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La guerre des écrivains. 1940-1953

Article  in  Revue Française de Sociologie · April 2000

DOI: 10.2307/3322583

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4 authors, including:

Clara Levy Gisele Sapiro

Université de Vincennes - Paris 8 École des Hautes Études en Sciences Sociales
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Gisèle Sapiro
École des Hautes Études en Sciences Sociales
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 Clara Lévy

Sapiro Gisèle, La guerre des écrivains. 1940-1953.

In: Revue française de sociologie. 2000, 41-2. pp. 387-390.

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Lévy Clara. Sapiro Gisèle, La guerre des écrivains. 1940-1953. In: Revue française de sociologie. 2000, 41-2. pp. 387-390.

http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/rfsoc_0035-2969_2000_num_41_2_5279
 Les livres

manuels, l'analyse des rôles des syndicats sort de réflexion sur l'école et d'orienta
et des associations professionnelles fait tion de l'action. Or, pour l'instant, force
l'objet d'une présentation spécifique par est de reconnaître que les discours éducat
ticulièrement bienvenue en réintégrant la ifs,ceux tenus dans les Iufm notamment,
question du politique aux domaines légit sont parfois en parfaite contradiction avec
imesde la sociologie de l'école. Le bilan les résultats de la recherche. On pense no
réalisé est riche et sans aucun doute d'un tamment au « projet de l'élève » : autant de
grand intérêt. À la lumière de ce qui est nombreuses études montrent la «faible
présenté, le lecteur mesure aussi les pertinence» de la notion, autant il s'agit
champs de recherche qui sont encore à d'un leitmotiv familier à une partie des
défricher. Ainsi, les modalités de la format acteurs de l'institution. Il en est de même
iondes professeurs, notamment dans les des discours sur la participation des élèves
Iufm, restent à étudier de façon plus appro à l'établissement : glorifiée, mythifiée
fondie bien que quelques études soient même, alors qu'elle ne représente guère,
déjà disponibles. Peu de recherches aussi pour l'instant et pour l'essentiel, qu'une
ont été menées sur la formation continue idéologie institutionnelle déconnectée de
des enseignants et les effets éventuels de l'expérience lycéenne. Des constatations
celle-ci sur leurs pratiques pédagogiques identiques valent pour bien d'autres
ou leur rapport au métier, au savoir et aux domaines tels le redoublement, la différen
élèves. ciationpédagogique, etc. Ce fossé inter
Le chapitre 10, consacré au «métier roge le lecteur, laisse dubitatif et parfois
pantois. Sans doute faut-il considérer que
d'élève », constitue un développement em la création des Instituts universitaires de
blématique des recherches «centrées sur formation des maîtres, la reconnaissance of
les acteurs». Ce qui frappe tient d'abord
au renouvellement rapide de ce champ. Sur ficiel e de compétences professorales ex
la dizaine de références bibliographiques l'émergenceaux
téri e ures savoirs disciplinaires,
d'une formation en sciences
principales figurant en fin de chapitre, sociales et humaines dans ces mêmes ins
neuf sont postérieures à 1993, et ce pour
est approximativement représent tituts, et la réflexion actuellement menée
centage sur le contenu des épreuves des concours
atif du dynamisme des publications sur ce
domaine. L'origine d'une telle abondance d'enseignement constituent des signes tan
gibles de la transformation de l'institution
relève d'abord de la démographie scolaire
- l'explosion scolaire de la fin des années scolaire. On peut raisonnablement penser
quatre- vingt - mais aussi de l'intérêt sus qu'un tel ouvrage, accessible et rigoureux,
cité par la «face subjective» de la vie est susceptible de favoriser et ď orienter un
scolaire. Les auteurs présentent des inves tel mouvement.
tigations généralement récentes portant
sur le «rapport au savoir», les modalités Pierre Merle
«d'implication dans le travail scolaire», IUFM de Bretagne - LESSOR - Université de Rennes II
« la vie quotidienne dans les organisations
scolaires », les interactions enseignants- Sapiro (Gisèle). - La guerre des
élèves, les modalités d'intégration dans les écrivains. 1940-1953.
institutions scolaires, etc., panorama comp
let et riche d'enseignements divers. Paris, Fayard, 1999, 807 p., 220 FF.
Dans le style « manuel », il semble dif L'ouvrage de Gisèle Sapiro, qui se si
ficile de faire mieux tant l'ouvrage par tue dans la lignée des travaux de Pierre
vient à concilier avec bonheur lisibilité, Bourdieu en sociologie de la littérature,
exhaustivité des références, pluralité des concerne le champ littéraire français pen
approches et concision du propos. De toute dant l'Occupation et jusqu'à la seconde loi
évidence, l'ensemble des recherches ré d'amnistie. L'enjeu consiste à appliquer le
unies est potentiellement un puissant concept de «champ littéraire» à une pé-

