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Cour européenne des droits de l’Homme
Conseil de l’Europe
67075 Strasbourg Cedex
FRANCE
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TRÈS URGENT
DEMANDE D’APPLICATION DE L’ARTICLE 39 DU
REGLEMENT
REFUS D’INTERRUPTION DE PEINE DE BERNARD RAPPAZ,
GREVISTE DE LA FAIM DEPUIS 110 JOURS, PAR LA SUISSE
en raison des faits, et plus particulièrement des trois arrêts rendus par le Tribunal
fédéral suisse, dernière instance de recours, soit les arrêts 6B_599/2010 du 26
août 2010, 6B_959/2010 du 16 novembre 2010 et 6B_1022/2010 du 7 décembre
2010, et motifs suivants :
1
A - RÉSUMÉ ET MOTIFS DE l’URGENCE
1. Les faits
Par jugement du 22 octobre 2008, Bernard Rappaz a été condamné par la Cour de droit pénal
du canton du Valais à une peine de réclusion de 5 ans et 8 mois pour lésions corporelles
simples, gestion déloyale aggravée, blanchiment d’argent, violation grave des règles de la
circulation routière, violation grave de la loi sur les stupéfiants et violation de diverses lois
d’assurance sociale.
En date du 20 mars 2010, Bernard Rappaz est entré à la prison des Iles, à Sion, dans le canton
du Valais, pour y purger sa peine.
Depuis son incarcération, le requérant a entamé une grève de la faim qu’il justifie par deux
raisons, soit la libéralisation du cannabis et la protestation contre une condamnation qu’il
estime trop lourde.
Dès lors qu’il a connu des complications médicales à la suite de cette grève de la faim,
Monsieur Bernard Rappaz a, en date du 3 mai 2010, déposé une requête d’interruption de
peine fondée sur l’article 92 du Code pénal suisse auprès de la Cheffe du Département de la
sécurité, des affaires sociales et de l’intégration du canton du Valais (ci-après : la Cheffe du
Département).
En date du 7 mai 2010, la requête de Bernard Rappaz a été admise par la Cheffe du
Département et une interruption de peine a été ordonnée pour une durée de 15 jours.
Toutefois, avant le terme, les autorités cantonales valaisannes ont mis fin à cette interruption
de peine. Bernard Rappaz est retourné en prison, à la suite de quoi il a entamé une nouvelle
grève de la faim, doublée d’une grève de la soif pendant quelques jours. Le requérant a
entrepris une grève de la faim pour protester contre ses conditions de détention et parce qu’on
lui imposait de voir sa fille, âgée de 12 ans, derrière une vitre, ce qui n’avait jamais été
ordonné auparavant.
Les paramètres médicaux de Bernard Rappaz ont alors été mis en alerte et sa situation
médicale est devenue alarmante, en sorte que celui-ci a été transféré au quartier carcéral de
l’Hôpital Cantonal Universitaire de Genève (ci-après : HUG) en date du 9 juin 2010.
Bernard Rappaz a établi des directives anticipées dans lesquelles il a précisé sa volonté de ne
pas être nourri artificiellement.
2
Ainsi, la Cheffe du Département a ordonné que la peine de Bernard Rappaz soit exécutée sous
la forme d’un arrêt domiciliaire afin que sa vie et son intégrité corporelle soient sauvegardées.
Dès lors, Bernard Rappaz a cessé son jeûne de protestation.
Puis, en date du 26 août 2010, le Tribunal fédéral a rejeté le recours de Bernard Rappaz, en lui
opposant le fait que le recours à l’alimentation forcée par les médecins empêchait une atteinte
grave à sa santé.
De nouveau incarcéré depuis le 26 août 2010, Bernard Rappaz a repris sa grève de la faim.
Le requérant a, de ce fait, de nouveau été gravement atteint dans sa santé. En particulier, son
taux de glycémie est descendu à 2.5. Il n’a plus été en mesure de marcher. Après un malaise,
Bernard Rappaz a donc de nouveau été incarcéré au quartier pénitentiaire du HUG en date du
21 octobre 2010.
