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Cour européenne des droits de l’Homme
Conseil de l’Europe
67075 Strasbourg Cedex
FRANCE

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Monthey, le 14 décembre 2010/sdg

TRÈS URGENT
DEMANDE D’APPLICATION DE L’ARTICLE 39 DU
REGLEMENT
REFUS D’INTERRUPTION DE PEINE DE BERNARD RAPPAZ,
GREVISTE DE LA FAIM DEPUIS 110 JOURS, PAR LA SUISSE

(Personne de contact : Maître Aba Neeman, Place de l’Eglise 2, CP


1224, 1870 Monthey 2, Suisse, Téléphone : 0041 (0)24 472 30 80/
Télécopie : 0041 (0) 24 472 30 66)

Madame, Monsieur le Président,

Agissant au nom et pour le compte de Monsieur Bernard Rappaz, selon


procuration annexée (1), j’ai l’honneur et le devoir de vous saisir par la présente
d’une requête de mesures provisoires au sens de l’art. 39 du règlement de la
Mo
CEDH à propos d’un refus d’interruption de peine de Bernard Rappaz, gréviste
de la faim depuis 110 jours,

en raison des faits, et plus particulièrement des trois arrêts rendus par le Tribunal
fédéral suisse, dernière instance de recours, soit les arrêts 6B_599/2010 du 26
août 2010, 6B_959/2010 du 16 novembre 2010 et 6B_1022/2010 du 7 décembre
2010, et motifs suivants :

1
A - RÉSUMÉ ET MOTIFS DE l’URGENCE

1. Les faits

Par jugement du 22 octobre 2008, Bernard Rappaz a été condamné par la Cour de droit pénal
du canton du Valais à une peine de réclusion de 5 ans et 8 mois pour lésions corporelles
simples, gestion déloyale aggravée, blanchiment d’argent, violation grave des règles de la
circulation routière, violation grave de la loi sur les stupéfiants et violation de diverses lois
d’assurance sociale.

En date du 20 mars 2010, Bernard Rappaz est entré à la prison des Iles, à Sion, dans le canton
du Valais, pour y purger sa peine.

Depuis son incarcération, le requérant a entamé une grève de la faim qu’il justifie par deux
raisons, soit la libéralisation du cannabis et la protestation contre une condamnation qu’il
estime trop lourde.

Dès lors qu’il a connu des complications médicales à la suite de cette grève de la faim,
Monsieur Bernard Rappaz a, en date du 3 mai 2010, déposé une requête d’interruption de
peine fondée sur l’article 92 du Code pénal suisse auprès de la Cheffe du Département de la
sécurité, des affaires sociales et de l’intégration du canton du Valais (ci-après : la Cheffe du
Département).

En date du 7 mai 2010, la requête de Bernard Rappaz a été admise par la Cheffe du
Département et une interruption de peine a été ordonnée pour une durée de 15 jours.
Toutefois, avant le terme, les autorités cantonales valaisannes ont mis fin à cette interruption
de peine. Bernard Rappaz est retourné en prison, à la suite de quoi il a entamé une nouvelle
grève de la faim, doublée d’une grève de la soif pendant quelques jours. Le requérant a
entrepris une grève de la faim pour protester contre ses conditions de détention et parce qu’on
lui imposait de voir sa fille, âgée de 12 ans, derrière une vitre, ce qui n’avait jamais été
ordonné auparavant.

Les paramètres médicaux de Bernard Rappaz ont alors été mis en alerte et sa situation
médicale est devenue alarmante, en sorte que celui-ci a été transféré au quartier carcéral de
l’Hôpital Cantonal Universitaire de Genève (ci-après : HUG) en date du 9 juin 2010.

Bernard Rappaz a établi des directives anticipées dans lesquelles il a précisé sa volonté de ne
pas être nourri artificiellement.

En raison des problèmes médicaux qu’entraînait sa grève de la faim, Bernard Rappaz a


déposé, en date du 21 juin 2010, une nouvelle demande d’interruption de peine, laquelle a été
refusée par les autorités administratives valaisannes le 23 juin 2010. En ce sens, un recours a
été interjeté au Tribunal cantonal du canton du Valais le 29 juin 2010, puis au Tribunal fédéral
suisse le 12 juillet 2010.

Par ordonnance de mesures provisionnelles du 15 juillet 2010, le juge instructeur du Tribunal


fédéral a invité la Cheffe du Département à prendre, durant la litispendance, toutes les
mesures conformes à la Constitution qui seraient nécessaires à la sauvegarde de la vie et de
l’intégrité corporelle du recourant.

2
Ainsi, la Cheffe du Département a ordonné que la peine de Bernard Rappaz soit exécutée sous
la forme d’un arrêt domiciliaire afin que sa vie et son intégrité corporelle soient sauvegardées.
Dès lors, Bernard Rappaz a cessé son jeûne de protestation.

Puis, en date du 26 août 2010, le Tribunal fédéral a rejeté le recours de Bernard Rappaz, en lui
opposant le fait que le recours à l’alimentation forcée par les médecins empêchait une atteinte
grave à sa santé.

De nouveau incarcéré depuis le 26 août 2010, Bernard Rappaz a repris sa grève de la faim.

Le requérant a, de ce fait, de nouveau été gravement atteint dans sa santé. En particulier, son
taux de glycémie est descendu à 2.5. Il n’a plus été en mesure de marcher. Après un malaise,
Bernard Rappaz a donc de nouveau été incarcéré au quartier pénitentiaire du HUG en date du
21 octobre 2010.

Un certificat médical a dès lors été établi en date du 26 octobre 2010 (2), duquel il ressort que
les glycémies sont basses, qu’il y a un risque d’hypokaliémie (trouble du rythme cardiaque,
arrêt cardiaque), d’hypoglycémie (état confusionnel, crise épileptique, coma) et d’atteintes
neurologiques permanentes en cas d’hypoglycémie prolongée.

Bernard Rappaz connaît également une perte pondérale importante et se situe à environ 30 %
en dessous de son poids habituel.

Les médecins craignent désormais une péjoration significative de l’état de santé de Bernard
Rappaz dans un avenir proche.

