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Rencontre Dan ar Braz

Retour sur soixante ans


de guitare
Kejadenn

ll a sorti l’album Dans ar dañs en début d’année : une Mon père était carrossier à Quim-
belle manière de fêter cinquante ans de carrière (et soixante per. Ma mère travaillait au secré-
de guitare) qui l’ont vu porter haut les couleurs d’un folk tariat. C’est plutôt par devoir filial
qu’il a repris l’affaire familiale mais
rock interceltique et en ont fait un des artistes majeurs de
ce n’était pas ce à quoi il se desti-
la musique bretonne. Avec humilité et sincérité, Dan ar
nait. Cela a joué un rôle, plus tard,
Braz nous raconte son parcours. quand j’ai voulu faire de la musique
en professionnel. Ma mère, qui

J
e suis né dans un milieu où essayaient de copier) les Anglo- voulait m’en dissuader, a essayé
on écoutait beaucoup de mu- saxons, la musique venant de la de convaincre mon père de m’en
siques, toutes sortes de mu- chambre de mon grand frère a empêcher mais il a dit : « Moi, j’ai
siques. Mes parents n’étaient commencé à prendre sa place dans fait toute ma vie un métier qui ne
pas musiciens à proprement dit, mon univers. Comme lui, je me suis me plaisait pas. Mes enfants feront
mais mon père chantait extrême- mis à écouter Radio Luxembourg ce qu’ils veulent. »
ment bien et on l’appelait Tino à qui était allemande le jour et an- J’ai donc commencé à étudier la
cause de ses interprétations des glaise le soir. Une radio fabuleuse guitare, en prenant des cours au
chansons de Tino Rossi. Ma mère où nous pouvions entendre tout début mais ça ne me plaisait pas
avait pris des cours de piano, elle ce qui naissait à cette fabuleuse trop. J’ai surtout progressé tout
pianotait. Mon père avait une col- époque en Angleterre, à Liverpool seul en apprenant deux ou trois
lection de 78 tours remarquable ; ou ailleurs. accords, puis quatre, cinq… Je pou-
ma fille Yuna les utilise maintenant vais m’entraîner aussi au patronage
dans les soirées vinyles qu’elle Débuts à la guitare de la paroisse. À l’école du Likès,
organise avec ses superbes gramo- il y avait une salle de musique où
phones. Mon grand frère Pierre, À douze ans, j’ai eu ma première on pouvait répéter. On avait formé
de quatre ans mon aîné, écoutait guitare pour ma communion, ache- un groupe de rock. J’ai continué à
lui aussi beaucoup de musique tée dans une boutique d’électro- grattouiller, de plus en plus. Et j’ai
dès le début des années 1960 et ménager de Concarneau, avenue découvert des chanteurs comme
Elvis Presley et Cliff Richard, entre Carnot. J’ai commencé à faire gling- Donovan, Bob Dylan, Paul Simon
autres, ont fait leur entrée dans la glong en écoutant la radio avec et bien d’autres.
maison. J’ai donc baigné dans un trois accords pour jouer « Satis-
univers musical très divers mais faction ». C’est le hasard d’être Escapades parisiennes
dans lequel ne figurait pas la mu- né en ville avec des parents com-
sique bretonne à cette époque. De merçants. Si j’étais né à quelques Une autre personne qui a joué un
Gilbert Bécaud à Gloria Lasso, en kilomètres de Quimper, et si mes rôle important dans mon parcours,
passant par de la musique classique parents avaient été agriculteurs, je c’est ma tante Simone, sœur de ma
et même militaire parfois ! les aurais sûrement aidés pour les grand-mère maternelle. Elle avait
Dans les années 1960, tout a travaux à la ferme, comme le font quitté Douarnenez pour s’installer
drastiquement changé. Après avoir tous les enfants de la campagne, comme coiffeuse à Paris. Elle avait
tellement apprécié la plupart des et j’aurais sans aucun doute parlé ouvert son propre salon de coiffure
groupes français comme les Chats breton. Je serais peut-être devenu à Pigalle. C’était une femme très
Sauvages qui copiaient (enfin qui chanteur de kan-ha-diskan [rires]. libre pour l’époque. Elle m’invitait

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n Dan ar Braz dans « Célébration » au Festival interceltique de Lorient en août 2012 (photo Jean-Maurice Colombel).