387
Revue française de sociologie
riode où l'autonomie - c'est-à-dire le pri
mat, dans cet espace, des valeurs littéraires
- qui le définit habituellement se trouve
amoindrie. « Soumis au double appareil de
contrainte nazi et vichy ste, livré aux diffé
rentes entreprises de captation, le champ
littéraire voit s'abolir sous l'Occupation
les conditions qui lui assuraient une rela
tive indépendance, en particulier la liberté
d'expression. Mais, en dépit de sa structu
ration objective, amplifiée par la confu
sionnée de la Débâcle, en dépit de la
mainmise sur ses instances de diffusion,
une forme d'autonomie subsiste dans le
mode de fonctionnement de cet espace dé
sormais éclaté. » (p. 12).
Il ne s'agit pas, pour l'auteur, de pré
senter la guerre des écrivains comme « le
pur reflet de la guerre civile», mais de
profiter de la situation de crise pour appré
ciertout ce qui, dans le fonctionnement du
champ littéraire, d'une part relève des ef
fets de cette crise et, d'autre part, ressortit
de ses propres règles du jeu. C'est pour
quoi le cœur de l'ouvrage est constitué par
l'analyse de quatre institutions de la vie
littéraire - l'Académie Française, l'Aca
démie Goncourt, La Nrf et le Comité
National des Écrivains - dont le fonctio
nnementsous l'Occupation et après la Libé
ration est mis en regard des principes de
division caractérisant le champ littéraire
avant la Seconde Guerre mondiale. L'ana
lyse institutionnelle est étoffée par une en
quête statistique portant sur 185 écrivains
en activité en 1940, choisis selon des cri
tères littéraires, politiques et de visibilité
(les indicateurs retenus concernant les pro
priétés sociales, les caractéristiques de la
position dans le champ littéraire, les prises
de position esthétiques et les prises de po
sition politiques des auteurs).
Dans le champ littéraire, traditionnelle
ment, s'affrontent des forces d'autonomie
et des forces d'hétéronomie, se dessinent
des clivages générationnels et se définis
sent deux types de notoriétés, l'une d'or
dretemporel (coïncidant avec le champ de
grande production) et l'autre d'ordre sym
bolique (coïncidant avec celui de product
ion restreinte). Or, un des principaux
388
résultats du travail de Gisèle Sapiro con
siste en la démonstration - bien rodée pour
les tenants de la théorie du champ selon
Bourdieu - du principe d'homologie entre
les positions dans le champ littéraire et les
prises de position politiques. « Le champ
littéraire se structure ainsi [...] autour de
l'opposition entre un pôle temporellement
dominant, formé par des écrivains instit
utionnalisés qui cumulent toutes les espèces
de capitaux (économique, scolaire, social)
et jouissent d'une notoriété de type mond
ain, et un pôle temporellement dominé,
principalement constitué par de jeunes
prétendants en ascension sociale, démunis
de ressources économiques mais dotés
d'un important capital culturel, à la fois
hérité et acquis, qui s'orientent vers la
reconnaissance des pairs et les profits sym
boliques [...]. Tandis que les représentants
du premier pôle se rallient majoritairement
aux nouveaux pouvoirs, le régime de
Vichy et/ou la Collaboration, la plupart
des représentants du second s'engagent
dans la clandestinité. » (p. 93). L'enjeu
théorique qui sous-tend cette démonstrat
ion, statistiquement fondée, consiste à
prouver d'une part que les propriétés so
ciales (en termes d'âge, d'origine sociale
et de capital scolaire) des écrivains i
nfluencent largement leurs prises de posi
tion politiques, mais aussi d'autre part que
cette influence n'est pas mécanique et ne
s'exerce que diffractée par des effets de
champ. Ceux-ci sont mis en évidence dans
l'analyse comparative des trajectoires
d'Henry Bordeaux et de François Mauriac
qui, malgré des propriétés sociales pro
ches, prennent des positions radicalement
différentes sous l'Occupation. Le premier
se satisfait d'une reconnaissance mon
daine - cristallisée par son élection à
l'Académie Française et par les énormes
tirages de ses ouvrages - et harmonise
constamment son rapport à l'institution ca
tholique avec sa logique littéraire, qu'il lui
inféode. Le second mène un double jeu -
destiné à concilier la reconnaissance mon
daine (Mauriac est lui aussi membre de
l'Académie Française, mais connaît des
tirages plus modestes) avec la reconnais
sance des pairs (notamment celle de

