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Quelques temps du passé et le présent dans des articles de journaux du début du XXIe siècle

– but: observer la place du passé simple et du passé antérieur


– en français: le passé composé est majoritaire par rapport à l'imparfait dans les articles de
journaux
– en allemand: le Präteritum est majoritaire par rapport au Perfekt

I Terminologie

a) l'aspect dans la grammaire française

→ cinq dichotomies selon Riegel:

1. accompli / inaccompli

L'aspect accompli veut dire que l'action est envisagée au-delà de son terme c'est-à-dire que du point
de vue de celui qui agit (et pas au moment où l'on parle) l'action est déjà achevée. L'aspect accompli
envisage l'action se déroulant:

L'aspect accompli L'aspect inaccompli

Le présent (Le roi donne une réception)


Le passé composé (Le roi a donné une réception) L'imparfait (Le roi donnait une réception)
Le passé simple (Le roi donna une réception)
Le plus-que-parfait (Le roi avait donné une
réception)
Le futur antérieur (Le roi aura donné une
réception)

2. perfectif / imperfectif

L’aspect perfectif indique un procès qui ne peut être réalisé qu'une fois parvenu à son terme. Par
exemple, si le procès sortir d'une maison est interrompu avant son terme, la sortie n'aura pas eu
lieu. Ainsi les procès perfectifs, pour être réalisés, doivent nécessairement arriver jusqu'à leur terme.

L’aspect imperfectif, au contraire, indique un procès réalisé dès qu'il est entamé. Par exemple, si le
procès de chanter est interrompu avant son terme, le chant aura quand même eu lieu (même
interrompu au bout de quelques notes). Ainsi les procès imperfectifs, pour être réalisés, ont besoin
d'être entamés, et peuvent ensuite s'interrompre n'importe quand.

On trouve ce schéma dans de nombreuses grammaires contemporaines.


Soit α le terminus a quo du procès, et ω le terminus ad quem de ce même procès.
Tout procès peut alors être représenté ainsi: α——————————ω
Dans un procès perfectif, le procès α——————————ω n'est réalisé que lorsque ω est atteint.

Dans un procès imperfectif, au contraire, le procès α——————————ω est réalisé dès que α
est atteint (dès que l'action a débuté).
3. sécant / non-sécant

L'aspect non-sécant envisage une action d'importance (au premier plan). On connaît le début et la
fin de l'action. L'aspect sécant envisage une action de moindre importance (en arrière-plan) dont on
ne connaît pas les limites.

L'aspect non sécant (action d'importance se L'aspect sécant (action de moindre importance
déroulant au premier plan) se déroulant en arrière-plan)

Le passé simple L'imparfait


Le passé composé

« Il faisait déjà nuit quand je suis sorti de chez moi. »

4. inchoatif / terminatif

L’aspect inchoatif s'est dit initialement de l’aspect d’un verbe propre à indiquer soit le
commencement d'une action ou d'une activité, soit l'entrée dans un état. Ce terme est également
appliqué à diverses constructions verbales et éléments non verbaux susceptibles de conférer à
l'énoncé cette même valeur (adverbes, particules etc.)

a) le préfixe en- : s'endormir (= commencer à dormir), s'envoler (= commencer à dormir)


b) le suffixe -iser: idéaliser (= rendre idéal), visualiser (= rendre visible)

En linguistique, le terminatif est un cas grammatical présent dans certaines langues, exprimant la
limite spatiale ou temporelle, le point ultime d'un déplacement ou d'une période de temps. Il
correspond à la préposition française jusqu'à.
Exemple:
•En estonien (suffixe -ni):
•maja « la maison » →majani «jusqu'à la maison »
•õhtu « le soir » → õhtuni « jusqu'au soir »

5. progressif

L'aspect progressif indique un développement par étapes de l'action: le mal va croissant.


