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Les aventures merveilleuses

de Sindbad le Marin : conte


des Mille et une nuits

Source gallica.bnf.fr / Ville de Paris / Fonds Heure joyeuse


Les aventures merveilleuses de Sindbad le Marin : conte des Mille
et une nuits. 1912.

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;41 -
40
îp 7

Les Aventures
merveilleuses de
SINDBAD LE MARIN

LIERAI H. 1E LAROUSSE - -

13-17, rue Mont parn Paris (6")


- VOLUME, ir, r.-\-r ; FRANCO, 20 CENT. ; ÉTRANGER, 25 CENT
AVIS
M. W. T. STEAD, éditeur-propriétaire des « Books for the Bairns»,
à Londres, el de la Collection Stead, rue Soufflot, à Paris, a l'honneur
d'informer le public que. par suite d'un traité passé avec MM. les
Directeurs de la LIBRAIRIE LAROUSSE, 13-17, rue Montparnasse, à
Paris, cette Collection populaire sera publiée à l'avenir par les soins
de la Librairie Larousse, cette maison ayant aussi le droit exclusif de
vendre en France la Collection anglaise publiée à Londres sous le titre
de « Books for the Bairns » et « Poets. »

COLLECTION STEAD
Volumes anglais à 16 centimes
en usage dans tous les établissements d'instruetion.
Books foor the Bairns
Poets
...... 165 volumes parus.
72 — —
-( Franco, 20
.
Le volume, 16 cent. cent. — Étranger, 25 cent.

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LIERA! RUE LAROUSSE
13-17, yMg ontp&rn&sse. PARUS (68)
et chez tous les libraires.

Le volume français « Sindbad le Marin » corres-


pond au n° 25 de la Collection des « Books for
the Bairns », ayant pour titre « Sindbad the Sailor 9.

La Collection des LIVRES ROSES publie chaque mois


DËUX VOLUMES
paraissant le premier et le troisième samedi.
En vente chez tous les libraires et marchands de journaux
et dao,& les bibliothèque» des gara.
LES LIVRES ROSES
POUR LA JEUNESSE
09M Conecttior». Sftg&d ®êêH

Les Aventures merveilleuses


de
SINDBAD LE MARIN
Coelte ^tlîîe eî une Kmfts

Adaptation française
par M'il LATAPPY, agrégée de l'Université

TABLE DES MATIÈRES


Premier Voyage
Deuxième Voyage ....
... 5 Quatrième Voyage ...
35
Cinquième Voyage...46
Troisième Voyage
... 14
24 Sixième Voyage
Septième Voyage.. 57
....
53

