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Contentieux administratif

marocain

2018
PUBLICATIONS
DE LA REVUE MAROCAINE
D’ADMINISTRATION LOCALE
ET DE DEVELOPPEMENT

Collection « Manuels et travaux universitaires  »

118

Contentieux administratif
marocain

Michel ROUSSET
Professeur émérite à la Faculté de Droit de Grenoble

Mohammed Amine BENABDALLAH


Professeur à l’Université Mohammed V, Agdal, Rabat

Publié avec l’aimable concours de


la Fondation Hanns-Seidel (RFA)

2018
Publications de la REMALD
Collection « Manuels et Travaux Universitaires »

Collection dirigée par


Ahmed BOUACHIK Mohammed BENYAHYA
Professeur à l’Université Mohammed V Professeur à l’Université Mohammed V
de Rabat-Souissi et à l’ENA de Rabat-Souissi et à l’ENA
bouachik@menara.ma benyahya@menara.ma
Dépôt légal
2014 MO 0611
ISBN : 978-9954-626-05-4
Direction • Rédaction • Abonnements • Ventes
58, rue Jabal Oukaïmiden, n° 1, Haut-Agdal, Rabat • B.P. 2069, Rabat, 10104 Maroc
Tél. : (212) (0) 537 77 74 71 • Fax : (212) (0) 537 68 03 86
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Publications de la REMALD
Collection « Manuels et Travaux Universitaires »

Déjà paru dans cette collection

o  N° 1, 1997
L’action publique
Miloudi HAMDOUCHI
o  N° 2, 1997
Le droit de la santé au travail
Ahmed BOUHARROU
o  N° 3, 1998
L’agent comptable au Maroc
Abdelfettah BENNANI
o  N° 4, 1998
La nouvelle Constitution marocaine
Abdelaziz LAMGHARI
o  N° 5, 1998
La Chambre des conseillers : seconde chambre du parlement
Mohammed BENYAHYA
o  N° 6, 1998
Le loyer des locaux à usage professionnel et d’habitation
Larbi MYAD
o  N° 7, 1998
L’expertise judiciaire à la lumière du code de procédure civile et de la jurisprudence
Khalid CHERKAOUI SMOUNI
o  N° 8, 1999
Histoire de l’Etat et des institutions au Maroc
Mohammed EL YAAGOUBI
o  N° 9, 1999
La santé au Maroc entre le service public et la profession libérale
Lhassane BOUZIANI
o  N° 10, 1999
Le régime juridique de l’enquête policière
Miloudi HAMDOUCHI
o  N° 11, 1999
Droit judiciaire privé
Hammadi MANNI
o  N° 12, 1999
L’Administration décentralisée au Maroc
Abdellah EL MOUTAOUAKIL

Publications de la REMALD, Collection « Manuels et Travaux universitaires », n° 118, 2018


Publications de la REMALD
Collection « Manuels et Travaux Universitaires »

o  N° 13, 1999
Les grands services publics
Abdellah MOUTAOUAKIL
o  N° 14, 2000
La Région à l’heure de la décentralisation
Abderrahim FADIL
o  N° 15, 2000
Le régime juridique des associations au Maroc
Abdelaziz MIAGE
o  N° 16, 2000
Entreprise et gestion de la taxe sur la valeur ajoutée au Maroc
Mohamed BOUSSETTA et Mohammed RIYAD
o  N° 17, 2000
Le logement de fonction
Larbi MYAD
o  N° 18, 2000
Droit constitutionnel et situations de crise
Abdelaziz LAMGHARI
o  N° 19, 2000
L’Administration marocaine et les exigences de développement
Abdallah CHANFAR
o  N° 20, 2000
Pouvoirs et Etat au Maroc
Mohamed GALLAOUI
o  N° 21, 2001
La gestion des biens publics en droit marocain
Maria HOUEM
o  N° 22, 2001
Le régime fiscal local en droit marocain et comparé
Ahmed HADRANI
o  N° 23, 2001
La fiscalité du chiffre d’affaires de la société (taxe sur la valeur ajoutée, TVA)
Soufiane DRIOUACH
o  N° 24, 2001
Les partis politiques marocains à l’épreuve du pouvoir
Jean-Claude SANTUCCI
o  N° 25, 2001
La fonction législative dans les Etats du Maghreb arabe
Sidi Mohamed OULD SIDEBBE

Publications de la REMALD, Collection « Manuels et Travaux universitaires », n° 118, 2018


Publications de la REMALD
Collection « Manuels et Travaux Universitaires »

o  N° 26, 2001
Les mémorandums constitutionnels
Abdelaziz LAMGHARI
o  N° 27, 2001
La réforme constitutionnelle marocaine dans la durée
Najib BA MOHAMMED
o  N° 28, 2001
La structure financière des entreprises au Maroc
Saâdia BOUTAHLIL-BEKKALI
o  N° 29, 2001
Le Conseil constitutionnel au Maroc
Abdelaziz NOUAYDI
o  N° 30, 2001
Evolution du mouvement syndical au Maroc
Yahya BOUQENTAR
o  N° 31, 2001
La responsabilité du banquier dans l’octroi du crédit aux entreprises en difficulté en droit
marocain
Abdelhak NACIRI BENNANI
o  N° 32, 2002
Entreprise privée et économie sociale au Maroc
Saâdia BOUTAHLIL-BEKKALI
o  N° 33, 2002
Economie : fondements et équilibres
Abdallah ALAOUI AMINI
o  N° 34, 2002
La Sûreté nationale marocaine
Miloudi HAMDOUCHI
o  N° 35, 2002
Le taux d’imposition marginal effectif au Maroc
Saâdia BOUTAHLIL-BEKKALI
o  N° 36, 2002
La protection du consommateur au Maroc
Abderrahim BENDRAOUI
o  N° 37, 2002
Droits de l’Homme et libertés publiques au Maroc, entre les aspirations au changement et la
contrainte de la conjoncture politique
Ali KARIMI

Publications de la REMALD, Collection « Manuels et Travaux universitaires », n° 118, 2018


Publications de la REMALD
Collection « Manuels et Travaux Universitaires »

o  N° 38, 2002
Essai de modélisation de la fiscalité au Maroc
Saâdia BOUTAHLIL-BEKKALI
o  N° 39, 2002
Le régime politique marocain. Approche de l’expérience de la Constitution de 1996
Ahmed HADRANI
o  N° 40, 2002
Politiques des prix, environnement concurrentiel et compétitivité des entreprises
El Mostapha BAHRI
o  N° 41, 2003
Histoire de la pensée économiqu
Saïd DKHISSI
o  N° 42, 2003
Droits de l’Homme et libertés publiques
M’faddel SMIRES
o  N° 43, 2003
Droit de la concurrence et circuits de distribution au Maroc
Lahsen LOUCHAHI
o  N° 44, 2003
L’Etat à l’épreuve du social, cas du Maroc
Fouad M. AMMOR
o  N° 45, 2003
L’ambivalence salutaire : essai sur la logique du conflit et de la coopération au Maghreb
Hassan HAMI
o  N° 46, 2003
Droits de l’Homme et libertés publiques au Maroc
Ali KARIMI
o  N° 47, 2003
Les procédures administratives non contentieuses
Mohamed EL AARAJ
o  N° 48, 2003
Le délit de presse en droit marocain
Miloudi HAMDOUCHI
o  N° 49, 2003
Le droit fiscal marocain
Mohamed CHAKIRI
o  N° 50, 2003
Recherches sur les nouveautés de la justice administrative
Jilali AMAZID

Publications de la REMALD, Collection « Manuels et Travaux universitaires », n° 118, 2018


Publications de la REMALD
Collection « Manuels et Travaux Universitaires »

o  N° 51, 2004
L’administration en droit public musulman
Abdallah HARSI
o  N° 52, 2004
Modes de gestion des services publics au Maroc
Mohamed EL AARAJ
o  N° 53, 2004
Droit de l’attroupement
Miloudi HAMDOUCHI
o  N° 54, 2004
Eléments de la théorie générale de droit constitutionnel
Ahmed ESSALMI EL IDRISSI
o  N° 55, 2004
L’astreinte comme moyen d’exécution des décisions juridictionnelles en matière administrative
Ahmed SAYEGH
o  N° 56, 2004
Le nouveau Code de procédure pénale annoté
Habib BIHI
o  N° 57, 2004
Droit de la manifestation
Miloudi HAMDOUCHI
o  N° 58, 2005
L e régime des contrats administratifs selon les décisions et jugements de la justice
administrative marocaine
Mohamed EL AARAJ
o  N° 59, 2005
Le droit fiscal marocain
Mohamed CHAKIRI
o  N° 60, 2005
Contribution à la doctrine du droit constitutionnel marocain
Mohammed Amine BENABDALLAH
o  N° 61, 2005
La peine privative de liberté en droit marocain et comparé
Laila ABOULOULA
o  N° 62, 2005
L e contentieux relatif à l’assiette et au recouvrement de l’impôt devant les juridictions
administratives
Mohamed KASRI

Publications de la REMALD, Collection « Manuels et Travaux universitaires », n° 118, 2018


Publications de la REMALD
Collection « Manuels et Travaux Universitaires »

o  N° 63, 2005
Territorialisation des politiques publiques
Fatima CHAHID
o  N° 64, 2006
Introduction au droit public musulman
Abdallah HARSI

o  N° 65, 2006
Les méthodes de travail du juge constitutionnel au Maroc. Etude socio-juridictionnelle
(en langue arabe)
Abderrahim EL MANAR ESSLIMI
o  N° 66, 2006
La responsabilité délictuelle et quasi-délictuelle dans le droit marocain du protectorat
(1913-1956) (en langue française)
Michel MUSONS
o  N° 67, 2006
Le contrôle de l’action gouvernementale au Maroc (en langue arabe)
Abdelghani AABIZA
o  N° 68, 2006
La responsabilité civile, pénale et disciplinaire du médecin au Maroc (en langue française)
Leïla BEN SEDRINE ECH CHERIF EL KETTANI
o  N° 69, 2006
L’organisation administrative (en langue française)
Abdallah HARSI
o  N° 70, 2007
Economie : fondements et équilibres (en langue française)
Abdallah ALAOUI AMINI
o  N° 71, 2007
Le régime juridique du mariage
Al Hassan RHOU
o  N° 72, 2007
La problématique de l’investissement foncier entre les exigences du droit et les enjeux
du développement (en langue française)
Latifa BAHOUS
o  N° 73, 2007
Le régime des contrats administratifs et des marchés publics selon les décisions et jugements
de la justice administrative marocaine
Mohamed LAARAJ
o  N° 74, 2007
La délégation de pouvoirs en droit du travail
Miloudi HAMDOUCHI

Publications de la REMALD, Collection « Manuels et Travaux universitaires », n° 118, 2018


Publications de la REMALD
Collection « Manuels et Travaux Universitaires »

o  N° 75, 2007
La condition du parlementaire au Maroc entre la notion juridique et la conception de la société
El Habib EDDAQAQ
o  N° 76, 2007
Le droit de l’emploi au Maroc (en langue française)
Ahmed BOUHARROU
o N° 77, 2008
Contribution à la doctrine du droit administratif marocain (Tome I, en langue française)
Mohamed Amine BENABDALLAH
o N° 77 bis, 2008
Contribution à 1a doctrine du droit administratif marocain (Tome II, en langue française)
Mohamed Amine BENABDALLAH
o N° 78, 2008
Interférence des compétences de l’Etat et des collectivités locales entre le droit et la pratique
(en langue arabe)
Mohamed BOUJIDA
o N° 79, 2008
La protection juridique et judiciaire de la concurrence dans les marchés de l’Etat (en langue
arabe)
Jilali AMAZID
o N° 80, 2009
La justice administrative marocaine (en langue arabe)
Hassan SAHIB
o N° 81, 2009
Droit du domaine public au Maroc (en langue arabe)
Mounia BENLAMLIH
o N° 82, 2009
Les actes du pouvoir exécutif insusceptible du recours juridictionnel en droit marocain et
comparé (en langue arabe)
Mohammed Ahmed JILANI
o N° 83, 2010
Histoire des relations internationales du Maroc des origines au début du XXe siède – Essai de
synthèse (en langue française)
Abdellah RAGALA OUAZZANI
o N° 84, 2010
Découpage du territoire et politique régionale au Maroc : vers le fondement d’une
régionalisation politique (en langue arabe)
Abdelkbir YAHYA

Publications de la REMALD, Collection « Manuels et Travaux universitaires », n° 118, 2018


Publications de la REMALD
Collection « Manuels et Travaux Universitaires »

o N° 85, 2010


Diwan Al Madhalim et l’enjeu de la modernisation administrative au Maroc (en langue arabe)
Atika CHANQUlTE
o N° 86, 2010
Le management des marchés publics au Maroc (en langue française)
Abdelmjid BOUTAQBOUT
o N° 87, 2010
Le contentieux contractuel en droit administratif marocain (en langue française)
Mounia BENLAMLIH
o N° 88, 2011
Le régime des contrats administratifs et des marchés publics selon les décisions et jugements
de la justice administrative marocaine (en langue arabe)
Mohamed LAARAJ
o N° 89, 2011
L’évaluation du rendement dans la fonction publique marocaine
Bouchra EL OUARDI
o N° 90, 2012
Le commissaire Royal de la loi et du droit dans les tribunaux administratifs (en langue arabe)
Rochdi SBAITI
o  N° 91, 2012
L’action administrative (en langue française)
Mohamed ANWAR
o  N° 92, 2012
Les politiques publiques dans la nouvelle Constitution du Maroc (en langue arabe)
Hassan TARIQ
o  N° 93, 2012
Le Marketing territorial : outil de renforcement de la compétitivité et de l’attractivité
des territoires. Cas de la région de l’Oriental (en langue française)
Abdelhay BENABDELHADI et Sanaa MOUSSALIM
o  N° 94, 2013
La police administrative et la problématique de la proportionnalité entre le maintien de l’ordre
public et la protection des libertés (en langue arabe)
Mohamed EL BAADDIOUI
o  N° 95, 2013
Précis de la comptabilité nationale (en langue française)
Abdelilah MAHRAZ
o  N° 96, 2013
L’organisation administrative marocaine entre centralisation et décentralisation (en langue arabe)
Ahmed AJAOUN

Publications de la REMALD, Collection « Manuels et Travaux universitaires », n° 118, 2018


Publications de la REMALD
Collection « Manuels et Travaux Universitaires »

o  N° 97, 2013
L’assurance maladie obligatoire dans le secteur public entre les ambitions du texte et les défis
du contexte (en langue arabe)
Soukaïna EL EDGHIRI
o  N° 98, 2013
Lecture dans les décisions du Conseil constitutionnel rendues dans le cadre de la nouvelle
Constitution (en langue arabe)
Hamid RBII
o  N° 99, 2013
Responsabilité de l’Etat et des collectivités territoriales dans la pratique de la justice
administrative au Maroc (en langue arabe)
Mohammed EL AARAJ
o  N° 100, 2013
L’institution du Wali et Gouverneur et les perspectives de la déconcentration administrative au
Maroc (en langue arabe)
Abdelfattah EL BJIOUI
o  N° 101, 2013
Les modes de gestion des services publics au Maroc (en langue arabe)
Mohammed EL AARAJ
o  N° 102, 2013
La police administrative et la problématique de la proportionnalité entre le maintien de l’ordre
public et la protection des libertés (en langue arabe), 2e édition
Mohamed EL BAADDIOUI
o  N° 103, 2014
Contentieux administratif marocain (en langue française)
Michel ROUSSET et Mohammed Amine BENABDALLAH
o  N° 104, 2014
L’activité administrative
Mohammed EL AARAJ
o  N° 105, 2014
Le Printemps arabe et le constitutionnalisme
Lecture dans les expériences : le Maroc, la Tunisie et l'Egypte
Mohammed EL AARAJ
o  N° 106, 2014
Interpellation sur les réformes. Rôle de l’intelligentsia
Mohamed HADDY
o  N° 107, 2015
Contributions politiques et constitutionnelles marocaines et comparées
Najib BA MOHAMMED

Publications de la REMALD, Collection « Manuels et Travaux universitaires », n° 118, 2018


Publications de la REMALD
Collection « Manuels et Travaux Universitaires »

o  N° 108, 2015
Responsabilité de l'Etat et des collectivités territoriales dans la pratique de la justice
administrative au Maroc
Mohammed EL AARAJ
o  N° 109, 2015
Le service public au Maroc
Michel ROUSSET et Mohammed Amine BENABDALLAH
o  N° 110, 2016
Les instances de gouvernance dans la Constitution : contexte, structures et fonctions
Hassan TARIQ
o  N° 111, 2016
La problématique du règlement intérieur du Parlement à la lumière de la Constitution :
étude constitutionnelle analytique
Rachid MEDOUAR
o  N° 112, 2016
Droit à la santé : état des lieux et perspectives : étude comparée
Saâd REGRAGUI
o  N° 113, 2016
L’organisation administrative marocaine à la lumière des nouveautés de la nouvelle Constitution
Mounia BENLAMLIH
o  N° 114, 2017
Les particularités de la faute médicale
Docteur Boubekri MOHAMMADIN
o  N° 115, 2017
Etudes et commentaires de certains contentieux de la justice administrative marocaine
Mohamed BAHI
o  N° 116, 2018

o  N° 117, 2018

Mohammed EL AARAJ

Publications de la REMALD, Collection « Manuels et Travaux universitaires », n° 118, 2018


Ouvrages de Michel Rousset
• L’idée de puissance publique en droit administratif, Dalloz, 1960.
• L’administration marocaine, IIAP et Berger-Levrault, 1970.
• Le Royaume du Maroc, IIAP et Berger-Levrault, Paris 1978.
• Institutions administratives marocaines, Publisud, Paris 1991.
• Le Service public au Maroc, Ed. La Porte, Rabat, 1994.
• Droit administratif : l’action administrative, Presses universitaires de
Grenoble, 2e éd. 2004, en collab. avec Olivier Rousset.
• Droit administratif : le contentieux administratif, Presses universitaires
de Grenoble, 2e ed. 2004, en collab. avec Olivier Rousset.
• L’Administration marocaine : son droit et son juge, contribution à la
doctrine marocaine de droit public, Presses universitaires du Maghreb,
1995.
• L’Action internationale des collectivités locales, coll. systèmes,
LGDJ, 1998.
• Contentieux administratif marocain, 2e éd. 2001, La Porte, (traduction
arabe 1995).
• D roit administratif marocain (en collab.) 6e éd. 2003, La Porte,
Rabat.
• Actualité du droit administratif 2003-2009, Ed. La Porte, Rabat 2010,
en collaboration avec M.A. Benabdallah.