Un certificat médical a dès lors été établi en date du 26 octobre 2010 (2), duquel il ressort que
les glycémies sont basses, qu’il y a un risque d’hypokaliémie (trouble du rythme cardiaque,
arrêt cardiaque), d’hypoglycémie (état confusionnel, crise épileptique, coma) et d’atteintes
neurologiques permanentes en cas d’hypoglycémie prolongée.
Bernard Rappaz connaît également une perte pondérale importante et se situe à environ 30 %
en dessous de son poids habituel.
Les médecins craignent désormais une péjoration significative de l’état de santé de Bernard
Rappaz dans un avenir proche.
Bernard Rappaz entend néanmoins poursuivre son jeûne de protestation et a précisé, dans ses
directives anticipées, sa volonté de ne pas être nourri artificiellement.
En ce sens, les médecins en charge de Bernard Rappaz respectent son choix et se refusent de
l’alimenter de force.
A ce propos, ils ont clairement précisé qu’« en raison des directives anticipées établies par le
patient, capable de discernement, et sous réserve d’un changement d’attitude à cet égard, peu
probable semble-t-il, le personnel médical et soignant en charge du patient devra limiter son
intervention à assurer le confort de Monsieur Bernard Rappaz en respectant le choix du
patient quant à la fin de vie envisagée par celui-ci. »
Le président de la Fédération des médecins suisses (FMH) a attesté publiquement, au nom des
médecins, que ceux-ci n’entendaient pas nourrir de force Bernard Rappaz malgré l’arrêt du
Tribunal fédéral rendu à cet égard.
Fondé sur ce constat, en date du 28 octobre 2010, Bernard Rappaz a de nouveau déposé une
requête d’interruption de peine, laquelle a été refusée. Celui-ci a alors interjeté un recours au
Tribunal cantonal du canton du Valais le 4 novembre 2010.
Par arrêt rendu le 10 novembre 2010, le Tribunal cantonal du canton du Valais a rejeté le
recours de Bernard Rappaz et donné l’ordre au médecin en charge de Bernard Rappaz, soit le
Docteur Hans Wolff personnellement, d’alimenter de force le requérant (3).
3
Statuant sur le recours interjeté le 11 novembre 2010 par Bernard Rappaz à l’encontre de
l’arrêt rendu par le Tribunal cantonal, le Tribunal fédéral a, en date du 16 novembre 2010,
refusé ledit recours au motif que le médecin chargé d’alimenter Bernard Rappaz n’a pas
recouru contre l’ordre d’alimentation forcée et que dès lors il ne ressort pas des éléments du
dossier que le médecin requis de le soigner, au besoin en l’alimentant de force, ne se
conformera pas à la décision qui lui a été signifiée en ce sens.
En date du 16 novembre 2010, un nouveau certificat médical a été établi, lequel met en
évidence une bradycardie sinusale depuis plusieurs jours, caractérisée par une fréquence
cardiaque de 45 battements par minute en moyenne (4).
Dès lors que, cette fois, les médecins ont démontré formellement leur volonté de ne pas
procéder à l’alimentation forcée, Bernard Rappaz a déposé une nouvelle requête
d’interruption de peine en date du 23 novembre 2010, laquelle a été rejetée par la Cheffe du
Département le 30 novembre 2010.
En date du 7 décembre 2010, le Tribunal fédéral a encore une fois rejeté le recours de Bernard
Rappaz.
2. Disposition interne
Selon l’art. 92 du Code pénal suisse, l’exécution des peines et des mesures peut être
interrompue pour un motif grave.
En Suisse, aucune norme fédérale ne détermine quel comportement les autorités d’exécution
des peines doivent adopter en cas de grève de la faim d’un condamné. Cette question ressort
de la compétence des cantons, comme les questions concernant l’exécution des peines.