M, LIBRAIRIE LAROUSSE'— PARUS m


13-17, rue Montparnasse.
— SUCCURSALE : rue des Écoles, t)8.
SIKBB&B î.8 HAUK

PREMIER VOYAGE j'avais souvent entendu citer


par mon père : « Une bonne
Mon père était un riche renommée est le plus pré-
Marchand, de grande répu- cieux des parfums », et cette
tation. A sa mort, il me laissa autre : « C'est un grand bien
de grands biens que je dissi- q ue sagesse et richesse unies.»
pai dans une vie de plaisirs. Frappé par ces réflexions, je
Maisj'eus vite fait de recon- résolus de suivre les traces
naître combien j'avais tort de mon père ; je fis un contrat
de gaspiller mon temps, qui avec quelques marchands et
est de toutes choses la plus m'embarquai avec eux sur un
précieuse. Je me rappelai navire que nous avions frété
cette parole de Salomon que en commun.
Nous fîmes voile vers les d'un petit îlot peu élevé au-
Indes par 'le golfe Persique, dessus du niveau de la mer,
qui baigne les côtes de l'Ara- et qui ressemblait à une
bie Heureuse, à droite, et grande prairie verte. Le ca-
celles de la Perse, à gauche. pitaine fit carguer les voiles,
Tout d'abord je souffris du et permit à ceux qui le vou-
mal de mer ; mais je me réta- laient de descendre à terre ;
blis promptement et ne fus je fus du nombre de ceux-ci.
plus, par la suite, sujet à ce Mais, pendant que nous
malaise. étions entrain de boire et de
Pendant notre voyage, manger, et de nous remettre
nous touchâmes à plusieurs des fatigues d'un voyage en
îles où nous vendîmes et mer, l'îlot trembla tout à
échangeâmes nos marchan- coup, et nous secoua d^ ter-
dises. Un jour que nous rible manière.
étions sous voiles, nous Du navire, on remarqua ce
fûmes pris par le calme près tremblement de l'île et on
nous cria de nous rembar- et recueilli quelques-uns de
quer, au plus vite, si nous ne ceux qui étaient à la nage, ré-
voulions pas être perdus ; car solut de profiter du vent
ce que nous avions pris pour favorable qui venait de s'éle-
une île, n'était que le dos ver et, faisant hisser les
d un monstre marin. Les plus voiles, il se remit en route,
agiles montèrent dans la si bien qu'il me fut impos-
chaloupe d'autres se je- sible de rejoindre le navire.
;
tèrent à la nage ; quant à Je- restai exposé à la
lIloi, j'étais encore sur l'île merci des vagues tout le jour
lorsqu'elle disparut dans la et toute la nuit suivante. Mes
rner, et je n'eus que le temps forces étaient épuisées et je
de saisir un morceau de bois désespérais de sauver ma vie
que nous avions apporté du quand, par bonheur, une
vaisseau pour faire du feu. vague me poussa sur une île.
pendant ce temps, le capi- Le rivage était élevé et escar-
taine ayant pris à bord ceux pé ; si bien que je n'aurais pu
quittaient dans la chaloupe, atterrir, si je n'avais trouvé à
ma portée quelques racines vis plusieurs chevaux en
d'arbres auxquelles je m'ac- train de paître. Je m'avan-
crochai pour grimper. çais vers eux, quand j'enten-
Quand le soleil se leva, dis la voix d'un homme, qui
bien que je fusse très àffaibli parut aussitôt et me demanda
par la fatigue et le besoin de qui j'étais. Je lui racontai
nourriture, je rampai le long mon aventure ; alors, il me
du rivage dans l'espoir de prit par la main et me con-
trouver quelque plante que duisit dans une caverne où
je pourrais manger, et j'eus setrouvaient plusieurs autres
le bonheur non seulement hommes qui ne furent pas
d'en troUVE.' mais encore de moins surpris de me voir que
découvrir une source d'eau je ne le fus de les rencontrer.
excellente, qui contribua Ils me firent partager leurs
beaucoup à me remettre. Je provisions ; puis je leur de-
pénétrai, ensuite, plus avant mandai ce qu'ils faisaient
dans l'île, et j'arrivai enfin dans un lieu aussi désert;
d.-ms une belle plaine, où je ils me répondirent qu'ils
étaient du nombre des valets eux, et me présentèrent au
d écurie du Maharaja, Maharaja. Il me demanda
souve-
rain de l'île, et que tous les qui j'étais et comment j'étais
ans ils menaient paître les venu dans ses Etats. Après
chevaux du roi dans que j'eus satisfait sa curio-
ces pâtu-
rages. Ils ajoutèrent qu'ils sité, il me dit qu'il prenait
devaient partir le lendemain, grande part âmes malheurs,
et que, si j'étais arrivé un et, en même temps, il donna
Jour plus tard, j'aurais infail- des ordres afin que je ne
liblement péri, la partie manquasse de rien ; ses offi-
car
habitée de l'île est à une ciers furent assez généreux
grande distance, et il m'eût et assez attentionnés pour
été impossible de m'y rendre veiller à la bonne exécution
sans guide. de ses ordres.
Le lendemain, ils s'en re- Etant moi-même marchand,
tournèrent dans la Capitale je me liai avec des hommes
de l'île, m'emmenèrent de la même profession que
avec
moi, et m'enquis surtout de soin de faire régulièrement
ceux qui étaient étrangers, ma cour au Maharaja et de
et grâce auxquels je pouvais m'entretenir avec les gou-
avoir des nouvelles de Bag- verneurs et les petits rois, ses
dad, ou trouver une occasion vassaux, qui ne le quittaient
de retourner dans mon pays. point. Ils me posaient mille
Car la Capitale du Maharaja questions concernant mon
est située sur le bord de la pays, et, comme je désirais
mer, et possède un beau port m'instruire de leurslois et de
où, tous les jours, arrivent leurs coutumes, je les inter-
des navires de tous les points rogeais à mon tour sur tout
du globe. ce qui me paraissait utile à
Je fréquentais aussi la so- savoir.
ciété des Indous lettrés, et Une île nommée l'île Cassel
prenais plaisir à leur conver- appartient à ce roi. On m'as-
sation ; mais, surtout, j'avais sura que tous les soirs on y
entendait un bruit de tam- nais dans le port, après mon
bours, si bien retour de l'île Cassel, le na-
que les marins
s'imaginaient qu'elle était le vire où je m'étais embarqué à
lIeu de résidence de Dégial. Bussorah, arriva. Je recon-
le résolus de visiter ce lieu nus aussitôt le capitaine, et
Merveilleux, et, sur ma route, j'allai lui réclamer mes mar-
le vis des poissons de cent à chandises. « Je suis Sindbad,»
"leux cents coudées de lon- lui dis-je, « et ces ballots
gueur, qui causent plus de marqués à son nom sont à
peur que de mal, car ils sont moi. »
IIi craintifs qu'ils se sauvent Quand le capitaine m'en-
au moindre bruit. Je vis tendit parler ainsi, « Sei-
aussi d'autres poissons à la gneur, » s'écria-t-il,« à qui se
fête de hibou, qui ont une fier, désormais ? J'ai vu périr
f-'oudée de longueur, environ. Sindbad, de mes propres
Un jour yeux, comme l'ont vu tous
que je me prome-
-b
les passagers à bord, et ce- de grands compliments, ' et
pendant vous me dites que témoignèrent d'une grande
vous êtes Sindbad. Quelle joie à me retrouver vivant.
impudence ! et quel men- Il me reconnut enfin, à son