Ouvrages de Mohammed Amine Benabdallah


• Les prérogatives de l’Etat dans le recours pour excès de pouvoir, Le
Littoral, Rabat, 1982.
• La police administrative dans le système juridique marocain, APREJ,
Rabat, 1987
• Contribution à la doctrine du droit constitutionnel marocain,
REMALD n° 60, Coll. Manuels et travaux universitaires, 2005
• Contribution à la doctrine du droit administratif marocain, REMALD
n° 77, en deux volumes, Coll. Manuels et travaux universitaires, 2008.
• Actualité du droit administratif 2003-2009, Ed. La Porte, Rabat 2010,
en collaboration avec Michel Rousset.
Liste des abréviations

A.J. : L’actualité juridique (Casablanca)


A.A.N. : Annuaire de l’Afrique du Nord
A.J.D.A. : Actualité juridique – Droit administratif
C.C.A. : Cour de cassation, Chambre administrative
C.E. : Conseil d’Etat
C.S.A. : Cour suprême, Chambre administrative
C.P.C. : Code de procédure civile.
D.O.C. : Dahir sur les obligations et contrat
D.O.J. : Dahir sur l’organisation judiciaire
G.A.J.A. : G
 rands arrêts de la jurisprudence administrative Dalloz,
12e éd., 1999.
G.T.M. : Gazette des tribunaux marocains
J.C.S. : Jurisprudence de la Cour suprême (en arabe)
R. : Recueil des arrêts de la Cour suprême
R.A.C.A.R. : Recueil des arrêts de la Cour d’appel de Rabat
R.A.C.A.M. : Recueil des arrêts des Cours d’appel du Maroc
R.D.P. : Revue du droit public et de la science politique
REMALD : Revue marocaine d’administration locale et de développement
REAMRC : Revue Marocaine des Contentieux
R.J.P.E.M. : Revue juridique, politique et économique du Maroc
R.J.P.I.C. : Revue juridique et politique, indépendance et coopération
R.J.P.E.F. : Revue juridique et politique des Etats Francophones
R.M.D. : Revue marocaine de droit
Sommaire

Première partie
Le juge de l’administration et la procédure
administrative contentieuse
Chapitre I : Histoire de la juridiction compétente en matière
administrative
Section I : Le système traditionnel de protection des administrés
Section II : Les réformes judiciaires de 1913
Section III : Les réformes de l’indépendance
Section IV : La création des tribunaux administratifs
Section V : La création des cours d’appel administratives
Chapitre II : La procédure administrative contentieuse
Section I : Les caractères généraux de la procédure
Section II : L’instance
Section III : Les voies de recours
Section IV : Les procédés non juridictionnels de règlement des litiges

Deuxième partie
Le domaine du contentieux administratif
Chapitre I : Le problème du critère de compétence
Section I : Le critère organique
Section II : Le critère matériel
Chapitre II : Le critère du service public
Section I : La gestion privée du service public
Section II : La gestion du service public par des personnes privées
Chapitre III : Les exceptions au critère du service public
Section I : Le problème de la voie de fait
Section II : L’exception d’illégalité
Section III : Les exceptions diverses
20 Contentieux administratif marocain

Troisième partie
Les recours contentieux
Titre I :  Le recours en annulation pour excès de pouvoir
Chapitre I : Les caractères généraux du recours en annulation pour
excès de pouvoir
Section I : C’est un recours qui existe de plein droit
Section II : Le recours n’est pas suspensif
Section III : Le recours pour excès de pouvoir est un recours en annulation
Chapitre II : Les conditions de recevabilité du recours pour excès de
pouvoir
Section I : Les conditions tenant à la qualité du requérant
Section II : Les conditions tenant à la nature de l’acte attaqué
Section III : L’exception de recours parallèle
Chapitre III : Les moyens d’annulation : les cas d’ouverture du recours
pour excès de pouvoir
Section I : L’irrégularité externe de l’acte administratif
Section II : L’irrégularité interne de l’acte administratif
Titre II : Le recours en indemnité
Chapitre I : Les problèmes généraux de la responsabilité en matière
administrative
Section I : La naissance de la responsabilité de la puissance publique
Section II : L’interprétation des textes et le problème du régime de la
responsabilité de la puissance publique
Chapitre II : Les cas de responsabilité
Section I : La responsabilité pour faute de service
Section II : La responsabilité sans faute
Chapitre III : La réparation du préjudice
Section I : L’action en indemnité
Section II : L’imputabilité
Chapitre IV : La responsabilité personnelle des fonctionnaires
Section I : La faute personnelle
S ection II : Les rapports de la responsabilité personnelle et de la
responsabilité administrative

Publications de la REMALD, Collection « Manuels et Travaux universitaires », n° 118, 2018


Avant-propos

Le présent ouvrage trouve ses origines dans un enseignement de


3 e  année de licence assuré à la Faculté des sciences juridiques,
économiques et sociales de l’Université Mohammed V au cours de l’année
universitaire 1991-1992. De toute évidence, sa finalité pédagogique était
de constituer une introduction à l’étude du contentieux administratif
destinée principalement, mais non exclusivement, à un public d’étudiants.
Ce qui a justifié sa publication en 1992, puis en 2001, par les Editions La
Porte. Depuis lors, une quinzaine d'années se sont écoulées, de très
nombreux changements ont modifié la situation de la justice administrative
et, de ce fait, ont rendu nécessaire une actualisation de ce contentieux
administratif que nous présentons grâce au précieux concours de la
REMALD.
En premier lieu, on peut affirmer que le contentieux administratif est
aujourd’hui au cœur de la Constitution de 2011 car, plus que jamais, sa
finalité est bien d’assurer le respect de la loi expression de la volonté
suprême de la Nation de la part de tous. L’article 6 de la Constitution ne
précise-t-il pas « La loi est l’expression de la volonté de la Nation. Tous,
personnes physiques ou morales, y compris les pouvoirs publics, sont
égaux devant elle et tenus de s’y soumettre » ?
Ensuite, parce que l’instrument fondamental qui permet d’assurer ce
respect, le recours au juge, a été constitutionnalisé dans l’article 118-2°
alinéa qui dispose : « Tout acte de nature réglementaire ou individuelle,
pris en matière administrative, peut faire l’objet de recours devant la
juridiction administrative compétente ».
Par ailleurs la création des tribunaux administratifs par la loi n° 41-90
du 12 juillet 1991 a permis au contentieux de se développer dans des
proportions que l’on n’imaginait pas, témoignant ainsi de l’importance du
rapprochement du juge et du justiciable pour que ce dernier ait accès à la
22 Contentieux administratif marocain

justice et puisse défendre « ses droits et ses intérêts protégés par la loi »,
ainsi que le rappelle l’article 118-1° alinéa de la Constitution.
Le succès même des juridictions administratives de premier degré et,
par voie de conséquence, celui de l’appel, a été tel qu’il a rendu nécessaire
la création des cours administratives d’appel par la loi n° 80-03 du
14 février 2006 afin de mettre un terme au retard des jugements en appel
qui incombaient alors à la seule Chambre administrative de la Cour
suprême, devenue Cour de Cassation. Désormais, deux Cours
Administratives d’Appel ont reçu cette mission sous le contrôle de la
Chambre administrative qui pourra désormais être saisie par la voie du
recours en cassation créé par la même loi.
Enfin la loi n° 08-05 du 30 novembre 2007 a donné naissance à
l’arbitrage et à la médiation, nouveaux procédés de règlement des
différends qui peuvent se produire dans les relations des personnes
publiques et de leurs partenaires et usagers des services publics. Cette
innovation vient ainsi compléter la panoplie des mécanismes de règlement
des litiges nés de l’action administrative.
L’importance du développement institutionnel de la justice administrative
au Maroc ne doit pas masquer un autre fait majeur de ces deux dernières
décennies : l’enrichissement de la jurisprudence. Celle-ci a enregistré
d’incontestables progrès dans la défense des droits des justiciables ; qu’il
s’agisse de la censure de l’excès de pouvoir ou de l’admission de la
responsabilité des collectivités publiques, tandis que le commentaire des
décisions dans les revues spécialisées en assurait la diffusion et en facilitait
la compréhension.
Tout ceci nous conforte dans l’opinion que nous avions sur l’utilité de
la connaissance des mécanismes du contentieux administratif ; en effet, si
sa cause est fondée et si ses conseils savent utiliser les mécanismes de la
procédure et le raisonnement juridique qui les sous-tend, le requérant peut
obtenir satisfaction en s’adressant au juge.
Il est désormais établi que la régularité du fonctionnement de
l’administration fera de grands progrès grâce à la banalisation du recours
au juge. Mais pour atteindre cet objectif il faut largement diffuser cette
réalité et la connaissance des techniques qui permettent de la saisir afin
que l’usage des recours ne soit pas seulement réservé à une minorité. Il
est évident que la connaissance de la jurisprudence est essentielle parce

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Table des matières 23

qu’elle nourrit le débat juridique et favorise le progrès du droit ; mais elle


l’est aussi parce que le respect de celui-ci suppose qu’il soit connu par
ceux qui doivent s’y conformer et par ceux dont la tâche est de veiller à
ce qu’il en soit bien ainsi.
Puisse la troisième édition de cet ouvrage que nous présentons en
persuader ses lecteurs et contribuer ainsi à une meilleure compréhension
et une plus large diffusion de la connaissance des mécanismes du
règlement juridictionnel des différends entre l’administration et ses
usagers. Le contentieux administratif pourra de cette façon constituer un
facteur important pour le déploiement de la bonne gouvernance dans
l’ensemble des administrations de l’Etat et des collectivités territoriales.

Grenoble – Rabat,
Février 2014

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Introduction

Eléments de définition
Le terme contentieux vient du mot latin contentiosus qui signifie
« querelle », « débat », « discussion », donc contestation. En langue arabe,
l’idée de contestation est également présente, on parle de « nizaâ » dont le
pluriel est « mounazaâte » ; le terme évoque le litige, le conflit, le différend,
et, par là, la notion de contestation.
L’expression « contentieux administratif » désigne donc, dans une
première acception, l’ensemble des litiges qui peuvent naître de l’activité
administrative ; que cette activité soit juridique, acte unilatéral ou contrat,
ou matérielle, par exemple, travaux publics.
Mais, dans un sens plus large, l’expression « contentieux administratif »
désigne l’ensemble des procédés juridiques permettant d’obtenir la solution
juridictionnelle des litiges que suscite l’activité administrative, et c’est
dans ce sens large que nous l’étudierons ici.
L’étude du contentieux présente un intérêt à deux points de vue.
1. Le contentieux permet en effet de découvrir ce que l’on peut
qualifier de pathologie de l’administration ; l’administration commet des
abus, des erreurs ; elle fait preuve d’ignorance, d’inertie ou au contraire de
précipitation excessive, etc. ; ainsi, elle cause des préjudices qui peuvent
être la conséquence d’une illégalité ou d’une activité matérielle. C’est
alors de l’activité de l’administration et de son déroulement anormal que
naît le contentieux qui se présente comme le révélateur des irrégularités
d’un système, voire de l’arbitraire de ceux qui en sont responsables et,
partant, en rapport avec les administrés.
Sans aucun doute, l’étude de cette pathologie est fort utile ; cependant
elle ne doit pas faire perdre de vue l’autre aspect de l’administration, son
26 Contentieux administratif marocain

côté positif, celui d’une administration qui fait face à ses obligations dans
de bonnes conditions : l’administration qui enseigne, soigne, construit,
assure l’ordre, la sécurité et le bien-être de ses usagers. Mais il n’en reste
pas moins qu’en s’acquittant de toutes ces obligations, elle peut causer des
préjudices juridiques ou matériels qui, inévitablement, donnent lieu à
contentieux.
2. D’un autre côté, l’étude du contentieux présente également un intérêt
du point de vue juridique puisqu’elle nous conduit à analyser les techniques
juridiques mises en œuvre pour assurer le règlement des litiges par le
recours au juge.
Ces techniques juridiques sont constituées par des recours juridictionnels,
des procédures qui permettent d’organiser le procès et la confrontation
équitable des points de vue ; c’est aussi le jugement et les règles qui
permettent d’en obtenir l’exécution.
C’est enfin le recours à l’arbitrage récemment admis par la loi n° 08-05
du 30 novembre 2007 intégrée dans le chapitre VIII du titre V du code de
procédure civile.
Sous cet angle, le contentieux administratif s’identifie à la justice
administrative, c’est-à-dire aux procédés juridictionnels qui ont pour but
d’assurer la protection de l’administré contre l’administration.
Le recours au juge apparaît ainsi comme un moyen d’obtenir justice
contre l’administration.
Ceci dit, le recours au juge n’est pas le seul moyen de résoudre les
litiges qui peuvent naître de l’action de l’administration. Il existe en effet
des procédés non juridictionnels de solution des différends : ce sont les
recours administratifs, gracieux ou hiérarchiques, ou les recours devant les
organismes d’appel qui examinent les réclamations des administrés,
fréquents en matière fiscale, ou encore devant Wali Al Madhalim, devenu
le médiateur, et qui permettent de donner satisfaction aux réclamants. Les
litiges ainsi réglés n’iront pas devant le juge.
Néanmoins, si l’utilité de ces procédés est incontestable, il est essentiel
que l’administré puisse, s’il le souhaite, faire appel au juge, à un juge
indépendant, notamment de l’administration, pour lui soumettre le litige
qui l’oppose à l’autorité administrative.

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Introduction 27

Ainsi l’étude du contentieux administratif est-elle importante du point


de vue de la science administrative et du point de vue de la science
juridique, points de vue que l’on distingue ici pour les besoins de la
présentation, mais qui doivent fréquemment être croisés si l’on veut avoir
une vue claire et correcte de la réalité.

A. Le point de vue de la science administrative


Particulièrement utile pour les autorités responsables de l’administration,
l’étude du contentieux administratif permet de déceler les insuffisances des
services qui peuvent découler soit des carences des agents, soit de
l’inadaptation des institutions ou des mécanismes juridiques. Elle permet
aussi de comprendre que les mécanismes de contrôle les mieux élaborés
sur le plan technique ne sont pas toujours à même de rendre les services
que l’on attend d’eux parce qu’ils ne sont pas à la portée des administrés.
–  Les autorités administratives peuvent, en se penchant sur le contentieux
né du fonctionnement de leurs services, prendre la mesure des défaillances
dont ils font preuve ; elles peuvent ainsi en rechercher les causes et en
imaginer les remèdes.
La connaissance du contentieux est ainsi un moyen d’améliorer le
fonctionnement de l’administration et de prévenir le retour des erreurs que
l’on a décelées.
Par exemple, l’exercice des pouvoirs de police par les agents d’autorité
sous l’empire du dahir du 23 juin 1960 avait donné lieu à d’assez
nombreux recours en annulation pour excès de pouvoir qui, à l’époque,
étaient obligatoirement précédés d’un recours administratif préalable.
Constatant la multiplication des irrégularités, les autorités responsables
avaient rédigé une circulaire à l’intention des gouverneurs chargés de la
diffuser, dans laquelle étaient indiquées de façon très précise les règles que
les agents d’autorité devaient respecter dans l’édiction de leurs décisions,
à savoir la compétence des pachas et caïds, les règles de forme, les règles
gouvernant la publicité, publication ou notification, le respect des textes
législatifs et réglementaires, la motivation des décisions, le respect des
principes généraux du droit, etc.
Cette circulaire du 12 novembre 1964, signée par le sous-secrétaire
d’Etat à l’intérieur, s’achevait par une formule très significative : « Vous

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28 Contentieux administratif marocain

voudrez bien, en diffusant la présente circulaire aux pachas et caïds placés


sous votre autorité, leur signaler que j’attache une grande importance à la
nécessité d’améliorer rapidement la qualité de leurs arrêtés et décisions ».
L’élaboration du Guide des agents d’autorité en 1982 participe, en
définitive, du même souci d’apporter aux agents les informations
nécessaires pour leur éviter de prendre des décisions irrégulières.
–  Mais l’étude du contentieux administratif ne permet pas de prendre
l’exacte mesure des dysfonctionnements de l’appareil administratif. De
nombreux litiges ne parviennent jamais à la connaissance du juge, pas plus
d’ailleurs qu’à celle des responsables des services administratifs.
La raison de ce phénomène doit être recherchée du côté de l’administré.
On peut appréhender ce phénomène d’un point de vue quantitatif en
observant les statistiques relatives au recours pour excès de pouvoir. Il est
certain que ce type de recours peut être considéré comme un instrument
efficace de contrôle de l’administration sur le plan technique. Mais,
lorsque l’on constate que de 1957, date de sa création, à 1994 et la mise
en ouvre de la loi créant les tribunaux administratifs, le nombre de recours
portés devant la Cour suprême n’a pas dépassé les 1 600, on peut penser
que le recours a été sous utilisé pour des raisons qui ne relèvent pas de la
seule technique juridique.
D’ailleurs, lorsque l’on cherche à savoir quels ont été les requérants,
on s’aperçoit qu’ils se recrutent principalement parmi les fonctionnaires et
agents des collectivités publiques, les cadres et membres des professions
libérales, les commerçants, les propriétaires, c’est-à-dire des requérants qui
tous appartiennent à ce que l’on appelle la classe moyenne et moyenne
supérieure.
On peut donc raisonnablement penser que la seule étude du contentieux
ne permet pas de mesurer l’ampleur réelle des dysfonctionnements de
l’appareil administratif même s’il est vraisemblable que la création des
tribunaux administratifs et des cours d’appel administratives a entraîné une
diversification de la catégorie des requérants et surtout de l’augmentation
de leur nombre.
Il est donc nécessaire que les responsables de l’administration
redoublent de vigilance pour déceler ce que l’examen des seuls recours
juridictionnels ne permet pas de découvrir. Ceci revient à dire que le

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Introduction 29

contrôle juridictionnel ne représente sans doute qu’une faible partie du


contentieux réel et que, par voie de conséquence, il doit être complété par
un contrôle administratif permanent et rigoureux destiné à améliorer le
fonctionnement des services. Le contrôle hiérarchique et contrôle par voie
d’inspection sont le complément indispensable du contrôle juridictionnel.
C’est pourquoi il est apparu utile d’inventer de nouveaux procédés de
contrôle s’inspirant des expériences étrangères de l’Ombudsman et du
médiateur. Renouant avec la tradition du tribunal des plaintes sous les
Saâdiens, le Maroc a mis en place l’institution de Diwan Al Madhalim
qui, à plusieurs titres, joue le rôle de l’intermédiaire entre l’administration
et l’administré. Cette institution a été remplacée par celle du médiateur
dont l’existence a été consacrée par l’article 162 de la Constitution de
2011.

B. Le point de vue de la science juridique


La mise en place d’un mécanisme destiné à permettre de juger
l’administration constitue une “performance” à la fois juridique et politique.
On peut le vérifier historiquement. Par exemple, en France, où il a
fallu presque un siècle (1790-1872) pour qu’émerge enfin un juge
administratif indépendant de l’administration (1) ; on peut aussi s’en

(1) C’est sur la base du principe de la séparation des autorités administratives et judiciaires que
s’est édifiée toute la justice administrative, laquelle a donné naissance au droit administratif.
Proclamé au lendemain de la Révolution française par la loi des 16-24 août 1790, puis réitéré par le
décret du 16 fructidor an III, ce principe avait interdit au juge judiciaire de connaître de quelque
manière que ce soit des opérations des corps administratifs, ni citer devant eux les administrateurs
pour raisons de leurs fonctions. C’est la pratique de la théorie de l’administration-juge consistant à
soumettre tout litige avec l’administration à celle-ci elle-même en la personne du chef de l’Etat, qui
combla le vide créé par l’interdiction au juge de troubler l’action administrative. En 1806, sous
Napoléon, est créée la section contentieuse du Conseil d’Etat qui exerça la justice retenue jusqu’en
1872 où c’est la loi du 24 mai de la même année qui institua la justice déléguée et le tribunal des
conflits, faisant ainsi du Conseil d’Etat une juridiction statuant souverainement sur les recours en
matière contentieuse administrative et sur les demandes d’annulation pour excès de pouvoir. C’est
alors la confirmation de la dualité de juridiction et l’amorce d’une jurisprudence féconde où le
Tribunal des conflits et le Conseil d’Etat, sous l’œil approbateur ou critique d’une doctrine
vigilante, ont tous deux créé les règles et les principes qui constituent les composantes de cette
discipline qu’est le droit administratif. Sur le marché des échanges internationaux des inventions
juridiques, ce droit s’avéra un des meilleurs produits d’exportation.

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30 Contentieux administratif marocain

persuader en constatant que le contrôle juridictionnel de l’administration


marocaine a été constitué sur près d’un demi-siècle (1913-1957) (2).
Il faut prendre conscience de ce que juger l’Etat n’est pas une chose
aisée dès lors que l’Etat est le plus puissant.
Il faut donc donner au juge de l’administration une position
particulièrement forte pour qu’il puisse s’imposer à l’autorité administrative
quelle qu’elle soit. La force du juge réside en premier chef dans son
indépendance qui doit être proclamée dans les textes et naturellement
respectée dans les faits.
Ceci conduit à insister sur un facteur idéologique. Le contrôle
juridictionnel de l’administration est une conquête de l’Etat de droit, il est
indissociable de l’idéologie libérale. On ne dénoncera jamais assez
l’imposture qui consiste à créer des institutions qui ne peuvent permettre
la protection de l’individu parce qu’elles sont en réalité au service d’une
idéologie qui est la négation des libertés et du droit. Une idéologie à
laquelle l’histoire a donné quelque trois quarts de siècle pour échouer !
N’est-il pas plaisant de relire aujourd’hui ce qu’écrivaient il y a peu
encore certains juristes qui présentaient les systèmes de la « légalité
socialiste » comme assurant une protection des administrés supérieure à
celle des systèmes libéraux (3) ? Le cours du professeur Ahmed Mahiou (4)
traduisait, il est vrai, une certaine gêne de son auteur qui s’évertuait à
concilier les formules de la Constitution algérienne de 1976 sur le rôle du
juge dans la défense des « acquis de la révolution socialiste » avec le

(2) C’est évidemment en application du traité du 30 mars 1912 et par le biais du protectorat que le
droit administratif est apparu au Maroc. Les réformes entreprises se sont traduites par des
changements immenses et profonds de la configuration du système en place. Dans ce cadre, un
dahir du 12 août 1913 institua l’organisation judiciaire et posa les premiers jalons du droit
administratif marocain. L’article 8 de ce dahir, dont l’esprit n’était pas sans rappeler celui de la loi
française des 16-24 août 1790, interdisait aux tribunaux civils d’ordonner des mesures dont l’effet
serait d’entraver l’action administrative et confiait les litiges y afférant aux juridictions françaises
instituées à l’époque. Par la force des choses, sous l’influence si ce n’est le poids de la nombreuse
législation dont le déversement n’avait, comme on disait, de limites de celles de l’imprimerie
officielle, et à la faveur des textes fortement marqués par ceux qui servaient d’inspiration à leurs
auteurs, ces juridictions nouvellement mises en place ont jeté les bases d’un droit administratif aux
traits bien identiques à ceux du droit administratif français.
(3) A. Demichel, Le droit administratif: Essai de réflexion théorique, L.G.D.J. 1978.
(4) A. Mahiou, Cours de contentieux administratif, Office des publications universitaires, Alger,
1981.