Bernard Rappaz entend néanmoins poursuivre son jeûne de protestation et a précisé, dans ses
directives anticipées, sa volonté de ne pas être nourri artificiellement.

En ce sens, les médecins en charge de Bernard Rappaz respectent son choix et se refusent de
l’alimenter de force.

A ce propos, ils ont clairement précisé qu’« en raison des directives anticipées établies par le
patient, capable de discernement, et sous réserve d’un changement d’attitude à cet égard, peu
probable semble-t-il, le personnel médical et soignant en charge du patient devra limiter son
intervention à assurer le confort de Monsieur Bernard Rappaz en respectant le choix du
patient quant à la fin de vie envisagée par celui-ci. »

Le président de la Fédération des médecins suisses (FMH) a attesté publiquement, au nom des
médecins, que ceux-ci n’entendaient pas nourrir de force Bernard Rappaz malgré l’arrêt du
Tribunal fédéral rendu à cet égard.

Fondé sur ce constat, en date du 28 octobre 2010, Bernard Rappaz a de nouveau déposé une
requête d’interruption de peine, laquelle a été refusée. Celui-ci a alors interjeté un recours au
Tribunal cantonal du canton du Valais le 4 novembre 2010.

Par arrêt rendu le 10 novembre 2010, le Tribunal cantonal du canton du Valais a rejeté le
recours de Bernard Rappaz et donné l’ordre au médecin en charge de Bernard Rappaz, soit le
Docteur Hans Wolff personnellement, d’alimenter de force le requérant (3).

3
Statuant sur le recours interjeté le 11 novembre 2010 par Bernard Rappaz à l’encontre de
l’arrêt rendu par le Tribunal cantonal, le Tribunal fédéral a, en date du 16 novembre 2010,
refusé ledit recours au motif que le médecin chargé d’alimenter Bernard Rappaz n’a pas
recouru contre l’ordre d’alimentation forcée et que dès lors il ne ressort pas des éléments du
dossier que le médecin requis de le soigner, au besoin en l’alimentant de force, ne se
conformera pas à la décision qui lui a été signifiée en ce sens.

En date du 16 novembre 2010, un nouveau certificat médical a été établi, lequel met en
évidence une bradycardie sinusale depuis plusieurs jours, caractérisée par une fréquence
cardiaque de 45 battements par minute en moyenne (4).

Par ailleurs, refusant toujours de procéder à l’alimentation forcée du requérant, le médecin


auquel il a été enjoint personnellement de nourrir de force Bernard Rappaz a déposé un
recours contre l’ordre d’alimentation forcée. Ce recours est actuellement pendant au Tribunal
fédéral.

Dès lors que, cette fois, les médecins ont démontré formellement leur volonté de ne pas
procéder à l’alimentation forcée, Bernard Rappaz a déposé une nouvelle requête
d’interruption de peine en date du 23 novembre 2010, laquelle a été rejetée par la Cheffe du
Département le 30 novembre 2010.

Un nouveau recours a donc été interjeté au Tribunal cantonal du canton du Valais le 30


novembre 2010 puis au Tribunal fédéral le 3 décembre 2010.

En date du 7 décembre 2010, le Tribunal fédéral a encore une fois rejeté le recours de Bernard
Rappaz.

2. Disposition interne

2.1 L’interruption de peine

Selon l’art. 92 du Code pénal suisse, l’exécution des peines et des mesures peut être
interrompue pour un motif grave.

2.2. L’alimentation forcée

En Suisse, aucune norme fédérale ne détermine quel comportement les autorités d’exécution
des peines doivent adopter en cas de grève de la faim d’un condamné. Cette question ressort
de la compétence des cantons, comme les questions concernant l’exécution des peines.

Peu de cantons ont légiféré en Suisse. Seuls les cantons de Berne et de Neuchâtel ont introduit
dans leur loi formelle sur l’exécution des peines des dispositions qui se réfèrent expressément
à l’hypothèse d’une grève de la faim.

Les cantons du Valais, dont Bernard Rappaz est le citoyen et dans lequel il a été incarcéré, et
de Genève, dans lequel le requérant est hospitalisé en quartier carcéral, ne disposent pas,
quant à eux, d’une telle base légale.

4
3. Jugements rendus en Suisse

A la suite des recours interjetés par Bernard Rappaz contre les refus d’interruption de peine, le
Tribunal fédéral suisse a rendu trois arrêts relatifs à l’art. 92 du Code pénal suisse (ci-après :
CP), disposition qui traite précisément de l’interruption de peine :

- Arrêt du Tribunal fédéral 6B_599/2010 du 26 août 2010 (5) :

Dans son premier arrêt, le Tribunal fédéral a examiné les conditions d’application
de l’article 92 du Code pénal en relation avec une grève de la faim.

1. Le motif grave

Selon le Tribunal fédéral, « seuls sont des motifs pertinents, au regard de la


jurisprudence, les risques médicaux que la poursuite de l’exécution de la peine
ferait courir au condamné » (p. 6 de l’arrêt).

Par ailleurs, « L’article 92 CP ne posant aucune exigence à ce sujet, l’origine du


risque médical invoqué à l’appui d’une demande d’interruption est indifférente. La
possibilité d’une grave atteinte est susceptible à elle seule, indépendamment de sa
cause, de justifier l’interruption de la peine. Dès lors, si un condamné est
déterminé à mener une grève de la faim aussi longtemps qu’il sera détenu, les
lésions dont il risque de souffrir, respectivement le risque létal, doivent être pris en
compte» (p. 6 de l’arrêt).

« Quant à la gravité des motifs médicaux retenus, elle atteint toujours le degré
requis pour l’application de l’article 92 CP si elle est telle que la poursuite de
l’exécution violerait l’interdiction des peines cruelles, inhumaines ou dégradantes,
prévues aux art. 10 al. 3 Cst, 3 CEDH, 7 Pacte ONU II (…). Le motif médical
invoqué est également toujours grave si la poursuite de l’exécution met
concrètement en danger la vie du condamné (…) » (p. 7 de l’arrêt).

Dans le cas de Bernard Rappaz, le Tribunal fédéral a jugé que l’on avait affaire à
un motif grave dès lors que celui-ci allait entrer dans la phase – généralement fixée
au quarantième jour de jeûne – où il commencerait à souffrir de graves lésions
irréversibles, notamment neurologiques.