songe dites-vous là, pour tour, et, me prenant dans ses
vous emparer de ce qui ne bras : « Loué soit Dieu, » dit-
vous appartient pas ! » — il, « qui vous a sauvé ! Je ne
— « Prenez patience », répli- puis vous exprimer ma joie.
quai-je ;« faites-moi la faveur Voici vos marchandises ;
d'écouter ce quej'jM à dire. » prenez-les et faites-en ce que
Je finis, à la longue, par per- vous voudrez. »
suader au capitaine que je ne Je choisis parmi mes ri-
le trompais pas ; car il vint chesses ce que j'avais de
des gens du navire, qui me plus précieux, et l'offris au
connaissant, qui me tirent Maharaja, qui, connaissant
m.on infortune, me demanda produits du pays. J'emportai
comment je m'étais procuré avec moi du bois d'aloès, du
de8 choses si
rares. Je lui bois de sandale du camphre,
aPPris comment je les avais des noix de muscade, des
retrouvées. Il se réjouit de clous de girofle, du poivre et
nia bonne chance, accepta du gingembre. Nous pas-
mon présent, et, en échange, sâmes par plusieurs îles, et
111 en fit
un de beaucoup plus nous arrivâmes enfin à Bus-
considérable. Alors, je pris sorah, d'où je me rendis dans
COngé de lui, et je m'embar- cette ville, où nous sommes,
quai sur le même navire, après avoir vendu toutes mes
après que j'eus échangé marchandises avec grand
Ines marchandises contre des profit".
tiers, mais où nous ne
DEUXIÈME VOYAGE pûmes voir ni homme ni
animal. Nous nous prome-
Je m'étais proposé, après nâmes à travers les prairies,
mon premier voyage, de pas- le long des cours d'eau qui
ser le reste de mes jours à les arrosaient. Pendant que
Bagdad ; mais je ne tardai quelques-uns de mes compa-
pas à me fatiguer d'une vie gnons s'amusaient à cueillir
d'indolence, et je repris la. des fleurs, d'autres des fruits,
mer avec des marchands je sortis mon vin et mes pro-
dont la probité m'était con- visions de mon sac, et m'assis
nue. Nous embarquâmes à au bord d'un ruisseau entre
bord d'un bon navire, et,après deux grands arbres qui don-
nous être recommandés à naient une ombre épaisse.
Dieu, nous mîmes à la voile Je fis un bon repas, puis
et partîmes. Nous trafi- je m'endormis. Je ne saurais
quâmes d'île en île, échan- dire combien de temps dura
geant nos produits avec gros mon sommeil ; mais, quand
profits. Un jour nous atter- je m'éveillai, le navire avait
rîmes sur une île couverte disparu.
de toutes sortes d'arbres frui- Dans cette cruelle extré-
toité, je fus sur le point de l'espoir. Tant que je regar-
courir de chagrin. Je me mis dai vers la mer, je ne vis
^ crier de desespoir, à me' rien que le ciel et l'eau ; mais,
frapper la poitrine, et je me quand je regardai vers la
laissai tomber sur le sol où terre, j'aperçus quelque
Je restai étendu quelque chose de blanc. Je descendis
ternps, désespéré. Je me re- de l'arbre, ramassai ce qui
prochai cent fois de ne m'être me restait de provisions et
Pas contenté du produit de m'acheminai vers ce point
premier voyage, qui au- blanc, qui était à une si
rait pu me suffire pour toute grande distance que je ne
vie. Mais c'était en vain ; pouvais pas distinguer ce
10l était trop tard pour me que c'était. Je le pris, en ap-
repentir. Enfin, je me rési- prochant,pour un dôme blanc
gnai à la volonté de Dieu. d'une étendue et 'd'une hau-
sachant que faire, je teur prodigieuses ; quand
grimpai au haut d'un grand j'y fus arrivé, je connus au
arbre, d'où je regardai tout toucher qu'il était très uni et
autour de moi, pour voir si très lisse. J'en fis Jetour pour
Je ne découvrirais pas quel- voir s'il n'y avait pas quel-
que chose qui pût me rendre que ouverture ; mais il n'y
en avait point, et il ne fallait lendemain, aussitôt -qu'il fit
pas songer à grimper au jour, l'oiseau s'envola, et
sommet, toutes les parois .m'emporta si haut dans l'air
étant lisses. Cet objet avait que je ne pouvais plus distin-
cinquante toises, au moins, guer la terre ; il descendit en-
de tour. suite avec une si grande
Le soleil, à ce moment, rapidité que je perdis connais-
était sur le point' de se cou- sance. Mais, dès que j'eus
cher, et, tout d'un coup, le touché le sol, je me hâtai de
ciel devint aussi sombre que défaire le nœud qui me liait
s'il avait été couvert d'épais à la patte de l'animal, et je
nuages. Je fus bien surpris de ne l'eus pas plus tôt fait que
cette soudaine obscurité, et le roc s'envola après avoir
je le fus bien plus encore pris dans son bec un serpent
quand je m'aperçus qu'elle d'une longueur prodigieuse.
avait pour cause un oiseau L'endroit où il m'avait
de taille gigantesque, qui vo- laissé était entouré, de tous
lait vers moi. Je me souvins côtés, de montagnes si hautes
d'avoir souvent entendu les qu'elles semblaient toucher
marins parler d'un oiseau les nuages, et si escarpées
miraculeux appelé le Roc, et qu'il était impossible de sor-
je compris que le dôme que tir de la vallée. Je fus de
j'avais tant admiré devait nouveau bien embarrassé ;
être un de ses œufs. Bref, si bien que, quand je compa-
l'oiseau se posa sur l'œuf qu'il rai ce lieu avec l'île déserte
se mit à couver. Quand je d'où le roc m'avait emporté,
l'avais vu venir, je m'étais je m'aperçus que je n'avais
glissé tout contre l'œuf, si rien gagné au change.
bien que j'avais devant moi En me promenant à travers
une des pattes de l'oiseau qui la vallée, je vis qu'elle était
était aussi grosse que le tronc parsemée de diamants dont
d'un arbre. Je m'attachai so- quelques-uns étaient d'une
lidement à cette patte avec grosseur surprenante. Je pris
mon turban, dans l'espérance plaisir à les regarder ; mais
que le lendemain matin le je ne tardai pas à apercevoir
roc m'emporterait hors de à quelque distance des objets
cette île déserte. Je passai la qui diminuèrent grandement
nuit de cette manière, et, le ma satisfaction, et que je ne
pus regarder sans terreur : sécurité. Pour me protéger
c'était un grand nombre de contre les serpents, je bou-
serpents, si énormes, que le chai l'entrée avec une grosse
plus petit aurait pu avaler pierre, qui, toutefois, laissait
un éléphant. Pendant le jour, entrer la lumière. Je dînai
ils se retirent dans leurs ca- d'une partie de mes provi-
vernes où ils se cachent aux sions ; mais les serpents, qui
yeux du roc, et ne sortent se mirent à siffler autour de
qu'à la nuit. moi, me causèrent une telle
Je passai le jour à parcou- frayertr que je ne pus dormir.
rir la vallée, me reposant de Quand le jour parut, les ser-
temps à autre dans les en- pents se retirèrent, et je sor-
droits qui me paraissaient tis de la caverne en trem-
les meilleurs. Quand vint le blant.
soir, je me retirai dans une Je peux dire, en toute
caverne, où j'espérais pou- exactitude, que je marchais
voir passer la nuit en toute sur des diamants,, sans avoir
le moindre désir d'y toucher. que les marins ou autres fai-

