Introduction :
C’est dans son texte Qu’est-ce que le contemporain ? que Giorgio Agamben propose
en philosophe une réflexion sur la contemporanéité. Il écrit que « contemporain est celui qui
reçoit en plein visage le faisceau de ténèbres qui provient de son temps 3 ». Dans cette
tentative de définition, Agamben s’inspire de la note de Roland Barthes à ses cours au Collège
de France, qui s’appuie sur la pensée nietzschéenne : « Le contemporain est l’inactuel. » De
cette prémisse, Agamben conclut que « la contemporanéité est donc une singulière relation
avec son propre temps, auquel on adhère tout en prenant ses distances4 ».
1
« Octave Mirbeau, postérité et modernité ».
2
Eugène Montfort « Avec Mirbeau », Mercure de France, 1er juin 1907.
3
Giorgio Agamben, « Qu’est-ce que le contemporain ? », Nudités, Rivages Poche, 2012.
4
Giorgio Agamben, op. cit., p. 21.
1
Or Octave Mirbeau a épousé parfaitement ce rapport au présent. S’il s’est engagé de
toutes ses forces en son siècle, il a toujours su garder un écart avec son temps : activiste, il est
convaincu que toute action est vaine ; journaliste, il a inlassablement critiqué le mercantilisme
et la fonction d’abêtissement de ce moyen d’information ; révolté, il montre clairement, dans
Les Mauvais bergers, que la révolte ne peut aboutir qu’à un bain de sang, et s’avoue
infiniment plus noir et pessimiste qu’Émile Zola par l’absence de « germinations » futures.
Mirbeau n’est pas l’homme des prophéties optimistes. Or, s’il avait coïncidé en tous points
avec son époque, jamais il n’aurait pu la voir aussi lucidement et porter un jugement si glacial
sur elle, qui fonde sa radicale originalité.
Agamben continue : « Seul peut se dire contemporain celui qui ne se laisse pas
aveugler par les lumières du siècle et parvient à saisir en elles la part d’ombre, leur sombre
intimité5. » Les « lumières du siècle » ne doivent pas être comprises de manière positive, mais
plutôt comme un déguisement éblouissant chargé de dissimuler la vérité et auquel s’arrêtent
les « croupissantes larves », pour emprunter à Mirbeau. Là où tout un chacun, victime
consentante d’un phototropisme fatal aux insectes, ne perçoit pas « la part d’ombre », cette
dernière sautait aux yeux de Mirbeau et, presque par instinct, il faisait tomber les masques.
Soit le progrès dans La 628-E8, soit le colonialisme dans Le Jardin des supplices, soit les
atteintes à la nature dans de nombreux articles écologistes par anticipation, soit encore la
démocratie dans La Grève des électeurs, et la domesticité dans Le Journal d’une femme de
chambre, et les décorations, l’État, l’eugénisme 6, la famille, le système des Salons, la guerre,
le patriotisme, la justice, etc… On ne compte plus tous les principes équivoques, toutes les
entités troubles, que Mirbeau a pointés du doigt et a démystifiés, souhaitant provoquer ses
lecteurs à « regarder Méduse en face ». Ce souhait profond de Mirbeau se retrouve chez les
cyniques antiques, comme Étienne Helmer le développe en ces mots : « Diogène […] note
que beaucoup d’hommes s’étonnent mal à propos, c’est-à-dire ne s’étonnent pas de ce qui
l’étonne lui-même, à savoir le caractère irrationnel et servile de leur propre conduite et de
leurs propres valeurs7. » Le rôle du cynique ou de l’anarchiste (l’un n’empêche assurément
pas l’autre) semble alors être de diriger son interlocuteur et de le pousser à remarquer,
s’indigner, voire se révolter de ce qui lui avait échappé.
