiques ont sé­
vèrement critiqué Mari­
ne Le Pen, jeudi 7 janvier, alors
qu’elle a – enfin – reconnu la vic­
toire de Joe Biden à l’élection pré­
sidentielle américaine. La prési­
dente du Rassemblement natio­
nal (RN) est accusée de jeter de
l’huile sur le feu. L’affaire est sans
doute un peu plus compliquée, et
Marine Le Pen, une fois encore,
jongle avec une base qui n’est pas
toujours sur sa ligne. Elle a
condamné d’une main, avec des
accents républicains, l’invasion
du Capitole et, de l’autre, s’est ef­
forcée de ne pas creuser le fossé
avec ses sympathisants.
Le député européen La Républi­
que en marche Stéphane Sé­
journé a qualifié la présidente du
Questions
politiques
ALI BADDOU, CARINE BÉCARD, FRANÇOISE FRESSOZ ET NATHALIE SAINT-CRICQ
EN DIRECT SUR FRANCE INTER ET FRANCEINFO TV (CANAL 27)
DIMANCHE 10 JANVIER À 12H
FLORENCE PARLY
MINISTRE DE LA DÉFENSE
ainsi qu’Axel Angot (également
renvoyé pour « abus de con­
fiance ») et Younes Houass, autres
maîtres chanteurs présumés.
« Un non­lieu général a été or­
donné du chef d’association de
malfaiteurs qui était visée au réqui­
sitoire introductif », précise le par­
quet de Versailles. Djibril Cissé fait,
lui, l’objet d’un non­lieu du chef de
« complicité de tentative de chan­
tage ». En juillet 2020, le parquet
n’avait pas demandé le renvoi de
l’ex­attaquant international fran­
çais, placé en garde à vue en octo­
bre 2015 puis mis en examen
en 2017. L’ancien joueur avait in­
formé M. Valbuena de l’existence
de la vidéo intime le montrant
avec sa compagne.
Six conversations téléphoniques
« Je ne suis pas surpris. Il s’agit d’une
décision absurde mais prévisible.
Elle s’inscrit dans la lignée de
l’acharnement contre mon client
depuis l’origine de cette affaire, es­
time Me Sylvain Cormier, l’avocat
de M. Benzema. Il est édifiant de
constater que le juge d’instruction
est obligé de dénaturer les éléments
du dossier pour tenter de justifier le
renvoi de mon client devant le tri­
bunal. » Avocat de Mathieu
Valbuena, Me Paul­Albert Iweins
assure que son client « est la vic­
time depuis l’origine de l’affaire, n’a
d’animosité à l’égard de personne
mais a toujours souhaité que la jus­
RN de « pyromane » ; Valérie Pré­
cresse, la présidente de la région
Ile­de­France, a estimé que « ceux
pour qui Trump est un modèle en
France devraient y réfléchir à deux
fois » ; les sénateurs du groupe
communiste ont déclaré que ces
violences sont « l’aboutissement
d’années de complaisance vis­à­
vis de l’extrême droite ». Jean­Luc
Mélenchon (La France insou­
mise) a demandé au RN et à sa
présidente de « retirer leur soutien
à Trump », et voit dans ces émeu­
tes « une tentative de putsch d’ex­
trême droite ».
Volée de Tweet
Il n’y a guère de doute que nom­
bre de sympathisants du RN se
sont réjouis des émeutes du
Capitole sur les réseaux sociaux.
Mathieu
Valbuena
et Karim
Benzema,
en 2014.
FRANCK FIFE/AFP
tice passe et que vérité soit faite lors
d’une audience publique, laquelle
va donc avoir lieu ».
L’affaire commence en juin 2015
lorsque M. Valbuena dépose
plainte après avoir été contacté par
un individu qui lui proposait un
arrangement en échange de la
non­divulgation d’une « sextape ».
Un commissaire de la police judi­
ciaire est alors chargé par le pro­
cureur de Versailles de jouer les in­
termédiaires pour identifier les
maîtres chanteurs présumés (Axel
Angot, Mustapha Zouaoui et You­
nes Houass) et les interpeller. Sous
le pseudonyme de « Lukas », il va
multiplier les échanges avec les
malfaiteurs présumés.
Six conversations téléphoniques
sont enregistrées par la police en­
tre juin et octobre 2015. Elles ont
permis d’identifier Karim Zenati,
un ami d’enfance de Karim Ben­
zema. M. Zenati est placé en garde
à vue le 2 novembre 2015, puis mis
en examen. Il aurait été chargé par
Aymeric Durox, le délégué RN de
Seine­et­Marne, doute ainsi de
l’importance de la séquence.
« Evénement historique ?, a tweeté
le militant. En 1967, des Black Pan­
thers ont envahi le Capitole de
l’Etat de Californie avec des armes
de guerre. Bilan : 0 mort. Au­
jourd’hui : 4 pro #Trump tués. Ça
doit être ça ce qu’on appelle “le pri­
vilège blanc”. »
L’assistant parlementaire du
sénateur RN Stéphane Ravier est
sur la même longueur d’onde :
« Deux émeutes, deux ambian­
ces », a tweeté Antoine Baudino,
en publiant d’un côté la photo
d’un trumpiste les pieds sur le
bureau de la présidente de la
Chambre des représentants,
Nancy Pelosi, de l’autre des
émeutiers noirs en train de frap­
les maîtres chanteurs de contacter
l’attaquant de l’équipe de France
afin que ce dernier évoque la « sex­
tape » avec son coéquipier en sé­
lection. Trois jours plus tard, Ka­
rim Benzema est mis en examen
et placé sous contrôle judiciaire : il
est soupçonné par les enquêteurs
d’avoir fait pression sur Mathieu
Valbuena, en octobre 2015, lors
d’un rassemblement des Bleus à
Clairefontaine (Yvelines), afin que
ce dernier trouve un arrangement
avec les maîtres chanteurs.
Ce tournant judiciaire et la publi­
cation par Europe 1 de la retrans­
cription d’un échange téléphoni­
que entre M. Benzema et M. Zenati
ont incité Noël Le Graët, le prési­
dent de la Fédération française de
football (FFF), à suspendre provi­
soirement Karim Benzema de la
sélection, en décembre 2015. « Ce
qui est dans le dossier n’est pas en la
faveur de Benzema », estimait alors
le patron de la FFF. L’instance ve­
nait de se porter partie civile dans
per une voiture renversée sur
fond d’incendie. Christian Leche­
valier, conseiller régional RN de
Bretagne, a tweeté : « Ce chaos a
été provoqué par les scandaleuses
irrégularités de vos amis démo­
crates, couvertes par vos confrè­
res journalistes ! »
Une certaine indulgence
Marine Le Pen, qui avait encore af­
firmé, le 11 novembre, qu’elle ne
reconnaissait « absolument pas »
la victoire de Joe Biden, parce que
« lorsqu’il existe des recours, il faut
que la justice puisse trancher »,
s’est efforcée de retomber sur ses
pieds, jeudi 7 janvier, lors de
l’émission « Les 4 Vérités », sur
France 2. Elle a, pour la première
fois, admis la défaite de Donald
Trump. « A partir du moment où
Depuis sa mise en
examen en 2015,
Benzema n’a
pas été rappelé
en équipe de
France. Tout
comme Valbuena
cette affaire. A l’annonce du renvoi
de M. Benzema devant le tribunal
correctionnel, l’avocat de la FFF,
Me Benjamin Peyrelevade, a indi­
qué que celle­ci « n’avait pas de
commentaire à faire en l’état et al­
lait prendre le temps d’analyser l’or­
donnance de renvoi ».
En accord avec le sélectionneur,
Didier Deschamps, M. Le Graët
avait décidé, en avril 2016, que
le joueur du Real Madrid ne dis­
puterait pas l’Euro, organisé dans
l’Hexagone. Depuis novem­
la certification des votes est effec­
tuée, il n’y a aucune difficulté pour
moi à admettre que M. Biden est
président des Etats­Unis. »
Elle s’est déclarée « extrême­
ment choquée » de l’invasion du
Capitole, « tout acte de violence
qui vise à attenter au processus dé­
mocratique est évidemment inad­
missible ». La présidente du RN as­
sure cependant ne pas confondre
les émeutiers avec les électeurs de
Trump, pour qui elle a encore de
l’indulgence : le président défait
n’aurait simplement « pas mesuré
la portée de ses propos sur une
partie de ces gens, que la défaite a
exacerbé, et par les fraudes, aux­
quelles il croit » – et auxquelles a
longtemps cru le RN.
Mais, comme ses troupes, elle
s’est indignée « que le Tweet d’ap­
france | 11
bre 2015 et sa mise en examen, le
buteur des Merengue n’a plus ja­
mais été rappelé en équipe de
France. Tout comme M. Valbuena.
En marge de ces enjeux sportifs,
l’affaire a donné lieu à une longue
bataille juridique. En 2017, la
chambre criminelle de la Cour de
cassation infirmait une décision
de la cour d’appel de Versailles qui
avait validé la procédure. Les avo­
cats de l’attaquant remettaient en
cause le rôle de « Lukas », qui aurait
participé de façon « trop active à la
commission des faits » et ainsi « in­
cité à l’infraction ».
En novembre 2018, la cour d’ap­
pel de Paris a toutefois validé l’en­
quête. Puis, la Cour de cassation,
réunie en assemblée plénière, a
fait de même, en décembre 2019.
Le renvoi de Karim Benzema de­
vant le tribunal correctionnel est
une nouvelle étape de cette saga
judiciaire qui s’étire sur plus de
cinq années. 
rémi dupré
pel au calme de Donald Trump ait
été censuré par Twitter ». Et est
passée des émeutiers américains
aux « anarchistes » français des
black blocs, « qui font l’objet d’une
forme de complaisance de la part
du pouvoir ». Marine Le Pen n’a
enfin pas apprécié l’attaque
d’Emmanuel Macron, qui avait
déclaré solennellement que « la
liberté est aujourd’hui menacée
dans nos démocraties ». « Mais la
liberté n’est menacée dans aucun
pays européen, a réagi la prési­
dente du parti. Ce que je souhaite­
rais, c’est que le président de la
République n’ait pas la tentation
d’importer en France le pire de ce
que l’on fait aux Etats­Unis, c’est­
à­dire la division politique, les divi­
sions ethniques. » 
franck johannès
TV canal 27
© photo : Christophe Abramowitz