Je finis par m'asseoir, et, saient de la vallée des dia-
en dépit de mes craintes, mants, et des moyens qu'em-
n ayant pas fermé l'œil de la ploient les marchands pour
nuit, je m'endormis après s'en procurer les richesses ;
avoir mangé encore un peu mais je vis alors qu'ils
de mes provisions. Mais n'avaient rien avancé que de
î avais à peine fermé les
yeux vrai. Car le fait est que les
que je fus éveillé par le bruit marchands se rendent dans
de la chute d'un corps auprès le voisinage de cette vallée,
de moi. C'était
un gros mor- quand les aigles ont des pe-
ceau de viande crue ; et, au tits ; ils y jettent de gros
même moment, j'en vis plu- morceaux de viande, et les
sieurs autres tomber des ro- diamants sur lesquels ils •
chers a différents endroits. tombent, y adhèrent; les ai-
J'avais toujours considéré gles qui, dans ce pays, sont
comme fabuleux les récits plus vigoureux que partout
ailleurs, foncent de toute leur morceau de viande, l'attachai
force sur ces pièces de viande, autour de moi avec mon tur-
et les emportent dans leurs ban, et m'étendis tout de
nids, bâtis au sommet des mon long la face contre
rochers, au bord des préci- terre.
pices, pour nourrir leurs Je n'étais pas plus tôt dans
petits : alors, les marchands cette position, qu'un des
courent aux nids, en chassent aigles, ayant saisi le morceau
les aigles par leurs cris, et de viande auquel j'étais atta-
emportent les diamants qui ché, m'emporta dans son nid
adhèrent à la viande. au sommet de la montagne.
Je vis là un moyen de déli- Aussitôt, les marchands se
vrance. Avant récolté les mirent à crier pour effrayer
plus gros diamants que je pus les aigles, et, quand ils les
trouver, je les mis dans le eurent obligés d'abandonner
sac où je portais habituelle- leur proie, l'un d'eux vint au
ment mes provisions, et fixai nid où j'avais été déposé.
solidement Je sac à ma cein- Il fut très effrayé quand il
ture ; puis,je pris le plus gros me vit ; mais, reprenant son
sang-froid, au lieu de me quand les autres marchands
demander comment j'avais arrivèrent en foule autour de
Pu venir là, il se mit à me nous, très étonnés de me
quereller et me demanda voir; mais ils furent bien plus
pourquoije lui volaissonbien. surpris encore, quand je
- « Vous me traiterez avec
plus de politesse, lui dis-je,
leur eus dit mou histoire.
Ils me conduisirent à leur
»
quand vous me connaîtrez campement, où j'ouvris mon
mieux. Ne vous inquiétez sac ; ils furent émerveillés de
Pas: j'ai assez de diamants la grosseur de mes diamants,
POur vous et pour moi ; j'en et confessèrent qu'ils n'en
ai plus que tous les autres avaient jamais vu d'aussi
Marchands réunis. Ceux gros et d'aussi beaux. Je
qu'ils ont, ils les doivent au priai le marchand à qui ap-
hasard ; mais j'ai choisi moi- partenait le nid où j'avais
lnêrne, au fond de la vallée, été transporté (car chaque
ceux que vous voyez dans marchand a un nid à lui), de
ce sac. » Je finissais à peine, prendre pour sa part autant
de diamants qu'il lui plai- aventures, pour la satisfac-
rait. Il se contenta d'un seul, tion de ceux qui ne l'avaient
etdesplus petits ; et, quand je point entendu. Je ne pouvais
le pressai d'enprendre davan- modérer ma joie de me voir
tage sans craindre de me délivré des dangers dont
faire tort. « Non, » dit-il, «j'ai j'ai parlé. Il me semblait
assez de celui-ci ; la valeur que c'était un rêve; j'avais
en est considérable ; grâce peine à croire que j'étais
à lui, je pourrai m'épargner sauvé. Il y avait plusieurs
la peine de nouveaux voya- jours que les marchands
ges, car j'aurai désormais jetaientleurspièces de viande
une fortune suffisante ; c'est dans la vallée, et, chacun
tout ce que je désirais. » étant satisfait de la quantité
Je passai la nuit parmi de diamants que le sort lui
les marchands, à qui je fis avait donnée en partage,
de nouveau le récit de mes nous partîmes le lendemain
tûatin ; nous voyageâmes dans la partie supérieure de
parmi de hautes montagnes l'arbre ; il tombe dans des
il
où y avait des serpents de pots où on le laisse épaissir
dimensions colossales, aux- jusqu'à ce qu'il soit devenu
quels nous eûmes le bonheur le camphre que nous connais-
d'échapper. Nous nous em- sons. Quand le suc est
barquâmes dans le premier épuisé, l'arbre dépérit, et
port qui se trouva sur notre meurt.
route, et nous touchâmes à On trouve aussi dans cette
l'île de Roha, où poussent île le rhinocéros, animal
les camphriers. Cet arbre plus petit que l'éléphant,
est si grand, son feuillage mais, plus gros que le buffle.
est si épais, que cent hommes Il porte sur le nez une corne
Peuvent facilement s'y as- solide, fendue par le milieu.
seoir à l'ombre. Le suc dont Le rhinocéros combat l'élé-
est fait le camphre s'écoule phant, lui enfonce sa corne
par une ouverture pratiquée dans le ventre, et l'emporte
sur sa tête ; mais le sang et mençai par faire de riches
la graisse de l'éléphant lui dons aux pauvres, puis je vé-
coulent dans les yeux, et cus honorablement des im-
l'aveuglent, si bien qu'il menses richesses que j'avais
tombe à terre ; alors, chose rapportées de ce voyage et
étrange à dire, le roc vient gagnées au prix de tant de
et les emporte tous deux peines et de fatigues.
dans ses serres pour nourrir
ses petits-
Dans cette île, j'échangeai TROISIÈME VOYAGE
quelques-uns de mes dia-
mants contre des marchan-
dises ; puis, nous allâmes Cette fois encore, je me
dans d'autres îles, et enfin, fatiguai bien vite de mener
ayant passé par plusieurs une vie oisive, et, m'affer-
villes commerçantes du missant contre la pensée de
continent, nous atterrîmes à nouveaux dangers, je m'em-
Bagdad. En arrivant, je com- barquai avec des marchands
pour un autre long voyage. raient pas à nous attaquer ;
Nous touchâmes à plusieurs ce n'étaient quedesnains,mais
Ports, où nous trafiquâmes.
Mais, un jour, nous fumes
il nefaJlaitfaireaucune résis-
tance, car ils étaient plus nom-
Pris par une effroyable breux que les sauterelles ;
tempête, qui nous chassa si nous avions le malheur de
hors de notre route. Elle du- tuer l'un d'entre eux, ils tOIR-
ra plusieurs jours, et nous beraient sur nous et nous fe.
poussa vers une île ; le capi- raient périr.
taine ne tenait pas à entrer Nous reconnûmes bientôt
dans le port ; mais nous que tout ce que le capitaine
fûmes obligés cependant d'y avait dit était vrai. Une in-
Jeter l'ancre. Quand nous nombrable multitude de sau-
eumescargué les voiles, le ca- vages horribles, hautsdedeux
pitaine nous dit que cette île pieds environ, tout couverts
et quelques autres îles a voisi- de poils roux, s'avança vers
nantes étaient habitées par nous à la nage, et entoura le
des sauvages, au corps cou- navire. Ils bavardaient entre
vert de poils, qui ne tarde- eux, tout en approchant :
mais nous ne pouvions com- pendait sur sa poitrine. Ses
prendre leur langage. oreilles ressemblaient à cel-
Ils grimpèrent aux flancs les d'un éléphant et lui cou-
du navire avec une agilitéqui vraient les épaules, et ses
nous surprit; ils amenèrent ongles étaient aussi longs et
les voiles, coupèrent le câble, aussi crochus que les serres
et, traînant le navire jusqu'au des plus grands oiseaux. A la
rivage, nous en firent tous vue d'un génie aussi affreux,
descendre ; puis ils s'en re- nous perdîmes connaissance
tournèrent dans une autre et demeurâmes étendus à
île d'où ils étaient venus, terre comme morts.
emportant notre navire avec Enfin, nous reprîmes con-
eux. naissance, et nous le vîmes
Nous nous mîmes en mar- assis dans le vestibuleetnous
che et nous aperçûmes, à regardant. Quand il nous eut
quelque distance, un vaste bien considerés, il s'avança
édifice vers lequel nous nous vers nous et, mettant la main
dirigeâmes. C'était un palais,' sur moi, il me prit par la nu-
très élevé, d'une architecture que et me retourna comme
élégante, avec une porte à un boucher ferait de la tête
deux battants, que nous ou- d'un mouton. Après m'avoir
vrîmes. Nous vîmes devant examiné, il vit que j'étais si
nous une vastesalle précédée maigre que je n'avais que la
d'un vestibule ; d'un côté peau et les os, et me laissa
s'élevait un tas d'ossements aller. Il prit tous mes compa-
humains, de l'autre se trou- gnons, l'un après l'autre, etles
vait un grand nombre de bro- examina de la même ma-
ches. Nous nous mîmes à nière. Le capitaine étant le
trembler à cette vue, et nous plus gras, il le tint d'une
fûmes saisis d'une crainte main, comme je ferais d'un
mortelle ; tbut à coup, la moineau, et l'embrocha; puis
porte de la salle s'ouvrit avec il fit un grand feu, le fit rôtir
fracas, et voilà que parut un et alla le manger dans sa -
homme noir, horrible, aussi chambre, pour son dîner.
grand qu'un palmier. Il n'a- Quand il eut fini son repas,
vait qu'un œil, au milieu du il revint dans le vestibule où
front, où il brillait comme il se coucha et s'endormit,