On peut affirmer sans excès que là où Agamben parle des « lumières du siècle »,
Mirbeau les aurait appelées « grimaces du siècle ». Et critiquer les grimaces semble être un
devoir impératif dont il ne peut s’abstenir, comme il l’exprime à Albert-Émile Sorel : « On
me reproche d’aller trop loin… je ne sais pas… il est des conteurs du dix-huitième siècle qui
en ont dit tout autant… c’est l’horreur de la vie que j’ai décrite… et puis, c’est plus fort que
moi ; je ne puis m’empêcher de voir le côté bizarre des choses… J’ai été malheureux et je ne
puis me défendre de découvrir le ridicule8… »
Pessimiste, Mirbeau l’est indiscutablement, mais il convient de préciser, grâce à
l’apport ironique du grand juriste Jean Carbonnier, que Mirbeau est un « pessimiste actif ». La
thèse de Jean Carbonnier peut être schématisée au travers d’un tableau à double entrée
(optimiste, pessimiste ; actif, passif). L’optimiste passif est, certes heureux, mais inactif, sans
couleur, le plus souvent sans intérêt : c’est une sorte de béat souriant. L’optimiste actif est une
sorte d’excité toujours prêt à agir sans guère se soucier de la réussite de ses actes. Il est
exténuant, proposant sans cesse des luttes contre l’injustice avec un arrière-plan de
culpabilisation. Le pessimiste passif est triste et inactif, sans relief ; il fait preuve de
5
Giorgio Agamben, ibid, p. 24.
6
« Vous comprenez ? J’ai des sujets qui ont des qualités… mais qui ont aussi des tares… On n’est pas parfait,
que diable !... Alors, j’augmente les qualités, et je détruis les tares. » (Octave Mirbeau, Les Vingt et un jours
d’un neurasthénique).
7
Étienne Helmer, Diogène le cynique, Société d’édition Les Belles Lettres, Figures du savoir, 2017, p. 43.
8
Albert-Émile Sorel, « Octave Mirbeau », Gil Blas, 10 avril 1903.
2
misanthropie facile, d’indolence paresseuse. Enfin la catégorie qui nous intéresse ici, le
pessimiste actif est lui toujours prêt à agir quels que soient les risques et tout en ayant
conscience de l’échec presque certain de ses actions. Mirbeau était animé par sa seule volonté
de « faire de sa vie une œuvre d’art » comme le préconisait Michel Foucault, et comme le
suggéra à sa manière Ernest Armand, anarchiste individualiste postérieur à Mirbeau, en 1911
dans son Petit manuel anarchiste individualiste (qui sera intégré à l'Encyclopédie anarchiste
de Sébastien Faure) : selon lui tout anarchiste individualiste doit « sculpter sa statue
intérieure ».
Agamben achève sa définition de la contemporanéité par ces mots : « Percevoir dans
l’obscurité du présent cette lumière qui cherche à nous rejoindre et ne le peut pas, c’est cela,
être contemporain. » Or, on le sait, Mirbeau fit preuve de qualités de visionnaire,
s’approchant de la figure du prophète, comme l’affirme Guillaume Apollinaire, mais sans
connotation religieuse. Ainsi Mirbeau prévit-il le rôle caché de la guerre 9, la dérive totalitaire
du futur régime stalinien10, mais aussi les avant-gardes artistiques notamment
impressionnistes, qui étaient globalement critiquées, sinon récusées, à leurs débuts.
Enfin pour Agamben, « les contemporains sont rares ». C’est donc une qualité
exceptionnelle dont témoignent peu d’individus ; or Mirbeau compte parmi ceux-ci.
Giorgio Agamben précise qu’« être contemporain est avant tout une affaire de
courage : parce que cela signifie être capable non seulement de fixer le regard sur
l’obscurité de l’époque, mais aussi de percevoir dans cette obscurité une lumière qui, dirigée
vers nous, s’éloigne infiniment. Ou encore : être ponctuel à un rendez-vous qu’on ne peut que
manquer. » La parabole d’Agamben pourrait être rapprochée du commentaire de Walter
Benjamin (1940) relatif à l’œuvre de Paul Klee intitulée Angelus Novus : « Il existe un
tableau de Klee qui s’intitule "Angelus Novus". Il représente un ange qui semble sur le point
de s’éloigner de quelque chose qu’il fixe du regard. Ses yeux sont écarquillés, sa bouche
ouverte, ses ailes déployées. C’est à cela que doit ressembler l’Ange de l’Histoire. Son visage
est tourné vers le passé. Là où nous apparaît une chaîne d’événements, il ne voit, lui, qu’une
seule et unique catastrophe, qui sans cesse amoncelle ruines sur ruines et les précipite à ses
pieds. Il voudrait bien s’attarder, réveiller les morts et rassembler ce qui a été démembré.