2. Le principe de subsidiarité

Selon le Tribunal fédéral, « pour justifier une interruption, l’état de santé du détenu
doit être incompatible avec n’importe quelle forme d’exécution de la peine et avec
tout aménagement possible dans l’exécution de celle-ci. Ainsi, le traitement
médical doit être inefficace ou impossible dans une infirmerie pénitentiaire, un
établissement hospitalier ou un foyer (...) L’application de l’art. 92 CP n’intervient
donc qu’à titre subsidiaire, lorsque les diverses formes de détention ne suffisent
pas » (p. 8 de l’arrêt).

3. L’alimentation forcée

5
3.1 En général

« Si la prise en charge médicale n’aboutit pas à la cessation du jeûne, l’état de


santé du détenu arrive immanquablement à un point critique où peuvent apparaître
des lésions irréversibles, aux effets graves (par exemple le syndrome de Wernicke-
Korsakoff arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme Tekin Yildiz contre
Turquie du 10 novembre 2005). Se pose alors la question de l’alimentation forcée
du patient » (p. 11 de l’arrêt).

« Si une personne détenue poursuit une grève de la faim, cela peut inévitablement
conduire à un conflit entre le droit à l’intégrité physique de l’individu, d’une part,
et l’obligation positive de préserver la santé et la vie des détenus que l’art. 2
CEDH fait peser sur les Etats parties, d’autre part. Ce conflit n’est pas réglé par la
convention. C’est à la législation nationale qu’il appartient de le résoudre. Si elle
est admise par le droit interne et pratiquée dignement, l’alimentation forcée est
compatible avec la convention » (p. 12 de l’arrêt).

Le Tribunal fédéral se réfère ensuite à la Recommandation n° R (98) 7 du Comité


des Ministres du Conseil de l’Europe du 8 avril 1998, relative aux aspects éthiques
et organisationnels des soins de santé en milieu pénitentiaire.

Aux termes de cette recommandation, si le médecin estime que l’état de santé d’une
personne en grève de la faim se dégrade rapidement, il lui incombe de le signaler à
l’autorité compétente et d’entreprendre une action selon la législation nationale (y
inclus les normes professionnelles).

A cet égard, le Tribunal fédéral reconnaît qu’il n’existe aucune norme de droit
fédéral relative à l’alimentation forcée. Seuls deux cantons, soit ceux de Berne et de
Neuchâtel, disposent d’une telle disposition dans leurs lois formelles.

Le Tribunal fédéral évoque ensuite les directives médico-éthiques de l’Académie


Suisse des Sciences Médicales (ci-après : ASSM) relatives à l’exercice de la
médecine auprès des personnes détenues du 28 novembre 2002. Il précise que ces
directives n’ont pas force de loi et ne créent pas par elles-mêmes de véritables
normes juridiques. Le Tribunal fédéral poursuit en déclarant qu’en « en cas de
divergence entre une règle de droit et l’éthique médicale telle qu’elle est conçue
par les directives, les médecins ne peuvent exciper de ces dernières pour se
soustraire à l’accomplissement de leur obligation juridique. Partant, les directives
de l’ASSM ne sauraient empêcher les autorités cantonales d’ordonner
l’alimentation forcée du recourant, ni dispenser les médecins requis d’y procéder,
si les conditions juridiques d’une telle mesure sont remplies » (p. 17 de l’arrêt).

3.2 L’alimentation forcée et la clause générale de police

Le Tribunal fédéral considère que le jeûne de protestation est couvert sous la liberté
d’expression garantie à l’art. 16 al. 2 de la Constitution suisse (ci-après : Cst) et que
la liberté personnelle garantie à l’art. 10 al. 2 Cst comprend le droit au respect de
l’intégrité physique, laquelle est fortement atteinte par une alimentation forcée,
méthode très invasive. En ce sens, « l’alimentation forcée d’un détenu en grève de
la faim peut s’analyser à la fois comme une restriction à la liberté d’expression et

6
comme une restriction à la liberté personnelle » (p. 18 de l’arrêt) qui sont
considérées comme des droits fondamentaux.

La liberté d’expression et la liberté personnelle peuvent être limitées aux conditions


prévues à l’art. 36 Cst. Aux termes de cette disposition, toute restriction d’un droit
fondamental doit être fondée sur une base légale ; les atteintes graves doivent être
prévues par une loi ; les cas de danger sérieux, direct et imminent sont réservés (al.
1) ; toute restriction d’un droit fondamental doit être justifiée par un intérêt public
ou par la protection d’un droit fondamental d’autrui (al. 2) ; toute restriction d’un
droit fondamental doit être proportionnée au but visé (al. 3) ; l’essence des droits
fondamentaux est inviolable (al. 4).

Selon le Tribunal fédéral, la 3ème phrase de l’art. 36 Cst exprime la clause générale
de police qui « instaure une exception constitutionnelle à l’exigence d’une base
légale même dans les cas où celle-ci devrait se trouver dans une loi au sens formel.
Ainsi, en vertu de l’art. 36 al. 1, 3ème phrase, Cst, le pouvoir exécutif, voire
judiciaire, est autorisé à restreindre sans base légale un droit fondamental pour
écarter un danger grave, direct et imminent, menaçant un intérêt public important,
s’il apparaît que son intervention est urgente et que les moyens prévus par les lois
en vigueur ne suffisent pas (…) La clause générale de police permet notamment de
restreindre les droits fondamentaux d’un individu particulier, par exemple
d’imposer un traitement médical à une personne déterminée » (p. 18 de l’arrêt).

« La restriction doit respecter le principe de la proportionnalité et elle ne peut


porter atteinte au noyau intangible du droit fondamental, ni à un droit qui ne peut
être restreint, tel le droit à ne pas être soumis à une peine ou à un traitement cruel,
inhumain ou dégradant » (p. 19 de l’arrêt).
En conséquence, fondé sur l’art. 36 de la Constitution suisse, et plus
particulièrement sur la clause générale de police, couverte sous cette disposition, le
Tribunal fédéral a reconnu que « le pouvoir exécutif peut dès lors ordonner
l’alimentation forcée d’un détenu en grève de la faim directement sur la base de la
clause générale de police, si cette restriction au droit d’expression et à la liberté
personnelle sert à préserver de manière proportionnée un intérêt public important
d’une atteinte grave et impossible à détourner autrement » (p. 20 de l’arrêt).