un charbon ardent. Ses dents ronflant avec un bruit sem-
de devant étaient très lon- blable au grondement du
gues et très pointues, et sor- tonnerre.
taient de sa bouche qui était Il dormit ainsi jusqu'au
aussi profonde que celle d'un matin. Quant à nous, il nous
S» lèvre supérieure flit impossible de prendre
aucun repos, si bien que nous moi-même, nous prîmes cha-
passâmes la nuit dans les cun une broche; nous en
craintes les plus cruelles fîmes chauffer à blanc la
qu'on puisse imaginer. Quand pointe, puis nous les lui en-
le jour parut, le géant s'éveil- fonçâmes, tous ensemble,
la, se leva, et sortit du pa- dans l'œil, ce qui l'aveugla.
lais où il nous laissa. La douleur lui fit pousser un
La nuit suivante, nous hurlement épouvantable ; il
résolûmes de nous venger de se leva d'un bond, et étendit
cet affreux géant, et nous le les bras pour sacrifier quel-
fîmes de la façon suivante. qu'un d'entre nous à sa fu-
Quand il eut soupé, de nou- reur; mais nous nous réfu-
veau, d'un de nos marins, il giâmes dans des endroits où
se coucha sur le dos et s'en- il ne pouvait nous atteindre ;
dormit. Aussitôt que nous si bien qu'après nous avoir
l'entendîmes ronfler, suivant cherchés en vain, il se diri-
sa coutume, neuf parmi les gea vers la porte, à tâtons, et
plus hardis d'entre nous, et sortit en hurlant de douleur.
Nous quittâmes immédiate- radeaux. Mais le jour parais-
ment le palais, et nous nous sait à peine que nous aper-
rendîmes au rivage, où nous çûmes notre cruel ennemi,
fîmes des radeaux, assez accompagné de deux autres
grands pour porter chacun géants, presque aussi grands
trois hommes; nous trouvâ- que lui, qui le conduisaient ;
mes du bois en abondance un grand nombre d'autres le
sur la côte. Nous attendîmes précédaient à grands pas.
le jour pour monter sur nos Nous n'hésitâmes point à
radeaux ; car nous espérions nous réfugier sur nos ra-
que si le géant ne parais- deaux, et nous mîmes à la
liJait pas avant le lever du mer aussi vite qu'il nous fut
soleil, si ses hurlements possible. Voyant cela, les
que nous entendions tou- géants ramassèrent de gros-
jours finissaient par cesser, ses pierres, et, courant au
c'est qu'il serait mort ; si tel rivage, entrèrent dans l'eau
était le cas, nous étions réso- jusqu'à mi-corps, et lancè-
Iusàne pas quitter l'île et àne rent leurs pierres en visant si
Pas risquer notre vie sur les juste qu'elles coulèrent tous
distance. Le lendemain, à l'arbre, se dressa contre le
notre inexprimable terreur, tronc, et, trouvant mon com-
nous vîmes le serpent de nou- pagnon qui était assis sur une
veau. « 0 ciel, » m'écriai-je, branche plus basse que celle
« à quels dangers ne sommes- où j'étais moi-même, l'avala
nous pas exposés Hier, nous
! aussitôt, et s'en alla.
nous réjouissions d'avoir Je restai sur l'arbre jus-
échappé à la cruauté d'un qu'à ce qu'il fît jour ; alors
géant et à la fureur des flots, j'en descendis plus mort que
et voici que nous sommes vif, m'attendant à subir le
tombés dans un nouveau dan- même sort que mes deux
ger, également terrible. » compagnons. Cette pensée me
Nous vîmes un grand ar- remplissait d'horreur et je
bre, sur lequel nous déci- fis quelques pas dans le des-
dâmes de passer la nuit pour .sein de me jeter à la mer.
Plus de sécurité ; ayant apaisé Mais je résistai à cette tenta-
notre faim avec des fruits, tion, et me résignai à la vo-
nous y grimpâmes aussitôt. lonté de Dieu qui dispose de
Peu dètemps après, le serpent notre vie comme il lui plaît.
arriva, en sifflant, au pied de Je me mis à amasser une
grande quantité de petit bois, parvenir grâce au rempart
de ronces et d'épines sèches ; que j'avais élevé ; si bien
i'en fis des fagots et les dis- qu'il resta étendu au pied
posai en un vaste cercle de l'arbre jusqu'au jour,
autour de l'arbre ; j'en atta- comme un chat guettant en
chai même quelques-uns aux vain une souris qui a réussi,
branches au-dessus de ma par bonheur, à se mettre en
tête. Ceci fait, je m'enfermai sûreté. Quand le jour parut,
dans ce cercle, quand la nuit il s'en alla ; mais je n'osai
vint, avec la mélancolique pas sortir de ma forteresse
satisfaction de n'avoir rien avant l'apparition du soleil.
négligé qui pût me protéger Dieu eut pitié de mon triste
contre le sort cruel dont j'é- sort ; car, au moment on,dans
tais menacé. Le serpent ne uIl accès de désespoir, j'allais
manqua pas de venir à l'heure me précipiter dans la mer,
habituelle ; il fit le tour de j'aperçus un navire dans le
l'arbre, cherchant un moyen lointain. J'appelai de toutes
ge me dévorer, mais n'y put lIlesforces,et, déployant mon
turban, je me mis à l'agiter que, quant aux serpents, ils
POur attirer l'attention des pullulaient dans l'île ; qu'ils
Marins. J'y réussis : les se cachaient pendant le jour
,
hommes de l'équipage m'a- et sortaient la nuit. Après
perçurent, et le capitaine que tout le monde m'eut té-
envoya la chaloupe me cher- moigné sa joie de ma déli-
cher. Dès que je fus à bord, vrance, on m'apporta ce qu'il
les marchands et les matelots y avait de meilleur sur le
se pressèrent autour de moi, navire en fait de nourriture ;
Pour savoir comment j'étais puis on me mena au capi-
venu dans cette île déserte. taine, qui, me voyant en
Quand je leur eus raconté haillons, me donna un de ses
tout ce qui m'était arrivé, habits. Je le regardai bien en
le plus âgé d'entre eux me face et je reconnus en lui ce
dit qu'ils avaient souvent capitaine qui, lors de mon
entendu dire que les géants second voyage, m'avait laissé
qui habitaient cette île dans l'île où je m'étais endor-
éiaient des cannibales, et mi, et était parti sans moi,
même sans m'envoyer semblait à une vache et qui
chercher. donne du lait ; sa peau est si
Je ne fus pas surpris qu'il dure qu'on en fait des bou-
ne me reconnût point, car il cliers. J'en vis un troisième,
rue croyait mort. « Capi- de la couleur et de la forme
taine, » lui dis-je, « regardez- du chameau.
moi, et vous verrez que je Bref,après un long voyage,
suis ce Sindbad que vous avez nous arrivâmes à Bussorah,
abandonné dans l'île dé- et je m'en retournai à Bag-
serte. » dad, avec une fortune si
Le capitaine me considéra considérable que j'en igno-
avec attention et me recon- rais l'étendue.
nut. « Dieu soit loué ! » dit-
il, en me prenant dians ses
bras ; « je me réjouis de ce
QUATRIÈME VOYAGE
que le sort a réparé ma faute.
Voici vos marchandises que
j'ai toujours eu soin de gar- Quand je fus remis des
der. » Je les acceptai, et le fatigues de mon troisième
remerciai d'en avoir pris soin. voyage, ma passion pour le
Nous continuâmes notre commerce et mon amour de
'Voyage en mer pendant quel- la nouveauté l'emportèrent
que temps ; nous touchâmes bientôt. Je mis donc de
à plusieurs îles, et nous dé- l'ordre dans mes affaires, et
barquâmes enfin dans celle m'approvisionnai de mar-
de Salabat d'où l'on tire le chandises pour le genre de
bois de sandal, si employé commercequeje voulais faire.
en médecine. Je pris la route de Perse,
De l'île de Salabat, nous parcourus plusieurs pro-
allâmes dans une autre, où vinces, et arrivai enfin dans
Je m'approvisionnai de clous
de girofle, de cannelle et
un port où je m'embarquai.
En mettant en mer, nous
autres épices. En quittant fûmes pris par un coup de
eette île, nous aperçûmes une vent soudain, qui obligea le
tortue qui avait bien vingt capitaine à amener ses voiles
toises de long et de large. et à prendre toutes les pré-
Nous remarquâmes aussi un cautions nécessaires pour
animal amphibie, qui res- prévenir le danger qui nous
menaçait. Mais tout fut en Le lendemain matin, dès
vain ; nos efforts furent sans le lever du soleil, nous nou&
effet ; les voiles furent déchi- mîmes à explorer l'île,et nous
rées en mille morceaux, et le vîmes des maisons vers
navire fut jeté à la côte; plu- lesquelles nous nous diri-
sieurs marchands et plu- geâmes. A notre approche,
sieurs matelots furent noyés, nous fûmes entourés de noirs
et. la cargaison fut perdue. qui s'emparèrent de nous,
Mais plusieurs autres mar- nous partagèrent entre eux,
chands, plusieurs matelots, et nous emmenèrent dans
et moi-même, nous eûmes la leurs habitations respectives.
chancedepouvoir monter sur Cinq de mes compagnons
des planches, et nous fûmes et moi, nous fûmes conduits
portés par le courant jusqu'à au même endroit ; on nous fit
une île qui s'étendait devant asseoir, et on nous donna une
nous.Là, nous trouvâmes des certaine herbe qu'on nous fit
fruits et de l'eau de source, signe de manger. Mes com-
qui nous sauvèrent la vie. pagnons ne remarquèrent
Nous restâmes toute la nuit point que les noirs s'abste-
près de l'endroit où la tem- naient d'en manger -, ils ne
pête nous avait jetés. pensèrent qu'à apaiser leur
fui m et se jetèrent dessus pour nous faire perdre la rai-
avecavidité. Mais, moi, je me son, afin que nous n'ayions
