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JÉRÔME DE MORAVIE
NOTICE DE WIKIPEDIA
Jérôme de Moravie, ou le Morave est un dominicain actif à Paris à la fin du XIII e siècle, auteur d'un
important traité sur la musique.
Le Tractatus de musica
Dominicain, il séjournait au couvent des frères prêcheurs de la rue Saint-Jacques à Paris. Jérôme de
Moravie y est probablement enseignant. Il réalisa une synthèse des connaissances de son temps, non
pas en théorisant, mais en juxtaposant tous les auteurs contemporains qu'il peut et la somme de
toutes les musiques : spéculative, pratique, religieuse, profane, plein chant, musique « mesurable »,
règles de psalmodie et du discantus. L'auteur, résumant lui-même le projet, destine le traité aux
novices, nécessaire à l'enseignement des chantres :
« En sorte que qu'il ne soit pas nécessaire à celui qui cherche un enseignement de parcourir un
grand nombre de livres, la brièveté synthétique lui offre ce qu'il cherche sans peine. »
— Tractatus de musica
Ce projet correspond bien à l'effort dominicain de divulgation du savoir. Mais il ne s'agit en aucun
cas d'une encyclopédie car il manque de grands textes du XIe et des théoriciens, on parlera plutôt d'une
compilation.
Le Tractatus de musica est conservé à Paris B. N, Ms. lat. 16663. C'est l'unique manuscrit connu,
peut-être une copie réalisée « par des maîtres ou des étudiants pour leur propre compte ». Il est
composé de 94 feuillets de format 24,5 x 18 cm. La date de rédaction est postérieure à 1274 et
antérieure à 1306. En effet son premier possesseur connu, Pierre de Limoges, en fait don à la
Sorbonne à son décès. Ensuite le manuscrit figura parmi les livres publics de consultation usuelle, dans
la chapelle du collège jusqu'en 1615, parmi les œuvres d'astronomie, de mathématique, beaucoup
traduits de l'arabe.
Structure et contenu
Le traité est composé de trois parties réparties, en vingt-huit chapitres.
· Enseignement fondamental (théorie, classification...) : ch. 1-9
· Une musica plana (théorie des intervalles, modes, tonaire, nuances...) : ch. 10-25
· Une musica mensurabilis : ch. 26
Outre des éléments structurants du traité (ch. 2 à 9) on retrouve des citations et paraphrases
nombreuses du De musica cum Tanario (v. 1100) de Jean d'Afflighem (appelé aussi John Cotton [2]),
mais souvent approximatives ou fragmentaires ; la reproduction intégrale de la Musica mensurabilis de
Pierre le Picard ; des citations de Jean de Garlande pour sa définition de la musique.
Jérôme emprunte aussi beaucoup à Boèce (v. 480-524/5), bien que l'ouvrage ne soit pas au
programme de la faculté des arts de Paris. Il reproduit notamment les livres deux à quatre du De
institutione musica, et le cite abondamment en ce qui concerne les livres un et cinq (la Sorbonne en
possédait deux copies). Le texte de Boèce a été composé « pour transmettre aux Latins l'essentiel de
la "philosophie" grecque ».
Jérôme tire aussi parti d'autres traités plus modestes en taille, tel le Speculum doctrinale de Vincent de
Beauvais, mais essentielle en référence (elle aussi Boécienne). Au chapitre VII, Subdivisiones musicæ
Ricardum, il cite Hugues de Saint-Victor, ainsi que les Étymologies d'Isidore de Séville (VI e-VIIe
siècles), le livre III (ch. 15-23), étant consacré entièrement à la musique (et déjà cité par Vincent de
Beauvais).
D'un point de vue plus doctrinal, on reconnaîtra l'influence d'Aristote dont les traités sont l'essentiel de
l'enseignement de la philosophia naturalis de la faculté. Il le cite trois fois précisément : De caelo et
mundo, De anima et le livre des Physiques. Il emprunte en outre à Thomas d'Aquin un long
commentaire du De caelo qui refuse toute idée d'harmonie des sphères (ch. 7).
TRAITÉ DE MUSIQUE (commencement du XIIIe siècle)
« Jérôme de Moravie, ainsi désigné, parce qu’il était né dans la contrée qui porte ce nom, vécut au
commencement du XIIIe siècle, dans le couvent des Frères Prêcheurs de la rue Saint-Jacques, à Paris.