Sur ce, le Tribunal fédéral fait une comparaison entre d’un côté, l’intérêt public à
l’exécution ininterrompue des condamnations pénales et d’un autre côté, « le devoir
de l’Etat de préserver la vie des personnes détenues, découlant de l’art. 2 CEDH,
qui l’oblige à tout mettre en œuvre pour les empêcher de se suicider et, en cas de
tentative, à leur porter secours. Il en va de même si un détenu refuse de
s’alimenter » (p. 20 de l’arrêt).

« Par conséquent, il existe un intérêt public important à ce que les possibilités


d’action offertes à l’autorité d’exécution des peines, confrontée à la grève de la
faim d’un détenu qui demande à être libéré, ne se limitent pas à la seule alternative
d’élargir l’intéressé ou de le laisser mourir, mais qu’il soit aussi possible
d’ordonner que le détenu soit nourri de force dès qu’il commence à courir le risque
de souffrir de lésions graves et irréversibles. Sinn, l’autorité devra soit porter
atteinte à la crédibilité et à l’équité de la justice pénale, soit renoncer à la primauté
de la vie sur la mort » (p. 20-21 de l’arrêt).

7
Le Tribunal conclut donc que « dans ces conditions, l’alimentation forcée ne porte
pas une atteinte disproportionnée à la liberté d’expression et à la liberté
personnelle du détenu et elle ne viole par l’interdiction des traitements inhumains
ou dégradants, si elle est pratiquée dignement et conformément aux règles de l’art
médical » (p. 21 de l’arrêt).

3.3 Conclusion

Ainsi, selon le Tribunal fédéral, dès lors que l’alimentation forcée peut être
envisagée sous l’angle de la clause générale de police contenue à l’art. 36 Cst,
l’interruption de peine ne peut pas être prononcée en vertu du principe de
subsidiarité.

4. Le principe de proportionnalité

Selon le Tribunal fédéral, la question de la proportionnalité ne se pose que s’il


apparaît que l’interruption de l’exécution de la peine est admissible au regard de la
subsidiarité.

Le Tribunal fédéral a jugé que le principe de proportionnalité « exige, appliqué en


matière de restrictions aux libertés publiques, que la mesure envisagée soit apte à
produire les résultats d’intérêt public escomptés (règle de l’aptitude) et que ceux-ci
ne puissent être atteints par une mesure moins incisive (règle de la nécessité). En
outre, il interdit toute limitation allant au-delà du but visé et il postule un rapport
raisonnable entre celui-ci et les intérêts publics ou privés compromis (principe de
la proportionnalité au sens étroit, impliquant une pesée des intérêts) » (p. 9 de
l’arrêt)

« L’intérêt public à l’exécution ininterrompue de la peine présente divers aspects.


Il faut tenir compte en premier lieu du besoin de protection de la société. A la prise
en considération de cet impératif sécuritaire s’ajoute le respect de l’effectivité des
peines. L’intérêt public englobe également la défense de la crédibilité du système
pénitentiaire, parce que l’Etat doit assurer l’exécution des peines conformément à
leur but de resocialisation et d’expiation, sans mettre en péril la vie et l’intégrité
corporelle, physique et psychique, des détenus. La question se pose singulièrement
dans l’hypothèse – rarissime – de grèves de la faim arrivant dans leur phase
terminale, parce qu’il n’est guère concevable, dans une société civilisée appliquant
un système démocratique trouvant son expression dans l’Etat fondé sur le droit,
qu’un détenu meure en prison des suites de jeûne de protestation » (p. 9-10 de
l’arrêt)

« La typologie de l’infraction doit également être observée, pour s’opposer à


l’éventuelle interruption d’une peine sanctionnant des infractions graves,
révélatrices de la dangerosité de leur auteur, ou susceptibles d’être à nouveau
perpétrées, subitement et sans grande préparation, pendant la période
d’élargissement provisoire. Tel est en particulier le cas des infractions contre la vie
et l’intégrité corporelle, de certaines infractions contre le patrimoine (vols,
brigandage), de crimes ou délits contre la liberté et contre l’intégrité sexuelle, ainsi

8
que d’infraction créant un danger collectif, par exemple l’incendie » (p. 10 de
l’arrêt).

Toutefois, selon le Tribunal fédéral, « l’intérêt privé du condamné à obtenir une


interruption réside dans la prévention des risques que, compte tenu de son état de
santé, la poursuite de l’exécution de la peine lui ferait courir. Vu la subsidiarité de
l’interruption, cet intérêt ne l’emporte sur l’intérêt public que si le traitement,
thérapeutique ou palliatif, ne peut être suivi dans un établissement pénitentiaire ou
dans une section hospitalière fermée » (p. 10 de l’arrêt).

5. Synthèse

En l’occurrence, dans son premier arrêt du 26 août 2010, le Tribunal fédéral a


reconnu que Bernard Rappaz présentait un motif médical grave, peu importe à cet
égard l’origine de ce motif.

Le Tribunal fédéral a toutefois refusé d’interrompre la peine de Bernard Rappaz au


sens de l’art. 92 CP au motif que le risque d’atteinte grave à la santé pourrait être
écarté, le moment venu, par le recours à l’alimentation forcée.

Pour fonder le recours à l’alimentation forcée, le Tribunal fédéral se base


uniquement sur la clause générale de police, qui ne peut, en aucun cas, équivaloir à
une base légale formelle.

Le Tribunal fédéral a donc statué nonobstant l’absence de base légale formelle au


niveau fédéral ou au niveau des cantons qui prennent en charge Bernard Rappaz,
soit les cantons du Valais et de Genève, et au mépris des directives de l’ASSM
claires et sans équivoque sur le sujet, auquel le Tribunal fédéral s’est pourtant
référé.