Cet aspect est rare en français puisqu'il se limite au temps du gérondif et à la périphrase pas toujours
naturelle (selon les verbes) être en train de: il est en train de chanter. Cependant cette dernière
tournure est dénommée par certains, dont Wilmet1, aspect duratif, de même que la tournure être
occupé à. Marc Wilmet réserve le nom d' aspect progressif aux tournures du type il va s'amenuisant,
où l'action « progresse ».
En revanche, il est très important en anglais (c'est l'aspect « progressive » du « present continuous »
be + ing, I am swimming, « je suis en train de nager », ou du « past continuous » I was swimming).
b) L'aspect dans la grammaire allemande

l'aspect

l'aspect au sens étroit l'aspect au sens large


(exprimé par la morphologie (exprimé par le lexique (sens
et par la syntaxe) codé des verbes ou d'autres termes)

En allemand, le terme « aspect » renvoie à la dichotomie perfectif / imperfectif. La notion d'aspect


est donc plus restreinte en allemand qu'en français. Pour ce qui est des autres catégories qui font
partie de l'aspect « français », on les appelle communément « mode d'action » (Aktionsarten) en
allemand. A noter aussi que l'aspect perfectif renvoie ici à l'aspect grammatical (si cet aspect
n'existe plus en allemand moderne, le vieux haut-allemand et le moyen haut-allemand connaissaient
cet aspect qui s'exprimait par un préfixe accolé au verbe concerné) alors qu'en français, l'aspect
perfectif est d'ordre lexical.

II Types de textes retenus

– articles longs (pas de distinction entre narration et commentaire, les deux pouvant se trouver
mêlés)
– deux types de textes:
a) les faits divers (12,3% de passé simple en 1973)
b) le sport (27,3% de passé simple en 1973)
– 2,4% dans les autres catégories

III Les articles de journaux au début du XXIe siècle

a) les journaux français

– le passé antérieur et le passé simple sont nettement minoritaires mais ils existent
– le passé composé est majoritaire par rapport à l'imparfait
– l'imparfait dépasse rarement les 10%
– le présent est bien représenté, dépassant parfois les 40%
– prédominance du présent dans les reportages sportifs → ne descend pas au-dessous des 23%
– le passé simple et le passé antérieur se trouvent dans des articles du Monde et de Libération

b) les journaux allemands

– le Präteritum l'emporte sur le Perfekt


– les faits divers: le Präsens est la plupart du temps minoritaire par rapport au Präteritum, cette
différence est moins nette dans les reportages sportifs
– le Präsens est plutôt bien représenté dans les articles sur le sport
→ ceci peut s'expliquer par la recherche d'actualisation dans ce domaine

« De manière générale, il est clair que le prétérit est beaucoup plus employé en allemand et que
son pendant français, l'imparfait, n'occupe pas une place aussi prépondérante. » (p. 34)

L'imparfait est-il vraiment l'équivalent français du Präteritum allemand ? La réponse varie en


fonction des critères. Si l'imparfait est l'équivalent français du Präteritum sur le plan
morphologique, il y a de grandes différences quant à l'usage de ces deux temps. Pour mieux illustrer
cette différence, voici une phrase en allemand accompagnée d'une traduction française:

« Als die Rettungskräfte am Unfallort eintrafen, war der Fahrer des Unfallwagens bereits tot. »

« Quand les secours arrivèrent sur les lieux de l'accident, le conducteur de la voiture accidentée
était déjà mort. »

« Quand les secours sont arrivés sur les lieux de l'accident, le conducteur de la voiture accidentée
était déjà mort. »

Dans la phrase ci-dessus, le präteritum de la subordonnée est traduit soit par un passé composé soit
par un passé simple et non par un imparfait car l'usage de l'imparfait marque l'habitude, la
répétition:

« Quand (= à chaque fois que) les secours arrivaient sur le lieu de l'accident, le conducteur de la
voiture accidentée était déjà mort. »

Or, le präteritum allemand ne peut exprimer seul la répétition. Il est donc nécessaire de rajouter des
éléments pour marquer la répétition et/ou de changer de conjonction:

« Immer wenn die Rettungskräfte am Unfallort eintrafen, war der Fahrer des Unfallwagens bereits
tot. »

=> Cela montre que l'imparfait est le pendant français du Präteritum sur le plan morphologique mais
que les deux présentent de nombreuses différences sur le plan fonctionnel.

