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Etudes Celtiques

Notes sur la civilisation gallo-romaine, IV. «Teutates, Esus,


Taranis»
Paul-Marie Duval

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Duval Paul-Marie. Notes sur la civilisation gallo-romaine, IV. «Teutates, Esus, Taranis» . In: Etudes Celtiques, vol. 8, fascicule
1, 1958. pp. 41-58;

doi : https://doi.org/10.3406/ecelt.1958.1302

https://www.persee.fr/doc/ecelt_0373-1928_1958_num_8_1_1302

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NOTES SUR LA CIVILISATION

GALLO-ROMAINE, IV.

«TEUTATES, ESUS, TARANIS »

PAR

Paul-Marie DUVAL

Aucune précision n’est négligeable au sujet de ces trois


dieux celtiques que nous avons la chance de connaître
par trois vers de Lucain transmis avec annotations et
commentaires, par des inscriptions gallo-romaines et des
documents figurés. L’article de Salomon Reinach, dont
je reprends ici le titre (Rev. Celtique XVIII 1897 = Cultes ,
Mythes et Religions, t. I), nous avertit du fait que ces
divinités ne forment pas une triade nationale parce qu’elles
ne sont pas prêtées par le poète à la Gaule tout entière
mais seulement à certains peuples, qu’il ne nomme d’ailleurs
pas. Depuis, des notices ont rassemblé les documents qui
les concernent, notamment dans la Real-Encyclopädie
par les soins de Ihm (Esus 1909), de Heichelheim (Taranis
1932), de Gröber (Teutates 1934). Comme suite à une
synthèse rapide que j’ai récemment publiée ( Les Dieux
de la Gaule, Paris, 1957), je voudrais apporter ici quelques
observations complémentaires portant notamment sur les
textes et faire le point de nos connaissances positives
concernant chacun de ces grands dieux gaulois, leurs noms
et leurs personnalités. Les textes, tout d’abord :

Io Lucain, Pharsale, I 444-446, après avoir cité uff


grand nombre de peuples gaulois, dont, en dernier, les
Trévires et les Ligures, de l’époque de César :

2-1
42 PAUL -MARIE DUVAL

el quibus inmilis placatur sanguine diro


Teutates horrensque feris altaribus Esus
el Taranis Scythicae non mitior ara Dianae

« et (les peuples) qui apaisent par un sang détestable le


féroce Teutates, le hideux Esus sur ses foyers cruels et
Taranis, autel non moins inhumain que celui de la Diane
de Scythie ».
Quant à la construction du troisième vers, Taranis
peut être un génitif complément du sujet ara (cf. Lejay,
Lucani liber primus, 1894), ou ara une apposition à un
nominatif Taranis en fonction de sujet. Il semble toutefois
que la construction de la phrase repose sur le parallélisme
attendu des trois noms divins et combine avec un raccourci
syntaxique (et Taranis ara non mitior arä Scythicae
Dianae ) un raccourci expressif (identification du dieu
et de son autel), qui serait bien dans la manière de Lucain.
Plutôt qu’un génitif, Taranis doit être le nominatif que
nous retrouvons une fois par ailleurs dans l’anthroponyme
de l’inscription C. I. L., III 7 437 (1. 55) = 6 150 = 12 346
(v. plus loin).

2° Lactance, Div. instil. I, 21, 3 :


Galli Esum atque Teutatem humano cruore placabant.

3° Commentaire de Lucain conservé à Berne, dans un


manuscrit du xe siècle, ce commentaire remontant dans
ses parties les plus anciennes au ive, pour le reste au
vme et au ixe siècles ( Commenta Lucani Bernensia, ed.
Usener 1869 ; Zwicker, F. H. R. C., p. 50). Je dois à l’amitié
de l’éminent latiniste qu’est M. Henri Frère la traduction
que voici, ainsi que les observations ajoutées en note :
Mercurius lingua Gallorum Teutates dicitur, qui humano
apud illos sanguine colebatur (Mercurius dans le parier des
Gaulois est nommé Teutates, lequel était honoré chez eux
de sang humain). Teutates Mercurius sic apud Gallos
(( TEUTATES, ESUS, TARANIS )) 43

placatur: in plenum semicupium1 homo in capul demillillur ,


ut ibi suffocetur (Teutates-Mercurius chez les Gaulois est
apaisé ainsi : dans un cuveau empli, un homme est plongé
par la tête, pour y être asphyxié). Hesus Mars sic placatur :
homo in arbore suspenditur , usque donec per cruorem
membra digesserit 2 (Hesus-Mars est apaisé ainsi : un homme
est suspendu à un arbre jusqu’à ce que, par suite de
l’effusion de son sang, il ait laissé aller ses membres).
Taranis Ditis 3 pater hoc modo aput 4 eos placatur: in alveo
ligneo aliquod 5 homines cremantur (Taranis-Ditis pater est