Mais du paradis souffle une tempête qui s’est prise dans ses ailes, si violemment que l’ange
ne peut plus les refermer. Cette tempête le pousse irrésistiblement vers l’avenir auquel il
tourne le dos, tandis que le monceau de ruines devant lui s’élève jusqu’au ciel. Cette tempête
est ce que nous appelons le progrès11. » La contemporanéité est donc inséparable du courage
en tant que conscience lucide agissante. Dès lors, il convient à présent d’examiner rapidement
et de façon conjointe comment la vertu du courage se conjugue avec la vie d’Octave Mirbeau,
comment il a pu être ponctuel aux rendez-vous qu’il ne pouvait que manquer…
Il est vrai que la pensée sur le courage a connu un réel recul au XXe siècle, mais il est à
nouveau étudié depuis une trentaine d’années, notamment par Michel Foucault avec Le
9
Octave Mirbeau, « Le Mal Moderne », L’Écho de Paris, 8 septembre 1891, réuni dans Dialogues tristes. –
Octave Mirbeau, « La Guerre et l’Homme », L’Écho de Paris, 9 août 1892, réuni dans Dialogues tristes.
10
« Le jour où tous les hommes auront été abêtis définitivement, et définitivement servilisés par le socialisme
collectiviste, ce jour-là seulement l'humanité sera grande et heureuse... En d'autres termes, pour que l'humanité
soit heureuse en général, il faut que les individus soient malheureux en particulier. » (Octave Mirbeau, « Avant-
dire », L’Écho de Paris, 28 décembre 1893).
11
Walter Benjamin, Sur le concept d’histoire, Œuvres III, Traduction Maurice de Gandillac, Folio Essais, page
434.
3
Courage de la vérité12 (1984), Cynthia Fleury, avec La fin du courage13 (2010), et les auteurs
belges Thomas Berns, Laurence Blésin et Gaëlle Jeanmart, avec Du courage14 (2010).
Les auteurs belges du traité philosophique Du courage écrivent une phrase
typiquement mirbellienne et qui rappelle la philosophie cynique d’un Diogène de Sinope : «
Nul n’est courageux sans agir. Le courage est une qualité de l’acte, non de l’âme. »
Rappelons alors ce mot d’Octave Mirbeau dans Les 21 jours d’un neurasthénique : « Enfin,
ma conscience délivrée ne me reproche plus rien, car, de tous les êtres que je connus, je suis
le seul qui ait courageusement conformé ses actes à ses idées, et adapté hermétiquement sa
nature à la signification mystérieuse de la vie15... »
Il est raisonnable de supposer que Mirbeau aurait applaudi cette formule de la
philosophe contemporaine Cynthia Fleury lorsqu’elle écrit : « Nous vivons dans des sociétés
irréductibles et sans force. Des sociétés mafieuses et démocratiques, où le courage n’est plus
enseigné. » Là réside une grande part de la thèse de Cynthia Fleury, « le courage n’est plus
enseigné », et nous assistons ainsi à « la fin du courage ». Et Cynthia Fleury d’affirmer que «
les courageux et les contemporains sont ceux qui ont une "singulière relation" avec leur
propre temps. Ils savent adhérer au temps présent par le fait même de savoir s’en détacher.
Ils ont l’art de la distance, l’art d’être au présent. » C’est retrouver très exactement les thèses
de Giorgio Agamben relatives à la contemporanéité. Or Mirbeau répond parfaitement à cette
définition, on l’a vu : il était pleinement en son temps, dans le présent, et il savait s’en
détacher pour en critiquer les grimaces.