Peu de cantons ont légiféré en Suisse. Seuls les cantons de Berne et de Neuchâtel ont introduit
dans leur loi formelle sur l’exécution des peines des dispositions qui se réfèrent expressément
à l’hypothèse d’une grève de la faim.
Les cantons du Valais, dont Bernard Rappaz est le citoyen et dans lequel il a été incarcéré, et
de Genève, dans lequel le requérant est hospitalisé en quartier carcéral, ne disposent pas,
quant à eux, d’une telle base légale.
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3. Jugements rendus en Suisse
A la suite des recours interjetés par Bernard Rappaz contre les refus d’interruption de peine, le
Tribunal fédéral suisse a rendu trois arrêts relatifs à l’art. 92 du Code pénal suisse (ci-après :
CP), disposition qui traite précisément de l’interruption de peine :
Dans son premier arrêt, le Tribunal fédéral a examiné les conditions d’application
de l’article 92 du Code pénal en relation avec une grève de la faim.
1. Le motif grave
« Quant à la gravité des motifs médicaux retenus, elle atteint toujours le degré
requis pour l’application de l’article 92 CP si elle est telle que la poursuite de
l’exécution violerait l’interdiction des peines cruelles, inhumaines ou dégradantes,
prévues aux art. 10 al. 3 Cst, 3 CEDH, 7 Pacte ONU II (…). Le motif médical
invoqué est également toujours grave si la poursuite de l’exécution met
concrètement en danger la vie du condamné (…) » (p. 7 de l’arrêt).
Dans le cas de Bernard Rappaz, le Tribunal fédéral a jugé que l’on avait affaire à
un motif grave dès lors que celui-ci allait entrer dans la phase – généralement fixée
au quarantième jour de jeûne – où il commencerait à souffrir de graves lésions
irréversibles, notamment neurologiques.
2. Le principe de subsidiarité
Selon le Tribunal fédéral, « pour justifier une interruption, l’état de santé du détenu
doit être incompatible avec n’importe quelle forme d’exécution de la peine et avec
tout aménagement possible dans l’exécution de celle-ci. Ainsi, le traitement
médical doit être inefficace ou impossible dans une infirmerie pénitentiaire, un
établissement hospitalier ou un foyer (...) L’application de l’art. 92 CP n’intervient
donc qu’à titre subsidiaire, lorsque les diverses formes de détention ne suffisent
pas » (p. 8 de l’arrêt).
3. L’alimentation forcée
5
3.1 En général
« Si une personne détenue poursuit une grève de la faim, cela peut inévitablement
conduire à un conflit entre le droit à l’intégrité physique de l’individu, d’une part,
et l’obligation positive de préserver la santé et la vie des détenus que l’art. 2
CEDH fait peser sur les Etats parties, d’autre part. Ce conflit n’est pas réglé par la
convention. C’est à la législation nationale qu’il appartient de le résoudre. Si elle
est admise par le droit interne et pratiquée dignement, l’alimentation forcée est
compatible avec la convention » (p. 12 de l’arrêt).
Aux termes de cette recommandation, si le médecin estime que l’état de santé d’une
personne en grève de la faim se dégrade rapidement, il lui incombe de le signaler à
l’autorité compétente et d’entreprendre une action selon la législation nationale (y
inclus les normes professionnelles).
A cet égard, le Tribunal fédéral reconnaît qu’il n’existe aucune norme de droit
fédéral relative à l’alimentation forcée. Seuls deux cantons, soit ceux de Berne et de
Neuchâtel, disposent d’une telle disposition dans leurs lois formelles.