l'équipe de La Nrf) - et rompt avec les
positions officielles de l'Église au nom de
la défense de l'autonomie littéraire. La s
ituation de Mauriac dans le champ littéraire
- à savoir la proximité avec les partisans
de la logique de l'autonomie et le fait
d'être pris à parti dans la «querelle des
mauvais maîtres » par ses détracteurs -
conduit celui-ci à récuser la position
qu'auraient dû lui assigner ses propriétés
sociales et à rallier un camp, littéraire et
politique, dont il aurait pu rester très éloi
gné.
Mauriac appartient donc (avec Duhamel
et Valéry) à cette frange extrêmement mi
noritaire des membres de l'Académie
Française opposés au nouveau régime ;
une autre minorité est constituée des écri
vains favorables au collaborationnisme.
Mais la grande majorité des académiciens
- parmi lesquels se recrutent plusieurs des
notables de Vichy - est pénétrée d'un
«sens du devoir» qui mène l'institution à
adopter un attentisme collectif, mâtiné
d'approbations individualisées à l'égard
du régime de Vichy. Plus exposée à la
conjoncture et donc aux pressions exté
rieures, car moins institutionnalisée que
l'Académie Française, l'Académie Gon-
court - qui joue de son « sens du scandale »
comme d'un mode de survie - adopte un
conformisme plus appuyé que sa rivale à
l'égard des nouveaux pouvoirs. La Nrf
connaît une évolution contrastée et para
doxale (que ne résume que partiellement
l'expression de «sens de la distinction»
proposée par l'auteur) : cette revue s'est,
depuis trente ans déjà, instituée garante du
principe d'autonomie du champ littéraire.
C'est au nom de ce même principe que
Drieu La Rochelle - qui a repris la direc
tionde la revue à l'instigation de l'occu
pant- tente de convaincre les écrivains de
publier dans La Nrf. L'argument de
«L'art pour l'art» allié à celui de la dé
fense de l'« esprit français » amène un cer
tain nombre d'auteurs à collaborer à une
revue, qui sollicite à la fois des auteurs
ouvertement procollaborationnistes et des
auteurs qui se déclarent apolitiques. Mais
c'est également au nom du principe
Les livres
tonomie de la littérature que l'ancien di
recteur, Jean Paulhan, a quitté la revue
lorsque y furent refusés les textes d'écri
vainsjuifs et d'écrivains communistes. Le
cas de La Nrf est exemplaire en ce qu'il
permet de montrer que, «en situation de
crise, non seulement la rhétorique de l'art
pur se révèle incapable de garantir l'aut
onomie littéraire, mais [qu'] elle devient aussi
une arme efficace aux mains des entreprises
hétéronomes en quête de légitimité»
(p. 466). De plus, le choix des écrivains de
collaborer ou non à La Nrf montre que les
décisions ne sont pas toujours précoces ni
définitives ; en témoignent les hésitations,
les incertitudes, les doutes, les scrupules,
les ruptures. Enfin, le Comité National des
Écrivains représente la principale institu
tion de résistance dans le champ littéraire.
Ce sont des facteurs d'affinités littéraires
(à savoir la lutte commune pour la défense
du principe d'autonomie) qui permettent
de rendre compte de l'émergence et du
succès d'une instance qui dépasse les cl
ivages traditionnels - notamment idéologi
ques (communistes et non-communistes
s'allient au sein du Cne) et générationnels
(la naissance du Cne est due à la fois à une
nouvelle génération de prétendants et à
celle des grands aînés). Le «sens de la
subversion » conduit à considérer que la r
econquête de l'autonomie politique coïncide
avec la reconquête de l'autonomie littéraire.
Les auspices paradoxaux sous lesquels il est
apparu seront cependant fatals au Cne : le
parti communiste a en effet puissamment
contribué à son succès, mais les liens entre
les deux institutions après la Libération
sont, à la longue, perçus comme un facteur
d'hétéronomie, ce qui discrédite le Cne en
tant qu'instance littéraire.
Dans l'immédiat après-guerre cepen
dant,le parti communiste et le Cne repré
sentent les viviers d'une nouvelle
génération littéraire - dont les représen
tants les plus éminents sont Vercors,
Sartre, Camus et Aragon - qui se prévaut
de la caution morale que représente sa
conduite sous l'Occupation. Le Cne se
transforme alors en instance d'épuration
du monde des lettres, par le biais de l'ex-
389
 Revue française de sociologie