pallium
n’apparaît
in
son
gaulois
moins
de
suspendi
suggérer,
tête
cruorem
ne
voluntas
Membra
propre
qui
le
VI
surcroît,
vraisemblance
un
A.
Czarnowski,
Serv.
I,
courantes.
283).
quo
2.
1.
verbe
4.
la
3.
«se
Michaelis,
(1902),
sens
par
Lucain
tueur
Semi-cupium,
Suspenditur
Ditis:
Aen.
et
formule
prête
du
potest
;-—
suite
de
il
(Usener
5.
Aproni
digesserit:
s’est
iussit
as’est
indique
monde
à»exprime
VINeue-Wagener,
qu’ici
p.
aput
VI
la
serait
palla)
pas
une
Be
nominatif
homo
d’une
Jahrb.
77,
étendu
273
arbori
la
signification
vidé
in
v.
88à;=
l’idée
tulit,
sorte
substitution
et
:chargé
Celt.
oleastro
accueilli
disiecerit
percurore
resupinus
(tabes)
la
dicimus
«il
apud,
lede
l’abandon
blessure
dans
baril
suspendere,
est
correction
der
second
du
verbe,
Ulp.
de
1925,
d’une
son
analogique
bien
de
cuveau
»aliquod
Gesellsch.
Du
baignoire-sabot.
quodam...
digerit
et
II,
par
:la
Dig.
sang.
pour
rituelle,
secondaire
ms.
p.
hic
tacere
composant
strangulation
apparemment
«Cange
du
clair
dilacération
813
du
baril
Jullian,
1,Dis
: mot
artus,
C
v.
48,

corps,
digesserit,

Le
et
F.
etin
que
de
für
etTam
Cic.
que
aliquot:
:scié
employé
le
Le
Thesaurus
rare
13,
Commentateur
hic
modo
cupa
per
génitif,

percussor
Hist.
l’emploi
de
lothring.
Roux
étant
suspendu
le
Ditis
6Verr.
diu
par
au
ildu
;«contexte
cruore
in
lintris.
bien
brevior:
pour
s’agit
supposant
consumer
mot
deux
pependit
Gaul.
corps
ici
un
le
Ogam,
furca
(Neue-Wagener,
2,
Quintilien,
ss.
du
transmis,
milieu,
dans
banal),
Gesch.
diminutif
de
la
3,vv.
avec
de
(et
cas
Il
fixé
II,
terme
construction,
per
est
57
suspendisse,
Tourneur,
peut
devait
tout
1955,
non
».in
le, àinutilement
p.
inverses
chute
7hominem
cruorem
inquit
est
cuveau
Pour
l’arbre.
rituel
arbore...
159,
ne
autre
(1895),
pendu)
bien
Pétrone,
est
de
p.
tout
être
postule
du
34.
cupa
àn.
la
Formenlehre,
Papias,
Mus.
du
avoir
dechose
prendre
ne
».d’usage
arbitraire
Autrement
et
tilde),
2
corripi
en
leçon
I,
àquam
sacrifice
graphies
(comme
Le
fait
(qui,
Apulée,
et
l’arbre,
p.
autres.
regard
pas
Belge,
eu
etsans
mot
160,
vas,
que
diu
per
elle

au
de
ac
en
et
le:
44 PAUL-MARIE DUVAL

apaisé chez eux de la façon suivante : dans une cuve de


bois, un certain nombre d’hommes sont brûlés).
Item aliter exinde in aliis invenimus1 (nous avons trouvé
de même par la suite des témoignages variant selon leurs
auteurs).
Teutates Mars sanguine diro placatur, sive quod proelia
numinis eius instinctu administrantur , sive quod Galli
antea soliti ut aliis deis huic quoque homines immolare
(Teutates-Mars est apaisé par un sang détestable, soit que
les combats se mènent sous l’impulsion de sa volonté, soit
que les Gaulois aient eu antérieurement coutume de lui
immoler, à lui aussi, comme à d’autres dieux, des hommes).
Hesum Mercurium credunt, siquidem a mercatoribus colitur
(ils tiennent Hesus pour Mercurius, s’il est vrai qu’il
reçoit un culte des marchands) et praesidem bellorum et
caelestium deorum maximum Taranin 2 Jovem, adsuelum
olim humanis placari capitibus, nunc3 vero gaudere pecorum
(et, pour Jupiter, le maître des guerres et le plus grand
des dieux du ciel Taranis, habitué jadis à être apaisé par
des têtes humaines, aujourd’hui à se réjouir de têtes de
bétail).

4° Scholies (adnotaliones) au texte de Lucain, trans¬


mises par des manuscrits qui vont du xe au xne siècle
(Endt, Bibliotheca T eubneriana, 1909 ; Zwicker, F. H. R. C.,

d’une
expression
l’ellipse
aliter
de
travail
une
sible
dans1.latrace
2.
3. (cf.
sa
Aliter
Olim...
in
Taranin:
glose,
façon,
dud’un
forme
aliis
G.
d’accusatif
Commentateur,
hâtive
in
Dottin,
elle
nunc:
aux
objet
invenimus
aliis,
évoluée
sans
nous
autres
et
l’énoncé
comme
La
type
celtique,
doute
fournit
négligée,
était
langue
(le
d’une
syntaxique