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Introduction 31

principe fondamental de l’indépendance du juge ; ou bien, encore, lorsqu’il


concédait qu’était délicate l’interprétation de l’exposé des motifs de
l’ordonnance de 1969 portant statut de la magistrature d’où il ressortait
que « la défense de la révolution implique nécessairement l’engagement de
la justice qui, de ce fait, constitue une fonction du pouvoir révolutionnaire
unique » !
C’est donc compte tenu de cette observation fondamentale qu’il faut
analyser le système de traitement juridictionnel des litiges nés de l’action
administrative.
Il faut reconnaître que les institutions et les mécanismes juridiques,
même lorsqu’on cherche à les simplifier, sont complexes. Leur
compréhension, l’utilisation des institutions et le maniement du raisonnement
juridique nécessitent une formation. Cette constatation emporte trois
conséquences.
–  En premier lieu, il faut insister sur le fait que l’accès à la justice
dépend de plusieurs facteurs.
L’un des plus évidents est la proximité géographique du juge qui
implique une large décentralisation de la carte judiciaire ; celle-ci a été
réalisée progressivement entre 1956 et 1997 puisque le nombre des
juridictions de première instance est passé de 9 à 67 et le nombre des
cours d’appel de 1 à 26.
En outre, le décret du 3 novembre 1993, pris en application de la loi
n° 41-90 du 12 juillet 1991, a donné naissance à sept tribunaux administratifs
réalisant ainsi une démultiplication de la juridiction administrative fort
satisfaisante, ainsi qu’on le verra en ce qui concerne le contentieux de la
légalité qui relevait jusqu’alors de la seule Cour suprême ; mais qui l’est
beaucoup moins pour le plein contentieux (responsabilité contractuelle ou
quasi-délictuelle notamment) qui, avant la réforme, relevait des tribunaux de
première instance. Peut-être faudra-t-il, en fonction du développement des
recours que feront apparaître les statistiques que tiennent les juridictions et
la Direction des affaires civiles du ministère de la Justice, envisager la
création de nouvelles juridictions administratives de premier degré, de
l’ordre de quatre ou cinq autres tribunaux, pour tenir compte de cet aspect
important de l’accessibilité à la justice qui – faut-il le dire ? – dépend
incontestablement de la proximité physique du juge.

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32 Contentieux administratif marocain

De même la création de deux cours d’appel administrative (Marrakech,


Casablanca) pourrait n’être pas suffisante et la création de trois ou quatre
autres cours serait bienvenue, voire, plus que nécessaire, pour une
meilleure couverture du territoire national.
Mais on se doit d’ajouter que l’accessibilité à la justice ne dépend pas
seulement de considérations géographiques dans la mesure où l’accès au
juge est sous la dépendance de facteurs socioculturels et économiques.
Sans doute, l’assistance judiciaire permet-elle de remédier à l’insuffisance
des ressources du requérant, mais la réalité du handicap culturel constitue
une contrainte qu’il est beaucoup plus difficile de desserrer ; c’est, pensons-
nous, cette indéniable réalité qui est à l’origine du faible développement
du contentieux administratif en général et du contentieux de la légalité en
particulier.
On relèvera que cela concerne tous les contentieux. D’après une
enquête effectuée dans une grande ville, il semble que de très nombreuses
infractions pénales ne sont jamais portées devant le juge, les victimes
préférant avoir recours à des procédés informels de règlement de ces
conflits inspirés, semble-t-il, des justices coutumières encore très vivaces
même en milieu urbain. Cette « fuite » devant la justice officielle peut
aussi s’expliquer par son caractère complexe, mais aussi par ses
insuffisances que sont, entre autres, la lenteur, l’absence d’impartialité
réelle ou supposée du juge.
–  Une deuxième remarque consiste à dire que l’utilisation des moyens
de défense qu’offre le contentieux administratif suppose la plupart du
temps, en raison de leur complexité et des exigences de la loi, l’aide d’un
professionnel, l’avocat, mais cela suppose aussi que l’avocat soit bien
formé aux techniques du contentieux administratif.
A cet égard, la consultation des statistiques laisse perplexe. Sur
681 recours en annulation pour excès de pouvoir introduits devant la Cour
suprême entre 1980 et 1989 par des avocats agréés auprès de cette
juridiction, 123 ont fait l’objet d’un rejet pour des raisons de forme, alors
que le formalisme en ce domaine est des plus limités !
Si le requérant constate qu’il perd son procès parce qu’il est mal
conseillé, il est naturel qu’il ne soit pas particulièrement porté à faire de
nouveau appel à la justice ; si une autre solution s’offre à lui, il sera tenté
de l’utiliser.

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Introduction 33

Il faut donc améliorer la formation des futurs avocats et, à cet égard,
on peut s’étonner de constater que l’enseignement du contentieux
administratif soit absent des programmes suivis en filière de science
juridique (droit privé) d’où proviennent principalement avocats et
magistrats !
–  Ceci nous conduit alors à une troisième remarque relative aux
exigences de formation aux techniques du contentieux administratif que
l’on peut imposer aux futurs avocats et qui sont à plus forte raison valables
pour les futurs magistrats. Nous verrons en effet que dans le procès
administratif, le juge a un rôle accru qu’il ne peut jouer correctement que
s’il est parfaitement au fait du droit applicable – le droit administratif –
mais aussi de la vie administrative, des conditions concrètes dans lesquelles
fonctionnent les appareils administratifs et les organes qui les composent.
Si le juge méconnaît ces diverses données, la “justice” rendue s’en
ressentira naturellement et les justiciables, administrés mais aussi
administrations, en concluront qu’ils n’ont pas été bien jugés. La méfiance
du justiciable ne peut ainsi que nuire au développement du contrôle
juridictionnel de l’administration et à la protection de l’administré.
Ces diverses considérations conduisent à affirmer que, malgré les
défauts qu’il peut présenter, le système de contrôle juridictionnel de
l’administration est indispensable pour assurer cette protection ; le système
peut être perfectionné, il doit aussi être “popularisé” afin de pouvoir
remplir le double rôle de défense de l’individu et de “conscience” de
l’administration.
C’est dans cette optique que l’on présentera le système de contrôle
juridictionnel de l’administration en trois parties :
–  Première partie : Le juge de l’administration et la procédure
administrative contentieuse.
–  Deuxième partie : Le domaine du contentieux administratif.
–  Troisième partie : Les recours contentieux :
• le recours en annulation pour excès de pouvoir ;
• le recours en indemnité.

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Première partie
  Le juge de l’administration et
la procédure administrative contentieuse
Le contentieux administratif moderne est relativement récent. Son
origine ne remonte pas au-delà des dahirs de 1913 qui ont donné naissance
au système d’unité de juridiction et de séparation des contentieux (5).
Mais c’est une histoire qui comporte déjà de nombreuses étapes dont
les principales sont la création de la Cour suprême et sa Chambre
administrative par le dahir du 27 septembre 1957, la création des tribunaux
administratifs par la loi du 12 juillet 1991 et enfin la création des cours
d’appel administratives (6), ainsi que le recours en cassation devant la
Cour suprême, devenue Cour de Cassation en 2011.
Ces juridictions ont introduit une novation fondamentale dans le
système juridictionnel qui ne repose plus que, de façon limitée à la Cour
suprême, sur le principe d’unité de juridiction. Mais cette novation n’est
pas seulement institutionnelle, elle est aussi fonctionnelle, en ce sens que
le contrôle de l’action administrative a pris, grâce à ces juridictions, un
nouveau départ.
C’est par cette histoire qu’il faut donc commencer cette étude du juge
et de la procédure ; c’est elle que nous examinerons dans un chapitre
premier consacré à l’histoire de la juridiction compétente en matière
administrative.
Dans un deuxième chapitre, nous verrons que le procès est toujours
organisé selon des règles précises ; son déroulement est tout entier prévu
de façon stricte par la procédure qui, elle aussi, a suivi une évolution
parallèle à l’évolution de la juridiction ; et c’est cette procédure que nous
étudierons dans un deuxième chapitre.

(5) M. Rousset, Le Contentieux administratif au Maroc, A.A.N., 1965, p. 117.


(6) Dahir du 14 février 2006 portant promulgation de la loi n° 80-03 instituant des cours d’appel
administratives, B.O. n° 5398 du 23 février 2006 p. 490 (en langue arabe) ; et B.O. n° 5400 du
2 mars 2006 p. 332 (en langue française).
Chapitre I
Histoire de la juridiction compétente
en matière administrative

L’histoire de la juridiction administrative moderne est récente, mais il


n’est pas sans intérêt de rappeler ce qu’étaient, à la veille de l’établissement
du protectorat, les possibilités qu’offrait le système institutionnel pour
assurer la protection des administrés (section I).
L’histoire n’a pas permis qu’il subsiste, et les autorités françaises
mettront en place dans le cadre du traité de protectorat de nouvelles
institutions juridictionnelles inspirées du droit européen et plus
particulièrement français ; ce sont les juridictions issues du dahir sur
l’organisation judiciaire (D.O.J.) et du dahir portant code de procédure
civile (C.P.C.) qui sont ainsi à la base du système de contrôle juridictionnel
de l’administration (section II).
Le recouvrement de l’indépendance a naturellement entraîné de
nombreuses réformes qui ont cependant laissé subsister le principe de
l’unité de juridiction (section III). C’est seulement la création des tribunaux
administratifs par la loi du 12 juillet 1991 qui semble marquer un tournant
essentiel dans le système mis en place en 1913, puisqu’elle instaure la
dualité de juridiction à la base de l’édifice juridictionnel (section IV). Une
dualité accentuée par la création des cours d’appel administratives en 2006
(section V).

Section I
Le système traditionnel de protection
des administrés
Dans le système de droit public musulman, la protection des administrés
repose sur le principe de la justice retenue dans les mains du chef de la
40 Contentieux administratif marocain

communauté et sur la délégation du pouvoir de juger en son nom à diverses


instances.

§1. La justice retenue


Il convient de noter d’entrée de jeu que le droit applicable est le droit
musulman qui n’admet pas que les droits des individus soient méconnus,
même si l’intérêt de la communauté doit primer l’intérêt individuel.
Il est donc nécessaire d’assurer une protection à l’un et à l’autre. La loi
prévoit ainsi des mécanismes qui sont susceptibles d’assurer l’équilibre
entre l’action du pouvoir et le respect des droits des individus. Ces
mécanismes ne sont pas aisés à faire fonctionner en pratique parce que, en
droit musulman, le pouvoir de juger n’est pas séparé des pouvoirs que
possède le chef de la communauté.
Ce dernier détient le pouvoir de diriger la communauté, y compris
celui de régler les différends ; c’est-à-dire le pouvoir de juger. Il est ainsi
la plus haute autorité judiciaire dans l’Etat.
Tous les agents qui ont reçu mission de rendre la justice le font en son
nom, et ceci est notamment vrai en ce qui concerne le cadi. Le cadi
dispose en principe des mêmes pouvoirs, quelle que soit la personne mise
en cause devant lui, particulier ou agent de l’Etat.
Mais, en fait, il semble que cette compétence soit restée largement
théorique. On a vu en effet apparaître des institutions spécialement
chargées de réprimer les abus d’autorité, mais toujours en vertu d’une
délégation du chef de la communauté, calife ou sultan.
Ce sont ces institutions qui existaient encore à la veille du protectorat
qui étaient chargées de réprimer la violation des droits légitimes et
d’assurer ainsi la protection de l’administré contre l’abus de pouvoir par
délégation du sultan.

§2. Les instances chargées d’assurer la protection des administrés


Le cadi n’a jamais exercé cette fonction, bien que toute juridiction ait
en principe la tâche de défendre à la fois l’intérêt public et les intérêts
légitimes des individus.

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Histoire de la juridiction compétente en matière administrative 41

On cite parfois des décisions en vertu desquelles le cadi aurait donné


raison à des justiciables contre le sultan (7) ; mais il semble que ce soit
dans le cadre d’un litige relatif à la propriété immobilière revendiquée
contre le sultan par les jardiniers de l’Agdal à Rabat, donc dans un litige
ne mettant pas en cause l’exercice de fonctions administratives.
Les institutions chargées de la défense de l’intérêt public et des intérêts
des particuliers sont constituées par le gouverneur, le Mohtassib, et surtout
celui que l’on appelle “le redresseur des torts”, Sahib al Madhalim. En
fait, le juge des Madhalim n’est pas réellement un juge. Il apparaît au
Maroc sous les Saâdiens (1554-1626) avec un caractère plus administratif
que judiciaire : c’est le tribunal des plaintes qui, sous la dynastie alaouite,
va changer de nom et devenir le Vizir Achikayat. Ce vizir reçoit et instruit
les réclamations qui lui sont adressées, et il propose une solution au sultan
qui est le seul détenteur du pouvoir de trancher, c’est-à-dire de juger.
La nature de la justice des Madhalim est donc supérieure parce qu’elle
est directement rattachée au souverain.
Sa compétence est très large car elle couvre tous les agents du
Makhzen, y compris les gouverneurs, les Mohtassib et les Cadis.
Agissant au nom du souverain, rien ne peut lui échapper de ce qui
touche à l’action de ses agents ; mais ce qui est plus surprenant, c’est qu’il
peut proposer une solution par application non seulement du droit
musulman, mais aussi du droit coutumier, voire parfois de l’équité. Il peut
intervenir lorsqu’il est saisi d’une réclamation ; mais il peut aussi agir de
sa propre autorité s’il a connaissance d’un abus.
Finalement, son action revêt un caractère hiérarchique, et l’on a pu
écrire : « La nature du contrôle exercé sur les agents de l’Etat revêt une
nature hiérarchique parce qu’il s’agit de fonctionnaires délégués du sultan
qui est à la fois autorité judiciaire et administrative » (8). Mais ce contrôle
tend autant à assurer la protection de l’administré contre l’abus du pouvoir
que l’intérêt public contre la négligence des agents ou les atteintes que
pourraient lui porter les particuliers.

(7) « Enquête sur les corporations musulmanes d’artisans et de commerçants au Maroc », Revue du
monde musulman, Paris, 1925, p. 104.
(8) R. Iraqi, La protection des administrés en droit public musulman : le cas du Maroc avant le
protectorat, mémoire de D.E.S., Casablanca, 1983, p. 167.

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42 Contentieux administratif marocain

En définitive, cette institution évoque plus un contrôle administratif


supérieur qu’un véritable contrôle juridictionnel. Aurait-elle pu évoluer
vers un contrôle juridictionnel ? On ne peut manquer d’évoquer l’évolution
du Conseil d’Etat français qui, dans un contexte certes très différent, a été
chargé de préparer la solution des litiges administratifs dans un système de
justice retenue et qui s’est finalement vu reconnaître le statut de juge à
part entière en 1872. Dans cette mesure, on peut avancer qu’une évolution
de ce type aurait peut-être été possible.
Malgré le caractère hasardeux d’une telle hypothèse, son intérêt n’est
pas purement rétrospectif puisque l’institution a laissé quelques traces
dans le système administratif avec ce qu’était le Bureau des requêtes
auprès du Cabinet Royal.
Mais elle pourrait aussi, comme on l’évoquait plus haut, être à l’origine
d’un contrôle administratif supérieur indépendant, à la manière de
l’Ombudsman suédois ou du Médiateur français.

Section II
Les réformes judiciaires de 1913
Les réformes introduites par le protectorat vont naturellement s’inspirer
du système juridique français, mais il ne s’agit pas d’une inspiration
exclusive et encore moins d’une transplantation pure et simple des
institutions judiciaires de la France, mais plutôt d’une transposition. C’est
ce que l’on vérifiera en examinant les réformes qui ont donné naissance à
la nouvelle organisation judiciaire et posé les bases du contentieux
administratif.

§1. L’organisation judiciaire


A la veille du protectorat, l’organisation judiciaire est complexe et
multiforme (9).
Le tableau de l’organisation judiciaire est le suivant :

(9) O. Azziman, « Les institutions judiciaires » in la Grande encyclopédie du Maroc, tome I, Les
institutions 1987, p. 151.

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Histoire de la juridiction compétente en matière administrative 43

La juridiction islamique est assurée par le cadi.


La justice makhzen, qui est subsidiaire par rapport à celle du cadi mais
joue un rôle important en matière pénale, relève des gouverneurs, pachas
et caïds. La justice coutumière est assurée en tribu par la voie de l’arbitrage
et par l’intermédiaire des jemaâ en matière pénale.
Les juifs marocains possèdent leurs propres juridictions en matière
civile et commerciale ; en revanche, au pénal, ils relèvent des mêmes
juridictions que les musulmans.
Enfin, au fil du temps, étaient apparues, et s’étaient développées, des
juridictions consulaires dont relevaient les étrangers ; ces juridictions
résultaient des traités que les Etats étrangers avaient négociés avec le
sultan.
Les réformes du protectorat vont tendre, d’une part, à réorganiser les
juridictions existantes et, d’autre part, à créer des juridictions nouvelles,
“les tribunaux français”.

A. La réorganisation des juridictions existantes


Elle se manifeste essentiellement par la création d’un double degré de
juridiction permettant à tous les justiciables d’en appeler des décisions
rendues en premier ressort devant une juridiction supérieure.
En 1918 est ainsi créé le Haut tribunal chérifien pour la justice
makhzen.
En 1921, création du Tribunal d’appel du chraâ, qui est une juridiction
collégiale.
En matière coutumière, c’est le fameux dahir berbère qui, en 1930,
tente d’affranchir les juridictions coutumières par rapport au droit
musulman.
Le mouvement d’opposition à cette réforme contraindra les autorités du
protectorat à revenir sur ce texte ; tout en reconnaissant la spécificité de la
justice coutumière en matière civile, les nouveaux textes maintiendront la
compétence des caïds ou des jemaâ, selon le cas, en matière pénale avec
appel devant le Haut tribunal chérifien.

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44 Contentieux administratif marocain

Enfin, la justice rabbinique fut, elle aussi, dotée d’une juridiction


d’appel collégiale en 1918, le Haut tribunal rabbinique.
Quant à la justice consulaire, elle devait en principe disparaître
conformément aux accords internationaux, et notamment le traité franco-
allemand de 1911, dès qu’une juridiction de type européen serait mise en
place.
C’est en se fondant sur le traité de protectorat qui prévoyait la
modernisation des institutions que les autorités résidentielles entreprirent
de créer des “juridictions françaises” qui se substituèrent aux juridictions
consulaires ; seules subsistèrent les juridictions britanniques, jusqu’en
1937, date de la renonciation de la Grande-Bretagne, et les juridictions des
Etats-Unis qui se maintinrent pratiquement jusqu’à la veille de
l’indépendance (le différend franco-américain à cet égard fut porté devant
la Cour internationale de justice en 1952).

B. La création des tribunaux français, D.O.J. du 12 août 1913


Trois niveaux de juridiction sont créés :
Le tribunal de paix statuant à juge unique sur des affaires d’importance
minime en matière civile, commerciale et pénale en dernier ressort, ou à
charge d’appel devant le tribunal de première instance.
Le tribunal de première instance, compétent dès lors qu’un Français ou
un étranger est impliqué dans un litige, même s’il est en conflit avec un
Marocain. Cette juridiction est par ailleurs compétente pour appliquer les
législations nouvelles en matière d’immeubles immatriculés, en matière
commerciale, d’assurance, etc.
Le tribunal de première instance est une juridiction collégiale qui statue
à charge d’appel devant le troisième niveau de juridiction :
La cour d’appel, qui est créée à Rabat.
Il n’existe pas de juridiction de cassation ; les recours en cassation sont
portés devant la Cour de cassation française. On peut ainsi constater que
ces juridictions ne comportent pas de tribunaux administratifs.
Deux raisons majeures et une raison subsidiaire expliquent cette absence.

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Histoire de la juridiction compétente en matière administrative 45

•  En premier lieu, la dualité de juridiction est écartée car les


justifications historiques dont elle peut se prévaloir en France sont
totalement inexistantes au Maroc.
•  En deuxième lieu, il s’agit d’un système complexe qui semble peu
compatible avec les contraintes qui vont peser sur le système juridictionnel
nouveau et sur les administrations modernes que l’on s’apprête à créer.
•  Enfin, il est clair que les autorités du protectorat désirant avoir les
mains libres, ne souhaitent pas voir s’installer une juridiction administrative
qui serait peut-être tout naturellement portée à lui appliquer, sans nuance,
les règles du droit administratif français.
En définitive, ce qui va être déterminant, c’est l’expérience menée en
Tunisie depuis 1881 et qui semble donner satisfaction ; c’est elle qui va
inspirer le législateur de 1913. Le système tunisien repose sur l’existence
d’un ordre unique de juridictions ; ces juridictions sont compétentes pour
statuer sur les recours relatifs à des litiges privés ainsi que sur des recours
tendant à mettre en cause la responsabilité de l’administration.
C’est donc ce système qui est à l’origine du dahir du 12 août 1913 qui
crée des “tribunaux français” dont la compétence est largement déterminée
par un critère personnel, comme du reste la compétence des autres
juridictions.
C’est dans ces conditions que va se poser la question de savoir quelle
est la juridiction compétente pour statuer sur les litiges administratifs.

