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LE NOMBRE PLASTIQUE

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LE NOMBRE PLASTIQUE
Quinze leçons sur

L'ORDONNANCE ARCHITECTONIQUE

par
DOM H. VAN DER LAAN
Traduit du manuscrit hollandais
par dom Xavier Botte

LEIDEN
E. J. BRILL
1960
A tous les amis et étuaiants
Copyright Ig60 by E. ]. BriU, Leiden, Netherlands. qui ont rendu possible la publication
AU rights reserved. No part of this book may be reprod"ced or translated de mon co"rs d'architecture à Bois-le-Duc
in any t orm, by print, Photoprint, microfilm or any other means without
je aédie ce livre
written permission trom the p"blisher.
en signe de reconnaissance

PRINTED IN THE NETHERLANDS


AVANT-PROPOS

Il Y a quelque quatre ans, m'arrivaient de Hollande, à


intervalles réguliers, des petits feuillets polycopiés dont je
m'efforçais en vain de démêler la terminologie inusitée. C'était
le résumé du cours d'architecture, d'un genre tout nouveau,
que le Père van der Laan donnait à Bois-le-D,tG .
Mes contacts avec le moine architecte remontaient à Plus
longue date. Celui-ci m'avait progressivement initié à une
vision des choses dont i'avais entrev'l{, l'immense portée, mais
à laquelle, de toute évidence, il avait, lui, singulièrement
accordé sa vie.
Je l'écoutais toujours avec intérêt. Quant aux notes techni-
ques qu'il m'envoyait, je me contentais de les parcourir sans
y comprendre grand' chose.
Un jour, il me reprocha de rester en surface. Piqué au jeu,
je pris la décision d'affronter le problème dans toute sa rigueur.
Je m'emparai résolument de ses notes et entrepris de les élu-
cider point après point.
Des circonstances privilégiées devaient me fournir l'occasion
de me livrer complètement à cette étude, ainsi que l'avantage
exceptionnel de pouvoir à tout moment confronter la théorie et
la réalité concrète. Un séjour de Plusieurs mois dans la Pénin-
sule sorrentine, une cellule proPice à la réflexion et, aux alen-
tours, un champ d'aPPlication très vaste, que me fallait-il de
Plus? C'est là que je vis peu â pet, se préciser à mes yeux les
arcanes du nombre plastique; c'est là que j'allais découvrir,
dans l'observation de la Pierre architecturée, la projection
• sensible d'une doctrine elle-même nourrie de la contemplation
des choses et qui, sans cette concrétisation, demeurerait toujours
abstraite, inefficace et sans portée.
VIn AVANT-PROP OS AVANT-PROPOS IX

Herculanum et PomPéi étaien t to"t proches, à q,.elq"es toute leur objectivité, les lois fondamentales et intrinsèques
stations à peine sur le traiet de la circumvesuviana, et Cumes, de l'architecture. Mieux que tant d'essais condamnés à l'oubli
et Pouzzoles. Il y avait aussi Paestum et sa trilogie dorique . après une vogue éPhémère, elles semblent devoir apporter une
Et la Sicile, dont ,In geste d'amitié fervente et fraternelle me réPonse durable à bien des questions et fournir réellement la
permit d'accomPlir deux fois le PériPle: la Sicile de Ségeste, clef de possibilités nMtVelles.
de Sélinonte et d'Agrigente; celle de San Cataldo et de Saint- Pour ma part, ie m'estime heureux d' avoir p~f" en trad'uisant
] ean-des-Ermites; celle de Cefalù et de la M artorana. Et Rome, ces pages, apporter l'appui d'une aide fraternelle à une œuvre
bien sûr, et Ostie l'Antique! que fe crois riche de promesses.
Dans ce dialogue avec le visible, dans cette confrontation
assidue avec le concret, les théories de dOtn van der Laan me Dom Xavier BOTTE,
sont apparues sous leur vrai Jo/ur. Abbaye de Saint-André, Bruges,
Quiconque abordera l'étude des textes qui suivent regrettera en la fête de l'Épiphanie,
peut-être de n' y trouver a'ucune illustration, aucune anecdote, le 6 janvier I96o.
aucun exemPle frappant. C'est délibérément que l'a,deur a
VO'lÛU que fût gardée à ses démonstrations toute leur austérité
première, afin qu' auctme diversion ne vienne interrompre
le fil d'une démonstration serrée, et que ne s'égare pas à mi-
chemin, par des aPPlications prématurées, le vrai labeur d'une
réflexion personnelle.
S'adressant donc avant tout à ceux qlte préoccupe le pro-
blème de l'art, l'exposé que voici est de nature à projeter
quelque lumière sur ce qui fait l'objet de tant de recherches
confuses.
Ayant dû nous-même assurer, pendant Plus de dix ans,
la direction d'tme revue d'art et d'architecture, nous n'ignorons
ni les besoins ni les angoisses de bien des artistes, de bien des
architectes surtout, a'l-tx prises avec les imPératifs immédiats
de leur tâche. Non qu'il s'agisse de réinventer pour eux et de
construire des systèmes tout faits, de codifier canons et for-
mules, ou de forger une nouvelle esthétique. Pour ce qui nous
occupe, - et il ne sera pas superflu d' y insister - les
théories de l'ordonnance architectonique ne fournissent aucune
recette; elles ne font appel ni à l'emPloi de modules, ni aux
correctifs toujours arbitraires d'un quelconq"e traci régulate-ur.
Elles semblent pourtant constituer une réPonse authentique à
beaucoup de tâtonn~ments, car elles nous restituent, dans
INTRODUCTION

Dans la construction d'un édifice plusieurs facteurs


entrent en ligne de compte et chacun d'eux contribue
pour sa part à lui donner sa forme plénière et définitive.
Ce sont, pour ne citer que les plus importants, les exigences
pratiques des habitants, l'argent dont on dispose, la con-
figuration et la nature du terrain, la qualité des matériaux,
la technique utilisée, les usages reçus dans la société, la
classe ou le rang de l'édifice. Autant de facteurs dont l'in-
fluence sur la forme est réelle, mais qui n'en constituent
pourtant que la matière et l'occasion éloignée. Quant aux
éléments mêmes dont se compose l' édifice, COll1me les
murs, le toit, les portes et les fenêtres, quoiqu'ils puissent,
par leurs bonnes proportions et la justesse de leur emplace-
ment, présenter en soi un aspect agréable, ils ne constituent
tout au plus qu'une dispositon dernière à l'ordonnance
architectonique proprement dite. Celle-ci, il est vrai, laisse
à tous ces facteurs leurs pleins droits et accorde à chacun
l'importance qui lui revient, mais elle les dépasse tous et
les assume dans un tout d'ordre supérieur. L'architecture
ne se révèle aux yeux émerveillés de l'honune qu'à partir
du moment où toutes les parties de l'édifice sont perçues
comme autant de données plastiques qui présentent entre
elles des rapports d'ordre spatial.
Le procédé selon lequel s'opère cet accord des étendues
spatiales reçoit à juste titre l'appellation de "nombre",
par analogie avec la quantité discrète. De même que la
quantité, exprimée par exemple par le nombre dix, ne
nous est connue que par sa relation avec l'unité - et c' est
précisément cette relation qui s'appelle "nombre" au sens
Xl! INTRODUCTION INTRODUCTION XIII

prelmer - , de lllênle une quantité continue, par exemple connaissance et de vérité? Or cette passion de connaître
l'étendue d'un édifice, ne peut être appréciée comme telle et cette recherche de vérité ne trouvent apaisement total
que pour autant qu'elle entre en relation avec un élément et parfait repos que lorsque l'homme se voit libéré de la
de l'édifice, qui représente l'unité. Par conséquent, la servitude de l'abstraction, et qu'il atteint à une intelligence
relation qui s'établit entre les volumes architectoniques ultime sous l'emprise des apparences concrètes . D'après
et leur unité spatiale répond parfaitement à la notion de Platon, c'est là l'insigne privilège du beau: éclat tombé
nombre. du paradis, jet de lumière irradiant du monde des purs
Or ces rapports abstraits, si clairelnent exprimés dans esprits sur notre condition corporelle.
l'ordonnance architectonique, se trouvent concrétisés dans Chose étonnante, l'homme qui semble se perdre dans la
le visible. Leur parfaite lisibilité nous ravit et littéralement contemplation des harmonies spatiales, s'y retrouve lui-
nous captive. Elle nous force à regarder sans cesse, elle même du fait que, dans le jeu des pleins et des vides, il voit
nous lie au concret, parce qu'elle est comme déposée dans pour ainsi dire projetées sous ses yeux les relations mêmes
les volunles 11lêmes qui déterminent l'édifice dans son qui le situent dans l'espace. Car la fonction de la maison
étendue plastique. est de servir d'approche, de rencontre, de conciliation
C'est pourquoi nous parlons de "nombre" pour expriuler entre le corps, qui semble n'être quasi rien, et l'espace
la claire perception d'un rapport; mais nous disons "nombre illimité de l'univers.
plastique", parce que cette clarté perçue par l'esprit nous Ce n'est pas le moment de développer ici comment la
vient directement des mesures concrètes de l'édifice. maison adapte et réduit aux dimensions humaines l'im-
mensité de l'espace, ni comment, d'autre part, elle devient
En énumérant les facteurs qui contribuent à déterminer l'auréole, le cadre, le prolongement du corps humain;
dans sa plénitude la farule d'un édifice, nous avons cité en conunent la demeure, en tant qu'espace en réduction, est
tout premier lieu les exigences pratiques de ses habitants. réalisée par ses vides, tandis que, par ses éléments massifs,
Cet aspect utilitaire intéresse l'homme de la manière la elle est une sorte de corps "à plus grande échelle". C'est,
plus directe. Mais, par dessus ce facteur premier et sur- en effet, dans la relation plein et vide, clairement exprimée,
passant aussi tous les autres, c'est l'ordonnance de l'espace que devient manifeste à l'homme sa propre situation dans
arcbitectonique qui réclame la primauté. Comme il s'agit l'espace. Lorsqu'il contemple en spectateur ce "jeu spatial",
ici de relations mutuelles qui s'établissent entre les élé- . il expérimente et sait qu'il est lui-même l'enjeu principal
ments de Plein et de viae, il semble que l'homme n'y soit de ce dialogue.
guère impliqué que comme un spectateur du dehors. Et
pourtant, la singulière importance de l' oraonnance se justifie Quoique le nombre plastique ne s'adresse explicitement
et s'explique du fait que, par elle seule, l'homme se voit qu'aux architectes, les mettant sur la voie pour transposer
apaisé dans ses besoins les plus élevés et les plus spécifiques, sur des données spatiales l'ordre et la clarté de l'esprit,
qui sont ceux de l'esprit. C'est là aussi que l'architecture, il est évident que ces considérations s'appliquent d'une
dont l'homme est en même temps l'auteur et le but, donnera manière analogue aux autres arts et aux métiers qui tou-
sa pleine mesure. chent de près ou de loin au domaine de l'activité créatrice.
Car y a-t-il un plus grand besoin chez l'honmle que de Car, si les branches de cette activité diffèrent, tant par le
XIV INTRODUCTION
genre des matériaux que par toutes sortes d 'autres facteurs,
qui limitent les divers champs d 'action en imposant des
restrictions et d es exigences d'ordre pratique, il reste qu'en
TABLE DES MATIÈRES
définitive il s' agit toujours d'une simple donnée physique,
d'une réalité matérielle qui doit, en tant que matière, être
PRÉLIMINAIRES
entièrement dominée et transformée par le "nombre" ,
principe ordonnateur de l'espace et du temps. Leçon I. Nombre et mesure dans la genèse d'un
C'est ainsi que, dans la poésie, l' art du son et la danse, édifice. . . . . . . . . . . 1
a utant que dans les arts plastiques, s'exprime une même Leçon II. Définitions de l'ordonnance et du
sagesse humaine qui prend corps dans l'espace ou dans le nombre plastique. . . . . . 8
temps.
L'enseignement du nombre plastique trouve son applica-
tion bien au delà des limites de J'architecture ; elle nous STADE DE L'OBSERVATION
fait communier à tous les domaines de la création artis-
Leçon III. Un instrument de travail 18
tique, précisément par ce qui constitue, pour chacun
d'eux, leur essence profonde, leur âme. Leçon IV. Types et ordres de grandeur . 27
fr. F . H. Résumé du premier stade . . 32

STADE DE LA RÉFLEXION

Leçon V. Propriétés de la grandeur architectoni-


que. 34
Leçon VI. Détermination du rapport fondamental 41
Leçon VII. Systèmes de mesures 52
Résumé du second stade 60

ST ADE DE LA CONNAISSANCE

Leçon VIII. Expression numérique du rapport fon-


damental et des autres rapports d 'un
système . . . . . . . . . . 62
Leçon IX. Jeu des marges . . . . . . 69
Leçon X. Expression numérique des rapports
dérivés . . . . . . . . . 78
Résumé du troisième stade. . 86
-

XVI TABLE DES MATIÈRES


Tà 8è O''t'epea [J.l.oc !J.È:v où8bt'o't't, BOo St ad
STADE DE L' EXERC ICE l-le:cr6'O)'te<; Ouva:pfL6noucnv.

Leçon XI. Caractéristiques des rapports 88 L'harmonie entre les étendues plastiques
n' est jamais l'effet d'un seul, mais toujours
Leçon XII. Cinq exercices ..... . 98 de deux termes moyens. PLATON, Timée, 3zb.
Résumé du quatrième stade. 108

1
STADE DE LA MISE EN ŒUVRE

Leçon XIII. Disposition architectonique 10 9 N omlYre et mesure dans la genèse d'un édifice
Leçon XIV. Juxtaposition et superposition Il8
I. L'architecte, nul n'en disconviendra, est un homme
Leçon XV. Réalisation du nombre plastique 12 9
sans cesse occupé de mesures et de nombres. Ses dessins
Résumé du cinquième stade. . 135 sont couverts de chiffres, et la règle graduée est toujours à
portée de sa main.
Il en est de même, et pll1s encore peut-être, du dessinateur
et du contremaître. Avant que le projet de l'architecte
arrive à réalisation, il s'est produit tout un enchaînement
de m esurages. Ce que l'architecte m et sur papier, le des-
sinateur le relève pour faire des dessins prêts à l'exécution.
A leur tour, le contremaître et les ouvriers relèvent sur ces
dessins les mesures dont ils jalonnent le terrain .
Ce processus comporte deux façons de m esurer qui se
succèdent alternati vement: ce qui est relevé sur un premier
dessin est reporté sur le suivant, jusqu'à ce qu'un dernier
relevé fournisse les mesures pour l'exécution.

2. Il Y a lieu d'examiner de près en quoi consiste


exactement ce double procédé.
Relever une m esure, c'est compter combien de fois
l'unité de mesure peut être appliquée sur une grandeur
concrète. Le but est de pouvoir exprimer cette grandeur
par un nombre.
Reporter une mesure correspond à l'opération inverse.
Ce qui est fourni ici, c'est précisément le nombre, qui
exprime la grandeur concrète selon telle ou t elle unité de
mesure. Le report consistera donc à multiplier cette unité

2 LE NOMBRE PLASTIQUE I,3 I,5 PRÉLIMINAIRE S 3
autant de fois que le nombre l'indique, dans le but d'obtenir La première imposition de mesure se réalise donc sans
la grandeur concrète. relevé préalable qui puisse lui fournir le nombre dont elle
Dans le relevé, on part donc d'une grandeur concrète devrait partir. Si la chaine des opérations se termine par
pour arriver au nombre qui l'exprime; dans le report, au l'acte de bâtir, consécutif au dernier report, c'est dans la
contraire, on arrive à la grandeur concrète en partant du pensée qu'elle a son origine. C'est en effet le concept que
nombre '). l'architecte s'est formé du bâtiment à construire qui est à
l'origine de tout, et la première imposition de mesure,
3. La série des relevés et des reports se t ermine au
analogue à un report, doit partir d'un nombre spécial,
moment où les mesures se concrétisent dans la bâtisse.
capable d'exprimer directement le concept de la maison.
Chacun peut constater qu'il se passe alors quelque chose
C'est précisément ce nombre qui fera l'obj et de notre
de tout à fait nouveau. La mesure r elevée sur le dernier
étude.
dessin est reportée maintenant dans le concret, par exemple
par des jalons sur le terrain. Puis, des pierres sont alignées 5. Deux données sont essentielles au nombre et à la
jusqu'à ce que cette mesure soit remplie. La différence est mesure: une unité et un système, c'est-à-dire le principe
claire entre cette opération et un relevé : ce ne sont plus statique et un système dynamique de multiplication.
des unités de mesure qui se succèdent pour remplir la Si le relevé d 'une grandeur concrète nous est proposé
grandeur concrète, mais des pierres ou tout autre mat é- selon une certaine unité et un certain système, par exemple
riau. Il ne s'agit plus d'arriver à un certain nombre qui le mètre et le système décimal, il nous devient strictement
exprime la grandeur, mais à un mur qui la réalise. nécessaire d'employer cette même unité et ce même sys-
Le processus où alternent les deux façons de mesurer ne tème pour faire le report qui doit suivre. Sans cela, la
se termine donc pas brusquement sur l'une d'elles, mais mesure exprimée par le nombre ne conduirait pas à la
par l'acte spécial et tout nouveau de la construction . m ême grandeur concrète.
Au contraire, quand il s'agit de relever cette grandeur,
4. C'est quelque chose d'analogue qui se produit au il n'est plus nécessaire d'employer l'unité ni le système qui
début des mesurages. La série ne saurait commencer ex ont servi pour le report qui précédait.
abrupto par un report quelconque, et moins encore par un La raison en est simple : le chainon qui relie un relevé
relevé, puisque ce relevé devrait partir du concret qui au report qui lui succède est le nombre abstrait, tandis que
n'existe pas encore. c'est une grandeur concrète qui se trouve entre le report
et le relevé qui suit.
1) La mê me différence se remarqu e dans le pesage. Pour con-
naître le poids d'une chose, on la met d'un côté de la balance et 6. Ceci permet de se rendre compte que l'unité et lc
1'011 cumpte combien d'unités de poids il faut mettre de l'autre
côté pour faire équilibre. Au contraire, pour vendre quelque chose système employés dans le premier acte du processus ar-
au poids, on met d 'abord d'un côté un certain nom bre d'unités chitectonique, savoir l'imposition initiale de mesure, ne
de poids et on remplit ensuite l'autre plateau avec la marchandise, sont pas obligatoirement les mêmes pour les mensurations
jusqu'à ce qu' elle fasse un exact contrepoids . Ce sont là deux
façons de compter dont la structure de nos balances modernes, à qui se succéderont jusqu'à l'exécution de la bâtisse. Le
cadran, n 'accuse plus guère l'opposition. E lles n'en demeurent pas premier acte en effet, qui applique la mesure sans relevé
moins foncièrement différentes. précédent, doit être considéré comme un report.
- -7)"

4 LE NOMBRE PLASTIQUE 1,7 l, 8 PRÉLIMINAIRES 5


Inversement, le système et l'unité utilisés dans le travail architectonique, c'est-à-dire dans cette imposition de me-
intermédiaire ne nous renseigneront pas de soi sur le nombre sure initiale qui n'est pas précédée d'un relevé quelconque,
qui est à la base de la première imposition de mesure. mais qui est la conséquence logique de la notion qu'il
s'est formée de la maison à bâtir.
7. De toute antiquité pourtant, on a reconnu qu'il y
avait avantage à se servir, en tout complexe de mensuration, 8. Sous son aspect le plus général, la maison se présente
d'une unité et d'un système qui s'harmonisent avec la comme un intermédiaire bienfaisant entre l'homme et son
mensuration créatrice du début. La multiplicité des unités milieu naturel. Ce milieu ne nous est pas assez hospitalier
et des systèmes d'autrefois, ramifiés comme les branches pour que nous puissions y subsister. Il nous faut l'adapter
elles-mêmes de la vie, dérive de là '). On observe, au cours à notre manière de vivre en y construisant des maisons.
des siècles, une tendance à unifier ces systèmes et ces unités, Tout en se présentant comme ce qui en sépare, la mai-
afin d'assurer, au moins dans un même pays, pour chaque son nous réconcilie avec cette nature. En effet, par rapport
ordre de choses à mesurer, le même système et la même au corps, la maison, en tant qu'espace séparé, tient lieu
unité. des environs; elle les reproduit sous une forme tempérée
Mais à une époque relativement proche de nous, on en et adaptée. D'autre part, face à l'environnement naturel,
est arrivé de plus à chercher aussi une uniformité de elle remplace notre corps; la paroi de séparation subit
système et d'unité entre les divers ordres de choses à pour lui les intempéries et autres inconvénients.
mesurer. Cette dernière préoccupation obligeait à faire ab-
9. L'animal trouve ce complément de son ~xistence dans
straction du mode tout spécial de la première imposition
la nature même et par instinct. Il est pleinement intégré
de mesure, laquelle dépend uniquement de l'idée qu'on s'est
à l'ordre naturel. Quant à nous, nous devons réaliser
formée de l'objet.
cette habitation en nous servant de notre intelligence et
C'est ainsi que l'introduction du système décimal pour
de toutes ses facultés subordonnées.
tout ordre de choses et du mètre comme unité universelle
Aussi, construisons-nous à notre manière propre. Dans
favorisait la séparation réelle entre cette première imposition
cet ordre pratique, l'intelligence n'est pas déterminée par
de mesure et toutes les mensurations qui suivent. La con-
la nature, mais elle va librement au but en choisissant
séquence n'a pas manqué: la notion même de cette première
elle-même les moyens pour l'atteindre.
mensuration a été reléguée dans l'oubli et, avec elle, celle
du nombre proprement architectonique. 10. La maison n'aura pas, dès lors, une forme déter-
Nous devons donc chercher de nouveau quel système et minée par la nature, comme c'est le cas pour le nid d'un
quel module s'imposent à l'architecte dans son premier acte oiseau. Partout où intervient l'intelligence comme principe
de la forme, apparait la rupture avec le monde homogène
1) Rien que pour indiquer les mesures d'une planche, le charpen- des formes naturelles.
tier se sert déjà de plusieurs unités. La longueur s'exprime en pieds,
la largeur a comme unité le pouce et l'épaisseur se mesure en II. Les formes, dans la nature, sont régies par des lois
quarts de pouce. En parlant par exemple d'une planche de cinq
quarts, on indiquera par là son épaisseur, d'une planche de cinq
naturelles, basées sur l'intelligence infinie du Créateur,
pouces, sa largeur et d'une planche de douze pieds, sa longueur. dont elles sont le témoignage.

6 LE NOMBRE PLASTIQUE I , I5 PRÉLIMIN AIRES 7


Là où s'interpose notre intelligence, c'est donc nous qui place artificiellement le corps, comme l'espace intérieur
déterminons la forme; et celle-ci témoignera comme telle remplace l'espace naturel. La paroi est donc au corps ce
de notre intelligence à nous. Ce témoignage se manifestera que l'espace intérieur est à l'espace naturel.
surtout par les différences entre cette forme et les formes Comme dans toute analogie, on peut renverser les termes
naturelles. C'est ainsi que - dans un ordre inférieur, bien de façon que le rapport entre le premier et le troisième
entendu - le mouvement d'un animal témoigne de la vie égale celui entre le second et le quatrième. On peut donc
qui l'auime et par où il se distingue du monde inerte, lorsque dire que la paroi est à l'espace séparé ce que le corps est
ce mouvement va à l'encontre de la force de gravité ou à l'espace naturel. en sorte que la relation entre la paroi
des lois de l'inertie. séparante et l'espace séparé devient comme une proj ection
objective de la relation subj ective entre le corps humain
I2. Est-ce alors un désordre que cette libre intervention et son milieu naturel.
de l'intelligence va produire dans la nature? Pas nécessaire- La double substitution par laquelle la maison exerce sa
ment. Car ces nouvelles formes peuvent être le sujet d 'un fonction corporelle nous a donc, en même temps, fourni
nouvel ordre, un ordre artificiel qui, lui, a sa place dans la l'analogie qui sert de base à l'expression de cette fonction
nature. dans la forme de la maison.
L 'être intelligent qu'est l'homme, auteur de cet ordre Par conséquent , si la fonction corporelle de la maison
artificiel, participe lui-même à toute la nature créée et consiste à établir l'harmonie entre le corps et son milieu
visible. Cet ordre artificiel, pris dans son ensemble, devra naturel, l'expression de cette fonction sera basée sur l'har-
donc avoir sa place dans le dispositif homogène de la monie entre la paroi qui sépare et l'espace séparé.
nature. Nous passons ainsi au registre de l'étendue appréciable,
tant de l'élément séparateur que de l'espace qu'il enclôt.
I3. L'intégration à la nature a donc pour condition que Alors, les proportions peuvent parler à l'intelligence un
ces formes artificielles témoignent de leur origine intelligente, langage objectif. Elles seront établies par l'ordonnance
qu'elles se montrent t elles. architectouique.
Il ne suffit donc pas que la maison soit en mesure d'exer-
cer la fonction purement corporelle pour laquelle elle a été I5. E n établissant entre les données spatiales, qui sont
conçue. Il faut encore qu'elle montre dans ses formes, d' une l'élément séparant et l'espace séparé, les proportions con-
manière lisible à l'intelligence, cette fonction corporelle à venables, l'ordonnance leur donne l'expression de leur fonc-
laquelle l'intelligence même l' a destinée. tion de maison. Les formes de la maison, sans trouver
directement leur place dans l'ordre de la nature, s'y trouvent
1+ La maison exerce son rôle corporel en remplaçant donc insérées pour autant qu'elles ont été soumises aux règles
le corps humain , face à la pleine nature, par une paroi de de l'ordonnance.
séparation et en remplaçant également, par rapport au
corps, cet espace naturel par un espace intérjeur séparé
(voir § 8).
Ces deux substitutions sont analogues, car la paroi rem-

Il,2 PRÉLIMINAIRES 9
strations, afin d 'avoir sous les yeux l'ensemble où s'insère
cette première définition.
Voici le texte de ces formules avec, chaque fois, un essai
Il de traduction. Viennent ensuite quelques commentaires.

Définitions de l'ordonnance et du nombre plastique 2. "Ordinatio est modica membrorum operis commo-
ditas separatim universeque proportionis ad symmetriam
1. Pour définir l'ordonnance architectonique, l'antiquité comparatio. Haec componitur ex quantitate.
nous a laissé une excellente formule. Dans son ouvrage sur Quantitas autem est modulorum ex ipsius operis [mem-
l'architecture, écrit au début de notre ère, Vitruve ') com- bris] e singulisque membrorum partibus sumptio universi
mence par urie synthèse magistrale de l'œuvre de l'archi- operis conveniens effectui."
tecte. Il la fait consister en six points, énumérés comme L'ordonnance est le concours équilibré des mesures des
suit : membres d 'un édifice, en chacune des parties considérées
en soi aussi bien que dans l'ensemble, et le rapport qui
l'ordonnance (Tci!;", ordinatio), relie ces proportions entre elles en vue de la symétrie. Elle
la disposition (SLO,6t"", dispositio), naît de la quantité.
l'eurythmie (EÙpu6iJ.("'), La quantité consiste à établir des unités de mesure, em-
la symétrie (CJUiJ.iJ.ETp(,,), p runtées aux membres de l'édifice m êm e, sous forme de
la con venance (decor), parties élémentaires de ces membres et en rapport avec
la distribution (o(xovoiJ.(O:, distributio). l'œuvre dans son ensemble.