parfait
tradita,
une
seencore
ou
type
une
rapporte
gauloise
autre
s’entend
forme
deindication
appelé
subst.
suggéré
vivace.
saaliter
» source.
d’accusatif
(1920),
Cic.
à une
ralin,
clairement
par
cum
Amer.
sans
précieuse
époque
exinde)
inscriptions
pron.
aliis
difficulté
grec,
138.
loqui
sosin,

dans
; sur
point
type
le
La«parler
n’est
par
nos
culte
les
l’hypothèse
phrase,
d’articulation
Alexin.
51,
procédés
lepas
decontexte
7aux
Taranis
impos¬
èt
d’une
Mais
uns
33).
de
« TEUTATES, ESUS, TARANIS » 45

p. 51-52) : brèves et n’ajoutant rien au commentaire, avec


lequel elles coïncident souvent dans les termes, elles con¬
tiennent seulement les identifications Teutates-Mercurius,
Esus-Mars, Taranis- Jupiter, dont les deux premières
pourraient être empruntées à la première partie du com¬
mentaire, la troisième à la deuxième partie.

Analysons maintenant le commentaire dit de Berne.


Tout d’abord, soulignons qu’il s’agit d’un seul « commen¬
tateur » et non de deux « scholiastes », comme on le dit
le plus souvent. C’est un même auteur qui fournit en
premier lieu une doctrine, puis une deuxième tirée posté¬
rieurement de témoignages variés : il utilise d’abord une
source homogène, il trouve ensuite des renseignements
hétérogènes. Il nous dévide ses fiches, sans indiquer les
meilleures : il révèle seulement qu’il a puisé à diverses
sources, qui ne concordent pas. Il est assez loin de l’époque
romaine ou assez étranger au monde gallo-romain pour
n’avoir aucune certitude sur les identifications de dieux
qu’il rapporte ; il ne se pique pas de faire le tri ; il en est
probablement incapable : ce qui n’empêche pas que ses
sources puissent contenir des renseignements valables.
En tout cas, ce commentateur ne fait nullement état
d’un syncrétisme gallo-romain où seraient confondus les
trois dieux gaulois et quatre dieux romains suivant deux
séries d’accouplements qui entraîneraient leur équivalence :
Teutates — Mercure et Mars, Esus aussi, donc Teutates =
Esus, Mercure = Mars, etc. Il n’y a même dans son texte
aucune intuition d’un tel syncrétisme résultant d’assimila¬
tions diversement combinées. Je me suis déjà expliqué
sur ce point (« Observations sur les dieux de la Gaule »,
Rev. Hist, des religions , CXLV (1954), p. 5-17, cf. p. 6-8) ;
je ne crois pas non plus que l’existence de ces témoignages
divers reflète le fait ancien d’un syncrétisme, dont le
46 PAUL-MARIE DUVAL

Commentateur n’aurait pas eu conscience. Ces renseigne¬


ments sur l’identité des dieux étant contradictoires, et non
complémentaires, paraissent dépourvus de valeur a priori
(v. dans le même sens, l’article de S. Reinach ; F. Le Roux,
« Des chaudrons celtiques à l’arbre d’Ésus. Lucain et les
Scholies bernoises », Ogam VU (1955), p. 33-58). Toutefois,
un examen de chaque identification conduit à constater
que certaines d’entre elles sont justifiées par l’auteur au
moyen de précisions sur les caractères des dieux considérés.
Faisons donc le départ des unes et des autres, en les
distribuant tout d’abord en un tableau :

Dieu gaulois Parallèle romain Caractères Victimes humaines

Mercurius. . étouffée dans un cuveau


Teutates ..... F empli
L-Mars ...... chef des combats guerriers morts ou sacri¬
fice humain non défini

Esus ........ R
(2. Mercurius..
Mars ...... honoré
marchands
par les suspendue
et vidée àde un
son arbre
sang

Taranis ...... S *■ Dis pater.. brûlées dans une cuve de


bois
i 2. Jupiter . . . . maître des guerres têtes coupées (remplacées
dieu suprême
ciel du plus tard par des vic¬
times animales )

Dans la première partie du commentaire (n° 1 dans le


tableau ci-dessus), l’auteur n’apporte que des faits bruts,
sans explication : Teutates est Mercure, on l’honore de
telle façon ; aucune raison n’est donnée ni de l’identifica¬
tion ni du mode de sacrifice. Dans la seconde partie, au
contraire (n° 2, en italique ), l’auteur rapporte, en plus
cle quelques faits, des opinions diverses et hétérogènes
qui comportent des tentatives d’explication relatives
à chacun des trois dieux :
« TEUTATES, ESUS, TARANIS )) 47