défiais ; je refusai d'y goûter pas conscience de la triste
et fis bien ; car, peu de temps destinée qui nous attendait ;
après, je vis que mes compa- puis, ils nous avaient donné
gnons avaient perdu la rai- du riz pour nous engraisser;
son, et que, lorsqu'ils me car, étant anthropophages,
Parlaient, ils ne savaient pas ilsavaient l'intentiondenous
ce qu'ils disaient. manger dès que nous aurions
Les nègres nous donnèrent été à point. C'est ce qui arri-
ensuite du riz, préparé à va : ils dévorèrent mes com-
l'huile de noix de coco ; et pagnons, qui n'avaient pas le
mes compagnons,qui avaient sentiment de leur état.Quant
Perdu laraison,en mangèrent à moi, qui avais toute ma
avec avidité. J'en pris aussi, raison, vous pouvez croire
rhaïs très peu. Les noirs nous facilement qu'au lieu d'en-
avaientd'abord donné l'herbe graisser comme les autres,
je devins de plus en plus qui soupconnamonintention,
maigre, tous les jours. me cria aussi fort qu'il put
La crainte de la mort de revenir ; mais au lieu de
transformait toute ma nour- lui obéir, je redoublai de vi-
riture en poison. Je tombai tesse, et je fus bientôt hors
malade de langueur, et c'est de vue..Il n'y avait, à ce mo-
ce qui me sauva ; car les ment, que le vieillard auprès
nègres, après qu'ils eurent des maisons; les autres
tué et mangé mes compa- étaient partis et ne devaient
gnons, voyant que je dépé- rentrer que le soir, selon
rissais, que j'étais maigre leur habitude. En consé-
et malade, remirent ma mort quence, étant bien persuadé
à plus tard. qu'ils ne pourraient arriver
En attendant, je jouissais à temps pour se mettre à ma
d'une grande liberté ; on ne poursuite, je continuai ma
se souciait guère de ce que route jusqu'à la nuit, où je
je faisais, et cela me permit m'arrêtai pour me reposer un
de m'éloigner, un jour, des peu,et manger quelques-unes
habitations et de m'échapper. des provisions que j'avais eu
Un vieillard qui me vit, et soin d'emporter ; mais je me
remis bien vite en marche. fîmes voile pour l'île d'où ils
Mon voyage dura sept jours ; étaient venus.
j'évitais soigneusement les Ils me présentèrent à leur
lieux qui me paraissaient roi ; c'est un bon prince, qui
habités, et je vécus, la eut la patience d'écouter le
plupart du temps, de noix de récit de mes aventures dont
coco, qui me servirent à la il fut bien surpris ; puis il me
fois de nourriture et de fit remettre des vêtements et
boisson. Le huitième jour, donna des ordres pour qu'on
j'atteignis le bord de la mer, prît soin de moi.
et je vis des blancs, comme Cette île est populeuse, fer-
moi, qui récoltaient du poi- tile en toutes choses, et la ca-
vre : on en trouve en grande pitale est très commerçante.
abondance en cet endroit. Je trouvai ce lieu de re-
Je considérai ceci comme traite bien agréable après
un heuraux présage, et j'al- mes malheurs, et la bonté du
lai à eux sans crainte. prince ne fit qu'ajouter à ma
Ces gens vinrent à ma satisfaction. Personne n'était
rencontre dès qu'ils me vi- autant que moi' en faveur
rent, et me demandèrent en auprès du souverain, et, par
arabe qui j'étais et d'où je suite, tout le monde, à la cour
venais. Je fus ravi de les et à la ville, cherchait àm'o-
entendre parler ma langue bliger ; si bien qu'en peu de
maternelle, et je satisfis leur temps l'on me considéra
curiosité en leur racontant beaucoup plus comme un
mon naufrage et la manière concitoyen que comme un
dont j'étais tombé entre les étranger.
mains des nègres. « Ces nè- Je remarquai une chose
gres, » me dirent-ils, « man- qui me parut extraordinaire.
gent les hommes ; par quel Tous les hommes, y compris
miracle avez-vous échappé le roi lui-même, montent à
à leur cruauté ? » Je le leur cheval sans rênes et sans
expliquai, et ils furent gran- étriers. Un jour, j'allai trou-
dement surpris. ver un ouvrier, et le priai de
Je demeurai parmi eux faire une selle d'après un mo-
jusqu'à ce qu'ils eussent dèle que je lui donnai. Quand
récolté leur provision habi- elle fut faite, je la recouvris
tuelle de poivre, puis nous moi-même de velours et de
cuir, et je la brodai d'or. Puis l'estime qu'on avait pour
j'allai trouver un forgeron moi.
qui me fit un mors, d'après le Je faisais très régulière-
modèle que je lui montrai, et ment ma cour au roi, qui me
des étriers également. dit un jour : « Sindbad, je me
Quandtouscesobjets furent sens de l'amitié pour toi. Je
prêts, je les offris au roi et veux te demander quelque
les plaçai sur un de ses che- chose qu'il ne faudra pas me
vaux. Sa Majesté sauta im- refuser. J'ai envie de tè ma-
médiatement en selle, et fut rier, afin que tu restes dans
si satisfaite, qu'elle me té- mes états, sans plus songer à
moigna son contentement ton propre pays. » Je n'osai
par de riches présents. Je fis pas résister à la volonté du
plusieurs autres harnache- prince ; aussi me donna-t-il
ments pour les ministres une des dames de sa cour,
et pour les principaux offi- noble, belle et riche. Les
ciers de la maison royale, ce cérémonies du mariage étant
qui accrut ma réputation et achevées, j'allai habiter
avec ma femme, et, pendant dès que je l'aperçus : « Dieu
quelque temps, nous vécûmes te garde et t'accorde une
ensemble en parfaite harmo- longue vie. » — « Hélas ! » ré-
nie. pliqua-t-il, « comment pou-
Cependant, je n'étais pas rais-je obtenir la faveur que
satisfait de mon exil ; aussi tu me souhaites ? Je n'ai pas
je résolus de m'échapper à la plus d'une heure à vivre ; car
première occasion, et de re- je dois être enterré aujour-
tourner à Bagd'ad, que ma d'hui même avec ma femme.
situation, si avantageuse Telle est la loi de ce pays. Le
qu'elle fût, ne pouvait me mari vivant est enseveli avec
faire oublier. sa défunte femme, et la fem-
Vers cette époque, la fem- me vivante avec son défunt
me d'un de mes voisins, qui mari. »
était devenu pour moi un Pendant qu'il me parlait de
très intime ami, tomba ma- cette coutume barbare, à l'i-
lade et mourut. J'allai le voir dée de laquelle mon sang se
pour leconsoler dans son af- glaçait dans mes veines, ses
fliction, et, le trouvant plongé parents, ses amis et ses voi-
dans la douleur, je lui dis, sins arrivèrent p'our assister
aux funérailles. Ils revêtirent le mari, ayant embrassé ses
le corps de la morte de riches parents et ses amis, se laissa
habits, et la parèrent de tous mettre, sans résistance, sur
ses bijoux, comme au jour de une autre bière, avec une
ses noces; puis on la plaça cruche d'eau et sept petits
sur une bière ouverte, et le pains, et on le descendit dans
cortège se dirigea vers le la fosse de la même manière.
lieu de la sépulture. Le mari La cérémonie faite, on remit
marchait en tête, tout près du la pierre sur l'ouverture de
corps. On se rendit sur une la fosse et tout le monde se
haute montagne, et, quand retira.
on eut atteint le lieu de des- Je parle de cette cérémonie
tination, on souleva une avec d'autant plus de détails
grosse pierre qui fermait que, quelques semaines plus
l'ouverture d'une fosse pro- tard, je devais jouer le rôle
fonde ; on descendit le corps principal dans une autre
revêtu de ses riches habits, toute semblable. Hélas ! ce
et couvert de joyaux. Puis, fut ma femme, cette fois, qui
tomba malade et mourut. lumière qui venait d'en haut,
Je suppliai le roi de ne pas la nature de ce lieu souter-
me soumettre, moi qui étais rain ; c'était, me sembla-t-il,
étranger, à cette loi inhu- une caverne sans fin, pro-
maine. Mais mon appel ne fonde de trois cents pieds
futpas entendu. Le roi, toute environ. Je vécus quelque
sa cour et les principaux temps de mon pain et de mon
notables de la ville cherchè- eau, puis le jour vint où ils
rent à adoucir ma peine en furent presque complètement
honorant de leur présence la épuisés. Ce jour-là, j'entendis
cérémonie funèbre; et, à la marcher et respirer dans la
fin de la cérémonie, je fus caverne ; je suivis le son ;
descendu dans la fosse avec c'était un animal qui sem-
un vase plein d'eau et sept blait s'arrêter de temps à
pains. En arrivant au fond, autre, mais qui s'enfuyait
je découvris, grâce à la faible toujours à mon approche. Je
le poursuivis pendant long- j'aperçus un navire qui se
temps, jusqu'au moment dirigeait vers l'endroit où
où j'aperçus une lumière qui j'étais. Je fis des signes avec
ressemblait à une étoile. Je l'étoffe dépliée de mon tur-
continuaid'avancer ; quelque- ban, et j'appelai aussi fort
fois je la perdais de vue, mais que je pus. On m'entendit et
je la retrouvais toujours, et, à on envoya un bateau pour
la fin, je découvrisqu'elle pé- me chercher. Il est heureux
nétrait jusqu'à moi par une pour moi que ces gens ne
ouverture dans le rocher; je perdirent pas leur temps à
me glissai dehors, par cette inspecter les lieux où ils me
ouverture et me trouvai sur trouvèrent, mais qu'ils me
le rivage de la mer, ce qui p ri rent à bo rd sa n s hés l ati o il.
i