Au regard de la Recommandation n° R (98) 7 du Comité des Ministres du Conseil


de l’Europe du 8 avril 1998, relative aux aspects éthiques et organisationnels des
soins de santé en milieu pénitentiaire, pour entreprendre une action, il convient
pourtant de se fonder sur la législation nationale (inexistante en l’occurrence) ainsi
que sur les normes professionnelles (claires sur le sujet dans le cas particulier).

En ce qui concerne le principe de proportionnalité, le Tribunal fédéral a dressé une


typologie d’infractions qui révèlent la dangerosité d’un condamné, telles que les
infractions contre la vie et l’intégrité corporelle, contre le patrimoine (vol,
brigandage), contre la liberté et l’intégrité sexuelle ainsi que celles créant un danger
collectif. Le Tribunal fédéral a exclu de sa liste énumérative les violations graves
concernant la loi sur les stupéfiants alors même que son jugement portait sur le cas
de Bernard Rappaz, en sorte que le Tribunal fédéral entendait démontrer par-là que
le recourant ne représentait pas un danger pour la société. A cet égard, lors des
débats publics, les juges ont clairement précisé qu’en cas d’infractions à la loi sur
les stupéfiants telles que celles perpétrées par Bernard Rappaz, il n’existait aucun
danger pour la société.

9
Au regard de l’arrêt du Tribunal fédéral, si le principe de subsidiarité est admis
pour interrompre la peine, le principe de proportionnalité ne fait aucunement
obstacle à cette interruption.

- Arrêt du Tribunal fédéral 6B_959/2010 du 16 novembre 2010 (6) :

1. Contexte

Nonobstant l’arrêt rendu le 26 août 2010 par le Tribunal fédéral, les médecins ont
toujours refusé d’alimenter Bernard Rappaz malgré son état médical devenant de
plus en plus critique de jour en jour. Ils se sont par ailleurs prononcés publiquement
à plusieurs reprises sur le sujet.

Dès lors que l’alimentation forcée n’était pas envisageable, Bernard Rappaz a
déposé une nouvelle requête d’interruption de peine en se prévalant du principe de
subsidiarité tel que développé dans l’arrêt du 26 août 2010 du Tribunal fédéral.

Par arrêt du 10 novembre 2010, le Tribunal cantonal du canton du Valais a enjoint


personnellement le médecin en charge de Bernard Rappaz, soit le Docteur Hans
Wolff, d’alimenter de force le requérant.

Malgré cet ordre formel, le Docteur Hans Wolff n’a pas alimenté de force Bernard
Rappaz.

Dès lors que le Tribunal cantonal du canton du Valais a rejeté le recours du


requérant, celui-ci a recouru au Tribunal fédéral.

2. L’absence de recours formel des médecins

Dans son arrêt du 16 novembre 2010, le Tribunal fédéral retient que « même s’il (le
Docteur Hans Wolff) avait exprimé son désaccord de principe avec l’alimentation
forcée avant que des décisions lui aient été formellement notifiées, le médecin
requis de soigner Bernard Rappaz n’a recouru, à ce jour, ni contre l’ordonnance
de mesures provisionnelles du 5 novembre 2010, ni contre la décision
d’alimentation forcée du 10 novembre 2010. Dès lors (…), il ne ressort pas des
éléments du dossier que le médecin requis de le soigner, au besoin en l’alimentant
de force, ne se conformera pas à la décision qui lui a été signifiée en ce sens » (p. 3
de l’arrêt).

3. Synthèse

Confrontés à l’inaction des médecins en charge de Bernard Rappaz malgré l’ordre


formel qui leur a été donné de nourrir de force le requérant, les juges du Tribunal
fédéral estiment, contre toute attente, que l’alimentation forcée est toujours
envisageable puisqu’aucun recours formel n’a été déposé par ces médecins.

- Arrêt du Tribunal fédéral 6B_1022/2010 du 7 décembre 2010 (7) :

1. Contexte

10
Sur le vu de l’arrêt rendu par le Tribunal fédéral en date du 16 novembre 2010, le
Docteur Hans Wolff a décidé de recourir au Tribunal fédéral contre la décision
d’alimentation forcée du 10 novembre 2010 du Tribunal cantonal du canton du
Valais afin de démontrer formellement son désaccord.
Son recours est actuellement pendant au Tribunal fédéral.

Ainsi, considérant que, cette fois, le médecin a démontré formellement son


désaccord avec l’alimentation forcée, Bernard Rappaz a déposé une requête
d’interruption de peine en se prévalant du principe de subsidiarité tel qu’analysé
dans le premier arrêt du Tribunal fédéral.

2. L’alimentation forcée est toujours envisageable malgré le dépôt d’un recours


par le médecin

Selon le Tribunal fédéral, « le fait que le Dr Hans Wolff ait recouru le 29 novembre
2010 contre la décision du juge unique du 10 novembre 2010 l’enjoignant de
procéder à ces soins, sous menace de la peine d’amende prévue à l’art. 292 CP, ne
signifie pas que toute possibilité d’intervention médicale en milieu hospitalier
pénitentiaire est exclue, du point de vue des médecins chargés de ces tâches,
notamment au regard des art. 14 et 17 CP » (p. 3 de l’arrêt).

Ainsi, le Tribunal fédéral considère que l’alimentation forcée ou toute autre


intervention médicale – sans préciser de quelle sorte ! – est encore envisageable
pour préserver la vie de Bernard Rappaz.

3. Synthèse

Dans son dernier arrêt, le Tribunal fédéral revient sur les positions prises dans ses
arrêts précédents.

Le Tribunal fédéral considère que l’intégrité physique de Bernard Rappaz peut être
préservée.

L’on est toutefois confronté à un problème éthique et juridique : comment préserver


l’intégrité corporelle du requérant alors que les médecins suisses refusent toute
intervention médicale de quelque nature qu’elle soit, alimentation forcée, état de
nécessité etc. ? Le Tribunal fédéral omet complètement de répondre à cette question
et surtout s’épargne de développer les conséquences de l’inaction des médecins.