Io La soif de sang humain prêtée par Lucain à Teutates


est expliquée de deux façons : dieu de la guerre, équivalent
de Mars, il est apaisé par le sang versé sur les champs de
bataille ; ou bien : on lui fait des sacrifices humains comme
aux autres dieux gaulois. Ce passage atteste nettement,
par la première des deux explications, le caractère guerrier
de Teutates. — 2° L’assimilation d’Esus à Mercure est
présentée comme la déduction d’un fait qui paraît connú :
il recevait des hommages des marchands. Ceci est moins
affirmatif et moins solide : en effet, il ne suffit pas que des
marchands honorent un dieu, pour que celui-ci soit l’équi¬
valent de Mercure ; voyageurs, des mercatores peuvent,
par exemple, sacrifier à Neptune ou à Apollon, à Hercule,
à n’importe quel dieu protecteur de leur sécurité, i— *-
3° La définition donnée de Taranis vaut explication de son
équivalence à Jupiter : il est le maître des batailles, du
haut du ciel dont il est le plus grand dieu. Puis, une infor¬
mation d’ordre rituel vient appuyer l’affirmation de
Lucain sur le caractère sanguinaire de Taranis: les Gaulois
offraient jadis à ce dieu des têtes humaines ; dans la Gaule
romaine, on ne lui offre plus, comme à Jupiter, que des
victimes animales. De ces trois jugements, celui-ci contient
les renseignements les plus positifs : Taranis est le maître
suprême des guerres (et non, comme Mars, le chef des
combats sur le terrain) et le plus grand des dieux du ciel ;
il reçoit, lui aussi, des sacrifices humains et le mode de
sacrifice est lui-même défini ; étant donné ce que nous
savons par ailleurs des « têtes coupées» chez les Gaulois,
il est légitime de prendre ici capita humana au sens fort :
on offrait à l’arbitre céleste des guerres soit des têtes
prélevées sur des ennemis morts, soit des têtes de prison¬
niers décapités ou d’autres victimes spécialement désignées
pour ce supplice.
Ainsi, trois identifications sont justifiées par les préci-
48 PAUL-MARIE DUVAL

sions caractéristiques que le Commentateur juxtapose


dans sa deuxième partie : Teutates- Mars, nettement ;
jEsns-Mercure, assez faiblement ; Taranis- Jupiter, catégo¬
riquement. Dans sa première notice, il se contentait de
rapporter sèchement des assimilations différentes, Teulates-
Mercure, Esus- Mars, Taranis-Dis pater, avec mention de
modes de sacrifices différents mais non justifiés. Les
identifications de la deuxième partie sont donc plus
intéressantes par leurs justifications mêmes : nous verrons
que, sauf celle d’Esus à Mercure, qui paraît fragile, elles
sont seules confirmées par l’épigraphie et l’iconographie
gallo-romaines.
En revanche, le commentaire tout entier contient des
renseignements sur les modes de sacrifices, qui en constituent
un autre apport positif. Lucain s’était contenté d’indiquer,
sous trois formes poétiques différentes mais équivalentes
pour le sens, le caractère sanguinaire de ces dieux qui
réclamaient tous trois du sang humain. Le Commentateur,
lui, donne des renseignements précieux, qui doivent
remonter à une tradition gallo-romaine et que la traduction
de M. Henri Frère, la première de cette qualité qui soit
publiée en français, nous aide grandement à préciser :
confrontons maintenant ces renseignements avec les
sources épigraphiques et iconographiques.

1. Teutates. — On a de bonnes raisons de penser que ce


dieu «de la tribu» ( *leutà , touta, tòta), protecteur de la
peuplade en paix et chef de la tribu en guerre, est le
parallèle celtique de Mars italique et romain. Outre l’éty¬
mologie, la meilleure de ces raisons est la petite série
d’inscriptions qui l’assimile à ce dieu. Elles proviennent
d«pays celtiques étrangers à la Gaule, les régions danu¬
biennes et la Bretagne.
« TEUTATES, ESUS, TARANIS )) 49

C. I. L., III 5 320 = 11 721 à Seckau (Flavia Solva): Marti ¡Lalo bio ¡
HarmogiolToutatilSinaii.Mogl[i]enio C. Val¡[V]glerinuslex volo. Toulales
ou Toutatis est ici l’un des six surnoms prêtés à Mars.
C. I. L ., VII 84 à Rooky Wood (Hertfordshire), sur une lame de bronze :
MarlijToulalilTi-Claudius Primus¡Allii liber (lus) ¡v. s. I. m.
Ephem. Epigraph. 3, p. 128 à Old Carlisle : [D(e)] o Ma(rti) Tutati
Cecidio be[ne] mer (enti). Mars porte ici un second surnom, Cocidius, qui est
connu par ailleurs.
C. L L., VII 79 à Chesterton : --- Mar(ti?) To(...).
Ephem. Epigraph. 3, p. 313, n° 181 à York, sur une bague : Tot(alis
Marlis?).