me causa une joie extrême. Nous passâmes par plu-


Je me prosternai sur le sol sieurs îles, par l'île de Bells,
pour remercier Dieu de sa entre autres, à dix journées,
miséricorde, et, peu après, environ, de Serendib, quand
le vent est favorable, et à six
de l'île de Kéla, où nous atter-
rîmes. On trouve des mines CINQUIÈME VOYAGE
de plomb dans cette île, et
aussi du bambou et du cam- Tous les dangers que j'avais
phre excellent. courus ne purent me guérir
Le roi de l'île de Kéla est de ma passion des voyages.
très riche et très puissant, et En conséquence, j'achetai
l'île de Bells, qu'il faut envi- des marchandises, et je me
ron deux jours pour parcou- rendis dans le meilleur port
rir dans toute sa longueur, de mer. Là, afin de ne pas
lui appartient aussi. Les être obligé de dépendre d'un
habitants sont si barbares capitaine, mais d'avoir un
qu'ils mangent encore de la vaisseau à mes ordres, je
chair humaine. Quand nous demeurai jusqu'à ce qu'on en
eûmes fini notre commerce eût construit un, à mes pro-
dans cette île, nous reprîmes pres frais. Quand le navire
la mer, nous touchâmes en- fut prêt, je m'embarquai avec
core à plusieurs autres ports, mes marchandises , mais, ma
et enfin nous arrivâmes heu- cargaison étant insuffisante,
reusement à Bagdad; •je consentis à emmener avec
moi plusieurs marchands de chettes, y firent un trou, en
différentes nationalités, avec tirèrent le jeune roc en
leurs marchandises. pièces et le firent rôtir. Je les
Nous partîmes avec le pre- avais en vain priés délaisser
mier vent favorable, et, après l'œuf tranquille.
une longue navigation, le Ils avaient à peine fini leur
premier endroit où nous tou- repas qu'apparurent dans le
châmes fut une île déserte, ciel, à une distance considé-
où nous trouvâmes un œuf de rable, deux gros nuages. Le
roc, égal en grosseur à celui capitaine de mon navire, sa-
dont j'ai déjà parlé. Il y avait, chant par expérience ce que
à l'intérieur, un petit, prêt cela signifiait, nous dit que
d'éclore, qui avait commencé c'était le père et la mère du
à briser la coquille avec son roc, et nous pressa de rega-
bec. gner le navire en toute hâte,
Les marchands, qui étaient pour éviter le malheur qui,
descendus à terre avec moi, sans cela, allait nous arriver.
brisèrent l'œuf avec des ha- Les deux rocs approchaient
avec un bruit épouvantable, moment, et-l'un d'eux laissa
qui redoubla quand ils virent tomber son rocher ; mais,
que l'œuf était brisé et que grâce à l'habileté du timo-
leur petit avait disparu. Ils nier, il nous manqua et
repartirent dans la direction tomba dans la mer. L'autre
d'où ils étaient venus, et dis- atteint si exactement le na-
parurent. pendant quelque vire au milieu, qu'il le mit
temps, tandis que nous met- en pièces. Les marins et les
tions toutes voiles dehors passagers furent tous tués
pour éviter, si possible, ce ou tombèrent à la mer. Je fus
qui, malheureusement, nous de ces derniers ; mais, en re-
arriva. montant à la surface, je fus
Ils revinrent bientôt, et assez heureux pour pouvoir
nous remarquâmes que cha- me saisir d'un débris du nau-
cun portait entre ses serres frage ; je me mis à nager, et
un énorme rocher. Quand ils j'arrivai à une île dont j'at-
furent exactement au-dessus teignis le rivage, sain et
du navire, ils planèrent un sauf.
Je m'assis sur l'herbe pour quoi il restait assis aussi
me reposer de mes fatigues, immobile ; mais, au lieu de
puis je pénétrai dans l'inté- me répondre, il me fit signe
rieur de l'île pour l'explorer. de le prendre sur mon dos et
Elle ressemblait à un jardin de le porter de l'autre côté
délicieux. Je trouvai des du ruisseau.
arbres dont quelques-uns Je crus qu'il avait vraiment
portaient des fruits encore besoin de mon aide ; alors,
verts, et d'autres des fruits je le pris sur mon dos, et
mûrs; et il y avait partout l'ayant porté sur l'autre bord,
des ruisseaux d'eau fraîche jele priai de descendre ; mais,
et pure. au lieu de le faire, ce vieil-
Quand j'eus pénétré un peu lard, qui me paraissait tout
avant dans l'île, je vis un cassé et décrépit, jeta ses
vieillard, assis sur le bord jambes autour de mon cou
d'un cours d'eau, et je le pris avec agilité. Il s'assit à cali-
d'abord pour un de mes ca- fourchon sur mes épaules, et
marades naufragés. Je le sa- me serra si fortement à la
luai, mais il ne fit qu'incliner gorge que je m'évanouis. Mal-
la tête. Je lui demandai pour- gré mon évanouissement, le
méchant vieillard resta assis vant, me fit signe de lui en
sur mon cou. donner.Je luipassai la liqueur
Quand je fus revenu à moi, qu'il but d'un trait. Il ne tar-
il enfonça un de ses pieds da pas à se mettre à chanter,
dans mes côtes, et de l'autre à s'agiter de ci, de là, sur
il se mit à me frapper si bru- mes épaules, et, peu à peu,
.