§2. Les bases du contentieux administratif


Même inspiré du système de la métropole, le système mis en place,
fortement marqué par la volonté d’asseoir une justice administrative
propre à attirer les entrepreneurs dont avait besoin le protectorat pour la
réalisation de ses projets, n’était pas tout à fait identique au modèle
d’inspiration du fait qu’il lui manquait l’institution du recours pour excès
de pouvoir. Mais il posait cependant une problématique découlant de la
séparation des contentieux, relative à trois questions importantes. Quelle
est la juridiction compétente pour juger l’administration ? (A) Quel type de
litiges est justiciable de ces nouvelles juridictions ? (B) Quel est le droit
qui leur est applicable ? (C)

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46 Contentieux administratif marocain

A. La juridiction compétente pour accueillir les recours contre


l’administration
Cette question se dédouble. D’une part, il sera admis que les tribunaux
français ont une compétence exclusive en matière administrative et, d’autre
part, que, parmi ces tribunaux français, seuls sont compétents les tribunaux
de première instance.
L’article 8 du D.O.J. disposait : « En matière administrative, les
juridictions françaises instituées dans notre empire connaissent, dans les
limites de la compétence attribuée à chacune d’elles, de toutes les instances
tendant à faire déclarer débitrices les administrations publiques, soit à
raison de l’exécution des marchés conclus par elles, soit à raison des
travaux qu’elles ont ordonnés, soit à raison de tous actes de leur part ayant
porté préjudice à autrui. »
Un problème d’interprétation de ce texte s’est posé, qui a conduit les
juges à penser que, dès lors qu’un litige opposait un Marocain à une
collectivité publique, la compétence des juridictions étant principalement
personnelle et le texte évoquant « les limites de la compétence attribuée »
aux diverses juridictions, c’étaient les juridictions chérifiennes qui devaient
être compétentes. Cette interprétation avait même été retenue par la cour
d’appel de Rabat ; mais elle présentait un grave inconvénient. En effet, les
litiges en matière administrative auraient été susceptibles de recevoir des
solutions différentes selon la juridiction saisie à raison d’un critère
personnel et non pas en fonction de la nature du litige à trancher ; il
n’existait, en effet, aucune juridiction supérieure commune aux tribunaux
français et aux tribunaux chérifiens susceptibles de réduire les contrariétés
de jugement qui n’auraient pas manqué de se produire. Aussi, pour mettre
un terme à cette interprétation, le législateur devait intervenir par un dahir
du 1er septembre 1928 pour modifier le début de l’article 8 du D.O.J.
désormais libellé de la façon suivante sans aucune équivoque : « Les
tribunaux français… sont exclusivement compétents pour connaître de
toutes les instances tendant à faire déclarer débitrices les administrations
publiques… ».
Le deuxième aspect du problème de la détermination de la juridiction
compétente pour juger l’administration concerne le point de savoir si les
tribunaux de paix pouvaient se voir reconnaître compétence en de domaine.

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Histoire de la juridiction compétente en matière administrative 47

Certains soutenaient que cette compétence était possible dans les


limites des taux fixés par les textes.
Mais ce point de vue fut rapidement écarté compte tenu des termes
exprès de l’article 17 du dahir sur la procédure civile qui disposait : « Les
tribunaux de première instance connaissent en premier ressort et sauf
appel devant la Cour… les actions intentées contre les administrations
publiques en vertu de l’article 8 du D.O.J. »

B. Les litiges justiciables des tribunaux de première instance


Ce sont ceux qui tendent à « faire déclarer débitrices les administrations
publiques » ; il s’agit donc d’un contentieux exclusivement indemnitaire.
Ceci résulte des termes mêmes de l’article 8 du D.O.J.
Mais ce texte ajoute une précision dans ses alinéas 3 et 4 qui renforce
la limitation du contentieux: « Il est interdit aux juridictions d’ordonner,
même accessoirement à une des demandes ci-dessus, ou principalement,
toutes mesures dont l’effet serait d’entraver l’action des administrations
publiques, soit en portant obstacle à l’exécution des règlements pris par
elles, soit en enjoignant l’exécution ou la discontinuation des travaux
publics, soit en modifiant l’étendue ou le mode d’exécution desdits
travaux.
Il est également interdit aux juridictions civiles de connaître de toute
demande tendant à faire annuler un acte d’une administration publique
sauf le droit pour la partie intéressée de poursuivre par la voie gracieuse la
réformation de l’acte qui fait grief. »
Ces dispositions ont pour effet d’écarter toute possibilité d’entraver
l’action administrative ou de déclarer illégal un acte de l’administration et
d’instituer par la même occasion une procédure de réformation de l’acte
faisant grief semblable à celle de la théorie de l’administration-juge suivie
en France au lendemain de la proclamation du principe de la séparation
des autorités administratives et judiciaires.

C. Le droit applicable
L’interprétation littérale des textes que nous avons cités ne conduisait
pas de façon évidente à appliquer à l’administration des règles différentes
du droit commun ; l’expression « en matière administrative » pouvait fort

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48 Contentieux administratif marocain

bien être comprise comme signifiant seulement que le recours tendait à


mettre en cause une administration publique ; on aurait pu ainsi soutenir
l’applicabilité du droit privé.
En fait, la question ne s’est pas même posée du fait que les magistrats
de nationalité française ont tout naturellement été conduits à penser que
l’administration devait être soumise à un droit spécifique dans les trois
chefs de compétence retenus par l’article 8 du D.O.J.
Ils y étaient d’autant plus portés que le législateur avait posé dans les
articles 79 et 80 du dahir sur les obligations et contrats des règles
propres à l’engagement de la responsabilité des collectivités publiques
qui échappait ainsi aux règles gouvernant la responsabilité de droit
commun (10).
Par ailleurs, la mise en jeu de l’administration devant les tribunaux fait
l’objet de règles spécifiques :
–  les recours sont limités à trois cas ;
– les règles de procédure sont spécifiques : intervention obligatoire du
ministère public, appel toujours possible ;
– enfin, l’interdiction d’entraver l’action des administrations publiques
illustre la situation privilégiée des administrations publiques qui
peuvent ainsi se prévaloir, comme en France, du principe de
séparation des autorités administratives et judiciaires.
Le juge doit donc déterminer, avant toute chose, s’il se trouve en face
d’un litige relevant de la matière administrative.
Il doit le faire, non pas pour trouver le juge compétent comme en
France, mais pour savoir quelles sont les règles de procédure applicables
au procès et les règles de fond sur la base desquelles le litige sera réglé.

(10) En fait, les articles 79 et 80 du D.O.C. apparaissent comme la synthèse du considérant


principal du fameux arrêt T.C. 8 février 1873, Blanco, « Considérant que la responsabilité qui peut
incomber à l’Etat par le fait des personnes qu’il emploie dans le service public, ne peut être régie
par les principes qui sont établis dans le code civil, pour les rapports de particuliers à particuliers ;
Que cette responsabilité n’est ni générale, ni absolue ; qu’elle a ses règles spéciales qui varient
selon les besoins du service et la nécessité de concilier les droits de l’Etat avec les droits privés ; »
(…).

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Histoire de la juridiction compétente en matière administrative 49

La question de la détermination de la nature de l’affaire n’est pas


toujours évidente, car il ne suffit pas qu’une personne publique soit en
cause pour que le droit et la procédure spécifiques soient applicables.
Le juge sera conduit, comme son homologue français d’ailleurs, à
distinguer les cas où l’administration met en œuvre des prérogatives et des
procédés de gestion publique, et les cas où elle se place dans les mêmes
conditions que les particuliers et utilise les procédés du droit commun, les
procédés de la gestion privée.
Dans le premier cas, l’affaire relevant de la matière administrative sera
traitée dans le cadre du droit administratif ; dans le second, ce sera sur la
base du droit privé.
C’est de cette façon qu’apparaît ainsi un système original fondé sur
l’unité de juridiction et la séparation des contentieux.
La tâche du requérant se trouve simplifiée dans toute la mesure où il
est déchargé du soin de chercher le juge compétent ; c’est au juge
qu’incombe la charge de déterminer la nature de la question posée, mais
cela ne fait pas disparaître toute difficulté tant il est vrai que de la
détermination correcte de la nature de l’affaire dépend la pertinence de
l’argumentation du requérant qui fonde la demande et, par là, les chances
qu’il a de gagner son procès.
En conclusion, on peut dire que le contentieux administratif, malgré les
mérites du système mis en place, demeure limité et incomplet.
Il est limité puisqu’il est cantonné au contentieux indemnitaire et
seulement dans trois cas.
Il est incomplet car il ne comporte pas de recours en cassation « local » ;
le seul recours possible est à la seule disposition du ministère public, et il
n’est ouvert que devant la Cour de cassation française.
Il est surtout incomplet parce qu’il ne comporte pas de recours
permettant de faire contrôler la légalité des décisions administratives.
De nombreuses voix se sont d’ailleurs élevées, à la fin de la période du
protectorat, pour réclamer la création du recours en annulation pour excès
de pouvoir ; tel fut, par exemple, le souhait émis par le barreau de Rabat
en 1953. Mais cette réforme ne sera réalisée qu’après le recouvrement de
l’indépendance.

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50 Contentieux administratif marocain

Section III
Les réformes de l’indépendance (11)
La sagesse consistait à procéder à une évaluation réaliste de ce qui,
dans l’administration et le système juridictionnel mis en place par le
protectorat, devait être supprimé ou modifié sans délai, ce qui pouvait
subsister pendant une période transitoire et, enfin, ce qui devait être
conservé. Ce fut la méthode choisie par les premiers gouvernements du
Maroc de nouveau indépendant sous la direction de Mohammed V.
En ce qui nous concerne, la décision fut prise de conserver le système
mis en place en 1913 dans toute la mesure où cela était compatible avec la
souveraineté nationale.
Le système juridictionnel de 1913 va être complété en 1957, il sera
nationalisé et rationalisé en 1965-1967, il sera enfin perfectionné en 1974.
Ce sont ces trois étapes qu’il convient de retracer.
Mais la dernière étape constituée par la création des tribunaux
administratifs, puis, plus tard, par celle des cours d’appel administratives,
fera l’objet d’une quatrième section en raison de son importance.

§1. Le dahir du 27 septembre 1957


Ce dahir est un texte capital pour trois raisons :
A. En premier lieu, il dote le système juridictionnel marocain d’une
juridiction nationale suprême unique ; ce faisant, il confirme l’unité de
juridiction.
Le D.O.J. reste en vigueur – notamment son article 8 – moyennant
quelques modifications formelles ; les tribunaux français deviennent des
tribunaux modernes, mais ils conservent les compétences qu’ils exerçaient
jusqu’alors, notamment en matière administrative.
Désormais, les décisions rendues en dernier ressort peuvent faire l’objet
d’un recours en cassation dont la chambre administrative de la Cour

(11) Indépendance nationale et système juridique : l’exemple du Maroc, Actes du colloque des
27-28 mars 1998 en hommage au professeur Michel Rousset, Presses universitaires de Grenoble et
éditions la Porte, Rabat 2000 ; M.J. Essaïd, Introduction à l’étude du droit, 4e éd. 2010, p. 343.

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Histoire de la juridiction compétente en matière administrative 51

suprême dira qu’il est ouvert de façon générale contre de telles décisions,
sauf s’il fait l’objet d’une exclusion expresse par le législateur (12).
B. La deuxième raison résulte de la création du recours en annulation
pour excès de pouvoir.
Ce recours peut être porté devant la Cour suprême ; il peut être dirigé
contre les décisions des autorités administratives et, dans ces conditions,
l’interdiction faite aux juridictions ordinaires d’accueillir des recours
tendant à faire annuler les actes administratifs trouve un fondement
logique.
Au sein de la Cour suprême, sont créées des chambres spécialisées, et
notamment une chambre administrative qui est saisie des recours en
cassation en matière administrative et des recours en annulation pour
excès de pouvoir. Mais cette chambre, comme les autres d’ailleurs, malgré
leur spécificité, ne constituent pas des juridictions ; le législateur a
d’ailleurs pris le soin d’indiquer que « toute chambre peut valablement
statuer sur tous recours ».
La division en chambres correspond seulement aux exigences de la
division du travail et de la spécialisation des magistrats. Elle ne met
absolument pas en cause l’unité de la Haute juridiction.
C. Enfin la troisième raison réside dans le fait que le dahir de 1957
laisse intact le dahir de 1913 et le principe de séparation des autorités
judiciaire et administrative.
La Cour suprême ne va d’ailleurs pas tarder à consacrer l’autonomie
du contentieux administratif.
C’est en effet ce qu’elle fait dans un arrêt Consorts Félix (13) dans
lequel elle rappelle que les juridictions doivent déterminer au début de
l’instance, in limine litis, si elles se trouvent ou non en matière ordinaire
ou en matière administrative.

(12) C.S.A. 18 mars 1977, Abdelhafid Kadiri, rapporté en sommaire dans le Guide des agents
d’autorité, tome II, p. 773. Cette exclusion serait vraisemblablement déclarée contraire à la
constitution si le Conseil constitutionnel était saisi en raison de l’atteinte portée à un principe
fondamental de l’organisation judiciaire. Et nous verrons qu’il en serait de même si le législateur
s’avisait d’exclure le recours pour excès de pouvoir en raison cette fois de l’atteinte à un principe
constitutionnel, le principe de légalité.
(13) C.S.A. 4 décembre 1958, Consorts Félix, R. p. 164.

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52 Contentieux administratif marocain

Et la Haute juridiction réitère cette injonction et indiquant que « le


principe de séparation des pouvoirs judiciaire et administratif est inscrit en
termes formels dans les alinéas 4 et 5 de l’article 8 du D.O.J. (…) Attendu
que par application de ce principe les juridictions appelées (…) à apprécier
la responsabilité qui peut incomber à l’administration ne sont pas liées par
les décisions judiciaires rendues en application des règles du droit privé
dans des instances où l’administration n’a pas été partie » (14). C’est donc
sur ces bases, à la fois confirmées et nouvelles, que le contentieux
administratif va désormais poursuivre son développement dans le domaine
ancien du contentieux indemnitaire de la pleine juridiction et dans celui,
presque totalement nouveau, de l’annulation.

§2. La loi d’unification de la justice du 26 janvier 1965 et le


décret royal sur l’organisation judiciaire du 3 juillet 1967 (15)
Au lendemain du recouvrement de l’indépendance, le législateur a paré
au plus urgent par la création d’une juridiction suprême assurant une
fonction régulatrice à l’égard des diverses juridictions existantes par la
voie de la cassation et la création d’un mécanisme de contrôle de la
légalité des décisions des autorités administratives.
Mais, d’une part, il a laissé subsister en partie le pluralisme juridictionnel
et donc une réelle complexité. Ainsi à côté des tribunaux modernes figurent
les tribunaux de droit commun résultant de la fusion de la juridiction du
Chraâ et de la juridiction makhzen enlevée aux agents d’autorité au nom de
la séparation des pouvoirs.
D’autre part, ne disposant pas de magistrats nationaux en nombre
suffisant, les responsables ont fait appel à l’assistance technique française
et espagnole.
Cette situation était acceptable dans une période transitoire ; mais
rapidement, elle est apparue peu satisfaisante ; les juridictions avaient en
effet parfois à juger des affaires dont les implications politiques plaçaient
le magistrat étranger en situation difficile d’autant plus qu’il rendait la

(14) C.S.A. 24 mai 1960, Cie d’assurances générales, R. p. 207.


(15) T. Sauvel, La Réforme de la justice au Maroc : la loi d’unification, A.A.N. 1969, p. 89 et s.

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Histoire de la juridiction compétente en matière administrative 53

justice au nom du Roi et que le pouvoir de juger est l’un des attributs
essentiels de la souveraineté étatique.
Ce sont ces diverses considérations qui ont conduit certaines formations
politiques à déposer une proposition de loi qui fut votée à l’unanimité.
Cette loi prévoit l’unification, la marocanisation et l’arabisation de la
justice ; en revanche, l’unification du droit ne pouvait être que partiellement
réalisée.

A. L’unification des juridictions


Elle consiste dans la fusion des juridictions existantes afin de donner
naissance à un ordre unique de juridiction. Ce seront les tribunaux du
sadad et les tribunaux régionaux en première instance, les tribunaux
régionaux et les cours d’appel en appel, enfin la Cour suprême en cassation.
23 juridictions du sadad sont créées pour statuer à juge unique sur les
affaires de faible importance, avec appel devant le tribunal régional pour
les demandes supérieures à un certain taux.
16 tribunaux régionaux, juridictions collégiales, héritent les compétences
dévolues antérieurement aux tribunaux modernes et aux tribunaux de droit
commun.
Le décret royal du 3 juillet 1967 relatif à l’organisation judiciaire
précise expressément les compétences des nouvelles juridictions : le juge
du sadad n’a aucune compétence en matière administrative.
Les tribunaux régionaux sont compétents dans les limites de l’article 8,
alinéas 1, 3, 4 et 5 du D.O.J. qui est maintenu en vigueur. La procédure
applicable demeure celle qui est établie par le C.P.C. de 1913. Rien n’est
changé en ce qui concerne l’appel et la cassation.

B. La marocanisation
Elle signifie que désormais nul ne peut exercer la fonction de magistrat
s’il ne possède la nationalité marocaine.
Il y avait alors une centaine de magistrats étrangers en fonction dans
les juridictions, ils continueront pendant un certain temps à travailler
comme conseillers techniques auprès de certains magistrats et dans
certaines juridictions.

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54 Contentieux administratif marocain

C. L’arabisation de la justice
Désormais « seule la langue arabe est admise devant les tribunaux
marocains, tant pour les débats et les plaidoiries que pour la rédaction des
jugements ».
Cette disposition va avoir des conséquences sur l’exercice de la
profession d’avocat ; les avocats étrangers ne pourront plaider que s’ils
s’expriment en arabe ; certains seront contraints de partir, d’autres resteront
associés à des avocats marocains, d’autres enfin, connaissant l’arabe,
continueront à exercer.
Mais l’arabisation, parfaitement légitime dans son principe, n’a pas eu
l’influence bénéfique que l’on escomptait dans sa mise en œuvre. Le
nombre de magistrats convenablement formés était insuffisant pour faire
face à ce qui représentait le fonctionnement d’une justice complexe. Outre
cela, elle a eu un effet plutôt négatif sur la quasi publication des décisions
de justice, et plus encore sur les commentaires et les études doctrinales qui
étaient jusqu’alors le fait de recueils ou de revues paraissant en langue
française ; elles cessèrent de paraître, et il a fallu attendre un certain temps
avant que le relais ne soit pris par des revues en langue arabe ou de
nouvelles revues en langue française. Cela dit, il est entendu que ce n’est
pas l’arabisation qu’il faut incriminer, mais plutôt la manière dont elle a été
conduite et qui s’est avérée complètement dépourvue de soins dans son
application.

D. L’unification du droit
En raison du caractère religieux du statut personnel, l’unification du
droit ne pouvait pas être totale.
Mais en dehors de ce domaine, c’est le droit moderne qui va continuer
à s’appliquer et spécialement le droit administratif dans les affaires
relevant de la matière administrative.
La réforme qui entre en application le 1er janvier 1966 va se heurter à
différents obstacles qu’elle n’a pas réussi à surmonter.
–  Insuffisance du nombre des magistrats.

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Histoire de la juridiction compétente en matière administrative 55

–  Insuffisante qualification de ces magistrats qui, venant pour beaucoup


d’entre eux des juridictions de droit commun, ne connaissent pas le droit
moderne qu’ils ont désormais à appliquer.
–  La relative complexité de la procédure et des règles de fond vont
avoir pour conséquence un ralentissement du fonctionnement des
juridictions et une application du droit donnant quelques doutes aux
justiciables.
Ces diverses insuffisances, jointes parfois à une fâcheuse tendance à la
vénalité de certains juges, ont conduit le système juridictionnel à une crise
à laquelle les réformes de 1974 ont eu pour objectif de mettre un terme.

§3. L
 es réformes de 1974 et leurs incidences sur le contentieux
administratif
Le diagnostic porté sur le système juridictionnel aboutit au constat
suivant :
Les magistrats sont trop peu nombreux et témoignent d’une insuffisante
familiarité avec le droit et la procédure modernes.
Les juridictions sont trop peu nombreuses pour permettre aux
justiciables potentiels de les saisir ; la carte judiciaire rend la justice
difficilement accessible, et son caractère complexe l’éloigne plus encore
du justiciable. Le seuil géographique et le seuil socioculturel se conjuguent
pour écarter le justiciable du prétoire.
Enfin, la lenteur de la justice et son caractère trop souvent vénal
entraînent une « fuite » devant la justice officielle et le recours aux divers
procédés informels de règlement des litiges tels l’arbitrage et les règlements
coutumiers. La justice privée l’emporte désormais sur la justice officielle.
Les réformes ont pris la mesure du problème et vont tenter d’y faire face.
Les textes :
– dahir portant loi relatif aux juridictions communales et d’arrondis-
sement, 15 juillet 1974, B.O. 1974, p. 1090 ;
– dahir portant loi sur l’organisation judiciaire, 15 juillet 1974, B.O.
p.  1081 ;

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56 Contentieux administratif marocain

– dahir portant loi portant code de procédure civile du 28 septembre


1974, B.O. p. 130.
– d ahir portant loi promulguant le statut de la magistrature,
11 novembre 1974, B.O. p. 1578. (Aujourd’hui le statut des
magistrats est régi par la loi organique n° 106-13 du 24 mars 2016,
B.O. 2016, p. 1313).