4. La position des médecins en Suisse

Les directives médico-éthiques de l’Académie Suisse des Sciences Médicales (ci-après :


ASSM) relatives à l’exercice de la médecine auprès de personnes détenues du 28 novembre
2002 (8) traitent à leur point 9 de la grève de la faim, lequel prévoit que la décision de la
personne détenue « doit être médicalement respectée, même en cas de risque majeur pour la
santé, lorsque sa pleine capacité d’autodétermination a été confirmée par un médecin
n’appartenant pas à l’établissement », « si elle tombe dans le coma, le médecin intervient

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selon sa conscience et son devoir professionnel à moins que la personne n’ait laissé des
directives explicites s’appliquant en cas de perte de connaissance pouvant être suivie de
mort » et « tout médecin qui fait face à un jeûne de protestation doit faire preuve d’une stricte
neutralité à l’égard des différentes parties et doit éviter tout risque d’instrumentalisation de ses
décisions médicales ».

Fondés sur les directives de l’ASSM, les médecins se sont toujours refusés et refusent encore
d’alimenter de force Bernard Rappaz.

Après l’arrêt rendu le 26 août 2010 par le Tribunal fédéral, les médecins ont été unanimes
dans leur prise de position sur le sujet, à savoir qu’ils n’entendaient pas nourrir de force
Bernard Rappaz puisque cela était contraire à leur déontologie médicale.

Pour ces médecins, l’alimentation forcée s’apparente à un calvaire humiliant et abominable se


terminant presque toujours par la mort ou des séquelles irréparables dans le contexte d’un
syndrome de renutrition (9).

Aucune opinion dissidente ne s’est dégagée dans le corps médical à cet égard, si bien qu’il est
établi qu’aucun médecin, en Suisse, n’alimentera de force Bernard Rappaz, malgré les
diverses sanctions qui peuvent en découler.

5. En conclusion : la faiblesse du système suisse

Comme il a été mis en exergue tout au long de notre exposé, le système juridique suisse en
matière d’alimentation forcée est faible.

Il n’existe aucune norme fédérale régissant la matière. Par ailleurs, l’exécution des peines est,
en vertu du principe du fédéralisme qui régit la Suisse, déléguée aux cantons. Encore une fois,
il convient de répéter que seuls deux cantons, soit ceux de Berne et de Neuchâtel, ont adopté
des dispositions relatives à la grève de la faim. Toutefois, le requérant n’est pas soumis à la
compétence de ces cantons en sorte que leur législation ne peut pas s’appliquer à son égard.

Seules les directives de l’ASSM sont claires sur le sujet : aucune alimentation forcée n’est
envisageable sans le consentement du détenu.

Par ailleurs, aucune jurisprudence n’a été rendue en la matière, en sorte que le cas du
requérant est pionnier en la matière.

Le risque de Bernard Rappaz de mourir est donc encore plus grand et d’autant plus inévitable,
au vu de la faiblesse du système suisse.

6. L’urgence

Le requérant estime que le refus d’interruption de sa peine constitue une violation de l’art. 2
ainsi que de l’art. 3 CEDH.

La situation médicale actuelle de Bernard Rappaz qui en est à son 110ème jour de grève de la
faim devient alarmante. L’on ne peut pas déterminer combien de jours il lui reste à vivre. Il

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faut toutefois rester conscient que le requérant a largement dépassé le stade où des lésions
irréversibles, et plus particulièrement létales, peuvent intervenir.

Il ne peut être opposé à Bernard Rappaz de se mettre lui-même dans cette position. En effet, le
requérant est en droit, au nom de la liberté d’expression, de la liberté personnelle et du droit à
l’autodétermination, d’effectuer une grève de la faim pour protester contre sa détention.
Par ailleurs, la Cour européenne des droits de l’homme a jugé que quel que soit le mal que le
détenu ait pu s’infliger en décidant d’entamer une grève de la faim de longue durée, cela ne
dispense aucunement l’Etat de ses obligations face à de telles personnes, au regard de l’article
3 (pour les différentes discussions en la matière, voir Nevmerzhitsky c. Ukraine (2005)).

A fortiori, il ne fait aucun doute que l’Etat n’est pas dispensé de son obligation positive de
garantir le droit à la vie et de prendre les mesures nécessaires à la protection de la vie au sens
de l’article 2 CEDH. Peu importe à cet égard que l’origine du risque vienne du détenu, l’Etat a
l’obligation dans ses prisons, lesquelles relèvent de la sphère publique, de prendre toutes les
dispositions nécessaires pour garantir la vie des détenus et de prévenir tout risque de suicide.

Le droit interne suisse, par le biais de l’article 92 du CP, prévoit spécifiquement l’interruption
de l’exécution des peines et des mesures en cas de motif médical grave. Plus particulièrement,
cette disposition peut être applicable à un cas de grève de la faim, qui a été assimilé à un motif
médical grave par le Tribunal fédéral.

La jurisprudence a clairement précisé que le motif médical existait sans égard à son origine.
Dans le cas d’espèce, elle a reconnu que Bernard Rappaz était entré dans la phase,
généralement fixée au quarantième jour de jeûne, où il commencerait à souffrir de graves
lésions irréversibles, notamment neurologiques. Le Tribunal fédéral n’a jamais contesté
l’existence d’un motif médical grave.

Le Tribunal fédéral nie, toutefois, le droit à une interruption de peine au motif que l’intégrité
corporelle du requérant peut être préservée par le recours, le moment venu, à l’alimentation
forcée.

Nonobstant le fait que le recours à l’alimentation forcée n’est fondé sur aucune base légale
formelle, mais seulement sur la clause générale de police, et est contraire aux directives de
l’ASSM – auxquelles il convenait de se référer conformément à ce que préconise la
Recommandation n° R (98) 7 du Comité des Ministres du Conseil de l’Europe du 8 avril
1998, relative aux aspects éthiques et organisationnels des soins de santé en milieu
pénitentiaire -, l’on est désormais confronté à un problème éthique et juridique, dont le
Tribunal fédéral fait totalement abstraction : les médecins en charge du requérant refusent de
le nourrir.

Ainsi, le Tribunal fédéral fait supporter à Bernard Rappaz les conséquences d’une divergence
éthique entre les pouvoirs judiciaires et le corps médical, ce qui est inadmissible puisque
l’issue pour le requérant ne peut être que fatale.

