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« 

Pour être efficace, une photographie doit être simple »


Pour le spécialiste canadien de l’histoire de la photographie Vincent Lavoie, de nombreuses images
virales récentes « entrent en résonance avec des préoccupations actuelles ».

LE MONDE | 10.05.2017 à 17h48 • Mis à jour le 11.05.2017 à 07h09 | Propos recueillis par Alexandra Klinnik

Un cliché, devenu viral, d’un photographe amateur représentant une jeune fille tchèque de 16 ans confrontée à un
sympathisant néonazi, pris le 1er mai lors d’une manifestation d’extrême droite à Brno, en République tchèque.
VLADIMIR CICMANEC/AP

Certaines photos sont plus fortes que les mots. Un cliché d’un photographe amateur représentant
une jeune fille de 16 ans confrontée à un sympathisant néonazi, pris le 1er mai lors d’une
manifestation d’extrême droite à Brno, en République tchèque , a eu une grande résonance en ligne.

Cette photographie s’inscrit dans la tradition des clichés stéréotypant des figures antithétiques.
Quelques semaines auparavant, c’est l’image d’une manifestante à Birmingham, en Angleterre,
défiant calmement du regard un militant du groupuscule d’extrême droite English Defence League,
qui était devenue virale.

Vincent Lavoie, historien de la photographie et professeur d’histoire de l’art à l’université du Québec,


à Montréal (Canada ), analyse pour Big Browser les raisons de cet engouement.
Piers Morgan Suivre
@piersmorgan

**PHOTO OF THE WEEK**


Enraged EDL racist stared down by amused, contemptuous
Asian woman. #Birmingham
(via @AlexisTrust)
16:11 - 8 Apr 2017

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Lire aussi :   Comment la photo d’une manifestante contre un groupe d’extrême droite
anglais est devenue virale (/big-browser/article/2017/04/1
1/comment-la-photo-d-une-manifestante-contre-un-groupe-d-
extreme-droite-anglais-est-devenue-virale_5109513_4832693.html)

En regardant les deux photographies, on s’interroge sur les raisons d’un tel écho mondial. A
quoi est dû ce succès ?

Vincent Lavoie : L’engouement suscité par ces images ne m’apparaît pas tributaire de leur valeur
esthétique. C’est plutôt la simplicité du sujet, son caractère essentiellement binaire, qui en favorise
la réceptivité, l’intelligibilité et éventuellement la notoriété. Pour être efficace, une photographie doit
être simple et ne pas être parasitée par des éléments annexes.

C’est ce que certaines icônes photographiques du passé nous enseignent. Je pense entre autres à
la photographie de Nick Ut prise lors de la guerre du Vietnam, la célèbre Napalm Girl,
recadrée sur la
(http://abonnes.lemonde.fr/asie-pacifique/article/2012/06/15/la-fille-de-la-photo-sort-du-cliche_1718256_3216.html)
personne de Kim Phuc, afin notamment de supprimer de l’image un autre photographe en train de
rembobiner sa pellicule.

Ce qui peut être observé sur les deux clichés récents des jeunes femmes est la récurrence d’un
motif qui s’est imposé au cours des dernières années. On repense instantanément à la photo de
Jonathan Bachman prise en juillet 2016 à Baton Rouge (http://abonnes.lemonde.fr/ameriques/video/2016/12/06/etats-unis-
, aux Etats-Unis, qui montre une jeune
rencontre-entre-le-photographe-et-la-manifestante-de-baton-rouge_5044290_3222.html)
femme faisant face à deux policiers antiémeutes.

Plusieurs autres images récentes procèdent de ce thème visuel : des jeunes femmes s’opposent à
des forces de l’ordre ou à des personnes aux orientations politiques irréconciliables. Une polarité du
genre se superpose à l’antagonisme politique ou idéologique que documentent les images en
question. Ce qui est mis en avant est l’« empowerment » ou l’« empouvoirement », au féminin.
Pour vous , c’est cette prise de pouvoir des femmes dans l’espace public qui interpelle les
internautes ?

Ces images entrent en résonance avec des préoccupations actuelles. Elles sont représentatives
d’une reconfiguration des attributs du pouvoir. Même Wall Street s’est mis au diapason en installant,
devant l’imposant Charging Bull de l’artiste Arturo Di Modica, la Fearless Girl, une sculpture en
bronze réalisée par Kristen Visbal qui représente une jeune fille téméraire (qui porte la mention :
« Know the power of women in leadership. SHE makes a difference »). On assiste à une volonté de
rééquilibrage social . Cela explique certainement en partie la popularité de ces photographies.

Lire aussi :   Le taureau et la « fillette sans peur » : à Wall Street, les statues de la
discorde (/big-browser/article/2017/04/13/le-taureau-et-la-fillette-sans-peur-a-wall-street-les-statues-de-la-
discorde_5110886_4832693.html)

Ce qui est fascinant dans celles-ci, c’est le rapport d’inversion qu’elles instaurent. Les femmes ont
un pouvoir. Voilà ce dont ces images de presse attestent. Le sourire que la jeune Pakistano-
Bosniaque adresse au militant d’extrême droite anglais en témoigne. Cette jeune femme est une
fearless girl (« une fille sans peur ») totale qui fait preuve d’une assurance telle que les rapports de
pouvoir et d’intimidation sont radicalement inversés.

Peut-on dire de ces photos virales qu’elles sont devenues des images iconiques ?

Ces images ne sont pas des icônes, du moins pas encore, et je doute même qu’elles le deviennent.
Elles s’inscrivent plutôt à l’intérieur d’une série d’images semblables, réunies autour de la reprise de
certains motifs. Leur répétition – une polarité idéologique doublée d’une polarité du genre – explique
en partie leur popularité, attestée par les « like » et les « retweet », nouveaux indices de la valeur
sociale des images.

Certains commentateurs ont rapproché ces images d’une photo de Marc Riboud devenue iconique
(http://tempsreel.nouvelobs.com/photo/20160831.OBS7198/la-jeune-fille-a-la-fleur-de-marc-riboud-l-histoire-d-une-photo-iconique.html)
(La Jeune Fille à la fleur). Je ne suis pas convaincu de la justesse de ce rapprochement. La photo
de 1967 est beaucoup plus que la représentation d’une confrontation entre une jeune femme et les
forces de l’ordre. Le vrai sujet du cliché est le recueillement, l’offrande de la fleur, ce point nodal de
l’image qui annihile toute opposition binaire.
BaionMan Suivre
@BaionMan

Marc Riboux
11:03 - 10 Jan 2017

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Selon vous, est-ce que ce sont les internautes aujourd’hui qui opèrent la sélection des
images médiatisées ?

La culture numérique favorise le partage et suscite les emballements médiatiques, mais elle ne
réforme pas totalement pour autant les processus d’élection des images au titre d’icône. Les médias
institués conservent leurs prérogatives en matière de sélection et de validation, pendant que les
images continuent de déferler sur les médias sociaux.

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