12 | france
Sciences Po, cœur du pouvoir d’Olivier Duhamel
Le constitutionnaliste, accusé d’inceste, influence depuis trente ans l’école des élites et ses directeurs
L
es accusations d’inceste
de Camille Kouchner con­
tre son beau­père Olivier
Duhamel ont décapité
d’un coup ce qui fait le cœur des
élites françaises : Sciences Po et Le
Siècle. Autant dire l’école du pou­
voir et le club de la nomenklatura.
Au sommet de l’une et de l’autre
de ces deux institutions, le consti­
tutionnaliste, visé par une en­
quête pour « viols et agressions
sexuelles », y incarnait une forme
de permanence des coteries fran­
çaises, transpartisanes et intem­
porelles. Au Siècle, on lui trouvera
sans difficulté un remplaçant.
Mais l’affaire ébranle bien plus
durement Sciences Po dont il
était, à travers la présidence de la
Fondation nationale des sciences
politiques (FNSP), l’un des diri­
geants influents.
Dans cette école, qui a vu passer
cinq présidents de la République,
des quantités de ministres, bon
nombre de patrons et des journa­
listes en pagaille, le scandale pa­
raît toujours raconter – même in­
justement – les travers de la fine
fleur du pays. Il résume en tout
cas ce qu’était le pouvoir de ce
professeur que rien n’a ébranlé
pendant si longtemps.
A Sciences Po, Olivier Duhamel
est une sorte de diva depuis plus
de trente ans. Bien avant de deve­
nir l’un de ses dirigeants, il y a
donné le cours­phare sur les insti­
tutions publiques, dispensé aux
premières années. Mais il a tou­
jours été bien plus qu’un bon pé­
dagogue. Au sein de l’école de
l’élite, il appliquait ce qu’il ne dis­
pense pas dans ses cours : une
science du réseau qui est, plus ef­
ficacement que la connaissance
du droit, le moteur du pouvoir.
Péché véniel
A son arrivée, à la fin des années
1980, il n’est pourtant que simple
maître de conférences. Mais ce fils
de ministre tutoie tout de suite les
instances dirigeantes. Tout va en­
suite très vite. En 1991, c’est à lui
que le patron de Sciences Po, Alain
Lancelot, s’adresse pour parrainer
au Siècle, dont il est membre de­
puis plusieurs années déjà, celui
qui passe pour son dauphin, le
jeune Richard Descoings. Bon in­
vestissement. En 1996, « Richie »,
comme les étudiants surnom­
ment Descoings, devient direc­
teur de Sciences Po. Et choisit
Olivier Duhamel comme « con­
seiller spécial ».
C’est la première fois qu’un di­
recteur est épaulé par un « special
advisor, comme en ont les prési­
dents américains », se flatte Oli­
vier Duhamel. La nomination fait
pourtant tiquer quelques­uns.
Dans les fiches d’évaluation que
les étudiants remplissent chaque
année sur leurs profs (la réforme a
été impulsée par Richard Des­
coings), plusieurs élèves ont ex­
Frédéric Mion ne veut pas démissionner, malgré les demandes
Le directeur de Sciences Po, informé des accusations contre Olivier Duhamel dès 2019, a rencontré les représentants étudiants jeudi
F rédéric Mion a affirmé sa
résolution de ne pas démis­
sionner, jeudi 7 janvier, au
lendemain des révélations du
Monde établissant que le direc­
teur de Sciences Po avait eu con­
naissance, en 2019, des accusa­
tions d’inceste à l’encontre du po­
litologue Olivier Duhamel, qui a
quitté ses fonctions de président
de la Fondation nationale des
sciences politiques (FNSP), lundi
4 janvier. Jeudi matin, quelques
dizaines d’étudiants de l’UNEF, So­
lidaires et Nova ont manifesté et
appelé le directeur à quitter son
poste face à « la honte » d’être
« complice » d’un « pédophile ».
Lors d’une rencontre avec les
élus étudiants jeudi après­midi, et
Au sein de l’école
de l’élite, Olivier
Duhamel
appliquait ce qu’il
ne dispense pas
dans ses cours :
une science
du réseau
pliqué que le professeur Duhamel
utilisait leurs travaux pour écrire
des pans entiers de ses livres…
Péché véniel, balaie « Richie », qui
s’enthousiasme : « Olivier connaît
tout le monde ! »
C’est vrai. Duhamel n’appar­
tient pas à la haute fonction publi­
que comme le conseiller d’Etat
Descoings, mais il possède mieux
qu’un passeport au sein des
grands corps de l’Etat : une cama­
raderie de longue date avec bon
nombre de ministres, de patrons,
de journalistes en vue. Le Parti
socialiste l’a d’ailleurs investi,
en 1997, pour devenir député
européen. Cela ne l’empêche pas
de continuer à assurer ses cours
sur le droit constitutionnel et la
politique comparée. Au sein du
conseil d’administration de la
FNSP, il est toujours là pour défen­
dre les transgressions de son pa­
tron. Des parents viennent se
plaindre. « Richie » envoie des
messages enflammés à leur fils,
élève de première année. « Le gar­
çon est majeur ! », répond Duha­
mel à une secrétaire de l’adminis­
tration qui s’inquiète d’une possi­
ble accusation de harcèlement et
d’un abus de pouvoir.
Lorsque Descoings propose de
confier à Dominique Strauss­
Kahn (DSK) son grand cours
d’économie de première année,
pour la rentrée 2000, Olivier
Duhamel, ami de DSK et surtout
d’Anne Sinclair, mène campagne
dans les médias et au sein de l’ins­
titution pour l’ancien ministre de
l’économie. Le conseil d’adminis­
tration hésite. Un an et demi plus
tôt, DSK, pris dans le scandale de
la Mutuelle nationale des étu­
diants de France (MNEF), a dû dé­
missionner de Bercy. Il est alors
soupçonné de « corruption pas­
sive » dans l’affaire de la mutuelle
étudiante, mais aussi mis en exa­
men pour « recel d’abus de biens
sociaux » dans l’affaire Elf. Peut­il,
dans ces conditions, enseigner à
des étudiants ? « Achetons­le à la
baisse et, s’il devient président de
la République un jour, ce sera for­
midable », répète Duhamel.
A Strauss­Kahn, Descoings et
son conseiller spécial passent
tout. L’ancien ministre de l’éco­
nomie se voit accorder une prime
exceptionnelle et l’on ferme les
yeux sur sa manie de draguer
les étudiantes. Une fois directeur
alors qu’il avait indiqué au Monde
mercredi soir être « prêt à subir les
conséquences » de sa « faute » liée à
un « manque de discernement »,
M. Mion a exclu de se retirer. « Il a
affirmé qu’il ne “quitterait pas le
navire”, rapporte Thomas Le Corre,
représentant de l’UNEF au conseil
de l’Institut. On a été très surpris,
car le contenu de ce qu’il disait pou­
vait aboutir à l’annonce d’une dé­
mission, mais il a fini par dire que
ce serait trop facile et que cela ne
servirait pas la communauté. »
Pour le directeur de l’institut
d’études politiques, les accusa­
tions d’inceste rapportées par
l’enseignante et ex­ministre Auré­
lie Filippetti fin 2019 restaient
une « rumeur ». C’est ainsi qu’il ex­
Olivier Duhamel, à Science Po Paris, le 19 mai 2016. STEPHANE DE SAKUTIN/AFP
général du Fonds monétaire in­
ternational (FMI), DSK continue
d’ailleurs d’aider Sciences Po en
animant, avec Anne Sinclair, de
Washington, des soirées de ré­
colte de fonds pour l’école.
Quand, un an après la chute du
patron du FMI, accusé de viol par
une employée du Sofitel de New
York, Richard Descoings est re­
trouvé mort dans une chambre
d’hôtel de Manhattan, Olivier Du­
hamel est encore là pour défendre
le bilan de « Richie » et les primes
faramineuses que ce dernier s’est
octroyées, ainsi qu’à son épouse,
Nadia Marik, et aux membres de la
direction. Le constitutionnaliste le
fait avec la morgue qui est dans
son caractère. Dans Libération, le
voilà qui s’emporte contre les jour­
nalistes, « érigés en procureurs des
mœurs », qui enquêtent sur DSK et
s’interrogent sur Descoings.
Invité des Macron à La Rotonde
Duhamel agace, avec ses maniè­
res tour à tour enjôleuses ou bru­
tales, mais Sciences Po est un pe­
tit monde où les intérêts s’entre­
croisent. Avec le président de la
FNSP d’alors, Jean­Claude Casa­
nova, et celui du conseil de direc­
tion, Michel Pébereau, tous deux
des libéraux affirmés, l’ex­élu so­
cialiste Olivier Duhamel se dé­
mène pour organiser la succes­
sion de Descoings et empêcher
tout droit d’inventaire sur un
héritage qui est aussi le leur.
« Je n’ai à aucun
moment
contribué
à l’édification
du silence »
FRÉDÉRIC MION
directeur de Sciences Po
plique la « stupeur » affichée dans
son message du 4 janvier aux étu­
diants, enseignants et salariés de
Sciences Po, au moment où l’af­
faire a été révélée.
Dans une déclaration interne en­
voyée à la communauté de Scien­
ces Po jeudi après­midi, Frédéric
Directeur général de l’enseigne­
ment scolaire, ancien recteur de
l’académie de Créteil, Jean­Michel
Blanquer paraissait être le
meilleur candidat ? Il est éliminé
d’emblée. Comme le professeur
de sciences politiques Dominique
Reynié, le président de l’univer­
sité Paris­II Louis Vogel, l’écono­
miste Jean Pisani­Ferry ou le pré­
sident de Sciences Po Lille,
Pierre Mathiot.
L’ancien compagnon de Ri­
chard Descoings et patron de la
SNCF Guillaume Pepy, mais aussi
le secrétaire général du Conseil
constitutionnel, Marc Guillaume,
qui codirige la revue Pouvoirs
avec Olivier Duhamel, ont une
autre idée : Frédéric Mion. Con­
seiller d’Etat comme l’était Des­
coings, il a autrefois dirigé la sec­
tion Service public de Sciences Po.
Pour autant, il n’a pas postulé lors
de la première procédure de re­
crutement. Son projet tient
d’ailleurs en trois pages de pures
généralités. Aucune importance.
« Manifestement, ce qui se jouait
n’avait rien à voir avec une quel­
conque réforme de l’institution.
C’était même le contraire », témoi­
gne l’un des recalés de l’époque.
Duhamel n’a jamais eu peur de
s’engager. Il fait donc campagne
pour ce quadragénaire qui pro­
met d’être plus policé que « Ri­
chie » et de préserver son héri­
tage. En 2013, Frédéric Mion est
nommé directeur de Sciences Po.
Mion se justifie encore. « Sans
preuve tangible, sans élément pré­
cis, j’avais peine à imaginer que
cette rumeur puisse avoir le moin­
dre fondement. J’ai néanmoins
tenté, face à la suspicion de faits
aussi ignobles qu’incertains, d’en
savoir davantage », détaille le di­
recteur. Il rapporte avoir rencontré
un « proche d’Olivier Duhamel »,
l’avocat Jean Veil, qui lui indique
alors « avec fermeté que cette ru­
meur était sans fondement ». Il
ajoute s’être « assuré, au plan in­
terne, [qu’]aucun agissement délic­
tueux » n’avait fait l’objet d’un si­
gnalement au cours des années où
M. Duhamel donnait des cours.
« Aurais­je pu ou dû agir diffé­
remment ? La question peut se po­
Olivier Duhamel
possède une
camaraderie
de longue date
avec bon nombre
de ministres,
de patrons,
de journalistes
Un an plus tôt, l’élection de Fran­
çois Hollande à la présidence de la
République a renforcé l’entregent
d’Olivier Duhamel. Il connaît le
chef de l’Etat de longue date,
comme le secrétaire général de
l’Elysée, Jean­Pierre Jouyet. C’est
d’ailleurs Duhamel qui plaide
auprès du président, avec la nou­
velle directrice de la stratégie et du
développement de Sciences Po,
Brigitte Taittinger, épouse de
M. Jouyet, pour que le ministère
de la défense vende à Sciences Po
l’hôtel de l’Artillerie, au cœur de
Paris. Bernard Arnault, le patron
de LVMH, qui en proposait un prix
plus élevé, doit s’incliner.
Autant dire qu’en 2016, lorsque
Jean­Claude Casanova cède la pré­
sidence de la FNSP, personne ne
conteste Olivier Duhamel. C’est
un poste d’influence, plus que de
véritable décision. Frédéric Mion
s’en accommode fort bien : il
n’aime ni les conflits ni l’inconnu.
ser et je suis prêt à en débattre »,
s’interroge Frédéric Mion avant
de trancher : « Je n’ai à aucun mo­
ment contribué à l’édification du
silence. »
Une source proche du dossier
ironise : « Frédéric Mion se justifie
tellement qu’il finit par s’accuser !
Quand une ex­ministre vous re­
monte de tels soupçons, vous fai­
tes plus que consulter un avocat
proche d’Olivier Duhamel. Le direc­
teur savait pertinemment qu’il lui
était possible de diligenter une en­
quête du renseignement. Il en
avait parfaitement les moyens. »
Les élus étudiants devraient
être convoqués avec les membres
du conseil de l’Institut et ceux de
la commission de la vie étudiante,
0123
SAMEDI 9 JANVIER 2021
Avec son habituel sens des ré­
seaux, le constitutionnaliste a
rencontré, grâce à Laurent Bigor­
gne, qui fut autrefois le second de
Descoings et dirige désormais
l’Institut Montaigne, le ministre
de l’économie, Emmanuel Ma­
cron, et son épouse, Brigitte. En
février 2017, alors que son
épouse, Evelyne Pisier, meurt, il
se noie dans la campagne électo­
rale. Au mois de mai, Sciences Po
est aux anges : Duhamel a été l’un
des invités des Macron à La
Rotonde, dans l’entre­deux­
tours, et Frédéric Mion est un ami
intime du futur premier ministre
Edouard Philippe.
Lors des conseils d’administra­
tion de l’école, les deux hommes
se font la bise et se donnent du
« cher ami ». En 2019, l’ancienne
ministre de la culture Aurélie
Filippetti a pourtant rapporté au
directeur de Sciences Po les accu­
sations d’inceste dont le prési­
dent de la FNSP fait l’objet. Jean
Veil, l’avocat dont Olivier Duha­
mel est l’associé, a­t­il confié à ce
dernier que Frédéric Mion s’en
était inquiété auprès de lui ?
Le constitutionnaliste ne mon­
tre en tout cas aucune inquié­
tude. Pas plus que le patron de
Sciences Po, qui lui confie même
la leçon inaugurale à la rentrée
2020. Tous deux continuent à
diriger l’école du pouvoir.
Comme si de rien n’était. 
raphaëlle bacqué
vendredi 8 janvier, pour deux réu­
nions exceptionnelles. « Nous en
reparlerons calmement avec Fré­
déric Mion, espère Antonin Fer­
reira, élu de l’UNI, pour qui la
question de la défaillance de la
gouvernance doit être posée.
Pour recréer la confiance, il fau­
drait que le conseil d’administra­
tion de la Fondation nationale des
sciences politiques démissionne. »
Une réunion extraordinaire de
celui­ci se tiendra mercredi 13 jan­
vier pour désigner un président
par intérim. Seul un candidat se se­
rait déclaré parmi les neuf mem­
bres du collège de fondateurs : le
président d’honneur de Renault,
Louis Schweitzer. 
soazig le nevé
0123
SAMEDI 9 JANVIER 2021
« Séparatisme » : les critiques des cultes
La commission chargée d’examiner le projet de loi a mené des auditions cette semaine
U
ne fois n’est pas cou­
tume, les représen­
tants des cultes enten­
dus par la commis­
sion spéciale de l’Assemblée na­
tionale chargée d’examiner le
projet de loi « confortant le respect
des principes républicains »
auraient tous pu citer Bouddha.
Selon Siddhartha Gautama, « un
remède est un remède lorsqu’il est
adapté à la maladie dont on souf­
fre », a indiqué aux députés Oli­
vier Wang­Genh, le président exé­
cutif de l’Union bouddhiste de
France, lundi 4 janvier. Or, les re­
présentants catholiques, protes­
tants, juifs, bouddhistes et ortho­
doxes qui, parmi d’autres person­
nalités, ont été auditionnés au
cours de la semaine – les musul­
mans doivent l’être lundi 11 –, ont
été unanimes pour dire que la po­
tion du gouvernement pour com­
battre le radicalisme islamiste ris­
que d’avoir sur eux, et sur le ré­
gime des cultes en France, de fâ­
cheux effets secondaires.
Avec ce projet, le gouvernement
voudrait apporter plus de trans­
parence à la gouvernance des
« Conseil national des imams » : Macron
appelle à « dépasser les divergences »
Lors de ses vœux aux représentants des cultes, jeudi 7 janvier,
Emmanuel Macron a demandé aux représentants du culte mu-
sulman de « dépasser les divergences » pour parvenir à créer un
« conseil national des imams ». Exigé par l’Elysée pour certifier les
imams et leur formation, le projet de « conseil national »
est en souffrance depuis le retrait, le 28 décembre 2020, de la
Grande Mosquée de Paris, l’une des neuf fédérations membres
du Conseil français du culte musulman.
Fusillade des Aubiers, à Bordeaux :
quatre jeunes mis en examen
Les victimes des tirs, qui ont tué un adolescent, le 2 janvier, semblent
avoir été choisies au hasard, sur fond de bataille entre quartiers
bordeaux ­ correspondance
Q uatre jeunes, âgés de 18 à
21 ans, ont été mis en exa­
men pour « meurtre » et
« tentatives de meurtre
en bande organisée », « participa­
tion à une association de malfai­
teurs en vue de la préparation
d’un crime », moins de cinq jours
après la fusillade survenue sa­
medi 2 janvier, dans la cité borde­
laise des Aubiers, située en plein
quartier de reconquête républi­
caine (QPR). Un adolescent avait
été tué et quatre autres blessés par
balles, tirées en rafale par un pis­
tolet­mitrailleur de calibre 9 mm
qui avait laissé une quarantaine
de douilles au sol.
Le parquet a ordonné l’ouver­
ture d’une information judiciaire
et demandé le placement en dé­
tention provisoire des quatre sus­
pects. « Lors de leurs auditions, les
mis en cause ont contesté toute im­
plication dans la commission des
faits criminels », a révélé la procu­
reure de la République, Frédérique
Porterie, dans un communiqué.
« Néanmoins, les auditions et ana­
lyses techniques diligentées ont
permis de réunir des éléments gra­
ves et concordants à leur encontre,
suffisants pour ordonner leur dé­
fèrement », précise le parquet, qui
fait partir la date de prévention
pour l’association de malfaiteur
au 23 novembre, date à laquelle la
voiture noire ayant transporté les
agresseurs sur le lieu du crime a
été volée.
Plus les enquêteurs de la direc­
tion zonale de la police judiciaire
Sud­Ouest interrogent les faits et
plus il apparaît que Lionel, qui ve­
nait d’avoir 16 ans, n’était pas une
cible in personam, mais est de­
venu une victime collatérale
mosquées pour prévenir les déri­
ves radicales. Alors que les cultes
chrétien et juif ont placé la plu­
part de leurs associations sous le
régime spécifique de la loi de
1905, les mosquées sont très ma­
joritairement gérées par des asso­
ciations relevant de la loi généra­
liste de 1901, moins exigeante en
termes d’obligations. L’objectif af­
fiché par l’exécutif est de pousser
les associations musulmanes à
migrer vers le régime de 1905 tout
en renforçant les contrôles qui
l’encadrent.
Accumulation des contraintes
D’après les responsables religieux,
le projet aurait précisément l’effet
inverse. La multiplication de nou­
velles exigences rendrait dissuasif
le régime des associations 1905
pour les gestionnaires de mos­
quée qui auraient envisagé de s’y
rallier. Qui pis est, elle rendrait la
vie difficile aux cultes qui s’y
plient depuis cent vingt ans. Dans
sa version actuelle, le texte man­
querait donc sa cible et causerait
des dommages collatéraux. « C’est
un projet qui vise un sujet et qui en
« Il n’y a que
des gamins dans
ce dossier, et
pourtant on parle
bien de meurtre »
ME CHRISTIAN BLAZY
avocat de la défense
d’une escalade des tensions cons­
tatées depuis plusieurs mois en­
tre quartiers, et notamment ceux
des Aubiers et de Chantecrit.
« L’histoire dira quelles étaient les
intentions des tireurs et s’il y a eu
erreur sur les personnes », attend
Me Yann Herrera. L’avocat épaule
les parents de Lionel qui sont « en
plein chaos » et doivent composer
entre leur souffrance et l’impa­
tience de la cité qui réclame ven­
geance. Dès dimanche, une vérita­
ble chasse à l’homme s’est enga­
gée sur les réseaux sociaux où les
photos de jeunes désignés par la
rumeur ont été diffusées, avec
promesse de récompense contre
toute information. Les quatre jeu­
nes déférés y figuraient.
« Surenchère »
Lionel, élève en lycée profession­
nel, est décrit par ses proches
comme un jeune souriant, en­
gagé, passionné par le foot et
n’ayant jamais posé de problème.
« Oui, avec ses copains, il était un
peu souple avec le couvre­feu,
mais c’est aussi leur seule sou­
pape », fait valoir Me Herrera.
« Cela leur permettait de se voir, de
parler et de gagner trois sous en
vendant des biscuits et des canet­
tes en bas des immeubles. La majo­
rité des gens des Aubiers pensent
que ces jeunes étaient au mauvais
« Le projet de loi
touche ceux qui,
précisément,
jouent le jeu de
la République ! »
FRANÇOIS CLAVAIROLY
président de la Fédération
protestante de France
frappe un autre, a résumé le prési­
dent de la Fédération protestante
de France, François Clavairoly.
Effectivement, il existe une menace,
mais le projet de loi touche ceux qui
précisément jouent le jeu de la
République ! »
Les représentants des cultes
ont critiqué l’accumulation des
contraintes nouvelles qui s’im­
poseront spécifiquement aux as­
sociations cultuelles. L’une les
obligera à obtenir, à leur consti­
tution puis tous les cinq ans, la
reconnaissance par le préfet de
leur caractère cultuel. « Les asso­
ciations existantes devront­elles
formuler une demande ? Celles qui
fonctionnent bien n’ont aucune
raison de se soumettre à quelque
chose qui fait un peu mesquin », a
relevé Haïm Korsia, le grand rab­
bin de France.
Une autre renforce les règles de
délibération interne pour éviter
les prises de contrôle hostiles
– mais elles ne s’appliquent pas
aux associations 1901, pourtant
les plus vulnérables aux tentati­
ves de putsch. Sont aussi durcis le
contrôle des fonds venus de
endroit au mauvais moment, rap­
pelle l’avocat. Cela laisse le senti­
ment d’une démonstration de
force, de rivalités irrationnelles
plus tournées vers un quartier que
vers des individus en particulier. »
Pour Salem Erchouk, chef du ser­
vice éducatif de l’Ubaps (Union
Bordeaux­Nord des associations
de prévention spécialisée), ces ri­
valités interquartiers, envenimées
par les réseaux sociaux, trouve­
raient leur origine dans « un battle
de rap organisé il y a deux ans avec
la grande audience d’une radio. La
prestation de l’un a été davantage
saluée et depuis c’est la suren­
chère. ». Cela peut être dans les
clips qui « font la course aux vues à
grand renfort de figurants, de
came, de billets, de véhicules incen­
diés et de flingues et pas que des
faux », témoigne un avocat, appelé
dans un autre dossier de fusillade
entre cités. Ou sur la voie publique,
à main armée. Le rap, « formidable
support d’expression », selon Salem
Erchouk, a cristallisé les senti­
ments d’appartenance : « Ces jeu­
nes se connaissent tous, ils fréquen­
tent les mêmes établissements. »
« Il n’y a que des gamins dans ce
dossier et pourtant on parle bien
de meurtre », soupire Me Christian
Blazy, qui défend deux des mis en
examen : « A force de voir des
films, des séries et des clips où les
gangs et les règlements de compte
sont la norme, les jeunes sont dé­
connectés. Ils banalisent tout et ça
donne des gosses qui se tirent
dessus ». L’avocat dit craindre les
représailles pour ses clients.
« Même s’ils n’ont rien à voir dans
l’histoire, même s’ils sont innocen­
tés, dans la tête de ceux qui ont
posté leur photo, ils resteront cou­
pables », assure­t­il. 
florence moreau
france | 13
JUSTI CE
Patrick Balkany en garde
à vue dans une nouvelle
affaire judiciaire
Patrick Balkany a été placé en
garde à vue, mercredi 6 jan­
vier, alors qu’une enquête
pour détournement de biens
d’un dépôt public, abus de
l’étranger et les sanctions des tants des religions ont trouvé à biens sociaux et prise illégale
responsables négligents de ces redire aux nouvelles obligations, d’intérêts a été ouverte par le
associations. comme la possibilité pour les parquet de Nanterre. Entre
« On finit par se demander pour­ services fiscaux de vérifier la 2008 et 2015, un local situé
quoi les associations cultuelles liste nominative des donateurs. dans la commune de Leval­
font l’objet d’un traitement spé­ L’article 6, qui oblige les associa­ lois­Perret (Hauts­de­Seine),
cial », plus sévère que celles des tions recevant des subventions qui n’était pas censé être ex­
autres secteurs de la société, a publiques à signer en contre­ ploité, a été loué à des socié­
glissé Eric de Moulins­Beaufort, le partie un « contrat d’engagement tés, dont des entreprises ap­
président de la Conférence des républicain », a été particulière­ partenant à la fille et au
évêques de France. « Alors que la ment critiqué en ce qu’il subor­ gendre de l’ancien maire. Ce
loi de 1905 devait être attrayante donne l’accès aux subventions à dernier a été relâché dans la
pour de futurs signataires, a ajouté « la sauvegarde de l’ordre public ». soirée de jeudi, mais pourrait
François Clavairoly, la voici ren­ Les cultes chrétiens ont jugé flou être convoqué de nouveau, a
due encore plus sujette à sur­ cet « ordre public ». Ils craignent indiqué une source proche du
veillance et à contrôle ». que ce terme soit utilisé, par dossier, confirmant une infor­
exemple, pour couper les vivres à mation de L’Obs. Les gardes à
Une dominante « répressive » des associations qui viennent en vue de la fille, du gendre et de
« Je ne suis pas sûr qu’en réglemen­ aide aux migrants. Les catholi­ l’ancien directeur de cabinet,
tant trop le culte, on combatte le ques et protestants ont proposé ainsi que d’autres personnes,
terrorisme », a ajouté Joël Mergui, de lui substituer celui de « sécu­ se sont poursuivies dans la
le président du Consistoire cen­ rité publique ». soirée de jeudi. – (AFP.)
tral des communautés juives. Au total, les représentants des
Une considération formulée dans cultes ont cru deviner dans ce Quatre personnes mises
son avis par le Conseil d’Etat a fait projet une dominante « répres­ en examen après la mort
mouche auprès de beaucoup des sive », pour prendre le terme d’un jeune à Saint-Ouen
représentants des cultes, qui l’ont d’Eric de Moulins­Beaufort, qui Quatre hommes âgés de 22 à
citée. « Le projet de loi alourdit les donnerait des croyants l’image 28 ans, soupçonnés d’être im­
contraintes pesant sur les associa­ de « gêneurs ou de personnes qu’il pliqués dans la mort d’un
tions cultuelles et modifie l’équili­ faudrait particulièrement sur­ jeune homme, dimanche soir,
bre opéré en 1905 par le législateur veiller ». « L’immense majorité des à Saint­Ouen (Seine­Saint­De­
entre le principe de la liberté de lieux de culte sont des lieux sains nis), ont été mis en examen,
constitution de ces associations et et ne justifient aucunement de jeudi 7 janvier, pour « meurtre
leur nécessaire encadrement du
fait qu’elles bénéficient d’avanta­
tels traitements », a abondé
Olivier Wang­Genh. « Que le gou­
en bande organisée ». Ils sont
soupçonnés d’avoir participé
ges publics », a écrit l’assemblée vernement ne veuille pas stigma­ à une expédition punitive à
du Palais­Royal. tiser un culte en soi est légitime, a proximité d’un point de trafic
Même les cultes qui recourent argumenté Emmanuel Adama­ de drogue dans la cité Cordon.
aux associations cultuelles (dont kis, président de l’Assemblée des La victime de 26 ans est
l’objet est limité à l’exercice du évêques orthodoxes de France. morte après avoir reçu des
culte) ont aussi besoin des asso­ Mais cette intention risque de coups de couteau et de batte
ciations loi 1901 pour leurs acti­ nuire au libre exercice de l’ensem­ de base­ball. La piste du
vités caritatives, culturelles, édu­ ble des cultes. »  règlement de comptes est
catives. Là encore, les représen­ cécile chambraud privilégiée. – (AFP.)
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 ÉCONOMIE & ENTREPRISE
14 |
Automobile : les fonderies dans la tourmente
Avec la chute du moteur thermique, quelque 40 % des emplois de la filière pourraient disparaître d’ici à 2030
I
l ne reste que dix jours à un
repreneur pour manifester
son intérêt pour la fonderie
MBF Aluminium de Saint­
Claude (Jura), placée en redresse­
ment judiciaire le 4 novembre ;
260 salariés sont en sursis. On es­
père aussi un candidat au rachat
d’ici à la fin janvier à la fonde­
rie FVM de Villiers­la­Montagne
(Meurthe­et­Moselle), 130 sala­
riés, et à la fonderie SAM de Viviez
(Aveyron), 364 salariés, deux
entités rachetées en 2017 par le
chinois Jinjiang International
mais gérées par un administra­
teur judiciaire depuis un an.
Avant Noël, les 292 salariés de
Fonderie du Poitou Fonte ont ap­
pris la fin de leur activité, moins
de deux ans après leur rachat par
Alvance, du groupe britannique
GFG Alliance. Devant la baisse des
commandes, d’autres fonderies
automobiles redoutent des an­
nonces prochaines, comme celles
de Bretagne à Caudan (Morbi­
han), dans le flou depuis le prin­
temps. « Toutes les fonderies sont
dans la tourmente, et en particu­
lier celles qui font de la fonte, un
matériau très résistant mais très
lourd, délaissé par les construc­
teurs de moteurs qui veulent allé­
ger leurs voitures pour réduire
leurs émissions carbone »,
s’alarme Nail Yalcin, délégué CGT
chez MBF Aluminium et respon­
sable fédéral métallurgie, qui suit
le dossier sur le plan national,
pour son syndicat.
Manque d’investissement
La diésélisation de l’industrie
automobile française a accouché
dans les années 1990­2000 d’une
kyrielle de petites fonderies,
viables quand il fallait fournir
tous azimuts, mais désormais en
manque de débouchés, la France
ayant voté la fin de la vente des
moteurs thermiques d’ici à 2040,
leur cœur de métier. Or les inves­
tissements manquent pour se di­
versifier. Malgré leurs promesses,
les repreneurs étrangers repar­
tent souvent une fois aspirées les
aides publiques. « Nous fabri­
quons des pièces pour moteur
hybrides et électriques mais le re­
preneur chinois n’a pas fait les in­
vestissements qui nous auraient
permis de nous équiper des grosses
presses qui nous manquent pour
gagner des marchés », témoigne
Ghislaine Gistau, déléguée CGT
de SAM Jinjiang.
C’est qu’il s’agit d’un métier où
« les marges sont très faibles », rap­
pelle Wilfrid Boyault, directeur
« On nous a donné de l’espoir avec un mensonge, il y a deux ans »
Malgré près de 15 millions d’aides de Renault et des collectivités, le repreneur GFG Alliance n’a pas préparé la diversification prévue du site
C e 26 avril 2019, la ministre
déléguée à l’industrie,
alors secrétaire d’Etat, avait
tenu à venir en personne sur le site
des fonderies du Poitou à Ingran­
des (Vienne) pour saluer la reprise
des deux entités, fonte et alumi­
nium, en redressement judiciaire,
par Liberty House, filiale du
groupe britannique GFG Alliance.
Sur les 732 emplois, 623 étaient
ainsi sauvegardés. « C’est une vic­
toire. Une victoire, ce n’est pas ga­
gner la guerre, mais aujourd’hui on
a une solution positive » déclarait
alors Agnès Pannier­Runacher,
prudente, sur France 3.
Cela n’aura finalement offert
qu’un sursis de dix­neuf mois
aux 292 salariés de la partie fonte :
le 7 décembre 2020, le repreneur a
annoncé l’arrêt de l’activité. Ils
fabriquaient des carters pour les
moteurs diesel et thermiques de
Renault. Les négociations du plan
de sauvegarde de l’emploi (PSE)
ont débuté mercredi 6 janvier.
Fonderies
de Marly,
à Valenciennes
(Nord),
le 23 janvier.
FRANCOIS LO PRESTI/AFP
général de la fédération forges
fonderies qui représente quelque
150 entreprises. De faibles marges
sur lesquelles ces PME doivent
encore rogner sous la pression
des donneurs d’ordres et de la
concurrence des pays à bas coût.
« En difficultés, ces entreprises sont
rachetées à la barre du tribunal de
commerce par un repreneur qui ne
tient que trois ou quatre ans, puis
revend. C’est comme ça depuis
vingt ans », explique M. Boyault.
Ainsi, sans investissement
conséquent, « on n’a fait qu’enfon­
cer un peu plus les sociétés en les
laissant vieillir et devenir moins
fonctionnelles », déplore Nicolas
Turquois, député Modem de la
Vienne, très attentif au devenir
des fonderies du Poitou.
Dans le même temps, les
constructeurs français n’ont
cessé d’augmenter les volumes
commandés à leurs sites installés
dans les pays européens à bas
« Fin août 2019, Renault a revu à
la baisse de 30 % les commandes
promises, le marché iranien
venant de se refermer, justifie
Arnaud Tronche, directeur géné­
ral d’Alvance, nouvelle filiale de
GFG Alliance qui pilote les fonde­
ries. Le Covid a encore dégradé
la situation. Et, en octobre, Re­
nault a décidé de ne pas nous attri­
buer la fabrication de son nouveau
carter [confié à l’espagnol Fagor].
Cela veut dire plus de programme
au­delà de 2021. D’où notre déci­
sion forcée d’arrêter. »
Sortir du diesel
Renault seul coupable ? Les ac­
teurs locaux ont une lecture diffé­
rente. Les syndicats, méfiants,
avaient en effet obtenu en 2019 la
mise en place d’un comité de
suivi de la reprise, une pratique
rare qui a vu représentants des
salariés, dirigeants de l’entreprise,
élus locaux et services de l’Etat se
réunir cinq fois, entre juillet 2019
coût, au détriment des sites fran­
çais. « Le vrai problème, c’est la
stratégie des constructeurs, qui
font monter en charge leurs sites
étrangers plutôt que leurs sites
français pour plus de rentabilité »,
dénonce Nail Yalcin.
Une étude sur le secteur de la
fonderie automobile en France,
commandée par le gouverne­
ment et la filière automobile
(PFA) et livrée en mai 2020 par le
cabinet Roland Berger a permis à
tous les acteurs de prendre cons­
cience de l’urgence de la situation
pour les 380 fonderies françaises.
Elles apparaissent petites et fra­
giles au regard de leurs concur­
rents. GMD, le premier fondeur
français est le 12e en Europe,
quatre fois plus petit que le leader
du marché, le groupe mexicain
Nemak. Mais la filière, impossi­
ble à délocaliser trop loin des
usines automobiles terminales,
c’est­à­dire hors d’Europe, pour­
et octobre 2020. L’initiative a rapi­
dement prouvé son utilité. « On a
pu démontrer à chaque réunion
que les promesses d’investisse­
ment de Liberty n’étaient pas te­
nues, explique Alain Delaveau,
délégué CGT. On nous a donné de
l’espoir avec un gros mensonge, il y
a deux ans. » Un point de vue très
partagé localement. Des élus ra­
content avec sidération la vacuité
des prestations des repreneurs à
ces réunions, qualifiés de « lam­
pistes » ou de « gestionnaires à la
petite semaine ».
La mise en place d’un plan de
diversification pour sortir du die­
sel était l’un des enjeux de la re­
prise. « Renault a versé 11 millions
d’euros et Liberty n’a rien fait ! », ac­
cuse le délégué CGT. « Cela fait des
années que nous soutenons cette
entreprise, presque à bout de bras,
mais des engagements, lorsqu’il y
en a, sont des engagements réci­
proques », avait commenté fin no­
vembre le PDG de Renault, Jean­
rait tout de même avoir un avenir
en France. « Ce peut être une acti­
vité rentable, plaide Marc Mortu­
reux, directeur général de la PFA.
La condition c’est d’avoir une taille
critique pour pouvoir investir
beaucoup et en permanence dans
la recherche et dans des outils
coûteux comme les fours à haute
pression. »
Un lourd tribut
L’étude, qui estime que les fonde­
ries françaises sont en surcapa­
cité de production, suggère ainsi
de reconsolider toute la filière
d’ici à trois ans, avec l’aide de
l’Etat, autour de « deux cham­
pions » – elle cite les français
Saint­Jean et GMD. Ils devraient
s’équilibrer par un « mix » d’im­
plantations dans des pays euro­
péens à bas coût et dans des pays à
haut coût de production.
Une conclusion à laquelle sous­
crivent la fédération des fonde­
Dominique Sénard, auprès des
Echos. Le directeur d’Alvance
affirme, lui, que de nombreux
efforts ont été faits pour tenter, en
vain, de trouver de nouveaux mar­
chés. « Le seul point où je les rejoins
c’est qu’on a été très mauvais sur la
communication de ce qui a été
fait », concède Arnaud Tronche.
Une « planche pourrie »
A Bercy, si on reconnaît que le scé­
nario s’est avéré « plus pessi­
miste » qu’envisagé, on refuse de
« jeter l’opprobre sur un investis­
seur », rappelant les difficultés an­
térieures de l’entreprise et du sec­
teur. « Il y avait l’espoir que ce
groupe puissant dans la métallur­
gie développe ou a minima garan­
tisse l’activité et l’emploi. Mais les
ambitions annoncées ne se sont
pas concrétisées : la diversification
n’a pas été mise en place, l’activité
fonte a décliné progressivement »,
acte pour sa part le sous­préfet de
Châtellerault, Jocelyn Snoeck.
« Des acteurs
hétéroclites de
petite taille ont
peu de chances
de survivre »,
estime-t-on
à Bercy
ries comme les constructeurs.
« L’objectif de cette étude c’était
d’arriver à poser un constat de
façon consensuelle et objective :
des acteurs hétéroclites de petite
taille ont peu de chances de survi­
vre face à un marché si compéti­
tif », conclut­on aussi à Bercy.
Mais le modèle des deux cham­
pions ne se ferait pas sans ferme­
tures de sites en France. Il faut
« accepter qu’on ne pourra pas
sauver tout le monde », dit le rap­
« Les élus, l’Etat, tous ont validé
la reprise par un groupe qui n’a pas
tenu ses engagements. L’Etat est
responsable de cette absence de
plan de stratégie ! », estime Alain
Delaveau. Le député Nicolas
Turquois (MoDem) est lui­même
venu faire son mea culpa devant
les salariés : « Ils n’étaient pas
confiants sur la solution Liberty et
j’ai mouillé ma chemise pour les
convaincre. Aujourd’hui, je recon­
nais que je les ai emmenés sur une
planche pourrie. »
« Il n’y avait pas cinquante re­
preneurs en 2019. Il n’y en avait
qu’un ! », rappelle le sous­préfet.
« Faute de grives, on mange des
merles, ironise le délégué CGT.
Mais on fait ça depuis des années,
ça fait beaucoup d’argent public
dilapidé pour des groupes qui
n’investissent pas ! » L’Etat a fi­
nancé quatorze mois de chô­
mage partiel pour les salariés de
la fonte depuis décembre 2019.
La région a, quant à elle, versé,
0123
SAMEDI 9 JANVIER 2021
port sans pincettes en annonçant
que « 40 % des emplois de la fonde­
rie automobile devraient dispa­
raître d’ici à dix ans », soit plus de
5 000 emplois sur les 13 500 de la
filière. Un lourd tribut à payer
pour les salariés, qui se sentent
« abandonnés ».
D’autant que pour eux, aucun
plan de reconversion d’ampleur
n’est en contrepartie envisagé.
« Ce n’est pas un sujet qui peut se
traiter au niveau national, justifie­
t­on à Bercy. Il faut une approche
par bassin d’emploi, pour les orien­
ter vers les entreprises qui recru­
tent. Celles­là pourront être soute­
nues par le volet “territoires d’in­
dustrie” du plan de relance. »
Contre cette menace sur des mil­
liers d’emplois, des salariés de
toute la France se rassembleront
devant les fonderies du Poitou, à
l’appel de la CGT, le 21 janvier. 
éric béziat
et aline leclerc
sous forme de prêt, 1,7 million
d’euros d’aide à la restructura­
tion financière. Une subvention
de 1,2 million d’euros avait égale­
ment été votée. 360 000 euros
ont été versés dès 2019. « Mais
dans la mesure où rien n’a été fait
par Liberty sur ce projet, nous
n’avons pas versé le solde de
840 000 euros » détaille Hervé
Salomon, responsable de l’unité
entreprises en retournement de
la région Nouvelle­Aquitaine.
Alors que les salariés de la fonte
espèrent que le PSE ouvrira une
réflexion sur leur reconversion,
de grandes inquiétudes entou­
rent désormais l’avenir de la fon­
derie sœur. « Nous sommes cer­
tains que les 400 emplois de la par­
tie aluminium sont aussi menacés
à brève échéance tant la gouver­
nance du groupe est défaillante »,
ont alerté 85 élus locaux, le 10 dé­
cembre, dans une lettre adressée
au premier ministre. 
al. l.
0123
SAMEDI 9 JANVIER 2021
Malgré l’épidémie de Covid­19,
le luxe recouvre la santé
LVMH boucle le rachat du joaillier Tiffany pour 15,8 milliards de dollars.
Les ventes de produits luxueux s’envolent en Chine et sur Internet
C’
est le plus gros chè­
que signé par Ber­
nard Arnault :
15,8 milliards de dol­
lars, soit 12,88 milliards d’euros.
Six mois après la date initiale­
ment prévue et pour un montant
inférieur de 400 millions de dol­
lars à celui de la première offre
conclue en novembre 2019, LVMH
a finalisé l’opération de rachat du
joaillier new­yorkais Tiffany, jeudi
7 janvier. Dans la foulée, le groupe
français a annoncé la nomination
de ses hommes : Anthony Ledru,
au poste de PDG, Alexandre Ar­
nault, fils de Bernard Arnault et
ancien PDG de la marque de vali­
ses Rimowa, au poste de directeur
exécutif, et Michael Burke, PDG de
Louis Vuitton, à la présidence de
son conseil d’administration. An­
cien directeur général adjoint de
Louis Vuitton, M. Ledru remplace
Alessandro Bogliolo, patron de
Tiffany depuis 2017. LVMH ne con­
servera pas non plus Reed Krakoff,
son directeur artistique depuis
trois ans, ni Daniella Vitale, direc­
trice marketing depuis fin 2019.
L’année 2021 sera celle de l’élabo­
ration d’une stratégie pour relan­
cer cette icône fondée en 1886 et
« la faire rayonner », a assuré
M. Arnault, par communiqué.
Rien ne semble désormais s’op­
poser au plan martial du groupe
LVMH pour remodeler Tiffany et
tenter de rivaliser avec Richemont,
propriétaire de Cartier, la pre­
mière des marques de joaillerie au
monde. Car, malgré la crise du Co­
vid qui a terrassé les maisons de
luxe au premier semestre 2020, le
secteur démontrerait depuis sa ca­
pacité à revenir à la normale plus
vite que d’autres industries.
« En 2020, près d’un quart de la va­
leur du marché du luxe s’est volati­
Veolia adresse sa proposition de rachat aux
actionnaires de Suez
« Le rapprochement est inéluctable », estime Antoine Frérot, le PDG de Veolia
L a trêve de fin d’année n’a pas
entamé la détermination
d’Antoine Frérot, PDG de
Veolia, à créer en France le « cham­
pion mondial de la transition écolo­
gique ». « Le rapprochement avec
Suez est inéluctable, il sera irréversi­
ble à l’occasion de la prochaine as­
semblée générale de Suez et défini­
tif une fois que les autorités de la
concurrence se seront pronon­
cées », a­t­il déclaré, jeudi 7 janvier,
lors d’une conférence de presse. Et
cela, dans un calendrier de neuf à
quinze mois. Annoncé le 30 août,
ce rapprochement avait été rejeté
comme « hostile » par les diri­
geants et le conseil d’administra­
tion de la proie. M. Frérot se tourne
vers les administrateurs et les ac­
tionnaires du rival historique de
Veolia dans les services aux collec­
tivités (eau, déchets, énergie…). Il
leur a envoyé une proposition d’of­
fre d’achat sur les 70,1 % des ac­
tions qu’il ne détient pas. Ce do­
cument de cinquante pages con­
tient, dit­il, « l’ensemble des élé­
ments du projet industriel, du
projet social et des conditions fi­
nancières » qui sera présenté à
l’Autorité des marchés financiers
quand l’opération sera lancée.
Réuni en urgence, quelques
heures après, le conseil de Suez a
répondu qu’il appréciera le docu­
ment « au regard des projets alter­
natifs ». Une allusion au projet
élaboré par des fonds d’investis­
« En une année,
la part de marché
de la vente en
ligne est passée
de 12 % à 23 % »
JOËLLE DE MONTGOLFIER
spécialiste en stratégie
lisé », rappelle Joëlle de Montgol­
fier, directrice des études du pôle
luxe et distribution au sein du ca­
binet de conseil Bain & Company.
Mais, aux yeux de cette spécialiste
en stratégie, « la crise du Covid ne
serait qu’un accident de par­
cours pour ce marché dont le taux
de croissance annuelle était de l’or­
dre de 4 % à 6 % ». Dès lors, « grâce à
la persistance de fondamentaux fa­
vorables », il devrait « réatteindre
ces niveaux à l’avenir ».
Trimestre salutaire
De fait, les « résultats enregistrés
au troisième trimestre sont très en­
courageants », observe Luca Solca,
analyste financier chez Bernstein.
Les marques de mode et de maro­
quinerie de LVMH ont renoué
avec la croissance au cours de l’été
(+ 12 % au troisième trimestre).
« Notamment grâce à Vuitton et
Dior », note un porte­parole. Ce
trimestre a aussi été salutaire à
Hermès : l’activité du maroqui­
nier avait enregistré un rebond de
7 %, après une chute de 41,5 % au
deuxième trimestre. Kering, qui
détient notamment Gucci, avait
stoppé l’hémorragie : ses ventes
ont reculé de 1,2 % au troisième
trimestre, après une chute de
43,5 % au deuxième trimestre.
Et le dernier trimestre 2020 − les
chiffres seront dévoilés à partir de
sement, notamment Ardian, qui
doivent hésiter face à la détermi­
nation de M. Frérot. Veolia avait
acquis, le 5 octobre, 29,9 % des
32 % du capital détenus par le
groupe d’énergie Engie pour
18 euros par titre. Le prix qu’il pro­
posera aux autres actionnaires et
qui valorise Suez à 11,3 milliards, a
annoncé M. Frérot.
« Hérésie juridique »
« L’unique obstacle à la réalisation
de notre offre, c’est l’attitude de ce
conseil de Suez, qui joue contre les
intérêts de ses propres actionnai­
res », affirme­t­il. Il n’en adresse
pas moins une longue lettre à son
président, Philippe Varin, où il lui
propose de discuter de plusieurs
points, alors que les ponts sont
coupés entre eux depuis début
octobre. L’avenir de Suez Eau
France (30 000 salariés) est le plus
sensible. Ses activités doivent être
cédées à Meridiam, pour des rai­
sons de concurrence, et ce fonds
d’infrastructures s’est engagé à
les développer. M. Frérot suggère
de renforcer cette branche par
« une présence dans deux ou trois
pays et un chiffre d’affaires inter­
national équivalent au chiffre d’af­
faires en France ».
Les dirigeants de Suez estiment
que, faute de taille critique, cette
activité est condamnée à dépérir.
Ils l’ont logée dans une fondation
de droit néerlandais qui la rend
fin janvier, lors de la présentation
des résultats annuels des groupes
cotés − semble avoir été à la hau­
teur des espérances, notamment
grâce à Internet. La vente en ligne
s’est envolée, en particulier aux
Etats­Unis et en Europe. « En une
seule année, la part de marché de
la vente en ligne est passée de 12 %
à 23 %. C’est­à­dire qu’en 2020, le
marché du luxe en ligne a réalisé
l’équivalent de cinq ans de crois­
sance », note Mme de Montgolfier.
Et la Chine « a été le seul moteur
géographique de l’activité mon­
diale » : les ventes ont « progressé
de 45 % à taux de change courants,
tandis que le marché américain a
reculé de 26 % et que les ventes ont
dévissé de 36 % en Europe et de
34 % dans le reste de l’Asie ». Le
chiffre d’affaires de Kering a ainsi
bondi de 80 % en Chine au troi­
sième trimestre. Même emballe­
ment chez Chanel. « Car, contrai­
rement à beaucoup de pays, l’acti­
vité en Chine ne s’est quasiment ja­
mais arrêtée », rappelle Bruno
Pavlovsky, président des activités
mode de la maison française.
Millésime fort animé
Cette résilience a incité la plupart
des marques de luxe à ne rien
changer de leur stratégie. La pan­
démie n’a « pas donné un coup
d’arrêt aux opérations de crois­
sance externe », note M. Solca.
Moncler a promis de racheter la
marque de sportswear Stone Is­
land, en deux étapes, pour un
montant de 1,15 milliard d’euros.
Supreme, fabricant new­yorkais
de sweat­shirts connu pour ses
collaborations avec Louis Vuitton,
a été repris par l’américain VF pour
2,1 milliards d’euros. Et beaucoup
de marques ont maintenu les
inaugurations de magasins à la
incessible, et bloque donc l’opéra­
tion de fusion. Veolia fait tout
pour éliminer cette « hérésie juri­
dique » qui, selon ses dirigeants et
ses avocats, prive les actionnaires
de Suez de leurs droits et ne pro­
tège en aucune façon l’intérêt so­
cial de l’entreprise.
M. Frérot se dit également prêt à
discuter de l’introduction d’une
offre subsidiaire en titres, limitée
en pourcentage (25 %), pour com­
pléter l’offre principale en numé­
raire. « Elle bénéficierait notam­
ment à nos nombreux actionnai­
res communs et à tous ceux qui
perçoivent clairement la valeur de
notre projet industriel », écrit­il à
M. Varin. Un projet qui coûtera
8 milliards (en plus des 3,4 mil­
liards déjà payés à Engie), finan­
cés par un pool bancaire, le pro­
duit de la cession de Suez Eau
France et une augmentation de
capital de 2 milliards.
Lors de sa conférence de presse,
le PDG de Veolia a aussi réaffirmé
son intention d’intégrer des ad­
ministrateurs de Suez dans son
conseil et « quatre ou cinq de ses
dirigeants » au sein du nouveau
« Comex » de douze à treize mem­
bres. Y compris Bertrand Camus,
directeur général de sa cible, et fer
de lance de la contre­offensive à
l’opération de Veolia. Mais pour
aboutir, prévient M. Frérot, il faut
que le conseil de Suez « désac­
tive » la fondation néerlandaise.
économie & entreprise | 15
veille de Noël à Paris : Sephora
place de l’Opéra et Moncler sur les
Champs­Elysées.
2021 promet d’être un millésime
fort animé. Hermès boucle la ré­
novation de ses magasins de la rue
de Sèvres à Paris, et de Lyon. Ave­
nue Montaigne, Dior inaugurera
un ensemble de 3 000 m², fin 2021,
après des mois de travaux, à son
adresse historique. La marque du
groupe LVMH prépare aussi son
installation sur les Champs­Ely­
sées à la place du siège de la ban­
que HSBC. Place Vendôme, Bul­
gari, autre marque de l’empire Ar­
nault, devrait ouvrir « un
flagship [vaisseau amiral] en mai
ou juin ». Hermès s’installera à De­
troit aux Etats­Unis. Des ateliers de
fabrication sont dans les tuyaux.
Louis Vuitton inaugurera une
deuxième maroquinerie à Ven­
dôme (Loir­et­Cher). Et Hermès re­
crute à tout­va pour ses quatre
nouveaux ateliers, dont un à Mon­
tereau (Seine­et­Marne). Seul Ke­
ring fait preuve de circonspection.
Interrogé par Le Monde, le groupe
estime que « 2021 est pleine d’incer­
titudes » qui, à ce jour, l’empêche
de dévoiler l’agenda de sa dou­
zaine de marques.
« Tout dépend des campagnes de
vaccination », dit Remo Ruffini,
président de Moncler. La situation
du tourisme international est tou­
jours « critique », note Mme de Mon­
tgolfier. L’absence de touristes pè­
se sur l’activité du duty­free, des
boutiques de luxe et des grands
magasins en Europe qui dépen­
dent de la clientèle asiatique. Pour
preuve : bien que prête, La Samari­
taine n’a pas encore arrêté sa date
d’inauguration. LVMH vise tou­
jours le printemps. Soit un an après
la date initialement prévue. 
juliette garnier
Et que sa direction s’engage à ne
pas céder des actifs aussi stratégi­
ques que GE Water ou Agbar, sa fi­
liale espagnole présente dans la
péninsule Ibérique et en Améri­
que latine, ce qui ferait perdre au
mariage Suez­Veolia une partie
de sa raison d’être.
En attendant, Veolia entend ré­
cupérer au plus vite ses droits
d’actionnaire, suspendus par la
justice tant que l’opération n’aura
pas été soumise à la procédure lé­
gale d’information­consultation
des représentants du personnel
de Suez. Or, ses dirigeants « jouent
la montre », s’impatiente­t­on
dans le camp adverse, comme
s’ils voulaient priver Veolia de ses
droits de vote lors de l’assemblée
générale de mai.
Les instances du personnel de
Suez disposent désormais de tou­
tes les informations pour rendre
un avis consultatif, assurent les
dirigeants de Veolia : le 10 décem­
bre, ils ont ouvert une « data
room » avec des documents­clés.
M. Frérot souhaite « rouvrir les dis­
cussions » amorcées il y a trois
mois. M. Varin y semble plus en­
clin que M. Camus. L’intersyndi­
cale de Suez, elle, a déjà opposé
une fin de non­recevoir, campant
sur la certitude qu’il s’agit d’une
opération financière qui débou­
chera inévitablement sur de la
« casse sociale ». 
jean­michel bezat
Un groupe guinéen
reprend l’usine
d’alumines d’Alteo
A Gardanne, United Mining Supply
supprimerait jusqu’à 20 % des effectifs
marseille ­ correspondant
« 2020 a été très
T ristesse et soulagement
ont accompagné, jeudi
7 janvier, l’annonce du ra­
chat d’Alteo, la vieille usine d’alu­
mines de Gardanne (Bouches­du­
dure, car il fallait
sauver l’usine,
2021 le sera,
Rhône), par le groupe d’extraction
car il va falloir
et de logistique minières guinéen sauvegarder
United Mining Supply (UMS).
Tristesse de voir s’arrêter d’ici à un
le maximum
an et demi le procédé Bayer, qui d’emplois »
permet l’extraction de l’alumine à
BRUNO ARNOUX
partir de la bauxite, alors que ce
secrétaire du CSE d’Alteo
site industriel, le premier installé
dans le monde, fonctionne ici de­
puis 126 ans. Soulagement de sa­
voir que, en dépit d’une petite nes haut de gamme à partir d’hy­
centaine de licenciements à venir drates d’alumine qu’il faudra im­
en 2022 – sur les 486 emplois ac­ porter, UMS assure pouvoir « pé­
tuels –, l’usine va continuer à dé­ renniser une activité industrielle de
fendre sa place de leader mondial premier plan et réussir la transition
des alumines de spécialités haut écologique ». Le transfert à UMS de
de gamme destinées à des sec­ la garantie environnementale
teurs de pointe comme les écrans donnée à HIG par Rio Tinto, pro­
de smartphone, les prothèses ou priétaire de l’usine jusqu’en 2012,
les batteries ion­lithium. qui s’engage à prendre en charge
Un an après sa mise en redresse­ les activités de dépollution des si­
ment judiciaire, le 12 décem­ tes de l’usine et de Mange­Garri,
bre 2019, la société Alteo a vu son était un atout décisif, « un critère
plan de redressement validé, jeudi d’appréciation essentiel quant à la
7 janvier, par le tribunal de com­ viabilité du projet de plan de re­
merce de Marseille. Sans surprise, dressement », écrivent les juges.
puisque, à l’audience du 8 décem­ « On va faire en sorte que ça se
bre 2020, le seul concurrent en­ passe bien sur le plan social, an­
core en lice, Xavier Perrier, un an­ nonce Bruno Arnoux, secrétaire
cien dirigeant de l’usine, avait jeté du comité social et économique
l’éponge, faute de financement. d’Alteo. 2020 a été très dure car il
Cette offre prévoyait le maintien fallait sauver l’usine, 2021 le sera
de la totalité de l’activité indus­ tout autant car il va falloir sauve­
trielle et de l’ensemble des em­ garder le maximum d’emplois. »
plois. Il ne restait plus que UMS, Dans son jugement, le tribunal,
l’un des huit candidats à la reprise rappelle que le chiffre de 98 sup­
s’étant manifestés durant l’été. pressions d’emplois « s’entend
comme un plafond, une limite
« Activités de dépollution» maximale de licenciements à terme
Le groupe guinéen a proposé un qu’il s’agira de ne pas dépasser ».
plan de redressement par conti­ Certains déplorent le peu d’enga­
nuation en rachetant les actions gement de l’Etat dans ce dossier
du fonds d’investissement améri­ alors que, fin septembre, le préfet
cain HIG, propriétaire d’Alteo de­ Christophe Mirmand estimait
puis 2012, et de quelques diri­ « impératif de tout mettre en œuvre
geants­actionnaires. Ce plan a bé­ pour faire émerger une solution qui
néficié d’un soutien des créan­ préserve l’ensemble de l’activité de
ciers, notamment les fournisseurs
et sous­traitants, dont la plupart
ont accepté d’abandonner 80 % de
l’entreprise, de l’amont à l’aval ».
Xavier Perrier avait regretté que
« la question des boues rouges a[it]
leurs créances. Le passif à apurer hystérisé les débats malheureuse­
sur dix ans est retombé à 32 mil­
lions d’euros. En abandonnant
une partie du procédé Bayer, le
ment au détriment de l’emploi et du
PIB de la région ». Il proposait
d’aboutir au recyclage des déchets
plan d’UMS met un terme à la pro­ de bauxite, une filière pour la­
duction de déchets d’extraction de quelle le préfet et la région
la bauxite, les fameuses boues rou­ s’étaient dit prêts à aider. Le dé­
ges rejetées en Méditerranée pen­ puté (Liberté Ecologie Fraternité)
dant un demi­siècle avant d’être
solidifiées et épandues, depuis
2015, sur le site de Mange­Garri,
dans des collines près de l’usine.
En faisant le choix de l’arrêt de
de Gardanne François­Michel
Lambert, qui avait remué ciel et
terre pour convaincre l’Etat de sau­
ver la totalité de l’activité d’Alteo, a
dénoncé un « gâchis social, envi­
cette activité « amont » pour ne ronnemental, de souveraineté ». 
garder que la fabrication d’alumi­ luc leroux
Le grand entretien
sur l’actualité du monde
Ce samedi à 12 h 00
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
ancienne ministre française et directrice
Photo © Christophe Lartige / TV5MONDE
France de l’ONG ONE
répond aux questions
de Françoise Joly (TV5MONDE)
et Julien Bouissou (Le Monde).
Diffusion sur TV5MONDE
et sur Internationales.fr
en partenariat avec