à venir à Paris et je venais en train Bernard Estardy, pianiste [studio goût du jour. La demande du public
tout seul, bien que mineur. De là, où ont enregistré Claude François, était de plus en plus pressante pour
très rapidement, je suis allé au Golf Dalida, Gérard Manset, William des rocks, des slows plutôt que des
Drouot*, j’ai acheté des disques Sheller, Nino Ferrer…] et Georges rumbas ou des passos. Les trios
dans les rayons bien garnis des Chatelain [guitariste de Nancy de bal, généralement composés
Galeries Lafayette où j’ai décou- Holloway]. Georges m’a accueilli d’un accordéon, d’une batterie et
vert des pépites extraordinaires : très gentiment. Il était très étonné d’un saxophone, cherchaient alors
Bert Jansch, John Renbourn, John que je connaisse l’existence de des musiciens pour jouer de la
Martin. Dès que je voyais une gui- Bert Jansch. Il m’a montré plein de basse, des claviers et de la guitare
tare sur la pochette du 33 tours, plans à la guitare et c’est à partir avec eux. C’est ainsi qu’avec tous
j’achetais le disque. Je ramenais de là que j’ai commencé à bosser les copains, nous nous sommes
ces trésors chez ma tante et je les dur, comme un fou, tout seul en retrouvés du jour au lendemain à
écoutais sur son pick-up. Quand je écoutant mes disques 33 tours en gagner un salaire d’ouvrier alors
Rencontre

rapportais ces disques en Bretagne, 16 tours pour ralentir la vitesse. que nous étions pour la plupart
dans les années 1964-65, personne mineurs, vivant encore chez nos
n’avait entendu ça. L’école des bals parents. 
Il y a quelque chose qui a beau- populaires C’était une très bonne école de
coup compté aussi. Un jour, je suis jouer pendant cinq heures d’affilée
allé frapper, au culot, à la porte À cette époque, les bals commen- du rock and roll dans les bals popu-
du studio CBE à Paris, géré par çaient à évoluer pour se mettre au laires, les matinées dansantes ou

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n Dan ar Braz vers 1973 (photo
Padrig Sicard, Kemper).

diquement ensemble dans les


Kejadenn

bistrots, les cabarets quand il


venait jouer en Bretagne. Nous
étions trois : Alan, Henri de la
Garde au violoncelle et moi-
même à la guitare acoustique.
Et je continuais à gagner ma
vie dans les bals.
On a fonctionné ainsi jusqu’à
l’Olympia en 1972 où Alan m’a
appelé deux ou trois jours
avant le concert. À ce moment-
là, j’avais un contrat d’un an
à Chantilly dans une boîte de
nuit, La Grotte, et d’autre part,
j’étais dans un groupe qui s’ap-
pelait Mor avec lequel j’ai enre-
gistré au château d’Hérouville
le disque Stations, en 1971.
Je suis donc venu de Chan­
tilly pour rejoindre l’équipe
avec Gabriel Yacoub et René
Werner. C’est moi qui ai fait ve-
nir, la veille, Michel Santangeli
qui était le batteur du groupe
Mor et avec qui je jouais dans
la boîte de nuit à Chantilly.
Les répétitions se sont faites
« à l’arrache ». Les spectateurs
commençaient à entrer dans la
les noces, tous les samedis et tous année, les bals me prenant de plus salle et nous étions encore en
les dimanches. Un terrain de jeu en plus de temps. L’été, les élèves train de régler des détails derrière
extraordinaire. En parallèle, j’avais devaient faire un stage profession- le rideau. À l’Olympia, nous avons
commencé à faire des concerts nel d’un mois. J’ai donc été engagé accompagné Alan le mieux que
en solo. comme serveur à l’hôtel Ker-Mor de nous pouvions. Mais nous ne réa-
Bénodet. Et un jour, au milieu du lisions pas ce que cela représentait
Rencontre stage, en 1967, un jeune homme est pour la Bretagne que d’être sur les
avec Alan Stivell venu jouer de la harpe pour la clien- planches où avait chanté Piaf, Brel,
tèle de touristes. Il a posé sa harpe les Beatles… Et puis, il y a eu le
Comme ma mère ne voulait pas sur un petit socle et a commencé à succès que l’on connaît.
que je fasse de la musique, j’ai jouer. C’était Alan Stivell. Moi, j’avais
senti qu’il fallait que je trouve « un sept ou huit tables à servir mais Premier album en
vrai métier », comme on disait en j’étais captivé. Ça a été un véritable 1977 : Douar Nevez
ce temps-là. Alors, j’ai opté pour choc. Quelques semaines plus tard,
l’école hôtelière de Quimper que je l’ai rencontré à Quimper et nous Le groupe d’Alan Stivell tel
j’ai quitté au milieu de la deuxième avons commencé à travailler épiso- qu’il existait s’est séparé en dé-