D’autre part, Toutales (ou Toutatis) est assimilé non à


Mars mais à un dieu indigène dans une inscription bien
connue de Rome, C. I. L. VI 31 182, dont M. Carcopino
a précisé la lecture (« Inscription à Teutates », Rev. ét.
anciennes IX (1907), p. 265-267) : Petiganus /Placidus/
Toutati-/Medurini/ votum. sol/ vet. anni/versarium. Ce dieu
Meduris serait, comme Mars, un dieu guerrier ; une étude
récente l’a judicieusement rapproché du deus Medros
guerrier connu par une inscription (C. I. L. XIII 6 017)
et un bas-relief (Espérandieu, Recueil , 5 549) de basse
Alsace : d(eo) Medru Matutina Cobnerlfi filia), ainsi
que du dieu guerrier Mider de l’épopée irlandaise
(J. -F. Himly, « Medros, dieu gaulois de la guerre en basse
Alsace, Teutates Meduris et le dieu irlandais Mider »,
Cahiers d’arch. et d'hist. d'Alsace, XXXVIII (1947),
n° 128, p. 114-124). L’hypothèse est séduisante car,
leulaies étant probablement un nom commun, il est normal
de le voir flanqué d’une épithète. Le (teulales ) Medros ou
Toutates Meduris serait, comme le Mars Toulales, comme
le Mider irlandais, le dieu de la tribu dans sa fonction
guerrière.
Quelle est la forme du nominatif ? D’après les textes,
Teutates (Holder pensait que le Teutates des textes était
un *Teulalis gaulois affublé d’une désinence à la grecque) ;
d’après les inscriptions, Toutates ou Toutatis: dat. Toutati,
50 PAUL-MARIE DUVAL

latinisé en Tutati (Tot(alis? ) est moins sûr). On trouve


dans Holder les noms et anthroponymes formés apparem¬
ment sur la même racine : τευταδέων φυλή en Asie Mineure,
Teutagonus, Teutalus, Teutomatos, Teutamos, (Matres)
Ollototae, Totatigenus, etc. ; Toutobocios figure sur une
monnaie gauloise.

Ce dieu est donc le « Mars » dont César signale l’impor¬


tance chez les Gaulois, le dieu de la guerre à qui on sacrifie
les prisonniers et consacre le butin (B. G., VI, 17). Le
commentateur de Lucain nous dit, d’après ses sources
variées, qu’il préside aux combats, que les anciens Gaulois
lui immolaient des hommes comme aux autres dieux, que
ces victimes étaient étouffées dans un cuveau empli.
C’est le mode même de sacrifice par asphyxie qu’on voit
représenté sur une des plaquettes du chaudron de
Gundestrup (Danemark), que Drexel a daté, avec de bons
arguments, de l’époque d’Auguste : un très grand person¬
nage plonge par la tête un petit homme dans un étroit
cuveau et la scène se passe devant une file de , guerriers.
La particularité de ce document, c’est que ce soit un
personnage divin, beaucoup plus grand que les humains,
qui procède lui-même au sacrifice : il n’en évoque pas moins
de façon irrésistible le mode de sacrifice prêté à Teutates ,
dieu de la guerre. Il est remarquable que le récipient soit
petit, suffisant seulement pour l’immersion de la tête,
ce qui donne son vrai sens au texte du Commentateur :
in caput demittitur. C’est là le trait spécifique de ce rite,
qui n’est pas l’immersion totale, par exemple la noyade
de sainte Reine, jetée pieds et poings liés dans une cuve
en Alésia, supplice que Jullian a rapproché du sacrifice
à Teutates (Pro Alesia , I (1906-1907), ρ. 186, 2 fig.), mais
à tort ; car la différence est fondamentale entre les deux
représentations du chaudron et de l’estampe alléguée
( o . c., p. 186, fig. 46), et les coïncidences verbales des textes
« TEUTATES, ESUS, TARANIS )) 51

de Berne et de la Passio de la Sainte sont entre des termes


d’usage courant, qui n’acceptaient aucun substitut. —
Quant à l’explication de la scène figurée sur le chaudron
de Gundestrup par le « chaudron d’immortalité », récem¬
ment proposée, elle est ingénieuse mais se heurte encore
à certaines difficultés (J. Gricourt, «Sur une plaque du
chaudron de Gundestrup », Latomus XIII (1954), p. 378-
383; cf. ma «Chronique gallo-romaine», Rev. ét. anc .,
LVII (1955), p. 324 et A. Closs, « Das Versenkungsopfer »,
Kultur und Sprache, Wiener Beiträge zur Kulturgeschichte
IX (1952), p. 66) ; je lui préfère, pour ma part, le rappro¬
chement si direct et si précis avec le témoignage du com¬
mentateur de Lucain.

IL Esus. — Le nom (malgré s-, cf. le lat. hërus , le Bon


Maître ?) ne nous apprend rien d’assuré. Aucune dédicace
ne le contient de façon certaine (celle du Mercure de
Lezoux (C. I. L., XIII, 4, p. 20, add. au n° 1 514 ;
Dottin, n° 42) est d’une lecture des plus conjecturales)
mais le dieu et son nom nous sont connus par un document
insigne, le bas-relief du monument des nautae Parisiaci
(Musée de Cluny) qui montre un travailleur court vêtu
en train d’ébrancher un gros arbre avec une serpe et
surmonté du nom Esus (la forme gauloise était Esus ,
d’après ses dérivés : Esuvius , Esunertos, etc.). Le bas-relief
suivant montre le taureau aux trois grues Tamos Triga-
ranus, dans une forêt. Une stèle de Trêves, ornée de
Mercure sur sa face (Espérandieu, 4 929), porte sur un
côté l’image d’un travailleur en train d’attaquer avec un
instrument allongé le tronc d’un arbre qui cache dans sa
frondaison un taureau dont on voit la tête et trois gros
oiseaux : épisode d’un mythe celtique où se trouve mêlé
Esus et qui nous reste obscur mais peut remonter à la
mythologie indo-européenne (cf. G. Dumézil, ¡Torace et
les Curiaces (1942), p. 133; Stefan Czarnowski, «L’arbre
52 PAUL-MARIE DUVAL

d’Esus, le taureau aux trois grues, et le culte des voies


fluviales », Rev. Celtique , XLII (1925), p. 1-57, cf. p. 15-18).
Les deux mots, le substantif en -os et l’épithète en -us, sont
gaulois.