Le Tribunal fédéral considère que le jeûne de protestation est couvert sous la liberté
d’expression garantie à l’art. 16 al. 2 de la Constitution suisse (ci-après : Cst) et que
la liberté personnelle garantie à l’art. 10 al. 2 Cst comprend le droit au respect de
l’intégrité physique, laquelle est fortement atteinte par une alimentation forcée,
méthode très invasive. En ce sens, « l’alimentation forcée d’un détenu en grève de
la faim peut s’analyser à la fois comme une restriction à la liberté d’expression et
6
comme une restriction à la liberté personnelle » (p. 18 de l’arrêt) qui sont
considérées comme des droits fondamentaux.
Selon le Tribunal fédéral, la 3ème phrase de l’art. 36 Cst exprime la clause générale
de police qui « instaure une exception constitutionnelle à l’exigence d’une base
légale même dans les cas où celle-ci devrait se trouver dans une loi au sens formel.
Ainsi, en vertu de l’art. 36 al. 1, 3ème phrase, Cst, le pouvoir exécutif, voire
judiciaire, est autorisé à restreindre sans base légale un droit fondamental pour
écarter un danger grave, direct et imminent, menaçant un intérêt public important,
s’il apparaît que son intervention est urgente et que les moyens prévus par les lois
en vigueur ne suffisent pas (…) La clause générale de police permet notamment de
restreindre les droits fondamentaux d’un individu particulier, par exemple
d’imposer un traitement médical à une personne déterminée » (p. 18 de l’arrêt).
Sur ce, le Tribunal fédéral fait une comparaison entre d’un côté, l’intérêt public à
l’exécution ininterrompue des condamnations pénales et d’un autre côté, « le devoir
de l’Etat de préserver la vie des personnes détenues, découlant de l’art. 2 CEDH,
qui l’oblige à tout mettre en œuvre pour les empêcher de se suicider et, en cas de
tentative, à leur porter secours. Il en va de même si un détenu refuse de
s’alimenter » (p. 20 de l’arrêt).
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Le Tribunal conclut donc que « dans ces conditions, l’alimentation forcée ne porte
pas une atteinte disproportionnée à la liberté d’expression et à la liberté
personnelle du détenu et elle ne viole par l’interdiction des traitements inhumains
ou dégradants, si elle est pratiquée dignement et conformément aux règles de l’art
médical » (p. 21 de l’arrêt).
3.3 Conclusion
Ainsi, selon le Tribunal fédéral, dès lors que l’alimentation forcée peut être
envisagée sous l’angle de la clause générale de police contenue à l’art. 36 Cst,
l’interruption de peine ne peut pas être prononcée en vertu du principe de
subsidiarité.
4. Le principe de proportionnalité
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que d’infraction créant un danger collectif, par exemple l’incendie » (p. 10 de
l’arrêt).
5. Synthèse
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Au regard de l’arrêt du Tribunal fédéral, si le principe de subsidiarité est admis
pour interrompre la peine, le principe de proportionnalité ne fait aucunement
obstacle à cette interruption.
1. Contexte
Nonobstant l’arrêt rendu le 26 août 2010 par le Tribunal fédéral, les médecins ont
toujours refusé d’alimenter Bernard Rappaz malgré son état médical devenant de
plus en plus critique de jour en jour. Ils se sont par ailleurs prononcés publiquement
à plusieurs reprises sur le sujet.
Dès lors que l’alimentation forcée n’était pas envisageable, Bernard Rappaz a
déposé une nouvelle requête d’interruption de peine en se prévalant du principe de
subsidiarité tel que développé dans l’arrêt du 26 août 2010 du Tribunal fédéral.
Malgré cet ordre formel, le Docteur Hans Wolff n’a pas alimenté de force Bernard
Rappaz.
Dans son arrêt du 16 novembre 2010, le Tribunal fédéral retient que « même s’il (le
Docteur Hans Wolff) avait exprimé son désaccord de principe avec l’alimentation
forcée avant que des décisions lui aient été formellement notifiées, le médecin
requis de soigner Bernard Rappaz n’a recouru, à ce jour, ni contre l’ordonnance
de mesures provisionnelles du 5 novembre 2010, ni contre la décision
d’alimentation forcée du 10 novembre 2010. Dès lors (…), il ne ressort pas des
éléments du dossier que le médecin requis de le soigner, au besoin en l’alimentant
de force, ne se conformera pas à la décision qui lui a été signifiée en ce sens » (p. 3
de l’arrêt).