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cembre 1975. Alan en a formé rapi- de mettre ses textes en musique. beaucoup appris avec Alan Stivell,
dement un autre avec de nouveaux Heureusement, Xavier Grall m’a grâce à ses connaissances et à sa
musiciens parmi lesquels le violo- donné carte blanche en me disant : détermination à faire renaître cette
niste Dave Swarbrick du groupe « Tu fais ce que tu veux. » musique. J’ai baigné très jeune dans
Fairport Convention dont j’ai fait D’un point de vue stratégique le rock and roll et le folk anglo-
la connaissance. Quelques mois pour ma carrière artistique, c’était saxon, il est vrai, mais la musique
plus tard, celui-ci m’a demandé de une erreur d’enregistrer ce disque celtique est à la source du rock et
me joindre à Fairport Convention contre la volonté d’Hexagone. Mais du folk. Les 80 millions d’Irlandais
pendant qu’Alan faisait une pause. j’en avais besoin. ne sont pas venus aux États-Unis
J’ai donc joué pendant six mois en Après, en 1979, il y a eu le
Angleterre. C’était vraiment mer- disque The Earth’s Lament entre
veilleux pour moi de me joindre rock et folk. J’avais formé un
à un tel groupe. Il est certain que groupe avec Benoît Widemann
j’ai été stimulé. Je vivais dans un (claviers), Patrick Audoin (gui-
village assez isolé et c’est là que j’ai tares), Francis Mose (basse),
composé les thèmes de cet album Patrick Molard (cornemuses)
que je devais enregistrer plus tard. et Michel Santangeli (batte-
Pour réaliser Douar Nevez, j’ai rie). Mais quand on voulait
eu la chance d’être bien entouré du rock, je jouais du folk ou
par d’excellents musiciens, Bruno inversement. Il a fallu acheter
Menny à la prise de son et par du matériel, un camion…… La
Hugues de Courson pour la pro- gestion d’un groupe était trop
duction. lourde pour moi et j’ai fini par
Hélas, j’ai senti qu’avec la sortie dire stop.
de cet album, mes relations chan- J’avais par ailleurs de très
geaient avec Alan. Notre aventure nombreuses demandes pour
se terminait là. J’ai beaucoup souf- des concerts acoustiques en
fert, les années suivantes, d’être solo à l’étranger. Je suis donc
comme un orphelin et « l’ex-gui- allé jouer tout seul, en Italie
tariste » d’Alan Stivell.  d’abord, puis dans toute l’Eu-
rope et plus tard aux États-
Allez dire à la ville, 1978 Unis et au Canada. Je me suis
un peu perdu sur les routes
Face aux événements qui se dé- du monde. Pendant toutes ces
roulaient en Bretagne, à la situa- années, j’ai continué à enregis-
tion de sa culture, de sa langue, trer des albums, sans parler de
j’avais la rage. Je n’avais plus assez nombreuses participations à
de ma guitare pour exprimer ma d’autres disques.
colère. J’avais besoin de mots, d’où
la quête du Grall (rires). Alors que L’inspiration celtique 
je cherchais parmi les poètes bre-
tons chez un libraire à Quimper, je Pendant les fêtes de Cor-
suis tombé sur la Sône des pluies et nouailles, quand j’étais gamin,
Rencontre