Le commentateur de Lucain nous dit que, d’après telle


source, le dieu reçoit un culte des marchands, d’après telle
autre, des sacrifices humains. Le mode de ces sacrifices
doit être ici précisé. Le texte, quoi qu’on en ait dit, est
correct et ne demande aucune retouche : « un homme est
suspendu à un arbre » (par les aisselles ? c’est la position
de Marsyas supplicié par Apollon ; ou par les membres ?)
« jusqu’à
laissé aller
ce ses
que, membres
par suite». deDonc
l’effusion
cet homme
de son sang,
subit il une
ait

hémorragie mortelle, d’une façon qui n’est pas exprimée


mais qui implique une blessure : l’idée en est contenue dans
per cruorem. Il est laissé là jusqu’à ce que, au bout de son
sang, il relâche ses muscles, sorte de pantin suspendu,
avant d’être saisi par la rigidité cadavérique. Le texte
ne dit ni ne suggère rien de plus : ni pendaison par le cou,
ni dilacération, ni démembrement, ni écartèlement. La
blessure intervient-elle avant ou après la suspension du
corps ? Rien ne permet de le savoir : il est toutefois plus
vraisemblable que la victime soit suspendue d’abord,
pour être ensuite « saignée » en cette position (le romancier
W. Baxter cite, dans Le chemin des hommes seuls (Paris,
Stock), parmi les atrocités commises par l’armée japonaise
sur des soldats anglais en Birmanie pendant la dernière
guerre, un meurtre comparable : les prisonniers étaient
suspendus à des branches par les poignets, peu au-dessus
du sol, puis transpercés à coups de baïonnettes et laissés
là...). Ce qui compte ici, c’est que la vie se retire lentement
de ce corps blessé et que tout son sang s’écoule sur place,
tandis qu’il est encore accroché à cet arbre : on ne le
décrochera qu’une fois vidé de son sang et sur le point
(( TEUTATES, ESUS, TARANIS )) 53

d’être raidi par la mort. La raison de ce rite nous échappe :


tout au plus peut-on supposer que le sang se répand,
jusqu’à la dernière goutte, sur les racines de l’arbre pour
les vivifier, puisque les documents figurés nous montrent
Esus en relation avec un arbre. Frazer a rapporté un
exemple d’un rite sacrificiel en partie analogue qu’il appelle
« hanging and stabbing », à Mindanao (Philippines) : la
victime est attachée le dos à un grand arbre de la forêt,
bras levés et reçoit un coup de lance au niveau (normal)
des coudes ; son corps est alors coupé en deux par la cein¬
ture et, tandis que le haut se balance, le bas tombe dans
son sang ; puis les deux portions sont enterrées au pied de
l’arbre après que chacun ait pu prendre chair ou cheveux
pour la tombe d’un parent. Ce sacrifice est destiné à
obtenir de bonnes moissons ( The Golden Bough3, IV
Adonis Attis Osiris, I (1914), p. 290). D’autre part, il a eu
raison de signaler que l’épreuve que s’impose le dieu
germanique Odin, blessé d’un coup de lance et suspendu
volontairement pendant neuf jours à un arbre agité par
le vent (il n’en meurt d’ailleurs point), associe précisément
les deux éléments de la suspension à l’arbre et de la blessure
rituelle : « Je sais que je pendais sur l’arbre agité par le
vent, neuf nuits durant, blessé par la javeline, voué à
Odin, moi-même à moi-même », HçvamQl, strophe 139 ;
sacrifice qui sera imité par des héros de la Saga , en l’hon¬
neur d’Odin (J. Vendryes, La Religion des Celtes (coll.
«Mana», 1948), p. 320, n. 12; ibid., p. 364, le sacrifice
d’Odin ; cf. Rev. Celtique , L (1933), p. 313 et Czarnowski,
art. cité, p. 96).
De quel dieu romain Esus est-il le parallèle ? nous
l’ignorons absolument : son aspect, fort particulier, ne
permet de le rapprocher ni de Mars ni de Mercure ni d’aucun
dieu connu1.

1. Au moment de donner cet article à l’impression, je reçois l’étude


54 PAUL-MARIE DUVAL

III. Taranis. — Son nom dérive de celui du tonnerre


en celtique (irl. torann, gal. taran ) : c’est le dieu du ciel
tonnant. Il est représenté sous l’aspect d’un homme barbu
tenant une roue (symbole du char roulant dans les cieux
plutôt que du soleil, ou symbole de la foudre) sur le
chaudron de Gundestrup et sur maint monument gallo-
romain, où il est assimilé à son parallèle Jupiter, maître
du ciel lumineux et de la foudre. Des trois dieux cités par
Lucain, c’est de loin celui qui nous est le mieux connu,
par des inscriptions, par une riche iconographie, par son
assimilation incontestable à son parallèle romain Jupiter.
Les inscriptions, peu nombreuses, méritent d’être ici
rassemblées.