16 | économie & entreprise
Les Landes
confrontées
à la flambée de
la grippe aviaire
119 foyers ont été détectés dans
le département, où était attendu le
ministre de l’agriculture vendredi
bordeaux ­ correspondante
L
orsque les services sanitai­
res viendront récupérer les
corps des canards morts, il
pourrait bien y avoir celui
d’un éleveur », lance Guylène Ber­
nadet, dont l’exploitation qu’elle
dirige avec son mari, Pascal, est
frappée par la grippe aviaire. A
Sort­en­Chalosse (Landes), à 10 ki­
lomètres de Dax, le village de
975 âmes, qui compte une quin­
zaine d’éleveurs, est touché de
plein fouet par la grippe aviaire. Il
fait partie des 119 foyers détectés
dans les Landes. Si Mme Bernadet a
d’ores et déjà vu ses 2 600 canards
abattus par prévention, ce sont dé­
sormais les 4 400 poulets de l’ex­
ploitation qui attendent de l’être.
« Après l’émotion, puis la résigna­
tion, vient maintenant la colère »,
lâche Pascal Bernadet, également
maire du village. Car depuis quel­
ques jours, le couple récupère
chaque matin les poulets tombés
dans la nuit. « La moitié d’entre eux
sont morts en quatre jours », dé­
plore l’éleveuse, qui espère obtenir
des informations sur la suite du
processus. En attendant, de gros
sacs étanches remplis de cadavres
s’amoncellent sur l’exploitation.
« Personne ne nous a donné quoi
que ce soit pour stocker les morts »,
se désole Mme Bernadet.
« Les leçons de la dernière grippe
aviaire de 2017 n’ont pas été tirées,
s’emporte M. Bernadet. Si l’Etat
avait laissé faire la profession, on
s’en serait mieux sortis. Mais ils ne
nous font pas confiance, donc on
ne peut pas lui faire confiance », ex­
Gratuit, anonyme, accessible à tous :
l’argent liquide, ce bien public
Alors que les paiements par carte bancaire progressent rapidement,
le patron de la Monnaie de Paris rappelle tous les avantages du « cash »
C onserver la possibilité de
payer en cash, dans un
monde numérisé, est­il un
gage de liberté ? Les lecteurs de
Margaret Atwood se rappelleront
que dans sa dystopie La Servante
écarlate, l’autrice avait créé dès
1985 une société totalitaire où le
cash n’existait plus : la monnaie
dématérialisée, devenue un
moyen de contrôle, avait été con­
fisquée aux femmes.
Des décennies plus tard, alors
que les moyens de paiement nu­
mériques ne cessent de gagner du
terrain au détriment des espèces,
le PDG de la Monnaie de Paris,
Marc Schwartz, sonne l’alarme,
dans une note, « Le grand para­
doxe – ou pourquoi le règne du
cash est loin de s’achever », pu­
bliée vendredi 8 janvier par le
think tank Terra Nova.
Au sein de la zone euro, l’utilisa­
tion des cartes bancaires a aug­
menté de cinq points entre 2016 et
2019, passant de 19 % à 24 % (41 %
en valeur). Depuis, la possible
transmission du Covid­19 par les
pièces et les billets a accéléré la
bascule. « A un horizon de vingt
ans, l’utilisation des espèces sera
(…)très limitée », disait au Monde, le
plique l’édile. A 500 mètres de là, à
la ferme Le Houn, son proprié­
taire, Richard Commarieu, est
dans le même état d’esprit. Ses
3 285 canards ont été abattus le
2 janvier, touchés par l’influenza
aviaire. « Les gens dans les bureaux
à Paris décident pour nous et déci­
dent mal dans certains cas », expli­
que­t­il en montrant un hangar
désormais vide. « Les services sani­
taires se posent encore des ques­
tions sur la façon de gérer la crise,
on ne comprend pas », dit­il.
Vague montante
Chez Serge Mora, président du
syndicat Modef des Landes, le vi­
rus de grippe aviaire a fait son ap­
parition le 31 décembre 2020 dans
un abri qui héberge les canetons,
installé sur son exploitation à Mu­
gron en Chalosse, dans le sud du
département. « Nous avions un ca­
neton malade le 31 décembre, deux
le 1er janvier et aujourd’hui, sur 650
canetons, 350 sont morts ». L’agri­
culteur décrit ainsi la virulence du
virus H5N8, qui, après avoir fait
une première apparition dans une
animalerie en Corse mi­novem­
bre 2020, a été découvert dans un
élevage landais le 6 décembre.
Le feu a couvé avant que l’incen­
die ne se propage entre Noël et
Nouvel An dans les Landes. Et les
mesures prises n’ont pas permis
de le circonscrire. Pire, le virus a at­
teint le Gers et le Béarn. « Ce que
nous aurions pu éteindre avec un
seau d’eau au départ nécessite
maintenant de sortir le Canadair »,
lance Serge Mora. Marie­Pierre Pé,
directrice du Cifog (Comité inter­
7 juin 2020, David Marcus, le co­
fondateur de la libra, le projet de
monnaie numérique de Facebook.
« Une société sans espèces paraît
attrayante. Idée moderne, symboli­
sant un réel progrès technologique,
elle est dans l’air du temps, recon­
naît M. Schwartz, alimentée par
des campagnes savamment or­
chestrées par des acteurs économi­
ques y trouvant leur intérêt ».
Traçage
L’argent liquide dispose pourtant
de sérieux atouts, selon le patron
du fabricant de monnaies. Il per­
met de régler une transaction de
manière anonyme et de protéger
les données individuelles, alors
que « les paiements par carte ou en
ligne laissent derrière eux un histo­
rique de paiement accessible par
des institutions privées ou publi­
ques », souligne le rapport. Un tra­
çage que la néobanque Pixpay pro­
pose déjà aux parents d’adoles­
cents, pour leur permettre de blo­
quer leurs achats dans des
commerces jugés peu appropriés.
Les espèces restent en outre le
seul moyen de paiement entière­
ment gratuit pour les particuliers,
souligne le rapport. Les cartes ban­
Richard Commarieu, dans sa ferme Le Houn, à Sort­en­Chalosse (Landes), le 7 janvier. UGO AMEZ POUR “LE MONDE”
professionnel des palmipèdes à
foie gras), le reconnaît, « l’épidémie
est hors de contrôle. Il y a toujours
de nouveaux foyers, en particulier
en Chalosse ».
Les éleveurs sont confrontés à
cette vague montante du virus et
parfois l’attente des résultats des
analyses est longue. « Il y a un
manque de moyens humains sur le
terrain. Entre Noël et Nouvel An, la
France fonctionne en mode dé­
gradé et les services vétérinaires
sont débordés. De plus, nous avons
eu une quinzaine de jours d’intem­
péries avec des inondations et du
vent. Sans oublier le Covid­19, qui
complique la situation. Tous ces
éléments se sont conjugués », expli­
que Mme Pé.
L’heure est donc à la prise de
décisions plus drastiques. Le
23 décembre 2020, le ministère de
l’agriculture avait annoncé des
abattages préventifs des volatiles
dans toutes les exploitations si­
tuées dans un rayon de 3 kilomè­
tres autour des foyers contami­
nés. Vendredi 8 janvier, le ministre
de l’agriculture, Julien Denorman­
die, devait se rendre à la préfecture
de Mont­de­Marsan, dans les Lan­
caires ou les applications de paie­
ment en revanche ont un coût.
« Inclusif », seul le cash permet
enfin à ceux qui n’ont pas de
compte bancaire ou qui n’ont pas
une maîtrise suffisante des outils
numériques d’accéder à un
moyen de paiement. « On dénom­
bre encore environ 30 millions
d’adultes sans compte bancaire
dans l’Union », indiquait Bruxelles
en septembre 2020, qui « attend
des Etats membres qu’ils garantis­
sent l’acceptation et l’accessibilité
des espèces en tant que bien pu­
blic ». Elle pourrait prendre, fin
2021, des mesures pour protéger la
disponibilité des euros en espèces.
Des pays précurseurs du « sans
cash » ont commencé à corriger le
tir. En Suède, où la valeur des espè­
ces en circulation a été divisée par
deux entre 2007 et 2018, le gouver­
nement a fait voter une loi impo­
sant aux banques de continuer à
proposer des services liés au cash,
à compter du 1er janvier 2021. Aux
Etats­Unis, plusieurs villes,
comme New York, Philadelphie ou
San Francisco, ont récemment in­
terdit aux commerces de n’accep­
ter que les cartes bancaires. 
véronique chocron
des, pour faire le point avec les ser­
vices de l’Etat et mettre en place la
cellule de crise et de suivi de la
grippe aviaire dans le départe­
ment. Lors de son déplacement, il
devait présenter un dispositif
d’action pour tenter d’endiguer la
propagation de l’épidémie avec
une zone d’abattage préventive
étendue à 5 km, le renforcement
des capacités d’abattage, l’exten­
sion des zones de surveillance à
20 km avec interdiction d’entrée
et de sortie de volailles.
La question de « l’après »
Répondant aux critiques soule­
vées par les éleveurs, M. Denor­
mandie assure que « beaucoup de
choses ont été faites depuis 2016,
notamment en matière de proto­
cole de biosécurité dans les éleva­
ges, avec la mise à l’abri des
oiseaux, la limitation de la propa­
gation d’un élevage à un autre… ».
Et celui­ci de souligner qu’au 6 jan­
vier dans les Landes, « 380 000 ca­
nards ont été abattus depuis le dé­
but de la crise avec un protocole sa­
nitaire clairement établi et discuté
avec les filières et l’Anses [Agence
nationale de sécurité sanitaire] ».
PERTES & PROFITS | SERVICES INFORMATIQUES
p a r p h i li p p e e s c a nd e
Le pari américain d’Atos
Face à l’affrontement américano­
chinois dans le numérique, il est
de bon ton de pleurer sur l’ab­
sence de l’Europe, et particulière­
ment de la France, sur ce terrain
de bataille, essentiel pour l’ave­
nir de nos économies. Le constat
est exact, mais oublie le fait que
l’Hexagone dispose tout de
même, au sein du CAC 40, de
cinq entreprises de taille mon­
diale dans ce secteur, avec Das­
sault Systèmes, STMicroelectro­
nics, Worldline, Capgemini et
Atos. C’est évidemment d’autant
plus insuffisant que ces acteurs,
hormis Worldline, sont dans le
paysage depuis plusieurs décen­
nies et qu’ils ne bénéficient pas
vraiment, à part Dassault Systè­
mes, de l’enthousiasme des in­
vestisseurs mondiaux pour tout
ce qui touche à la high­tech.
Ils devraient donc se féliciter
de voir le plus petit de la bande,
Atos, engager le pari le plus
transformant de son histoire. La
firme a en effet confirmé hier
avoir transmis une offre amicale
non engageante sur sa concur­
rente américaine DXC. Celle­ci a
réalisé, en 2019, près de 16 mil­
liards d’euros de chiffre d’affai­
res, contre 11 pour Atos. Qui plus
« Nous avions
un caneton malade
le 31 décembre,
deux le 1er janvier
et aujourd’hui, sur
650 canetons,
350 sont morts »
SERGE MORA
président du syndicat Modef
des Landes
Quant à la question très atten­
due de l’indemnisation des éle­
veurs, le ministre explique que
« ces mesures d’abattage sont in­
demnisées par l’Etat sur la valeur
marchande des canards. Les verse­
ments d’acomptes vont pouvoir
commencer dès la semaine pro­
chaine ». En 2017, lors de la précé­
dente crise de grippe aviaire dans
le Sud­Ouest, la pandémie avait
coûté 180 millions d’euros.
Tout comme ses voisins,
M. Commarieu redoute les mois à
venir. « Pour des exploitations aux
trésoreries déjà fragilisées, une
est, le client est prestigieux. Der­
rière l’acronyme DXC se cache en
effet l’ex­division service infor­
matique de Hewlett­Packard
(HP), fusionnée en 2017 avec une
autre gloire américaine du sec­
teur dans les années 1990, Com­
puter Science Corp (CSC). Une
telle opération qui doublerait la
taille d’Atos le ferait entrer dans
le gotha mondial du secteur do­
miné par Accenture.
Petit Poucet du CAC 40
Mais les investisseurs n’ont pas
du tout aimé cette perspective.
Ce jeudi 7 janvier, le cours de
Bourse d’Atos s’est effondré de
près de 13 %. En cause, l’image dé­
sastreuse de ce morceau de l’em­
pire HP. Les revenus de la société
déclinent d’année en année, et sa
dette atteignait, en 2019, près de
10 milliards de dollars (8,1 mil­
liards d’euros). Un navire en per­
dition, dévasté par le déclin des
services informatiques tradition­
nels, attaqué d’un côté par les
groupes indiens champions du
low cost et, de l’autre, par les
stars du numérique, Amazon,
Google et Microsoft.
Ces trois­là sont en train de
s’accaparer l’essentiel du mar­
0123
SAMEDI 9 JANVIER 2021
crise aviaire peut être fatale. » S’il a
réussi en 2020 à « sauver les meu­
bles », malgré le Covid­19 qui n’a
pas épargné la filière, il ne sait pas
si son stock suffira pour 2021.
Comme M. et Mme Bernadet, il se
pose la question de « l’après » et
d’une grippe aviaire qui pourrait
être saisonnière. Les éleveurs ré­
clament une vaccination préven­
tive des palmipèdes, pour tenter
d’endiguer le phénomène. Une
décision qui n’est pas à l’ordre du
jour, selon M. Denormandie.
« Certains pays n’acceptent pas les
volailles vaccinées, or la filière ex­
porte beaucoup », prévient­il.
Les mesures du gouvernement
suffiront­elles à calmer la colère
des agriculteurs ? « Dans les cam­
pagnes, la colère monte, on veut
redémarrer au plus vite », confie
M. Commarieu en désinfectant
drastiquement ses surchaussu­
res. Comme ses voisins, une nou­
velle étape commence, celle du
nettoyage intensif des hangars et
du matériel, en espérant pouvoir
y faire entrer au plus vite de nou­
veaux palmipèdes. 
laurence girard
et claire mayer
ché le plus prometteur de l’in­
formatique d’entreprise, le cloud
computing, cette grande migra­
tion des ordinateurs des sociétés
vers des gigantesques centres de
données, pilotés par ces géants
du numérique. C’est justement
vers cette nouvelle révolution
que se ruent tous les grands du
service, en aidant leurs clients à
« migrer » vers ce fonctionne­
ment qui s’apparente à celui de
l’Internet.
La société française estime
que sa cible américaine dispose
d’un portefeuille de grands
clients américains et européens
suffisamment alléchant pour
justifier de mettre la main au
porte­monnaie.
Il est vrai aussi que DXC, sous
l’impulsion d’un nouveau ma­
nagement venu d’Accenture, a
considérablement allégé sa
dette, en vendant, en 2020, une
bonne partie de ses activités,
dont celles dans la santé. Un ef­
fort pas vraiment reconnu par
la Bourse qui valorise l’entre­
prise autour de 7 milliards de
dollars. Pour le Petit Poucet du
CAC 40, désendetté depuis son
retrait de Worldline, il y a un ris­
que à prendre. 
0123
SAMEDI 9 JANVIER 2021 économie & entreprise | 17