des tombes de Xavier Grall. C’était j’étais sous le charme des pipe
le choc absolu. Je suis rentré chez bands écossais, sans trop sa-
moi. Dans l’urgence, j’ai lu tous voir pourquoi. Plus tard, j’ai
les poèmes et j’en ai composé
les musiques assez rapidement.
Ce n’est qu’après que je suis allé n Les albums Douar Nevez (1977),
Allez le dire à la ville (1978), The
demander l’autorisation au poète Earth’s Lament (1979).

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n Sur scène avec Jacques Pellen
au tout début des années 1990
(photo coll. Dastum).

naient nulle part, je le voyais


bien. Je n’étais pas intermit-
tent du spectacle. C’était dur
pour ma famille, pour moi,
pour tout le monde. À peine
rentré, il fallait repartir pour
gagner un autre cachet. Je
ne me suis jamais plaint.
J’attendais que les choses
aillent un peu mieux, mais
je ne savais pas ce qui allait
me tomber dessus. Jamais je
n’aurais pu imaginer ce qui
allait arriver.
Et puis, en janvier 1991,
sur l’idée de mon si regretté
et grand ami Étienne Tison,
alors en charge de l’anima-
les poches vides et la mémoire nant, je joue avec un son moins tion culturelle à Quimper aux côtés
vide. Leur musique s’est mêlée à saturé, plus « adulte » disons, et de Charles Bécam et Jean-Yves
d’autres. Avec le temps, j’ai étendu au médiator. Crochemore et avec l’aide de José
mon langage musical, j’ai peaufiné En 1994, l’année où j’ai reçu mon Nédélec au son, nous avons fait
mon jeu en intégrant tout cela très premier disque d’or aux Victoires un concert au Théâtre de Quimper
naturellement. de la Musique (12 disques d’or), avec mon groupe de cette époque,
J’ai beaucoup joué en solo mais on m’a diagnostiqué une dystonie qui comptait Jacques Pellen, Pa-
également avec Patrick Molard à irréversible à la main droite. Erreur trick Molard, Patrice Perron et
la cornemuse. Ma reconnaissance fatale d’avoir voulu apprendre le moi-même. Le concert s’est plu-
envers lui est énorme. À l’occasion piano avec des exercices à lon- tôt bien passé et Jakez Bernard,
de tous nos concerts, nous échan- gueur de journée qui ont eu raison alors programmateur du festival de
gions beaucoup à propos de la de ma main droite, ce qui me prive Cornouaille, m’a proposé d’assu-
Bretagne et de sa culture. C’était maintenant de tout picking et des rer le final de ce festival la même
les années 1980, cette période arpèges que j’aimais tant. année. Il m’a aussi laissé entendre
que j’appelle ma « traversée du Aujourd’hui, je me rends compte alors que ce serait une bonne idée
désert ». Patrick vivait au cœur de qu’il n’est pas nécessaire d’en faire d’intégrer une mini formation du
la musique traditionnelle avec sa beaucoup. Les Irlandais m’appe- Bagad Kemper. Je n’aurais sans
passion pour la cornemuse. J’ai laient le mélodiste. J’ai très jeune doute jamais osé et ce fut une idée
appris beaucoup à ses côtés. enregistré les mélodies qui me géniale. Le concert, là aussi, s’est
Au début, j’ai eu des difficultés passaient par la tête car j’ai eu la très bien passé. Une belle année
à suivre son jeu à la cornemuse. chance que mes parents, mélo- 1991 donc, pour un retour, enfin,
J’ai donc décortiqué note à note manes, achètent un magnétophone sur les terres de Bretagne. En 1992,
comme je l’avais fait pour le blues très tôt, dans les années 1960.  Jakez Bernard est revenu vers moi
et j’ai travaillé toutes les phrases. Il pour me proposer de fédérer un
fallait juste avoir envie de le faire L’Héritage des Celtes grand projet qu’il avait et qu’il
et trouver un son. C’est ainsi que planifiait pour 1993. La suite, on la
j’ai travaillé les ornementations, Je commençais à fatiguer de mes connaît maintenant bien sûr mais, à
les trémolos du pibroc’h. Mainte- tournées à l’étranger qui ne me me- l’époque, rien n’était écrit ni gagné.