Aux six premiers chapitres de son livre premier, Vitruve "Dispositio est rerum apta conlocatio elegansque com-
explique longuement chacun de ces points. Il les introduit positionibus effectus operis cum qualitate."
chaque fois par une formule lapidaire dont le st yle ne laisse La disposition consiste en une juste mise en place des
pas d 'être quelque peu obscur. On pourrait se demander choses l'une par rapport à l'autre. Elle confère à l'édifice
si l'auteur a bien compris lui-même ce qu'il n'a fait sans son heureux effet en vertu d'un agencement de mesures
doute que transcrire. Le fait que, dans son énumération, il en rapport avec la qualité de ces choses.
emploie des mots grecs (cinq termes sur six), semble bien "Eurythmia est venusta species commodusque in com-
indiquer qu'il cite des prédécesseurs antiques. Nous aurions positionibus membrorum aspect us. Haec efficitur, cum
ainsi, dans ces formules, un écho tardif de la quintessence membra operis convenientis sun t altitudinis ad latitudinem,
même de la théorie grecque. latitudinis ad longitudinem, et ad swnmam omnia respon-
Notons que l'ordonnance y tient la première place. C'est dent suae symmetriae."
elle qui retiendra toute notre attention. Nous garderons L'eurythmie est l'aspect agréable et bien proportionné
tou tefois les autres points à l'arrière-plan de nos démon- que présente la composition des membres d'un édifice. Elle
s'obtient lorsque la hauteur d'un membre est en rapport
1) Vitruvii de architecturalibri X. Ed. F. Krohn. Lipsiae, 1912. avec sa largeur et sa largeur en rapport avec sa longueur;
-

10 LE NOMBRE PLASTIQUE II, 3 PRÉLIMINAIRES II

lorsque, en somme, tous les membres répondent à leur 4· A considérer de plus près ces rapports entre les
propre symétrie. mesures d'un édifice, il apparaît aussitôt qu'il y a lieu de
"Symmetria est ex ipsius opens membris conveniens distinguer deux mondes de rapports qui, dans toute com-
consensus ex partibusque separatis ad universae figurae position architectonique, vont pourtant de pair et se com-
speciem ratae partis responsus." plètent.
La symétrie ') consiste dans le juste rapport entre les Ce sont, en premier lieu, les rapports entre les différentes
membres de l'édifice et l'accord, selon des proportions mesures d'une même chose: par exemple, le rapport entre
réglées, entre les parties prises séparément et la forme de la hauteur et la largeur d'une porte.
l'ensemble. Ce sont, d'autre part, les rapports entre les mesures
correspondantes de deux choses différentes: par exemple, le
"Decor est emendatus operis aspectus probatis rebus rapport entre la hauteur d'une porte et la hauteur du mur
cornpositi cum auctoritate." où s'inscrit cette porte.
La convenance correspond à l'aspect sans défauts d'un Le premier de ces rapports se présente dans chaque
édifice composé selon les règles, avec des éléments reçus. chose considérée en soi. On peut le lire dans une parhe de
"Disfribufio est copiarum locique commoda dispensatio l'édifice, comme dans l'édifice considéré dans son ensemble.
parcaque in operibus sumptus ratione temperatio. Haec Ainsi, le rapport entre la hauteur et la largeur d'un tri-
ita observabitur, si primum architectus ea non quaeret, glyphe est de la même espèce que celui qui existe entre
quae non poterunt inveniri aut parari Disi magno." la hauteur et la largeur de toute la façade du temple.
La distribution est l'utilisation rationnelle des moyens Toutefois, ce rapport n'établit pas de lien entre les
et de l'espace disponibles, compte judicieusement tenu des mesures de la partie susdite et celles de l'ensemble de
dépenses, lors de l'exécution. Elle sera le fait d'un archi- . ]' édifice. Ce sera le rôle du deuxième genre de rapport.
tecte qui écarte avant tout ce qu'on ne peut trouver ou Celui-ci établira la relation entre la largeur du triglyphe
faire qu'à grands frais. et la largeur du temple (en utilisant comme intermédiaire
la mesure de l'entrecolonnement) ou la relation entre la
3· L'ordonnance se présente donc comme étant la cor- hauteur du triglyphe et la hauteur du temple (en passant
respondance mutuelle des mesures qui déterminent l'édi- par la hauteur du fronton).
fice dans son étendue plastique. Il ne s'agit pas, par con-
séquent, des dimensions matérielles du bâtiment et de ses 5. Ce sont ces deux espèces de rapports que Vitruve
parties, en rapport avec l'habitation ni en fonction de la suggère dans sa définition de l'ordonnance. Il y distingue
technique ou de l'exigence des matériaux. L'ordonnance d'abord le concours équilibré des mesures (modlca com-
vise uniquement les rapports mutuels entre les mesures de moditas)"des membres de l'édifice, en chacune des parties
l'édifice. considérées en soi (separatim), aussi bien que dans l'en-
semble (universeque)". Ceci ne concerne évidemment que

1) Notons que, dans son acception antique, la symétrie ne se
les rapports entre hauteur, largeur et longueur, tant des
limite pas, comme on l'entend actuellement, à l'égalité des membres parties que de l'ensemble. Mais ensuite, il groupe sous la
de part et d'autre d'un axe. même notion d'ordonnance le rapport qui relie ces propor-
"

12 LE NOMBRE PLASTIQUE II,6 II,8 PRÉLIMIN AIRES "3


tions entre elles (proportionis comparatio), rapport selon est plutôt de caractère intellectuel, car les rapports entre
lequel les termes de la première relation sont comparés à mesures correspondantes de choses différentes ne sont pas
ceux de l'autre. Et cela, dit-il, "en vue de la symétrie (ad directement lisibles dans la forme comme telle; nous ne
symmetriam)". les constatons que par réflexion, à partir du sensible.
Après cette première définition, Vitruve poursuit sa des- Il s'agit, en l'occurrence, comme de rapports de rapports
cription de l'architecture, pour ne revenir à la symétrie qui établissent le lien entre la forme d'une parti~ et celle
qu'en quatrième lieu. du tout. C'est pourquoi, Vitruve dira que la symetne con-
siste en "un juste rapport entre les parties de l'édifice (ex
6. Mais en parlant déjà de symétrie à propos de l'or- membris conveniens consensus)" et, surtout. dans "l'accord
donnance, il montre que les deux sortes de rapports sont entre les parties et la forme de l'ensemble (ex partibus ad
en étroite relation avec les deux aspects d'eurythmie et de universae figurae speciem responsus)". .
symétrie. D'après lui, le premier genre de rapports est Nous devons donc bien distinguer, d'une part, le lien
réglé par l'eurythmie, le second, par la symétrie. qu'établit la symétrie entre des parties coordonnées (comme
Vitruve en effet définit l'eurythmie comme étant "l'aspect par exemple dans l'agencement d'une rangée de colonnes)
agréable (venusta species) et bien proportionné (com- et, d'autre part, celui qu'elle établit entre des parties
modusque aspectus) que présente la composition des mem- subordonnées (comme par exemple entre une corniche et
bres". "Elle s'obtient, dit-il, lorsque la hauteur et la le fronton, ou entre le fronton et la façade entière du
largeur, la largeur et la longueur s'accordent." Et il temple). Ce n'est que dans ce dernier cas qu'il s'agit de
ajoute que tous les membres doivent répondre "à leur propre symétrie proprement dite.
symétrie" . En fait, le rapport entre parties coordonnées n,e se
Mettre en relation mutuelle les mesures d'une partie distingue pas entièrement de l'eurythmIe, parce q~e 1 éga-
constitue déjà, en effet, une sorte de symétrie. Il est évident lité entre parties coordonnées ne ménte pas tout a fait le
qu'un rapport ne peut exister qu'entre deux termes. Or, nom de rapport.
du fait de son étendue tridimensionnelle, chaque partie est
déterminée par trois mesures, donc par deux rapports 8. Tous ces rapports sont inclus dans la notion d'or-
distincts: rapport entre hauteur et largeur, rapport entre donnance en raison même de leur base commune qui est
largeur et longueur. La relation qui s'établit entre ces deux la quantité des termes. .
rapports devra donc être considérée comme une symétrie, Comme nous le verrons plus loin, la quantité ne peut
non pas la symétrie des parties entre elles, mais la symétrie être connue que par le nombre, et le nombre à son tour ne
de chaque membre en soi. peut être connu que par l'unité (voir V, 3 et suiv.). Cette
unité, par contre, doit être connue en sol. CeCI vaut de
7. La forme de chacune des parties de l'édifice est manière absolue pour la quantité discrète ') -le nombre-
déterminée par les rapports de leurs trois dimensions. dont l'unité est détenninée par l'unité individuelle des
L'eurythmie vise donc la forme, l'aspect agréable des
choses (venusta species), Elle est de ce fait liée à l'aspect 1) La quantité discrète est celle dont les parties ne sont pas
sensoriel de la forme beaucoup plus que la symétrie. Celle-ci liées, comme les nombres. (Littré)
po

LE NOMBRE PLASTIQUE II,9 II,IO PRÉLIMIN AIRES 15


choses que nous comptons. Quant à la quantité continue ') peuvent être aussi des ouvertures ou des vides, comme par
-la grandeur - , son unité ne peut être que relative. exemple les portes et les entrecolonnements.
Cette unité relative, au moyen de laquelle nous voulons Les mesures d'un édifice qui se trouvent accordées par
mesurer les choses, doit être établie en rapport adéquat l'ordonnance dépendent donc, et de la qualité des choses
avec la chose à mesurer. Ainsi, les choses de moindre que ces mesures déterminent, et de la place que ces choses
dimension auront une autre unité de mesure que les grandes. occupent l'une par rapport à l'autre.
C'est pourquoi Vitruve dira que l'unité de mesure doit Ceci, d'après Vitruve, appartient à la disposition. C'est
être empruntée (modulorum sumptio) aux parties élémen- la disposition qui règle la "juste mise en place des choses,
taires de l'édifice (e singulis membrorum partibus) et être l'une par rapport à l'autre (apta rerum conlocatio)" et
en rapport avec l'œuvre dans son ensemble (universi operis qui "confère à l'édifice son heureux effet (elegans effeetus
conveniens effectni). operis), en vertu d'un agencement de mesures qui soit en
rapport avec la qualité de ces choses (compositionibus cum
9· Les mesures dont l'ordonnance règle les rapports ne qualitate)" .
sont évidemment pas de celles que l'on prend empirique-
ment entre des points arbitraires de l'édifice. Ce sont au 10. Cette qualité des parties constitutives d'un édifice
contraire les mesures bien déterminées des choses qui com- dépend de plusieurs facteurs que Vitruve résume dans les
posent l'édifice, ou encore les mesures qui correspondent derniers aspects de l'architecture: la convenance (decor)
aux distances entre ces choses et qui déterminent leur et la distribution.
place. La convenance correspond à peu près à ce que nous
Ainsi, lorsqu'on perce une porte, on détermine sa hauteur appellerions le style d'un édifice; la distribution, à son
en rapport avec celle du mur où elle se trouve; on ne caractère fonctionnel et pratique.
détermine pas positivement la hauteur du mur au-dessus La convenance exige "l'aspect sans défauts de l'édifice
de la porte. De même, on ne détermine pas directement (emendatus operis aspectus)" et pose, de ce fait, l'obligation
la mesure du vide qui sépare deux colonnes, mais l'épaisseur de répondre à un certain idéal.
de celles-ci et la distance entre leurs emplacements res- Il faut que l'édifice soit construit avec "des éléments
pectifs. La largeur de l'espace qui sépare les colonnes n'est éprouvés et reçus (probatis rebus compositi)", en ce sens
pas autre chose que la différence entre ces deux mesures que rien ne peut être laissé à l'arbitraire ni introduit à titre
positives: la distance entre les deux centres d'emplacement, expérimental.
moms la demi-épaisseur de chacune des colonnes. C'est en vertu de cela que l'édifice acquiert son droit
Les n:esures appartiennent donc aux choses mêmes que de cité dans une société civilisée (cum auctoritate).
nous fmsons. Ces choses ne sont pas nécessairement des La distribution est tout entière d'ordre pratique. Il s'agit
éléments massifs, comme les murs ou les colonnes; elles. de tirer le meilleur parti des matériaux et de l'espace dis-
ponibles (copiarum locique commoda dispensatio).
1) La quantité continue est celle dont les parties sont liées, On voit très bien que la convenance et la distribution
comme le t,emps et le mouvement - dont la quantité continue
est succeSSIve - ou comme l'étendue - dont la quantité est sont deux corollaires de la disposition, tout comme la
permanente, (Littré) symétrie et l'eurythmie étaient corollaires de l'ordonnance.
,..

16 LE NOMBRE PLASTIQUE II,II II,14 PRÉLIMINAIRES 17


II. Dans cette magnifique synthèse de l'œuvre de étant connue en soi comme l'unité individuelle des choses
l'architecte, nous voyons chaque fois s'accoupler deux que nous comptons.
aspects dont l'un présente un caractère plus intellectuel Dans l'ordre artificiel de quantité, nous visons pourtant
que l'autre, qui serait, lui, d'ordre plus matériel. C'est ainsi l'étendue des choses et pas seulement leur quantité dis-
que se complètent, en tout premier lieu, l'ordonnance crète.
et la disposition. De même, leurs vassaux respectifs: la
symétrie et l'eurythmie - en tant que corollaires de l'or- 14. Dans l'ordre quantitatif artificiel qui nous occupe,
donnance; la convenance etla distribution - comme corol- c'est bien la grandeur des choses qui nous est connue, mais
laires de la disposition. seulement sous forme de relation avec une autre grandeur
Actuellement, il faut bien le dire, les mots: ordonnance, qui fait fonction d'unité. Il ne nous est pas donné ici une
rythme ou symétrie sont employés indifféremment pour unité absolue, comme pour le nombre abstrait. Nous ne
couvrir la notion appauvrie et très vague de "proportion", faisons qu'imiter cette unité absolue en considérant cer-
qui semble devoir relever uniquement de la sensibilité de taines grandeurs concrètes comme un tout indivisible
l'artiste. auquel nous attribuons le rôle d'unité.
Mais on ne peut mettre en doute que, pour le génie C'est par relation avec une grandeur de cette espèce que
antique, chacun de ces t ermes répondait à une notion très nous obtenons une certaine connaissance de la grandeur
précise. Il est incontestable que les anciens entendaient continue.
par "ordonnance" un ordre quantitatif d 'un genre tout
spécial que l'intelligence introduit artificiellement dans 15. Nous voyons donc naître ainsi un genre de nombre
l'ordre spatial de la nature et dont les objets architecto- tout nouveau dont la caractéristique est d'être en relation
niques sont appelés à devenir pour ainsi dire les avec la quantité discrète du nombre abstrait aussi bien
porteurs. qu'avec la continuité de l'étendue concrète. Nous l'appelons
"nombre plastique" .
12. Cet ordre artificiel de quantité dont s'occupe l'or-
donnance devra nécessairement se distinguer de l'ordre
quantitatif de la nature. Comme telle, en effet, la quantité
continue de l'étendue spatiale échappe à notre intelligence,
tandis que l'ordre artificiel de quantité, en tant qu'effet
de notre intelligence ordonnatrice, appartient de ce chef au
domaine d'appréciation de celle-ci.

13· D'autre part, cet ordre de quantité, qUOIque du


domaine de l'intelligence, est entièrement distinct du
nombre. Cette dernière quantité, c'est-à-dire la quantité
discrète du nombre abstrait, n'est que relation avecl'unité;
elle est par là pleinement connaissable, cette unité elle-même
3

III,4 STADE DE L'OBSERVATION 19


de discrimination de notre intelligence. Le fait est
d'expérience.

4. Remarquons que de cette façon nous n'avons pas


III donné de nom à des grandeurs concrètes mais plutôt à
des types de grandeur. C'est la seule voie qui nous permette
Un instrument de travail de nous faire quelque idée de la mesure des choses.
Dans l' échelle infinie des possibilités que nous offre la
1. En principe, nous pouvons définIT l'ordonnance nature, l'intelligence doit établir un ordre en y introduisant
comme étant un ordre quantitatif particulier que notre elle-même une distinction. Pour l'intelligence, la distinction
intelligence introduit dans l'étendue spatiale telle que nous minime qui existe entre les mesures concrètes n'a pas de
l'offre la n.ature et dont les objets architectoniques sont valeur, mais uniquement celle qu'elle y apporte en classant
pour ainsi dire les porteurs. les mesures selon différents types de grandeur.

2. Dans l'espace naturel qui nous entoure, se rencon- 5. En établissant cette nouvelle distinction d'où résul-
trent des grandeurs de toute sorte, depuis les plus grandes tent des types de grandeur successifs, l'intelligence introduit
jusqu'aux plus petites, et jamais il ne s'en trouve d'absolu- un genre de discrétion qui permet en quelque sorte de
ment identiques. Or, notre esprit est incapable de se compter les grandeurs continues comme s'il s'agissait de
rendre compte de ces variations infinies. C'est pourquoi la quantité discrète dont les parties ne sont pas liées (voir
nous estimons et d éclarons égales certaines mesures, même II, 8 Note).
lorsque concrètement elles diffèrent.
Un arbre, par exemple, ne porte pas deux feuilles de 6. Pour nous aider à comprendre cette manière spéciale
même grandeur; nous le savons à priori et nous pouvons de compter et pour nous familiariser avec ce nombre plas-
nous en convaincre en les posant l'une sur l'autre. Mais tique qui constitue la base même de l'ordonnance arclli-
il nous est impossible d 'apprécier intellectuellement cette tectonique, je propose un instrument qui ressemble assez
diversité infinie. Elle se présente à nous comme un tout bien à celui qu'utilisaient les Romains pour leurs calculs
amorphe dont l'ordre nous échappe. et dont on voit encore se servir les Arabes et les Chinois.
Cette table à calculer, appelée "abaque" (abacus), leur
3. Nous pouvons toutefois distinguer parmi les feuilles servait à représenter le nombre discret ').
d'un arbre les grandes et les petites, en plus de celles qui
sont de dünension normale. Si elles présentent entre elles 7. Dans une tablette en bois ou en métal (fig. 1) munie
un très grand écart, nous pourrons encore distinguer des d'un cadre, se trouvent deux rangées de rainures: huit
feuilles plutôt grandes et d'autres assez petites. On pourra rainures inférieures auxquelles correspondent huit rainures
même aller jusqu'à mettre à part les extrêmes, les
toutes grandes et les toutes petites, mais pratiquement 1) Daremberg & Saglio, Dictionnaire des Antiquités, Paris: 1877.
ces sept types de grandeur épuiseront les possibilités tome l, pp. 2 ct 430.

1

Il

20 LE NOMBRE PLASTIQUE III,7 III,8 STADE DE L'OBSERVATION 2r

supérieures, plus courtes. Quatre jetons ou billes glissent divisaient pas l'unité en dix mais en douze, ce qui nécessite
dans chacune des rainures inférieures, la huitième exceptée par conséquent, ici, cinq billes au lieu de quatre.
qui a une bille de plus; il n'y a qu'une seule bille dans
chacune des rainures supérieures. 8. L'abaque que nous proposons pour J'étude du nombre
On voit tout de suite que cet abaque est dressé en fonc- plastique est beaucoup plus compliqué que la table à
tion du système décimal; d'ailleurs les sigles gravés entre calculer des anciens. Il lui ressemble pourtant et il a une
la double rangée de rainures le confirment. fonction analogue à remplir.
Le sigle l indique les unités, X les dizaines, C les cen- Sur J'ancien abaque, qui servait à la quantité discrète,
taines, etc., tandis que 0 marque les parties de J'unité. cette quantité était représentée par des billes. Puisque pour
nous la quantité à mesurer est plutôt continue, elle sera
fig. l
représentée dans notre abaque par des bâtonnets. Alors
que les billes valaient par leur nombre, les bâtonnets vau-
dront par leur grandeur.
Il ne nous était pas difficile de découvrir le secret de
J'abaque romain; connaissant le système décimal, nous
131 (((1))) (1)) (1) c x o
pouvions passer tout de suite à J'utilisation de J'instrument.
Mais, étant donné que nous sommes précisément à la
recherche du nombre plastique, nOliS devons nous contenter
pour J'instant d'une description matérielle de ce qui com-
pose cet abaque nouveau. Par la suite, J'abaque lui-même
nous apprendra, à J'usage, les secrets du nombre plastique 1).

Les nombres s'inscrivent en déplaçant les billes vers le g. Notre abaque se compose d'une boîte (fig. 2), munie
milieu de J'abaque. Pour marquer r, on pousse vers le haut de vingt casiers qui contiennent des bâtonnets cylindriques,
une bille de la longue rainure munie du sigle l , deux billes et d'un couvercle dont l'intérieur présente sur toute sa
pour marquer 2, etc. Pour marquer S, on déplace vers le surface une série de rainures.
bas la seule bille de la petite rainure l et on ramène les Les bâtonnets qui remplissent cette boîte sont tous de
quatre billes de la longue rainure à leur place de départ. longueur différente. Le plus petit mesure environ r/so du
Pour marquer 6, on remonte à nouveau une bille dans la plus grand; il se réduit en somme à un petit disque.
longue rainure en laissant avancée celle de la petite rainure. A partir du plus grand, les bâtonnets diminuent chaque
Le nombre 10 met en action les billes des rainures munies Lois ù'environ r/50 l'ar rappurt au précéùent, jusqu'à ce
du sigle X; ces deux paires de rainures permettent donc qu'on obtienne r/7 du plus grand. Après, ils diminuent
de compter jusqu'à roo. A J'aide des rainures suivantes, chaque fois d'environ r/7, jusqu'à ce qu'on obtienne r/so
on peut compter jusqu'à ro.ooo.ooo. du bâtonnet le plus long.
Quant aux rainures marquées 0 et qui servent à indiquer 1) A la leçon XI, nO l 2 - 5, nous serons en mesure de donner de
les parties de J'unité, il faut noter que les Anciens ne cet instrument une explication complète .
22 LE NOMBRE PLASTIQUE III,9 III, 10 STADE DE L'OBSERVATION 23
La répartition des bâtonnets dans les vingt casiers est Chaque bâtonnet est muni d'un signe pour permettre de
faite de la manière suivante. repérer sa longueur. Ces signes se différencient selon leur
Casier n° l : Huit bâtonnets qui, comme on le verra forme et selon leur couleur. Il y a deux formes: le point et
plus loin, constituent un ensemble. Ils diminuent progres- le cercle, et il y a sept couleurs: les six couleurs de l'arc
sivement chacun d'environ 1/4 par rapport au précédent. en ciel et le noir.
Casier n' 2 : Encore huit bâtonnets qui forment égale- Les bâtonnets du casier n' l portent tous, aux deux
ment un ensemble. Leurs longueurs se situent chaque fois bouts, un point noir, ceux du casier n° 2, un cercle noir;
entre les huit bâtonnets du casier n' I. ceux du casier n° 3, jusqu'au casier n° 17 inclus, portent,
Suivent alors quinze casiers contenant des bâtonnets de dans chaque casier, alternativement un point ou un cercle
fig.2 dont la couleur varie pour chacune des six pièces de chaque
c-
r-
r-
B', ::j B r-
20
casier. Ces couleurs sont, selon l'ordre décroissant des pièces:
rouge, orange, j aune, vert, bleu et violet.

~gEl[]LJD
r-
Dans les casiers pairs, dont les bâtonnets sont marqués
d'un cercle, le violet manque. Mais, chaque fois y est ajouté
pourtant un sixième bâtonnet, muni du cercle noir et

u~DDD~
pareil à ceux du casier n° 2. Ces doubles aussi paraîtront
nécessaires à l'usage.
Les bâtonnets des casiers nO' 18 et 19 portent respective-
, 2 3
'-- '-- '---
4 ment le point et le cercle noirs, comme les bâtonnets des
'---
casiers noS l et 2.
Les hors-série du dernier casier n' 20 portent tous le
grandeur toujours décroissante par cinquantièmes: au point noir, parce qu'ils doublent les bâtonnets du casier
casier n' 3, six bâtonnets qui se situent entre le plus long n° I.
du casier il l et le plus long du casier il 0 z; au casier il 4,
0 0

cinq bâtonnets qui se situent entre le plus long du casier 10. L'usage de cet abaqne est multiple.
nO 2 et le second bâtonnet du casier n° 1. Et ainsi de suite, Il permet, en premier lieu, d'induire à partir du concret
jusqu'au casier n° 17 inclus. la notion même du nombre plastique, ensuite, de préciser
Dans chacun des casiers plus étroits, nO' 18 et 19, se celui-ci et d'en acquérir l'intelligence complète; enfin, il
trouvent deux séries de bâtonnets qui diminuent en lon- servira à la mise en œuvre de ce nombre par l'ordonnance
gueur d'environ 1/4 comme ceux des casiers nOS l et 2, architectonique.
mais ils n'ont que 1/7 de la longueur de ceux-ci. Pour l'ordre complet de notre exposé, nous accorderons,
Dans le dernier casier n' 20, se trouvent des doubles en plus, une étape à la réflexion - avant de passer à
dont on verra l'utilité â l'usage. l'intelligence du nombre plastique - et une autre étape à
Les rainures du couvercle sont destinées a recevoir les l'exercice - pour préluder à sa mise en œuvre par l'archi-
bâtonnets l'un â côté de l'autre, afin de pouvoir en appré- tecture.
cier les rapports mutuels. Notre étude comportera donc cinq stades.

24 LE NOMBRE PLASTIQUE III, II III,13 STADE DE L'OBSERVATION 25


1. Le stade expérimental de l'observation. Notre attention va se porter tout d'abord sur la nouvelle
2. Le stade de la réflexion. distinction que notre intelligence doit introduire dans cette
3. Le stade de la connaissance. série, en vue de l'ordre quantitatif particulier qu'elle
4. Le stade de l'exercice. recherche (voir III, 1 et 4).
5· Le stade de la mise en œuvre. En effet, tant que nous estimons et déclarons des
grandeurs identiques, il ne peut pas encore être ques-
A chacune de ces étapes, l'utilisation de l'abaque ôtera
tion d'ordonner. Toute ordonnance commence par une
jusqu'à l'apparence de l'arbitraire qui est le danger des
certaine distinction. Pour l'œil, cette distinction était à
calculs lorsqu'ils perdent contact avec le donné concret.
peu près de 1/50, mais la distinction formelle par laquelle
Cet ordre concret sera représenté par les bâtonnets de
nous pouvons reconnaitre les grandeurs et leur donner
l'abaque.
pour ainsi dire un nom, est beaucoup plus grande.
STADE DE L'OBSERVATION
13. En mélangeant les bâtonnets sur une table, nous
II .La série complète des bâtonnets suffit à représenter voyons bien qu'aucun n'a matériellement la même gran-
l'infinie diversité des grandeurs de l'ordre concret que nous deur; exactement comme nous l'avons constaté pour les
offre la nature. On pourra donc, en se laissant guider par feuilles d'un arbre. Mais le discernement de notre intelli-
ces témoins, se rendre compte de la manière dont notre gen ce ne va pas si loin. En effet, nous déclarons égaux des
intelligence réagit devant la série continue de ces possibilités groupes entiers de bâtonnets parce que, dans un certain
de grandeur de l'ordre concret. sens, ils sont "de la même grandeur". Cette grandeur n'est
Notre série, il est vrai, n'est pas parfaitement continue; plus maintenant la grandeur de tel ou tel bâtonnet; c'est
il faudrait pour cela un nombre infini de bâtonnets. Mais une grandeur que nous nous sommes d'abord représentée et
ceux-ci diffèrent chaque fois d'environ 1/50 de longueur; à laquelle ensuite nous faisons correspondre telle ou telle
c'est pratiquement la deruière différence appréciable par grandeur concrète. Nous ne parlons plus, ainsi, de "la
l'œil. On peut s'en rendre compte en comparant à vue deux grandeur d'un bâtonnet" mais, d'un "bâtonnet de telle
bâtonnets de grandeur successive; leur différence ne s'aper- grandeur" .
çoit guère, alors qu'une différence de 1/25 saute aux yeux C'est d'après ce type de grandeur que nous pourrons
immédiatement. Il est, pour la même raison, très difficile grouper plusieurs bât onnets pris dans le tas. Ils auront
de partager un segment en deux, à la simple vue, à plus tous, alors, cette même grandeur typique, c'est-à-dire que
de 1/50 près. leur grandeur concrète répondra au type dont nous nous
sommes fait une idée.
12. Si donc nous prenons tous les bâtonnets des casiers Il n'est pas difficile de classer ainsi tous les bâtonnets
nOS 3 à 16 inclusivement et, en plus, ceux du casier n° l, en un certain nombre de groupes, selon leur grandeur typi-
nous obtenons comme une portion de la série continue et que. A l'intérieur de chacun de ces groupes, tous les bâton-
infinie des grandeurs naturelles, qui nous permettra nets seront donc dits de même grandeur et, du même coup,
d'acquérir les expériences nécessaires. (Le plus petit bâton- nous aurons, pour la première fois, marqué une distinction
net correspond à peu près à r/7 du plus grand.) formelle entre les b âtonnets qui marquent le seuil de
26 LE NOMBRE PLASTIQUE III, 14
chaque groupe ou, ce qui revient au même, entre les ex-
trêmes d'un groupe.