A. Les objectifs de la réforme


La réforme tend, d’une part, à rapprocher la justice du justiciable, à
améliorer le fonctionnement des juridictions en simplifiant la procédure et,
d’autre part, à améliorer la formation des magistrats.
Ces objectifs apparaissent dans les trois points essentiels des réformes
qui concernent les juridictions communales et d’arrondissement, les
tribunaux de première instance et la magistrature.

1. La création des juridictions communales et d’arrondissement


Elle constitue une innovation : cela revient à instituer dans chaque
commune un juge dont la compétence d’attribution permet de lui faire
trancher toute une série de litiges de faible importance (plus de 100 dirhams
et moins de 2 000 dirhams, si les parties en sont d’accord), à l’exception
des litiges immobiliers. En matière pénale, sa compétence concerne les
infractions sanctionnées par des peines d’amende de moins de 800 dirhams.
La procédure est simplifiée à l’extrême : la saisine du juge peut être
écrite ou orale ; après une tentative de conciliation, le juge tranche.
En matière pénale, il convoque le contrevenant dans un délai de trois
jours. Les décisions ainsi rendues ne sont susceptibles d’aucun recours
ordinaire ou extraordinaire. Le juge communal est un juge unique qui peut
être un magistrat, mais qui, le plus souvent, est une personne nommée par
un collège auquel il appartient et qui est désigné par une commission
composée de trois magistrats, un membre du barreau, l’agent d’autorité, le
président et un membre du conseil communal, le président de la chambre
professionnelle. Le juge, présenté par le collège, est nommé par dahir sur
proposition du Conseil supérieur de la magistrature.

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Histoire de la juridiction compétente en matière administrative 57

Cette innovation a soulevé de nombreuses critiques, notamment du fait


de l’absence de recours ou bien encore du fait de la nomination des juges
considérés comme appartenant à la catégorie des notables.
Dans la pratique, et malgré des insuffisances prévisibles, il semble que
le système rende à peu près les services que l’on en attendait.
D’une part, ces juridictions étaient saisies de petits litiges qu’il faut
absolument régler rapidement dans un but de tranquillité sociale. C’est la
fonction de ce que l’on appelle dans certains pays « la justice de paix » ;
l’expression est tout à fait significative.
D’autre part, cette justice, certes expéditive, était proche du terrain,
facile d’accès, peu onéreuse, simple ; enfin il ne faut pas perdre de vue
que la crise que traversait le système depuis 1966 avait pour conséquence
une fuite devant la justice et l’incapacité de l’appareil juridictionnel à
rendre la justice de façon acceptable (16).
Quoi qu’il en soit ces juridictions ont été supprimées et remplacées par
des juridictions de proximité par la loi n° 42-10 du 17 août 2011 qui en a
fixé la compétence. Le principe reste le même : faire régler rapidement les
litiges de faible importance en suivant une procédure orale simplifiée mais
avec une double garantie. Ces juridictions fonctionnent avec des magistrats
de carrière et les décisions qu’elles rendent peuvent faire l’objet d’un
contrôle par la voie d’un recours en annulation devant le tribunal de
première instance dans des cas limitativement énumérés par la loi.

2. La création des tribunaux de première instance


Cette création poursuit, elle aussi, le but de rapprochement de la justice
et d’amélioration de la rapidité de fonctionnement des juridictions.
30 tribunaux de première instance sont créés contre 16 tribunaux
régionaux en 1966. Actuellement, ils sont au nombre de 68, plus celui de
Casablanca qui est démembré en 3, chaque tribunal ne traitant que d’un
domaine précis, civil, social, pénal. Ce qui donne un chiffre total de 71.
Mais comme le nombre des magistrats est insuffisant, le nouveau
tribunal va désormais statuer à juge unique.

(16) T. Khaissidi, les Juridictions communales et d’arrondissement, mémoire D.E.S., Faculté de


droit, Casablanca, 1989, dactyl.

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58 Contentieux administratif marocain

La simplification résulte aussi de ce que ce tribunal est juge de droit


commun en toute matière: civile, commerciale, de statut personnel et
successoral, sociale, pénale et administrative (article 18 du C.P.C.).
La procédure est également simplifiée : elle est orale, mais le juge
chargé du dossier a la maîtrise complète de l’affaire.
Toutefois, par exception à l’oralité de la procédure, l’article 45 du
C.P.C. décide que la procédure écrite subsiste dans certaines matières
techniques ; le caractère écrit est une garantie dans les affaires délicates où
le raisonnement juridique doit être rigoureux et les arguments formulés de
façon précise ; cette exception concerne le droit aérien et maritime, le droit
commercial, la responsabilité délictuelle ou quasi-délictuelle et les affaires
mettant en cause une personne publique.
En outre, si une collectivité publique est concernée, le ministère public
doit obligatoirement intervenir.
En ce qui concerne les cours d’appel, il n’y a rien de changé si ce n’est
leur nombre qui est passé de 3 à 9 ; aujourd’hui, il est de 21 (17).
La procédure est écrite et la cour d’appel reste une juridiction collégiale,
ce qui offre naturellement une garantie que l’on ne trouve plus en première
instance.

3. Le nouveau statut de la magistrature


La magistrature est dotée d’un nouveau statut dans lequel nous
relèverons deux points.
Tout d’abord, la formation des magistrats retient l’attention du
législateur. A l’issue du concours de recrutement ouvert aux titulaires de
certains diplômes, dont la licence en droit (sciences juridiques), les
candidats reçus sont nommés attachés de justice et suivent une formation
de cinq mois à l’Institut Supérieur de la Magistrature. S’ouvre ensuite une
période de stage de quinze mois au sein d’une juridiction, puis un stage de
cinq mois dans une administration, une entreprise ou un établissement
pénitentiaire ; enfin, cette période se termine par un examen.

(17) Décret n° 2-11-240 du 23 septembre 2011 modifiant et complétant le décret n° 2-74-498 du


16 juillet 1974 en application du dahir portant loi n° 1-74-338 du 15 juillet 1974 relatif à
l’organisation judiciaire du Royaume, B.O. en langue arabe, n° 5983 du 3 octobre 2011, p. 4873.

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Histoire de la juridiction compétente en matière administrative 59

On a donc de cette façon élevé le niveau des futurs magistrats. Mais on


a aussi cherché à se prémunir contre la corruption. Le magistrat qui entre
en fonction doit signer un état de sa fortune immobilière et en valeur
mobilière ainsi que celle de son épouse et de ses enfants mineurs. Le
ministre de la justice peut faire procéder à des vérifications de l’état de la
fortune des magistrats par voie d’inspection et après avis du Conseil
supérieur de la magistrature, devenu, avec la Constitution de 2011, Conseil
Supérieur du Pouvoir Judiciaire.

B. Les incidences de la réforme de 1974 sur le contentieux administratif


Ces incidences sont assez peu nombreuses ; elles concernent la
détermination de la compétence des juridictions et la procédure régissant
le procès en matière administrative (18).

1. La compétence
L’article 18-1° du C.P.C. fait du tribunal de première instance le juge
de droit commun en toute matière, y compris en matière administrative.
Cette attribution de compétence est formulée en termes généraux à la
différence de ce qui résultait de l’article 8 du D.O.J. qui procédait par
énumération, nécessairement limitative, des chefs de compétence des
juridictions de 1913. Sans doute, cette énumération ne laissait-elle pas
grand chose en dehors de la compétence du juge, mais il s’était parfois
produit quelques difficultés portant notamment sur le point de savoir si les
marchés ou l’expression “tous actes” recouvrait les contrats de fonction
publique et les conventions d’assistance technique. Avec donc la formule
plus globale de l’article 18 du C.P.C., de tels problèmes ne peuvent plus se
poser.
Cette compétence générale n’est cependant reconnue aux nouvelles
juridictions que dans les mêmes limites qu’auparavant. Certes, l’article 8
du D.O.J. est abrogé, mais l’article 25 du C.P.C. reprend le principe de
séparation des autorités administratives et judiciaires dans des termes
voisins :

(18) M. Rousset, La réforme de la justice marocaine et ses incidences sur le contentieux


administratif, R.J.P.I.C., 1975, n° 2, p. 147.

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60 Contentieux administratif marocain

« Sauf dispositions légales contraires, il est interdit aux juridictions de


connaître, même accessoirement, de toute demande tendant à entraver
l’action des administrations de l’Etat et des autres collectivités publiques
ou à faire annuler un de leurs actes. »
Interdiction leur est également faite de « se prononcer sur la
constitutionnalité d’une loi ou d’un décret ».
L’interdiction de censurer la loi est évidemment justifiée car le juge ne
peut qu’appliquer la loi (19). En revanche, l’interdiction de censurer
l’inconstitutionnalité d’un décret pose problème car si le juge doit
appliquer le droit, il doit dire le droit ; à cet égard, il est difficile d’admettre
qu’il puisse se trouver dans l’obligation d’appliquer un décret rétroactif,
violant le principe d’égalité ou l’autorité de la chose jugée ! C’est ce qu’il
était raisonnable de penser en face de cette interdiction. Mais on
mentionnera cependant que la Cour suprême n’était juridiquement pas
incompétente pour connaître du contrôle de la légalité des décrets et
partant de leur constitutionnalité lorsqu’ils intervenaient dans une matière
autonome par rapport à la loi.
C’est ce que l’on pouvait logiquement déduire de l’article 353 du
C.P.C. précisant que « La Cour suprême, sauf si un texte l’exclut
expressément, statue sur : (…) 3. Les recours en annulation pour excès de
pouvoir formés contre les décisions émanant des autorités administratives.
(…) ». Par cette formule, constituant justement, une disposition légale
contraire par rapport à l’article 25 du C.P.C., le législateur, n’ayant pas
parlé de légalité mais de décisions excédant le pouvoir, n’interdisait
nullement le contrôle d’un décret par rapport à un principe constitutionnel
ou à valeur constitutionnelle (20).
Quoi qu’il en soit, il ne semble pas que la question se soit posée, et il
n’est donc pas possible de dire avec certitude ce qu’aurait pu être l’attitude
du juge. De toute façon, cela ne présente désormais qu’un intérêt

(19) Il faut dire qu’avec l’institution du contrôle de la constitutionnalité des lois par la révision
constitutionnelle de 1992, cette interdiction a trouvé une justification tout à fait compréhensible
dans la mesure où il y a désormais une instance spécialisée en la matière.
(20) M.A. Benabdallah, Du contrôle de la constitutionnalité des décrets réglementaires autonomes,
REMALD n° 53, 2003, p. 9 et Contribution à la doctrine du droit administratif marocain,
REMALD, Coll. « Manuels et Travaux universitaires » n° 77, vol. II, p. 295.

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Histoire de la juridiction compétente en matière administrative 61

rétrospectif, car la loi du 12 juillet 1991 a répondu à ce que nous


souhaitions en supprimant cette interdiction (21).

2. La procédure
La réforme entraîne peu de changements, car en matière administrative
elle demeure écrite, comme auparavant, même en première instance. On
doit cependant souligner l’inconvénient du juge unique qui n’offre
naturellement pas les mêmes garanties de qualité qu’une juridiction
collégiale.
On signalera une innovation dans le contentieux de l’excès de pouvoir
qui résulte de la disparition de l’obligation du recours administratif
préalable dans le délai extrêmement bref d’un mois.
Désormais, le recours administratif est facultatif, et le délai du recours
contentieux est porté à 60 jours à compter de la publication ou de la
notification de la décision administrative. Naturellement, si le recours
administratif est intenté dans ce délai, celui-ci est prorogé dans les mêmes
conditions qu’auparavant, et le délai de recours contentieux ne commence
à courir que du jour où la décision de rejet du recours administratif est
acquise.

C. L
 a constitution de 2011 et le renforcement de l’indépendance du
pouvoir judiciaire
La Constitution consacre un Titre VII au Pouvoir judiciaire et non plus
seulement à l’autorité judiciaire voulant ainsi marquer l’importance toute
particulière qui lui est désormais attachée face aux autres autorités
constitutionnelles. Deux lois organiques mettent en œuvre les principes
posés par la constitution : la loi organique n° 106-13 du 24 mars 2016, B.O.
2016, p. 1313, portant statut des magistrats, et la loi organique n° 100-13 du
24 mars 2016, B.O. 2016, p. 1299 relative au Conseil supérieur du pouvoir
judiciaire. Sans entrer dans le détail de ces deux lois, il convient toutefois
d’insister sur le fait que l’indépendance du pouvoir judiciaire et

(21) En effet, par l’article 50 de la loi n° 41-90 instituant les tribunaux administratifs, le législateur
a abrogé le deuxième alinéa de l’article 25 en le remplaçant par la formule suivante : « Il est
également interdit aux juridictions de se prononcer sur la constitutionnalité d’une loi ». Il n’est plus
question de décret !

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62 Contentieux administratif marocain

l’indépendance des magistrats constituent les traits fondamentaux de ces


nouveaux textes.
Cela se manifeste notamment par le fait que si le Roi demeure garant de
cette indépendance et qu’à ce titre il préside le Conseil supérieur du pouvoir
judiciaire et nomme les magistrats sur présentation de celui-ci, les décisions
de ce dernier peuvent faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir ; le
ministre de la Justice est écarté de toute possibilité d’intervention dans tout
ce qui ne concerne pas au sens strict l’administration de l’appareil judiciaire ;
en outre il est également écarté de la présidence de Conseil supérieur du
pouvoir judiciaire au profit d’un président délégué qui est le premier
président de la Cour de cassation.

Section IV
La création des tribunaux administratifs (22)
La création des tribunaux administratifs constitue une innovation très
importante dans la mesure où elle semble avoir pour conséquence la
disparition d’un trait caractéristique du système juridictionnel marocain
qu’est l’unité de juridiction (23). Celle-ci avait survécu aux diverses
réformes introduites depuis le recouvrement de l’indépendance et semblait
avoir acquis droit de cité en raison de sa simplicité. Le même juge
accueillait les recours en matière ordinaire et en matière administrative.
Le système juridictionnel marocain faisait en quelque sorte figure de
modèle-type ; il avait d’ailleurs inspiré de nombreuses expériences
étrangères, notamment en Côte d’Ivoire et en Algérie.
Il est d’autre part certain qu’il était perfectible et que des solutions
auraient pu être trouvées aux défauts qu’il présentait.

(22) Dahir du 10 septembre 1993 portant promulgation de la loi n° 41-90 instituant les tribunaux
administratifs, B.O. n° 4227 du 3 novembre 1993, p. 595.
(23) M.A. Benabdallah, Les tribunaux administratifs : à propos d’une loi en gestation, R.J.P.E.M.
n° 24, 1990, p. 177 ; M. Rousset, La création des tribunaux administratifs au Maroc : vers la fin de
l’unité de juridiction, R.J.P.I.C. n° 2-3, 1991, p. 245 ; du même auteur, La création des tribunaux
administratifs et le système marocain de protection des administrés face à l’administration, RJPIC,
n° 1, 1995, p. 1.

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Histoire de la juridiction compétente en matière administrative 63

Une des critiques qui était invoquée à son encontre, depuis longtemps
déjà, consistait à dire que l’unité était plus postulée que réelle.
Les juridictions statuant en matière administrative présentaient des
particularités sur le plan organique et sur le plan de la procédure qui
conduisaient ses détracteurs à affirmer qu’il y avait en réalité dualité de
juridiction. A. de Laubadère l’avait observé, et il avait écrit que les
juridictions marocaines abritaient en réalité deux juges selon qu’elles
statuaient en matière ordinaire ou en matière administrative. Il est vrai
qu’il n’y a pas identité du procès en matière ordinaire et administrative :
–  l’appel est toujours possible en matière administrative ;
– le recours en cassation jusqu’en 1956 n’était ouvert que dans
certaines conditions au seul ministère public ;
– il n’existe pas de voie d’exécution à l’encontre des collectivités
publiques ;
– les administrations n’ont pas l’obligation de recourir à l’office d’un
avocat, etc.
Il existe en matière administrative une obligation de communiquer au
Ministère public les causes impliquant une personne publique.
Certains ont même estimé, après 1957, que la création de la chambre
administrative de la Cour suprême traduisait l’existence « camouflée »
d’une dualité de juridiction négligeant l’affirmation législative selon
laquelle « toute chambre peut valablement juger toute affaire ».
Ce qu’il faut retenir de cela, c’est qu’unité de juridiction n’a jamais
signifié identité du contentieux ordinaire et administratif.
Malgré des différences incontestables dans le procès, il demeure
profondément vrai que l’on avait affaire à un seul ordre de juridiction qui
présentait le grand avantage pour le plaideur de n’avoir face à lui qu’un
seul juge.
Certes, il était possible de se tromper sur la nature de l’affaire. Mais
cela ne se produisait que dans les cas les plus délicats et, en outre, les
conséquences de l’erreur n’étaient pas graves ; c’est le juge qui redressait
l’erreur puisqu’il devait déterminer in limine litis s’il statuait en matière
ordinaire ou administrative afin de savoir quelles étaient les règles de
procédure applicables à la direction du procès et les règles de fond
applicables à la solution du litige.

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64 Contentieux administratif marocain

C’est donc ce système qui va être profondément modifié par la création


des tribunaux administratifs. C’est pourquoi il convient dans un premier
temps de s’interroger sur les raisons de cette transformation, avant
d’exposer l’organisation des tribunaux administratifs, puis leur compétence.

§1. Les raisons de la création des tribunaux administratifs


C’est par le discours prononcé par le Roi défunt Hassan II le 8 mai
1990 que fut rendu officiel le projet de création des tribunaux
administratifs. Après avoir annoncé la création d’un Conseil consultatif
pour la protection des droits de l’homme, le Souverain a ajouté qu’il
conviendrait de perfectionner l’organisation juridictionnelle par la création
de tribunaux administratifs qui permettraient de mieux assurer la protection
des administrés contre les erreurs et abus éventuels des autorités
administratives.
Il s’agit donc de renforcer l’aptitude du système juridictionnel à faire
respecter la légalité, l’Etat de droit. Telle est donc ce que l’on peut appeler
la philosophie de la réforme qui sous-tend ses deux justifications : les
justifications d’ordre technique (A) et celles qui relèvent de la politique
juridictionnelle (B).

A. Les justifications d’ordre technique


Le système d’unité de juridiction et de séparation des contentieux, dont
on connaît les grandes lignes, a permis le développement réel d’un contrôle
de l’administration qui a fait la preuve de son efficacité mais qui n’est pas
exempt d’insuffisances ; elles sont de deux sortes :
Les unes tiennent aux hommes et sont largement hors de portée de la
seule réforme des institutions, même si celle-ci peut exercer une certaine
influence à cet égard.
–  Par exemple, la timidité du juge qui parfois manque d’audace dans son
interprétation des textes, ainsi que cela a été le cas en matière d’irrecevabilité
pour forclusion lorsque le requérant s’est adressé à une juridiction
incompétente, ou bien en matière d’appréciation de légalité.
A l’inverse, le juge a pu également faire preuve d’une méconnaissance
des réalités administratives, par exemple en ce qui concerne la notification

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Histoire de la juridiction compétente en matière administrative 65

de la mise en demeure au fonctionnaire absentéiste d’avoir à regagner son


poste (24).
–  Insuffisance tenant également aux hommes lorsque l’administration
fait preuve de mauvaise volonté dans l’exécution des décisions de justice.
–  Insuffisance des hommes enfin qui apparaît dans la faible propension
des administrés à intenter des recours contre l’administration alors que la
connaissance des décisions de la Cour suprême montre qu’il est parfaitement
possible de se faire rendre justice même contre les autorités administratives
les plus représentatives de la puissance publique, par exemple les
gouverneurs.
Il reste que ces insuffisances se conjuguent avec d’autres défauts du
système pour rendre difficile son fonctionnement satisfaisant.
Les autres insuffisances découlent, selon les critiques, de ce que le
système d’unité de juridiction est faussement simple. On trouve sans doute
aisément le juge, mais l’erreur de qualification de l’affaire peut être tout
autant le fait du requérant que du juge. Or, la détermination de la nature
de l’affaire est une opération complexe dont l’issue est essentielle puisque
de cette qualification dépend le choix des règles de procédure et des règles
de fond du droit. L’erreur commise par le juge peut entraîner l’allongement
du procès, celle commise par le requérant peut compromettre sa cause
d’autant que le juge ne statue pas ultra petita, c’est-à-dire au-delà de la
demande.
Par ailleurs, depuis la création du recours en annulation, il est de
principe que le recours devant la Cour suprême n’est pas ouvert au
requérant qui dispose devant le juge ordinaire d’un recours lui permettant
de faire valoir pleinement ses droits. C’est ce que l’on appelle l’exception
de recours parallèle qui n’est pas non plus d’un maniement aisé.
Les critiques sont alors tentés d’imputer à la complexité du système le
faible développement du contentieux administratif ; si ce phénomène a des
causes socio-économiques ou socio-culturelles, il a aussi des causes
techniques.