communication des auteurs compromis, f res par rapport à des débats datant parfois
igurant sur une liste noire. Son pouvoir est
du début du siècle. La chronologisation
toutefois limité, du fait de l'existence fine de la recherche met en évidence les
d'autres instances d'épuration, mais aussi renversements d'argumentation et rend
de la reprise normalisée du fonctionne possible la compréhension de l'utilisation,
ment des institutions littéraires antérieur
décalée dans le temps, d'un même principe
es, et enfin des divisions internes entre
par des camps qui demeurent pourtant fo
écrivains. En effet, la polémique «justice ndamentalement opposés. L'étude porte
ou charité » - qui s'incarne dans la contro non seulement sur des auteurs à succès,
verseopposant Mauriac, avocat d'une cer dont le nom a été retenu par la postérité,
taine indulgence à l'égard des auteurs mais aussi sur des écrivains méconnus et
compromis, à Camus, d'abord partisan sur des figures dont le rôle pivot a pu
d'une rigoureuse sévérité, mais qui ac progressivement être oublié : c'est le cas
cepte ensuite de rejoindre le camp de son
pour l'omniprésent Jean Paulhan qui, en
aîné en signant une pétition demandant la jouant à la fois les conseillers et les médiat
grâce de Brasillach - ne doit pas masquer eursdès le début de la Collaboration, a
le fait que les prises de position à l'égard permis au champ littéraire français de con
des sanctions à réserver aux écrivains sont tinuer à fonctionner. Enfin, les comparai
largement tributaires à la fois des clivages sons entre les quatre institutions retenues
générationnels et des options politiques. et la mise au jour de tendances collectives
Mais si la guerre a eu pour conséquence n'amènent pas l'auteur à éluder la richesse
l'affirmation d'une nouvelle génération et la complexité des options individuelles.
dans le champ littéraire et la marginalisat On déplorera toutefois que la focalisation
ion d'écrivains d'extrême-droite discrédit
sur les institutions conduise peut-être à
és, « les modes de survie [des] institutions
négliger les écrivains qui n'appartiennent
[étudiées] à la Libération présentent des à aucune d'entre elles, tout en ne se situant
caractéristiques semblables à celles que absolument pas hors champ : l'absence
l'on a observées sous l'Occupation, dans d'analyse systématique du cas de Céline
un rapport de force politique inversé : tan apparaît ainsi surprenante au regard du
dis que l'Académie Française, impassible, rôle joué par cet écrivain, aussi bien dans
renoue avec sa vocation de force conser l'entre-deux-guerres que pendant l'Occu
vatrice sans céder aux pressions politiques pation ou après la Libération. De plus,
et médiatiques, l'Académie Goncourt l'insistance sur les choix, les stratégies et
opère un spectaculaire retournement en les investissements va de pair avec une
s'ajustant, comme en 1940, à la nouvelle omission quasi totale des formes esthéti
idéologie dominante de l'heure. L'institu quesqu'ils revêtent : à l'exception de la
tionnalisation du Cne [...] est une des con
mention des textes d'Aragon, élaborés
séquences les plus immédiates de la crise.
pendant l'Occupation selon la technique
Mais le règne des instances nées de la poétique d'origine médiévale du trobar
Résistance sera de courte durée » (p. 695). dus et donc accessibles à la compréhens
ion des seuls initiés, aucun élément ne
La gageure représentée par cet impos nous est livré sur les textes littéraires eux-
anttravail paraît au final relevée : si l'on mêmes. Ce choix semble d'autant plus
se place dans la perspective des analyses regrettable - même s'il peut apparaître
de Bourdieu, l'intérêt du concept de cohérent avec les options théoriques de
champ littéraire en situation d'exception a Gisèle Sapiro - que la qualité des analyses
bien été montré par Gisèle Sapiro. La crise menées autorise à imaginer combien une
majeure traversée par la France à la pé prise en compte des œuvres aurait pu enri
riode étudiée exacerbe certains effets de chir un travail déjà remarquable.
champ, en annihile d'autres, en crée de
nouveaux. Le travail historique minutieux Clara Lévy
permet de situer bien des querelles LAST ES - Université de Nancy II

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