Il est inconcevable d’attendre le moment venu et de constater, trop tard, que les médecins
n’ont pas alimenté Bernard Rappaz, comme ils s’y sont toujours engagés en se prévalant de
leurs normes professionnelles et de leur déontologie.

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Eu égard à ce qui précède et dès lors que Bernard Rappaz est placé dans la situation d’une
victime de torture et de traitements inhumains et dégradants, ainsi que d’un condamné à mort,
il est patent que l’on est face à un risque imminent de dommage irréparable, si bien qu’il
convient de prononcer des mesures provisoires tendant à préserver l’intégrité corporelle du
requérant.

La situation devient aujourd’hui alarmante, c’est une question de jours voire d’heures, en
sorte qu’il convient d’agir au plus vite.

B - VIOLATIONS CEDH ALLÉGUÉES

En l’occurrence, il y a violation manifeste de l’art. 2 et 3 CEDH.

ARTICLE 2 CEDH

1. La disposition

L’article 2 CEDH précise :

« 1 Le droit de toute personne à la vie est protégé par la loi. La mort ne peut être infligée à
quiconque intentionnellement, sauf en exécution d’une sentence capitale prononcée par un
tribunal au cas où le délit est puni de cette peine par la loi.
2 La mort n’est pas considérée comme infligée en violation de cet article dans les cas où elle
résulterait d’un recours à la force rendu absolument nécessaire :
a pour assurer la défense de toute personne contre la violence illégale ;
b pour effectuer une arrestation régulière ou pour empêcher l’évasion d’une personne
régulièrement détenue ;
c pour réprimer, conformément à la loi, une émeute ou insurrection. »

2. La jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme

Selon la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, si une personne détenue
poursuit une grève de la faim, cela peut inévitablement conduire à un conflit, que la
Convention ne résout pas, entre le droit à l'intégrité physique de l'individu et l'obligation
positive que l'article 2 de la Convention fait peser sur les Hautes Parties contractantes (X c.
Allemagne (1984)).

Toutefois, quel que soit le mal que le détenu ait pu s’infliger en décidant d’entamer une grève
de la faim de longue durée, cela ne dispense aucunement l’Etat de ses obligations face à de
telles personnes (pour les différentes discussions en la matière, voir Nevmerzhitsky c. Ukraine,
(2005)).

Dans son arrêt Osman c. Royaume-Uni (1998), la Cour européenne note que la première
phrase de l'article 2 § 1 astreint l'Etat non seulement à s'abstenir de provoquer la mort de
manière volontaire et irrégulière mais aussi à prendre les mesures nécessaires à la protection
de la vie des personnes relevant de sa juridiction. Nul ne conteste que l'obligation de l'Etat à
cet égard va au-delà du devoir primordial d'assurer le droit à la vie en mettant en place une

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législation pénale concrète dissuadant de commettre des atteintes contre la personne et
s'appuyant sur un mécanisme d'application conçu pour en prévenir, réprimer et sanctionner les
violations.

Ainsi, d'après celle-ci, les Hautes Parties contractantes sont toutefois tenues d'assurer à
chacun le droit à la vie tel que le consacre l'article 2. Pareille obligation appelle dans certaines
circonstances des mesures positives de la part des Parties contractantes, et notamment des
actes concrets pour sauver la vie d'une personne en danger de mort lorsque celle-ci se trouve
sous la garde des autorités. La Commission rappelle la solution apportée à ce conflit par le
droit allemand : il est permis de nourrir de force un détenu si celui-ci, en raison d'une grève de
la faim, risque de subir des dommages de nature permanente, et l'alimentation forcée est
même obligatoire s'il existe un danger manifeste pour la vie de l'intéressé. L'appréciation des
conditions précitées est réservée au médecin compétent, mais une décision d'alimenter une
personne de force ne peut être mise en œuvre qu'après l'obtention d'une autorisation judiciaire.

Dans l’affaire précitée, le comportement incriminé a eu lieu alors que la victime se trouvait
sous la garde de l'Etat, auquel il incombait dès lors spécialement de veiller à la préservation
de la vie de la victime. On peut aisément admettre que l'obligation pour l'Etat de protéger la
vie d'une victime potentielle est renforcée lorsque cette dernière se trouve sous sa garde
(affaire Pretty c. Royaume-Uni (2002)).

ARTICLE 3 CEDH

L’article 3 CEDH dispose :

« Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou


dégradants ».

LE CAS PARTICULIER

1. L’article 2 CEDH

En l’occurrence, le requérant a entamé une grève de la faim depuis 110 jours. Le Tribunal
fédéral n’a pas contesté qu’il présentait dès lors un motif médical grave et que sa vie était en
danger.

Le Tribunal fédéral a toutefois refusé d’interrompre la peine conformément à l’article 92 CP,


disposition au terme de laquelle l’exécution des peines et des mesures peut être interrompue
pour un motif médical grave.

Le Tribunal fédéral s’est, à chaque fois, prévalu du principe de subsidiarité, argumentant que
le risque d’atteinte à la vie du recourant peut être écarté, le moment venu, par le recours à
l’alimentation forcée.

Cependant, la position des médecins a toujours été claire et sans équivoque à cet égard. Fondé
sur ses normes professionnelles, le corps médical respectera les directives anticipées du
requérant et ne procèdera jamais et en aucune manière à l’alimentation forcée du requérant.
Les médecins s’y sont engagés dans de nombreuses prises de positions publiques ainsi qu’au

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cours de la procédure puisqu’ils ont adressé plusieurs courriers en ce sens à la Cheffe du
Département. Le Docteur en charge de Bernard Rappaz, auquel il a été enjoint
personnellement de nourrir le requérant, a même déposé un recours contre cet ordre
d’alimentation forcée, dont le Tribunal fédéral n’a pas tenu compte.

En ce sens, il est désormais établi que les médecins suisses laisseront mourir le requérant,
puisque c’est à eux qu’appartient la décision finale d’agir.

Aucune autre interprétation, comme tend arbitrairement à le soutenir le Tribunal fédéral, n’est
concevable. Les faits sont là pour le prouver : la situation médicale de Bernard Rappaz est
actuellement alarmante et les médecins s’accordent pour dire qu’il s’agit maintenant d’une
question de jours ; pourtant, ils n’ont entrepris aucune action médicale et ils n’ont pas eu
recours à l’alimentation forcée, malgré l’injonction personnelle qui a été adressée au médecin
en charge du requérant.