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C’est le public qui a décidé du dant une dizaine d’années en Bre- aille foutre à l’Eurovision » Il m’a
succès de cette incroyable aventure. tagne et ailleurs, dans les Zénith, répondu : « Eh bien, tu vas aller
Le succès est arrivé à un moment à Bercy, à La Villette, au Stade de chanter en breton ! » Nous étions
où j’étais réellement très handicapé France pour la Saint-Patrick en justement en train d’enregistrer
avec ma main. Heureusement, je 2002… une nouvelle version de la chan-
n’avais pas l’obligation de jouer. Il son « Diwanit Bugale ». Je lui ai dit
y avait cinq ou six excellents musi- La chanson que je ne parlais pas breton et que
ciens qui assuraient les mélodies, « Diwanit Bugale » j’étais très mal placé pour le faire.
Dónal Lunny, Jean-Michel Veillon, Sa réponse a été : « Sans doute oui,
Patrick Molard, Ronan Le Bars… Alors que les premières écoles mais c’est à toi qu’on le propose.
J’avais juste à être là, à donner une Diwan se créaient en Bretagne, Alors vas-y ! » Hélas, nous n’avons
place à chacun, et moi à rester à la Gweltaz ar Fur m’avait proposé de pas pu aller en Norvège avec un
mienne. Ce qui ne me coûtait rien participer au 45 tours Kanaouen- bagad car on ne pouvait être plus
car c’est ma nature d’être discret. noù evit ar vugale au profit de de six sur scène. 
J’étais un porte-parole, un fédéra- l’association. J’ai écrit la chanson C’est l’expérience la plus forte
teur, j’étais le baz valan et ça me en français et Gweltaz l’a traduite en symboles de ma carrière. Mais
plaisait bien. Et j’ai enfin pu poser en breton. Nous l’avons enregistré j’avais tout d’abord oublié que la
mes valises.  chez Glenmor à Mellionnec.  plupart des pays, et en particulier la
J’avais appréhendé l’interceltisme Presque vingt ans plus tard, en Scandinavie, haïssaient la France à
auprès d’Alan mais après lui, il y 1996, nous étions en train d’enre- cause des essais nucléaires de Mu-
a eu un vide sidéral. Et voilà que gistrer l’album Finisterres quand ruroa. Alors que c’était le pays que
j’avais la possibilité de fédérer des Jakez Bernard m’a appelé pour me nous représentions. Nous étions
artistes issus d’Irlande, du pays de dire que nous avions été choisis par comme des pestiférés, et la chanson
Galles, d’Écosse, de Bretagne. Nous Béatrice Esposito, alors directrice a été victime de sabotages déli-
étions près de 70 sur scène. Quand des programmes à France 2, pour bérés. Je n’oublierai jamais. Mais
nous allions jouer à Glasgow ou représenter la France à Oslo au la presse norvégienne, le lende-
à Dublin, il fallait louer un avion. concours de l’Eurovision. Je lui ai main, titrait à la une : « La chanson
Nous nous sommes produits pen- demandé ce qu’il voulait « qu’on française était la plus belle ». Les

n L’Héritage des Celtes au Festival de Cornouaille en 1995 avec, au-devant de la scène, Dan ar Braz, Elaine Morgan, Ronan Le Bars (photo
Fañch Hemery).