(24) M.A. Benabdallah, La notification de la mise ne demeure en cas d’abandon de poste, R.M.D.
n° 13, 1987, p. 141 et in Contribution à la doctrine du droit administratif, REMALD, Coll.
« Manuels et Travaux universitaires » n ° 77, 2008, vol. I, p. 33.

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66 Contentieux administratif marocain

Le juge n’est pas préparé par la formation qu’il a reçue à traiter le


contentieux administratif, et le faible développement de celui-ci ne l’incite
pas à consentir l’effort nécessaire pour acquérir cette spécialisation. Mais,
à son tour, la faible technicité du juge en matière administrative n’est pas
de nature à inciter le justiciable à s’adresser au juge. Si l’on ajoute à cela
le fait que le même grief peut être articulé à l’encontre de nombreux
membres du barreau, il est clair que l’on se trouve devant un véritable
cercle vicieux.
Ce sont ces divers défauts qui ont été souvent dénoncés dans les
publications qui, depuis de nombreuses années, ont été consacrées à
l’étude du système juridictionnel.

B. L
 es justifications de politique juridictionnelle et de politique
administrative
« Si nous voulons réellement construire l’Etat de droit, il est de notre
devoir de prendre en considération les droits des citoyens vis-à-vis de
l’autorité, de l’administration et de l’Etat », déclarait Sa Majesté Hassan II
dans le discours du 8 mai 1990. Le problème est d’autant plus important
aux yeux du Roi, qu’il est conscient du défi que doit relever le Maroc du
fait des mutations des relations du Maroc avec le monde extérieur et
spécialement avec l’Europe.
La concurrence au sein de la zone de libre échange prévue à Barcelone,
ne se limitera pas à l’industrie et à l’agriculture ; il s’agira plus largement
d’une concurrence qui mettra en présence des sociétés qui seront jugées
sur leur capacité à s’adapter à un monde ouvert, tolérant, respectueux de
principes d’essence universelle parce qu’ils sont l’acquis d’un combat
millénaire pour le triomphe des libertés, de la dignité et des droits de
l’individu. En d’autres termes, c’est le combat pour le triomphe de l’Etat
de droit, c’est-à-dire d’une société organisée sur la base de règles
objectives, établies démocratiquement et respectées par tous dans tous les
domaines de la vie sociale.
Pour atteindre cet objectif, le Roi pense qu’il faut perfectionner
l’instrument de contrôle de l’administration et favoriser le développement
de son utilisation.
Mais cela suppose un certain nombre de réformes.

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Histoire de la juridiction compétente en matière administrative 67

Il convient en premier lieu de rapprocher la justice du justiciable,


comme cela a été réalisé pour les juridictions ordinaires qui sont désormais
au nombre de 71 pour les tribunaux de première instance, et de 21 pour
les cours d’appel.
Mais en 1990 ces juridictions ne sont compétentes qu’à l’égard du
contentieux de pleine juridiction. L’organisation du contentieux de la
légalité, centralisé au profit de la Cour suprême, ne correspond plus aux
réalités sociales, démographiques et administratives du Royaume qui ont
profondément évolué depuis 1957.
Il y avait 12 millions de Marocains en 1957, 25 en 1991 et pas loin de
30 en l’an 2000.
L’étendue du territoire national s’est accrue du fait de la récupération
des provinces sahariennes et doit être couvert par le réseau administratif et
juridictionnel.
Le développement administratif s’est traduit par la montée en puissance
de la décentralisation et par la croissance de la déconcentration des
services et des compétences de l’Etat, et ce processus doit se poursuivre.
Il est impensable que l’on administre en l’an 2000 un territoire et une
population aussi profondément transformés de la même façon qu’en 1957.
La centralisation du contrôle de légalité, le faible développement du
contentieux de pleine juridiction ne sont certainement pas en harmonie
avec le développement administratif actuel, et à plus forte raison avec
celui qui s’annonce pour les décennies prochaines.
Il convenait donc de restructurer le système juridictionnel afin de
faciliter l’accès au juge dans tous les sens du terme : accessibilité physique
(géographique), accessibilité économique et accessibilité socio-culturelle.
Deux possibilités existaient.
La première aurait conduit, à l’instar de l’organisation adoptée en
Libye, à déconcentrer le contentieux de la légalité au niveau des cours
d’appel ou de certaines d’entre elles, ou mieux encore, au niveau de
certains tribunaux de première instance. En choisissant cette voie, on aurait
consolidé le système d’unité de juridiction, et on aurait mis un terme à
l’accusation de complexité puisque le même juge aurait alors été chargé du
contentieux de légalité et du contentieux de pleine juridiction. Le contrôle

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68 Contentieux administratif marocain

de légalité aurait d’ailleurs pu être confié au juge de première instance à


charge d’appel devant la Cour suprême afin de raccourcir la procédure.
Mais ce n’est pas cette voie dans laquelle la réforme a été engagée.
Il est apparu en effet que le caractère « spectaculaire » de la création de
tribunaux administratifs serait plus représentatif de la volonté des
responsables de l’administration d’engager une politique administrative de
contrôle en confiant celui-ci à un juge spécialisé. L’administration aura
désormais un juge, un juge spécialisé, et ceci répond à une partie des
critiques qui se manifestaient. En contrepartie, on voit apparaître à la base
du système juridictionnel la dualité de juridiction, l’unité ne subsiste donc
plus qu’au niveau de la Cour suprême (25).

§2. L’organisation des tribunaux administratifs


L’article premier de la loi n° 41-90 du 12 juillet 1991 dispose : « Il est
créé des tribunaux administratifs dont le siège et le ressort sont fixés par
décret. » C’est le décret du 3 novembre 1993 (B.O. 1993, p. 644) qui a
crée sept tribunaux administratifs dont le siège a été respectivement fixé
au chef lieu des régions créées en 1971 : Rabat, Casablanca, Fès,
Marrakech, Meknès, Agadir et Oujda.
Naturellement, dans l’avenir, il n’est pas exclu que d’autres soient crées ;
mais il est évident que ces créations seront fonction du développement du
contentieux qui semble d’ailleurs s’amorcer, mais aussi des moyens
disponibles et spécialement des magistrats. En tout cas, il n’est pas
déraisonnable de penser qu’à terme, il puisse y avoir un tribunal au chef
lieu des nouvelles régions issues de la loi du 27 mars 1997.
Le tribunal administratif comporte un président, plusieurs magistrats,
un ou plusieurs commissaires royaux à la loi et au droit désignés tous les
deux ans par le président sur proposition de l’assemblée générale annuelle
des magistrats et un greffier.
Trois remarques peuvent être présentées :

(25) M.A. Benabdallah, Bref regard sur la Cour suprême à l’occasion de son quarantième
anniversaire, in Quarante ans de jurisprudence administrative, REMALD, Thèmes actuels n° 14,
1998, p. 7 et Contribution à la doctrine du droit administratif, REMALD, Coll. « Manuels et
Travaux universitaires » n° 77, 2008, p. 331.

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Histoire de la juridiction compétente en matière administrative 69

A. Le tribunal administratif est une juridiction collégiale


« Les audiences sont tenues et les jugements rendus par trois magistrat ».
La collégialité, qui avait disparu en 1974 en première instance, est ainsi
rétablie pour cette juridiction, ce qui est une décision satisfaisante dans la
mesure où la collégialité est une garantie à tous égards de la qualité des
décisions rendues par les juges. La discussion qui peut avoir lieu entre les
magistrats est favorable à la qualité technique et juridique de la décision ;
par ailleurs, on peut penser qu’elle peut rendre plus difficiles les tentations
et les tentatives de corruption du juge.
La présidence de l’audience est assurée par le président ou par un
magistrat désigné par l’assemblée générale annuelle.
Le tribunal peut être divisé en sections en fonction de la nature des
affaires relevant de sa compétence ; il est certain que la spécialisation des
juges est nécessaire, par exemple en matière fiscale.

B. L
 e tribunal administratif abrite une institution nouvelle : le
commissaire royal à la loi et au droit
Cette innovation s’inspire directement de l’institution française du
commissaire du gouvernement auprès des juridictions administratives,
devenu aujourd’hui rapporteur public dont la mission est d’éclairer la
juridiction sur les données de fait et de droit de l’affaire et de lui proposer
une ou plusieurs solutions en mettant en valeur les avantages et
éventuellement les inconvénients de chacune d’elles.
C’est cette mission qui est confiée au commissaire royal dont l’article 5
définit les attributions :
–  Il expose ses conclusions oralement en audience publique ; sa présence
est donc obligatoire.
–  Ces conclusions sont écrites et remises au tribunal.
–  Ces conclusions peuvent être communiquées aux parties si elles en
font la demande.
–  Le commissaire royal ne prend pas part au jugement. S’il est vrai que
dans de nombreux cas où il s’agit d’affaires simples dans lesquelles la
jurisprudence est parfaitement établie, le rôle des conclusions du

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70 Contentieux administratif marocain

commissaire royal sera limité ; en revanche, dans les affaires délicates, son
rôle peut être fondamental. La réflexion à laquelle il se livrera, les
recherches jurisprudentielles et doctrinales en droit local et en droit comparé
devraient permettre à la juridiction administrative de progresser et à la
spécialisation du juge de s’affirmer.
Cette fonction est particulièrement importante si l’on considère que la
loi du 12 juillet 1991 n’a pas prévu de solution pour de nombreux problèmes
que le législateur ne connaissait d’ailleurs probablement pas et que les
auteurs du texte méconnaissaient sans doute également. Ce sera notamment
le cas en ce qui concerne la question de la délimitation du contentieux
administratif qui concerne désormais deux ordres de juridictions et met en
cause une question de compétence. Ce sera aussi le problème de la
compétence à l’égard des décisions intéressant l’organisation et le
fonctionnement de la justice, la compétence en matière de voie de fait, les
éventuelles contradictions au fond des décisions rendues dans une même
affaire par les deux ordres de juridictions, etc.
En France, la plupart des décisions importantes rendues depuis un
siècle et demi sont autant connues par leur contenu intrinsèque que par les
conclusions des commissaires du gouvernement qui les ont accompagnées,
même si, quelquefois, ces décisions ont été rendues contrairement aux
conclusions du commissaire du gouvernement.

C. La loi consacre l’unité de la magistrature


Cette unité qui avait été instituée par la loi du 11 novembre 1974 portant
statut de la magistrature a été confirmée par la loi organique n° 106-13 du
24 mars 2016 relative au nouveau statut des magistrats (B.O. 2016, p. 1313).
L’article 3 de ce texte dispose : « Le corps de la magistrature du Royaume…
est constitué d’un corps unique comprenant les magistrats du siège et les
magistrats du parquet nommés près les juridictions de premier degré, les
Cours d’appel et la Cour de cassation… ». Cette unité peut d’ailleurs
parfaitement se combiner avec la prise en compte de la spécificité des
magistrats qui sont destinés à servir dans les juridictions administratives tant
en ce qui concerne leur formation que leurs affectations.
L’article 8 de la loi organique prévoit que les candidats au concours
d’attachés de justice doivent posséder un diplôme universitaire dont la loi
fixe la nature et la durée nécessaire pour son obtention dont on peut

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Histoire de la juridiction compétente en matière administrative 71

penser qu’il s’agira d’une licence mention droit public. Il n’y a aucune
distinction entre tous les candidats admis qui ont suivi la formation « dans
l’établissement de formation des magistrats conformément à la législation
en vigueur ». Cet établissement est actuellement l’Institut supérieur de la
Magistrature dont la formation a été adaptée à des magistrats dont
l’exercice des futures fonctions impliquent non seulement une bonne
connaissance du droit public mais aussi une bonne compréhension de ce
qu’est l’administration.
Toutefois au cours de la décennie qui a suivi la création des tribunaux
administratifs la situation faite à ces magistrats n’a pas été totalement
satisfaisante malgré les aménagements que le législateur lui avait apportés
par la loi 5-98 du 22 septembre 1998 (B.O. 1998, p. 527).
Cette insatisfaction s’est traduite pendant un certain temps, par une
réelle désaffection des magistrats devant la carrière dans les juridictions
administratives au moment où, compte tenu de la croissance du contentieux
et la création des Cours d’appel administratives, il était nécessaire de
développer les effectifs des magistrats servant dans les juridictions
administratives (26). Aujourd’hui, le législateur a parfaitement pris
conscience de cette situation dans la mesure où le nouveau statut des
magistrats établit une égalité absolue des magistrats en ce qui concerne les
conditions de recrutement, d’avancement et de nomination aux différentes
postes judiciaires ou aux fonctions de responsabilité judiciaire ainsi qu’en
ce qui concerne les avantages attachés à ces diverses situations, le tout
sous l’autorité et le contrôle du Conseil supérieur du pouvoir judiciaire
organisé par la loi organique n° 100-13 du 24 mars 2016 (B.O. 2016,
p. 1299).
On ajoutera que tous les magistrats sont tenus de participer aux sessions
et programmes de formation continue organisés au profit des magistrats et
qu’en outre, le Conseil supérieur du pouvoir judiciaire prend en
considération dans la gestion de la carrière des magistrats un certain
nombre de critères généraux parmi lesquels figurent « la formation
spécialisée du magistrat » ainsi que la participation effective aux sessions
et programmes de formation continue.

(26) Actuellement, le nombre des magistrats des tribunaux administratifs est de 115 et celui des
cours d'appel administratives est de 35.

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72 Contentieux administratif marocain

§3. La compétence des tribunaux administratifs


La compétence des nouvelles juridictions revêt deux aspects ou deux
dimensions. C’est une compétence définie matériellement (A) et c’est aussi
une compétence définie territorialement (B). Naturellement, dès lors que
l’on détermine une compétence et ses limites, il faut prévoir les mécanismes
permettant de surmonter les difficultés que cela peut engendrer (C).

A. La compétence à raison de la matière


Les règles de compétence matérielle sont très importantes, ce qui
explique qu’elles soient d’ordre public ; par voie de conséquence, leur
violation peut être soulevée d’office par le juge et par les parties à tout
moment, quel que soit l’état de la procédure (article 12). Nous verrons
tout d’abord ce qu’est la compétence générale ou principale attribuée à ces
juridictions, puis les compétences spéciales et enfin la question de
l’appréciation de la légalité des actes administratifs.

1. La compétence générale du tribunal administratif


Cette compétence est définie par le premier alinéa de l’article 8 de la
loi, mais celui-ci, contrairement à ce qui avait été retenu au cours de la
phase de préparation du texte, n’a pas conservé la formule générale qui
consistait à dire que le tribunal administratif est compétent de plein droit
en matière administrative pour juger en premier ressort et à charge d’appel
devant la Cour suprême notamment les recours en annulation pour excès
de pouvoir contre les décisions des autorités administratives, les litiges
relatifs aux contrats administratifs et les actions en réparation des
dommages causés par les actes et les activités de nature administrative des
personnes publiques.
Ce libellé avait l’immense avantage d’éviter à l’avenir toute ambiguïté
et toute possibilité de contester la compétence des juridictions en arguant
du fait que l’énumération ne comportait pas la mention de tel acte ou de
telle activité comme cela avait été le cas sous l’empire de l’ancien article
8 du dahir de 1913 sur l’organisation judiciaire. En outre, en indiquant que
le juge administratif était compétent pour statuer sur les litiges mettant en
cause la responsabilité des personnes publiques à l’occasion de leurs actes
ou activités de nature administrative, on indiquait de façon claire que le
juge administratif est un juge spécialisé et qu’il ne lui appartient pas de se

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Histoire de la juridiction compétente en matière administrative 73

saisir des questions relevant du droit privé (27), sauf dans le cas où,
comme le dit en France le Conseil constitutionnel dans sa décision du
23 janvier 1987, Conseil de la concurrence (GAJA, Dalloz, 13 e éd.,
p. 688), cela peut être favorable à “une bonne administration de la justice” ;
tel est le cas, par exemple, pour le traitement des litiges intéressant les
personnels des Offices.
Ce n’est cependant pas cette formule qui a été retenue malgré le précédent
du Code de procédure civile qui, en 1974, dans son article 18 disposait que
le tribunal de première instance est compétent en matière administrative.
Ainsi, avons-nous un article 8 de la loi de 1991 qui est rédigé comme
l’article 8 du D.O.J. et qui procède à une énumération par hypothèse
limitative et donc susceptible dans l’avenir de se prêter à des interprétations
plus ou moins restrictives qui se traduiront par des exceptions
d’incompétence dont le résultat le plus clair est de compliquer et de
ralentir le cours de la justice.
Le principe est donc que le tribunal administratif est compétent pour
juger en premier ressort :
– les recours en annulation pour excès de pouvoir formés contre les
décisions des autorités administratives ;
–  les litiges relatifs aux contrats administratifs ;
– les actions en réparation des dommages causés par les actes ou les
activités des personnes publiques.
Mais cette compétence comporte des exceptions.

(27) M. Rousset, Plénitude de compétence des tribunaux administratifs et insuffisance de l’art. 8 de


la loi 41-90 créant les juridictions administratives, REMALD, n° 27, 1999, p. 21, n° 16. Cette
insuffisance apparaît en pleine lumière dans ses inconvénients avec l’argumentation soutenue par
une partie dans l’affaire jugée par la Cour suprême (n° 573, du 5 janvier 1996, Ligue sud de foot-
ball c/ Mouloudia club de Marrakech et consorts, REMALD, n° 25, 1998, p. 129, selon laquelle
« L’art. 8 de la loi n° 41-90 n’octroie pas une compétence générale aux tribunaux administratifs pour
connaître de tous les contentieux administratifs, mais donne à celle-ci un caractère exceptionnel et
limitatif ». Avec plus de bon sens, le Tribunal administratif de Meknès estime, quant à lui, que « les
tribunaux administratifs ont plénitude de juridiction pour examiner tous les litiges administratifs
sauf ceux qui sont exceptés par un texte spécifique… » (2 mai 1996, Zeroual, REMALD, n° 16,
1996, p. 155). Le législateur algérien a été plus avisé en utilisant la formule générale de compétence
dans la loi n° 98-02 du 30 mai 1998 qui dispose : « Il est institué des tribunaux administratifs,
juridiction de droit commun en matière administrative… » Le texte de la loi est reproduit dans le
n° 28, REMALD, 1999, p. 157 où se trouve également la loi n° 98-01 du 30 mai 1998, relative aux
compétences, à l’organisation et au fonctionnement du Conseil d’Etat, p. 151.

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74 Contentieux administratif marocain

En effet, l’article 9 conserve à la Cour suprême, devenue la Cour de


Cassation, la compétence pour connaître :
– des recours en annulation dirigés contres les actes réglementaires et
individuels du Premier ministre ;
– des recours en annulation dirigés contre les décisions des autorités
administratives dont le champ d’application s’étend au-delà du
ressort territorial d’un tribunal administratif.
– Enfin, l’article 114 de la nouvelle Constitution réserve à la plus
haute juridiction administrative la connaissance des décisions
individuelles du Conseil supérieur du Pouvoir judiciaire dont on peut
penser que feront partie les décisions de nomination des magistrats.
La première et la troisième exception se justifient par l’importance des
décisions en cause et la seconde par la difficulté qu’il y a, dans ce cas, à
déterminer le tribunal compétent.
Quant à l’article premier, il prévoit dans son premier membre de phrase
que les recours relatifs à la situation individuelle des personnes nommées
par dahir ou par décret sont portés devant le Tribunal administratif de
Rabat.
Enfin, le premier alinéa de l’article 8 in fine exclut de la compétence
de ces juridictions les dommages causés sur la voie publique par un
véhicule quelconque appartenant à une personne publique. Cette exclusion
se justifie par la volonté du législateur de confier à un même juge la
connaissance de l’ensemble du contentieux des accidents provoqués par la
circulation automobile ; mais on observera que la limitation aux dommages
causés sur la voie publique n’a pas de justification , elle risque d’engendrer
des contradictions, selon que l’affaire mettant en cause un dommage causé
en dehors de la voie publique sera due à un véhicule appartenant à une
personne publique (compétence du tribunal administratif), ou à une
personne privée (compétence du tribunal ordinaire).