3. Synthèse
1. Contexte
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Sur le vu de l’arrêt rendu par le Tribunal fédéral en date du 16 novembre 2010, le
Docteur Hans Wolff a décidé de recourir au Tribunal fédéral contre la décision
d’alimentation forcée du 10 novembre 2010 du Tribunal cantonal du canton du
Valais afin de démontrer formellement son désaccord.
Son recours est actuellement pendant au Tribunal fédéral.
Selon le Tribunal fédéral, « le fait que le Dr Hans Wolff ait recouru le 29 novembre
2010 contre la décision du juge unique du 10 novembre 2010 l’enjoignant de
procéder à ces soins, sous menace de la peine d’amende prévue à l’art. 292 CP, ne
signifie pas que toute possibilité d’intervention médicale en milieu hospitalier
pénitentiaire est exclue, du point de vue des médecins chargés de ces tâches,
notamment au regard des art. 14 et 17 CP » (p. 3 de l’arrêt).
3. Synthèse
Dans son dernier arrêt, le Tribunal fédéral revient sur les positions prises dans ses
arrêts précédents.
Le Tribunal fédéral considère que l’intégrité physique de Bernard Rappaz peut être
préservée.
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selon sa conscience et son devoir professionnel à moins que la personne n’ait laissé des
directives explicites s’appliquant en cas de perte de connaissance pouvant être suivie de
mort » et « tout médecin qui fait face à un jeûne de protestation doit faire preuve d’une stricte
neutralité à l’égard des différentes parties et doit éviter tout risque d’instrumentalisation de ses
décisions médicales ».
Fondés sur les directives de l’ASSM, les médecins se sont toujours refusés et refusent encore
d’alimenter de force Bernard Rappaz.
Après l’arrêt rendu le 26 août 2010 par le Tribunal fédéral, les médecins ont été unanimes
dans leur prise de position sur le sujet, à savoir qu’ils n’entendaient pas nourrir de force
Bernard Rappaz puisque cela était contraire à leur déontologie médicale.
Aucune opinion dissidente ne s’est dégagée dans le corps médical à cet égard, si bien qu’il est
établi qu’aucun médecin, en Suisse, n’alimentera de force Bernard Rappaz, malgré les
diverses sanctions qui peuvent en découler.
Comme il a été mis en exergue tout au long de notre exposé, le système juridique suisse en
matière d’alimentation forcée est faible.
Il n’existe aucune norme fédérale régissant la matière. Par ailleurs, l’exécution des peines est,
en vertu du principe du fédéralisme qui régit la Suisse, déléguée aux cantons. Encore une fois,
il convient de répéter que seuls deux cantons, soit ceux de Berne et de Neuchâtel, ont adopté
des dispositions relatives à la grève de la faim. Toutefois, le requérant n’est pas soumis à la
compétence de ces cantons en sorte que leur législation ne peut pas s’appliquer à son égard.
Seules les directives de l’ASSM sont claires sur le sujet : aucune alimentation forcée n’est
envisageable sans le consentement du détenu.
Par ailleurs, aucune jurisprudence n’a été rendue en la matière, en sorte que le cas du
requérant est pionnier en la matière.
Le risque de Bernard Rappaz de mourir est donc encore plus grand et d’autant plus inévitable,
au vu de la faiblesse du système suisse.
6. L’urgence
Le requérant estime que le refus d’interruption de sa peine constitue une violation de l’art. 2
ainsi que de l’art. 3 CEDH.