Il serait plus logique de comparer ce qui est vraiment comparables au lieu de faire des comparaisons
qui manquent de pertinence. Ainsi pourrait-on comparer le futur antérieur au passé surcomposé qui
« dans la langue parlée […] remplace le passé intérieur. » [§ 855] comme le précise le bon usage de
2008. Peut-être y a-t-il des différences en fonction des régions et des journaux. Peut-être y a-t-il
même eu des évolutions depuis 2008 dans le sens où le passé surcomposé aurait fait son entrée dans
le langage des journalistes. Il serait également possible de le comparer au subjonctif qui, quoique
fautif, s'utilise fréquemment dans ce contexte:

« Après que son père eut quitté le bureau, il prit le combiné pour appeler son ami. »

« Après que son père eu eu quitté le bureau, il a pris le combiné pour appeler son ami. »

« Après que son père ait quitté le bureau, il a pris le combiné pour appeler son ami. »
IV L'analyse des temps

– analyse sur le plan sémasiologique

a) le passé simple

– l'aspect non-sécant (qui le distingue de l'imparfait)


→ l'action considérée de l'extérieur enfermée dans des limites, plus particulièrement avec
une fin et ainsi coupée du monde
– le moment de l'énonciation et le moment de l'événement sont totalement dissociés (ce qui le
distingue du passé composé)

b) le passé antérieur

– dans des propositions subordonnées


→ exprime un fait antérieur à celui qui pourrait être exprimé par le passé simple

=> le passé simple et le passé composé semblent parfois interchangeables, ce qui n'est pas le cas du
passé antérieur et du plus-que-parfait (→ digression sur le passé surcomposé)

c) le passé composé

Définition du bon usage (valeur générale): « Le passé composé exprime un fait passé rapport au
moment où l'on parle et considéré comme achevé. Tantôt il s'oppose au passé simple, parce qu'il
s'agit d'un fait en contact avec le moment de la parole, soit que ce fait ait eu lieu dans une période
non encore entièrement écoulée, soit qu'il ait eu des conséquences dans le moment présent (et avec
cette valeur, on pourrait dire que c'est un présent accompli). Tantôt il concurrence (spécialement
dans la langue parlée) le passé simple pour des faites sans rapport avec le moment de la parole). »
[§ 853 a)]

« Dans les faits divers, comme dans les reportages sportifs, l'emploi du passé composé concerne
certains types de verbes. Il s'agit très souvent de nombreux verbes introducteurs – contrairement à
l'allemand où ces derniers sont conjugués au Präteritum. Ainsi il est facile de multiplier les
exemples 'a-t-il expliqué' […] » (p. 37)

Ici, l'auteur reconnaît implicitement que l'imparfait ne peut pas être l'équivalent du Präteritum sur le
plan fonctionnel.

– les autres verbes au passé composé sont souvent des verbes qui, dans leur sens, ont une
forme de limite soit à la fin soit au commencement
– la télicité
– inchoatif: le passé composé peut exprimer la conséquence (lien particulier du passé avec le
présent)
– la présence du passé composé peut s'expliquer de deux manières:
a) signe du code parlé
b) certain contact avec le présent (explique l'importance de ce tiroir verbal)
d) l'imparfait

– les verbes introducteurs en général au passé composé, mais parfois à l'imparfait


→ l'usage de l'imparfait surprend parce qu'il s'agit de verbes perfectifs
=> l'imparfait pittoresque: insistance, l'accent est mis sur l'accent sur l'action qui se
déroule dans son procès comme vue de l'intérieur

« L'imparfait narratif ou historique, au contraire de la valeur fondamentale, marque un fait non


répété qui a eu lieu à un moment précis du passé (indiqué par un complément du temps).»
[§ 851 b) 2°]

Mais quid des phrases suivantes ?