14· En considérant les groupes de bâtonnets ainsi clas-


sés, on peut constater que les longueurs des extrêmes de
chaque groupe se trouvent dans un rapport constant.
IV
La série ·des grandeurs typiques que nous avons établie
Types et ordres de grandeur
forme donc une progression géométrique '}.
1. Nous avons commencé par introduire parmi les
15· Le rapport entre les termes successifs de cette
bâtonnets de l'abaque une distinction d'un genre nouveau
série étant toujours constant, c'est lui qui exprime la dis-
qui les groupait selon leur grandeur "typique". C'était une
tinction qu'introduit notre intelligence pour former la base
première expérience (voir III, 13).
de l'ordre quantitatif particulier que nous étudions.
Ensuite, nous avons constaté que les représentants ex-
Ce rapport minimal prend en quelque sorte, dans le
trêmes de chaque type offrent entre eux un rapport con-
monde des rapports, valeur d'unité. C'est en effet une
stant. Les grandeurs typiques se succèdent donc selon un
relation de termes entre lesquels pour la première fois il
rapport fixe, qui est le rapport fondamental de l'ordre
nous est possible d'établir une distinction formelle.
quantitatif particulier que nous cherchons. Deuxième ex-
périence (voir III, 14).
1) Progression se dit d'une suite de nombres ou de quantités Une troisième expérience nous permettra de constater
dérivant successivement les unes des autres selon une même loi.
La progression arithmétique ou progression par différence est que les types de grandeur sont nécessairement limités en
celle où la d(fjérence de chaque terme au terme précédent est nombre. En effet, si nous avons estimé et déclaré égaux
constante. tous les bâtonnets d'un type, c'est que nous avons considéré
La progression géométrique ou progression par quotient est celle
où le rapport de chaque terme au terme précédent est constant. comme négligeable, par rapport â ce type, la grandeur qui
Dans le premier cas, la progression marche par raison arith- correspond à la différence entre le plus grand et le plus
métique, dans le second cas, par raison géométrique. (Littré) petit représentant de ce type.
Par conséquent, s'il y avait dans la série de bâtonnets
tirée de l'abaque des bâtonnets plus petits que cette diffé-
rence, ils ne pourraient être pris en considération pour
être comparés avec des mesures de ce type. On peut dire
qu'cn regard de cc type ils n'existent pas.
C'est donc la différence entre les mesures extrêmes d'un
type qui détermine la plus petite mesure du plus petit
type qui soit encore comparable à ce type premier.

2. Le fait de "scander" la série continue des possibilités


que nous offre l'étendue naturelle pour les ramener à des
-

28 LE NOMBRE PLASTIQUE IV,3 IV, 5 STADE DE L'OBSERVATION 29


types de grandeur a donc eu pour conséquence de limiter 5. Le monde des formes naturelles, où les possibilités
en même temps la série à un nombre déterminé de types. de grandeur se succèdent de manière continue, peut être
Par rapport au plus grand type d'entre eux, il n'yen a pas considéré comme le cas limite d'une distinction qui se fait
de plus petit que le plus petit de la série. Vice versa, par de plus en plus petite. Les types de grandeur ont là une
rapport au plus petit de ces types, il n'en existe pas de plus étendue infinitésimale et s'y identifient à toutes les possi-
grand que le plus grand de la série. bilités de grandeur.
Seuls les types d'une série ainsi limitée peuvent être com- Il devrait s'ensuivre que l'ordre de grandeur s'y étend
parés entre eux. C'est pourquoi, nous dirons qu'ils appar- .au maximum. En effet, il n 'y a pas de raison de croire que
tiennent à un même ordre de grandeur. En dehors de cet la série des possibilités naturelles de grandeur doive être
ordre de grandeur, les types n'ont plus de relation entre limitée. Dans la nature, les mesures des choses peuvent
eux et il ne peut être question de rapport. indéfiniment diminuer ou croître.
3· En résumé, on peut donc poser:
6. Pour la quantité discrète du nombre, les choses se
a) A l'intérieur de chaque type de grandeur, nous esti-
présentent inversement. Cette forme de quantité est basée
mons et déclarons identiques toutes les mesures concrètes.
sur la distinction fondamentale entre l'unité et le double.
qui appartiennent à ce type; il ne peut donc pas encore
Deux est la quantité qui se distingue la première de
être question de rapport.
l'unité, selon une différence qui est égale à l'unité même.
b) A l'intérieur d'un ordre de grandeur, on peut comparer
Cette unité est en effet le plus petit quantum disponible
entre eux les types de grandeur; il Y a donc, ici, matière à
rapport. pour distinguer deux de un.
Si nous voulions parler ici d'un type de grandeur, il nous
c) En dehors de cet ordre de grandeur, il n'y a plus
faudrait donc considérer un et deux comme les extrêmes
aucune relation entre les types; tout rapport devient donc
impossible. d'un même type, parce que deux est la plus petite quantité
qui puisse se distinguer de l'un.
4· Les limites d'un ordre de grandeur sont donc déter- Comme cette distinction entre les deux extrêmes d'un
minées par le fait que la différence entre les termes ex- type devrait en même temps déterminer le plus petit
trêmes du plus grand type de cet ordre est égale au plus quantum appartenant encore au même ordre de grandeur,
petit terme du plus petit type du même ordre (voir IV, I). les nombres un et deux ne sont donc pas seulement les
Puisque les grandeurs typiques se succèdent selon une extrêmes d'un type mais, en plus, ils épuisent un ordre de
progression géométrique, on peut dire que, plus grande grandeur. Ici, le type est, dès lors, unique dans son ordre
est la distinction que notre esprit introduit entre les types et il s'identifie à lui.
successifs, plus réduit sera le nombre de types appartenant
à un même ordre de grandeur. Inversement, le nombre 7. La quantité continue de l'étendue naturelle nous
de types augmente à mesure que diminue la distinction offre donc un type de grandeur d'extension infinitésimale
entre les types. et un ordre de grandeur d'extension illimitée. Ces deux
L'étendue d'un type de grandeur est donc en raison extensions s'écartent infiniment l'une de l'autre.
inverse de celle de l'ordre de grandeur auquel il appartient. La quantité discrète du nombre, au contraire, nous offre
-

30 LE NOMBRE PLASTIQUE IV, 8 IV, 12 STADE DE L'OBSERVATION 31


le cas d'un type qui s'étend au maximum et d'un ordre plutôt de la taille du pIns petit représentant de ce type,
dont l'extension se réduit au minimum. Les deux notions l'autre moitié, de la taille du plus grand.
de type et d'ordre s'y confondent. Ainsi, nous pouvons indiquer, entre les deux extrêmes
d'un groupe, un milieu où les deux parties du groupe pas-
8. Le nombre plastique se trouve exactement entre sent de l'une à l'autre.
ces deux extrêmes . Il se distingue, d'nne part, de la quan- Les bâtonnets du casier nO 2 fournissent ces "milieux"
tité continue par le fait que ses types ont une certaine de chacun des types dont nous trouvons les extrêmes dans
extension et que son ordre de grandenr n'est pas illimité; le casier n° 1. La distribution des bâtonnets dans les casiers
il se distingue, d'autre part, de la quantité discrète parce nO' 3 à 17 de l'abaque est faite selon ces demi-types de
que, dans un même ordre, il y a place ponr plnsieurs types grandeur.
de grandeur (voir II, 12 et 13).
12. Nous venons donc d'introduire, après coup, une
g. Le caractère de ce nombre plastiqne sera d 'autant nouvelle distinction, plus petite, sous forme de demi-type.
plus abstrait que ses types auront plus d'extension et Ce qui ne veut pas dire que nous réduisions par là la dis-
d'autant plus concret qn'un ordre de grandenr contiendra tinction proprement typique. Nous notons simplement un
davantage de types. milieu, une demi-mesure qui, dès lors, peut être prise en
considération ponr déterminer la plus petite mesnre du
10. Lorsqu'on a acquis une certaine expérience dans le plus petit type contenu dans l'ordre de grandenr (voir IV, 4).
triage des bâtonnets de l'abaqne, il semble que ceux-ci se Par conséquent, sans diminuer la distinction proprement
gronpent spontanément selon des types de grandenr qui se typique, l'ordre de grandeur pourra néanmoins s'accroître
succèdent dans nn rapport d'environ trois à quatre. (C'est de quelques types. La plus petite mesure du plus petit
selon ce rapport que s'alignent les bâtonnets contenus type pourra maintenant correspondre à la différence entre
dans les casiers nO' l et 2 de l'abaque.) la plus grande mesure du plus grand type et la mesure qui
L'ordre de grandenr se trouve ainsi limité à cinq types apparaît au milieu de ce type.
enVIron.
I3. La cinquième et dernière expérience à faire dans ce
II. On peut faire encore une quatrième expenence. stade de l'observation consiste à remarquer que le plus
Chaque groupe de bâtonnets que nons avons constitué en petit représentant d 'un type est chaque fois identique au
réunissant des pièces selon un même type de grandeur, plus grand représentant du type de grandeur inférieur qui
peut encore, après coup, être partagé en deux. Ce n'est suit. Cette mesure appartient donc à la fois à deux types
pas là de l'arbitraire, car nous pouvons rapporter les de grandenr: au type supérieur dont elle est la plus petite
bâtonnets qui appartiennent à un même type, soit au plus mesnre et au type inférieur dont elle est la plus grande
court, soit au plus long bâtonnet de ce type. mesure. Il en résulte qu'il existe un lien particulier entre
En continuant de déclarer également longs tons les bâ- deux types consécutifs. Un type de grandenr ne diffère
tonnets d'un groupe qui forment un type de grandeur, donc pas d'un type suivant autant qu'il diffère des autres
nous admettrons toutefois que la moitié de cenx-ci sont types d'un même ordre.
32 LE NOMBRE PLASTIQUE IV, 14 IV, Rés. STADE DE L'OBSERVATION 33
Tous les types qui appartiennent à un ordre peuvent
que nous offre la nature, l'intelligence introduit une dis-
être comparés entre eux, mais i! existe chaque fois une
tinction formelle en faisant appartenir les mesures qui se
parenté spéciale entre deux types consécutifs.
succèdent de manière continue à des types de grandeur
Il est donc question, en seconde instance, non seulement
nettement distincts (voir III, I3).
de demi-types, mais aussi de doltble-types.
Ce groupement des types deux par deux va donc, d'une b} Les mesures extrêmes de chaque type de grandeur se
certaine manière, restreindre l'extension de l'ordre de trouvent dans un rapport constant. Les grandeurs typiques
grandeur. Le nombre de types contenus dans celui-ci serait forment donc une progression géométrique (voir III, I4) .
dès lors déterminé par l'identité de grandeur entre la plus c} La répartition en types de grandeur de la série con-
petite mesure du plus petit type et la différence entre la tinue et illimitée des possibilités naturelles restrein t ipso
plus grande mesure du plus grand type et la plus petite facto l'étendue de cette série à un ordre de grandeur déter-
mesure du type suivant. miné (voir IV, 2).
d} Type et ordre de grandeur sont, quant à leur extension,
14- Nous devons donc atténuer quelque peu les conclu-
en raison inverse (voir IV, 4).
sions du § 3 de cette leçon. Nous y avons dit qu'en dehors
d'un ordre de grandeur, les types de grandeur n'ont aucune e} Les types de grandeur peuvent être scindés en demi-
relation entre eux. Mais, grâce aux demi-types, i! y a pour- types; ce qui étend quelque peu l'ordre de grandeur (voir
tant quelque possibilité de relation en dehors de cet ordre. IV, II). Les types de grandeur peuvent, de plus, être
De même, nous devons dire qu'à l'intérieur de cet ordre, associés deux à deux pour former chaque fois des double-
i! y a un certain groupe de types qui ont une relation plus types; ce qui restreint quelque peu l'ordre de grandeur
étroite entre eux et qui, comme nous le verrons, forment (voir IV, I3).
en quelque sorte le noyau du nombre plastique (voir XI, 9) .

15· Le rapport entre les extrêmes d'un demi-type fera


plus appel aux sens, parce qu'i! se rapproche davantage
des rapports qui existent entre les mesures naturelles, les-
quelles se suivent avec continuité.
Au contraire, le rapport entre les extrêmes d'un double-
type fera plus appel à l'intervention consciente de l'intelli-
gence, parce que, par son écart plus grand, il se rapproche
davantage du "double" qui est à la base du nombre ab-
strait (voir IV, 7 et S).

Résltmé dt< premier stade


a} Dans l'échelle continue des possibilités de grandeur

4
+

V,3 STADE DE LA RÉFLEXION 35


quantitatif de l'étendue concrèt e et celui du nombre
abstrait. C'est pour cela que le nombre plastique se joue
entre la quantité continue de l'étendue concrète et la
quantité discrèt e du nombre abstrait (voir II, 15 et IV, 8).
v Nous pouvons donc aussi bien arriver à l'établir par
réflexion, en partant de l'ordre abstrait du nombre, au
Propriétés de la grandeur architectonique lieu de partir, comme nous l'avons fait jusqu'ici, de l'ordre
concret de l'étendue continue.
I. Au premier stade de cette étude, nous avons essayé Le nombre abstrait est purement intellectuel et, à cause
de prendre conscience du nombre plastique en partant de de cela même, universel. Deux fois deux égalent quatre;
l'ordre concret de l'étendue continue. cet "égalent" n'admet pas de r éserve.
Guidés par nos seules facultés sensorielles, nous avons En mettant le nombre plastique en relation logique avec
expérimenté qu'il y avait lieu d'opérer une classification le nombre abstrait, nous obtiendrons la garantie de valeur
dans la série continue et sans limites des possibilités de universelle, dont il est susceptible.
grandeur que présente l'étendue naturelle. En y distinguant Et si ces deux méthodes, celle de l'observation et celle
des t ypes, groupés ensuite en ordres de grandeur, nous de la réflexion, nous conduisent aux mêmes résultats, nous
avons posé les bases mêmes d'une ordonnance. aurons tout lieu de croire que nous sommes vraiment en
De ce fait, l'étendue spatiale devenait susceptible d'une possession du nombre plastique.
appréciation intellectuelle; appréciation qui appartient
toutefois au domaine du particulier. Car la répartition des STADE DE LA RÉFLEXION
bâtonnets à laquelle nous avons eu recours pour fixer notre
première expérience, repose uniquement sur un procédé 3· La quantité comme t elle n 'est connaissable que par
subjectif. Nous n'y trouvons par conséquent aucune le nombre. Le nombre à son tour nous est connu par
garantie pour accorder au rapport fondamental que nous l'uuité. Chaque nombre en effet exprime une relation avec
avions découvert ainsi, une valeur universelle. l'unité, cette uuité elle-même étant connue en soi (voir II,
Que si d'autres, renouvelant cette expérience, arrivent 8 et 13).
à des résultats identiques, nous aurons le droit de conclure
avec plus de certitude déjà. Mais le critère objectif ne nouS 4. Pour la quantité discrète du nombre, l'uuité est
sera fourni que par une méthode inverse. En effet, le rapport absolue et relève de la nature même de ce nombre, car à
fondamental selon lequel se succèdent les grandeurs typi- la base de celui-ci, se trouve l'unité individuelle des choses
ques n'aura de valeur universelle que lorsque, pour l'établir, que nous comptons. L'uuité du nombre abstrait est donc
nous aurons choisi un point de départ , lui-même de valeur la plus précise, étant donné qn'elle est posée comme indi-
universelle. visible absolu.

2. L'ordre artificiel de la quantité que vise l'ordonnance 5· Pour la quantité continue de l'étendue, la nature
architectouique t ient le milieu, disions-nous, entre l'ordre des choses ne nous fournit pas d'unité exacte. Celle-ci

LE NOMBRE PLASTIQUE V,6 V,9 STADE DE LA RÉFLEXION 37


devrait être la plus petite partie indivisible en soi. Or, quantité, alors que l'unité de la quantité continue est insti-
l'étendue concrèt e est divisible à l'infini. Comme telle, elle tuée artificiellement et n'a qu'une valeur relative, ces deux
ne peut donc pas s'exprimer par le nombre et c'est pour sortes de quantité s'exp riment pourtant par le même
cela qu' elle demeure inaccessible à notre intelligence nombre abstrait.
(voir II, 12). Nous disons en effet que, dans tel cas, une longueur est
6. Nous avons v u pourtant que nous pouvons connaître de six, parce qn'elle se rapporte à la mesure de base (par
la grandeur concrèt e d'une manière relative, à condition exemple le pied) comme le nombre six se rapporte à l'unité.
de la soumettre à une certaine ordonnance où se distinguent
des types et d es ordres de grandeur. Chaque ordre d e 9· Examinons maintenant ce nombre abstrait qui sert
grandeur possède alors dans son plus petit type une sorte à exprimer les deux sortes de quantité. Il va devenir en
d'unité, parce que, dans cet ordre, ce type représente la effet, à ce stade de notre étude, le point de départ de la
recherche du nombre plastique.
plus petite grandeur possible (voir IV, 2). Chacun des
types de cet ordre peut donc être exprimé en relation avec Un nombre, c'est-à-dire un certain nombre de choses,
ce plus petit type. Faisant fonction d'unité, c'est lui qui exprime, nous l'avons dit, une relation déterminée avec
l'unité.
donne à cette relation le caractère précis du nombre.
Or, la condition première pour qu'il puisse être question
7. Mais la grandeur de ce plus petit type peut une de relation, c'est que la quantité à mesurer se distingue
nouvelle fois être exprimée par un nombre, si nous le de l'unité. Sans distinction, aucune relation n'est possible.
considérons comme le plus grand type d'un ordre inférieur.
Celui-ci possède à son tour son plus petit type qui fera IO. Pour qu 'un nombre se distingue de l'unité, il faut
fonction d'unité. que sa différ ence avec l'unité ait au moins la valeur de
Nous imitons ainsi, d'une manière relative, dans la cette unité m ême ; car l'unité est le plus petit quantum
quantité continue, l'unité absolue qui est à la base de la disponible pour ét ablir cette distinction (voir IV, 6).
quautité discrète . Chaque unité ne vaut alors que pour des Le premier nombre qui se distingue de l'unité s'obtient
quantités qui ne dépassent pas un maximum donné. Ce donc en ajoutant l'unité à elle-même; nous disons: deux.
maximum est à cette unité ce que cette unité, considérée Ce vocable exprime alors la relation de ce nombre avec
à son t our comme quantité, est à une unité plus petite l'unité, c'est-à-dire le double.
qui lui sert de base à elle-même. Ce double constitue donc le rapport fondamental du
Cette manière graduelle et hiérarchique de mesurer est nombre abstrait ').
tout il fait coniorme à la pratique, où chaque sorte cie
grandeur a son unité de mesure propre. (Exemple: La II . Puisque nous avons affirmé que le nombre abstrait
distance sur route est exprimée en kilomètres; un tissu se s'applique aussi bien à la quantité continue qu'à la quantité
vend au mètre, etc. Voir l, 7).
1) Nous pouvons dire qu e la différence avec l'u nité constitue
8. Bien que l'unité qui est à la base de la quantité l'élément matériel du nombre, tandis que sa relation avec l'unité
discrète soit absolue et relève de la nature même de cette en e;;t~lutôt l'élément .formel Par la différence, le nombre s'éloigne
de 1 umté; par la relatlOll, il y revient.
..

LE NOMBRE PLASTIQUE V,12 V,13 STADE DE LA RÉFLEXION 39


discrète (voir V, 8), il devrait s'ensuivre que, lorsqu'il 13. Dans la nature, les choses s'étendent de mauière
s'agit de mesurer des longueurs, la grandeur qui se dis- continue, dans toutes les directions. Elles peuvent non
tingue la première de l'unité de longueur est deux fois seulement avoir toutes les mesures possibles, mais encore
plus grande que cette uuité. des mesures différentes dans toutes les directions possibles.
Mais ceci ne correspond pas à notre expérience du
premier stade. Nous avons alors, en effet, réparti les 14· Pas plus que nous ne pouvons distinguer toutes les
bâtonnets de telle manière que, dans chaque groupe, le possibilités de grandeur que nous offre l'étendue naturelle
plus grand valait les 4/3 du plus petit et non pas le double (voir III, 2), nous ne pouvons nous rendre compte de toutes
(voir IV, lO). les directions possibles. Ici également, il nous faut faire
La raison de cette différence est que "mesurer" ne peut entre elles une répartition et grouper les directions en
s'identifier avec "compter" que lorsque les grandeurs hauteur, en longueur et en largeur. Le vocabulaire ne
continues sont mesurées au moyen d'une unité corres- contient d'ailleurs pas de termes pour indiquer d'autres
pondante; par exemple, lorsque nous mesurons des lon- directions.
gueurs au moyen d'une unité de longueur, des volumes au En outre, nous pouvons, lorsqu'il s'agit de la largeur,
moyen d'une unité de capacité. Il s'agit alors d'une relation distinguer encore une double direction: à gaucbe et à droite.
simPle et uuique avec l'unité, exactement comme dans le C'est là une possibilité analogue à celle qui nous per-
cas de la quantité discrète. Chaque nombre abstrait n'ex- mettait de distinguer des demi-types au cœur même des
prime qu'une seule relation avec l'unité. types de grandeur (voir IV, II). Mais notre discernement
Or, ceci n'est pas le cas en architectouique dont l'exi- ne va pas plus loin.
gence est d'une nature toute particulière. Par analogie avec les double-types de grandeur, nous
avons ici une même tendance à grouper par paires des
12. L'étendue, en architecture, est d'ordre plastique. directions apparentées (voir IV, 13). C'est que, dans les
Il y est toujours question d'espace et de paroi massive relations réciproques des trois dimensions, nous pouvons
(voir l, 14). Seulement, la grandeur de ces éléments considérer ensemble, soit la hauteur et la largeur par
spatiaux ne se mesure pas au moyen d'une unité de capa- rapport à la longueur, soit la longueur et la largeur par
cité mais d'une unité linéaire. rapport à la hauteur.
La "grandeur" dont il s'agit en architecture ne répond Cette répartition artificielle des possibilités de direction
ni à une mesure de capacité ni à une mesure de surface; est entièrement basée sur la disposition physique de notre
c'est la grandeur d'une donnée spatiale mesurée dans plu- corps et en particulier sur la disposition de nos sens.
sieurs directions distinctes, selon une unité de longueur. Nous pouvons donc attribuer à cette distinction entre
Connaître le contenu d'un espace ou d'une masse, et hauteur, longueur et largeur une valeur quasi-universelle
l'exprimer en mesures de capacité n'intéresse pas direc- (voir V, l et 2).
tement l'architecte. Seules l'intéressent, du point de vue Toutes les choses en volume sont donc en même temps
de l'ordonnance architectonique, les longueurs, les hauteurs hautes, longues et larges et, comme telles, elles soutiennent
et les largeurs, exprimées dans leur relation avec l'unité une triple relation avec l'unité de grandeur, qui est linéaire.
linéaire. Elles ont donc toujours trois mesures linéaires qui, quoique
oz;

40 LE NOMBRE PLASTIQUE V, I5
distinctes, sont inséparables parce que, ensemble, elles ex-
priment la grandeur d'un seul objet.
La relation avec l'unité linéaire, au moyen de laquelle
s'exprime la grandeur de volume en architecture, est donc
triPle. VI

I5. Le nombre plastique, qui tient compte de cette Détermination du rapport fondamental
manière spécifiquement architectonique d'apprécier l'ex-
tension spatiale, se distingue donc du nombre abstrait de I. La grandeur d'un objet architectonique présente,
deux manières. nous l'avons dit (voir V, I2), plusieurs relations avec l'unité
D'abord, son nnité n'est pas absolue ni fournie par la linéaire. II en résulte que la grandeur architectonique ne
nature même de ce nombre; elle est relative et établie de peut plus s'exprimer au moyen du nombre abstrait.
manière artificielle. Pour se faire une idée exacte de cette grandeur archi-
Ensnite, la relation avec l'unité, qu'exprime le nombre tectonique, qui est en quelque sorte la résultante de plu-
plastique, n'est pas simple mais triple. sieurs mesures concrètes, il faut se reporter aux observations
II apparaîtra dans la suite que, du fait de cette triple expérimentales du premier stade (voir III, I3).
relation, nous serons amenés à distinguer de l'unité un Nous avons alors déclaré égales tout un groupe de
quantum plus petit que celui qu'exprime le double. Nous mesures qui, malgré leur différence matérielle, appar-
rejoindrons ainsi l'expérience du premier stade. tenaient toutes à un même type de grandeur. Ce type de
grandeur n'était pas une mesure concrète, mais une
grandeur que nous nous étions représentée et à laquelle
répondaient toute une série de mesures concrètes.
C'est ainsi que l'objet architectonique peut avoir
plusieurs mesures qui appartiennent pourtant à un même
type de grandeur. La grandeur d' un tel objet pourra donc,
malgré la multiplicité de ses mesures concrètes, s'exprimer
par un seul type de grandeur.
Parler de grandeur unique comportant Plusieurs relations
avec l'unité n'est donc admissible qu'à condition d'entendre
par là, non pas une grandeur concrète, mais une grandeur
typique.

2. II peut se faire que les mesures d'un objet archi-


tectonique appartiennent non pas à un seul mais à
plusieurs types qui entrent cependant dans un même ordre
de grandeur (voir IV, 2). Dans ce cas, nous ne pourrons
r

42 LE NOMBRE PLASTIQUE VI,3 VI,6 STADE DE LA RÉFLEXION 43


indiquer de cet objet que l'ordre de grandeur. Il en sera architectonique ne coïncide pas avec l'unité, comme c'est
ainsi, par exemple, d'une colonne pour laquelle il est le cas pour le nombre abstrait, dont l'unité s'identifie avec
essentiel que sa largeur et sa longueur n'appartiennent pas le quantum minimal.
au même type de grandeur. En architecture, il faut se représenter ce quantum mini-
mal comme le plus petit type qui sera déterminé, d'une
3·Que si ces mesures concrètes n'appartiennent même part, par l'unité linéaire et, d'autre part, par la mesure
pas au même ordre de grandeur, lorsque par conséquent que l'on peut distinguer la première de cette unité.
elles n'ont plus de rapport entre elles, l'objet cessera d'avoir Si nous juxtaposons les biUonnets de l'abaque selon leur
valeur architectonique proprement dite. Sans doute sub- grandeur progressive, la plus petite grandeur architectoni-
sisteront encore une ou deux relations avec l'unité, mais que ne sera pas représentée par le plus petit bâtonnet mais
celles-ci ne sont pas suffisantes pour conférer à l'objet le par tout un groupe des plus petits bâtonnets (fig. 3).
caractère plastique ou spatial que requiert l'ordonnance
architectonique proprement dite. 6. Si nous nous demandons maintenant quelle grandeur
architectonique peut être distinguée la première de cette
4· La plus petite grandeur architectonique sera toujours grandeur minimale et, ensuite, quel est le rapport entre
définie par un type et non par un ordre de grandeur. Car ces deux grandeurs, nous aurons trouvé la base du nombre
toutes les mesures de ce quantum minimal devront pouvoir
être dites égales à l'unité linéaire. Avec cette unité, elles fig. 4
appartiennent donc à un seul et même type de grand"ur.