La situation médicale actuelle de Bernard Rappaz qui en est à son 110ème jour de grève de la
faim devient alarmante. L’on ne peut pas déterminer combien de jours il lui reste à vivre. Il
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faut toutefois rester conscient que le requérant a largement dépassé le stade où des lésions
irréversibles, et plus particulièrement létales, peuvent intervenir.
Il ne peut être opposé à Bernard Rappaz de se mettre lui-même dans cette position. En effet, le
requérant est en droit, au nom de la liberté d’expression, de la liberté personnelle et du droit à
l’autodétermination, d’effectuer une grève de la faim pour protester contre sa détention.
Par ailleurs, la Cour européenne des droits de l’homme a jugé que quel que soit le mal que le
détenu ait pu s’infliger en décidant d’entamer une grève de la faim de longue durée, cela ne
dispense aucunement l’Etat de ses obligations face à de telles personnes, au regard de l’article
3 (pour les différentes discussions en la matière, voir Nevmerzhitsky c. Ukraine (2005)).
A fortiori, il ne fait aucun doute que l’Etat n’est pas dispensé de son obligation positive de
garantir le droit à la vie et de prendre les mesures nécessaires à la protection de la vie au sens
de l’article 2 CEDH. Peu importe à cet égard que l’origine du risque vienne du détenu, l’Etat a
l’obligation dans ses prisons, lesquelles relèvent de la sphère publique, de prendre toutes les
dispositions nécessaires pour garantir la vie des détenus et de prévenir tout risque de suicide.
Le droit interne suisse, par le biais de l’article 92 du CP, prévoit spécifiquement l’interruption
de l’exécution des peines et des mesures en cas de motif médical grave. Plus particulièrement,
cette disposition peut être applicable à un cas de grève de la faim, qui a été assimilé à un motif
médical grave par le Tribunal fédéral.
La jurisprudence a clairement précisé que le motif médical existait sans égard à son origine.
Dans le cas d’espèce, elle a reconnu que Bernard Rappaz était entré dans la phase,
généralement fixée au quarantième jour de jeûne, où il commencerait à souffrir de graves
lésions irréversibles, notamment neurologiques. Le Tribunal fédéral n’a jamais contesté
l’existence d’un motif médical grave.
Le Tribunal fédéral nie, toutefois, le droit à une interruption de peine au motif que l’intégrité
corporelle du requérant peut être préservée par le recours, le moment venu, à l’alimentation
forcée.
Nonobstant le fait que le recours à l’alimentation forcée n’est fondé sur aucune base légale
formelle, mais seulement sur la clause générale de police, et est contraire aux directives de
l’ASSM – auxquelles il convenait de se référer conformément à ce que préconise la
Recommandation n° R (98) 7 du Comité des Ministres du Conseil de l’Europe du 8 avril
1998, relative aux aspects éthiques et organisationnels des soins de santé en milieu
pénitentiaire -, l’on est désormais confronté à un problème éthique et juridique, dont le
Tribunal fédéral fait totalement abstraction : les médecins en charge du requérant refusent de
le nourrir.
Ainsi, le Tribunal fédéral fait supporter à Bernard Rappaz les conséquences d’une divergence
éthique entre les pouvoirs judiciaires et le corps médical, ce qui est inadmissible puisque
l’issue pour le requérant ne peut être que fatale.
Il est inconcevable d’attendre le moment venu et de constater, trop tard, que les médecins
n’ont pas alimenté Bernard Rappaz, comme ils s’y sont toujours engagés en se prévalant de
leurs normes professionnelles et de leur déontologie.
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Eu égard à ce qui précède et dès lors que Bernard Rappaz est placé dans la situation d’une
victime de torture et de traitements inhumains et dégradants, ainsi que d’un condamné à mort,
il est patent que l’on est face à un risque imminent de dommage irréparable, si bien qu’il
convient de prononcer des mesures provisoires tendant à préserver l’intégrité corporelle du
requérant.
La situation devient aujourd’hui alarmante, c’est une question de jours voire d’heures, en
sorte qu’il convient d’agir au plus vite.