talement qu'il m'obligea à l'étreinte de ses jambes se


me lever malgré moi. Quand desserra. Alors, je le jetai
je fus debout, il me contrai- par terre, je ramassai une
gnit à le porter sous les ar- grosse pierre, et le tuai.
bres, à m'arrêter de temps à Je m'acheminai ensuite
autre, afin qu'il pût cueillir vers la grève, où je rencon-
des fruits. Il resta assis sur trai les marins d'un navire
mes épaules toute la journée, qui venait de jeter l'ancre ;
et, quand je me couchai par ils furent surpris de me voir,
terre, la nuit venue, pour me mais le furent plus encore
reposer, il se coucha avec au récit de mes aventu-
moi, se tenant toujours soli- res. «Vous étiez tombé, » me
dement à mon cou. dirent-ils, entre les mains du
Un jour, je trouvai plu- vieillard de la mer, et vous
sieurs calebasses sèches qui êtes le premier qui ait échap-
étaient tombées d'un arbre. pé sain et sauf à ses étreintes.
J'en pris une grande, et j'y Il ne lâchaitjamais ceux dont
pressai du jus de raisin ; une fois il s'était rendu maî-
quand la calebasse fut plei- tre, tant qu'il ne les avait pas
ne, je la mis dans un en- fait périr, et il a rendu cette
droit convenable ; quelques île célèbre par le nombre
jours après, j'allai la prendre d'hommes qu'il y a tués. »
et, ayant goûté le vin, je le Le capitaine me reçut avec
trouvai très bon ; il me don- bonté,et, après unetraversée
na de- nouvelles forces et de quelques jours, nous arri-
m'égaya à ce point que je me vâmes dans une ville dont
mis à chanter et à danser les maisons avançaient au-
tout en portant mon fardeau. dessus de la mer.
Le vieillard, voyant l'effet Un des marchands m'invita
de ce vin sur moi, et remar- à venir avec lui. Il me donna
quant que je le portais avec un sac, et, après m'avoir re-
plus d'aisance qu'aupara- commandé à quelques gens
de la ville qui avaient l'habi- jetèrent des noix de coco.
tude d'aller chercher des Nous nous mîmes à ramasser
noix de coco, il les pria de les noix et, de temps à autre,
m'emmener avec eux. nous lancions des pierres aux
Nous arrivâmes dans une singes pour les provoquer ;
épaisse forêt de cocotiers, grâce à ce stratagème, nous
dont les troncs très élevés remplîmes nos sacs de
étaient si lisses qu'il nous noix.
fut impossible de grimper Quand notre vaisseau fut
jusqu'aux branches qui por- chargé, nous mîmes à la
taient les fruits. En péné- voile, et nous passâmes au-
trant dans la forêt, nous près des îles où le poivre
avions vu un grand nombre pousse en abondance. De là,
de singes, qui s'étaient en- à
nousallâmes l'îledeComari,
fuis au sommet des arbres où l'on trouve le plus beau
avec une surprenante agilité. bois d'aloès.'Dans ces deux
Les marchands ramassèrent îles, j'échangeai mes noix
des pierres et les jetèrent aux contre du poivre et du bois
singes. J'en fis autant, et les d'aloès, et je m'en fus avec
singes, pour se venger, nous d'autres marchands à la
pêche aux perles. Puis je en partance pour un long
m'en retournai à Bagdad où voyage, au cours duquel le
je vendis mon poivre, mon capitaine et le pilote perdi-
bois d'aloès et mes perles, rent leur route. Notre navire
avec gros profits. fut jeté par un courant au
pied d'une montagne inac-
cessible, et fut mis en pièces,
SIXIÈME VOYAGE mais nous pûmes néanmoins
nous sauver, avec nos pro-
visions et la meilleure partie
Après une année de repos, de nos marchandises.
je me préparai pour un La montagne au pied de
sixième voyage. Au lieu de laquelle nous avions échoué
passer parle Golfe Persique, était couverte d'épaves, d'in-
je parcourus cette fois encore nombrables ossements hu-
plusieurs provinces de la mains et d'une incroyable
Perse et des Indes, et j'attei- quantité de marchandises et
gnis un port de mer où je de richesses de toutes espè-
m'embarquai sur un navire ces.
Ce que cet endroit avait fais un radeau et si je m'a-
surtout de remarquable, c'est bandonne au courant, il me
que les pierres de la monta- conduira dans quelque pays
gne étaient du cristal, des habité; ou bien je mourrai.
rubis et autres pierres pré- Je me mis immédiatement
cieuses. à l'ouvrage, et je construisis
Tous mes compagnons un radeau très solide. Quand
moururent, et je crus que je il fut fini, je Je chargeai de
ne leur survivrais pas long- quelques caisses pleines de
temps. Mais il plut à Dieu rubis, d'émeraudes, d'ambre
d'avoir une fois encore pitié gris et de cristal de roche,
de moi, et de me mener sur auxquellesjejoignisquelques
les bords d'une rivière qui ballots de riches étoffes. Je
pénétrait dans une grande fixai solidement ma cargai-
caverne. J'examinai avec at- son au radeau, et j'y mon-
tention son cours probable tai à mon tour, emportant
sous terre, et je me dis : deux rames que j'avais faites;
«Cette rivière, qui coule ainsi puis, m'abandonnant au cours
sous la terre, doit trouver de la rivière, je me rési-
quelque part une issue. Si je gnai à la volonté de Dieu.
J'avançai dans une obs- mais pas, je dis bien fort, en
curité complète, et, une fois arabe, les paroles suivantes:
même, la voûte se trouva si « Invoque l'Eternel, il t'ai-
basse que je faillis m'y heur- dera ; ne te soucie pas d'autre
ter la tête. Quand mes pro- chose : ferme les yeux, et
visions furent épuisées, je pendant que tu dormiras,
perdis conhaissance. Quand Dieu changera en bonheur
je revins à moi, je fus sur- ta mauvaise fortune. »
pris de me trouver dans une Un des nègres, qui compre-
vaste plaine, près d'un fleuve nait l'arabe, m'entendant
au bord duquel mon radeau parler ainsi, s'avança vers
était attaché ; un grand nom- moi et me dit : « Frère, ne
bre de nègres m'entouraient. sois pas étonné de nous voir ;
Ils m'adressèrent la parole, nous habitons ce pays, et
mais je ne comprenais pas nous arrosons nos champs
leur langue. J'étais si trans- avec l'eau de cette rivière
porté de joie que je ne savais qui sort de la montagne voi-
pas si j'étais endormi ou sine.
éveillé ; mais, quand je fus Nous avons vu ton radeau ;
bien persuadé que je lîe dor- l'un de nous s'y rendit à la
nage et l'a amené ici, où nous. vais atterri. Les nègres me
l'avons attaché, en attendant présentèrent à leur roi ; je
ton réveil, ainsi que tu peux m'approchai du trône, et sa-
le voir. Veux-tu nous dire ton luai le monarque comme
histoire. » Je les priai de me j'avais coutume de saluer les
donner d'abord à manger. Ils rois dans l'Inde ; puis je lui
m'apportèrent toutes sortes racontai mon histoire sans
d'aliments, puis je leur racon- rien lui cacher. On apporta
tai tout ce qui m'était arrivé. mon radeau, et les caisses
Aussitôt que j'eus fini, ils me et les ballots furent ouverts
dirent qu'il me fallait aller en sa présence : il admira
avec eux, et raconter mon la quantité de bois d'aloès
histoire au roi lui-même. et d'ambre gris, mais sur-
Us envoyèrent chercher un tout les émeraudes et les
cheval, et, quand je fus en rubis, car il n'en avait point
selle, nous nous mimes en d'aussi beaux dans son trésor.
marche. Nous arrivâmes à la Alors je me prosternai à ses
capitale de Serendib, car pieds, et je me permis de
c'était dans cette île que j'a- dire : « Sire, non seulement
ma personne est au service roi,mais après un certain laps
de Votre Majesté, mais aussi de temps, je le priai de m'au
la cargaison du radeau, et je toriser à retourner dans mon
vous supplie d'en disposer pays, et il y consentit.
comme de votre bien. » Il me
répondit avec un sourire :
Sindbad, je ne veux rien te SEPTIÈME VOYAGE
«
prendre ; loin de diminuer
tes richesses, j'ai l'intention Quand je revins chez moi
de les augmenter, et je ne te après mon sixième voyage,
laisserai pasquitter mesEtats je renonçai complètement à
sans te donner des marques toute idée de reprendre la
de ma libéralité. » Puis il mer. Un jour, cependant, un
donna ordre à un de ses offi- des officiers du Calife vint me
ciers de prendre soin de moi, voir. « Le Calife, me dit-il,
et me fit donner des servi- m'envoie vous dire qu'il dé-
teurs à ses frais. J'allais tous sire vous parler. » Je suivis
les jours faire ma cour au l'officier au palais ; il me
présenta au Calife, qui me vous revoir. » J'offris mes
dit, après que je Feus salué : hommages à ce roi et lui re-
— «
Sindbab, il te faut aller mis les présents de mon
porter une lettre et des pré- auguste maître. Parmi ces
sents au roi Serendib. » présents, il y avait un vête-
Je me préparai à partir au ment en drap d'or estimé
bout de quelques jours. Dès mille sequins ; cinquante
qu'on m'eut remis la lettre et robes des plus riches étoffes ;
le cadeau du Calife, je me une centaine en drap blanc
rendis à Bwssorah où je du Caire, de Suez et d'Alexan-
m'embarquai. Après un heu- drie, tout ce qu'il y avait de
reux voyage, j'arrivai à l'île plus fin ; un vase en agate,
de Serendib, où je fus conduit plus large que profond, d'un
au palais en grande pompe ; pouce d'épaisseur, d'un demi-
je me prosternai le front pied de large, dont le fond
contre terre devant le roi qui représentait, en bas-relief,
me dit : « Sindbad, vous un homme, un genou en ter-
êtes le bienvenu; j'ai souvent re; il tenait un arc et une
pensé à vous, et je bénis le flèche qu'il se préparait à
jour où il m'est donné de lancer sur un lion. Il y avait
*
aussi une riche tablette, qui, de guerre. Queiques marins
suivant la tradition, avait firent résistance, et cela leur
appartenu au grand Salo- coûta la vie. Mais les pirates
mon. m'épargnèrent, avec quel-
Le roi de Sérendib fut bien ques autres (nous n'avions
flatté de ces témoignages pas été si imprudents), et ils
d'amitié de la part du Calife. nous conduisirent,dans une
Peu de temps après cette au- île lointaine où ils nous ven-
dience,je sollicitai la permis- dirent.
sion de quitter l'île, et je Te tombai entre les mains
l'obtins avec beaucoup de dif- d'un riche marchand, qui.
ficulté. Je m'embarquai im- aussitôt qu'il m'eut acheté,
médiatement pour Bagdad ; m'emmena dans sa maison,
mais, trois ou quatre jours me traita bien et me fit revê-
après mon départ, nous fû- tir un beau costume d'escla-
mes attaqués par des pira- ve. Quelques jours plus tard,
tes, qui s'emparèrent faci- il me demanda si je savais
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ce n'était point un vaisseau dis que je n'étais pas ouvrier,
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