« Jaurès : il y a 100 ans, mourait le tribun »


(http://www.ladepeche.fr/article/2014/07/31/1927013-jaures-il-y-a-100-ans-mourait-le-tribun.html)

« Il y a 60 ans, commençait la guerre d'Algérie »


(http://www.ladepeche.fr/article/2014/11/01/1983123-il-y-a-60- ans-commencait-la-guerre-d-
algerie.html

« Il y a vingt-cinq ans tombait le Mur »


(http://www.arte.tv/sites/fr/temps-forts/il-y-a-vingt-cinq-ans-tombait-le-mur/)

« Il y a 40 ans, la Turquie envahissait Chypre » (http://www.latribune.fr/actualites/economie/union-


europeenne/20140720trib000840662/il-y-a-20-ans-la-turquie-envahissait-chypre.html)

« Le 20 juillet 1974, l'armée turque débarquait à Chypre. »


(http://www.latribune.fr/actualites/economie/union-europeenne/20140720trib000840662/il-y-a-20-
ans-la-turquie-envahissait-chypre.html)

« Football : il y a 16 ans, la France remportait la coupe du monde »


(http://www.laprovence.com/actu/mondial-en-direct/2959228/football-il-y-a-16-ans-la-france-
remportait-la-coupe-du-monde.html)

« Ici, il est possible d'interpréter l'emploi du Perfekt, comme un tiroir ayant un lien avec le présent
et le Präteritum comme un temps dont l'événement se situe avant le temps de parole. » (p. 41)

→ Le fait que l'événement dont on parle se situe avant le temps de parole est propre à tous les
temps du passé, les deux autres cas de figure étant la coïncidence de l'événement et du temps de
parole (la valeur générale du présent) et la postériorité de l'événement par rapport au temps de
parole (la valeur générale du futur).

« La perfectivité des verbes ne semble pas jouer de rôle particuliers puisqu'ils sont ici tous les trois
justement perfectifs. Ils n'empêchent en aucune manière la présence du präteritum.»

L'auteur fait l'impasse sur l'imparfait hypothétique tel qu'on le trouve dans des subordonnée
introduites par la conjonction « si »: « Si les gens étaient un peu plus raisonnables, il n'y aurait pas
de guerre ». Cet emploi est d'autant plus important qu'il y a une différence notable avec l'allemand
qui utilise le Konjunktiv II dans ce contexte: « Wären die Menschen ein bisschen vernünftiger, gäbe
es keine Kriege ». Ceci montre une fois de plus que l'imparfait et le Präteritum sont difficiles à
comparer sur le plan fonctionnel.
L'auteur n'aborde pas non plus la concordance des temps (consecutio temporis) qui est pourtant
assez fréquente en français: « Il m'a dit que son frère était souffrant ». En allemand, on utilise
généralement le Konjunktiv I dans ce cas: « Er hat mir gesagt, sein Bruder sei unpässlich ».
Toutefois, on peut rencontrer le présent (notamment à l'oral) ou le Konjunktiv II (qui exprime le
doute) dans certains contextes: « Er hat mir gesagt, sein Bruder ist krank » ou « Er hat mir gesagt,
sein Bruder wäre unpässlich » (= Il m'a dit que son frère était souffrant mais je ne le crois pas
vraiment.)

e) le présent

Définition du bon usage (valeur générale): « Le présent situe le fait dans une durée, un temps
incluant le moment où l'on parle [= coïncidence]; il convient à la fois pour les faits qui se passent
vraiment au moment de la parole, pour les faits habituels et pour des faits intemporels (vérités
générales; maximes, proverbes, théorèmes, etc.; c'est le présent dit gnomique). » [§ 850 a)]

– actualisation → convient bien dans le domaine du journalisme, peut supplanter les temps du
passé
– Herzog: le passé composé souligne un certain rapport du fait raconté avec le maintenant du
lecteur et lui donne de cette façon plus d'actualité => le présent accentue davantage encore

Quant au recul du passé simple, le Bon Usage semble suivre l'hypothèse de la recherche
d'actualisation : « La cause principale est que le passé composé, par ses liens avec le présent,
concrétise en quelque sort les faits en les rapprochant du moment où l'on parle et du locuteur lui-
même. » [§ 852]

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