5. S'il est vrai que la plus petite grandeur architecto-


nique est définie par un type de grandeur, et que, d'autre

fig. 3

typ e A
type B

quantum minimal
plastique, comme nous avions trouvé le double â la base
du nombre abstrait (voir V, 9 et 10).
Il est évident que cette première grandeur à distinguer
de la grandeur minimale sera déterminée par le type de
grandeur suivant.
part, l'unité en architecture répond à une grandeur liné- En effet, le type B de la figure 4 ne peut pas se distinguer
aire concrète, il faut en conclure que la plus petite grandeur du type A, tant que les termes correspondants des deux
44 LE NOMBRE PLASTIQUE VI,6 VI,7 STADE DE LA RÉFLEXION 45
types ne peuvent être distingués. Le plus petit terme progression géométrique, il y aura nécessairement dans
du type B doit être dit égal àson terme correspondant, c'est- chaque type un nombre égal de bâtonnets.
à-dire au plus petit terme du type A, puisque tous deux
appartiennent au même type A. Les deux types ne seront 7. Pour être en mesure de déterminer le rapport entre
distincts qu'à partir du moment où le plus petit terme de les deux types que nous venons de distinguer l'un de l'autre,
B ne pourra plus être dit égal au plus petit terme du type il faut que ceux-ci soient comparables. Cela revient à dire
A, c'est-à-dire lorsque le plus petit t erme du type B se que ces deux types doivent appartenir au même ordre de
sera identifié au plus grand terme du type A. grandeur. Nous savons en effet que la comparaison entre
les types n'est possible que dans les limites d'un ordre de
fig·5
grandeur (voir IV, 2 et 3).
Pour ce qui est du nombre plastique, tout ordre de gran-
deur devra donc comporter pour le moins deux t ypes.
C'est par là-même que le nombre plastique se distingue du
nombre abstrait, où un seul type épuise tout un ordre de
grandeur (voir IV, 6).

8. L'étendue d'un ordre de grandeur, c'est-à-dire le


nombre de types qu'il contient, dépend de l'étendue de
ces types mêmes, c'est-à-dire du rapport entre les termes
extrêmes de ceux-ci. Nous savons en effet que ces deux
étendues sont en raison inverse (voir IV, 4).
- ---- --
quantum minimal

."
E~

.~ ~
.....
-", .-:::
~~
premier quantum
il distinguer du
quantum minimal
Nous pouvons donc renverser cette proposition et dire
que la relation typique dépend du nombre de types con-
tenus dans un ordre de grandeur et que, ce nombre de types
étant donné, le rapport entre les termes extrêmes d'un
lJ type, c'est-à-dire le rapport fondamental, se trouve fixé
par le fait même.
Le premier quantum à distinguer du plus petit sera donc
représenté par le type suivant dont le plus petit terme 9. En admettant que l'ordre de grandeur contient deux
coïncide avec le plus grand terme du plus petit type, et dont types, le rapport fondamental pourra être indiqué, à l'aide
le plus grand terme est au plus petit ce que sont entre de l'abaque, de la façon suivante.
eux les deux termes extrêmes du plus petit type (fig. 5). On aligne une série continue de bâtonnets qui appartien-
Les types, en effet, sont en progression géométrique (voir nent à deux types de grandeur successifs, en supposant
III, 14). provisoirement que ces types sont basés sur le double du
P uisque, dans l'abaque, la grandeur des bHonnets eux- nombre discret (voir V, II). Le plus petit t ype ira donc de
mêmes croît, tout comme les types de grandeur, selon une l'unité au double et le suivant, du double au quadruple.
LE NOMBRE PLASTIQUE VI, 10 STADE DE LA RÉFLEXION 47
Pour que ces deux types forment ensemble un seul ordre du type supérieur y apparaît comme le double de l'unité
de grandeur, il faut que la différence entre les termes ex- (fig. 6).
trêmes du type supérieur soit égale au plus petit terme du Nous devons, par conséquent, tout en gardant la pro-
gression géométrique des termes, diminuer l'étendue des
fig. 6 deux types jusqu'à ce que la différence entre les termes
extrêmes du type II égale l'unité (fig. 7) .
.o ~- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - -
""2
Pour sauvegarder la progression géométrique, il suffit de
0: donner à chaque t ype un nombre égal de bâtonnets, puis-
-Ii
-, que les bâtonnets eux-mêmes se succèdent selon cette pro-
1
~
gression (voir VI, 6).
~ - - - -- -- --

10. Ceci toutefois ne nous conduit pas encore au rapport


fondamental, parce qu'en réalité, la grandeur architec-
t onique ne s'exprime pas par un simple type de grandeur,
comme nous l'avions supposé au commencement de cette
leçon, mais par un double-type.
type Il
E n effet, ce n'est que la grandeur d'une surface et non pas
celle d 'un volume architectonique que l'on peut exprimer
par un simple type. Une surface plane n'a que deux
fig. 7 dimensions, longueur et largeur, et de ce fait elle ne com-
porte avecl'unité linéaire qu' une double relation. Ces deux
mesures peuvent être différentes mais, tant qu'elles appar-

---------- - -------- tiennent à un même type, la grandeur de la surface peut


s'exprimer par ce seul type de grandeur.

(n -- -- --- -
Or, un volume est déterminé par plusieurs surfaces
qui ont chacune leur grandeur typique.
Ces grandeurs t ypiques ne sont pas nécessairement
.. identiques, car la troisième mesure, propre au volume,
c'est-à-dire la hauteur, peut différer des deux autres.
E lle pourrait être plus grande que la longueur ou plus
type 1 type Il
petite que la largeur. Si, donc, la longueur et la largeur
déterminent tel t ype de grandeur, la longueur peut,
type inférieur, c'est-à-dire à l'unité. C'est ainsi que nous. avec la hauteur, si celle-ci est plus grande, en déterminer
avons défini l'étendue d'un ordre de grandeur (voir IV, 4). un autre; si la hauteur est plus petite que la largeur, ce
Or, avec des types basés sur le double, ce n'est mani- sont ces deux dernières mesures qui détermineront le
festement pas le cas. La différence entre les termes extrêmes. second type.
T
LE NOMBRE PLASTIQUE VI, II VI, '3 STADE DE LA RÉFLEXION 49
La grandeur du volume architectonique sera donc uéces- Deux types successifs de grandeur ont chaque fois un
sairement déterminée par deux types différents, déterminés terme commun, la plus grande mesure du type inférieur
eux-mêmes par deux mesures concrètes. s'identifiant avec la plus petite mesure du type supérieur.
De ces deux types qui déterminent la grandeur du De même, deux double-types successifs ont en commun
volume, la plus petite mesure du plus grand type est en un type de grandeur, le plus grand type du double-type
même temps la plus grande mesure du plus petit. Douc, inférieur s'identifiant avec le plus petit type du double-
ces deux types se succèdent et forment dès lors un double- type supérieur.
type (voir IV, 13).
'3· S'il est donc établi que le plus petit quantum en
II. La plus petite grandeur architectonique sera donc architecture est représenté par un double-type, le premier
fournie par un double-type de grandeur (fig. 8) et non quantum qui s'en distinguera sera le double-type suivant.
fig. 8 Ces deux double-types auront un type de grandeur com-
mun; ils mettront donc en cause trois types de grandeur
(fig. 9) .
fig. 9

.•
quantum minima!
.<'I.-=:

..
~ §
i)l=-
E~

.'~ [
[J
par un seul, comme nous l'avions supposé d'abord (voir
VI,4)· quantum minimal

premier quantum il distinguer


I2. Il importe à présent de se faire une idée exacte du du quantum minimal
double-type de grandeur.
Toul cumme le simple type, le double-type de grandeur Lorsqu'il ne s'agissait que de types simples, le rapport
joue entre deux grandeurs extrêmes. Celles-ci toutefois entre deux types successifs, c'est-à-dire le rapport entre
ne sont plus, maintenant, des grandeurs concrètes, mais les termes correspondants de ces deux types, s'identifiait
des grandeurs typiques. au rapport entre les termes extrêmes de chaque type
On pourrait donc considérer ce double-type comme un (voir VI, 6).
"type de types". Ceci n'est plus le cas lorsqu'il s'agit de double-types. Le
5
50 LE NOMBRE PLASTIQUE VI, I4
VI, I 5 STADE DE LA RÉFLEXION 51
rapport entre deux double-types successifs, c'est-à-dire le au plus petit terme du plus petit type de ce même ordre
1
l
rapport entre leurs termes correspondants, ne s'identifie
(voir IV, 4).
plus au rapport entre les termes extrêmes de chacun de Cette règle s'applique maintenant aux double-types.
ces doubles-types. Le rapport entre les termes correspon- Nous dirons donc que la différence entre les t ermes extrêmes
dants - par exemple, le rapport entre les plus petits du plus grand double-t ype doit être égale au plus petit J
termes des deux double-types - s'identifie au rapport en- term e du plus petit double-type.
tre les termes extrêmes d'un type simple. La succession des E n effet, la grandeur d' un obj et architectonique repré- J
double-types se fait donc selon le rapport entré les t ermes sentée par un double-type ne peut être considérée comme
extrêmes d' un seul type, t andis que le rapport entre les une seule grandeur, tant que t outes les mesures concrètes
extrêmes de chaque double-type s'ét end sur deux t ypes. de cet objet ne peuvent être dites de même grandeur.
C'est donc la différence entre les t ermes extrêmes du plus
I4. Pour qu'il Y ait relation entre deux grandeurs grand double-type qui devra ne pas avoir de valeur par
architectoniques représentées par des double-types, il faut rapport à ce double-type et qui, par conséquent, détermi-
évidemment que ces grandeurs soient comparables. Ce qui nera le plus petit terme du plus petit double-type, c'est-
revient à dire que les deux double-types doivent appartenir à-dire l'unité linéaire.
1
à un même ordre de grandeur (voir IV, 2 et 3). La succession typique telle que nous l'avions établie 1
provisoirement au § 9 de cette leçon (fig. 7) s'avère donc
fig. 10
inexacte. 1

Nous devons, une fois de plus, diminuer l'étendue de


1
chaque t ype jusqu 'à ce que s'établisse la correspondance
entre l'unité et la différence entre les extrêmes du plus 1

grand double-type (fig. 10).


1

~ n -----------------
I5 . La succession typique est maintenant fixée; elle

( "- - -
nous fournit, enfin, le rapport fondamental du nombre
plastique, objet de notre recherche.
En substituant à la relation simple avec l'unité - qu'ex-
prime le nombre abstrait - la triple relation, propre à la
grandeur architectonique - qu'exprime le nombre plasti-
double-type 1 que'- , nous trouvons, an li eu du double qui est à la base
du nombre abstrait, un rapport d'environ trois à quatre,
doublr:-tvoe Il
qui est celui vers lequel nous orientait l'expérience du
premier stade de notre étude (voir V, 2 et II).
Or, nous le savons, l'étendue d'un ordre de grandeur est
déterminée par le fait que la différence entre les t ermes
extrêmes du plus grand type de cet ordre est égale
VII,3 STADE DE LA RÉFLEXION 53
que nous cherchons, il faudrait que le plus petit terme soit
indiqué par la différence entre le quatrième et le troisième
terme (voir IV, 4).

VII
fig . II
, n-----------
1.
Systèmes de mesures

A cause de sa triple relation avec l'unité linéaire, la (il


'~
grandeur architectonique s'exprime, nous l'avons dit, par
un double-type de grandeur (voir VI, IO).
L'étendue de l'ordre de grandeur qui correspond à ce
double-type se limite à trois types de grandeur successifs.
Appliquant ensuite la règle qui met en corrélation 2 3 4
l'étendue d'un ordre et l'étendue d'un type, nous avons
3. La différence entre le quatrième et le troisième
pu déterminer non seulement l'étendue du double-type
terme, additionnée à la différence entre le troisième et le
mais, par là-même, la succession typique des grandeurs
second, est égale au premier des quatre termes et ces deux
architectoniques, c'est-à-dire le rapport fondamental du
nombre plastique (voir VI, 13 et 14)·
On peut donc se demander quelle sera l'étendue d'un
fig. 12
,-------------
ordre de grandeur lorsqu'on part de cette succession typi-
que, c'est-à-dire du rapport fondamental lui-même. n--------
2. A la fin de la leçon précédente, nous avons relevé,

~
dans la série continue des bâtonnets, l'étendue des trois
types de grandeur dont l'ensemble constitue l'ordre res-
treint auquel appartiennent les deux double-types succes-
sifs.
De cette série de bâtonnets, nous pouvons prélever les 2 3 4 2 3 4
'l""Jre termes de ces trois types. Ces quatre bâtonnets,
différences sont, l'une à l'autre, dans un rapport qui est la
portant chacun la même marque, forment une progression
raison même de la progression géométrique.
géométrique dont la raison est le rapport fondamental. La
Si nous considérons maintenant le plus petit des quatre
caractéristique de cette progression est que, de ces quatre
termes comme le plus grand d'une série de quatre termes
termes, la différence entre le quatrième (le plus grand) et
plus petits, les deux différences susdites se retrouveront
le deuxième est égale au premier (fig. IO et II) .
comme premier et second terme de cette nouvelle série.
Or, pour déterminer l'étendue de l'ordre de grandeur
54 LE NOMBRE PLASTIQUE VII,4 VII,6 STADE DE LA RÉFLEXION 55
En effet, puisque dans chaque série de quatre termes la diffé- qu'au point de vue de leur rapport mutuel. Il faudra donc
rence entre le quatrième et le second est égale au premier, leur donner un nom.
la somme du second et du premier terme est égale au Dans toute ordonnance architectonique, la plus grande

- - - - - - -- - - ----
quatrième (fig. 12). mesure est celle de l'ensemble architectural ou de ce qui
fig. '3 se présente comme tel. Nous appellerons donc la plus

n - -------- -- --- -- - -
grande des six mesures le "tout".
Les deux mesures du milieu, en s'ajoutant l'une à l'autre,
forment ensemble ce tout. Elles en sont chacune une "partie".
Nous les appellerons donc la grande et la petite partie.
La mesure entre le tout et la grande partie s'appellera,
par analogie, petit tout; spécifions alors le tout en le nom-

~
mant le grand tout.

li il
La plus petite mesure correspond au fragment que nous
pouvons enlever au grand tout sans que, pour autant, il
cesse d'être un tout. Nous appellerons donc cette petite
2 3 4 5 6
mesure le " fragment".
Nous retrouvons donc la différence des deux plus grands La mesure entre ce fragment et la petite partie sera le
termes de la première série comme deuxième terme de la grand fragment et nous spécifierons la plus petite mesure
plus petite série. L 'ordre normal de grandeur sera donc en l'appelant petit fragment.
déterminé par un système de six mesures et contiendra On exprime donc les six mesures, deux par deux, sous
cinq t ypes ') (fig. 13). les dénominations de : tout, partie et fragment. Chaque
fois, il est question d'un grand et d'un petit spécimen.
4. Dans l'échelle illimitée des possibilités de grandeur Le système se compose donc d'un grand et d'un petit
qu'offre l' étendue continue de l'ordre concret, l'ordonnance tout, d'une grande et d'une petite partie, d'un grand et
architectonique se limitera, en principe, à cet ensemble de d'un petit fragment.
six mesures.
La différence typique, d'une part, rend ces mesures dis- 6. Le petit et le grand fragment forment ensemble la
cernables, tandis que, d'autre part, leur groupement à grande partie, tout comme la grande et la petite partie
l'intérieur d'un ordre permet de les rapporter l'une à l'autre. forment ensemble le grand tout .
Ces six mesures constituent comme les cordes d'une lyre Le grand tout est donc constitué par le petit fragment,
sur lesquelles se joue l'ordonnance. le grand fragment et la petite partie.
Le petit tout, qui diffère du grand tout de la valeur d'un
5. Il importe par conséquent de bien connaître ces six petit fragment , est donc formé par le grand fragment et
mesures, tant au point de vue de ce qui les distingue, la petite partie.
1) Le terme "mesure" se réfère donc au "système", le terme Le grand fragment ne trouve pas d'autre mesure du
. ,type", à l'"ordre" de grandeur. système pour former avec lui le grand tout .
56 LE NOMBRE PLASTIQUE VII,7 VII,9 STADE DE LA R ÉFLEXION 57
7. De par sa triple relation avec l'unité linéaire , la fragment sont, l'une à l' autre, dans un rapport égal au rap-
grandeur architectonique s'exprime au moyen du nombre port des mesures successives de notre système, puisque
plastique, dont le rapport fondamental est fixé par le celles-ci sont en progression géométrique.
fait que cinq types sont contenus dans un même ordre de Les différences entre le double de la petite partie et le
grandeur (voir VII, 3). grand tout, d'une p art, entre ce double et le petit tout,
Le caractère triple de cette relation découle de la répar- d'autre p art, présentent donc entre elles le même rapport
tition de toutes les directions possibles en trois directions qu'entre le grand et le petit tout. Le do uble de la petite
t ypiques, qui sont: la h auteur, la longueur et la largeur partie se situe, par conséquent, au milieu harmonique entre
(voir V, 14). le grand et le petit tout ').
Or, ces trois dimensions ont chacune leur caractère C'est ainsi que, en vert u de ce qu'on entend actuellement
propre en vertu duquel nous devrons apporter au nombre par symétrie, apparaît entre les termes extrêmes de chaque
plastique une dernière précision. t ype une nouvelle mesure que nous avons toutefois déjà
La hauteur se mesure t ouj ours dans une seule direction, relevée au cours de nos expériences du premier stade (voir
c'est-à-dire vers le haut, tandis que la longueur, et surtout IV, II), mais qu'il nous devient possible d'identifier main-
la largeur peuvent se mesurer dans deux directions oppo- tenant comme étant la moyenne h armonique entre les
sées. La largeur est presque toujours la somme de deux deux t ermes et le double d'une des mesures inférieures du
mesures prises l'une vers la droite et l'autre vers la gauche, système.
à partir d'un milieu. Par rapport à la mesure de hauteur-
qui est une - la largeur se présente dès lors comme une 9. Si l'on tient compte de ces mesures intermédiaires qui
mesure double. partagent les t ypes en demi-types, l'ordre de grandeur
pourra, une fois de plus, s'étendre.
8. Or, cette mesure double ne se rencontre pas dans Le plus petit terme du plus petit type pourra maintenant
notre système. Aucune des six mesures qui le composent s'identifier à la différence entre le grand tout et cette
n'est le double d'une autre. nouvelle mesure qui se place entre le grand et le petit t out.
Le double d 'une petite partie, par exemple, sera plus Cette différence, qui correspond à la différence entre la
petit que le grand t out, puisque celni-ci se compose de la grande et la petite partie, est à la grande p artie ce que le
petite et de la grande partie; mais il sera plus grand que petit fragment est au grand tout. Il est donc évident que,
le petit t out, puisque celui-ci se compose de la petite partie
et du grand fragment . 1) La moyenne harmonique entre deux extrêmes se définit, selon
Ce double se situe donc entre le grand et le petit tout. la formule classique, comme étant le milieu qui, avec la même
Sa différence avec le grand tout correspond à la différence partie des extrêmes, dépasse l'un des extrêmes et est dépassé par
l'autre.( P LATON , Timée, 36a).
entre la grande et la petite partie, et sa différence avec le La moyenne géométrique est la quantité moyenne entre de ux
petit tout correspond à la différence entre la petite partie autres quantités, en ce sens qu'elle a avec la première le mê me
et le grand fragment. rapport géométrique que la seconde avec elle.
La moyenne arithmétique est la quantité moyenne entre deux
La différence entre la grande partie et la petite partie, autres quantités qui excède autant la plus petite qu'elle est sur-
ainsi que la différence ent re la petite partie et le grand passée par la plus grande. (Littré)
LE NOMBRE PLASTIQUE VII, la VII, 12 STADE DE LA RÉFLEXION 59
dans la série, ce nouveau plus petit tenne se situe à la 12. Les mesures du système original ne sont évidemment
deuxième place avant le petit fragment, tout comme la pas non plus le milieu géométrique entre deux mesures
grande partie se situe à la deuxième place avant le grand intermédiaires successives. Elles n'y tiennent même pas le
tout (fig. 14) . milieu harmonique mais bien, cette fois, le milieu arithmé-
L'ordre de grandeur, ainsi étendu, sera donc déterminé tique.
par un système de huit mesures et comprendra sept types Ceci se comprend aisément, si l'on considère qu'un petit
de grandeur (voir VII, 3) . tout, par exemple, est la somme d'un grand fragment et
d'une petite partie, alors que les deux mesures intenné-
fig. 14 diaires qui l'entourent sont respectivement égales au double
d'une petite partie et au double d'un grand fragment. Le
petit tout offre donc, par rapport aux deux mesures inter-
médiaires, la même différence.

I3. Les mesures intermédiaires, prises dans leur ensem-


ble, forment pourtant une progression géométrique qui
s'insère, par manière de système dérivé, entre les tennes
du système original. C'est pourquoi nous les appellerons
mesures dérivées. La mesure intermédiaire entre le grand
8 et le petit tout s'appellera donc le dérivé du grand tout,
ou grand tout dérivé, et ainsi de suite.
la. Les deux mesures qui se sont ajoutées ainsi à notre Par opposition, les mesures originales s'appelleront me-
système, nous les appellerons le grand et le petit élément, sures authentiques.
parce qu'elles constituent les extrêmes d'un type "élémen- Les bâtonnets qui représentent le système authentique
taire", c'est-à-dire du plus petit type possible dans un ordre sont marqués d'un point noir et se trouvent au casier n Ol
de grandeur donné. de l'abaque; ceux du système dérivé portent un cercle noir
Pas plus que le grand fragment, le grand élément ne et se trouvent dans le casier n° 2.
trouve dans le système une autre mesure avec laquelle il
puisse former le grand tout. Le petit élément forme, 14. Le système original de six mesures qui semblait
avec deux petites parties, le grand tout. tout d'abord devoir suffire à l'ordonnance architectonique
II. Ces mesures intermédiaires s'entrelacent, pour ainsi (voir VII, 4) s'est étendu ensuite à un système de huit
dire, entre les huit termes du système original mais en mesures (voir V 11, 9). Le voici, accompagné d'un nouveau
demeurent parfaitement distinctes. Elles ne forment pas, système de huit mesures dérivées.
avec ces tennes, une même progression géométrique.
En effet, nous avons constaté qu'elles marquent le milieu 15. Toutes ces mesures se retrouvent dans les articu-
harmonique entre deux termes successifs et non pas le lations du corps humain. Il n'y a rien d'étonnant à cela,
milieu géométrique. puisque la disposition du corps humain a été l'un des
----------------------------------

60 LE NOMBRE PLASTIQUE VII, Rés. VII, Rés. STADE DE LA RÉFLEXION 61


.,
facteurs dans la détermination du nombre plastique. De s'exprime pas par une mesure de capacité, mais par des
par cette disposition en effet, nous avons été amenés à mesures linéaires prises dans trois directions: en hauteur,
distinguer les trois directions t ypiques: longueur, largeur en longueur et en largeur (voir V, 12).
et hauteur, d'où l'obligation de déterminer la grandeur
architectonique au moyen d'une triple relation avec l'unité c) Cette triple relation avec l'unité linéaire a pour con-
linéaire. Cette triple relation, enfin, nous a fait trouver le séquence que la grandeur architectonique ne peut être
rapport fondamental du nombre plastique et les systèmes exprimée que par une grandeur "typique" (voir VI, 1); ce
de mesure qui en résultent. 'sera, de fait, un double-type de grandeur (voir VI, 10).
Par rapport, donc, à la longueur du corps, qui est repré- Pour pouvoir comparer des grandeurs architectoniques,
sentée par le grand tout, la longueur de la jambe correspond il faudra deux double-types appartenant à un même ordre
à la grande partie, celle du bras, à la petite partie. Dans la de grandeur (voir VI, 7).
division de la jambe, nous retrouvons le grand et le petit d) Puisque le nombre de types que contient un ordre de
fragment; dans celle du bras, le grand et le petit élément, grandeur est déterminant pour le rapport entre les types
tandis qu'avec la main nous entrons dans un système infé- successifs (voir VI, 8), nous avons pu fixer ce rapport fonda-
rieur où se présentent les mêmes mesures, mais de telle m ental (voir VI, 15) ainsi que l'ordre de grandeur de cinq
façon que le grand tout de ce nouveau système correspond types qui y correspond (voir VII, 3). Il se fait que nous
au p etit élément du système précédent. rejoignons ainsi l'eXpérience du premier stade.
La longueur de la main y figure comme petit tout. e) En tenant compte de la double direction de la largeur,
A l'intérieur, la paume représente la petite partie, les vers la droite et vers la gauche, surgit, dans chaque type
doigts, le grand fragment. A l'extérieur de la main, les de grandeur, une mesure intermédiaire qui permet à l'ordre
doigts ont la longueur de la petite partie. de grandeur de s'accroître de deux types (voir VII, 9).
Enfin, les doigts se divisent, à l'extérieur, en grand Ces mesures intermédiaires form ent, ensemble, un sys-
élément, petit élément et petit tout d'un troisième système tème distinct, dérivé du système authentique (voir VII, 13) .
inférieur. La face intérieure des doigts présente trois fois
ce même petit tout.
Le pouce est composé de trois mesures dérivées successi-
ves: le dérivé du petit fragment, celui du grand élément et
celui du petit élément, tous appartenant au second système.