Michel Foucault ouvre une nouvelle réflexion relative au courage avec son cours au
Collège de France de 1984 intitulé « Le courage de la vérité ». En effet, il attache une
importance cardinale, dans ses leçons, à une vertu antique : la parrhèsia, qu’il relie au
courage au point d’en faire l’avers et le revers de la même médaille. Qu’est-ce que la
parrhèsia ? Pour Michel Foucault c’« est étymologiquement, l’activité qui consiste à tout
dire : pan rêma. Parrêsiazesthia, c’est "tout dire". Le parrêsiaste, c’est celui qui dit tout.
Ainsi, à titre d’exemple, dans le discours de Démosthène “Sur l’ambassade”, Démosthène dit
: Il est nécessaire de parler avec parrêsia, sans reculer devant rien, sans rien cacher 16 ».
Foucault précise immédiatement que le parrèsiaste prend un risque en énonçant la vérité et ce
risque concerne sa relation avec la personne ou tout auditoire auquel il s’adresse. Le courage
de la vérité a donc deux caractéristiques : « La parrêsia est donc, en deux mots, le courage de
la vérité chez celui qui parle et prend le risque de dire, en dépit de tout, toute la vérité qu’il
pense, mais c’est aussi le courage de l’interlocuteur qui accepte de recevoir comme vraie la
vérité blessante qu’il entend17. » La parrêsia telle que définie par Foucault nous rapproche à
nouveau très fortement des nombreuses anecdotes de Diogène le cynique, telles qu’exposées
notamment par le doxographe Diogène Laërce. D’ailleurs, Diogène, interrogé sur le point de
savoir ce qui était pour lui « la plus belle chose du monde », répond « la liberté de langage »,
et il précise aussi : « Les autres chiens mordent leurs ennemis, tandis que moi je mords mes
amis pour les sauver ». Rappelons seulement cette affirmation laconique de Mirbeau à Louis
Nazzi : « Je n’ai pas pris mon parti de la méchanceté et de la laideur des hommes. J’enrage
12
Michel Foucault, Le Courage de la vérité – Le gouvernement de soi et des autres II, Cours au Collège de
France, 1984, Hautes études, Gallimard, Seuil, 2009.
13
Cynthia Fleury, La Fin du courage, Biblio essais, Le Livre de Poche, Fayard, 2010, 188 pages.
14
Thomas Berns, Laurence Blésin, Gaëlle Jeanmart, Du courage, une histoire philosophique, Édition Les Belles
Lettres, collection Encre marine, 2010, 298 pages.
15
Octave Mirbeau, Les 21 jours d’un neurasthénique, Éditions du Boucher, 2003, page 224.
16
Michel Foucault, Le Courage de la vérité, voordonné par Frédéric Gros, PUF, Débats philosophiques, juin
2012, p.11.
17
Michel Foucault, ibid., p. 14.
4
de les voir persister dans leurs erreurs monstrueuses, de se complaire à leurs cruautés
raffinées... Et je le dis18. »
Sans exposer dans le détail les éléments biographiques du Mirbeau courageux, il
convient de citer les hommages rendus par Georges Rodenbach et Sacha Guitry. Pour
Rodenbach, « M. Octave Mirbeau n’est pas seulement un grand écrivain ; il est un écrivain
courageux19 ». Et pour Sacha Guitry, « il n'était pas seulement un grand écrivain. Il était un
homme admirable, violent, courageux, éloquent, déterminé, capable de risquer sa vie, pour
une idée et de donner son sang pour défendre une cause. Il l'a prouvé20. »
Et pour ce qui est de l’œuvre même de Mirbeau, on dénombre dans ses romans
assumés pas moins de 198 occurrences du mot « courage » ou de termes dérivés comme
« courageux » ou « encourager »…
5
l’effet de sa lucidité et de sa sincérité ? Pensons à La 628-E8, à sa célébration de M. Charron
et de l’ère de l’automobile qui s’ouvre. Tout est là pour faire de Mirbeau un adorateur du
progrès et du scientisme optimiste de son époque. Mais c’est dans le même texte qu’on
rencontre le passage suivant : « Il ne faut pas que leur stupidité [celle des villageois
rétrogrades] m’empêche d’accomplir ma mission de progrès... Je leur donnerai le bonheur
malgré eux ; je le leur donnerai, ne fussent-ils plus au monde ! — Place ! Place au Progrès !