ARTICLE 2 CEDH
1. La disposition
« 1 Le droit de toute personne à la vie est protégé par la loi. La mort ne peut être infligée à
quiconque intentionnellement, sauf en exécution d’une sentence capitale prononcée par un
tribunal au cas où le délit est puni de cette peine par la loi.
2 La mort n’est pas considérée comme infligée en violation de cet article dans les cas où elle
résulterait d’un recours à la force rendu absolument nécessaire :
a pour assurer la défense de toute personne contre la violence illégale ;
b pour effectuer une arrestation régulière ou pour empêcher l’évasion d’une personne
régulièrement détenue ;
c pour réprimer, conformément à la loi, une émeute ou insurrection. »
Selon la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, si une personne détenue
poursuit une grève de la faim, cela peut inévitablement conduire à un conflit, que la
Convention ne résout pas, entre le droit à l'intégrité physique de l'individu et l'obligation
positive que l'article 2 de la Convention fait peser sur les Hautes Parties contractantes (X c.
Allemagne (1984)).
Toutefois, quel que soit le mal que le détenu ait pu s’infliger en décidant d’entamer une grève
de la faim de longue durée, cela ne dispense aucunement l’Etat de ses obligations face à de
telles personnes (pour les différentes discussions en la matière, voir Nevmerzhitsky c. Ukraine,
(2005)).
Dans son arrêt Osman c. Royaume-Uni (1998), la Cour européenne note que la première
phrase de l'article 2 § 1 astreint l'Etat non seulement à s'abstenir de provoquer la mort de
manière volontaire et irrégulière mais aussi à prendre les mesures nécessaires à la protection
de la vie des personnes relevant de sa juridiction. Nul ne conteste que l'obligation de l'Etat à
cet égard va au-delà du devoir primordial d'assurer le droit à la vie en mettant en place une
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législation pénale concrète dissuadant de commettre des atteintes contre la personne et
s'appuyant sur un mécanisme d'application conçu pour en prévenir, réprimer et sanctionner les
violations.
Ainsi, d'après celle-ci, les Hautes Parties contractantes sont toutefois tenues d'assurer à
chacun le droit à la vie tel que le consacre l'article 2. Pareille obligation appelle dans certaines
circonstances des mesures positives de la part des Parties contractantes, et notamment des
actes concrets pour sauver la vie d'une personne en danger de mort lorsque celle-ci se trouve
sous la garde des autorités. La Commission rappelle la solution apportée à ce conflit par le
droit allemand : il est permis de nourrir de force un détenu si celui-ci, en raison d'une grève de
la faim, risque de subir des dommages de nature permanente, et l'alimentation forcée est
même obligatoire s'il existe un danger manifeste pour la vie de l'intéressé. L'appréciation des
conditions précitées est réservée au médecin compétent, mais une décision d'alimenter une
personne de force ne peut être mise en œuvre qu'après l'obtention d'une autorisation judiciaire.
Dans l’affaire précitée, le comportement incriminé a eu lieu alors que la victime se trouvait
sous la garde de l'Etat, auquel il incombait dès lors spécialement de veiller à la préservation
de la vie de la victime. On peut aisément admettre que l'obligation pour l'Etat de protéger la
vie d'une victime potentielle est renforcée lorsque cette dernière se trouve sous sa garde
(affaire Pretty c. Royaume-Uni (2002)).
ARTICLE 3 CEDH
LE CAS PARTICULIER
1. L’article 2 CEDH
En l’occurrence, le requérant a entamé une grève de la faim depuis 110 jours. Le Tribunal
fédéral n’a pas contesté qu’il présentait dès lors un motif médical grave et que sa vie était en
danger.
Le Tribunal fédéral s’est, à chaque fois, prévalu du principe de subsidiarité, argumentant que
le risque d’atteinte à la vie du recourant peut être écarté, le moment venu, par le recours à
l’alimentation forcée.