R esumé du second stade


a) La quantité discrète ne peut servir à exprimer la
grandeur continue que lorsque cette grandeur entretient
avec l'unité une relation simple, comme c'est le ,cas pour
le nombre discret lui-même (voir V, II).
b) Pour l'architecte, la grandeur d'un objet spatial ne
VIII,3 STADE DE LA CONNAI SSANCE
d 'autre p art, y est représentée par des étendues continues.
E n effet, dans tout objet architectouique, les mesures ne
sont pas simplement le fait de l'étendue de cet obj et,
en tant que celui-ci serait déterminé par sa fonction, la
VIII technique et les matériaux employés; elles sont bien plutôt
le fruit d'une intelligence ordonnatrice. Les mesures con-
E xpressi on numérique du rapport fondamental et des autres crètes y figurent comme l'expression d'une ordonnance
rapports d'un système en vert u de laquelle elles représentent des t ypes et des
ordres de grandeur que seule l'intelligence a pu déterminer.
1. Par l'ordonnance, les formes architectoniques appar-
tiennent à un ordre quantitatif spécial, distinct des deux 3· Le nombre plastique ne se conçoit donc pas indé-
autres ordres quantitatifs , celui de l'étendue concrète et pendemment des deux seules sortes de quantité possibles.
celui du nombre abstrait. Au cours des deux premiers stades, nous avons caractérisé
Cet ordre quantitatif artificiel a été constit ué en intro- ce nombre dans ce qu'il a de tout à fait particulier. Après
duisant dans la continuité de l'étendue naturelle une sorte l'avoir distingué ainsi des deux sortes de quantité, il
de discrétion par laquelle cette étendue devenait accessible nous faudra, dans un troisième stade, le remett re en relation,
à l'intelligence. Cette discrétion ét ait le fait d'une distinc- tant avec la quantité discrète qu'avec la quantité continue,
tion selon des types et des ordres de grandeur. Nous avons suivant en cela t ouj ours le même procédé qui consiste à
constaté cela au premier stade de notre étude (voir III, 5) . établir d'abord les distinctions, pour comparer ensuite
D 'autre part, nous avons, au second stade, introduit entre eux les éléments qui s'en dégagent (voir IV, l et V,
dans la quantité discrète du nombre la notion d' une triple 9 et 10) .
relation avec l'unité, t riple relation qui est le propre de Ce n 'est qu'au prix de cette double recherche que nous
l'appréciation architectonique de l'étendue sp atiale. Par posséderons du nombre plastique une connaissance com-
là, nous avons rendu cette quantité discrète apte à un plète.
usage plastique (voir V, 1 2 et 14).
Tout ceci nous a permis d'ét ablir les lois d'un nombre ST ADE DE LA CONNAI SSANCE
plastique, base obj ective de l'ordonnance architectonique.
4· Pour arriver à établir la relation du nombre plastique
2. L 'ordre quantitatif artificiel qui s'opère au moyen avec le nombre abstrait, voyons d'abord comment s'expri-
du nombre plastique n'introduit évidemment p as une ment par le nombre discret le rapport fondamental et ,
nouvelle sorte de quantité. Il n 'y a que deux sortes de ensuite, tous les aut res rapports entre mesures d'un sys-
quantités : la quantité continue, dont les parties sont liées, tème.
et la quantité discrète, dont les parties ne sont pas liées. Dans un système limité à six mesures, c'est le petit
Ce qu'il y a de particulier à l'ordre quantitatif artificiel, fragment qui représente l'unité. Il faut donc se demander
c'est que la quantité continue, d' une part, y est ordonnée combien de fois celui-ci sera contenu, et dans le grand
à la manière du nombre discret et que la quantité discrète, tout , et dans le petit tout. Si nous pouvons trouver cela,
LE NOMBRE PLASTIQUE VIII,5 VIII,7 STADE DE LA CONNAISSANCE 65
nous aurons, dans le rapport de ces deux nombres, l'ex- petite et la grande partie (définition même de la moyenne
pression numérique du rapport fondamental. harmonique).
Il est bien clair que, dans le rapport de ces deux nombres, A considérer le petit élément comme grand tout du
il n'est plus question de longueur de b~tonnets . Le rapport système inférieur, les deux pièces qui résultent de la division
fondamental n'est plus exprimé maintenant par un rapport selon la moyenne h armonique s'y présentent donc comme
de longueurs concrètes, mais par un rapport de nombres grande et petite partie.
abstraits. La différence entre la moyenne arithmétique et la
moyenne harmonique de la grande et de la petite partie
5. Nous savons que le double du petit fragment con- de notre système correspond maintenant à la différence
stitue la moyenne harmonique entre la grande et la petIte entre la moitié du grand tout et la petite partie du
partie (voir VII, 8). . . système inférieur. Le double de cette différence, qui con-
Nous savons aussi que la grande et la petite partIe stitue l'écart que nous voulons déterminer, est donc égal à
forment ensemble le grand tout (voir VII, 5)· La moitié la différence entre le grand tout et le double de la petite
du grand tout est donc la moyenne arithmétique entre la partie de ce système inférieur. Ce double de la petite partie
grande et la petite partie; elle est un peu plus grande que est égal au dérivé du grand tout. Leur différence est donc
leur moyenne h armonique. Cette dermère, nouS venons de égale au petit élément (voir VII , 9).
le dire, contient deux fois le petit fragment. Le grand tout Le grand tout contient donc quatre fois le petit fragment,
contient donc quatre fois le petit fragment avec, en plus, plus une marge dont nous savons qu'elle correspond au
le double de la différence entre la moyenne anthmétIque petit élément du système inférieur; on pourrait l'appeler
et la moyenne harmonique de la grande et de la petite l'élément de l'élément.
partie.
7. Le petit tout étant inférieur au grand t out d'une
6. Or, le léger écart que présente la multiplication par quantité égale à un petit fragment, il contient donc trois
quatre du petit fragment pour atteindre le grand tout, fois ce petit fragment, avec la même marge.
peut se retrouver comme une des mesures d 'un systè~e
inférieur dont le grand tout s'identIfle avec le petIt elé- 8. Le rapport fondamental s'exprime dès lors par le
ment du système normal. Ce système, correspondant à rapport de quatre à trois, réserve faite de la marge qui
un ordre de grandeur plus petit, est représenté par l~s s'aj oute à chacun des deux termes.
bâtonnets contenus dans le casier n' r8 de l' abaque (VOlT
III, 9)· 9. Nous allons maintenant exprimer par des nombres
P our reconnaître dans l'écart susdit une mesure du sys- toutes les mesures d'un syst ème comPlet, en les mettant
tème inférieur, il faut constater d'abord que, dans le en relation avec la plus petite mesure, considérée comme
système qui nouS occupe, la différence entre la gr~nde et unité. Des huit mesures que comporte le système complet,
la petite partie est égale au petIt élément et qu elle se c' est donc le petit élément qui remplira ce rôle.
trouve partagée, selon la moyenne harmonique, :,n deux La grande partie s'exprimera par le nombre quatre, et
pièces qui offrent entre elles le même rapport qu entre la la petite partie, par le nombre trois. Ces deux parties sont,
6
66 LE NOMBRE PLASTIQUE VIII, la VIII, II STADE DE LA CONNAISSANCE
en effet, au petit élément ce que le grand et le petit tout II. Il devient maintenant possible d'exprimer par le
sont au petit fragment . nombre jusqu'à cette petite marge par laquelle le quadruple
Le grand tout, qui contient la grande et la petite partie, du petit fragment se distingue du grand tout. Or,
sera donc exprimé par le nombre sept. nous l'avons déterminée comme étant le petit élément
Le grand élément se rapporte au petit élément selon le d'un système de mesures inférieur. Sa grandeur correspond
rapport fondamental, qui est le rapport de quatre à trois. donc à un septième du septième du grand tout, réserve
Le petit fragment est au petit élément ce que le grand faite, encore une fois, d'une marge plus petite encore.
tout est à la grande partie; leur rapport est donc de sept La différence qui résulte de cette marge d'à peu près un
à quatre. cinquantième est juste à la limite de notre appréciation
Le grand fragment s'exprimera dès lors par le rapport visuelle, ainsi que nous l'avons constaté au premier stade
de sept à trois. de cette étude (voir III, II).
Seul le petit tout ne peut être exprimé par un nombre
entier. 12. Exprimer le nombre plastique au moyen du nombre
abstrait, n'est donc pas possible sans l'intervention de
IO. Voici la série complète de ces nombres. Ils expri- certaines marges. Si, d'une part, le nombre plastique montre
ment, pour chaque mesure, le rapport de celle-ci avec le son affinité avec la quantité discrète par la valeur numé-
petit élément considéré comme unité. rique de ses rapports, son affinité avec la quantité con-
Petit élément I
tinue, d'autre part, se révèle dans ses marges.
Grand élément 4/3 L'ordonnance architectonique peut donc être considérée
Petit fragment 7/4 comme une ordonnance arithmétique, à la réserve des
Grand fragment 7/3 marges.
Petite partie 3
Grande partie 4 13. Ces considérations trouveront leur écho dans la
Petit tout ? pratique même de l'architecture. Toute juxtaposition de
Grand tout 7 parties égales, dans une construction, introduit imman-
quablement le nombre abstrait dans l'ordonnance archi-
Inversement, on peut aussi comparer toutes les mesures
tectonique. (C'est le cas, par exemple, pour les colonnes
d'un système avec le grand tout. Celui-ci contient
ou les fenêtres, qui se répètent un certain nombre de fois,
4/3 de fois le petit tout, à distances égales.)
7/4 de fois la grande partie, Aussitôt, la discordance entre ce nombre abstrait et le
7/3 de fois la petite partie, nombre plastique manifestera un besoin d'éléments mini-
3 fois le grand fragment, mes dont les mesures seront de l'ordre de grandeur des
4 fois le petit fragment, marges.
? fois le grand élément, Ces éléments n'appartiennent pas directement à l'ordon-
7 fois le petit élément. nance architectonique parce qu'ils ne sont plus de l'ordre de
Il faut évidemment tenir compte chaque fois des marges. grandeur des éléments constitutifs de la construction même.
68 LE NOMBRE PLASTIQUE VIII,14
Ils sont toutefois exigés par cette ordonnance, qui les
isolera dans une ordonnance à part, dont relèvera l'orne-
mentation de l'édifice.
Nous aurons l'occasion d'y revenir au dernier stade, qui
sera celui de la mise en œuvre du nombre plastique. IX

14. Il faut éependant que ces éléments minimes n'aillent Jeu des marges
pas jusqu'à rendre impossible une comparaison visuelle
avec les éléments architectoniques proprement dits. Leur 1. Jusqu'ici, nous avons exprimé par des nombres
présence n'aurait plus alors aucune raison d'être; n'ou- abstraits toutes les mesures d'un système dans leur rapport
blions pas que l'expression architectonique a toujours avec la plus petite mesure considérée comme unité, réserve
comme point de départ la perception visuelle. faite des marges.
Si donc, le petit élément constitue la plus petite mesure Quant à ces marges, dont les mesures se retrouvent dans
d'un ordre de grandeur, il en résulte que la plus petite les systèmes inférieurs, elles peuvent à leur tour être ex-
mesure des éléments marginaux, dans l'ordre de l'ornemen- primées au moyen du nombre abstrait, réserve faite de
tation, sera constituée par la cinquantième partie de ce nouvelles marges.
petit élément, étant donné que le rapport de 1/50 est à la Les mesures de ces nouvelles marges appartiennent à
limite de ce qni est perceptible à l'œil (voir III, II). des systèmes encore inférieurs. Toutefois, si elles sont
réduites au point de ne plus présenter avec les mesures du
15. La plus petite mesure de l'ornement est donc système premier un rapport que l'œil puisse apprécier, elles
fournie par le petit élément d'un ordre de grandeur deux devront être considérées comme négligeables. Nous savons
fois inférieur. En théorie, toute ordonnance architectonique d'ailleurs qu'il n'y a pas lieu d'envisager à la fois plus de
comprendra par conséquent trois ordres de grandeur succes- trois systèmes successifs. Dorénavant, nous indiquerons
sifs. ces systèmes par les chiffres l, II et III.
Le petit élément du système l est donc identique au
grand tout du système II dont le petit élément s'identifie,
à son tour, au grand tout du système III.

2. Dans le système I, le grand tout contient

4 fois le petit fragment,


3 fois le grand fragment,
7 fois le petit élément,
4/3 de fois le petit tout,
7/4 de fois la grande partie,
7/3 de fois la petite partie (voir VIII, 10).
70 LE NOMBRE PLASTIQUE IX, 3 I X, 5 STADE DE LA CONNAISSANCE 7I
Nous allons maintenant définir toutes les marges im- Le grand tout contient donc sept fois le petit élément,
pliquées dans ces rapports, en tant qu e mesures des sys- plus une marge qui est égale au double de la grande partie
tèmes II et III. du système III. Nous retrouvons la mesure d'un tel
Nous avons vu dans la leçon précédente que le grand double dans le dérivé du grand élément du système II
t out contient quatre fois le petit fragment, plus une (voir VII, 9).
m arge qui est égale au petit élément du système II (voir
VIII, 6) ou, ce qui revient au même, au grand tout du 5. Nous avons donc exprimé les rapports du grand tout
système III. au petit fragment, au grand fragment et au petit élément,
respectivement par les nombres entiers : quatre, trois et
3. Il ne sera pas difficile de déterminer la marge im- sept, réserve faite des marges. Ces marges, nous les avons
pliquée dans le rapport du grand tout au grand fragment. définies comme étant respectivement le petit élément, le
Le premier de ces termes, nous le savons, contient le grand grand élément et le déri vé du grand élément du système II.
fragment trois fois. Les rapports du grand t out au petit tout, à la grande
S'il est vrai que le grand tout contient quatre fois le partie et à la petite partie ne s'exprimeront pas par des
petit fragment augmenté du petit élément du système II, nombres entiers, m ais p ar les fractions 4/3, 7/4 et 7/3.
le petit tout, qui est inférieur au grand tout précisément Cette fois, les marges se retrouveront comme mesures du
d'une quantité égale à un petit fragment, contiendra donc système III.
trois fois celui-ci, plus la même marge. Nous verrons pourtant que ces marges présentent de
Que si nous transposons ce rapport de trois au rapport légers écarts avec les mesures du système III, mais, puisque
entre le grand t out et le grand fragment, qui sont tous ces écarts correspondent, à leur tour, à des mesures d'un
les deux d 'un type plus grand, la marge sera, elle aussi, système encore deu x fois inférieur, ils sont pratiquement
d'un type plus grand. négligeables.
Le grand tout contient donc trois fois le grand fragment, Quant au rapport ent re le grand tout et le petit tout,
plus une marge qui est égale au grand élément du système II. s'il était exactement celni de quatre à trois, on devrait
conclure que, puisque le petit tout contient trois petits
4. Pour déterminer la marge impliquée dans le rapport du fragments, plus une marge qui est égale au petit élément
grand t out au petit élément, rapport exprimé par le nombre du système II, le grand tout contient quatre petits frag-
sep t, il faudra constater d'abord que la grande et la petite ments, plus une marge 4/3 de fois plus grande, c'est-à-dire
partie, qui forment ensemble le grand t out , contiennent d'un t ype plus grand . Cette marge serait donc égale au
respectivement quatre et trois fois le petit élément, aug- grand élément du système II').
menté chaque fois d'une marge qui est égale à la grande Cependant, la m arge impliquée dans le quadruple susdit
partie du système III. En effet , dans le rapport entre le
grand tout et le petit fragment, la marge était égale au 1) Ceci ne se vérifie pas absolument, puisqu e le grand élément
grand t out du système III. Le rapport entre la grande ne contient pas exactement 4/3 de fois le. petit élément. Il faut
tenir compte, une fois de plus, de la marge que, précisément, nous
p artie et le petit élément comporte par conséquent une cherchons . C'est là le petit écart, non perceptible à l'œil, auquel
m arge qui est égale à la grande partie du système II I. nous venons de faire allusion.

72 LE NOMBRE PLASTIQUE IX,6 IX,7 STADE DE LA CONNAISSANCE 73


ne correspond pas au grand élément, mais au petit élément dérivé est donc égale au petit élément du système III.
du système II (voir § 2). La différence entre le grand et le Le grand tout contient donc 7/4 de fois la grande partie,
petit élément du système II répond par conséquent à la plus une marge qui est égale au petit élément du système
marge que nous cherchons. III.
Le grand tout contient donc 4/3 de fois le petit tout,
moins une marge qui est égale au grand fragment du 7. Pour déterminer la marge impliquée dans le rapport
système III. de 7/3 entre le grand tout et la petite partie, nous devons
partir du fait que la petite partie contient trois fois le
6. Pour déterminer la marge impliquée dans le rapport petit élément, plus une marge qui est égale à la grande
de 7/4 entre le grand tout et la grande partie, il faut suivre partie du système III (voir § 3)·
le même raisonnement. Si le rapport entre le grand tout et la petite partie était
Si le rapport entre le grand tout et la grande partie était exactement celui de sept à trois, on devrait conclure que
exactement celui de sept à quatre, on devraü conclure que, le grand tout contient sept éléments avec, en plus, 7/3 de
puisque la grande partie contient quatre petits éléments, fois la grande partie du système III, c'est-à-dire le grand
avec une marge égale à la grande partie du système III élément du système II.
(voir § 2), le grand tout contient sept petits éléments, plus La marge impliquée dans le septuple susdit est cependant
une marge 7/4 de fois plus grande, c'est-à-dire égale au égale au dérivé de ce grand élément. La différence entre le
grand tout du système III. Ce grand tout du système III grand élément du système II et son dérivé répond par con-
est identique au petit élément du système II. séquent à la marge que nous cherchons.
Cependant, la marge impliquée dans le septuple susdit Le grand tout contient donc 7/3 de fois la petite partie,
ne correspond pas au petit élément du système II, mais moins une marge qui est égale au grand élément du système
au dérivé du grand élément du même système (voir § 4). III.
La différence entre le dérivé du grand élément et le petit
8. Voici donc déterminée la grandeur des marges que
élément du système II répond par conséquent à la marge
suscite l'expression numérique des rapports entre les me-
que nous cherchons.
sures d'un système. Ces marges correspondent à des me-
Dans la leçon VII, § I2, nous avons vu que chaque
sures qui se retrouvent dans les syst èmes inférieurs II et
mesure authentique est la moyenne arithmétique des deux
III.
mesures dérivées qui l'entourent ; le petit élément est donc
inférieur au dérivé du grand élément, d'une quantité qui a) Le grand tout contient le petit fragment 4 fois, plus
est égale à la différence de ce petit élément avec son propre le petit élément du système II.
dérivé. Or, la différence d'une mesure avec son dérivé est b) Le grand tout contient le grand fragment 3 fois,
toujours égale à la mesure homologue du systèmeinférieur 1 ). plus le grand élément du système II.
La différence entre le petit élément du système II et son c) Le grand tout contient le petit élément 7 fois, plus
, le dérivé du grand élément du système II.
1) C'est ce que nous montre la fig. 14 (voir VII, 9). La différence
entre le grand tout et son dérivé y est représentée par une mesure
d) Le grand tout contient le petit tout 4/3 de fois, moins
située à une place sept fois inféri eure. le grand fragment du système III.
74 LE NOMBRE PLASTIQUE IX, 9 IX, STADE DE LA CONNAISSANCE
10 75
e) Le grand tout contient la grande partie 7/4 de fois, Le grand tout contient donc cinq fois le grand élément,
plus le petit élément du système III.
plus le petit tout du système III et la petite partie du
f) Le grand tout contient la petite partie 7/3 de fois , système II. On ne peut guère parler ici de marge, parce
moins le grand élément du système III.
que l'écart impliqué dans le quintuple est assez grand
Le dérivé du grand élément, dont il est question ci-dessus pour pouvoir, avec le grand élément du système l, appar-
(litt. cl , est supérieur au petit élément, d' une quantité qui t enir à un même ordre de grandeur.
est égale a n petit élément du système inférieur. On peut donc
dire que le grand tout contient sept fois le petit élément,
1 0 . De toutes ces marges, ce sont surtout celles du
plus le petit élément du système II et celui du système III.
quadruple et du septuple qui réclament notre attention.
Inversement aussi, nous pouvons dire: Le quadruple est en effet le rapport entre une des mesures
a) Le petit élément est contenu 4 fois dans la grande d' un système et la différence entre celle-ci et la mesure
partie, plus nn excédent égal à la grande partie du sys- plus petite qui suit.
tème III. La marge équivaut ici, chaque fois , à la mesure homo-
b) Le petit élément est contenu 3 fois dans la petite logue d'un système deux fois inférieur. Le grand tout du
partie, plus un excédent égal à la même grande partie du système l contient donc quatre fois le petit fragment
système III. (différence entre le grand et le petit tout), plus le grand
c) Le petit élément est contenu 7 fois dans le grand tout du système II I.
tout, plus un excédent égal an dérivé du grand élément Le septuple est le rapport entre une des mesures d'un
du système II. Cette marge est donc égale à la somme des système et la différence entre celle-ci et son dérivé.
petits éléments des systèmes II et III. La marge équivaut ici, chaque fois, à la somme des
d) Le petit élément est contenu 4/3 de fois dans le grand mesures homologues des systèmes deux et trois fois infé-
élément, moins la petite partie du système IV. rieurs. Le grand tout du système l contient donc sept
e) Le petit élément est contenu 7/4 de fois dans le petit foi s le petit élément (différence entre le grand tout et son
fragment, plus le petit fragment du système IV. dérivé) , plus le grand tout du système III et le grand tout
f) Le petit élément est contenu 7/3 de fois dans le grand du système IV. Il est évident qu'on peut dire aussi: pIns
fragment, moins la petite partie du système IV. le petit élément du système II et celui du système III.

9· Il ne nous reste plus qu'à examiner comment s'ex- II. Nous sommes en mesure d'établir maintenant les
prime au moyen du nombre abstrait le rapport entre le valeurs numériques de toutes les mesures comprises dans
grauù tout et le grand élément.
les trois systèmes , compte t enu de la grandeur des marges.
Nous savons que le petit tout contient quatre fois le Ces dernières peuvent en effet, elles aussi, être exprimées
grand élément, plus le petit tout du système III (voir § 3). par des nombres.
Le grand tout contient le petit tout, plus le petit fragment; Dans le système III, les marges pourront être négligées,
celui-ci se compose d' un grand élément, plus une petite parce qu'elles correspondent à des mesures qui appartien-
partie du système II.
nent à des systèmes encore inférieurs, et que l'ordonnance
LE NOMBRE PLASTIQUE IX, 12 IX, 15 STADE DE LA CONNAISSANCE 77
architectonique se limite pratiquement à trois ordres de Petit élément 14
graudeur. Grand t out 100 (7 X 14) +2
Dans le système II, nous avons à tenir compte uniquement Grande partie 57
des marges qui correspondent à des mesures du système III. Petite partie 43
Quant au système l, toutes les marges doivent y être Petit fragment 241
prises en considération. P etit tout 75t
Grand fragment 321
12. Commençons par le petit élément du système l et Grand élément 18t
attribuons-lui la valeur numérique 100.
Cet élément contient sept fois le petit élément du système 15. Valeur numérique des mesures du système l, compte
II, plus le petit élément du système III et celui du système t enu des marges, lesquelles correspondent à des mesures
IV; mais ce dernier n 'a pratiquement pas de valeur. des systèmes II et III:
Le petit élément du système II contient, lui aussi, sept
Petit élément 100
fois le petit élément du système III, plus le petit élément
du système IV et celui du système V. Ceux-ci sont égale-
Grand tout 716 (7 X 100) + 14 + 2
ment sans valeur. Grande partie 408
En d 'autres mots, le petit élément du système I contient Petite partie 30 8
Petit fragment 1751
sept fois et 1/7 de fois le petit élément du système II.
Celui-ci aura donc la valeur numérique 14. L'élément du Petit tout 540 !
système III aura la valeur 2. Grand fragment 23 2}
Grand élément I3 2 !
13· Les mesures du système III pourront être fixées Toute précision ultérieure serait superflue, puisque l'or-
directement, sans t enir compte des marges (voir VIII, 9 donnance architectonique ne comporte que trois ordres de
et 10): grandeur.
Petit élément 2 Le t ableau suivant nous donne les mêmes mesures dans
Grand tout 14 (7 X 2) leur succession régulière:
Grande partie 8
Petite partie 6
Système 1 Éléments l Fragments 1 Parties Touts
Petit fragment 3i
Petit tout lot l 100 132! 175! 232 , 308 408 54°' 716
Grand fragment 4t II '4 18t 24. 32• 43 57 751 100
Grand élément 2! III 2 2. 3t 4t 6 8 lot '4

14. Valeur numérique des mesures du système II,


compte tenu des marges, lesquelles correspondent à des
mesures du système III:
X,3 STADE DE LA CONNAISSANCE 79
Rappelons seulement que les mesures dérivées sont,
chaque fois, le double d'une des mesures authentiques
inférieures. Le gtand tout dérivé, par exemple, contient
exactement deux fois la petite partie authentique (voir
VII, 8). Or, le rapport entre le gtand tout a uthenth ue et
x la petite partie nous est connu comme étant de sept à trois,
réserve faite de la marge (voir VIII, ID). Le r apport entre
Expression numérique des rapports dérivés ce même grand tout et son dérivé peut donc être déterminé
comme étant de sept à six.
1. Les rapports entre les mesures d'un système dérivé Puisqu'il s'agit exactement du double, la marge de-
ne diffèrent pas de ceux qui relient les mesures d'un sys- meure la même. Dans le rapport entre le grand tout et
tème authentique. E n effet, ces mesures dérivées forment, son dérivé - qui s'exprime par le rapport numérique de
elles aussi, une progression géométrique, dont la raison 7/6-lamarge sera donc égale au gtand élément du système
est la même que celle des mesures authentiques; c'est le deux fois inférieur (voir IX, 7).
rapport fondamental. Ceci vaut pour toutes les mesures d'un système. Chaque
Par conséquent, si nous exprimons les mesures d'un mesure authentique contient 7/6 de fois son dérivé. C'est
système dérivé, soit comme multiples du petit élément là le rapport constant qui relie entre elles les mesures
de ce syst ème, soit comme parties du gtand tout, nous h omologues des deux systèmes, l'authentique etle dérivé,
verrons naître les mêmes séries de nOlllbres que nous réserve faite de la diminution marginale.
avons déterminées pour les mesures authentiques, à la
réserve des mêmes marges (voir VIII, 9 et ID). 3. Il faut chercher ensuite les nombres qui expriment
tous les autres rapports entre ces mesures authentiques et
2. Quant aux mesures mêmes des deux systèmes, elles dérivées.
diffèrent évidemment. Il suffit pour cela d'exprimer toutes les mesures dérivées
On le voit tout de suite, les bâtonnets du casier n ° 2 en fonction du petit élément authentique, comme nous
(marqués du cercle noir et appartenant au système dérivé). l'avons fait pour l'ensemble des mesures authentiques
bien que présentant entre eux les mêmes rapports que les (voir VIII, ra). en tenant compte de la constatation déjà
bâtonnets du casier n° r (marqués d'un point noir et établie (voir § 2) que toute mesure dérivée est le double
appartenant au système authentique), n'ont pas les mêmes d'une des mesures authentiques inférieures.
grandeurs. Mais, puisque les deux systèmes sont en pro- Le grand tout dérivé est le double de la petite partie
gression géométrique de raison identique, il s'ensuit que authentique. Le petit tout dérivé est le double du gtand
chacune des mesures authentiques présente avec sa mesure fragme nt authentique. La gtande partie dérivée est le
dérivée un rapport constant. double du petit fragment authentique. E t ainsi de suite.
Ce rapport constant entre les mesures homologues des En alignant les valeurs des mesures de deux systèmes
deux systèmes peut, lui aussi, être exprimé numérique- authentiques successifs, on obtient la série suivante:
ment, à la réserve d'une marge. '/, '/5 '/. 'l, '/, '/, '/. r '/, '/, '/3 3 4 5 7
T
,