D
ans le troisième
volume de City
Planning, Hou­
sing, publié
en 1938, l’urba­
niste et critique
d’architecture Werner Hegemann
a sélectionné deux photos et un
plan d’ensemble de la Butte rouge
de Châtenay­Malabry (Hauts­de­
Seine) pour illustrer ce qui se fait
alors de mieux en termes de loge­
ment social. La construction de la
cité­jardin a débuté sept ans plus
tôt au sud de Paris, mais l’auteur
pressent qu’elle deviendra une ré­
férence. L’histoire lui a donné rai­
son. Des promotions entières d’ar­
chitectes, d’urbanistes et d’élèves à
l’Ecole du paysage sont venues
étudier l’agencement de « la cité­
jardin la plus harmonieuse d’Eu­
rope », comme la décrit Jean­Louis
Cohen, historien de l’architecture
et professeur au Collège de France.
Cette utopie de l’entre­deux­
guerres, pensée pour que cohabi­
tent au vert travailleurs, manuels
et intellectuels et qui offre encore
parmi les loyers les plus bas d’Ile­
de­France, pourrait disparaître
sous les bulldozers, menacé par Dans le quartier de la Butte rouge, à Châtenay­Malabry (Hauts­de­Seine), le 4 janvier. CHRISTOPHE CAUDROY POUR « LE MONDE »
une vaste opération immobilière.
Si elle était approuvée, la modifica­
tion du plan local d’urbanisme
(PLU) soumise à enquête publique
jusqu’au 11 janvier, permettrait de
raser 80 % de la cité­jardin.
La crainte de perdre un pan ma­
PLEIN CADRE
jeur de l’histoire de l’urbanisme
du XXe siècle mobilise les intellec­
tuels et l’Etat depuis plus de deux
ans. Le préfet des Hauts­de­Seine
et le préfet de région ont prié les
élus de revoir leur copie. La com­
Péril sur la cité­jardin un patrimoine très homogène et
banal, nous faisons le pari de gar­
der des logements chargés d’his­
toire et de qualité. Les logements
mission régionale de l’architec­
ture et du patrimoine s’est pro­
noncée contre le projet. Mais ils se
heurtent à une difficulté. Cet en­
semble d’immeubles de béton
de la Butte rouge sociaux publics de cette époque
sont vraiment de qualité et ont sou­
vent tenu sans gros travaux pen­
dant 60 ou 70 ans », poursuit­il.