En refusant d’interrompre la peine au sens de l’article 92 CP tout en sachant pertinemment


que les médecins en charge de Bernard Rappaz ne procèderont pas à l’alimentation forcée de
celui-ci, le Tribunal fédéral a clairement violé l’article 2 CEDH. En effet, ce faisant, l’Etat n’a
pas rempli son obligation positive d’agir à l’égard d’une personne qui est sous sa garde et la
Suisse met ainsi clairement celui-ci en danger de mort alors qu’une disposition interne permet
de pallier à ce risque de décès.

Ne disposant d’aucun moyen de contrainte pour forcer les médecins à agir, les autorités
judiciaires restent pourtant passives devant l’inaction du corps médical et campent sur leurs
positions. En effet, celles-là s’obstinent à prétendre, malgré la réalité des faits, que les
médecins alimenteront le requérant.

Les autorités se sont trouvées confrontées à un problème éthique et juridique : préserver


l’intégrité corporelle et la vie de Bernard Rappaz alors que le corps médical refuse toute
intervention médicale. Les autorités ont opté pour le mauvais choix, qui consiste à attendre le
moment venu et à constater, trop tard, que les médecins n’alimenteront pas le requérant,
comme ils s’y sont toujours engagés. Les autorités font donc supporter au requérant les
conséquences létales d’une divergence éthique – voire juridique – entre les pouvoirs
judiciaires et le corps médical, ce qui est inadmissible puisqu’elles jouent ainsi avec la vie de
Bernard Rappaz.

Pourtant, il existe un moyen juridique, interne au droit suisse, plus souple et beaucoup moins
intrusif que l’alimentation forcée, soit l’interruption de peine.

Il était du ressort et de l’obligation positive des autorités d’agir, en vertu de l’article 2 CEDH,
et de contourner le problème juridique auquel elles étaient confrontées.

L’obstination des autorités conduit inévitablement à mettre en danger la vie du requérant.


Il convient par ailleurs de relever que le recours à l’alimentation forcée n’est fondé sur aucune
base légale fédérale. La clause générale de police, à laquelle le Tribunal fédéral a eu recours,
ne vaut pas base légale formelle, en sorte qu’il n’y a eu aucune autorisation judiciaire valable
à l’ordre d’alimentation forcée.

Enfin, il ne peut pas être opposé au requérant de mettre lui-même sa vie en danger en
pratiquant une grève de la faim. En effet, le Tribunal fédéral a précisé que l’origine du motif

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médical importait peu et que la grève de la faim relevait du droit à la liberté d’expression, à la
liberté personnelle ainsi que du droit à l’autodétermination. La Cour européenne des droits de
l’homme a également précisé que quel que soit le mal que le détenu ait pu s’infliger en
décidant d’entamer une grève de la faim de longue durée, cela ne dispense aucunement l’Etat
de ses obligations face à de telles personnes.

Eu égard à ce qui précède, le requérant demande à la Cour de constater que la Suisse a violé
l’article 2 CEDH à son égard.

2. L’article 3 CEDH

En refusant d’interrompre la peine, les autorités judicaires exposent également à un traitement


inhumain et dégradant le requérant dès lors que celui-ci se voit imposer des souffrances
physiques terribles puisqu’il n’a plus mangé depuis 110 jours.

Par ailleurs, le fait de ne pas savoir quand la mort va arriver soumet Bernard Rappaz à de
graves souffrances psychiques.

Encore une fois, dès lors que les autorités judicaires disposent d’un moyen juridique
permettant de mettre fin aux souffrances du requérant, celui-ci demande à la Cour de constater
que la Suisse a violé l’article 3 CEDH à son égard.

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C – CONCLUSIONS

1. Art. 39 du règlement : Le requérant demande à la Cour, en raison de l’urgence, de


faire application de l’article 39 de son règlement, qui prévoit que « la chambre ou, le
cas échéant, son président peuvent, soit à la demande d’une partie ou de toute autre
personne intéressée, soit d’office, indiquer aux parties toute mesure provisoire qu’ils
estiment devoir être adoptée dans l’intérêt des parties ou du bon déroulement de la
procédure », en l’espèce, d’ordonner à la Suisse principalement d’interrompre la peine
de Bernard Rappaz, subsidiairement de prendre toute mesure utile afin de garantir la
vie du requérant.

2. Art. 2 et 3 de la Convention : Le requérant demande à la Cour, en application de


l’article 2 et 3 de la Convention, de joindre l’exception au fond et de renvoyer, quant à
celui-ci, à l’examen du grief tiré d’une violation de ces dispositions.

3. Art. 2 de la Convention : Le requérant demande à la Cour de juger que la Suisse a


violé l’article 2 de la Convention.

4. Art. 3 de la Convention : Le requérant demande à la Cour de juger que la Suisse a


violé l’article 3 de la Convention.

5. Art. 41 de la Convention : Le requérant demande à la Cour d’user à son égard de


l’article 41 de la Convention et de lui accorder, à ce titre, la « satisfaction équitable »
de 5500 Euros pour frais et dépens. Il confie à la Cour le soin d’apprécier en
supplément l’évaluation du dommage moral qui résulte pour lui des violations de la
Convention subies.

Pour Bernard Rappaz :

Aba Neeman, av.

PIECES JOINTES

1) Procuration
2) Certificat médical du 26 octobre 2010
3) Arrêt du 10 novembre 2010 du Tribunal cantonal du canton du Valais
4) Certificat médical du 16 novembre 2010
5) arrêt du Tribunal fédéral 6B_599/2010 du 26 août 2010
6) arrêt du Tribunal fédéral 6B_959/2010 du 16 novembre 2010
7) arrêt du Tribunal fédéral 6B_1022/2010 du 7 décembre 2010
8) Directives médico-éthiques de l’Académie Suisse des Sciences Médicales
9) Revue médicale suisse décembre 2010 « Jeûne de protestation et alimentation
forcée : relevé de pratiques historiques »
10) Note de frais et dépens

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