X,5 STADE DE LA CONNAISSANCE 81


80 LE NOMBRE PLASTIQUE
Les mesures dérivées s'obtiennent en doublant ces valeurs. 5. Dans toute ordonnance architectonique, il y a
continuellement rencontre du nombre discret et du nombre
'/, '/5 '/, '/3 1 6/, '/, '/, 2 '/, '/2 14/3 6 1 8 10 14 plastique (voir VIII, 13) . Il était donc bien nécessaire de
comparer tous les rapports du nombre plastique à ceux du
Les nombres encadrés expriment les mesures dérivées du nombre discret et d'y constater les écarts sous forme de
système authentique supérieur, par rapport au petit marges. Nous avons exprimé numériquement, d'abord les
élément de ce système, considéré comme unité. mesures authentiques, puis les mesures dérivées.
Mais, dans toute ordonnance architectonique, il y a,
4. Rappelons-nous maintenant que la différence entre
de plus, rencontre des deux systèmes, l'authentique et le
le grand tout et son dérivé est égale au petit élément
dérivé, presque toujours utilisés conjointement. Il est
(voir VII, 9). Or, ce petit élément est identique au grand
même fréquent (comme il paraîtra au cinquième stade)
tout du système inférieur. Nous pouvons donc dire que le
que les mêmes mesures pourront se présenter, selon le
grand tout dépasse son dérivé de la valeur du grand tout
point de vue envisagé, soit comme authentiques, soit
d'un système inférieur (voir IX, 6).
comme dérivées. Il est donc bien nécessaire aussi de com-
La même chose se vérifie pour toutes les mesures:
parer entre eux les systèmes comme tels.
chaque fois que nous diminuons une mesure authentique
de la mesure homologue du système inférieur, nous obtenons
6. Dans chacun des deux systèmes, les mesures se
sa mesure dérivée.
. trouvent en progression géométrique, selon une même
Puisque nous connaissons les valeurs numériques des
raison, qui est le rapport fondamental. La seule chose qui
mesures de trois systèmes successifs, marges comprises
différencie les deux systèmes, c'est que leurs mesures ne
(voir IX, 15), il n'est pas difficile de déterminer, par sous-
sont pas identiques in concreto. Les deux séries de mesures
traction, les valeurs numériques des mesures dérivées, mar-
sont en quelque sorte décalées l'une par rapport à
ges comprIses.
l'autre.
Nous trouvons ainsi, à côté des systèmes authentiques
Mais, entre les mesures homologues des deux systèmes,
l, II et III, les mesures des systèmes dérivés que nous
existe un rapport constant. Ce rapport se situe évidemment
désignerons désormais par Id et IId.
entre le rapport fondamental et l'égalité, parce que, dans
Touts
ces deux cas extrêmes, les deux systèmes s'identifient.
Système 1 Éléments 1 Fragments 1 P arties
Ils deviennent plus distincts à mesure que le rapport
l 100 '3 2• '75. 23 2 ! 308 4 08 54°t 7 16 constant se différencie davantage de l'égalité, et ils tendent
II '4 18! 241 32, 43 57 75. 100 à s'identifier de nouveau, à mesure que le rapport constant
ld 86 "4 '5 ' 200 26 5 35 ' 46 5 616 se rapproche du rapport fondamental.
Il s'agit donc de situer exactement ce rapport constant
Système Éléments Fragments 1 Parties Touts en fonction du rapport fondamental. Pour cela, il faudra
1

32,
, 100
parcourir l'échelle continue des possibilités qui s'étendent
II '4 18t 24t 43 57 75!
III 2 6 8 lot de l'égalité au rapport fondamental, et voir à quel moment
2! 3' 4t '4
IId 12 16 21 28 37 49 65 86 précis se présente le rapport constant.
7
+

LE NOMBRE PLASTIQUE X,7 X,9 STADE DE LA CONNAISSANCE


7. Nous savons que la mesure dérivée est la moyenne pour que le rapport entre mesures homologues s'identifie
harmonique entre deux mesures authentiques succes- au rapport fondamental.
sives qui se rapportent l'une à l'autre selon le rapport
fondamental. Le rapport entre cette moyenne harmonique 9. Or, les mesures dérivées ne se trouvent pas être la
et le plus grand terme équivaut au rapport constant entre moyenne géométrique, mais bien la moyenne harmonique
les mesures homologues des deux systèmes. Il faudra entre deux mesures authentiques (voir VII, 8 Note). Il
donc exprimer ce rapport constant dans sa relation avec ne peut donc être question de double, sans plus. Il y aura
le rapport fondamental. un écart, que nous pourrons d'ailleurs déterminer.
Notons qu'il ne s'agit plus, ici, de rapport entre deux Le grand tout du système dérivé Id est plus petit que
mesures, mais d'une relation entre deux r apports, le rapport le grand tout du syst ème authentique l, de la valeur d'un
fondamental, d'une part, et le rapport constant entre les grand tout du système authentique II. Ce grand tout du
mesures homologues des deux systèmes, d'autre part. système dérivé Id, considéré comme mesure authentique,
C'est pourquoi, cette relation devra s'exprimer, non plus possède à son tour un dérivé, qui est plus petit que lui,
par un numérateur, mais par un exposant. Pour arriver à de la valeur du grand tout du système dérivé IId.
la circonscrire, il faudra répondre à la question suivante : Toutefois, comme la différence entre le grand tout du
Combien de fois le système authentique doit-il être réduit système dérivé Id et le petit tout du système authentique
en système dérivé, pour fournir, entre les mesures homo- 1 égale la différence entre le petit tout du système 1 et son
logues des deux systèmes, un rapport qui soit équivalent dérivé (toute mesure authentique est la moyenne arithmé-
au rapport fondamental? tique entre deux mesures dérivées), elle vaut donc le petit
Ayant donc déterminé le système dérivé, considérons-le tout du système authentique II.
à son tour comme authentique, pour en déduire un Par conséquent, si nous prenons deux fois le dérivé du
nouveau système, selon le même rapport constant. Le grand tout authentiqu e, nous obtenons une mesure légère-
nombre de fois que cette réduction sera possible avant de ment inférieure au petit tout authentique. Cet écart
rejoindre le système authentique original, exprimera alors équivaut à la différence entre le grand tout du système
numériquement la relation des deux rapports. dérivé IId et le petit t out du système authentique II.
Cette différence peut être identifiée comme étant le petit
8. Si la mesure dérivée se trouvait être la moyenne tout du système III. Elle est, en effet , égale à la différence
géométrique (voir VII, 8 Note) entre deux mesures authen- entre le petit tout du système authentique II et son dérivé,
tiques, cette relation apparaitrait aussitôt comme étant le parce que ce petit tout est la moyenne arithmétique entre
double. les deux mesures dérivées qui l'entourent.
En effet, le rapport entre la moyenne géométrique et le En prenant deux fois le dérivé du grand tout authentique,
plus grand terme est égal au rapport entre le plus petit nous retrouvons, par conséquent, le petit tout authentique,
terme et cette moyenne géométrique. Par conséquent, le mais, diminué du petit tout du syst ème III , c'est-à-dire dimi-
dérivé d'une mesure dérivée devrait correspondre exacte- nué de la mesure homologue d'un système deux fois inférieur.
ment à une mesure authentique. Il faudrait, dans ce cas, Ceci vaut évidemment aussi pour t outes les autres me-
réduire deux fois un système authentique en système dérivé, sures du système.

LE NOMBRE PLASTIQUE X,IO X, 13 STADE DE LA CONNAISSANCE 85


IO. Un syst ème deux fois dérivé se ramène donc au systè- 13· Cette diminution marginale de tout un système de
me authentique original, mais non pas exactement. Toutes mesures a une importance capitale pour l'ordonnance
les mesures sont alors diminuées d 'une marge qui équivaut architectonique. Chaque nouvel ordre de grandeur plus
aux mesures homologues du système deux fois inférieur. petit qui s'introduit dans l'ordonnance (voir VIII , 12 - 15)
La r elation entre le rapport fondamental et le rapport entraîne pratiquement une t elle diminution. C'est par là
constant s'exprime donc par le nombre deux, réserve faite que les parties secondaires de l'édifice auront du jeu
de la marge générale susdite. dans l'ensemble architectural.
Il ne faudrait pourtant pas que ces diminutions aillent
II. En réduisant une première fois le système authen- jusqu' à faire perdre aux mesures authentiques leur
tique en système dérivé, toutes les mesures de ce système caractère propre, de telle sorte qu'il puisse y avoir hésitation
se trouveront diminuées de la valeur de leur homologue entre mesures authentiques et mesures dérivées.
du système une fois inférieur (voir § 4) · L'extrême limite à admettre est celle d'un système
En r éduisant une seconde fois ce système dérivé, toutes authentique diminué trois fois. Ce système est représenté
les mesures redeviennent authentiques, mais elles se trouve- dans l'abaque par les signes de couleur jaune.
ront diminuées de la valeur de leur homologue du système Un système quatre fois diminué (celui qui est marqué
deux fois inférieur. en vert) sera plus proche du système dérivé que du système
Les meSures d'un système deux fois dérivé, désigné par authentique. Cette quatrième diminution dépasse donc la
Idd, pourront donc être déterminées comme suit: limite permise.

Tou ts 14. Nous avons vu que c'est tout d'abord le rapport


Système 1 Éléments 1 Fragments 1 ParU es
fondamental et, ensuite, le rapport constant entre la
I 100 '3 2, '75! 23 2• 3°8 408 54°' 7, 6 mesure authentique et son dérivé, qui fixent le nombre de
III 2 2, 3i 4t 6 8 r o} '4 types qu'un ordre de grandeur peut contenir (voir VII, 3
Idd 98 '3° '72 22 8 3°2 4°° 53° 7° 2 et 9). Le cas se présente maintenant où le nombre même
des ordres de grandeur qui peuvent se présenter dans
12. Ce système authentique diminué Idd se verra une ordonnance architectonique est limité du fait d'une
diminué, encore une fois, par des dérivés ultérieurs. distinction marginale.
Les bâtonnets de l'abaque indiquent ces diminutions au
moyen des couleurs. 15· Après avoir opéré, au moyen du rapport fonda-
Le point noir indique le système authentique original. mental, une première répartition sommaire de l'échelle
Le cercle noir indique le premier système dérivé. continue des possibilités de grandeur, telle que nous l'offre
Le point rouge indique le système authentique diminué; l'étendue naturelle, nous avons été amenés à faire une
le cercle rouge, le système dérivé diminué. nouvelle répartition, plus subtile, entre mesures authen-
Le point orange indique, de nouveau, un système authen- tiques et mesures dérivées.
tique, qui constitue un quatrième dérivé et se trouve, de Pour finir, nous sommes arrivés à une troisième clas-
ce fait, diminué deux fois. sification , par l'introduction d'une distinction marginale

86 LE NOMBRE PLASTIQUE X, Rés. X, Rés. STADE DE LA CONNAISSANCE


entre mesures non diminuées et mesures diminuées, dis- Cette expression numérique implique une diminution
tinction qui va jusqu'aux limites de l'observation visuelle. marginale de toutes les mesures d'un système, et c'est
Le nombre plastique qui, d'une part, est basé sur le finalement cette marge qui impose à l'ordonnance archi-
rapport fondamental que nous avons déduit du double tectonique un nombre limité d'ordres de grandeur (voir
(base du nombre abstrait, voir V, 10), rejoint donc, d'autre X,14)·
part, par l'introduction des dernières distinctions margina-
les, la continuité de l'étendue naturelle.
L'ordre artificiel de la quantité que nous avons élaboré
comble, par conséquent, d'une certaine manière, l'hiatus
qui existe, de par leur nature, entre la quantité discrète
et la quantité continue (voir II, 15, IV, 8 et VIII, 2).

Ré""mé du troisième stade

a) Le rapport fondamental peut, à la réserve d'une


petite marge, être exprimé par un rapport numérique.
La même chose peut se réaliser pour les autres rapports
entre les mesures d'un système (voir VIII, 8 et 9) .
b) Les marges d'un système se retrouvent comme mesu-
res proprement dites de systèmes inférieurs; ces mesures
peuvent, à leur tour, être exprimées numériquement (voir
IX, 8).
c) De cette façon, il y a moyen d'exprimer numérique-
ment les mesures de trois systèmes successifs, marges
comprises (voir IX, 13-15).
d) Les mesures des systèmes dérivés, qui sont dans
un rapport constant avec les mesures authentiques homo-
logues, peuvent, elles aussi, être exprimées numériquement
(voir X, 2-4).
e) Enfin, nous pouvons encore exprimer par un nombre
la relation qui s'établit entre le rapport constant (celui
qui existe entre les mesures homologues des ' systèmes
authentique et dérivé) et le rapport fondamental (voir X,
9 et 10).
XI,3 STADE DE L'EXERCICE
noir, tandis que les couleurs des mesures diminuées sont
successivement le rouge, l'orange, le jaune, le vert, le bleu
et le v iolet (couleurs de l' arc-en-ciel), selon que ces me-
sures sont une, deux ou plusieurs fois diminuées.
XI Dans J'abaque, les mesures sont diminuées autant de
fois que nécessaire pour parvenir d'une m esure authentique
Caractéristiques des rapports à son dérivé et, de cette mesure dérivée, de nouveau à la
m esure authentique suivante. C'est ainsi que s'obtient la
1. Pour arriver à une pleine connaissance du nombre série quasi-continue des mesures dont nous avons eu besoin
plastique (3 me stade), nous avons élaboré tout un raisonne- pour l'élaboration du nombre plastique.
ment logique (2 me stade) en partant de quelques données
pratiques qui sont d'expérience commune (1" stade). 3. Pour déterminer combien de m esures diminuées se
I nformés de la sorte, nous dépassons de beaucoup placent entre les mesures authentiques et leurs dérivés, il
la connaissance vague qui résultait de la simple obser- faut se sou venir que la diminution d'une m esure est égale
vation première. Nous pouvons donc à présent, en sens à la mesure homologue du système deux fois inférieur
inverse, affiner nos facultés d'observation en les portant en (voir X, 10) .
quelque sorte à la hauteur de nos connaissances acquises. La diminution d 'une mesure déjà diminuée une première
fois sera d onc un peu plus petite que cette première dimi-
nution. Les diminutions décroissent selon les mêmes pro-
STADE DE L'EXERCICE
portions que les mesures dont elles sont elles-mêmes les
2. C'est maintenant surtout que l' abaque va nous rendre diminutions. Les différences entre les diminutions succes-
un très précieux service. Le moment est donc venu d'en sives appartiennent, quant à leur grandeur, à des systèmes
fournir une description plus détaillée. Au premier stade, quatre fois inférieurs. Elles sont donc pratiquement négli-
nous avons dû nous contenter en effet d'en donner une geables et nous pouvons uniformiser ces diminutions tant
description sommaire (voir III, 9). qu'elles ne s'écartent pas trop de leur véritable valeur.
La boîte contient, sous forme de bâtonnets, toutes les L'écart doit demeurer moindre que la plus petite mesure
mesures d' un système authentique et d'un syst ème dérivé, du système deu x fois inférieur, puisque, pratiquem ent,
avec leurs mesures diminuées, ainsi que les mesures du on peut se limiter à trois ordres de grandeur successifs.
syst ème authentique et dérivé inférieur.
On reconnaît chacun des bât onnets à une marque gravée 4. Il est aisé maintenant de compter combien de fois
sur les d eux bouts. Les m esures authentiques se distinguent on doit diminuer une mesure auth entique pour arriver à
des mesures dérivées par la forme de ce signe : le point son dérivé, et combien de fois il nous faut diminuer ce
ou le cercle. Quant aux mesures diminuées, leur signe dérivé pour retrou ver de nouveau une m esure authentique.
distinctif a la même forme que celui des mesures dont elles La différence entre une mesure authentique et son dérivé
sont les diminuées, mais leur couleur diffère. est égale à la mesure authentique homologue du système
Les mesures authentiques et dérivées sont marquées de inférieur (voir X, 4).
90 LE NOMBRE P LASTIQUE X I,5 X I,5 STADE DE L'EXERCI CE 91
La différence entre une mesure authentique et sa pre- les systèmes authentique et dérivé, qui comptent chacun
mière mesure diminuée est égale à la mesure authentique huit mesures.
homologue du système deux fois inférieur (voir X, 10) . Dans les casiers suivants, nOS 3 à 17, se trouvent les
Ces deux différences sont donc l'une à l'autre ce que mesures diminuées de chacune des mesures susdites, sauf
sont entre elles les mesures homologues de deux sys- celles de la plus petite mesure, le dérivé du petit élément.
t èmes successifs. C'est exactement le rapport du grand Notons que, dans ces quinze casiers, devraient se trouver
tout au petit élément d' un même système. alternativement six et cinq bâtonnets. Or, un exemplaire
Or, le grand tout contient le petit élément sept fois. de la mesure dérivée elle-même a été ajouté, chaque fois ,
Donc, en diminuant sept fois une mesure authentique, on aux cinq mesures diminuées de celle-ci. Ces exemplaires en
arrive à son dérivé. P ar conséquent, six bâ.tonnets nous double des mesures dérivées sont nécessaires p our l'utilisa-
suffisent entre une mesure authentique et son dérivé. Leurs tion de l'abaque. Il y a donc six bâtonnets dans chacun
différences successives sont toutes égales à la mesure des quinze casiers nOS 3 à 17.
authentique homologue du système deux fois inférieur. Dans les deux casiers plus ét roits, nOS 18 et 19, se trouvent
Ces bâtonnets forment ainsi une progression décroissante respectivement les syst èmes authentique et dérivé d'un
marchant par raison arithmétique; ils sont marqués succes- ordre de grandeur inférieur : huit mesures pour chacun
sivement de rouge, d'orange, de jaune, de vert, de bleu et des systèmes avec, en plus, pour le système authentique,
de violet. un double du petit tout et de la petite partie et ,
E tant arrivés à la mesure dérivée, il nous faut réduire pour le système dérivé, un double de la petite partie
la diminution à la mesure dérivée homologue du sys- seulement.
tème deux fois inférieur. La différence entre une mesure Dans le dernier casier (no 20), il ya quelques doubles,
authentique et son dérivé du système deux fois inférieur correspondant aux pièces du grand syst ème authentique
peut en effet appartenir encore à ce système ; nous devons (casier n° 1); ils permettront de comparer avec le grand
donc en tenir compte. t out les multiples des diverses mesures et de constater les
Il nous faudra aussi diminuer sept fois cette mesure m arges. Ces exemplaires en double sont: un grand et un
dérivée pour trouver son propre dérivé. Mais une mesure petit tout, une grande et une petite partie, trois grands
deux fois dérivée nous mène à une mesure authentique fragments, quatre petits fr agments, un grand élément et
diminuée une fois (voir X , 9) . Il suffit donc de diminuer sept petits éléments.
six fois la mesure dérivée pour arriver à une mesure Le rapport entre la longueur et le diamètre des bâtonnets
authentique non diminuée. Cinq bâtonnets se placeront a été choisi de telle sorte qu' il est de 7 à 1 pour les mesures
dès lors entre la mesure dérivée et la première mesure moyennes du grand système, et de 1 à 1 pour celles du
aut hentique qui suit. Ils porteront les couleurs rouge, petit.
orange, jaune, verte et bleue. Ici manque le violet. Le diamètre des bâtonnets étant de 10 mm, les longueurs
du grand système authentique vont de 189,7 mm à
5. Les bâtonnets sont répartis comme suit ,' dans les 26,5 mm et celles du petit, de 26, 5 mm à 3,7 mm (voir I X,
vingt casiers de l'abaque: 15 et X, 4)·
Dans les casiers nOS l et 2 , se trouvent respectivement Nous a vons ainsi t erminé la description de l'abaque.
li •

LE NOMBRE PLASTIQUE XI,6 XI,8 STADE DE L'EXERCICE 93


Muni de ces données, un technicien quelque peu adroit sera grandeur en tenant compte des demi-types qui résultent
à même d'en confectionner un. de la distinction entre mesures authentiques et dérivées.
L'ordre contenait ainsi sept types de grandeur (voir VII, 9)·
6. Dès le début de cette étude, nous avons pu constater En raison même de cet acheminement progressif vers une
que tout le monde est capable de répartir les bâtonnets forme achevée de l'ordre de grandeur, les rapports entre
de l'abaque en t ypes de grandeur. On peut, sans autre les types, c'est-à-dire les rapports entre les mesures d'un
formation ni exercice préalable, déterminer les limites au système, ne présentent pas tous le même caractère. Ces
dedans desquelles les bâtonnets méritent d'être considérés mesures ont entre elles plus ou moins d'affinité.
comme égaux et en dehors desquelles on les déclarera
inégaux. 8. Considérons d'abord les quatre termes des trois types
Mais une intelligence plus complète du nombre plastique successifs qui entrent en jeu pour la comparaison de deux
nous a appris que, au dedans de ces limites qui fixent le double-types.
type de grandeur, il y a lieu de distinguer pourtant, à Ces quatre termes constituent un ensemble de quatre
côté des mesures authentiques, des mesures dérivées et mesures qui, par leurs relations et leurs différences, déter-
même des mesures diminuées. Ces distinctions allant jus- minent le rapport fondamental. A considérer ces quatre
qu'aux limites du visible, il faudra quelque entraînement mesures comme grand et petit tout, et comme grande et
pour que ces nuances extrêmes puissent, elles aussi, être petite partie, nous pourrons affirmer que leur progression
saisies à l'observation directe. marche par raison géométrique, égale à notre rapport
Les sens ne s'en trouveront que plus affînés, ce qui, pour fondamental, si tant est que la différence entre le grand
un architecte, est de première importance. tout et la grande partie (termes extrêmes du plus grand
double-type) est égale à la petite partie (terme miuimum
7. Tout comme à l'intérieur d'un type, il y a lieu du plus petit double-type) (voir VI. I4)·
d'observer des modalités à l'intérieur d'un ordre de grandeur.
Rappelons que nous avons déterminé l'étendue d'un 9. Cet ensemble de quatre mesures constitue en quelque
ordre de grandeur de façon progressive. sorte le noyau même du nombre plastique.
Nous l'avons déterminée, en premier lieu , en raison de Les trois rapports qui les relient - celui du grand tout
la comparaison de deux double-types successifs. De ce fait, avec le petit tout, celui du grand tout avec la grande
l'ordre de grandeur devait embrasser deux double-types; partie et celui du grand tout avec la petite partie -
à cause du type commun, cet ordre comportait trois types apparaissent pour ainsi dire au moment même où nous
successifs (voir VI , I 4) . comparons entre elles deux grandeurs architectouiques.
Nous avons déterminé ensuite l'étendue d'un ordre E n effet, le rapport fondamental entre les deux double-
correspondant au rapport typique entre ces deux double- t ypes fait apparaître en même temps le rapport entre les
types successifs, rapport qui n'est autre que le rapport deux t ypes extrêmes, c'est-à-dire entre le plus petit type
fondamental lui-même. L'ordre devait contenir dès lors du double-type inférieur et le plus grand type du double-
cinq types de grandeur (voir VII, 3). type supérieur. En même temps apparaît aussi le rapport
Enfin, nous avons déterminé l'étendue de l'ordre de entre les mesures extrêmes, c'est-à-dire entre la plus petite
94 LE NOMBRE PLASTIQUE XI , IO XI, I 3 STADE DE L'EXERCICE 95
mesure du plus p etit t ype du double-type inférieur et la plus l'usage est , par ailleurs, d'application courante de nos jours
grande mesure du plus grand type du double-type supérieur. dans les m achines à calculer électroniques.
Le rapport fondamental se présente donc toujours Contrairement à la not ation décimale traditionnelle, ce
accompagné des deux autres rapports qui lui succèdent système est basé sur un symbolisme binaire où l'on calcule
dans la série d'un syst ème; ce sont les rapports de quatre avec les seuls chiffres 1 et o.
à trois, de sept à quatre et de sept à trois. Deux s'y écrit: un, suivi de zéro, soit la.
De même que dans le syst èm e décimal, dix, après avoir
la. De ces trois rapports, savoir: le rapport fondamental été considéré comme multiple de un, prend le rôle d'unité
d e 4 à 3, le rapport amplifié de 7 à 4 et le rapport extrême pour commander les dizaines jusqu'à cent, ainsi, dans le
de 7 à 3, nous devons nous créer une image très précise, système binaire, deux, après avoir été considéré en relation
afin de pouvoir en vérifier les applications. avec l'unité , devient unité à son tour pour donner quatre,
De même que nous sommes capables de vériiier l'égalité qui est à deux ce que deux était à un, avant d'être considéré
entre deux mesures identiqnes, de m ême devons-nous lui-même comme unité.
pouvoir, avec la même facilité, reconnaître chacun de ces Quatre s'écrit dès lors: un, suivi de deux zéros, soit
trois rapports. L'image que nous nous en sommes faite doit 100.
être si frappante qu'en alignant, selon leur croissance de De même aussi que, dans le syst ème décimal, on indique
grandeur, tous les bâtonnets de l'a baque, nous puissions les nombres entre dix et vingt en se basant sur l'unité
choisir, à partir de n 'importe lequel, les trois a utres bâton- première, ainsi, dans le syst ème binaire, on écrira le seul
nets qui offrent avec lui chac un des rapports susdits. nombre qui se place entre deux et quatre, c'est-à-dire
Les quatre bâtonnets ainsi sélectionnés porteront néces- trois, sur la base de l'unité première.
sairement une marque de même forme et de même couleur. Trois s'écrira donc: un, suivi de un, Eoit II.
La série binaire se trouvant ainsi épuisée, nous écrirons
II. Pour arriver à se faire une inlage précise de ces cinq: quatre plus un, soit IOI,
rapports, on pourrait faire appel, par manière d'analogie, six: quatre plus deux, soit IIO,
aux caractères particuliers que présentent pour nous les sept: quatre plus trois, soit III.
nombres un , deux, trois, etc. Huit étant à quatre ce que deux était à un, il comman-
Le caractère propre à chacun de ces nombres se réfère dera une troisième série et s'écrira : un, suivi de trois zéros,
à la distinction première qui existe entre un et deux. Sous soit IOOO.
forme d'impair et de pair, cette distinction passe à tous les
a utres nombres, et nous faisons tout naturellement le rap- 13. Il ne paraît pas possible d 'embrasser simultanément
prochement avec les Butiuns de masculin et de féminin. plus que ces trois systèmes, pas plus que pour le nombre
plastique, nous ne pouvions saisir ensemble plus de trois
12. Pour mieux saisir le caractère particulier des ordres de grandeur.
premiers nOlllbres dans leur relation avec les nombres Dans le syst ème décimal, ces trois systèmes sont: celui
un et deux, nous pouvons recourir à la représentation des unités, de 1 à 10, celui des dizaines, de la à 100, et celui
suggestive que nous offre le système binaire, dont des centaines, de 100 à 1000 .
96 LE NOMBRE PLASTIQUE XI,14 XI, 15 STADE DE L'EXER CICE 97
Pour exprimer ces trois catégories de nombres, nous nombre plastique. A chacun de ces rapports nous pouvons
disposons de termes propres: dix, cent, et mille. Il n'yen a attribuer le caractère propre des nombres deux et trois.
pas pour exprimer les dizaines de mille; on doit se contenter Le rapport du grand tout au petit t out (4/3) sera nette-
de dire dix mille, comme on dit deux cents. ment masculin; celui du grand tout à la grande partie
L'ensemble de 1 à 1000 peut toutefois devenir le point (7/4), plutôt féminin.
de départ de trois systèmes plus grands, allant de 1 à 1000, Quant au rapport du grand tout à la petite partie (713),
de 1000 à 1.000.000 et de 1.000.000 à 1.000.000.000. Nous nous devrons lui reconnaître un caractère apparenté aux
disposons alors, de nouveau, de trois termes propres qm deux précédents, tenant en quelque sorte de l'un et de
sont: le millier, le million et le milliard. l'autre .

14- Les nombres du système binaire se présentent donc


comme suit: l ,10, II, 100, 101, 110, III, 1000.
Ils expriment les nombres de un à huit, nettement
caractérisés cette fois dans leur relation avec les nombres
un et deux.
Chaque nombre écrit de cette manière révèle par la pré-
sence des chiffres 1 son affinité avec l'unité, tandis que les
zéros indiquent l'affinité du nombre avec le double. Les
nombres trois et sept, exprimés par les symboles II et III,
accusent donc nettement un caractère Inasculin; le nombre
cinq, exprimé par 101, se montre moins masculin, tandis
que quatre et huit, qui s'écrivent 100 et 1000, révèlent du
fait même leur caractère féminin.
Ainsi, tous les nombres reproduisent quelque chose de
l'unité et du double, dont ils tirent leur origine, mais dans
une mesure différente pour chacun d'eux. Chaque nombre
aura de ce fait sa physionomie propre.

15. Quant au nombre plastique, où il s'agit de rela-


tions et non de quantités absolues, c'est le rapport fon-
ùamental qui joue pour lui le r61e d'unité (voir III, 151.
Ce rapport fondamental a ceci de commun avec l'unité du
nombre abstrait, qu'il est connu en soi, comme l'a prouvé
notre expérience du premier stade. Mais, en même temps
\
que le rapport fondamental, apparaissent, nous l'avons vu,
les deux autres rapports qui forment avec lui le noyau du
8
..