rose posés à l’ombre de chênes

centenaires ne bénéficie d’aucune
protection, contrairement à ses
consœurs, dont certaines, à Ber­
lin, sont même inscrites au patri­
moine mondial de l’Unesco.
Procédure rarissime
Encore eût­il fallu que l’ex­maire
(LR) Georges Siffredi, et son suc­
cesseur Carl Segaud à qui il a con­
fié les clés depuis qu’il a pris la tête
du département des Hauts­de­
Seine en mai 2020, le veuillent.
Mais plutôt que de demander le
classement de la cité­jardin au ti­
tre des sites patrimoniaux remar­
quables (SPR) − toute modifica­
tion serait alors soumise à autori­
sation – comme la ministre de la
culture, Françoise Nyssen, le lui
avait fortement suggéré en 2018,
la municipalité a préféré deman­
der des permis de démolir − jus­
qu’alors refusés par le préfet. De­
puis, le cabinet de la nouvelle mi­
nistre, Roselyne Bachelot, laquelle
« tient pour indispensable le clas­
sement de l’ensemble de ce quar­
tier », s’accroche à l’« engagement
oral » qu’ont pris les élus en octo­
bre de demander la protection.
Dans un courrier du 28 décem­
bre, le préfet s’est permis « d’insis­
ter sur l’importance de cet engage­
ment dont (il) fai(t) un préalable
pour la poursuite de l’opération de
réhabilitation ». Le maire Carl Se­
gaud assure « ne pas y être opposé,
mais il faut définir le contenu et le
périmètre ». S’il venait à trop traî­
ner les pieds, le ministère n’exclut
pas de recourir à une procédure
rarissime : le classement d’auto­
rité par décret en Conseil d’Etat.
« Ces élus méconnaissent ce qu’a
été cette expérience : la conjugai­
son d’une réforme sociale et d’une
invention architecturale », déplore
l’historien Jean­Louis Cohen qui
livre une lecture très politique du
dossier. Selon lui, le projet traduit
« une haine du logement social et
est une manière de déployer le ta­
pis rouge à la promotion privée ».
A Châtenay­Malabry, au sud de Paris, la municipalité prévoit
de détruire 80 % de ce site architectural et paysager, référence de
l’urbanisme de l’entre­deux­guerres. L’Etat souhaite le sauvegarder
Un F2 à la Butte rouge se loue ils étaient capables en rasant les
260 euros ; un F3, 350 euros et un maisons en pierres meulières et
F4, 450 euros. Les familles les plus l’habitat de faubourg de l’avenue
modestes y vivent donc. Or, au de la division Leclerc pour les
nom « d’une mixité sociale » à re­ remplacer par des immeubles
trouver, la proportion de loge­ d’imitation hausmanienne.
ments financés par le prêt locatif La Butte rouge appartient à la
aidé d’intégration (PLAI), la caté­ quinzaine de cités­jardins voulues
gorie la plus basse du parc social, par Henri Sellier lorsqu’il était ad­
qui représentent aujourd’hui ministrateur délégué de l’office
100 % du site, tomberait à un tiers, public d’habitations du départe­
selon les plans de la municipalité. ment de la Seine avant de devenir
Le second tiers serait réservé à ministre de la santé publique de
l’accession à la propriété, et le troi­ Léon Blum. En 1917, le départe­
sième à du plus grand standing. ment achète 55 hectares de parcel­
« Le modèle de tout ça, c’est ce qui les maraîchères et de vergers sur
s’est passé sur la commune voisine le plateau de Malabry. Le site val­
du Plessis Robinson avec une des­ lonné, en bordure du bois de Ver­
truction quasi systématique de la rières, a un charme fou. Lauréats
cité­jardin pour la remplacer par du concours lancé en 1919 pour
une fausse cité­jardin », complète définir le plan d’extension de la
Benoît Pouvreau, historien et re­ capitale, les architectes Joseph
présentant pour l’Ile­de­France de Bassompierre­Sewrin, Paul de
Docomomo, une association de Ruté, André Arfvidson, Paul Sir­
défense de l’architecture, de l’ur­ vin, son fils Pierre, et le paysagiste
banisme et des paysages du André Riousse proposent d’y bâtir
XXe siècle. L’arrivée du tramway la « cité­jardin du grand Paris ».
aiguise l’appétit des promoteurs.
Lesquels ont déjà montré ce dont Préservation du végétal
Il faudra près de 35 ans et sept tran­
ches de travaux pour que le quar­
tier devienne cet ensemble de
« Le quartier 4 000 logements où vivent près de
10 000 habitants, soit un tiers de la
est magnifique, population de Châtenay. Deux
le patrimoine axes entrecoupés de routes en la­
cet et de chemins de traverse struc­
remarquable, turent l’ensemble et débouchent
mais les sur de grandes places, des squares
et jardins. Surtout, à l’heure où
bâtiments sont chaque élu réclame son « éco quar­
dans une situation tier » − Châtenay a d’ailleurs pro­
grammé le sien sur l’ancien site de
catastrophique » l’école Centrale − la Butte rouge en
CARL SEGAUD adopte tous les principes bien
maire de Châtenay-Malabry avant l’heure.
Préserver les arbres du site fut le
souci constant des architectes.
« Les bâtiments ont été construits
autour », insistent Barbara Gu­
tglas et Elisabeth Couvé, mem­
bres de l’association Châtenay Pa­
trimoine environnement (ACPE).
Un système ingénieux de récupé­
ration des eaux pluviales ali­
mente un grand bassin et une
centaine de jardins familiaux.
Une autre tuyauterie, sous air
comprimé, aspire les déchets de­
puis les cuisines des apparte­
ments et les conduit jusqu’à
l’usine d’incinération. La chaleur
produite chauffe la piscine. L’été,
l’ombre des chênes, des marron­
niers, des tilleuls et des érables ra­
fraîchit pelouses et façades.
A contre­courant des urbanistes
d’aujourd’hui qui insistent sur la
nécessité de réintroduire du végé­
tal en ville en prévision des étés
caniculaires de 2050, le maire
n’exclut pas d’abattre certains ar­
bres « très proches des bâtiments,
qui apportent de l’ombre ». Si l’un
d’eux devait l’être, il « devra être
remplacé par un sujet de même dé­
veloppement », promet l’enquête
publique. C’est ignorer qu’un
chêne centenaire ne se remplace
pas comme on changerait un
lampadaire défectueux, et que
« la reprise de grands arbres de­
vient difficile avec le changement
climatique », ajoute Louis Vallin,
le représentant départemental de
l’association Arbres, un collectif
d’amoureux des arbres qui œuvre
à protéger les sujets les plus re­
marquables. Celle­ci organise
d’ailleurs une petite cérémonie,
fin janvier, pour rappeler la valeur
du patrimoine de la Butte rouge,
« Cette
expérience a été
la conjugaison
d’une réforme
sociale et d’une
invention
architecturale »
JEAN-LOUIS COHEN
historien
et l’existence d’une dizaine de su­
jets inestimables, dont un acacia
au moins tricentenaire.
« Le quartier est magnifique, très
verdoyant, le patrimoine remar­
quable, mais les bâtiments sont
dans une situation catastrophi­
que », insiste Carl Segaud pour dé­
fendre son projet. Les apparte­
ments sont rongés par l’humidité,
leur taille ne correspond plus aux
besoins de l’époque, les balcons,
les places de stationnement man­
quent, détaille l’élu. Mais confron­
tés à des problèmes similaires,
d’autres bailleurs ont préféré ré­
habiliter plutôt que de démolir.
Ainsi, les cités­jardins de Stains
et du Pré­Saint­Gervais, propriétés
de Seine­Saint­Denis habitat. Tou­
tes deux ont fait l’objet d’une réha­
bilitation lourde mais aucun bâti­
ment n’a été détruit. L’humidité a
été traitée grâce à une meilleure
aération, des F3 ont été réunis
pour créer de plus grands apparte­
ments, explique Marian Syp­
niewski, chef de l’un des services
réhabilitations du bailleur, et
membre de l’association régionale
des cités­jardins. « Au lieu d’avoir
Manque de considération
Le devenir de la Butte rouge pose
une question plus large : celle de la
préservation du patrimoine du
XXe siècle. C’est peu dire que la dé­
fense d’une collection de barres
mobilise moins qu’une chapelle
du XVIIe. Depuis 2003, le grigno­
tage des grands ensembles par les
pelleteuses de l’Agence nationale
de la rénovation urbaine (ANRU),
qui accorde ses crédits en échange
de démolitions, n’émeut pas
grand monde. Mais « la culture, ce
n’est pas que des bâtiments, des élé­
ments de décor mis les uns à côté
des autres. Ce sont aussi des terri­
toires urbanisés avec une mixité so­
ciale, rappelle Bernard Toulier,
conservateur général honoraire
du patrimoine et membre du co­
mité scientifique de Docomomo.
On doit trouver les moyens de
transmettre cet héritage. Et si la cul­
ture n’en a pas les moyens, créons
une section patrimoine à l’ANRU ».
L’avenir des tours Aillaud à Nan­
terre, les fameuses tours nuages,
illustre bien ce manque de consi­
dération pour la production des
« trente glorieuses ». « Comment se
fait­il que la rénovation des tours
ait fait l’objet de deux concours dif­
férents ?, poursuit Bernard Toulier.
A terme, une partie des tours
Aillaud sera recouverte d’un bar­
dage métallique avec des pixels à la
Mondrian. On est loin de la subtilité
poétique voulue par Emile Aillaud
et Fabio Rieti ».
A la faveur d’une dent creuse et
de la démolition d’un équipe­
ment public, des constructions
ont récemment vu le jour à la
Butte rouge. Préfigurent­elles le
nouveau visage du quartier si la
mairie menait sa « restructuration
lourde » à son terme ? Le rose pou­
dré des façades et la géométrie an­
nées 1930 ont disparu. Les espaces
verts sont désormais ceints d’un
grillage. La pelouse accessible par
digicode, c’est peut­être là l’esprit
de la cité­jardin du XXIe siècle. 
émeline cazi
18 | argent 0123
SAMEDI 9 JANVIER 2021

Obligations vertes : un impact SOS CONSO 

CHRONIQUE PAR RAFAËLE RIVAIS

écologique difficile à vérifier Le logement loué est-il

Pour l’épargnant, le risque de succomber au « greenwashing » reste élevé vraiment indécent ?