C. I. L., XII, p. 820, à Orgon (Bouches-du-Rhône), dédicace gauloise en


caractères grecs (Dottin, La langue gauloise, n° 1) : Ουηβρουμαρος/δεδε
ταρανοου/ βρατουδε καντεμ, qui se transcrirait en lettres latines : * Vebrumaros
le
dede
nominatif
Taranoüserait
bralude
* Tarano-ous
cantem. Le
ou nom
* Taranous.
du dieu est au datif gaulois en -u,

C. I. L., III, 2 804 à Scardona (Dalmatia) : Iovi. Talranucol Arria.


Suclcessa-v (otum)s(olvit). Taranucus, épithète à désinence celtique formée
sur Taranu-, signifie « ayant rapport à Taranus ».
C. I. L. XIII, 6094 à Godramstein (Allemagne) : In h(onorem) d(omus)

de M. Émile Thevenot intitulée « La pendaison sanglante des victimes


offertes à Ésus-Mars » ( Hommages à Waldemar Deonna, coli. Latomus,
XXVIII (1957), p. 442-449). Le sacrifice rituel offert à Esus d’après le
commentateur de Lucain y est rapproché du mode d’exécution relaté dans
la passion de saint Marcel : devant les statues de Mars, Mercure et Minerve,
le corps du martyr a été distendu entre deux branches d’un arbre, préalable¬
ment rapprochées, puis laissées à elles-mêmes. Rien de tel n’est exprimé
ni suggéré par le commentateur de Lucain. Il ne me paraît pas qu’on puisse
en aucune façon identifier les deux opérations sans forcer le sens de J’un et
l’autre textes : il est impossible, par exemple, que digesserit ait pour sujet
le mot arbor sous-entendu, que per cruorem ait un sens « temporel », et
que in arbore suspenditur « il est suspendu à un arbre » désigne la même
opération que décrit le passage — intéressant en lui-même — de la vie de
saint Marcel (ut per arboris ramos ... omni corpore separandus laqueis tende¬
retur), dont le sens ne prête pas au doute : « que d’une branche à une autre
d’un arbre il fût étendu à l’aide de lacets en vue d’être déchiré en deux dans
la totalité de son corps ».
(( TEUTATES, ESUS, TARANIS )) 55

d(ivinae) deo Taranucno, Travini quibus ex collata stipe --- Iui. Iui. ---
C. Cop --- iuss\u eorum? --- . Taranucnus, avec la désinence gauloise -cnos
latinisée indiquant la filiation, signifie « le fils de Taranus ». On le retrouve
près de Heilbronn, C. I. L., XIII 6 478 : Deo Taranucno Verat(i)us Primus
ex iussu, inscription surmontée d’un croissant. On trouve probablement le
même nom, soit comme épithète de Jupiter Optimus Maximus, soit comme
anthroponyme, sur une dédicace découverte en 1957 à Thauron (Creuse)
et dont je dois la communication à MM. Michel Labrousse, J. Perrier et
P. -F. Fournier : Num(ini) Aug(usti) et I(ovi) O(ptimo) M(aximo) Taranu...
n.. — Tout cela ne suffit pas pour restituer Taranucno ou Taranuco plutôt
que Tonilralori à côté de I. O. M. à Blockberg (Alt-Ofen, près Aquincum,
Pannonie Inférieure, C. I. L., III, 10, 418 ; on connaît I. O. M. Tonitraior
près de Sarajevo, C. I. L. III, 2, 766 a). C’est par conjecture également qu’on
a proposé de corriger à Chester, en une dédicace datée de 154, I. O. M.
Tanaro en I. O. M. Tarano (C. I. L., VII, 168).

Ainsi le nom est connu sous trois formes principales :


Io nominatif (ou génitif ?) Taranis, acc. Taranin, identique
à l’anthroponyme Taranis en Mésie Inférieure (C. I. L.
III 7 437 : Va(l)e(n)s Taranis = 6 150 = 12 346). En
latin, cette forme Taranis trahit l’influence hellénique ;
— 2° Datif ταρανοου ; — 3° * Taranus, supposé d’après les
dérivés Taranucus, Taranucnus et l’ anthroponyme Taranu
(C. I. L. XIII, 3 086 b, à Tours). En bref, Taranis et
* Taranus, cette dernière forme paraissant plus proche
de la forme gauloise suggérée par ταρανοου.
Nos sources nous révèlent, comme aspects du dieu :
*ταρανοους, sans précisions ; Taranis assimilé à Dis pater,
Taranis assimilé à Jupiter ; le deus «Fils de Taranus»,
deux fois seul, assimilé une fois à Jupiter Optimus
Maximus; un Jupiter romain dit Taranucus. Pour les
Gaulois, Jupiter était donc tantôt « le Tonnant », tantôt
le fils du dieu « Tonnerre » ; pour le commentateur de
Lucain, Taranis est, d’après les uns, Dis paler (frère
infernal de Jupiter), d’après les autres, Jupiter lui-même.
Que l’assimilation ait eu lieu, à des degrés divers, entre
le dieu gaulois du ciel tonnant et son parallèle romain est
assurément incontestable.
56 PAUL-MARIE DUVAL