XII,4 STADE DE L'EXERCICE 99


divisions de l'espèce humaine: d'un côté, celles de la force,
de l'autre, celles de la grâce.
XII "Une bàtisse qui se réduit à des piliers et à des poutres
ne comporte guère que ces deux expressions: plus ou
Cinq exercices
moins de force ou de légèreté.
1. L'ensemble des quatre termes et de leurs trois "De là, deux types généraux ou ordres: l'ordre robuste
rapports, dont nous avons dit qu'ils constituaient le noyau est le dorique; l'ordre élégant et svelte, l'ionique. Les
même du nombre plastique, nous est devenu familier autres ordres se présentent comme des variantes de ces
grâce au caractère particulier que nous avons reconnu deux types."
à chacun de ces rapports. Plus loin, il dit encore:
L'attribution de ce caractère peut sembler subjective; "Vitruve assimile le caractère du corinthien aux grâces
elle fait pourtant écho aux traités d'architecture les plus féminines de la jeunesse.'1

authentiques.
4· Quoi qu'il en soit, nous pouvons nous servir de l'ex-
2. Selon la coutume de son temps, Vitruve se réclame pression propre à chacun des trois ordres classiques pour
d'une série de légendes pour expliquer comment les propor- caractériser mieux encore les trois rapports qui constituent
tions de l'ordre ionique diffèrent de celles de l'ordre dorique le noyau du nombre plastique.
(Livre IV, chap. I). Le rapport fondamental exprimerait dès lors la force
Laissons là les légendes, mais retenons de Vitruve que "dorique", ie rapport amplifié (rapport du grand tout à la
l'ordre dorique serait basé sur les proportions du corps grande partie), la grâce "ionienne", et le rapport extrême
masculin et l'ordre ionique sur celles du corps féminin. (celui du grand tout à la petite partie). l'ingénuité "corin-
La différence entre les deux ordres se manifeste surtout thienne" .
dans la proportion des colonnes, dont le diamètre entre Il Y a donc quelque analogie entre les trois rapports.
autant de fois dans la hauteur que la dimension de la tête d'une part, - qui sont au centre du nombre plastique-et
dans celle du corps. Dans l'ordre dorique, la hauteur de les trois ordres classiques, d'autre part, - qui résument
la colonne contient six à sept fois son diamètre, dans toute l'architecture antique.
l'ionique, huit à neuf fois. Nous ne prétendons pas en dire davantage, mais nous
Le rapport entre ces deux hauteurs relatives est en pouvons, tout au plus, constater que les rapports entre la
effet de trois à quatre, à peu près. hauteur et la largeur des chapiteaux dans ces trois ordres
3. Dans son commentaire sur cc passage de Vitruve, antiques présentent une gradation qui correspond à celle
Choisy ') conclut ainsi: de nos trois rapports typiques (fig. I5). De fait, le chapi-
"Dégagée de son enveloppe légendaire, l'idée paraît fig. 15 dorique ionique c:oTinthien
revenir à ceci. Il existe dans la nature deux so~tes d'ex-
pression bien distinctes, réparties entre les deux grandes
1) A. Choisy. Vitruve. Paris 1909. Tome I, pp. 62 et 121.
,.

100 LE NOMBRE PLASTIQUE XII,5 XII,7 STADE DE L'EXERCICE 101

teau dorique présente en hauteur les 3/4 de sa demi-lar- Si nous répétons cela encore une fois, nous verrons
geur, l'ionique, cette demi-largeur elle-même, et le corin- alors disposés dans un ensemble de trois ensembles toutes
thien, les 4/3 de celle-ci. les mesures d'un système. De cette façon, les rapports de
toutes les mesures avec le grand tout se trouvent mis en
5. Ayant donc établi une notion precise des trois relation avec le noyau premier et, par lui, avec le rapport
rapports premiers, il nous faut encore l'étendre à tous fondamental.
les autres rapports d'un système de huit mesures. fig. ,8
grand tout pe tit tout
Or, il y a lieu de considérer le système complet comme
1
un ensemble formé lui-même de trois ensembles. De même 1

que les rapports secondaires du noyau premier se réfèrent Ensemble 1


grl.nde parlie
au rapport fondamental, ainsi les autres rapports du système petite partie

se ramèneront-ils à ceux du noyau premier.


grande partie pelile partie
6. Nous avons vu comment, dans l'ordre plastique, 1 1
naissent simultanément avec le rapport fondamental les
deux rapports suivants qui font pour ainsi dire corps avec Ensemble II
gr. frallm. peL fragm.
lui (voir XI, 9).
Pour bien faire ressortir leur relation, nous disposerons
gr. fragm . pet. ffagm.
comme suit (fig. 16) les termes de cet ensemble de trois
rapports. 1 1 1

fig. ,6 1 1 1 E",mb!, III


grand tout petit tout gr.élérn. pet.êléol.

1 1
La fig. 18 nous montre, par exemple, comment le grand
t=1===+===1
grande partie pcbte partie
fragment est mis en rapport avec le grand tout, en passant
par la grande partie; comment le petit élément doit être
d'abord mis en rapport avec le grand fragment (comme
De ce premier ensemble, nous prendrons ensuite le
petite partie d'un grand tout dans l'ensemble III); com-
rapport des deux plus petits termes - qui n'est autre que
ment ensuite celui-ci entre en rapport avec le grand tout,
le rapport fondamental- comme point de départ d'un
en passant par la grande partie.
nouvel ensemble de trois rapports dont nous disposerons
les quatre termes de la même manière que plus haut (fig. 17).
7. Ainsi, le caractère du rapport entre le grand tout
fig. '7 et la grande partie se transmet au rapport entre le grand
grande par Lie petite partie
tout et le grand fragment, puis au rapport entre le grand
1 1
tout et le grand élément.
1 1 De même, le caractère du rapport entre le grand tout
gr. fragm. pd. fragm. et la petite partie se transmet au rapport entre le grand
102 LE NOMBRE PLASTIQUE XII,8 X II,10 STADE DE L'EXERCICE 103
tout et le petit fragment , puis au rapport entre le grand la. Premier exercice (fig. 20)
tout et le petit élément (fig. 19)· Il consiste à comparer entre eux t ous les rapports authen-
fig. '9 tiques, c'est-à-dire les rapports du grand tout aux sept
grand tout
autres mesures d'un système.
1
A cet effet, on disposera j'un à côté de j'autre, dans les
I!Iallde partie
rainures de l'abaque, chaque fois deux bâtonnets, selon les
rapports susdits, le grand tout y figurant toujours comme
1
grand hagm. plus grand terme.


gr. élém.
Mais l'abaque ne contient pas sept bâtonnets correspon-
fig. 20

grand tout ,
2
1
petite partie 1
8
pet. ffilgm.

d . 'é

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pet. tJém.
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8. Pour rester dans l'analogie qui existe entre les rap-


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1:
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ports d'un système et les nombres (voir XI, 15), il faudrait
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attribuer aux rapports successifs entre le grand tout et le dant au grand tout du syst ème authentique. On sera donc
grand fragment, le petit fragment, je grand élément et le petit obligé, sauf pour le premier couple, d'utiliser les mesures
élément, les caractères des nombres quatre, cinq, six et sept. diminuées du grand tout; elles se trouvent dans le casier
n ° 3. Pour le second t erme de chaque rapport, on prendra
9. Le rapport du grand tout au grand fragment, qui évidemment la mesure diminuée correspondante, portant
répond au caractère du nombre quatre, est donc très la marque de même forme et d e même couleur.
féminin; celui du grand tout au petit fragment, qui répond Que le grand tout soit chaque fois un peu plus petit n'a
au caractère du nombre cinq, sera plutôt masculin. pas d'importance, puisqu'il s'agit uniquement de rapport;
De même, les rapports du grand tout au grand et au pelil il y a même avantage â comparer des rapports indépen-
élément sont respectivem ent de caractère féminin et damment de la grandeur concrèt e de leurs termes.
masculin (voir XI, 14).
Partant de ces considérations, nous devons tâcher de II. Dans ces exercices, nous suivons en quelque sorte
saisir la physionomie propre de tous les rapports typiques la méthode du maître d' école qui apprend aux enfants à
sur lesquels va se baser l' expression architectonique. compter. Il montre successivement un, deux ou trois doigts
Suivent cinq exercices pour nous y aider. et demande: "Combien?" Ensuite, il fait la contre-épreuve
-

104 LE NOMBRE PLASTIQUE X II, I Z XII, I 3 STADE DE L'EXERCICE 105

et demande aux enfants de lever autant de doigts. La même authentique (casier n ° 3). Les bâtonnets qui serviront à
méthode est ut ilisée en solfège, pour J'enseignement des indiquer le second terme des rapports devront avoir, cette
intervalles musicaux. fois, la même couleur que le grand tout authentique, mais
C'est ainsi qu'après avoir fixé dans notre esprit chacun non la même forme.
des rapports t ypiques, nous devons essayer de les recon- La contre-épreuve consistera â rechercher les huit rap-
stituer un à un, en choisissant comme d'instinct les bâton- ports parmi la série continue des bâtonnets.
nets dans la série continue. On dispose à cet effet tous
les bâtonnets de J'abaque, l'un à côté de J'autre, selon leur 13. Troisième exercice (fig. 22)
Il consiste à comparer entre eux les r apports authenti-
grandeur décroissante, et l' on choisit alors, à partir d'un
bâtonnet pris au hasard, celui de la série qui formera le ques et les rapports dérivés.
fig. 22
second terme du rapport désiré.
Que le bâtonnet choisi porte la même m arque, quant à
la forme et quant à la couleur, nous y verrons la preuve de
J'exactitude de notre opération.

·1: .•• .[·


Voilà pour la recherche des sept rapports authentiques. ,•c
Deuxième exercice (fig. ZI)
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1 2.
Il consiste à comparer entre eux tous les rapports dérivés, ."1: "'j
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c'est-à-dire les rapports du grand tout authentique (casier ; ~
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nOI) à chacune des huit mesures du système dérivé " ·• • ~
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(casier n Oz) . ~ ~ ~ ~

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grand frallm.
L'on disposera encore, deux à deux, les bâtonnets dans authentique
les rainures du couvercle. en se servant comme pour le petit tout d';rivé
premier exercice des mesures diminuées du grand tout
l

106 LE NOMBRE PLASTIQUE XII, I 4 X II,IS STADE DE L'EXERCICE 10 7

Pour rapprocher ces deux espèces de rapport, il existe un Prenant comme point de départ le rapport fondamental,
double procédé. Le petit terme du rapport dérivé peut être on comparera avec lui les trois rapports augmentés.
considéré, soit comme le dérivé d' une mesure authentique, On pourra faire la même chose pour chacun des autres
soit comme le double d'une telle mesure (voir VII, 8). rapports, authentiques et dérivés.
En effet, chaque mesure dérivée correspond au double Au cours du premier et du second exercice, nous avons
d'une des mesures authentiques. Le dérivé du petit tout, dû, par manque de bâtonnets représentant le grand tout,
par exemple, est le double du grand fragment authentique. nous servir de mesures diminuées pour exposer, l'un à
En plaçant les bâtonnet s perpendiculairement l'un à côté de l'autre, les rapports authentiques et dérivés. Il
l'autre, selon la figure 23, il devient possible d'apprécier les nous suffira maintenant, pour obtenir leurs formes aug~
deux rapports (l'authentique et le dérivé) dans une seule mentées, de remplacer le petit terme de chacun de ces
disposition. rapports par celui du rapport suivant.
14. Quatrième exercice (fig. 24) 15. Cinquième exercice (fig. 25)
Il consiste à comparer tous les rapports t ypiques, les Il consiste à comparer tous les rapports typiques, les
authentiques comme les dérivés, avec leurs formes aug- authentiques comme les dérivés, avec leurs formes réduites.
mentées. Dans ces rapports augmentés, le plus petit terme Dans ces rapports réduits, c'est le plus grand terme qui se
est chaque fois une, deux ou trois fois diminué (voir X, I I trouve chaque fois diminué, une, deux ou trois fois.
et 12).
fig. 25
fig. 24

La perception de ces nuances est une question de pure Par ces nuances, les proportions deviennent pour amsi
sensibilité. Tout en appréciant les rapports authentiques ou dire plus massives. Les rapports de caractère féminin y
dérivés, on constate en même temps une légère exagération perdent en grâce, les rapports de caractère masculin y
qui donne à ces rapports une certaine élégance. gagnent en force.
..

lOS LE NOMBRE PLASTIQUE XII, Rés.


En nous basant de nouveau sur la disposition des bâton-
nets aux deux premiers exercices, nous devrons, cette fois,
remplacer le grand terme de chacun des rapports par celui
du rapport suivant.
La contre-épreuve consistera toujours à prélever tous Xln
ces rapports sur la série complète et continue des bâtonnets.
Disposition architectonique
Résumé du quatrième stade
a) Description complète de l'abaque comme instrument 1. Le titre prévu, dès la troisième leçon, pour le dernier
indispensable aux exercices. stade de notre étude, était celui de "mise en oeuvre du
Il contient, sous forme de bâtonnets, toutes les mesures nombre plastique" (voir III, 10).
d'un système authentique et d'un système dérivé avec Cette expression pourrait donner lieu à quelque malen-
leurs mesures diminuées et, en plus, les mesures du système tendu. On pourrait comprendre par là que le nombre plas-
authentique et dérivé inférieur (voir XI, 2-S). tique doit servir à la construction des maisons, au même
b) Le noyau du nombre plastique est constitué par trois titre que la connaissance éprouvée des matériaux et de la
rapports caractéristiques: le rapport fondamental et les technique. Dans ces sciences, en effet, l'intelligence se met
deux rapports suivants. au service des besoins corporels afin d'y pourvoir de la
Le caractère de ces trois rapports est comparable à celui manière la pIns adéquate. Le nombre plastiqne envisage
des nombres un, deux et trois (voir XI, II-IS). antre chose; il pourvoit à une ordonnance des formes plas-
c) Les trois ordres classiques de l'architecture antique tiques d'une manière telle que ces formes reçoivent une
nous offrent un point de repère pour caractériser ces trois force d'expression destinée à satisfaire les exigences de
rapports (voir XII, 2-4). l'esprit lui-même.
Il est donc plus exact de dire que nous nous servons de
d) L'ensemble des rapports propres au nombre plastique la construction de nos maisons pour réaliser le nombre
doit être mis en relation avec ce noyau de trois rapports plastique dans une ordonnance architectonique qui exprime
et, par là, avec le rapport fondamental. Ainsi, les valeurs à l'intelligence ce que ces constructions réalisent au service
caractéristiques des rapports du noyau se transmettent du corps.
à tous les autres rapports (voir XII, 6-9) . Ce qui ne veut pas dire, évidemment, que nous con-
e) Cinq exercices, pour affiner notre sens des proportions. struisons directement pour réaliser ce nombre. Mais la
Nous devons comparer entre eux, d'abord les rapports construction de nos habitations nous est occasion de le
authentiques, puis les rapports dérivés; ensuite, les rap- faire, et elle l'exige. Il reste que nous avons tout d'abord en
ports authentiques avec les rapports dérivés. vue la protection que requiert notre faiblesse corporelle en
Enfin, nous avons à comparer tous ces rapports avec créant autour de nous un espace séparé. Sans cette néces-
leurs formes augmentées et réduites (voir XII,'IO-IS). sité, la question de construire des maisons ne se poserait
pas, ni, en conséquence, celle de l'ordonnance architecto-
mque.
rro LE NOMBRE PLASTIQUE XIII,2 XIII,5 STADE DE LA MISE EN ŒUVRE III

2 . Mais ce premier obj ectif, qui est d'ordre purement simultanément au service de l'esprit et du corps, comme
corporel, ne saurait suffire à l'égard de l'homme qui doit nous-mêmes sommes esprit et corps en un seul être.
habiter la maison , ni, non plus, à l'égard du milieu naturel Ce reflet de nous-mêmes dans l'oeuvre de nos mains est
où cette maison doit trou ver place. une source d'admiration et de jouissance élevée, parce
Comme nous l'avons déjà démontré dans la première qu'on y fait abstraction de toute satisfaction directe, soit
leçon, on introduit un trouble dans l'ordre de la nature, du corps, soit de l'intelligence, pour s'attacher uniquement
si l'on construit des maisons dont la forme n'appartient à la rencontre, en une même forme, de ce qui fait l'objet
pas à un ordre artificiel, dépendant de notre intelligence de notre double besoin.
(voir l, I2). La forme de la séparation qui isole l'espace,
c'est-à-dire la forme de la maison, doit se prêter à une
STADE DE LA MISE EN ŒUVRE
certaine ordonnance pour satisfaire, d'une part, aux exi-
gences de l'intelligence et, d'autre part, pour ne pas troubler 5. A ce stade de notre étude, la p remière question qui
la nature. se pose est de savoir quelles sont les étendues que la maison
offre à la réalisation du nombre plastique.
3· La forme de la séparation isolante, qui est le résultat Pour répondre à cette question, il faut se rappeler ce
d 'un bon assemblage de matériaux convenables, est en que Vitruve entend par disposition (voir II, 2 et 9) et
m ême temps occasion et point de déPart pour la réalisation reprendre le point de vue établi au cours de la première
du nombre plastique. Technique et ordonnance se rencon- leçon (voir I, 8).
trent dans une seule et même forme. Cette coïncidence est La maison se présente comme un de ces compléments
possible, parce que le nombre plastique est réalisable en artificiels, nécessaires à notre existence humaine, au moyen
de multiples ordonnances et que la technique de la con- desquels nous nous maintenons physiquement dans une
struction présente, elle aussi, des possibilités nombreuses. nature inhospitalière. La maison nous réconcilie pour ainsi
Vouloir se limiter à t elle ou t elle technique pour des dire avec cette nature, tout en se présentant comme ce
raisons extra-architectoniques peut entraver et même ex- qui en sépare. Servir d'intermédiaire entre l'univers et
clure l'heureuse rencontre des deux, technique et ordon- nous, voilà son rôle propre.
nance, dans une m ême forme. La beauté de l'édifice ne Par rapport au corps, la m aison tient lieu des environs,
pourrait qu'en pâtir. qu'elle reproduit sous une form e tempérée et adaptée.
Il en va de même lorsqu'une connaissance insuffisante du Face à cet environnement. la maison remplace notre corps;
nombre plastique restreint les possibilités d 'ordonnance. à elle de subir pour lui les intempéries.
En vue de cette double substitution, la maison réunit
4· Sans trahir les exigences t echniques et pratiques de en elle deux éléments: elle est une séparation, et elle est un
la maison, la forme de celle-ci devra se soumettre aux espace intérieur séparé ; l'un naît de l'autre. C'est parce
exigences du nombre plastique. La beauté de la maison que l'élément qui nous sépare se ferme autour de nous,
résidera précisément dans l'union harmonieuse de sa fonc- que naît de soi l'espace intérieur; celui-ci n'existe que
tion corporelle et de sa fonction intellectuelle, dans une grâce à la séparation.
seule forme. Produit pleinement humain, la maison est Ainsi donc, l'espace intérieur se présente comme sub-
II2 LE NOMBRE PLASTIQUE XIII,6 XIII,8 STADE DE LA MISE EN ŒUVRE II3
stitut des environs naturels, qui se trouvent par là adaptés immédiatement dans toute son étendue tridimensionnelle.
à la faiblesse de notre corps. La séparation, elle, est notre L'élément séparant, c'est-à-dire l'enceinte entourant
substitut, qui nous adapte en quelque sorte aux environs l'espace qu'elle clôt, se montre uniquement par sa super-
naturels. Ce que la séparation est à notre égard, l'espace ficie et non, par conséquent, comme une donnée plastique,
séparé l'est à l'égard de l'environnement. car son épaisseur reste cachée.
C'est pourquoi, les deux remplaçants se rapportent Même à l'extérieur de la construction, la séparation ne
aussi l'un à l'autre, de la même manière que ce qu'ils se montre que par sa superficie. A considérer la maison
remplacent. Il nous est donc possible de saisir, dans la comme un grand massif, on n'arriverait pas à saisir la
relation entre la séparation et l'espace séparé, l'image objec- relation entre l'espace séparé et la paroi séparante, relation
tive de notre propre relation avec les environs naturels. qui est pourtant à la base de l'expressivité de la maison.
La conciliation avec ces environs, que la maison effectue Il faut donc voir la surface, même à l'extérieur, comme
de manière physique, selon sa fonction proprement cor- surface d'une séparation. Son épaisseur est donc toujours
porelle, parlera donc à l'intelligence dans la forme même cachée, à l'extérieur aussi bien qu'à l'intérieur.
de cette maison, si ses deux composantes, séparation et Pour rendre saisissable, à la vue, la relation plastique
espace séparé, présentent entre elles un accord saisissable. entre les deux termes, séparation et espace séparé, il
En résumé, on peut dire que la séparation et l'espace faudra, de toute nécessité, percer la paroi.
séparé sont les étendues qui doivent servir à réaliser le Cette percée, qui rendra visible l'épaisseur du mur, est
nombre plastique. C'est dans la mesure où la "conciliation" la première intervention artificielle qu'exige l'ordonnance
est représentée dans l'harmonie de ces formes d 'ordre architectonique. Or, nous rejoignons ici une autre nécessité
spatial, que la maison obtient la valeur expressive par qni s'impose, elle, du point de vue corporel. Il faut à une
laquelle elle devient un objet d'architecture proprement dit. maison, pour qu'elle soit habitable, des portes et des
fenêtres. Mais il s'agit de ne pas oublier que celles-ci, en
6. Les deux étendues, séparation et espace séparé, sont tant que percées, sont nécessaires déjà du point de vue
des données de nature spatiale. Leur relation ne s'exprime purement architectonique.
donc pas par un simple rapport de grandeurs liuéaires, La réponse à un besoin pratique ne doit d'aucune manière
mais par un rapport de deux grandeurs architectoniques. nous faire perdre de v ue la fonction architectonique, av~c
Il s'agit d'un rapport plastique de deux grandeurs qui sont ses exigences propres.
chacune en triple relation avec l'unité linéaire (voir V, 14). C'est du reste la con vergence des deux fonctions dans
Les deux termes de ce rapport sont en même temps longs, une même forme qui fonde, comme nous venons de Je voir,
larges et hauts. Plus loin, nous verrons que, de ce fait, le la vraie beauté architectonique (voir § 4).
rapport plastique se présente comme un triple rapport qui
résulte de trois rapports linéaires entre les dimensions 8. La protection du corps, effectuée par la maison,
correspondantes d e deux étendues spatiales en présence. n'inclut pas que l'épaisseur de la séparation soit du même
ordre de grandeur que sa longueur et sa largeur. La note
7. Des deux termes de la relation plastique, savoir la caractéristique de l'élément séparation est précisément que
séparation et l'espace séparé, seul le second se montre son épaisseur est sans valeur par rapport à ce qui est
9
T

LE NOMBRE PLASTIQUE XIII,9 XIII, IO STADE DE LA MISE EN ŒUVRE " 5


séparé. Par suite, l'épaisseur du mur n'aura pas de valeur besoin, mais nous ne devons pas pour a utant perdre de
non plus par rapport à sa superficie, laquelle est en rapport v ue la fonction purement architectonique d e la division
direct avec la grandeur de l'espace séparé. spatiale.
La massivité matérielle du mur, qui apparaît après la
percée, ne se présente donc pas comme une massivité 10. Il faut donc concevoir la disposition architectonique
expressive, puisque l'une de ses dimensions est sans valeur comme un procédé artificiel, destiné à donner expression
par rapport aux deux au tres. Cette m assivité ne peut se à la relation concrète entre le mur et l'espace qu'il sépare,
montrer d'une façon expressive que dans une partie du sous forme de rapport entre leurs ét endues plastiques.
mur, c'est-à-dire dans un élément dont t outes les dimen- Cette relation n'est pas présente de soi, car le mur comme
sions appartiennent à un seul ordre, ou même à un seul tel n'a pas de valeur plastique par rapport à l'espace
type de grandeur. séparé; ce n'est qu'en introduisantles t ermes intermédiaires
Par conséquent, il faut "articuler" le mur, pour que qu'il sera possible de la susciter.
chaque membre puisse y manifester sa massivité.
Cette articulation de la paroi séparante procède de II. Par conséquent, pour que la massivité de la sépara-
l'exigence même de l'ordonnance. Si, du point de vue tion soit mise en relation avec l'espace séparé, toute une
t echnique, le mur n'avait pas besoin de cette division, nous série de rapports intermédiaires s'imposent. La hiérarchie
devrions la faire intervenir quand même, de par la seule des termes - étendues massives a ussi bien qu'étendues
exigence de l'ordonnance. Que si, comme il arrive souvent, spatiales - , nécessaires à ces rapports, sont les données
la construction du mur exige déjà par elle-même cette que fournit la maison à la réalisation du nombre plastique.
articulation, nous ne devons pas pour autant perdre de vue L'harmonie ainsi obtenue fournira l'image objective de la
la première exigence, d 'ordre purement architectonique. conciliation, réalisée par la maison, entre l'homme et son
environnement naturel (voir § 5).
9. Un élément du mur, dont toutes les dimensions
seraient d'un même ordre de grandeur, ne peut pas encore 12 . La disposition de Sainte-Sophie de Constantinople
sout enir une relation directe avec l' espace séparé, car fournit de tout ceci un exemple facile à lire (voir le schéma
l'ordre de grandeur de celui-ci est défini par les dimensions du plan, fig. 26).
de la surface totale du mur. La percée du mur et son Les dimensions de l'ensemble sont en viron 75 sur 75
articulation ne suffisent d onc pas pour atteindre les mètres; celles de l'élément massif, l m 50 sur l m 50 en-
relations plastiques exigées entre la séparation et l'espace vuon.
séparé. L'épaisseur des murs équivaut donc environ au cinquan-
L'espace aussi aura besoin d'être articulé. Même si des tième de la dimension totale de l'édifice. Absence complète,
considérations techniques ou utilitaires ne rendaient pas par conséquent, de rapport entre l'épaisseur du mur et
nécessaire cette division de l'espace, il faudrait la faire sa superficie, aussi bien qu'entre un élément du mur et
intervenir uniquement pour obtenir l'expressivité de la l'espace intérieur.
séparation spatiale. Souvent , la technique de la construc- Mais cette relat ion devient possible dans les petits espaces
tion ou l'utilisation pratique de l' espace en indiqueront le . cellulaires b. I ci, l'épaisseur dumur et sa superficie appartien-

n6 LE NOMBRE PLASTIQUE XIII, I3 XIII,I4 STADE DE LA MISE EN ŒUVRE II7


nent au mênle ordre de grandeur. Le massif a entre donc typiques. Le choix à faire dépend, d'une part, de l'ordon-
en relation directe avec l'espace b, qui forme un des angles nance que l'on poursuit et, d'autre part, des possibilités
des chapelles latérales c. Or, celles-ci sont nettement en techniques ou des nécessités pratiques exigées par la des-
rapport avec le grand espace de l'édifice. tination de l'édifice. Il se peut donc que les multiples possi-
bilités de l'ordonnance se trouvent limitées pour des raisons
fig. 26 purement techniques ou pratiques.

a I4- Par contre, le progrès des équipements techniques,


dont on fait si grand cas aujourd'hui, pourrait donner lieu
à de nouvelles ordonnances architectoniques dont les
b moyens nous manquaient jusqu'ici.
Nous disposons ainsi en quelque sorte de nouveaux
registres qui étendent les possibilités d'un instrument. Mais
il serait absurde de nier pour autant la valeur perma-
nente des ordonnances de jadis.
f------1- - --------t, - ------ -- + -----i
15. Ces ordonnances nouvelles, rendues possibles et
postulées par les techniques, les matériaux et les besoins
d'aujourd'hui, exigent plus que jamais la prise de conscience
et l'intelligence parfaite du nombre plastique. La restau-
ration de cette science s'impose d'autant plus que, pour
ces ordonnances nouvelles, aucun exemple concret ne peut
nous servir de guide.
c

Ainsi, le plus grand terme de chaque rapport se pré-


sente chaque fois comme le plus petit terme d'un rapport
suivant, en sorte que la liaison entre l'élément a de la
séparation et l'espace total a été établie au moyen des deux
termes intermédiaires b et c.