Q L
uel est le point com­
mun entre le Royau­
me­Uni, la Ville de
Paris, Engie, Orange
et Daimler ? Tous ont
émis, ou vont émettre, des obli­
gations vertes sur le marché fi­
nancier. La diffusion de ces titres
aussi appelés « green bonds » se
multiplie, faisant croître de façon
exponentielle un marché encore
embryonnaire il y a cinq ans.
Face à une prise de conscience
de l’urgence d’agir contre le ré­
chauffement climatique, les ac­
teurs de l’économie sont en effet
de plus en plus nombreux à ver­
dir leurs dettes. Pour l’investis­
seur qui souscrit de telles obliga­
tions (donc prête de l’argent à
une entreprise, une collectivité,
etc., en échange de la perception
d’intérêts), il faut savoir qu’elles
fonctionnent comme les autres
en termes de durée d’emprunt,
de versement d’intérêts et de ris­
ques. Seule différence : l’émetteur
annonce n’utiliser les fonds
que pour financer des projets
destinés à favoriser la transition
écologique. « C’est la totalité de
l’émission qui est concernée et
affectée à ces opérations », précise
Tanguy Claquin, responsable
mondial de la finance durable au
Crédit agricole CIB.
Amélioration de l’efficacité
énergétique, prévention et maî­
trise de la pollution, biodiversité,
verdissement des moyens de
transport : l’éventail des inves­
tissements possibles est plutôt
large. « Il n’empêche, à regarder de
plus près les émissions de
“green bonds” des dernières an­
nées, les entreprises qui en font
l’usage se concentrent dans quel­
ques secteurs d’activité », relève
Jean­Philippe Desmartin, direc­
teur de l’investissement respon­
sable chez Edmond de Rothschild
Asset Management.
Parfois dans les assurances-vie
Les plus gros émetteurs sont les
sociétés du secteur des utilities
– les entreprises fournissant du
gaz, de l’électricité, de l’eau –, de la
finance (les banques) et, dans une
moindre mesure, de l’immobilier
(les foncières).
En revanche, les entreprises
des transports aériens, de l’in­
dustrie, de la culture et de la
production animale sont quasi
absentes. « Les secteurs les plus
polluants en matière d’émissions
de gaz à effet de serre (…) ne pré­
sentent pas nécessairement les
encours d’obligations vertes les
plus importants », signalait la
Banque de France fin 2019.
Quel est l’intérêt pour un parti­
culier de glisser des obligations
durables dans son portefeuille ?
« C’est l’occasion de réaliser
un placement financier qui a du
sens », affirme Julien Bras, gérant
de portefeuille taux ISR chez
Allianz Global Investors. Ces ti­
tres ont par ailleurs bien résisté
en 2020, car l’emploi des fonds
concerne des activités non affec­
tées par la crise.
Néanmoins, côté performances,
il ne faut pas s’attendre à des étin­
celles. Ces titres écologiques ne
rapporteraient pas plus que les
obligations standards. Une étude
menée en 2019 par Julia Kapraun,
universitaire au département fi­
nance de l’université Goethe de
Francfort (Allemagne), a calculé
que le coupon moyen des obliga­
tions vertes ressortait à 3,40 %
pour une maturité moyenne de
huit années et neuf mois.
Pour un particulier, détenir
une obligation écologique peut
se décliner de différentes fa­
çons. « Sans même le savoir, cer­
tains épargnants en ont dans le
fonds en euros de leur assuran­
ce­vie », signale Chloé Pruvot,
directrice des investissements
du groupe Apicil. Quand le
« green bond » se décline sous la
forme d’un ETF (Exchange Tra­
ded Fund, ou tracker), il peut
entrer dans le portefeuille d’un
fonds spécialisé et ainsi être
CÔTÉ PERFORMANCES,
IL NE FAUT PAS S’ATTENDRE  sommes soit détaillée et intégrée
À DES ÉTINCELLES.
CES TITRES DURABLES
NE RAPPORTERAIENT
PAS PLUS QUE LEURS  indépendante certifiant ou contrô­
ÉQUIVALENTS STANDARDS
logé dans un compte­titres ou
dans la partie unités de compte
d’une assurance­vie.
Comment s’assurer que l’obli­
gation est vraiment verte ?
L’émetteur est censé fournir, a
posteriori, des informations à ses
créanciers par le biais de la pu­
blication d’un reporting annuel.
Il s’agit de faire un chiffrage des
impacts environnementaux des
investissements vertueux. Ces
documents existent bel et bien,
mais sont hétérogènes dans leur
présentation, leur contenu et
même leurs résultats. « Il n’existe
pas de méthodologie normée
pour réaliser les calculs d’impact »,
indique M. Claquin. « Bien que
marginales, les déceptions en ma­
tière de résultats peuvent arriver »,
concède M. Bras.
« Seules 70 % à 75 % des sociétés
émettrices détaillent l’usage des
fonds. Cet engagement n’est en
effet pas juridiquement contrai­
gnant », ajoute Mme Pruvot. L’Au­
LE PROPRIÉTAIRE,  en bail de droit commun. Elle explique
TRAÎNÉ EN JUSTICE  que
PAR SA LOCATAIRE,  l’inventaire des meubles et de l’état des
EST BIEN DÉCIDÉ ustensiles de cuisine.
COLCANOPA
torité des marchés financiers
plaide pour que l’utilisation des
dans le prospectus officiel pré­
senté aux investisseurs.
Même si une standardisation
européenne est en cours de gesta­
tion à Bruxelles, « il n’y a pour
l’instant pas d’instance officielle
lant que l’obligation soit réelle­
ment verte. Mais il arrive que
des fonds soient notés par un tiers
extérieur comme une agence de
notation », poursuit Hervé Guez,
directeur de gestion chez Mirova.
La porte demeure donc ouverte
à des effets d’affichage commer­
cial. « Les obligations vertes sont
un vecteur de communication
de plus en plus important et il y a
des risques de “greenwashing” »,
assure Bram Bos, gérant principal
du portefeuille de « green bonds »
de NN Investment Partners.
Comment choisir, alors ? Mieux
vaut privilégier les fonds obliga­
taires labellisés Greenfin. Lancé
CLIGNOTANT
par l’Etat au sortir de la COP21, ce
« tampon » permet de repérer les
véhicules verts respectant un ni­
veau d’exigence et de qualité des
actifs sélectionnés.
Avec la crise économique, les
plans de relance de la Banque
centrale européenne et de l’Etat
français prévoient de mettre da­
vantage l’accent sur la transi­
tion climatique : les placements
devraient donc encore verdir. 
laurence boccara
e bailleur est « tenu de remettre au locataire un lo­
gement décent », dit la loi du 6 juillet 1989 tendant
à améliorer les rapports locatifs. La décence s’ap­
précie, notamment, au regard de la « surface habi­
table ». Un décret du 30 janvier 2002 prévoit que cette
dernière doit respecter l’une ou l’autre des deux conditions
suivantes : soit « 9 m² et une hauteur sous plafond minimale
de 2,20 mètres », soit « un volume habitable de 20 m3 ».
L’étude de la jurisprudence montre que les propriétaires
ne disposant pas des mètres carrés nécessaires demandent
que leur logement soit considéré comme « décent » grâce à
ses mètres cubes, afin de le mettre en location. Mais, dans
l’affaire suivante, c’est le contraire qui se produit.
En juillet 2014, M. X découvre, dans le cadre de la suc­
cession de son père, que celui­ci était propriétaire d’une an­
cienne chambre de bonne et qu’il l’avait louée, depuis sep­
tembre 2010, en qualité de meublé, à Mme Y, moyennant la
somme de 130 euros par mois. Le 3 juin 2015, il adresse un
congé pour vente à la locataire. Celle­ci saisit aussitôt le tri­
bunal d’instance du 7e arrondissement de
Paris, afin qu’il requalifie son bail meublé
la chambre ne remplit pas les « condi­
tions légales d’un meublé, au regard de
lieux » – il n’y a, notamment, ni four ni
Le tribunal lui donne satisfaction le
À S’EN  5 août 2016. Par voie de conséquence, il
DÉBARRASSER annule le congé pour vente, qui n’a res­
pecté ni l’échéance légale ni le droit de
préemption prévus par la loi du 6 juillet 1989, à laquelle la
chambre est désormais soumise. Et condamne l’héritier du
bailleur à verser 5 500 euros de dommages et intérêts à la lo­
cataire, au titre du préjudice qu’il lui a fait subir.
M. X, bien décidé à se débarrasser de Mme Y, fait appel. Il
affirme qu’il n’est pas possible d’appliquer la loi du
6 juillet 1989 à la chambre de bonne, du fait que cette der­
nière, avec « une surface de 7,50 m² », ne respecterait pas
les critères de la décence. La cour d’appel de Paris juge, le
30 octobre 2018, qu’il « apparaît fondé à obtenir le départ de
Mme Y, qui s’obstine à demeurer dans les lieux », ce qui le
contraint à « se trouver en infraction avec la loi ». Elle or­
donne l’expulsion de cette dernière.
Laquelle pourvoit en cassation. Son avocat, Me Alain Bena­
bent, soutient que le fait que la surface soit inférieure à 9 m²
ne suffit pas à établir que la chambre n’est pas décente, au
regard du décret de 2002. La Cour de cassation lui donne
raison, le 23 janvier 2020 : la cour d’appel de Paris aurait
dû vérifier que le volume habitable était inférieur à 20 m³.
D’autres de ses magistrats devront donc rejuger l’affaire. 
IM P ÔTS
La réduction « PME » majorée en 2021, mais…
Le 10 août 2020, la réduction d’impôt sur le revenu IR­
PME, accordée sous certaines conditions à ceux qui in­
vestissent dans des PME européennes, avait été relevée
de 18 % à 25 %. Ce taux majoré devait prendre fin
le 31 décembre 2020, mais a été prolongé d’un an par
la dernière loi de finances. Attention toutefois, les in­
vestissements de 2021 ne seront éligibles aux 25 % que
lorsque la Commission européenne aura validé la pro­
longation et qu’un décret aura été publié. La réduction
d’impôts pour un investissement réalisé en 2021 avant
ce décret ne sera donc que de 18 %, confirme le fisc.

Reconnaître une banque ou un assureur « responsable »

l’établissement à qui vous confiez votre
argent le gère­t­il de manière responsable
et durable ? Si, grâce aux labels, il est facile
de répondre à la question pour un fonds
collectif, les choses se compliquent dès
lors que l’on s’intéresse aux banques, aux
compagnies d’assurances, aux caisses de
retraite. A défaut de label attribué par un
organisme indépendant, il faut en effet se
fier à leurs déclarations.
Il existe toutefois un indice pour recon­
naître les acteurs engagés sur le front de
l’investissement responsable et ceux qui
le sont moins : la signature des Principes
pour l’investissement responsable (« Princi­
ples for Responsible Investment », PRI).
Créés sous l’égide de l’Organisation des
Nations unies (ONU), les PRI tentent de ras­
sembler depuis 2005 tout ce que le monde
compte d’intervenants financiers désireux
de s’engager sur des critères durables.
Quelque trois mille organismes finan­
ciers les ont signés dans le monde, dont
presque trois cents en France. « Le but est
de soutenir la transformation des acteurs
financiers et d’inciter les pouvoirs publics à
favoriser cette transformation », explique
Annaïg Antoine, référente pour la France.
En signant les PRI, les entreprises s’en­
gagent à mettre en œuvre les principes de
l’investissement socialement responsable
(ISR), à être des actionnaires actifs, à rendre
compte de leurs activités et à progresser.
« En l’absence de reporting, les entreprises
sont radiées », précise Mme Antoine. Cinq
ont subi ce sort en 2020.
Avec, ou sans conviction…
Si les PRI nécessitent de respecter des critè­
res minimaux, par exemple avoir une ap­
proche responsable sur 50 % des encours,
ils ne se veulent pas normatifs. « C’est à
chacun de développer ses propres métho­
des », poursuit Marie Luchet, responsable
des signataires pour l’Europe continentale.
Les signataires se voient attribuer une
note qui permet de les situer sur
l’échelle de la responsabilité, mais celle­ci
n’est pas publique : les établissements sont
libres de la communiquer.
Peut­on considérer tout signataire des
PRI comme une entreprise responsable ?
Ce serait aller vite en besogne. « Certains
les signent sans véritable conviction, tout
simplement pour pouvoir participer à
des appels d’offres institutionnels exigeant
cette signature », confie un observateur
bien informé. Difficile, donc, de se baser
sur ce seul critère. « Cependant, une en­
treprise qui ne les aurait pas signés pour­
rait difficilement se prétendre responsa­
QUESTION À UN EXPERT
ble », note Grégoire Cousté, délégué géné­
ral du Forum pour l’investissement res­
ponsable (FIR). « C’est une condition
nécessaire quand on se prétend responsa­
ble, mais pas suffisante », renchérit Hervé
Guez, qui dirige Mirova, la société de ges­
tion de Natixis.
Pour savoir si les établissements à qui
vous confiez votre argent ont signé ces PRI,
rendez­vous sur Unpri.org. Les notes n’y
figurent pas, mais vous pourrez demander
à vos interlocuteurs de vous les communi­
quer et mesurer, selon leur réponse ou ab­
sence de réponse, leur degré d’implication.
L’appartenance aux signataires des PRI
n’est pas le seul indice. « Il existe de très
nombreuses coalitions internationales qui
regroupent des investisseurs pour la dé­
fense du climat ou de la biodiversité », indi­
que M. Cousté. Parmi eux, le Climate Ac­
tion 100+. L’adhésion au FIR peut aussi
être une marque d’engagement dans l’in­
vestissement socialement responsable.
Autre élément d’information : le rapport
dit « article 173 », qui doit indiquer les me­
sures prises pour le climat et la durabilité
des engagements. Sa lecture en dit long sur
l’implication des organismes financiers. 
éric leroux
Comment transmettre une
propriété sur plusieurs générations ?
catherine costa, ingénierie patrimoniale, Milleis Banque
Comment transmettre la maison familiale à son conjoint en ayant
la certitude qu’elle reviendra, à terme, à nos enfants d’une première
union ? Ou comment s’assurer que le bien transmis à un enfant sans
descendance reviendra ensuite à nos autres enfants ou aux enfants
de ces derniers ? Le legs graduel est une solution, car il permet
d’atteindre deux objectifs : l’organisation de la transmission
sur un temps long, sur plusieurs générations, et une maîtrise
de la fiscalité. Il s’agit de désigner par testament deux bénéficiaires
successifs de la propriété familiale. A charge pour le premier gratifié
de conserver le bien transmis et de le restituer à son propre décès
à un second bénéficiaire. Fiscalement, le second gratifié tient
ses droits du testateur initial : il paiera donc les droits de succession
en fonction des liens de parenté l’unissant à ce dernier. Mais il pourra
déduire les droits payés par le premier bénéficiaire. Si le second
bénéficiaire venait à décéder avant le premier gratifié, ce dernier
conserverait alors le bien dans son patrimoine, comme si le
bénéficiaire en second n’avait jamais été partie prenante à l’opération.
Ce point n’est contournable que si le testament précise que
les héritiers du second bénéficiaire pourront recueillir la libéralité
ou si un autre gratifié a été désigné en second. 
0123
SAMEDI 9 JANVIER 2021
A Paris, le 4 août 2016. SIMON LAMBERT/HAYTHAM-REA
C
et homme­là détient un double
record de France. Celui de l’as­
signation à résidence la plus
longue : douze ans et neuf
mois. Et celui du nombre de
pointages, au commissariat ou
à la gendarmerie : près de 14 000. De la
Creuse à la Haute­Marne, du Cantal à la
Charente­Maritime, des dizaines de fonc­
tionnaires et de militaires ont vu ce colosse
(1,89 m pour 100 kg) franchir jusqu’à quatre
fois par jour le seuil de leur commissariat ou
de leur brigade pour prouver que, oui, il était
bien là, et non en fuite. Tous ont fini par
connaître son « CV » par cœur. Nom : Daoudi.
Prénom : Kamel. Né le 3 août 1974 à Sedrata,
en Algérie. Signe particulier : ancien isla­
miste, ballotté de commune en commune
depuis sa sortie de prison en 2008, au gré des
décisions du ministère de l’intérieur.
Son histoire est d’abord celle d’un gamin
immigré, égaré sur les chemins mortifères du
djihadisme au tournant des années 2000. Ar­
rivé à Paris à l’âge de 5 ans avec ses parents et
son frère cadet, Kamel Daoudi grandit dans le
5e arrondissement, pas très loin de l’hôpital de
la Pitié­Salpêtrière, où son père est employé.
Cet élève doué décroche son bac au lycée
Lavoisier avant ses 17 ans. Suivent un DEUG de
sciences et technologies industrielles, une li­
cence de technologie mécanique, qu’il rate, et
une licence d’informatique, qu’il abandonne.
Chez les Daoudi, désormais installés à
Vigneux­sur­Seine (Essonne), les parents ne
plaisantent pas avec l’intégration. « On devait
être polis et bien élevés, ne pas se faire remar­
quer, ne pas faire de vagues surtout », raconte
Linda, la benjamine, qui n’a pas oublié ce jour
de 1995 où son père a mis son grand frère
adoré à la porte, excédé par ses échecs. Celui­ci
se raccroche alors à la religion, tendance islam
radical. Dans une salle de prière, il se lie avec le
fondamentaliste Djamel Beghal, futur mentor
des tueurs de Charlie Hebdo et de l’Hyper
Cacher. En février 2001, après un divorce hou­
leux, Kamel Daoudi part retrouver son coreli­
gionnaire dans un camp d’entraînement en
Afghanistan, où ils manient la kalachnikov.
Cinq mois plus tard, Beghal est arrêté aux Emi­
rats arabes unis. Il avoue son appartenance au
réseau Al­Qaida et la mission dont il est
investi : constituer, en France, une cellule
terroriste pour viser l’ambassade des Etats­
Unis. Des déclarations extorquées sous la
torture, affirmera­t­il plus tard.
Kamel Daoudi, l’informaticien présumé du
commando, est, lui, interpellé le 25 septem­
bre 2001, à Londres, deux semaines après les
attaques de New York et de Washington. Lors
de son procès à Paris, en mars 2005, il nie
tout en bloc, les liens avec Al­Qaida comme le
projet d’attentat. Sans convaincre : il est
condamné à neuf ans de réclusion pour « as­
sociation de malfaiteurs terroriste ». Une
peine que la cour d’appel de Paris, neuf mois
plus tard, ramène à six ans « afin de mieux
tenir compte de [sa] réelle implication dans les
faits poursuivis », tout en le déclarant défini­
tivement persona non grata en France.
A sa sortie de prison, en avril 2008, Kamel
Daoudi aurait dû prendre un aller simple
Kamel Daoudi,
suspect
à perpétuité
Autrefois condamné pour terrorisme, cet ancien
islamiste de 46 ans est assigné à résidence
depuis presque treize ans en France. Une vie
kafkaïenne, ballottée de commune en commune,
soumise à plusieurs pointages quotidiens
pour son Algérie natale. Mais la Cour euro­
péenne des droits de l’homme (CEDH) s’est
opposée à son renvoi vers ce pays, où son
pedigree d’ex­djihadiste ferait de lui « une
cible » pour les services de renseignement.
Voilà pourquoi, presque treize ans plus tard,
le quadragénaire est toujours en France, et
dans une situation si particulière : indésira­
ble, mais ni expulsable ni régularisable.
Treize ans à vivre là où l’administration le
décide, à déménager quand on le lui enjoint
et à chercher vainement une terre d’asile.
PÉTITION DU VOISINAGE
Au fil des arrêtés d’assignation à résidence,
l’Algérien a appris à connaître cette France qui
ne veut plus de lui. Ses vertes campagnes, sur­
tout. Du côté d’Aubusson, en Creuse, d’abord,
puis de Longeau­Percey et Fayl­Billot, deux
communes de Haute­Marne, Lacaune et
Carmaux, dans le Tarn, Saint­Jean­d’Angély, en
Charente­Maritime et, enfin, Aurillac, dans le
Cantal. Parfois, on lui explique pourquoi il
doit changer de résidence, parfois non.
Kamel Daoudi serait bien resté à Aubusson,
où il a fait la connaissance de Sandra, une
Creusoise convertie, déjà maman d’une
petite fille. Si l’assignation est une prison à
ciel ouvert, celle­ci fait la taille du départe­
ment. Entre les deux pointages, le matin et
en fin d’après­midi, le couple goûte un sem­
blant de liberté. « On vivait presque normale­
ment, on allait voir mes amis, on se baladait »,
se remémore Sandra, enseignante dans une
classe accueillant des élèves en difficulté.
Le 3 décembre 2009, la jeune femme,
enceinte de huit mois, a rendez­vous pour sa
troisième échographie. Il neige, sa fille est
malade. Kamel brave l’interdiction de quitter
la Creuse pour les accompagner à la clinique, à
horizons | 19
Limoges, dans le département voisin de la
Haute­Vienne. Ils sont arrêtés sur la route.
« Une vraie scène de film, raconte Sandra, avec
gyrophares, mégaphones et armes pointées sur
nous. » Pour l’ancien détenu, c’est le retour à la
case prison : six mois pour violation de ses
obligations. En prime, il doit dire adieu à
Aubusson. Direction un village de Haute­
Marne : Longeau­Percey, 743 habitants.
Il lui faudra attendre trois ans et autant de
déménagements pour vivre de nouveau sous
le même toit que sa famille, à Carmaux (Tarn)
cette fois. Sandra, mutée dans la région, y
achète une vieille ferme que son compagnon
« CHAQUE FOIS  retape. Deux autres enfants naissent, un gar­
QU’UN ATTENTAT  çon puis une troisième fille. Son quotidien,
Daoudi le situe lui­même, sur son compte
SE PRODUIT, KAMEL  Twitter, « au carrefour d’Ubu Roi de Jarry et du
Procès de Kafka ». Il veut passer le permis de
EST L’OBJET D’UNE  conduire ? Impossible, puisque l’examen né­
cessite de rouler en dehors de l’aggloméra­
SURVEILLANCE  tion. Il est admis à l’université d’Albi en li­
ACCRUE » cence professionnelle « analyse et gestion du
traitement des eaux » ? C’est non : les autori­
ME EMMANUEL DAOUD sations de déplacement sont accordées « à ti­
avocat de Kamel Daoudi tre exceptionnel », lui indique la direction des
libertés publiques et des affaires juridiques,
qui régit son existence depuis le ministère de
l’intérieur. Il souhaite pratiquer le taek­
wondo ? Exclu, la salle se trouvant quelques
mètres à l’extérieur du périmètre carmausin.
Un centre d’appels lui offre un emploi ? Le
siège de l’entreprise met son veto.
Le terrorisme islamiste qui ensanglante la
France au mitan des années 2010 attise les
soupçons et aiguise les craintes. A Carmaux,
des voisins gardiens de la paix se démènent
pour que le bébé des Daoudi soit évincé de la
crèche. Une pétition contre la famille circule.
Pendant deux mois, un car de CRS stationne,
chaque nuit, devant leur maison. L’identité de
leurs visiteurs est contrôlée. Une perquisition
administrative dévoile les recherches menées
en ligne par l’ex­condamné sur les voisins
policiers, l’utilisation de la messagerie cryptée
Signal et des IMSI­catchers – ces appareils qui
permettent d’intercepter les communications
mobiles. « Simple curiosité », selon Sandra. Trop
peu pour justifier une garde à vue, mais assez
pour ordonner un déplacement. Un dimanche
de novembre 2016, le quadragénaire ne ressort
pas du commissariat après son pointage mati­
nal. Sans pouvoir embrasser ses enfants, il est
embarqué vers une nouvelle destination : une
chambre d’hôtel à Saint­Jean­d’Angély (Charen­
te­Maritime), à cinq heures de voiture de sa fa­
mille. Il y restera deux ans et trois mois.
En février 2019, Daoudi, son éternel keffieh
autour du cou, emménage à Aurillac, dans le
Cantal, à 150 km de Carmaux. Une faveur de
l’administration qui a accepté de le rappro­
cher des siens. A la longue, toutefois, les liens
se distendent, usés par les vacances scolaires à
six dans une petite chambre d’hôtel, minés
par le désespoir grandissant. « Nous sommes
comme aspirés, lui, moi, les enfants, par un
trou noir », souffle Sandra. Pour meubler sa
solitude, Daoudi se plonge dans des livres
politiques, dévore la presse et commente l’ac­
tualité sur Twitter. A La Loupiote, un café asso­
ciatif d’Aurillac, il trouve un havre de convivia­
lité. « C’est un type sympa, jovial, cultivé,
opposé au sexisme et à l’homophobie, assure
Laurence Cabannes, l’une des animatrices du
lieu. Grâce à lui, notre association a mainte­
nant un blog. » Elle ne connaissait pas le par­
cours de son ami, ce passé dont il ne parle
guère, sauf pour dire qu’il a « tourné la page ».
LE RÊVE D’UN DROIT À L’OUBLI
Kamel Daoudi, lui, rêve d’obtenir le droit à
l’oubli et à un nouveau départ. De s’évader du
no man’s land dans lequel il est encalminé.
Alors, soutenu par Amnesty International, il
poursuit sa guérilla juridique. Devant la
CEDH, pour dénoncer une privation de liberté
à perpétuité. Devant le tribunal administratif
de Paris, qui examinera, jeudi 14 janvier, sa
demande d’annulation des arrêtés d’assigna­
tion le visant. Trois fois, il en a demandé la
levée. Trois fois, elle lui a été refusée. Pour la
justice, il reste un « étranger devant être recon­
duit à la frontière » qui n’aura pas fini de payer
sa dette à la société tant qu’un pays étranger
ne lui aura pas accordé l’asile. Et qu’importe si
la quarantaine d’Etats sollicités lui ont claqué
la porte au nez. « Comment, dans le climat
actuel, trouverait­il un point de chute avec cette
étiquette de terroriste dont il lui est impossible
de se défaire ? », se désespère Sandra.
Une fois, une seule, la justice lui a donné
raison. C’était en décembre 2018. Il compa­
raissait devant le tribunal de Saintes (Charen­
te­Maritime) pour deux pointages tardifs à
Saint­Jean­d’Angély. Les juges l’ont relaxé, se
déclarant « incapables de statuer sur la léga­
lité de l’arrêté ministériel » qui fonde l’assigna­
tion à résidence, « en l’absence de tout élé­
ment factuel » transmis par l’administration.
Même Françoise Rudetzki, dont l’association
SOS Attentats était partie civile au procès de
2005, juge la situation « pas juste » : « On ne
peut pas imposer une deuxième peine à quel­
qu’un qui a payé sa dette. »
Mais l’actualité, jalonnée d’attaques isla­
mistes, n’incite pas à la clémence des magis­
trats, responsables policiers et politiques,
tous taraudés par la même angoisse : le deve­
nir de la centaine de condamnés pour terro­
risme qui recouvreront la liberté en 2021 et
2022. Une proposition de loi, adoptée au
début de l’été 2020, voulait leur imposer des
« mesures de sûreté » – obligation de résider
dans un lieu déterminé, interdiction d’entrer
en contact avec certaines personnes, notam­
ment. Elle a fait long feu, car le Conseil cons­
titutionnel a retoqué l’essentiel du texte pour
« atteinte à la liberté d’aller et venir, au respect
au droit de la vie privée et au droit de mener
une vie familiale normale ».
Ces mots, Kamel Daoudi n’y croit plus. En
mars 2020, la cour d’appel de Paris a maintenu
l’interdiction définitive du territoire qui le
frappe. Rongé par l’échec, il s’est un peu laissé
aller, a négligé sa recherche d’un pays d’ac­
cueil, multiplié retards de pointage et entorses
au couvre­feu. Jusqu’au 25 septembre dernier.
Ce jour­là, à 21 h 25, il a été arrêté à La Loupiote
pour s’être attardé à la soirée « falafels et
karaoké ». Quelques heures plus tôt, à Paris, un
jeune migrant avait blessé deux personnes à
la machette devant les anciens locaux de
Charlie Hebdo. Son avocat, Me Emmanuel
Daoud, ne croit pas au hasard des dates. « Cha­
que fois qu’un attentat se produit, Kamel est
l’objet d’une surveillance accrue, constate­t­il.
Je suis convaincu que la machine étatique s’em­
ploie avec cynisme à le faire dérailler pour le
renvoyer en prison pendant des années. Ou le
pousser au suicide. » Condamné à un an de
détention pour non­respect de ses obliga­
tions, son client est actuellement détenu à la
maison d’arrêt de Lyon­Corbas (Rhône). Il a
fait appel et sera rejugé le 27 janvier. 
anne vidalie
20 | carnet 0123
SAMEDI 9 JANVIER 2021