2. La compétence spéciale du tribunal administratif


Outre sa compétence générale, la nouvelle juridiction administrative
reçoit toute une série de compétences particulières qui constituent un
contentieux administratif spécial :
– le contentieux de la situation individuelle des fonctionnaires et agents
de l’Etat, des collectivités locales et des établissements publics ;

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Histoire de la juridiction compétente en matière administrative 75

– les litiges en matière de pension et capital-décès des agents de l’Etat,


des collectivités locales, des établissements publics, du personnel de
la Chambre des représentants, ainsi que celui de la Chambre des
Conseillers en vertu d’une adjonction à la loi n° 41-90 réalisée par la
loi n° 54-99 promulguée par le dahir du 25 août 1999 (B.O. 1999,
p.  714) ;
–  le contentieux électoral ;
–  le contentieux de l’expropriation ;
–  le contentieux du recouvrement des créances du trésor public.

3. L’appréciation de la légalité des actes administratifs


A partir du moment où l’on crée une juridiction administrative, le
problème se pose de savoir si les juridictions ordinaires vont encore avoir
la possibilité d’apprécier la légalité des actes administratifs. La réponse
qui vient immédiatement à l’esprit est négative. Et c’est bien en effet, ce
que décide le législateur. Mais, pour comprendre cette limitation de la
compétence du juge ordinaire et sa portée réelle, il faut tenir compte de
trois facteurs.
En premier lieu, cette limitation doit être interprétée en conservant à
l’esprit l’importance du contentieux transféré aux juridictions administratives ;
or c’est essentiellement dans ces divers domaines que se posait le problème
de l’appréciation de légalité qui avait conduit la Cour suprême à reconnaître
au juge ordinaire la possibilité d’apprécier la légalité des actes administratifs
lorsque cela était nécessaire pour statuer sur le recours dont il était saisi (28).
Une deuxième remarque tient au fait que l’interdiction d’apprécier la
légalité faite au juge ordinaire ne s’applique que s’il y a une difficulté
sérieuse ; ce n’est que dans ce cas qu’il doit surseoir à statuer et, selon le
cas, saisir le tribunal administratif ou la Cour suprême de l’acte litigieux.
Enfin, et surtout, cette incompétence ne concerne pas le juge répressif.
Ce dernier doit pouvoir statuer sur l’ensemble des données de l’affaire
dont il est saisi dans l’intérêt d’une bonne justice, ce qui est particulièrement
important pour la personne poursuivie.
C’est pourquoi le deuxième alinéa de l’article 44 dispose que « la
juridiction répressive a plénitude de juridiction pour l’appréciation de la

(28) C.S.A., 13 avril 1961, Borromet, R. p. 110

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76 Contentieux administratif marocain

légalité de tout acte administratif invoqué devant elle soit comme


fondement de la poursuite soit comme moyen de défense ».
Ceci met un terme à la jurisprudence très restrictive que la Cour
suprême avait instaurée dans son arrêt du 25 novembre 1965 dans l’affaire
Mas contre le syndicat de la presse marocaine et dans une seconde décision
rendue en 1969 (29). Dans ces décisions, la Cour suprême ne reconnaissait
aux tribunaux la possibilité d’apprécier la légalité des actes administratifs
que dans le cadre de l’article 609 §II du code pénal qui punit de peine
d’amende ceux qui ont contrevenu aux règlements légalement faits par
l’autorité administrative. Par ailleurs, la Haute juridiction refusait de se
déclarer compétente pour interpréter ou pour apprécier la légalité d’un acte
administratif en dehors d’un recours dont elle était saisie (30).
Une deuxième innovation de la loi découle de son article 50 qui
supprime l’interdiction faite au juge d’apprécier la constitutionnalité des
décrets.
La compétence du juge répressif est donc très large, et le tribunal
administratif peut, de son côté, assurer pleinement son rôle de gardien de
la légalité soit directement, soit lorsqu’il est saisi, par voie de question
préjudicielle, du problème de la légalité d’actes administratifs rentrant
dans le champ de sa compétence, même si ceux-ci n’ont pas fait l’objet de
recours direct devant lui. Il en est de même de la Cour suprême pour les
actes qui sont réservés à sa connaissance par l’article 9 de la loi.

B. La compétence territoriale
Les règles posées par le code de procédure civile en matière de
compétence territoriale ont pour finalité de simplifier la tâche du
défendeur ; c’est pourquoi, dans de nombreux cas, la juridiction compétente
sera celle du domicile du défendeur ; mais en matière administrative, le

(29) C.S.A., 21 novembre 1969, Y. Mas, les Arrêts de la Cour suprême 1966-1970, p. 204, voir
M. Rousset, Développements récents de l’exception d’illégalité au Maroc, R.J.P.I.C., n° 3, 1966,
p. 380.
(30) Pour une étude critique de l’article 44 de la loi instituant les tribunaux administratifs, voir
M.A. Benabdallah, Sur l’appréciation de la légalité des actes administratifs par les juridictions
ordinaires, REMALD n° 12, 1995, p. 78 et Contribution à la doctrine du droit administratif
marocain, REMALD, Coll. «  Manuels et Travaux universitaires » n° 77, vol. I, p. 165.

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Histoire de la juridiction compétente en matière administrative 77

défendeur c’est, la plupart du temps, l’administration, notamment en


matière d’excès de pouvoir.
Le privilège du préalable et la présomption de régularité de ses actes
ont pour conséquence que le demandeur est toujours l’administré ; mais
l’administration, à la différence du défendeur dans le procès civil, n’a pas
besoin d’être protégée alors qu’elle dispose, grâce aux moyens qu’elle
possède, d’une situation avantageuse.
Il faut donc faciliter la tâche du demandeur, l’administré, sans
méconnaître cependant les nécessités de l’action administrative.
La loi pose le principe selon lequel ce sont normalement les règles du
code de procédure civile qui s’appliquent. Ces règles ne sont pas d’ordre
public, elles ne concernent en effet que la répartition des compétences
entre les tribunaux administratifs. Toutefois, le législateur a prévu quelques
exceptions par rapport aux règles du code de procédure. La plus importante
est posée par l’article 10-2°. Alors que le code de procédure civile prévoit
dans son article 27 que le tribunal compétent est celui du domicile du
défendeur, la loi décide que le recours en annulation pour excès de pouvoir
est porté devant le tribunal du domicile du demandeur ou devant celui
dans le ressort duquel la décision, objet du recours, a été prise. Mais il est
clair que le choix étant laissé au requérant, cette règle est posée dans son
intérêt, et ceci est très favorable pour le rapprochement du justiciable et de
son juge.
Une proposition avait été faite de généraliser cette option à tous les
recours ; elle n’a pas été retenue.
La compétence est donc variable selon les législations en cause. Par
exemple, le tribunal compétent est celui du lieu de situation de l’immeuble
en matière de taxe urbaine ou d’expropriation ; c’est celui du lieu où
l’impôt est dû en ce qui concerne le recouvrement des créances de l’Etat,
l’impôt direct et taxes assimilées.
En matière de contrat, ce sera le lieu de signature du contrat qui
déterminera le tribunal compétent.
En matière de responsabilité, le lieu de survenance du dommage ou le
lieu du domicile du défendeur, au choix du demandeur ; en matière de
travaux public, le lieu des travaux (article 28 du code de procédure civile).

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78 Contentieux administratif marocain

Naturellement, il peut y avoir coïncidence dans ces différentes


hypothèses avec le domicile du demandeur, mais cette coïncidence n’est
pas générale.
Il faut indiquer que le tribunal administratif de Rabat a reçu une
compétence particulière à l’égard des recours contre les décisions des
commissions d’appel en matière de régime collectif d’allocation de retraite
(articles 42 et 43).
Enfin, l’article 11-2° in fine lui confie également le soin de statuer sur
les recours relatifs à des affaires relevant de la compétence matérielle des
tribunaux administratifs mais nées en dehors de leur ressort territorial ; ce
sera par exemple le cas des litiges nés à l’étranger.

C. Les difficultés de compétence et les modalités de leur règlement


Le principe est qu’en cas de difficulté, le tribunal administratif ou
ordinaire doit statuer sur sa compétence avant tout jugement au fond. La
décision ainsi rendue est susceptible d’appel.
Mais il faut distinguer selon qu’il s’agit de la compétence matérielle ou
de la compétence territoriale. Par ailleurs, le législateur a posé quelques
règles particulières en ce qui concerne les questions accessoires ou
connexes ainsi que les demandes reconventionnelles.
–  S’il s’agit d’une contestation relative à la compétence matérielle, le
tribunal administratif ou ordinaire doit impérativement statuer par une
décision séparée dont les parties peuvent interjeter appel. Le tribunal ne
peut donc pas joindre l’exception au fond. S’il y a appel, celui-ci est porté
devant la Cour suprême qui doit statuer dans les trente jours (article 13).
C’est donc la Cour suprême – Cour de Cassation – qui va régler les
conflits de compétence, et l’on voit ainsi que le maintien d’une Cour
suprême unique permet d’assurer la régulation des compétences d’une
façon simple et rapide. Le maintien de l’unité de juridiction au sommet de
la hiérarchie des tribunaux se justifie déjà amplement au point de vue de
la régulation des compétences ; nous verrons d’ailleurs qu’il en est de
même pour la régulation des solutions au fond.
–  S’il s’agit d’une difficulté relative à la compétence territoriale,
l’article 14 dispose que l’exception d’incompétence est traitée comme

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Histoire de la juridiction compétente en matière administrative 79

devant les juridictions ordinaires ; les articles 16 et 17 du C.P.C. laissent


au juge le choix entre un jugement séparé ou la jonction de l’exception au
fond.
–  Application du principe de procédure : « L’accessoire suit le
principal » (article 15) : ce principe joue en faveur de la Cour suprême ou
du tribunal administratif de Rabat qui sont saisis de plein droit des
demandes connexes aux affaires qui rentrent dans leur compétence en
vertu des articles 9 et 11 de la loi.
Le tribunal administratif qui serait saisi d’une demande présentant un
tel lien de connexité devrait se déclarer incompétent.
Cette exception est logique, car le lien de connexité détermine une
relation de dépendance entre l’affaire principale et la question connexe ; il
est logique que ce soit le même juge qui statue sur les deux questions, et,
en l’espèce, il est logique que ce soit le juge saisi de la question principale
qui tranche la question connexe.
Enfin, dans l’article 18, le législateur règle le problème de la demande
reconventionnelle tendant à faire déclarer débitrice une administration
présentée par le défendeur à une action intentée devant la juridiction
ordinaire. Par dérogation à l’article 15-1° du C.P.C., le tribunal ordinaire
saisi de la demande principale est compétent pour statuer sur la demande
reconventionnelle ; là encore, l’unité de compétence est dictée par les
nécessités d’une bonne justice qui militent en faveur de la solution
consistant à confier l’ensemble de l’affaire au même juge.

Section V
La création des cours d’appel administratives
C’est la dernière évolution du contentieux administratif ces dernières
années. Annoncées dans le discours royal du 15 décembre 1999 (31), leur

(31) Dans ce discours royal du 15 décembre 1999, on peut relever une phrase qui énonce tout un
programme :  « … Nous avons décidé la création de Cours d’appel administratives dans la
perspective de mettre en place un Conseil d’Etat pour couronner la pyramide judiciaire et
administrative de notre pays ».

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80 Contentieux administratif marocain

création a lieu six années plus tard par la loi n° 80-03 du 14 février 2006 (32)
qui précise que leurs sièges et leurs ressorts seront fixés par décret. Ainsi,
deux cours ont été créées, respectivement à Marrakech et Casablanca (33).
Avant d’évoquer les conditions d’organisation, de fonctionnement et de
procédure, on rappellera les raisons de leur création.

§1. Les justifications de la création des cours d’appel administratives


On peut avancer que ces justifications sont de deux ordres : Un ordre
purement juridique et un second relatif à l’aspect quantitatif du contentieux
administratif.
Dans l’ordre juridictionnel administratif, il apparaissait contre toute
bonne logique que le justiciable ne dispose pas comme en matières civile et
pénal d’un recours en cassation. En effet, dans le système jusqu’alors en
place les jugements des tribunaux administratifs n’étaient susceptibles que
d’appel devant la Cour suprême, et cela constituait une espèce de gêne de
parler de procès équitable ; à telle enseigne que d’aucuns crurent valable de
se pourvoir en cassation contre un arrêt émanant de la Cour suprême (34) !
Pour que la Cour suprême puisse donc jouer son rôle de régulateur de la
justice administrative, il a paru nécessaire du point de vue de l’architecture
juridique d’instituer des cours d’appel administratives qui constitueraient
comme dans d’autres matières le second degré de juridiction.
Quant à l’aspect quantitatif, il s’est imposé comme la suite naturelle de
la réussite des tribunaux administratifs.
Depuis leur entrée en fonction en 1994, les tribunaux administratifs ont
enregistré une croissance remarquable du volume des affaires qui leur sont
soumises et qui a concerné tous les domaines : légalité des actes
administratifs, responsabilité, contrats, contentieux fiscal, fonction
publique. C’est comme si les justiciables n’attendaient que la création des
tribunaux administratifs pour les prendre d’assaut en les appelant à la

(32) Dahir du 14 février 2006 portant promulgation de la loi n° 80-03 instituant des cours d’appel
administratives, B.O. n° 5398 du 23 février 2006 p. 490 (éd. en langue arabe) et B.O. n° 5400 du
2 mars 2006 p. 332 (éd. en langue française), modifiée par la loi n° 46-08 du 18 février 2009, B.O.
2009, p. 372.
(33) Décret du 25 juillet 2006, B.O., éd. en langue arabe du 14 août 2006, p. 2002.
(34) C.S.A., 23 janvier 1997, Lamrabet, REMALD n° 24, 1998, p. 135, note Benabdallah.

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Histoire de la juridiction compétente en matière administrative 81

rescousse. C’est dire que, par rapport au passé, le justiciable n’hésite plus
à saisir le juge administratif et a exprimé un parfait démenti à cette
déduction planant du temps où seule la Cour suprême était compétente en
matière de recours pour excès de pouvoir insinuant que « ... le peu de
pourvois en annulation des actes administratifs, et la baisse constante de
leur nombre prouvent que l’administration marocaine suit la bonne
voie »  (35) !
Ainsi, à titre d’exemple, entre 2006 et 2007, le nombre des affaires
administratives s’est accru de 14,67 % pour atteindre, en 2007, 13 680 affaires
enregistrées pour 20 684 affaires en cours et 12.968 affaires jugées et un
reliquat d’affaires non jugées de 7419 dossiers ; ce qui représente un
pourcentage d’affaires jugées par rapport aux affaires en cours de 62,70 %
selon les statistiques du ministère de la Justice.
Cette augmentation moyenne des affaires enrôlées s’est principalement
manifestée pour les tribunaux de Casablanca (+30,53 %), Agadir
(+25,47 %), Oujda (+33,02 %) et Marrakech (+56,25 %).
En revanche, les trois autres juridictions ont connu une diminution
parfois très importante de leur activité. Rabat (– 0,10 %), Fès (– 2,99 %),
Meknès (– 49,31 %)  (36).
Le nombre croissant des décisions rendues en première instance par les
tribunaux administratifs a engendré une croissance corrélative du nombre
de recours en appel portés devant la Cour suprême. En soi, le nombre des
pourvois en appel n’était sans doute pas considérable, mais en valeur
absolue, la charge que cela représentait pour la Chambre administrative de
la Cour suprême s’est rapidement révélée extrêmement lourde à assurer.
En dix ans le nombre des affaires portées en appel devant la Cour suprême
a plus que triplé, ce qui s’est naturellement traduit par de très longs délais
pour obtenir une décision.
En 2006, on estimait qu’il fallait en moyenne environ quatre années
pour obtenir une décision en appel. Or, on sait qu’une des revendications

(35) Allocution du procureur général de la Cour suprême prononcée le 22 octobre 1969 à l’occasion
de l’audience solennelle d’ouverture de l’année judiciaire 1969-1970.
(36) Au cours de l’année 2013, le nombre des affaires traitées par les sept tribunaux administratifs
est comme suit : Rabat, 6 363, Casablanca, 5 071, Meknès, 1 535, Fès, 1 273, Oujda, 1 271,
Marrakech, 1 902, Agadir, 2 379. Soit un total de 19 794 jugements.

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82 Contentieux administratif marocain

du justiciable et l’une des conditions d’une bonne justice, c’est la rapidité


dans le règlement des litiges ; cette condition n’était donc pas satisfaite et
la création des cours d’appel administratives est apparue un moyen
incontournable de faire face à l’exigence de célérité.
Néanmoins, aujourd’hui, à cet égard, la situation ne semble pas encore
tout à fait satisfaisante.
En effet au cours de l’année 2007, ce sont 3 608 recours qui ont été
enregistrés par les deux cours d’appel administratives, respectivement
2 880 par la Cour de Rabat et 728 par celle de Marrakech. Au cours de
l’année 2008, le nombre a légèrement augmenté pour atteindre
3 898 recours, avec 3 138 à Rabat et 760 à Marrakech.
En 2013, les mêmes cours ont enregistré 6 676 recours à Rabat et
1 895 à Marrakech. Ce qui milite, de toute évidence, en faveur de la
création d’une troisième cour d’appel à Fès pour alléger celle de Rabat,
dès lors que malgré les 5 980 affaires jugées par celle-ci en 2013, le
reliquat d’affaires non jugées s’est élevé à 5 749 dossiers.

§2. Organisation, fonctionnement et procédure


Ces trois volets sont régis par la loi de création des cours.

A. Organisation
Les cours sont composées d’un Premier président, de présidents de
chambres et de conseillers parmi lesquels le Premier président désigne
pour une durée de deux ans un Commissaire royal à la loi et au droit.
La Cour peut être divisée en chambres spécialisées selon la nature des
affaires qui lui sont soumises.
Les magistrats qui lui sont affectés sont soumis au statut de la
magistrature comme le sont d’ailleurs tous les magistrats qui servent dans
les juridictions administratives. Cette unité statutaire ne signifie évidemment
pas la méconnaissance de leur indispensable spécialisation qui est d’ailleurs
prise en compte dans les épreuves du concours de recrutement des attachés
de justice et dans le cursus qu’ils doivent suivre au sein de l’Institut
Supérieur de la Magistrature (décret du 21 avril 2006, B.O. 2006,

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Histoire de la juridiction compétente en matière administrative 83

p. 866) (37). Cette spécialisation est d’autant plus importante au fur et à


mesure que l’on s’élève dans la hiérarchie juridictionnelle. Ce qui vaut
pour les magistrats affectés dans les tribunaux administratifs, vaut, à plus
forte raison, pour ceux qui ont aujourd’hui la responsabilité du deuxième
degré de juridiction au sein des nouvelles cours d’appel administratives. Et
l’on doit également ajouter que cela concerne de façon plus essentielle
encore les magistrats de la Chambre administrative de la Cour suprême.
A cet égard, il est permis de penser que la disposition du Code de
procédure civile issue du dahir du 27 septembre 1957 créant la Cour suprême
en vertu de laquelle “toute chambre peut néanmoins valablement instruire et
juger quelle qu’en soit la nature les affaires soumises à la Cour” devrait
sinon disparaître, tout au moins être modifiée. En effet, cette disposition qui
se justifiait en 1957 en raison du très petit nombre de magistrats expérimentés
disponibles n’a aujourd’hui plus aucune justification à cet égard ; en outre,
elle est désormais parfaitement incompatible avec la nécessaire spécialisation
du juge des litiges administratifs. La réforme devrait permettre à la Cour de
siéger à deux chambres ou toutes chambres réunies à propos d’affaires
fondamentales posant des problèmes de principe commun aux différentes
branches du droit. Une réforme allant en ce sens serait par ailleurs de nature
à donner aux juges de premier degré et aujourd’hui d’appel le sentiment que
le contrôle de leurs décisions est effectué par une juridiction particulièrement
qualifiée. Elle aurait en outre un avantage supplémentaire, celui de renforcer
le rôle régulateur du droit et des compétences qu’assure aujourd’hui la Haute
juridiction et rendrait parfaitement inutile la création d’un Conseil d’Etat qui
aurait l’inconvénient majeur de compliquer une bonne administration de la
justice du fait de l’obligation de créer une juridiction des conflits qui
acheminerait le système marocain vers une dualité totale de juridictions dont
l’origine en France remonte à des faits historiques bien précis (38), totalement
inexistants au Maroc.

(37) On pourrait imaginer, à l’instar de ce qui existe France pour les conseillers de tribunaux
administratifs en début de carrière, la création d’une obligation de mobilité de trois ans auprès
d’une administration d’Etat, d’une collectivité locale ou, dans certains cas, d’une juridiction
supérieure.
(38) M.A. Benabdallah, Justice administrative et dualité de juridictions, RJPEM n° 27, p. 37 et
Contribution à la doctrine du droit administratif marocain, REMALD, Coll. « Manuels et Travaux
universitaires » n° 77, vol. I, p. 113.