Place au Bonheur ! / Et pour bien leur prouver que c’est le Bonheur qui passe, et pour leur
laisser du bonheur une image grandiose et durable, je broie, j’écrase, je tue, je terrifie 22 ! »
Cette citation, par sa critique du progrès objet de culte unanime, peut à nouveau être
rapprochée du mot de Walter Benjamin à propos de l’œuvre de Paul Klee. À raison de ces
propos dérangeants de Mirbeau, il a semblé beaucoup plus confortable de l’oublier, de
l’écarter de la scène et d’abandonner la vision de Méduse en face, au profit d’un regard lâche,
de travers , voire en fermant les yeux sur l’affligeante réalité.
Force est de reconnaître aujourd’hui que la postérité en devenir de Mirbeau tient
beaucoup aux raisons mêmes qui viennent d’être exposées. Ne serait-ce pas son courage et sa
pensée distanciée à l’égard de son époque qui séduisent le lecteur du XXI e siècle ? Le lecteur
contemporain se retrouve chez Mirbeau car ses questionnements restent tragiquement présents
et parce qu’il détonne dans le paysage littéraire par ses nombreuses critiques artistiques,
politiques et sociales. Que ce soit l’abrutissement des médias, la question délicate du suffrage
universel ou la théâtrocratie politique, l’ensemble de ces sujets, certes propres à son époque,
reste actuel et bouleverse toujours avec la même force le confort intellectuel et les idées
reçues, pourtant fermement ancrées dans les esprits du commun.
Les raisons mêmes du long purgatoire subi par Mirbeau sont peut-être également à
l’origine de sa postérité grandissante de nos jours. Il y a donc un double mouvement : l’un,
vieux d’un siècle, qui repose sur la répulsion vis-à-vis des thèses et de la personne de
Mirbeau, répulsion dont la source est l’absence de courage ; et l’autre ; très récent, qui
consiste en une reconnaissance des valeurs défendues et de la vertu qu’est le courage mises en
œuvre par l’anarchiste. Rares sont en effet les écrivains actuels qui présentent la combinaison
d’un grand cœur et d’un courage propre à montrer du doigt les tartufferies des puissants. Il
faut ainsi, pour tout un chacun qui ose la réflexion et affronte lucidement les contradictions,
faire appel aux auteurs de jadis, passant de La Boétie à Montaigne, de Rabelais à Voltaire et
bien entendu Mirbeau.
Et à l’évidence la postérité en devenir de Mirbeau doit beaucoup – est-il besoin de le
préciser ici ? – au développement des études mirbelliennes sous l’impulsion de la Société
Octave Mirbeau, créée et animée par le Professeur Pierre Michel.
Enfin remarquons à titre incident le rôle du cinéma, média contemporain s’il en est,
dans ce mouvement progressif de retour à Mirbeau.
Conclusion :
Au terme de cette brève étude, sans doute est-il logique de partager le pessimisme de
Mirbeau lui-même, conjugué à la pensée de Giorgio Agamben à l’égard de la postérité du
démystificateur. Il y a fort à parier que le destin de Mirbeau n’est pas celui d’un auteur à
succès si on prend en considération son œuvre tout entière et son sens, alors même
qu’Agamben nous a avertis que les contemporains de tous temps, arc-boutés sur leur courage,
ne pouvaient qu’être rares. Ce sens de l’œuvre de Mirbeau est infiniment tragique, et ce sera
bien s’il se perpétue dans une aristocratie de la pensée qui ne renonce jamais à mettre sa vie
en adéquation avec ses idées. Ainsi, inspiré par le titre de l’ouvrage de Luis Mercier Vega
L’increvable anarchisme, c’est légitimement qu’on pourra parler de « l’increvable Mirbeau ».
22
Octave Mirbeau, La 628-E8, Éditions du VBoucher, 2003, p. 294.
6
Guilhem MONÉDIAIRE