Il est auteur d’un Traité de Musique, resté inédit jusqu’à présent[1] et que l’on peut considérer comme
une sorte d’encyclopédie musicale de ce temps. Le manuscrit unique, qui contient ce traité, aujourd’hui
à la Bibliothèque nationale de Paris, sous le numéro 1817,[2] était autrefois à la Sorbonne. Il est
intitulé: Incipit tractatus a Fr. Hieronimo Moravo, Ordinis fr. Praedicatorum.[3] »
De Coussemaker ajoute plus loin, au sujet de la doctrine rythmique contenue dans l’ouvrage de
Jérôme de Moravie : « Ce qui concerne la valeur temporaire des notes dans le plain-chant pur paraît
avoir été en grande partie abandonné, pendant le moyen âge, à. l’enseignement pratique et
traditionnel, car aucun des écrivains sur la musique antérieure au XIII e siècle n’en parle d’une manière
ni assez complète ni assez détaillée pour qu’il soit possible d’en avoir une idée bien nette, bien précise.
[4] Jérôme de Moravie est le premier, à notre connaissance, qui ait traité cette matière avec
l’importance qu’elle comporte, dans le chapitre XXV de son Traité de Musique. On y trouve des
renseignements abondants et détaillés sur la durée des notes simples, liées et détachées; sur les
groupes de notes liées et détachées, tant en montant qu’en descendant, selon les positions qu’elles
occupaient dans les périodes musicales; à la fin, au milieu ou au commencement d’une période
complète ou incomplète. Ce qu’il y a de plus remarquable, c’est que toutes ces modifications n’y sont
marquées par aucun signe séméiologique. Cette doctrine de la durée des notes est ensuite complétée
par celle non moins importante des ornements usités dans le plain-chant au XII e siècle. Ces ornements,
qui ne sont non plus indiqués par aucun signe de notation, la plique exceptée, se composaient de la
plique, de la réverbération et de ses diverses espèces, des fleurs longues, ouvertes et subites, du trille,
appelé nota procellaris. Jérôme de Moravie explique avec le plus grand soin dans quelles circonstances
et sur quelles notes se pratiquaient tous ces ornements.
Cet important chapitre est à lui seul un véritable traité sur le rythme et l’ornementation du chant
ecclésiastique au moyen âge. Il serait impossible d’en faire apprécier toute la valeur dans la faible et
brève analyse que nous pourrions en donner. Aussi ne l’essaierons-nous pas, dans la crainte de
déflorer ce sujet, qui demande un travail spécial et complet. Quand il sera connu dans toute son
étendue et avec les explications dont il a besoin d’être accompagné, alors seulement on pourra avoir
une idée des immenses ressources d’exécution, dont le plain-chant disposait au moyen âge pour
émouvoir ses auditeurs et faire pénétrer dans leur cœur les sentiments les plus nobles et les plus
élevés. Quand on connaîtra la prodigieuse variété de rythmes, les nombreux ornements dont le plain-
chant était pourvu, alors aussi on se figurera ce qu’il a pu être, pendant que ces traditions étaient en
pleine vigueur et à leur apogée. Le traité de Jérôme de Moravie nous révèle en grande partie tous ces
mystères. Quand on se transporte un instant par l’idée au temps où tout cela existait dans son éclat,
l’imagination reste éblouie du degré de grandeur, de noblesse et de sublime auquel avait atteint cet art
véritablement divin. »
J’ai voulu reproduire tout entier ce long passage dithyrambique du savant auteur de l’Histoire de
l’Harmonie au moyen âge, non comme l’expression de la vérité (hélas! qu’il en est loin !), mais parce
qu’il est comme le cri du cœur, chez l’un des partisans les plus déclarés du rythme égal dans le plain-
chant, en présence d’une doctrine déjà ancienne qui suppose, dans l’exécution des mélodies
grégoriennes, tout autre chose que la plate et insipide égalité des notes, sans variété de durées, sans
ornements du chant, sans rien de ce qui est couleur, mouvement et vie en musique. Cela prouve quel
besoin nous avons instinctivement de sentir le rythme dans les mélodies, mais un rythme qui soit
l’expression vraie de nos affections et de nos sentiments intimes, non une suite monochrome de sons
qui nous endorment.
Ce fameux chapitre XXV, je vais le transcrire en entier, avec les explications nécessaires pour le bien
comprendre. Après ce que nous savons de la vraie doctrine des anciens sur le rythme, on reconnaitra
facilement dans Jérôme de Moravie, non le fidèle interprète de cette doctrine qu’il n’a même pas
connue, mais plutôt le témoin inconscient de l’état de décadence et de corruption où était tombée dès
lors la musique ecclésiastique. Son traité n’en prouvera pas moins qu’au XIII e siècle on n’avait point
complètement perdu les traditions du IX e et du Xe en fait de rythme dans les mélodies grégoriennes,
mais que, sous l’in fluence d’habitudes nouvelles nées du contre-point, on s’ingéniait à donner au plain-
chant une variété et des agréments qui lui faisaient défaut, depuis qu’il avait perdu son rythme primitif.