I3· P our soutenir leur comparaison, l'élément massif et


l'espace secondaire, mis en relation avec lui, doivent être
au moins du même ordre de grandeur. Dans les limites de
cet ordre, il y a place toutefois pour plusieurs rapports
- - - - - - - - -- -

XIV, 3 STADE DE LA MISE EN ŒUVRE II9


hauteur (fig. 27), se rapporteront l'une à l'autre selon le
rapport de leur hauteur.
A :B = h: h'
XIV
Elles n'ont pas besoin d'intermédiaire, et il en sera ainsi
chaque fois que deux dimensions sur trois correspondent.
Juxtaposition et sttperposition
3. Mais lorsque nous avons à comparer deux étendues
I. La grandeur architectonique, nous l'avons vu, entre-
A et C qui n'ont de commun que la largeur (fig. 28), il
tient avec l'unité linéaire une triple relation, Elle est à la
nous est impossible de déterminer directement leur rapport
fois longue, large et haute (voir V, I2 et XIII, 6).
plastique. Un terme intermédiaire s'impose alors, qui soit
Le rapport entre deux grandeurs architectoniques, c'est-
en relation directe avec chacune des deux étendues.
à-dire le rapport plastique, sera dès lors aussi constitué
L'étendue B peut être comparée directement à l'étendue
par un triple rapport qui, comme nous le verrons plus loin,
comportera deux termes intermédiaires. fig. 28 c
Il s'ensuivra que les éléments intermédiaires, énumérés B

dans la leçon précédente comme étant ceux dont nous


avons besoin pour établir entre l'élément séparant et A
l'espace séparé un rapport plastique, ne sont pas suffisants h'
(voir XIII, II).
La toute première relation, c'est-à-dire le rapport entre /'
l'élément massif de la séparation et la partie élémentaire
de l'espace séparé que nous pourrions appeler "cellule spa- A selon le rapport de leur hauteur, parce que deux mesures
tiale", exige déjà pour elle-même, du fait qu'il s'agit d'un leur sont communes, la longueur et la largeur.
rapport plastique, deux termes intermédiaires. B:A = h' : h
L'étendue B peut aussi être comparée directement à
2. Deux étendues spatiales A et B, qui ont chacune la l'étendue C, selon le rapport de leur longueur, parce que
même longueur et la même largeur, mais qui diffèrent en la largeur et la hauteur leur sont communes.
fig. 27 B:C = Z:1'
B
C'est donc par l'intermédiaire B que nous sommes en
mesure d'établir le rapport plastique entre les étendues A
A
et C, quoique celles-ci ne présentent entre elles qu'une
/, seule din1ension commune.

4- Enfin, pour comparer deux étendues qui n'ont


en commun aucune de leurs trois dimensions, il faudra in-
troduire deux intermédiaires.
r -

120 LE NOMBRE PLASTIQUE XIV, 5 XIV, 6 STADE DE LA MISE EN ŒUVRE 121

Le rapport entre les étendues A et D (fig. 29) s'exprimera Le rapport plastique, fondement même de l'expressivité
donc par trois proportions: le rapport de hauteur entre A architectonique, sera donc réalisé, ici, par l'ensemble des
et B, le rapport de longueur entre B et C, et le rapport de trois rapports qui existent entre:
largeur entre C et D.
fig. 30
Il est donc évident que le rapport plastique se présente
sous forme d 'une triple relation et qu'il exige deux inter-
médiaires.
Ces intermédiaires devront être fournis par de nouveaux
fig. 29 D
c
B

éléments architectoniques qui, eux aussi, auront leur rôle a) la hauteur du chapiteau et celle de la colonne,
à jouer dans la mise en œuvre du nombre plastique (voir bi l'épaisseur de la colonne et la distance d'une colonne
XIII, 5). à l'autre,
Il n'est pas exclu que ces éléments répondent en même c) l'épaisseur de la colonne et la largeur de la galerie.
temps à un besoin technique, mais il y aurait erreur à faire
perdre de vue, à cause de cela, leur raison d'être purement 6. Tout rapport plastique est donc le fait de trois
architectonique. N'oublions pas que seule importe la coïn- rapports linéaires entre les dimensions correspondantes de
cidence des deux fonctions dans une même forme (voir deux' étendues spatiales en présence. Sont comparées chaque
XIII, 4). fois, hauteur avec hauteur, longueur avec longueur et
largeur avec largeur (voir XIII, 6).
5. De ces deux formes intermédiaires qu'exige le rapport Ces rapports sont d'un tout autre genre que ceux qui
plastique, nous trouvons un exemple dans la disposition s'établissent entre les dimensions de chaque étendue plas-
des portiques ou galeries. tique considérée en soi, où l'on compare longueur avec
Le chapiteau joue, ici, le rôle d'élément plastique de largeur, largeur avec hauteur ct hauteur avec longueur.
séparation, tandis que les cellules spatiales qui, par jux- Ceci fait l'objet d e l'eurythmie.
taposition, forment la galerie, constituent les éléments de Mais lorsqu'il s'agit du rapport plastique, on compare
l'espace séparé. respectivement les deux hauteurs, les deux longueurs et les
Chapiteau et cellule ne peuvent entrer en rapport l'un deux largeurs de deux éléments différents. Ces rapports
avec l'autre que moyennant la colonne et l'entrecolonne- font l'objet de la symétrie (voir II, 2 et 7)·
ment (fig. 30).
oq

122 LE NOMBRE PLASTIQUE XIV, 7 XIV,10 STADE DE LA MISE EN ŒUVRE 12 3

7· Le rapport plastique, à t riple relation, revient donc de même direction (deu x hauteurs, deux longueurs ou deux
fin alem ent à une question de symétrie, où l'on compare largeurs), il reste qu'elles peuvent être de sens opposé.
toujours des mesures de même direction. Elles peuvent, encore en plus, avoir ou non une base de
Mais, indépendamment de sa direction, il faut reconnaître mensuration commune. Les quatre cas suivants sont dès lors
à toute mesure une orientation. possibles (fig. 31).
Le terme d 'une mesure ne peut être, en effet, déterminé
que par rapport à un point de départ existant, qui lui sert
de base. C'est que toute mesure se prend à partir d'une
fi g. 31

- -
base, vers un terme. De là lui vient son orientation.
La base d ' une mesure doit t oujours être le terme d'une ~
mensuration précédente, tandis que son terme à elle peut
de nouveau servir de base à une mensuration suivante.
,~----I
C'est ainsi que toutes les mesures d 'une construction s'en-
chaînent en un grand tout hiérarchique. Le terme d'une
t
- l
première m ensuration devient chaq ue fois la base d'une
ou de plusieurs mensurations suivantes ; celles-ci se rami-
fient, comme les branches d'un arbre, en un ensemble
orgamque. a) deux mesures prises dans le même sens, à partir d'une
Dans cet enchaînement, le point de départ est fourni base commune; elles se superposent.
par la nature; c'est t el endroit d u sol. Le t erme de la pre- b) deux mesures prises à partir d ' une base commune,
mière mensuration faite par l'architecte, à partir de cette mais dans deux sens contraires; elles s'opposent.
base naturelle, sera la première base proprement architecto- c) deux mesures prises dans le même sens, mais sans
n~qt-t e. base commune, le terme de l'une formant la base de
l'autre ; elles s'enchaînent.
8. Cette orientation propre à chaque détermination de
d) deux mesures sans base commune, mais en sens
mesure, nous l'expérimentons par un effet spécial que
opposé, le t erme de l'une formant la base de l'autre; elles
produit sur nous l' aspect des surfaces d'un édifice.
se retournent l'une sur l'autre.
Toute surface qui délimite une donnée spatiale se présente
nécessairement comme terme de la troisième dimension de
10. Dans deux des cas susdits, savoir en a et en d, les
celle-ci. La mesure de cette troisième dimension a sa base
mesures se placent l'une sur l' autre; elles sont donc en
de mensuration, ou hi~n du r:ôtP. du spectateur, ou bien à
superposition. Dans les deux autres cas, savoir en b et en c,
l'opposé de celui-ci ; ce qui donne à cette mesure deux
elles se trouvent l'une à côté de l'autre, c'est-à-dire en
orientations différent es. Dans le premier cas, on dira que
juxtaposition.
telle surface "nous regarde"; dans l'autre cas, a u contraire,
E n cas de juxtaposition, ce qui distingue les mesures,
que le volume "nous tourne le dos".
c'est leur position même, indépendamment de leur grandeur,
9· Par conséquent, lorsqu'on compare deux mesures qui pourrait donc aussi bien être identique pour les deux.
l

12 4 LE NOMBRE PLASTIQUE XIV, II XIV, 12 STADE DE LA MISE EN ŒUVRE 125

Par contre, en cas de superposition, leur longueur seule de noir et de blanc, le noir correspondant à ce qui est fait
permet de distinguer les mesures, puisque, de par leur positivement, le blanc, à ce qui en résulte.
position, elles se confondent. Dans ce cas en effet, une La figure 32 représente, en a, une superposition de parties
égalité de mesure signifierait identité. noires et blanches. Mais, comme ces parties sont trop iné-
Puisque, en cas de superposition, la seule distinction gales pour entrer en relation l'une avec l'autre, il ne
possible est fournie par la différence des mesures, cette s'agit en somme que d'une juxtaposition de parties blan-
superposition sera d'autant plus marquée que les mesures ches d'égale longueur.
seront plus différentes. Celles-ci devront toutefois demeurer
fig. 32
dans les limites d'un ordre de grandeur, sous peine de
perdre entre elles la possibilité de comparaison.
En juxtaposition, les mesures se distinguent par leur
position même, tout comme en eurythmie, où l'on compare
la longueur, la hauteur et la largeur. La distinction, cette
fois; sera d'autant plus marquée que ces mesures se rappro-
chent plus de la même grandeur. Pour pouvoir cependant En b, se présente une juxtaposition de parties nOires et
constituer un rapport, elles devront appartenir à des types blanches qui, cette fois, sont trop égales pour soutenir entre
de grandeur différents. elles une relation.
Pour que les parties noires de a entrent en relation
II. Les éléments qui s'offrent, en architecture, à la avec les parties blanches, il faudra que toutes deux appar-
réalisation du nombre plastique sont, fondamentalement, tiennent au moins au même ordre de grandeur (fig. 33, a').
la paroi séparante et l'espace séparé. Viennent ensuite tous
les éléments intermédiaires que l'architecte doit introduire fig. 33

pour assurer la relation plastique entre les deux éléments


fondamentaux susdits (voir XIII, 10) .
a' H f:!l'j V"Î V«1 M
De même que l'espace séparé n'existe qu'en relation avec
la paroi séparante et tire son existence même de la création •
. wLZ1 pmAi fzm;0i P/?///<t4 VW«1
de celle-ci (on construit la paroi et, de ce fait même, l'espace
surgit). de même, dans les intermédiaires, subsiste une En a', les parties blanches demeurent en juxtaposition,
semblable distinction entre éléments qui sont "faits" posi- mais en outre, noires et blanches se sont mises en superpo-
tivement et d'autres qui "naissent" passivement de ceux-ci. sition.
Par exemple, on construit les colonnes, mais l'entreco- Si nous agrandissons les parties noires jusqu'à les faire
lonnement surgit de soi; on pratique des ouvertures pour appartenir au même type de grandeur que ce qui reste de
les fenêtres et, de soi, apparaissent les trumeaux. blanc, il en résulte immédiatement une juxtaposition de
parties noires et blanches (a").
12 . Dans les schémas suivants, nous représenterons ces La division, en a", se présente à une échelle deux fois
deux sortes d'élémentes architectoniques par des portions plus petite qu'en a et a', ce qui prouve que, en a et a' ,
126 LE NOMBRE PLASTIQUE XIV, 13 XIV,14 STADE DE LA MISE EN ŒUVRE 12 7

les parties noires étaient pour ainsi dire posées sur les En agrandissant les parties noires de a, et en diminuant
parties blanches, tandis qu'en a" elles sont posées l'une celles de b, on passe, à un moment donné, de superposition
à côté de l'autre. en juxtaposition, et vice versa.
En a et en a', les parties blanches se mesurent en partant Supposons un instant les rapports entre le noir et
du milieu des parties noires, tandis qu'en a" elles se mesu- le blanc, au moment de cette transition, telles qu'en
rent entre les termes de celles-ci. c (fig. 35), abstraction faite de l'échelle de la division.
l,
13· Si nous levons, en b (fig. 34), l'égalité des parties, fig. 35
afin de permettre aux parties noires d'entrer en relation
avec les parties blanches, 18 juxtaposition demeurera in- , ==~V:z?/;:z/;;:z/z:z!/.z»1î====~fz=ZZZZ/z~I=====t~Z2?/Z2Z?Z2?2:z??;;j11===
changée pour autant que les parties continuent à appar-
tenir au même type de grandeur (b').
fig. 34
0' =lfZ?2Z'1~nyl=1=n=l~Z?2Z'~f'=:smit==

"~~ZZ?L:j::i=q=~::jzzzV=z;zj::~=
b' =iz'4= Si nous considérons ces divisions comme une super-
position, nous devrons lire l'enchaînement et le rapport
Mais, du moment que le rapport entre les parties s'ap- des mesures comme en c'.
proche des limites d'un ordre de grandeur, il y aura super- La base commune des mesures superposées s'y trouve au
position et l'échelle des divisions sera doublée (b"). milieu des parties noires, tandis que m et n se rapportent
Le fait que la division est portée au double de sa grandeur l'une à·l'autre comme deux mesures d'un même système.
prouve de nouveau que nous avons passé de la juxtaposition Par contre, si nous considérons c comme une juxtaposi-
à la superposition. En juxtaposition, les parties noires et tion, nous devrons lire l'enchaînement et le rapport des
blanches se trouvent pour ainsi dire sur le même plan. En mesures comme en e", où p et q appartiennent maintenant
superposition, les parties blanches constituent en quelque à un même système.
sorte un fond qui passe sous les parties noires; la compo- En c', la partie noire est égale au double de m; elle répond
sition se joue sur deux plans différents. Les parties blanches par conséquent à une mesure du système dérivé. Quant à
se rencontrent au milieu des parties noires. la partie visible du blanc, elle est égale à la différence entre
n et 2 X m, grandeur qui ne figure évidemment pas parmi
14- Ces deux modes de composition apparaissent simul- les mesures d'un système.
tanément dans toute ordonnance architectonique. Il im- Le rapport entre la partie noire (2 X m) et la partie
porte donc de bien les distinguer. blanche entière (n) constitue donc un rapport dérivé.
128 LE NOMBRE PLASTIQUE XIV, 15
En c", les parties blanche et noire appartiennent toutes
deux au 111ême systèn1e; elles forment donc ensemble un
rapport authentique.

15. De ceci nous devons conclure que, en cas de juxta- XV


position. les mesures appartiendront toujours à un même
système, tandis que, en cas de superposition, nous aurons Réalisation du nombre plastique
des mesures authentiques et dérivées.
Les rapports authentiques (voir XII, 10) se réalisent 1. Nous avons vu ce qu'il faut entendre par disposition
donc surtout là, où il y a juxtaposition des éléments archi- architectonique; c'est le procédé artificiel par lequel la
tectoniques, tandis que les rapports dérivés appartiennent relation qui existe entre le mur et l'espace séparé qu'il
plutôt à la superposition (voir XII, 12). suscite peut s'exprimer sous forme de rapport plastique
Il reste encore à voir comment se réalisent les augmen- entre les étendues respectives de ces deux données archi-
tations et les réductions de ces rapports authentiques et tectoniques (voir XIII, la).
dérivés. Puisque l'épaisseur du mur ne peut pas entrer en
relation directe avec les mesures de sa surface, le mur
comme tel se trouve dépourvu de toute valeur plastique;
il ne peut donc pas entrer immédiatement en relation
. plastique avec l'espace tridimensionnel qu'il sépare. De là,
la nécessité d'articuler en quelque sorte le mur pour arriver
par une série de rapports intermédiaires à une étendue
élémentaire qui présente des rapports appréciables entre
hauteur, largeur et longueur.
Une forme homogène, non articulée, ne pourra donc
jamais prétendre à l'expressivité architectonique; il y faut
toujours un tout et des parties (voir XIII, II).

2. L'articulation du mur entraînera nécessairement une


articulation de l'espace séparé. Car, malgré sa valeur plas-
tique et tridimensionnelle, cet espace ne peut être du même
ordre de grandeur que l'élément massif de séparation.
C'est donc par une série de rapports intermédiaires qu'il
faudra arriver à démembrer l'espace jusqu'à la cellule
spatiale, laquelle peut soutenir la comparaison avec l'élé-
ment massif du mur. C'est alors qu'apparaît, entre les deux
éléments, le rapport plastique.
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LE NOMBRE PLASTIQUE XV, 3 XV,6 STADE DE LA MISE EN ŒUVRE
3. La série des rapports entre le tout et l'élément peut comme le prolongement et l'achèvement du concept, une
varier à l'infini, surtout dans les édifices de quelque impor- autre part, comme préparatoire à l'exécution.
tance, et donner naissance à des ordonnances multiples. Chacune de ces deux activités sera caractérisée par son
Le vrai travail de l'architecte sera donc dans le choix point de départ, selon que celui-ci sera le tout ou l'élément.
et la juste combinaison de ces rapports. C'est en cela que
réside la conception, la pensée originale, productrice de 6. L'ordonnance architectonique part donc de l'ensem-
l'édifice, avant même que l'architecte ne se détermine ble.
pour tel ou tel jeu de formes. Ces formes sont cependant Dès la première division de cet ensemble, deux possibi-
nécessaires pour que le concept prenne corps (voir l, 4)· lités apparaissent: la superposition ou la juxtaposition des
parties. Nous les avons analysées dans la leçon précédente.
4. Au tout, aussi bien qu'à l'élément, peut être attri- Dans le premier de ces cas, les termes du rapport sont
buée la notion d'unité, mais pas du même point de vue. posés, pour ainsi dire, l'un sur l'autre; dans le second cas, ils
L'unité du tout est celle qui accompagne l'essence même sont l'un à côté de l'autre (voir XIV, 10).
des choses; c'est l'unité transcendentale, propre à chaque Dans notre exemple illustrant la superposition (voir XIV,
être et aussi, par conséquent, à la chose que nous appelons 12, fig. 33 a'), le tout est divisé en parties blanches, au moyen
maison. des parties noires, t andis que, dans l' exemple de la juxta-
L 'unité de l'élément doit être considérée plutôt comme position (fig. 34, b'), il est divisé en parties blanches et
une unité numérique, celle-là même qui est à la base de la nQ1.res.
quantité. C'est le tout indivisible sur lequel est basé Tant qu'il ne s'agit que de la division première, il ne faut
chaque nombre. considérer chaque fois, dans ces deu x exemples, qu'une
Ces deux formes d'unité se rejoignent en quelque sorte seule partie blanche et une seule partie noire. En cas de
dans l'ordonnance architectonique, du fait que l'unité de superposition, il faudra donc dire que le tout est délimité
l'élément devient représentative de l'unité du tout. par une partie de lui-même, alors que, en cas de juxtaposi-
C'est que, en effet, la notion de maison reçoit son ex- tion, les deux parti es se complètent.
pression dans le rapport plastique " plein-vide" , rapport
premier entre l'élément massif et la cellule spatiale qui, 7. De même que, dans l' exemple de la superposition,
par la succession hiérarchique des rapports intermédiaires, les parties blanches passaient en quelque sorte sous les
s'étend jusqu'à l'ensemble de la maison. parties noires, de même ici, où il s'agit de la première
division, le tout, bien qu'un morceau lui soit enlevé, de-
5. Pour concevoir un édifice, le point de départ sera meure intact. De la sorte naît un rapport entre la partie
toujours le tout, parce que c'est l'ensemble de l'espace et le tout.
séparé qui est le but même de l'architecte. E n cas de juxtaposition, le tout est divisé en deux parties
A l'exécution, par contre, on part des éléments. qui sont en relation l'une avec l'autre. Dans cette relation,
Quant à la mise sur papier des plans, une part ties dessins le tout ne paraît plus.
nécessaires entre le stade de la conception par l'architecte
et celui de l'exécution des travaux devra être considérée 8. A la division ultérieure, les parties d'une juxtaposition
13 2 LE NOMBRE PLASTIQUE XV, 9 XV, 12 STADE DE LA MISE EN ŒUVRE 133
donnent lieu, à leur tour, chacune à un rapport entre deux La division successive des mesures par superposition aura
nouvelles parties qui feront disparaître en même temps donc pour résultat de faire apparaître des mesures appar-
les parties de la division précédente. tenant à des systèmes une ou plusieurs fois dérivés, dont
Mais, dans le cas d'une superposition, chaque division nous avons parlé à la leçon X. Ceci donnera lieu à des
ultérieure fera naître une nouvelle relation entre la partie rapports augmentés et réduits, qui ont fait l'objet de nos
d'une division et celle de la division précédente. Dès la derniers exercices (voir XII, I4 et I 5)·
première division en effet, il était question de rapport entre
la partie et le tout. 12 . En cas de juxtaposition, les rapports sont authen-
En superposition, une partie de chaque division est donc tiques.
toujours en relation avec une partie de la division suivante, La division des ll1esures selon ces rapports donnera pres-
en sorte que les rapports s'enchaînent. En juxtaposition, que toujours naissance à des parties qui se complètent
au contraire, il n'est question que de rapport entre les mutuellement pour former le tout, parce qu'elles appar-
parties de chaque division en soi. tiennent à un même système (voir VII, 6).
Mais, lorsqu'il s'agit d'une juxtaposition de parties égales,
9. Dans la série hiérarchique des rapports que l'ordon- celles-ci n' arriveront jamais à épuiser le tout. Il y aura
nance établit entre l'unité de l'ensemble et celle de l'élé- toujours un excédent, sous forme de marges (voir leçon IX).
ment, la superposition fournit donc comme la liaison Ces marges, et aussi celles qui naissent des rapports
verticale entre les divisions successives, alors que la juxta- augmentés ou réduits, se réalisent dans les éléments d'ordre
position établit le lien horizontal entre les parties de la minimal qui découlent de la technique même de construire
même division, à chaque degré de cette hiérarchie. (comme, par exemple, les joints, les moulures, les raccords
de toute sorte). Souvent aussi, ces marges trouvent leur
10. La série des rapports qui mettent le tout en relation COll1pte sous forme de légères nuances de mesures, dans
avec les innombrables éléments pourrait être comparée aux t elle ou telle partie, selon les besoins de l'optique ou de
ramifications d'un arbre. Par la superposition, s'opère en la pratique.
ligne directe, comme du tronc aux branches et des branches Cette utilisation des marges ne doit pas nous faire perdre
aux feuilles, le passage du tout à l'élément, alors que, par de vue leur raison d'être en architectonique pure. Une fois
la juxtaposition. les ramifications secondaires naissent de plus, fonction et expression vont de pair dans une même
latéralement. forme (voir X III , 4).
C'est ainsi que tous les éléments d'un édifice se trouvent
unifiés par un grand ensemble de rapports, qui s'appelle 13. Puisque les mesures marginales d'un système se
l'ordonnance. retrouvent comme mesures proprement dites dans un sys-
tème inférieur (voir I X, 8), il est de la plus haute importance
II. La leçon précédente nous a fait voir que, en cas de d'éviter que les marges qui résultent d'une première divi-
superposition, les rapports des mesures sont nécessairement sion n'entrent en relation avec des mesures issues de divi-
des rapports dérivés, alors que, en cas de juxtaposition, ils sions ultérieures. Elles perdraient de ce fait leur caractère
sont toujours des rapports authentiques (XIV, r5). de marge.
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134 LE NOMBRE PLASTIQUE XV, 14 XV, Rés. STADE DE LA MISE EN ŒUVRE I3S
Les mesures marginales qui se dégagent au cours des sa présence, de la succession hiérarchique des rapports plas-
divisions successives doivent continuer à parler comme tiques entre le tout et l'élément. C'est dans cette succession
telles. Elles se détachent en qnelque sorte de la hiérarchie de rapports que se réalise le nombre plastique, en une
des rapports pour en faire voir le déroulement. ordonnance déterminée.
Pour ce qui est des formes mêmes que doivent revêtir
14. Pour reconnaître ces marges comme telles, et ne ces marges, l'architecte devra, pour les réaliser, passer la
pas les confondre avec les éléments propres de l'ordonnance, main à d'autres; il devra faire appel au sculpteur, sans
il faudra souvent les "pulvériser" en quelque sorte par une lequel ne pourrait être dit son dernier mot d'architecte.
division tout à fait spéciale.
Du point de vue technique, rien ne peut justifier une Résumé du dernier stade
division poussée ainsi à l'extrême. La technique rompt, ici,
avec l'ordonnance (voir XIII, 3). a) La relation plastique entre la séparation et l'espace
Mais il faudra, au nom de l'esthétique (voir XIII, 4). séparé demande, pour atteindre à son expressivité, des rap-
trouver quand même des prétextes matériels pour justifier ports intermédiaires.
ces divisions extrêmes. Nous débouchons ainsi dans le Ces r apports naissent de l'articulation de l'édifice (voir
domaine de la décoration. XIII, 7-II).
La place qu'occupe la décoration dans un édifice ressem- b) Le rapport plastique est constitué par une triple re-
ble à celle que tient le jeu dans la société. Le jeu se détache lation. Il se ramène à des rapports entre longueurs, largeurs
du mécanisme social pour en donner une sorte de repré- et hauteurs de deux étendues en présence (voir XIV,
sentation réduite. Il en va de même de la décoration. Nous 1-4)·
y retrouvons aussi, d'une certaine manière, la composition Ces rapports appartiennent au domaine de la symétrie
de l'ensemble. C'est dans ce sens que certains auteurs par- (voir XIV, 6).
lent d' "édicules", à propos d'ornements dont les formes
c) Les mesures de ces rapports peuvent se présenter en
sont empruntées à l'architecture même.
superposition ou en juxtaposition (voir XIV, 9-10).
Ces formes peuvent aussi être empruntées à la nature,
Par la juxtaposition seréalisentles rapports authentiques;
comme on le fait en sculpture et en peinture. Mais, en
par la superposition, les rapports dérivés (voir XIV, IS)·
architecture, le mobile de l'emprunt est tout différent.
La décoration architectonique, elle, ne vise pas la repré- d) De l'enchaînement successif des rapports dérivés, nais-
sentation pour elle-même; elle l'utilise seulement; elle sent les rapports augmentés et réduits (XV, II).
n'y prend que prétexte pour pulvériser les marges, en vue e) De ces rapports augmentés ou réduits, comme aussi
de l'ordonnance. de la juxtaposition de parties égales, naissen t des marges
qui, comme telles, appartiennent à l' ordonnance architec-
IS. Nous voici donc, finalement, en présence d'un tonique.
élément architectonique qui, comme tel, appartient réelle- La forme de ces marges relève de la sculpture (voir XV,
ment à l'ordonnance et en est même une composante de IS)·
très grande importance. La marge en effet témoigne, par
ABAQUE
décrit dam "Le Nombre plastique"
par dom H. van der Laan
Éd. E. J. Brill, Leiden, 1960

En venle chez L ÉON WAGEMANJ à Rogge/ (L.), Hollande.

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