Cependant, la position des médecins a toujours été claire et sans équivoque à cet égard. Fondé
sur ses normes professionnelles, le corps médical respectera les directives anticipées du
requérant et ne procèdera jamais et en aucune manière à l’alimentation forcée du requérant.
Les médecins s’y sont engagés dans de nombreuses prises de positions publiques ainsi qu’au
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cours de la procédure puisqu’ils ont adressé plusieurs courriers en ce sens à la Cheffe du
Département. Le Docteur en charge de Bernard Rappaz, auquel il a été enjoint
personnellement de nourrir le requérant, a même déposé un recours contre cet ordre
d’alimentation forcée, dont le Tribunal fédéral n’a pas tenu compte.
En ce sens, il est désormais établi que les médecins suisses laisseront mourir le requérant,
puisque c’est à eux qu’appartient la décision finale d’agir.
Aucune autre interprétation, comme tend arbitrairement à le soutenir le Tribunal fédéral, n’est
concevable. Les faits sont là pour le prouver : la situation médicale de Bernard Rappaz est
actuellement alarmante et les médecins s’accordent pour dire qu’il s’agit maintenant d’une
question de jours ; pourtant, ils n’ont entrepris aucune action médicale et ils n’ont pas eu
recours à l’alimentation forcée, malgré l’injonction personnelle qui a été adressée au médecin
en charge du requérant.
Ne disposant d’aucun moyen de contrainte pour forcer les médecins à agir, les autorités
judiciaires restent pourtant passives devant l’inaction du corps médical et campent sur leurs
positions. En effet, celles-là s’obstinent à prétendre, malgré la réalité des faits, que les
médecins alimenteront le requérant.
Pourtant, il existe un moyen juridique, interne au droit suisse, plus souple et beaucoup moins
intrusif que l’alimentation forcée, soit l’interruption de peine.
Il était du ressort et de l’obligation positive des autorités d’agir, en vertu de l’article 2 CEDH,
et de contourner le problème juridique auquel elles étaient confrontées.
Enfin, il ne peut pas être opposé au requérant de mettre lui-même sa vie en danger en
pratiquant une grève de la faim. En effet, le Tribunal fédéral a précisé que l’origine du motif
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médical importait peu et que la grève de la faim relevait du droit à la liberté d’expression, à la
liberté personnelle ainsi que du droit à l’autodétermination. La Cour européenne des droits de
l’homme a également précisé que quel que soit le mal que le détenu ait pu s’infliger en
décidant d’entamer une grève de la faim de longue durée, cela ne dispense aucunement l’Etat
de ses obligations face à de telles personnes.
Eu égard à ce qui précède, le requérant demande à la Cour de constater que la Suisse a violé
l’article 2 CEDH à son égard.
2. L’article 3 CEDH
Par ailleurs, le fait de ne pas savoir quand la mort va arriver soumet Bernard Rappaz à de
graves souffrances psychiques.
Encore une fois, dès lors que les autorités judicaires disposent d’un moyen juridique
permettant de mettre fin aux souffrances du requérant, celui-ci demande à la Cour de constater
que la Suisse a violé l’article 3 CEDH à son égard.
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C – CONCLUSIONS
PIECES JOINTES
1) Procuration
2) Certificat médical du 26 octobre 2010
3) Arrêt du 10 novembre 2010 du Tribunal cantonal du canton du Valais
4) Certificat médical du 16 novembre 2010
5) arrêt du Tribunal fédéral 6B_599/2010 du 26 août 2010
6) arrêt du Tribunal fédéral 6B_959/2010 du 16 novembre 2010
7) arrêt du Tribunal fédéral 6B_1022/2010 du 7 décembre 2010
8) Directives médico-éthiques de l’Académie Suisse des Sciences Médicales
9) Revue médicale suisse décembre 2010 « Jeûne de protestation et alimentation
forcée : relevé de pratiques historiques »
10) Note de frais et dépens
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