Christine Clerici, Aldo, Joséphine, Frédéric, Romain, Jean-François,

présidente d’Université de Paris, ses enfants son mari, Prix de thèse
Sylvain Moutier, et leurs proches, Christophe, Florence et Jérôme,
doyen de la faculté sociétés et Éric et Hong,
en vente Le Carnet humanités, ont la grande tristesse de faire part ses enfants et beaux-enfants,
du décès de Romain, Claudia, Ludovic, Mathilde,
actuellement Isabelle Jambaqué-Aubourg, Héloïse, Coline,
directrice de l’Institut de psychologie, ses petits-enfants et leurs conjoints,
Vous pouvez nous faire parvenir Marie-Thérèse PELLAS,
Théophile,
née PRIGENT,
vos textes soit par e-mail : ont eu la grande tristesse d’apprendre son arrière-petit-fils,
décoratrice-étalagiste,
K En kiosque carnet@mpublicite.fr le décès du Patrick,
son frère,
(en précisant impérativement survenu le 2 janvier 2021.
votre numéro de téléphone et ont la tristesse de faire part du décès L’Assemblée nationale
professeur Pierre COSLIN, La cérémonie religieuse aura lieu de décerne
votre éventuel numéro d’abonné en l’église Saint-Denys-du-Saint- un prix de thèse
ou de membre de la SDL) Sacrement, Paris 3e, le 12 janvier, Ghislaine THEROUDE, en droit parlementaire
HORS-SÉRIE

JOHN survenu à l’aube de 2021. à 10 h 30. née RANCHON, et un prix de thèse en histoire
soit sur le site : de l’institution parlementaire.
LENNON https://carnet.lemonde.fr survenu le 27 décembre 2020,
Ils s’associent à la tristesse de sa
SPLENDEUR

Marc et Albane Plateau,

ET MISÈRE D’UN

à Aix-en-Provence. Afin d’encourager et de promouvoir

ROCK ’N’ROLL
HÉROS
1940— famille, de ses proches et de toutes ses parents,
1980 L’équipe du Carnet reviendra vers la recherche dans des domaines
celles et ceux qui ont travaillé à ses Cyprien et Samuel Plateau- 160 B, chemin des Faridoux,
vous dans les meilleurs délais intéressant directement
côtés. Holleville, 84160 Cadenet. le Parlement français,
pour vous confirmer la parution. ses frères, l’Assemblée nationale
Anne et Guy Laroque, décerne deux prix de thèse,
ont la profonde tristesse de faire part Bourg-la-Reine. destinés à distinguer :
carnet@mpublicite.fr Jean-Baptiste et Geneviève Laferrère,
du décès de • d’une part, une thèse en droit
Guillemette et Jonathan (†) Veale, Pascale Woirhaye Bonnabel,
https://carnet.lemonde.fr son épouse,
parlementaire français,
Blandine et Christopher March, Alice PLATEAU-HOLLEVILLE, • d’autre part, une thèse
Hors-série Gautier Woirhaye,
Fabienne et Erick Romestaing, en histoire parlementaire
AU CARNET DU «MONDE» son fils,
France et Christophe Baudart, survenu à Saint-Etienne, depuis la Révolution française.
Ariane Lefrançois,
ses enfants, le 25 décembre 2020, sa sœur,
à l’âge de vingt-cinq ans. Bertrand Woirhaye, Peuvent être présentées les thèses
Décès Ses vingt petits-enfants,
son frère de doctorat rédigées
Ses arrière-petits-enfants, en langue française
Pierre Cabanes, Alice a lutté courageusement et sa et leurs familles,
Hors-série
Hor
Hors-sé
-sér
rie Sa famille, et soutenues entre le 1er janvier 2020
famille s’associe à tous ceux qui, de
Décembre 2020 - janvier 2021

Bruno et Flora Cabanes ont la tristesse de faire part du décès et le 31 décembre 2020.
près ou de loin, se battent contre la Chacun de ces prix de thèse
et leurs enfants, ont la tristesse de faire part du rappel maladie psychique. de
Cécile Cabanes, ouvre droit à une aide
à Dieu de à la publication versée
Hugues WOIRHAYE,
BEST OF ses enfants et ses petits-enfants,
Philippe et Amélie Cabanes Diane Richard-Lambert chevalier directement à l’éditeur.
Elisabeth LAFERRÈRE, Aude Richard, de l’ordre national du Mérite,
et leurs enfants, née GARNIER, Il appartient aux étudiants
magistrat honoraire,
2020 En partenariat
avec
Sa famille,
Ses amis,
1928-2021. ont la tristesse d’annoncer le décès
de leur père, suvenu le 31 décembre 2020,
intéressés de :
télécharger le dossier
à l’âge de soixante-dix ans. de candidature sur le site Internet
Avec 11 pages de jeux conçues par le magazine
Elle rejoint son époux, de l’Assemblée nationale,
ont la douleur de faire part de la Jacques Louis RICHARD,
Hors-série disparition de Les obsèques auront lieu au à la page suivante :
Michel LAFERRÈRE, inspecteur général honoraire, http://www2.assemblee-nationale.
cimetière de Grammont, à
Montpellier, le samedi 9 janvier 2021, fr/informations-pratiques/
Monique CABANES, survenu le 5 janvier 2021, bibliotheque-et-
décédé en 2017. à l’âge de quatre-vingt-dix ans. à 9 h 30.
archives#node_8065
décédée du Covid, le 2 janvier 2021. Cet avis tient lieu de faire-part. ou bien d’envoyer un courrier
Collections Une messe d’action de grâce sera
Les obsèques seront célébrées
le lundi 11 janvier, à 10 heures, en
l’église de Saint-Cyr-au-Mont-d’Or.
Mme Eva Ruchpaul,
sa mère,
Anniversaire de décès
électronique à :
prixdethese@assemblee-nationale.fr
ou bien de s’adresser
célébrée en la basilique Notre-Dame- Jules Ruchpaul,
du-Port de Clermont-Ferrand, le son fils, à la division des Archives
samedi 9 janvier, à 15 heures. Shanti Ruchpaul, Il y a un an nous quittait de l’Assemblée nationale :
Anne Hidalgo, service de la Bibliothèque
et maire de Paris, sa sœur,
Hervé CRESPIN, et des Archives - Assemblée
présentent 3, rue Saint-Hérem, présidente du conseil de surveillance nationale,
63000 Clermont-Ferrand. ont la douleur de faire part du décès 22 septembre 1969 - 9 janvier 2020. 126, rue de l’Université,
de l’Assistance Publique-Hôpitaux de
105, South Roosevelt avenue, de Paris, 75355 Paris Cedex 07 SP.
Bexley OH 43209 (États-Unis). Nous pensons à lui. Les candidats devront faire
Martin Hirsch, Mme Ananda RUCHPAUL,
19, rue de Nohanent, parvenir leur thèse, au format PDF,
directeur général de l’Assistance agnes.crespin@free.fr à l’adresse électronique
Résidence Victor-Duruy, survenu à l’âge de soixante-trois ans.
Publique-Hôpitaux de Paris, indiquée ci-dessus.
63100 Clermont-Ferrand.
Le professeur Rémi Salomon, L’impression sera assurée
27, avenue des Peupliers, Pour l’organisation des funérailles, Assemblée générale par l’Assemblée nationale.
président de la Commission médicale
78700 Conflans-Sainte-Honorine. merci de contacter Shanti Ruchpaul.
d’établissement de l’Assistance
Publique-Hôpitaux de Paris, L’ANCEF La date limite de dépôt
Irène, Pierre, Jean, La famille remercie par avance organise son assemblée générale des candidatures est fixée
ses enfants toutes les personnes qui prendront le 14 janvier 2021, à 13 h 30, au vendredi 29 janvier 2021,
ont la tristesse de faire part du décès part à sa peine. à son siège, à Grenoble (Isère). à 17 heures.
et leurs conjoints, du
Sara, Lætitia, Simon, Agnès, Clément,
Actuellement en vente, Chloé, Nicolas, Maël, Sébastien,
le volume n° 6 ses petits-enfants, professeur Alain LAUGIER,
DEGAS Noé, Rose, Élise, Adam, professeur émérite,
ses arrière-petits-enfants, praticien hospitalier
et professeur des Universités,
ont la tristesse de faire part du décès ancien chef de service
de de radiothérapie à l’hôpital Tenon,
présente GHU AP-HP.Sorbonne Université,
Paulette CARRIVE-PAILLISSÉ, secrétaire fondateur
LES GRANDS PERSONNAGES
DE L’HISTOIRE EN BANDES DESSINÉES ENS Sèvres, de l’Association des Alumni & Amis
professeur émérite de l’AP-HP,
de l’université de Paris 1
(Panthéon-Sorbonne),
survenu le 25 décembre 2020, à Paris.
survenu le 6 janvier 2021.
Ils expriment leurs vives
« Heureux les artisans de paix ».
condoléances à sa famille et à ses

Christine Clerici,
proches.
Envie d’un cadeau original et personnalisé :
accédez à l’ensemble
présidente d’Université de Paris,
Xavier Jeunemaitre, Julie Leibowitch et Louise
doyen de la Faculté de santé, Deschamps,

de nos Unes livrées encadrées.

Philippe Ruszniewski, ses filles,
Dès le jeudi 7 janvier, doyen de l’UFR de médecine, Martine Pattou,
le tome 1 sa sœur,
DE GAULLE ont eu la grande tristesse d’apprendre Joshua et Jules Jouan Leibowitch
le décès du et Calypso Murat,
ses petits-enfants,
Alain Jouan et William Murat,
professeur ses beaux-fils
Jean-Louis CHAUSSAIN, Ses cousines et cousins,
ancien chef
DE LA PHILOSOPHIE de service d’endocrinologie ont la tristesse de faire part du décès MA
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aura lieu le mardi 12 janvier 2021,

so té ou plu nte tes t vie C’e a le isi rum
la ume de rna an ria ». de nonifiai
no en ec ab sition d’e ns », qu Fo gra uo r d’i gh
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Il cho
ont rs du d’inté Pourqparle illes ma ava ation ind id
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celles et ceux qui l’ont côtoyé.