Rencontre

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parieurs nous voyaient troisième leur langue maternelle. Après, j’en Oui, je suis heureux d’avoir pu
ou quatrième. Nous n’avons certes ai pris plein la gueule en France et évoquer de cette façon, par cette
pas gagné mais nous n’avons jamais même en Bretagne, avec quelques chanson d’espoir, ce rêve d’une
vendu autant de disques. Et les lettres d’insultes et de vulgaires région Bretagne autonome au cœur
autres concurrents, personne ne moqueries liées à mon aspect phy- de l’Europe.
Kejadenn

s’en souvient. Quand nous avons sique de chauve. 


atterri le lendemain, à Quimper, Le rêve interceltique au cœur de Un projet autour de la
Monsieur le maire et pas mal de l’Europe, à l’Eurovision (Bretagne, guitare et de la danse
Quimpérois sont venus sponta- région d’Europe, au même titre que
nément nous accueillir et nous l’Écosse et le pays de Galles) était à Pour un concert donné il y a deux
applaudir en sortant de l’avion. Et portée de main. Il y avait, en effet, ans au Festival de Cornouaille à
surtout, les enfants des écoles en une chanteuse galloise (Elaine Mor- Quimper, j’avais pensé inviter
langue bretonne étaient là et nous gan) et une autre écossaise (Karen Alan Stivell et puis, en fait, pour
ont chanté la chanson… Totale et Matheson), un chef d’orchestre lui rendre une fois encore hom-
incroyable émotion. Cette même irlandais et des musiciens bretons mage, j’ai choisi de jouer un de
année, nous avons joué devant (Ronan Le Bars au uilleann pipes ses titres sur lequel ma guitare
dix mille personnes à Landerneau et Jean Louis Hénaff aux flûtes). avait un rôle prédominant, «  Bal
au festival Kan al Loar. Quand j’y De plus, Eimear Quinn, la ga- ha dañs plinn », tiré du disque à
pense, l’accueil du public me fait gnante de l’Eurovision cette année- Dublin. J’ai souhaité célébrer cette
encore frémir d’émotion. Et je me là, qui représentait l’Eire, a chanté guitare qui aura officié ici et là au
suis dit que cela valait la peine d’y « Diwanit Bugale » quand elle est service de la musique bretonne
être allé au nom de tous ceux à qui venue jouer à Quimper, l’année pendant tant d’années, plutôt que
la République a interdit de parler suivante au festival de Cornouaille. de sombrer dans la mélancolie qui
était la mienne alors, pour des
raisons personnelles. Je me suis
dit : « Danse, Dan ! Rock’n’roll
à nouveau ! », et j’ai prononcé
pour la première fois le titre
de « Dan ar Dañs » ce jour-là.
Pendant le concert, j’ai évoqué
ce projet autour de la guitare et
de la danse et, dès ce jour, beau-
coup de gens m’ont encouragé
et aidé concrètement à réaliser
ce projet, à commencer par ma
ville, Quimper. 
Mais lancer une idée est une
chose, la mettre en place en est
une autre. J’ai eu la chance que
José Nédélec, mon régisseur et
manager, déjà présent en 1991
à mes côtés et aussi au pre-
mier concert de l’Héritage des
Celtes, m’y aide tout de suite.
Des personnes pleines d’énergie
comme Yann Pelliet de Paker

n Au festival de Cornouaille en 2013


(photo Myriam Jégat).

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n Avec Alan Stivell, invité de « Cé-
lébration » au Festival interceltique
de Lorient en août 2012 (photo
Jean-Maurice Colombel).