Quels sont les caractères de ce dieu ? Le commentateur


de Lucain nous dit, d’après une source, qu’équivalant à
Dis pater il recevait des sacrifices humains sous forme
d’hommes brûlés dans une cuve de bois (et César, B. G. YI,
16, atteste la crémation de victimes humaines entassées
dans des mannequins d’osier mais sans préciser le nom de
la divinité) ; d’après d’autres, que, maître des guerres et
le plus grand dieu du ciel, équivalant à Jupiter, il recevait
primitivement l’hommage de têtes humaines coupées (et
l’offrande ou l’exposition de têtes coupées est abondam¬
ment attestée chez les Gaulois par les textes et l’archéologie
mais sans que le nom de la divinité honorée soit non plus
précisée). Infernal et distributeur de richesses ou céleste
et guerrier, Dis pater ou Iuppiter (ancien Dies pater , père
du jour lumineux), Taranis, désigné en tous cas par son
nom comme dieu du tonnerre, donc du ciel, était ainsi
partout présent par nature : un dieu cosmique, un dieu
universel, partout et sur tous redoutable.
La grande extension de son culte est en effet attestée
par les monuments figurés : encore faut-il ne retenir ici
que ceux dont le caractère celtique est prononcé. On
connaît plusieurs sortes de représentations de Jupiter
gallo-romain, qui diffèrent, à des degrés variables, du
Jupiter romain. L’aspect du dieu est toujours le même :
d’âge mûr, fortement chevelu et barbu, tantôt drapé,
tantôt nu ou demi-nu. Les attributs romains sont : le
sceptre, le foudre, l’aigle. Déjà gallo-romain est le cheval
ou le char du Jupiter soutenu par un géant anguipède ;
le dieu est parfois aussi debout, à côté d’un petit anguipède
ou d’un petit personnage debout — mais on peut voir
là le souvenir des gigantomachies gréco-romaines (v.
Francis Vian, Répertoire des Gigantomachies, Paris, 1953).
De même, lorsqu’il est armé de pied en cap, comme un
chef de guerre ou un empereur, le Jupiter gallo-romain
« TEUTATES, ESUS, TARANIS )) 57

est encore proche du Jupiter Stator ou Feretrius romain,


quoique plus engagé, semble-t-il, dans le combat lui-même.
Proprement celtiques, en revanche, sont la roue du char
céleste ou de la foudre lancée du ciel (v. J. -J. Hatt, « Rota
flammis circumsepta. A propos du symbole de la roue dans
la religion gauloise », Rev. arch, de l’Est, II 1951) et la
spirale, symbole de l’éclair, qu’il porte sur plus d’un
monument, notamment en Rhénanie et dans le Midi où
la roue s’ajoute au foudre classique. La plus ancienne
image d’un dieu à la roue, d’ailleurs anonyme, que nous
connaissions est représentée sur le chaudron de
Gundestrup : nous y voyons Taranis , plus sûrement que
sur les colonnes mêmes de Jupiter (v. Jacques Coupry,
« Le Maître du Ciel et la Dame de Vie ? », Gallia XV
(1957), p. 146-149, fig. 1-2).

Sources littéraires, inscriptions, sculptures analysées et


rapprochées permettent donc de reconnaître en Teutates
(Touialis) le dieu protecteur de la peuplade en guerre
comme en paix, équivalent de Mars, à lui assimilé ; en
Esus un dieu plus particulier, en rapport avec les arbres
et le Taureau aux trois grues, honoré sans doute par les
marchands mais sans parallèle romain connu avec certi¬
tude ; en Taranis (Taranus) le grand dieu indo-européen
du ciel sous l’aspect celtique de dieu du tonnerre et des
armées, équivalent de Jupiter et plus particulièrement de
Jupiter capitolin ; ce dieu à la roue est même considéré
comme le père de Jupiter, aussi comme le grand dieu du
sol et du sous-sol que César assimile à Dis pater et que les
druides, à l’en croire, tenaient pour le père de la race
gauloise (R. G., VI, 18).
Des trois dieux gaulois cités par Lucain, ce dernier est
le plus grand, le seul universel. Tous trois exigeaient des
58 PAUL-MARIE DUVAL

sacrifices humains : à Taranis seulement , semble-t-il , on


offrait des holocaustes et des crânes humains. Nous connais¬
sons mieux maintenant son caractère particulièrement
redoutable : père infernal, maître des guerres, détenteur
de la foudre, il me paraît que c’est bien en l’honneur de
ce dieu de mort, et non d’un autre, que les trop fameuses
têtes coupées pourrissaient sur les portiques et que s’al¬
lumait le four crématoire — cuve de bois ou mannequin
d’osier.

N. B. — - Sur les trois premières Notes, v. Études Celtiques, VII, 2, p. 268.

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