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PAGES 12-13

Lecteurs
Enquête
Cécile Prieur, Emmanuel Davidenkoff (Evénements) Mexique: au
Directrice éditoriale Sylvie Kauffmann cœur du cartel
de Sinaloa
Rédaction en chef numérique ont l’immense douleur de faire part Bertrand Monnet, spécia­

Hélène Bekmezian
K Abonnements
liste de l’économie des
organisations criminelles,

du décès de
a rencontré les «narcos»

Rédaction en chef quotidien

du plus puissant cartel
mexicain. Le début de
notre série en trois volets

Michel Guerrin, Christian Massol, Camille Seeuws,

Sur abo.lemonde.fr
PAGES 22-23
Algérie 220 DA, Allemagne 3,70 €, Andorre 3,50 €, Autriche 3,80 €, Belgique 3,20 €, Canada 5,80 $ Can, Chypre 3,20 €, Danemark 36 KRD, Espagne 3,50 €, Gabon 2 400 F CFA, Grande-Bretagne 3,10 £, Grèce 3,50 €, Guadeloupe-Martinique 3,30 €, Guyane 3,50 €,
Hongrie 1 440 HUF, Italie 3,50 €, Luxembourg 3,30 €, Malte 3,20 €, Maroc 22 DH, Pays-Bas 3,80 €, Portugal cont. 3,50 €, La Réunion 3,30 €, Sénégal 2 400 F CFA, Suisse 4,40 CHF, TOM Avion 500 XPF, Tunisie 4,10 DT, Afrique CFA autres 2 400 F CFA

Franck Nouchi (Débats et Idées)

Gérard NAUDÉ,
V1

Par tél. au 03 28 25 71 71
Sortie par boivin le 09/12/2020 11:58:40 Date de Publication 04/12/2020

Directeur délégué aux relations avec les lecteurs

de 9 h à 18 h (prix d'un appel local) Gilles van Kote
Directeur du numérique Julien Laroche-Joubert survenu le 3 janvier 2021,
Chef d’édition Sabine Ledoux
K Le Carnet du Monde Directrice du design Mélina Zerbib le jour de ses quatre-vingt-un ans.
Direction artistique du quotidien Sylvain Peirani
carnet@mpublicite.fr Photographie Nicolas Jimenez

RENDEZ-VOUS SUR WWW.LEMONDE.FR/BOUTIQUE

Infographie Delphine Papin Professeur agrégé d’anglais,
Directrice des ressources humaines du groupe maître de conférence et honoré de

En vente sur boutique.lemonde.fr/unes-du-monde

Emilie Conte l’ordre des Palmes académiques, il
Secrétaire générale de la rédaction Christine Laget
Conseil de surveillance Jean-Louis Beffa, président, était retraité de l’université de La
Sébastien Carganico, vice-président Sorbonne-Nouvelle (Paris-3).
0123
SAMEDI 9 JANVIER 2021
Apolonia Sokol peint le théâtre de l’intimité
PROMESSES DE 2021 5|12 Douze artistes à suivre cette année. Aujourd’hui, la jeune pensionnaire de la Villa Médicis
RENCONTRE
C
rocs rose fluo aux pieds,
collants résille clairs,
jupe écossaise et man­
teau mi­punk mi­cha­
mane de son amie l’artiste Vava
Dudu : Apolonia Sokol est une
pensionnaire qui détonne sur les
hauteurs de Rome, où la Villa
Médicis accueille chaque année
seize artistes et chercheurs dans
son palais Renaissance. A 32 ans,
la flamboyante peintre, parmi
les plus jeunes de la promo­
tion 2020­2021 de l’Académie de
France, trace énergiquement sa
route, qui l’a menée du quartier
populaire de la Goutte d’Or, à
Paris, jusqu’au saint des saints des
résidences artistiques françaises.
Elle a grandi au Lavoir Moderne
Parisien, petit théâtre fondé
par ses parents et nid de ren­
contres multiculturelles. « La pro­
grammation était dédiée aux piè­
ces d’auteurs vivants, majoritaire­
ment africains, mais c’était aussi
un espace de vie du quartier, où
les habitants organisaient maria­
ges, cérémonies funéraires, ate­
liers ou même des rendez­vous de
planning familial. » Un cadre ar­
tistique et émotionnel puissant
qui a nourri sa fascination pour
les personnes de l’underground,
et où elle a aussi rencontré la
peinture : « A l’étage, il y avait un
espace d’exposition où se retrou­
vaient des peintres amis de ma
mère, tous d’origine polonaise, qui
m’ont appris le dessin. »
Engagement féministe
A 8 ans, un séjour dans un hôpital
catholique de Lyon pour soigner
une maladie orpheline lui fait
appréhender la peinture sur un
mode presque mystique : « Les
sœurs m’apportaient des bibles il­
lustrées par les maîtres italiens.
Alors que je ne crois en rien, j’ai
ensuite voulu me faire baptiser
pour me rapprocher de la pein­
ture. » La suite de sa formation
reste grande ouverte sur le
monde : à 13 ans, elle prend des
cours du soir de modèle vivant à
Copenhague, où elle est partie vi­
vre avec sa mère ; à 16 ans, la pein­
ture allemande l’attire à Düssel­
dorf ; à 19 ans, elle entre aux
Beaux­Arts de Lyon, qu’elle quitte
en n’y ayant pas trouvé sa place, et
part travailler pour un festival au
Maroc. Trois ans plus tard, elle re­
tourne au théâtre vivre avec son
père et entre aux Beaux­Arts de
Paris. Puis s’installe à New York,
où elle est l’assistante du peintre
Quatre­vingt­dix­huit gagnants au Loto du patrimoine
La mission dirigée par Stéphane Bern a désigné les monuments qui bénéficieront des 15 millions d’euros récoltés
U n peu plus de 15 millions
d’euros pour 98 monu­
ments en péril. La mis­
sion patrimoine menée par l’ani­
mateur Stéphane Bern a dévoilé,
mercredi 6 janvier, les montants
accordés aux 101 sites privés ou
publics sélectionnés l’été dernier
pour bénéficier de l’édition 2020
du Loto du patrimoine (trois al­
locations ont été reportées,
leurs projets de restauration
n’étant pas assez aboutis). Une
aide bienvenue pour tous les châ­
teaux, fontaines, chapelles, pi­
geonniers, moulins, prieurés,
écluses, couvents ou remparts
qui nécessitent des travaux d’ur­
gence mais ont du mal à trouver
les financements pour le faire.
Au total, 19 sites sur les 98 rete­
nus ont obtenu 300 000 euros, le
montant maximum qui pouvait
leur être alloué. Ces aides doivent
en effet être obligatoirement com­
Apolonia Sokol, en janvier, à la Fondazione Memmo, à Rome. DANIELE MOLAJOLI
Dan Colen, à Los Angeles, où elle
travaille dans l’atelier de Henry
Taylor, et à Bruxelles, avant de
revenir à Paris « pour de bon ».
Ce parcours s’est doublé d’un en­
gagement féministe dont le Lavoir
Moderne Parisien, où conteuses et
poétesses ont bercé son enfance,
est aussi le creuset. C’est là qu’elle
a hébergé la peintre et fondatrice
des Femen, Oksana Chatchko, de­
venue sa meilleure amie, qui s’est
donné la mort en 2018. Pendant le
premier confinement, elle a peint
sa version du Printemps, de Botti­
celli, tableau sur la fertilité qu’elle
a peuplé de femmes trans ou non
binaires : « On pourrait imaginer
qu’elles ne sont absolument pas
fertiles, j’estime qu’elles le sont plus
que quiconque, ayant la capa­
cité de donner naissance à un soi
plétées par des financements lo­
caux ou privés, pour éviter les ef­
fets d’aubaine. Parmi les heureux
élus, l’ancien couvent des Bernar­
dines, à Saint­Aignan­sur­Cher
(Loir­et­Cher), le fort de Tournoux,
à La Condamine­Châtelard (Alpes­
de­Haute­Provence), les serres
du château de Savoye, à Villabon
(Cher), le mur à pêches de Mon­
treuil (Seine­Saint­Denis), le do­
maine de Senelles, à Bias (Lot­et­
Garonne), ou encore le pigeonnier
du château de Lacassagne (Gers).
Chaque département représenté
Si les châteaux et églises se
taillent sans surprise la part du
lion, d’anciens sites industriels
ont également été retenus,
comme la manufacture de cou­
vertures et de molletons de Thi­
zy­les­Bourgs (Rhône), dotée de
300 000 euros, la briqueterie
des Chauffetières, à L’Hôme­Cha­
plus juste. » Le tableau fait actuelle­
ment partie de l’exposition « Pos­
sédé.es » au Mo. Co, à Montpellier,
qui envisage l’art et l’occulte
comme moyen de résistance.
Ce portrait de groupe à échelle
humaine est le fruit de nombreux
échanges avec chacune d’elles :
« Il était primordial pour moi de ne
pas les objectifier, donc de com­
prendre leur vie et de les représen­
ter telles qu’elles le désiraient. C’est
important de se questionner sur ces
choses­là, la femme ayant telle­
ment été réduite, dans la peinture, à
une allégorie, un objet de désir, nue
et sans nom. » Comme à chaque
fois, entre dans la transe de ses toi­
les, nourries d’emprunts et de dia­
logues avec l’histoire de l’art, une
famille élargie, tribu de cœur bros­
sée avec soin à la peinture à l’huile.
mondot (Orne), qui bénéficiera de
47 000 euros, ou l’ancienne laite­
rie du Mazeau (Vendée), qui tou­
chera également 300 000 euros.
De même, la maison natale de Co­
lette, à Saint­Sauveur­de­Puisaye
(Yonne) et la demeure où vécut un
temps Gérard Philipe à Cergy
(Val­d’Oise) seront aidées, à hau­
teur de 300 000 euros chacune.
Conformément à la volonté de
l’Etat, chaque département est re­
Si les châteaux
et églises
se taillent la part
du lion, d’anciens
sites industriels
ont également
été retenus
Dans son atelier romain, elle ter­
mine une toile de 4 mètres en vo­
lume courbe pour une exposition
avec le duo Harald Thys et Jos de
Gruyter (Pavillon belge de la Bien­
nale de Venise 2019) qui ouvrira à
la Fondazione Memmo, voisine,
au déconfinement. Projet d’une
période un peu folle, l’exposition
a été imaginée comme un dia­
logue avec La Nef des fous, un
ouvrage satirique du XVe siècle il­
lustré par Dürer, où marginaux et
personnes handicapées sont em­
barqués sur une barque destinée
à la noyade. Ici, l’embarcation se
mue en une sorte d’arche de l’es­
poir peuplée de femmes queer,
trans, non binaires de tous âges.
Si la situation sanitaire le
permet, est prévu, à l’automne
2021, le premier solo parisien de
présenté dans la liste, ainsi que
les collectivités d’outre­mer. La
maison du directeur du bagne
des îles du Salut, à Cayenne
(Guyane), devrait ainsi bénéficier
de 300 000 euros, la maison Lien­
sol à Basse­Terre (Guadeloupe)
touchera 81 000 euros, l’habita­
tion Céron au Prêcheur (Marti­
nique) 300 000 euros, et l’ancien
bâtiment du Crédit foncier de Ma­
dagascar, situé au Port (Réunion),
70 000 euros. La plus petite en­
veloppe, 8 000 euros, a été attri­
buée au projet de réhabilita­
tion de la diamanterie de Pont­
Roby, construite au début du
XXe siècle à Felletin (Creuse) et
fermée en 1982, qui doit être
transformée en musée. Dix­huit
autres sites « emblématiques »,
présentés en juin 2020 pour ser­
vir de vitrine à l’événement, ont
également reçu une enveloppe de
6,1 millions d’euros.
culture | 21
Sa version du
« Printemps »
de Botticelli,
tableau sur
la fertilité, est
peuplée
de femmes trans
ou non binaires
l’artiste avec la jeune galerie The
Pill, qui la représente. « L’idée est
de faire deux expos simultanées,
l’une dans la galerie à Istanbul,
dans le cadre de la Biennale, l’autre
dans un lieu pop­up à Paris, où
j’aimerais qu’elle prenne la forme
d’un petit théâtre peuplé d’artistes,
« Du mur à pêches emblémati­
que de Montreuil jusqu’à des rem­
parts bretons, d’anciennes manu­
factures, des théâtres ou des pi­
geonniers, c’est toute la richesse du
patrimoine français qui est sauvée
grâce à l’argent du Loto. Et ce sont
souvent des monuments non pro­
tégés, qui ne reçoivent donc pas
d’aides de l’Etat », souligne Sté­
phane Bern, le « M. Patrimoine »
choisi par Emmanuel Macron
pour diriger l’opération. Une nou­
velle édition du Loto du pa­
trimoine, la quatrième, doit
avoir lieu en 2021 pour aider les
sites en péril. Les candidats (pro­
priétaires privés, associations,
communes, etc.) avaient jusqu’au
15 décembre pour déposer
leur dossier. « Nous avons reçu
647 nouvelles candidatures », as­
sure Stéphane Bern. Toutes ne
pourront être retenues. 
cédric pietralunga
tout en mises en abyme. Une façon
de montrer que l’artiste ne travaille
jamais seul, et de rendre hommage
à tous ces gens qui font les œuvres
avec moi, me donnent de leur per­
sonne pour faire mes tableaux. »
2021 devrait aussi être l’année de
la sortie d’un documentaire sur
son parcours, coproduit par HBO
Europe et réalisé par la Danoise
Lea Glob, qui la suit depuis plus de
dix ans. D’ici là, Apolonia Sokol a
repris le flambeau d’une mission
à domicile confiée par une pen­
sionnaire, Pauline Curnier­Jardin :
questionner la présence des vesti­
ges du colonialisme à la Villa Médi­
cis, fondée en 1666 par Colbert. 
emmanuelle jardonnet
Prochain article
Alexandre Fandard
MUSI Q UE
Neil Young vend
la moitié des droits
de son catalogue
Le chanteur de rock canadien
Neil Young a vendu la moitié
des droits de l’intégralité
de son catalogue de
1 180 chansons à la société
d’investissement spécialisée,
cotée à Londres, Hipgnosis
Songs Fund, a déclaré,
mercredi 6 janvier, la société,
sans dévoiler le montant de
la transaction. Neil Young,
âgé de 75 ans, a sorti plus
de cinquante albums studio
et vingt albums live, dont
sept certifiés platine et trois
multiplatine. Cet accord est
le troisième que Hipgnosis
conclut cette semaine après
des contrats passés avec le
guitariste de Fleetwood Mac,
Lindsey Buckingham, mardi,
et le producteur de disques
Jimmy Iovine, lundi. Il fait
également suite à la vente
de l’intégralité des droits du
catalogue de l’auteur­compo­
siteur américain Bob Dylan
à Universal Music Group en
décembre 2020. – (Reuters.)
22 | télévision
Et Georges Méliès renaquit des cendres de ses films
Serge Bromberg et Eric Lange ont enquêté sur la reconstitution de l’œuvre du cinéaste, qu’il avait entièrement détruite
ARTE
SAMEDI 9 - 0 H 30
DOCUMENTAIRE
P
assé de la bottine à la bo­
bine, de la « voie lacée »
(comme le dit la formule
d’Arte) à la voie lactée
(qui orne le décor de certaines de
ses fantaisies cinématographi­
ques), Georges Méliès (1861­1938),
promis comme ses aïeux au mé­
tier de la chaussure de luxe, et ma­
rié à une femme née dans le même
milieu, échappera à ce destin qui,
décidément, ne le bottait pas.
On l’occupe, dans la fabrique pa­
ternelle, à l’entretien des machi­
nes, ce qui profitera à ses futures
inventions techniques et visuelles.
Envoyé à Londres pour parfaire
sa formation, le jeune homme
préfère passer son temps dans les
théâtres de magie, qui font florès,
et surtout l’Egyptian Hall : une ir­
répressible passion est née.
A la mort du père, Méliès décide
d’investir son héritage dans le
rachat, sur les Grands Boulevards,
du Théâtre Robert­Houdin, où se
donnent des spectacles d’illusion
et où l’on escamote des dames en
public. Captivé par les premières
inventions de caméras argenti­
ques d’Edison et des frères Lu­
mière, il invente à son tour ce qui
lui servira, disait Louis Lumière,
non « pas à enregistrer le réel, [mais
à donner] naissance à un univers
Raoul Taburin, l’as du vélo qui ne tenait pas en selle
Le réalisateur Pierre Godeau donne vie au personnage créé par Sempé dans une adaptation tendre et poétique, avec Benoît Poelvoorde
OCS MAX
SAMEDI 9 - 20 H 40
FILM
S empé a enfin trouvé au
cinéma ses admirateurs
respectueux et inspirés.
Pour les nommer, le réalisateur
Pierre Godeau et le scénariste
Georges Méliès, en 1930. LOBSTER FILMS/ARTE
où l’imaginaire et le merveilleux
règnent en maîtres ».
Son théâtre va le ruiner, mais
Méliès se refait, grâce à des films
dont la folle inventivité va bénéfi­
cier des apports techniques d’un
premier puis d’un deuxième stu­
dio où il peut tourner à son aise.
Sa renommée devient mondiale :
partout, jusqu’aux Etats­Unis, ses
scènes de féerie et ses « scènes à
pecte la simplicité (apparente) et
le sens du détail.
C’est une voix off qui donne le
ton, impose le silence et retient
l’attention. Une histoire va nous
être racontée. Une fable sur fond
de réel, qui se passe quelque part
dans le sud de la France, à une épo­
que surannée, on ne saurait préci­
trucs » réjouissent le public, dont
le fameux Voyage dans la Lune
(1902), de près d’une heure, qui re­
quiert trois mois de préparation.
Geste désespéré
Mais Méliès connaîtra de nouveau
la ruine : il ne voit pas l’industrie
du cinéma se développer et s’orga­
niser et préfère s’accrocher à son
indépendance artisanale. Et le pu­
rons, on ne dit désormais plus un
« vélo » mais un « taburin ».
Le génie du deux­roues qu’au­
réole la gloire paraît pourtant bien
sombre. La raison en est un secret
qu’il cache depuis l’enfance. Sa
réputation ? Une vaste imposture.
Car Raoul Taburin n’est jamais
blic a envie de voir autre chose,
les premiers films de Charlie Cha­
plin, par exemple… Ses studios fer­
ment et, incapable de trouver des
locaux pour y stocker ses films,
Méliès, dans un geste aussi déses­
péré qu’orgueilleux, brûle les né­
gatifs et bobines de 520 films tour­
nés entre 1896 et 1913.
Après une première moitié bio­
graphique, l’excellent documen­
mencé. Quand le petit Taburin,
comme le fils du boucher ou la
fille de l’opticien, avait son avenir
tout tracé. Son père était facteur. Il
0123
SAMEDI 9 JANVIER 2021
NOTRE
SÉLECTION
S AM E DI 9 JAN V I E R
Ciné+ Classic
taire de Serge Bromberg et Eric Le Coup de l’escalier
Lange raconte par quel miracle des 20.50 Film noir de haut niveau signé
négatifs ont été retrouvés, aux Robert Wise en 1959. Un ancien flic,
Etats­Unis notamment, permet­ renvoyé pour corruption, projette de
tant la restauration progressive de commettre un hold-up. Il contacte un
270 des 520 films perdus dont, à ce chômeur et un chanteur noir endetté.
jour, quelque 200 sont visibles. Mais le premier, raciste, refuse de
On laissera au téléspectateur le collaborer avec le second…
plaisir de suivre les méandres
du récit : rachats et reventes ; visi­ LCP
tes de caves et greniers ; décou­ Police, illégitime violence
verte de certains documents dans 21.00 Rediffusion d’un
un état « chimiquement instable », documentaire qui avait fait du bruit
d’autres mieux préservés ; restau­ lors de sa sortie en 2018. Construit
ration par des outils numériques autour de témoignages
qui rendent aux documents leur d’adolescents, d’éducateurs et de
fraîcheur première, etc. Le tout policiers, ce film souligne les tensions
orchestré par une collaboration et rancœurs qui débouchent sur des
franco­américaine entre Lobster violences inacceptables.
Films (qui coproduit ce film), le
Centre national du cinéma et la Bi­ Canal+
bliothèque du Congrès. PSG-Brest
La comparaison avec les copies 21.00 Une affiche prometteuse
qui étaient restées dans des collec­ en direct du Parc des Princes. Entre
tions privées est frappante, mais des Parisiens désormais entraînés par
les amateurs de Méliès pourront Mauricio Pochettino et une équipe
en voir davantage puisque Arte.tv brestoise dont le style de jeu
rend disponibles treize films en spectaculaire est unanimement salué,
version restaurée, avec récitation cela promet une belle soirée de foot.
de l’action en voix off – à la façon
des bonimenteurs de cinéma – et France 24
des musiques d’accompagnement Urgence climatique :
écrites à la manière de Camille les nouveaux rebelles
Saint­Saëns ou d’Erik Satie.  21.10 Un reportage de quinze
renaud machart minutes consacré aux actions de
jeunes militants qui luttent, à travers
Le Mystère Méliès, des mouvements comme Extinction
de Serge Bromberg et Eric Lange Rebellion ou Action non-violente
(Fr., 2020, 58 mn). COP21, pour sauver la planète.
avait fonctionné et lui avait taillé de lui en train de dévaler une des
une image de héros. Adolescent, il pentes abruptes de la montagne.
avait souhaité avouer son secret Laissons là, au récit, sa part de
aux femmes dont il était tombé mystère que ne cultive d’ailleurs