Prod et des amis entrepreneurs


m’ont beaucoup aidé concrè-
tement pour la production.
Sans eux, ce projet n’aurait
vraisemblablement pas abouti.
Il n’a pas été très difficile de
choisir les titres de l’album.
On n’avait que l’embarras du
choix. Il y avait évidemment
« Pop plinn », « Bal ha dañs
plinn », « Bal ha dañs pour-
let », « Orgies nocturnes »… Le
choix des musiciens s’est fait
très naturellement aussi. Nous
avons enregistré en live pour
éviter le phénomène d’empile-
ment de pistes audio. Le bagad
Kemper a assuré les parties de Discographie sélective : concert, CD, Byg Production, COL
4815302, 1995.
cornemuses et bombardes.  - (avec Mor) Stations, 33  t, Thélème
6332751, 1972. - (avec l’Héritage des Celtes), Finis-
Hélas, les mesures de confinement terres, CD, Columbia, SAN4 89167
- Douar nevez - Terre nouvelle, 33 t., 21997, 1997.
sont venues interrompre la belle Hexagone, 883009, 1977.
dynamique sur laquelle a démarré - (avec l’Héritage des Celtes), Zénith,
- Allez dire à la ville, 33 t., Hexagone, CD, Byg Production, SAN491811 2,
le lancement de l’album qui se ven- 883021, 1978. 1998.
dait plutôt bien. Ce qui est remar- - The Earth’s Lament, 33 t., Hexagone, - La mémoire des volets blancs, CD,
883034, 1979. Columbia, 50 1186 2, 2001.
quable de nos jours. Nous avions
- Acoustic, 33 t, FLVM, FLVM 3062, - À toi et ceux, CD, Columbia,
fait de bons concerts à Quimper et 1981. SAN513782 2, 2003.
à Betton avec la nouvelle équipe - Anne de Bretagne (bande originale), - Les perches du Nil, CD, Columbia,
de musiciens. Tout allait pour le 45 t., FLVM/Théâtre Nuit/Dan ar Braz, 88697072232, 2007.
FLVM 45104, 1983.
mieux. Je commençais à émerger - Comptines celtiques et d’ailleurs,
- Musiques pour les silences à venir, CD, Éveils et Découvertes, 334-1-
d’un passage difficile et tout a été 33 t, autoproduction, RS 3063, 1985. 34837-491-8, 2009.
interrompu d’un coup. J’ai l’espoir - Septembre bleu, CD, Hello, 10037, - Cornouailles soundtrack, CD, Dan
de refaire une sortie en septembre 1988. ar Braz Productions, CDDAB04,
conjointement à la diffusion d’un - Songs, CD, Keltia Musique, KMCD 2015.
14, 1990. - Célébration, CD, L’Oz Production
film qui m’est consacré sur France
- Frontières de sel/Borders of salt, CD, LOZ73, 2012.
Télévisions à la même période. On Keltia Musique, KMCD 23, 1991. - (avec l’Héritage des Celtes), Célébra-
verra. - Xavier Grall chanté par Dan ar Braz, tion d’un héritage, CD, Coop Breizh,
CD, Keltia Musique, KMCD 34, 1992. CD 1091, 2015.
Propos recueillis par Yann Bertrand - Les îles de la mémoire/Islands of - (avec Clarisse Lavanant) Harmonie,
memories, CD, Keltia Musique, KMCD
Rencontre

CD, Funambules Productions, 2017.


32, 1992. - Dan ar dañs, CD, Hent Glaz Produc-
* Le Golf Drouot devient, dès 1961, la - Rêves de Siam (bande originale), tions/Paker Prod, DAB06, 2020.
première discothèque parisienne dif- CD, Keltia Musique, KMCD 33, 1992.
fusant de la musique américaine, no-
- Héritage des Celtes, CD, Columbia,
tamment de Bill Haley, Jerry Lee Lewis,
COL 477763 2, 1994.
Elvis Presley. Le fameux tremplin du
vendredi soir verra débuter Vince Tay- - Theme for the Green Lands, CD, Kel-
lor, Gene Vincent, les Chats Sauvages, tia Musique, KMCD 48, 1994.
Nancy Holloway, Eddy Mitchell… - (avec l’Héritage des Celtes), En

264 – juillet/août/septembre 2020 Musique Bretonne 23

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