Jérôme de Moravie nous fait connaître sur ce point les usages d’un certain nombre d’églises, en France
et dans les contrées adjacentes ; ailleurs, on faisait autrement, et nous verrons Simon Tunstede, au
siècle suivant, exposer une manière différente de diversifier et d’orner le chant. Hors de la seule vraie
tradition rythmique, que pouvait-il y avoir, sinon caprice et bigarrure ?
HIERONYMO DE JÉRÔME DE MORAVIE
MORAVIA
TRAITÉ DE MUSIQUE
DE MUSICA De Musica, a fr. HIERONYMO DE MORAVIA, Ch. XXV.
Tel est le chapitre XXV du traité de Jérôme de Moravie. Il est intéressant à plus d’un
titre, et c’est pourquoi j’ai tenu à le transcrire d’abord tout entier, sans interruption. Il
faut y revenir cependant et noter un certain nombre de points qui ont leur importance
dans l’histoire du rythme grégorien.
On aura remarqué que ce chapitre renferme : 1° une sorte d’introduction sur les
rapports entre la musique figurée et le plain-chant ecclésiastique, au point de vue du
rythme et de la valeur des notes ; 2° un corps de doctrine, ou exposition des systèmes
adoptés au XIIIe siècle pour l’exécution du plain-chant ; 3° quelques observations et
conseils, en forme de conclusion, sur les conditions que doivent remplir tous bons
chanteurs, s’ils veulent réussir à bien chanter. Un mot sur chacune de ces trois parties ne
sera pas sans utilité.
…………………………………………………………………………………………………………..
[1] De Coussemaker l’a publié depuis dans le tome I des Script. de Musica, etc., 1865.
[2] Actuellement, il est inscrit: fonds latin, numéro 16663 de Musica tractatus fr.
Hieronymi de Moravia.
[4] Le lecteur sait que penser de cette assertion de Coussemaker. Mais il est vrai qu’à
cette époque (1852) on connaissait fort peu la doctrine des anciens sur le rythme
musical et qu’ainsi les auteurs du moyen âge avant le XIIe siècle restaient obscurs.
[6] Voir en fin de texte, le tableau où sont représentées ces valeurs des notes, d’après J.
de Moravie.
[7] Les clefs, c’est-à-dire les lignes où sont placées les lettres indicatrices des sons : clef
de F, ligne du Fa ; clef de C, ligne de l’ut, etc… Les clefs, dont il est question ici, sont
donc les degrés de la gamme modale, sur lesquelles la mélodie fait régulièrement ses
repos. Cette phrase et la suivante, qui la complète, sont insérées ici comme une note, à
propos des pauses du chant.
[8] La figure fait défaut dans le manuscrit ; mais ce point des repos mélodiques est assez
connu par les auteurs qui ont écrit avant Jérôme de Moravie.
[9] Ce passage n’est pas très compréhensible. A moins que l’auteur ne veuille dire qu’il
faut dans le chant conserver toujours la régularité de la mesure, en sorte que les temps
qui manquent d’un côté, soit dans les notes, soit dans les pauses, se retrouvent ailleurs
et qu’ainsi les pauses se complètent par les pauses et les notes par les notes. Mais
comment cela se faisait-il ? Il ne le dit nulle part et je ne le vois pas bien.
[10] Il s’agit du mode rythmique, l’un des cinq ou des six usités alors en musique. Cf.,
plus loin, le traité de J. Hothby.
[11] Voir plus loin, le tableau des valeurs de notes, d’après J. de Moravie.
[13] Bien qu’assez semblable aux fioritures longues, la nota procellaris n’était cependant
pas considérée comme fioriture et tous ne l’admettaient pas dans le plain-chant, comme
Jérôme de Moravie le dira plus loin.
[16] « Voilà une observation qui eût singulièrement, s’il l’avait connue, confirmé feu
Vincent dans la supposition qu’il avait faite de l’usage du quart de ton dans le plain-
chant. Il se fondait alors sur un passage du manuscrit de Montpellier inexactement
reproduit dans la copie de Th. Nisard, opinion qu’il a dû abandonner lorsque, à vue de
l’original, je l’ai averti de sa méprise. L’abbé Raillard, qui l’avait adoptée, fut plus tenace
que lui. (Voir à ce sujet une note de mon travail sur le chant byzantin.)
« Des observations et recommandations qui suivent, on doit conclure que c’est une
illusion complète de s’imaginer que le peuple, au moyen âge, prenait part à l’exécution
du chant, et que c’est l’introduction de la musique qui le réduisit au silence. » (St.-M.)