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84 Contentieux administratif marocain

B. Fonctionnement
Le fonctionnement des cours d’appel administratives est régi par des
règles posées par la loi et principalement par celles du Code de procédure
civile et de la loi 41-90 créant les tribunaux administratifs applicables
devant elle sauf disposition législative contraire.
Compte tenu de ses caractéristiques, cette procédure de type
inquisitorial qui a fait depuis longtemps la preuve de son efficacité est
parfaitement adaptée au fonctionnement des cours d’appel administratives
comme elle l’est aussi à celui des tribunaux administratifs. Cela n’interdit
évidemment pas de renforcer certains de ses mécanismes, notamment en
perfectionnant le recours en référé de façon à améliorer les possibilités
d’intervention du juge dans tous les cas d’urgence. Ce qui, à coup sûr,
serait particulièrement utile pour la protection des droits de l’individu ou
de la propriété privée contre les irrégularités de l’action administrative.
Les audiences sont publiques et les décisions sont rendues également
publiquement par trois conseillers dont un président, assistés par un
greffier.
Le Commissaire Royal à la loi et au droit doit obligatoirement assister
à l’audience au cours de laquelle il expose en toute indépendance les faits
et le droit applicable au litige. Il peut développer oralement ses conclusions
dont les parties peuvent demander copie ; mais il ne prend pas part aux
délibérations de la formation de jugement.
Le Premier président exerce le pouvoir de récusation des magistrats
dans les mêmes conditions que celles qui sont prévues par le Code de
procédure civile au profit du Premier président de cour d’appel.
L’assistance judiciaire peut être demandée au Premier président
conformément aux conditions prévues par le dahir portant loi du 1 er
novembre 1966 relatif à l’assistance judiciaire. Par ailleurs, la Cour
d’appel administrative peut être saisie du refus du Président d’un tribunal
administratif d’accorder l’assistance judiciaire. La requête en appel doit
être déposée dans un délai de quinze jours à compter de la notification de
la décision de refus et la Chambre du conseil de la Cour d’appel doit
statuer dans un délai de quinze jours à compter de la saisine.

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Histoire de la juridiction compétente en matière administrative 85

C. Procédure
La procédure de l’appel est régie par les dispositions du Code de
procédure civile.
La requête doit être déposée dans un délai de trente jours à compter de
la notification du jugement de première instance et c’est un délai identique
qui s’impose lorsqu’il s’agit de l’appel des ordonnances rendues par le
président d’un tribunal administratif.
L’appel est reçu au greffe du tribunal administratif qui a rendu le
jugement. La requête écrite doit être signée par un avocat. Mais le recours à
l’avocat est facultatif si l’appel est interjeté par l’Etat ou une administration
publique.
La requête d’appel et les pièces qui l’accompagnent sont transmises au
greffe de la Cour d’appel compétente dans un délai de quinze jours à
compter du dépôt au greffe du tribunal administratif. L’affaire est alors
suivie par un conseiller rapporteur désigné par le premier président.
L’appel est dispensé du paiement de la taxe judiciaire.
Les difficultés qui peuvent apparaître en ce qui concerne la compétence
matérielle de la Cour d’appel administrative relèvent du même traitement
que celui qui concerne la compétence matérielle des tribunaux administratifs ;
c’est la Cour suprême qui tranche la question de compétence et qui désigne
la juridiction compétente.
L’appel contre les décisions du tribunal administratif ordonnant le
sursis à exécution d’une décision administrative n’a pas d’effet suspensif
contrairement à l’effet suspensif de l’appel contre les jugements rendus en
première instance par le tribunal administratif. Mais la Cour d’appel
administrative doit statuer dans un délai de soixante jours sur la requête
d’appel relative au sursis à exécution d’une décision administrative.
Les décisions de la Cour d’appel rendues par défaut sont susceptibles
d’opposition.
L’exécution des décisions des cours d’appel administratives relève des
tribunaux administratifs qui ont rendu le jugement dont il a été fait appel.
Enfin les décisions des cours d’appel administratives peuvent faire
l’objet d’un recours en cassation devant la Cour suprême.

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86 Contentieux administratif marocain

A cette compétence de principe, il existait deux exceptions concernant


les décisions rendues en matière électorale et l’appréciation de la légalité
d’une décision administrative par voie d’exception. La justification de ces
exceptions découlent de la nécessité de trancher rapidement des litiges
relatifs à des situations qui doivent être réglées dans les meilleurs délais ;
dans le premier cas, il est important que l’élu dont l’élection est contestée
puisse être fixé rapidement sur son sort, ce qui est aussi important pour le
bon fonctionnement de l’assemblée dont l’élu est membre ; et, dans le
deuxième cas, il s’agit de faire en sorte que le procès qui a été suspendu
du fait de l’exception d’illégalité de la décision administrative puisse
reprendre son cours aussi rapidement que possible.
Toutefois, la loi n° 46-08 du 18 février 2009 a supprimé l’exception
concernant les décisions rendues en matière électorale et l’on peut
supposer que cette suppression repose sur des raisons d’opportunité mais
surtout sur une raison de fond, à savoir que l’existence d’un troisième
degré de juridiction constitue un principe général du droit.
Le recours en cassation est lui aussi soumis aux règles posées pour ce
type de recours par le Code de procédure civile.
Lorsqu’elle prononce la cassation d’un arrêt rendu dans une instance en
annulation la Cour suprême peut évoquer l’affaire et statuer si celle-ci est
en état. Dans le cas contraire elle renvoie devant une autre juridiction de
même niveau ou « exceptionnellement » devant la même juridiction
autrement composée.

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Chapitre II
La procédure administrative contentieuse (39)

L’expression “procédure administrative contentieuse” ne doit pas prêter


à confusion car il n’existe pas une procédure propre au traitement des
recours intentés en matière administrative qui serait totalement différente
de la procédure suivie par le juge saisi de recours en matière ordinaire.
Il faut donc d’emblée insister sur le fait que l’unité du système
juridictionnel n’a pas été abandonnée ; c’est ce qui apparaît dans l’article 7
de la loi n° 41-90 qui pose le principe selon lequel, sauf dispositions
contraires, ce sont les règles du Code de procédure civile de 1974 qui
s’appliquent devant les tribunaux administratifs. D’ailleurs, les dérogations
apportées à la procédure civile sont d’ailleurs peu nombreuses.
Nous venons de voir, en effet, que le législateur renvoie pour l’essentiel
aux règles du code de procédure civile dès que celui-ci n’en dispose pas
autrement ; ceci revient à dire qu’il y a une sorte de tronc commun en
matière de procédure constitué par un ensemble de règles qui sont
applicables à tous les litiges. Par conséquent, par procédure administrative
contentieuse, il serait inexact d’entendre une procédure particulière au
contentieux administratif comme cela est le cas en France, en application
du code de justice administrative s’appliquant au Conseil d’Etat, aux cours
administratives d’appel et aux tribunaux administratifs.
Il est vrai toutefois que le Code de procédure civile de 1974, comme
d’ailleurs son prédécesseur de 1913, fait une place un peu à part au procès
administratif. Sans doute, l’administration n’est-elle pas traitée comme un
plaideur ordinaire, et l’administré n’est pas, non plus, soumis aux mêmes
règles que le requérant ordinaire. Ce qui revient à dire que le procès

(39) M.D. Halabi Kettani, La procédure contentieuse administrative, devant les tribunaux
administratifs, REMALD, coll. « Thèmes actuels », n° 12, 1997 (en langue arabe).
88 Contentieux administratif marocain

administratif est tout de même marqué par une spécificité qui se traduit au
plan de la procédure par quelques particularités.
Mais spécificité ne veut pas dire différence complète. Et, c’est en ce
sens que l’on peut affirmer que l’unité de juridiction, bien que battue en
brèche par la création des tribunaux administratifs, conserve une certaine
réalité qui se manifeste de trois façons :
– l’unité de la Cour suprême – Cour de Cassation –, juridiction
régulatrice des compétences et du droit applicable ;
– l’unité du corps de la magistrature, parfaitement compatible avec la
spécificité des fonctions de juge de l’administration ;
– l’unité, enfin, de la procédure qui n’exclut pas certaines particularités
des règles qui régissent le procès administratif.
On étudiera cette procédure en examinant d’abord ses caractères
généraux (Section I), puis l’instance (Section II), enfin les voies de recours
(Section II).

Section I
Les caractères généraux de la procédure
La procédure dite “civile” a encadré pendant près de quatre-vingts ans
le fonctionnement du système juridictionnel construit sur le principe de
l’unité de juridiction.
Aujourd’hui, malgré la mise en place des tribunaux administratifs, c’est
toujours, pour l’essentiel en tout cas, la même procédure civile qui est
appelée à régir le procès administratif ; et, d’après la jurisprudence récente
de ces tribunaux, il semble que les magistrats administratifs font une
utilisation audacieuse des ressources que leur offre le code de 1974. Il
convient donc de préciser ce que sont les traits caractéristiques de cette
procédure. On peut en distinguer trois.
Cette une procédure écrite, inquisitoire et contradictoire.
Toutefois, avant de développer ces trois traits, il ne serait pas inutile de
revenir sur les conditions dans lesquelles elle est apparue, c’est-à-dire sur
les sources du dahir du 12 août 1913 portant code de procédure civile.

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La procédure administrative contentieuse 89

§1. Les origines de la procédure civile


Lorsque l’on envisage la mise en place des juridictions nouvelles en
1913, la situation concrète qui se présente alors est tout à fait déterminante ;
les tribunaux dits “français” sont destinés à remplacer les juridictions
consulaires qui connaissaient jusqu’alors des litiges intéressant les Français
et les Etrangers. Or, ces juridictions utilisaient une procédure simple et
très peu formaliste ; les nouvelles juridictions ne pouvaient donc pas être
soumises à la procédure civile en vigueur devant les juridictions qui
existaient en France, procédure complexe et archaïque, qui remontait au
Code de procédure civile de 1806. Cette procédure faisait notamment
appel à de nombreux auxiliaires de justice dont l’existence s’expliquait
historiquement mais ne se justifiait pas logiquement.
Par ailleurs, les tribunaux de 1913 sont appelés à mettre en œuvre le
droit moderne qui va se développer dans divers domaines et notamment
dans le domaine de l’administration.
On va alors se tourner vers une procédure simple, donnant au juge les
pouvoirs nécessaires pour conduire le procès efficacement. C’est celle qui,
en France, est codifiée dans le décret du 22 juillet 1889 et qui est applicable
devant les conseils de préfecture. Dans une moindre mesure, le législateur de
1913 s’inspirera également de la procédure applicable devant les juridictions
administratives d’outre-mer édictée par le décret du 5 août 1881.
Ce sont ces textes qui ont été à l’origine de la rédaction du dahir sur la
procédure civile de 1913 qui donne naissance à une procédure originale et
simplifiée.
Cette simplification résulte de ce que le juge reçoit les moyens de
diriger le procès avec l’aide du secrétariat-greffe qui est chargé d’accomplir
toutes les formalités qu’exige le déroulement de l’instance : convocation,
notification, exécution, etc. Le dahir de 1913 a certes fait l’objet d’une
révision en 1974, mais l’esprit de la procédure originelle, ainsi que les
règles applicables au procès administratif, n’ont été que très peu affectées.

§2. La procédure est écrite


C’est le principe général retenu dans le dahir de 1913 ; mais en 1974,
le législateur, dans un souci de simplification, a fait une large place à
l’oralité de la procédure.

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90 Contentieux administratif marocain

Celle-ci s’imposait naturellement devant les juridictions communales et


d’arrondissement aujourd’hui supprimées et remplacées par les juridictions
de proximité créées par la loi 42-10 du 17 août 2011 (B.O. 2011, p. 2080)
devant lesquelles la procédure est orale.
Mais elle apparaît également devant le tribunal de première instance,
sauf précisément dans certaines matières qu’énonce l’article 45 du Code de
procédure civile. Le caractère écrit de la procédure subsiste dans les affaires
mettant en cause le droit maritime et aérien, les affaires immobilières, les
affaires commerciales et les instances en matière administrative.
La formule est même plus large puisqu’il est précisé que le caractère
écrit s’impose dès qu’il s’agit d’une affaire où l’Etat, les collectivités
publiques et les établissements publics sont en cause.
Par ailleurs, en appel, la procédure demeure toujours écrite.
L’importance du caractère écrit de la procédure est évidente.
Chaque fois que l’on se trouve en présence d’une affaire complexe, il
est essentiel de développer un raisonnement juridique rigoureux qui
implique la précision et la cohérence. On ne dira pas assez que la
pertinence d’une argumentation apparaît davantage dans un texte écrit que
dans une argumentation orale. Ce qui n’exclut naturellement pas que les
parties puissent échanger des arguments oralement ; mais ceci vient
seulement en complément d’une argumentation qui, pour l’essentiel, est
contenue dans des mémoires écrits.
L’introduction de l’instance se matérialise par une requête qui est le
plus souvent accompagnée par un mémoire dans lequel le requérant
développe les moyens qu’il a sommairement exposés dans la requête. La
partie défenderesse, l’administration en l’espèce, pourra alors répliquer par
un mémoire en défense. L’argumentation peut ensuite se poursuivre par
des mémoires en réplique et en duplique que les parties vont échanger de
leur propre initiative ou à celle du juge rapporteur.
Tout cela se déroule conformément aux règles du Code de procédure
civile.
Mais le caractère écrit de la procédure est renforcé dans le procès
administratif par l’article 5-3° de la loi de 1991 relatif au commissaire
royal à la loi et au droit. Ce dernier doit en effet communiquer ses

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La procédure administrative contentieuse 91

conclusions écrites au tribunal auquel il les expose d’ailleurs également


oralement ; on sait par ailleurs que ces conclusions peuvent être
communiquées aux parties si elles le demandent ; et il va de soi que cette
communication suppose qu’elles soient écrites.
Les parties ont l’obligation de faire appel à un avocat pour signer la
requête introductive d’instance qui est naturellement écrite.
L’administration est dispensée du recours à l’avocat, elle peut se faire
représenter par un de ses agents, mais cela laisse intacte l’obligation qui
pèse également sur elle de respecter le caractère écrit de la procédure dans
la communication au juge de ses arguments.

§3. Le caractère inquisitoire de la procédure


La direction du procès est confiée au juge, en l’espèce le juge rapporteur.
On oppose la procédure inquisitoire à la procédure accusatoire qui
laisse aux parties le soin du déroulement du procès. Le juge est en quelque
sorte le témoin d’un débat judiciaire qui oppose les parties et dont elles
organisent le déroulement à leur convenance.
Le caractère inquisitoire de la procédure apparaît en pleine lumière à
travers le rôle confié à une institution originale qui est le juge
rapporteur (40). Le juge rapporteur est désigné par le président du tribunal ;
à cet égard, la loi de 1991 s’aligne totalement sur le code de 1974.
–  L’article 4 dispose qu’après enregistrement de la requête, le président
du tribunal désigne sans délai un juge rapporteur auquel il transmet le
dossier. Les articles 329 et 333 du C.P.C. sont applicables aux actes de
procédure effectués par le juge rapporteur. Le juge rapporteur procède à la
notification de la requête à l’administration défenderesse ainsi que des
pièces et documents qui l’accompagnent ; il demande au défendeur de
produire le mémoire en défense dans un délai qu’il lui fixe. Faute pour
celui-ci – en l’espèce l’administration – d’avoir déposé son mémoire dans
le délai fixé par le juge, et après mise en demeure d’avoir à le faire, le

(40) G. Default, A propos d’une expérience vécue : le rôle du juge rapporteur dans la procédure
marocaine, Revue trimestrielle de droit civil, 1968, p. 25.

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92 Contentieux administratif marocain

juge considère en vertu de l’article 366-2 du C.P.C., que le défendeur à


acquiescé aux faits et arguments exposés dans la requête (41).
Il peut procéder d’office, ou à la demande des parties, à tous les actes
d’instruction qu’il estime nécessaires :
– e xpertise : l’expertise permet d’établir la nature d’un fait, d’un
dommage, etc., son importance au regard de la demande ;
–  visite des lieux ;
– enquête : le juge peut décider de se déplacer pour entendre des témoins ;
–  vérification d’écriture ou toute autre mesure d’instruction.
Grâce à ce rôle actif, le juge va souvent – et, en tout cas, il le peut –
venir en aide au requérant qui se trouve toujours dans une situation
d’inégalité face à l’administration ; c’est là où le juge peut faire preuve de
quelque audace ; il peut par exemple ordonner à l’administration de
produire les dossiers, pièces ou documents sur lesquels elle se fonde pour
prendre sa décision, ou qui sont de nature à éclairer le débat et à permettre
au juge d’exercer sa mission.
Il peut exiger qu’elle fasse la preuve formelle de ce qu’elle avance ; c’est
d’ailleurs ce que fait actuellement la Cour suprême en matière de notification
des actes individuels de mise en demeure lorsqu’une telle formalité est
exigée par les textes, comme, par exemple, pour la sanction de l’abandon de
poste dans la fonction publique (42), l’obligation de démolir les constructions
édifiées sur le domaine public ou en contravention des règles d’urbanisme
(dahir de 1952 modifié par la loi 012-90 du 12 juillet 1991) ou bien encore
l’exécution forcée des mesures de police de la sécurité et de la liberté des
passages (article 4 du décret du 26 mai 1980).
Le juge peut également dans le même ordre d’idée demander à
l’administration de lui communiquer les motifs de sa décision. On aboutit

(41) Ainsi en décide la Cour suprême, C.S.A. 31 mai 1968, Chérifi, R., p. 143, (en langue arabe).
(42) C.S.A., 27 juillet 1984, Ami, R.M.D. 1987, p. 172, note M.A. Benabdallah : il ne suffit pas que
le destinataire de la mise en demeure n’ait pas retiré la lettre recommandée envoyée par
l’administration pour le mettre en demeure pour prouver que la formalité exigée par la loi a bien été
respectée ; la Cour suprême exige de l’administration qu’elle prouve qu’elle a remis cette mise en
demeure personnellement à son destinataire – cette exigence peut sembler excessive et peu réaliste
car de nature à favoriser les comportements dilatoires et de mauvaise foi. C’est, d’ailleurs, en raison
de ce risque que l’article 75 bis du statut général de la Fonction publique a été modifié pour donner
à l’administration la possibilité de bloquer le salaire du fonctionnaire qui ne se manifeste pas après
l’envoi de la mise en demeure.

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La procédure administrative contentieuse 93

ainsi à une sorte de renversement de la charge de la preuve ; celle-ci


n’incombe plus seulement au demandeur, elle pèse aussi sur le défendeur,
qui n’est autre que l’administration, ainsi l’égalité entre les parties est
quelque peu rétablie !
Nous verrons que dans le contentieux de la responsabilité, il arrive
également que le juge exige de la part de l’administration qu’elle apporte
la preuve qu’elle a correctement entretenu l’ouvrage public afin de
renverser la présomption de responsabilité que fait peser sur elle le juge
soucieux de mieux assurer la défense de la victime.
En cas de nécessité, le juge peut utiliser les pouvoirs que lui donne la
procédure des référés. L’article 19 dispose que le président du tribunal
administratif, ou celui qu’il désigne, en sa qualité de juge des référés
statue sur les requêtes provisoires et conservatoires.
Le juge peut ordonner toute mesure qui lui paraît nécessaire à titre
conservatoire, par exemple pour constater des faits qui risquent de
disparaître, pour enregistrer des témoignages, pour relever l’existence de
documents, etc. Le juge saisi par une requête en référé peut ainsi agir
même en l’absence de toute affaire engagée devant le tribunal à la
condition que la mesure soit utile et urgente.
Par ailleurs, et c’est là une innovation de la jurisprudence des tribunaux
administratifs finalement entérinée par le Cour suprême, c’est par un
recours en référé que l’administré, victime d’une voie de fait, peut
demander au juge administratif d’enjoindre à l’administration de cesser
son action constitutive d’une voie de fait.
On indiquera enfin, que, par exception au principe du préalable et au
caractère non suspensif du recours en annulation pour excès de pouvoir,
l’article 24 de la loi permet au tribunal administratif d’ordonner,
exceptionnellement, le sursis à exécution des actes administratifs ; mais
cette possibilité n’existe que sur demande expresse du requérant et à la
double condition que la décision entreprise soit d’une illégalité à peu près
certaine et que son exécution entraîne des conséquences difficilement
réversibles. Ces deux dernières conditions ne figurent pas dans la loi, mais
elles sont exigées par le juge qui cependant admet parfois l’importance

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94 Contentieux administratif marocain

déterminante du caractère irréversible du préjudice, par exemple,


l’arrachage d’une plantation (43).

§4. Le caractère contradictoire de la procédure


C’est un trait fondamental et absolument général de toute procédure
juridictionnelle.
Dans la procédure administrative non contentieuse, le juge a imposé le
respect de principes inspirés par la procédure juridictionnelle. Tel est le
cas du principe général des droits de la défense.
En France, ce principe doit être respecté dès lors que l’administration
prend une mesure “à raison de la personne”. Par exemple, le retrait d’une
autorisation, d’un agrément, d’un label, etc. doit toujours être accompagné
de la communication des motifs de la mesure envisagée et de la possibilité
donnée à son destinataire de faire connaître ses objections. Ce principe
permet ainsi d’avoir l’assurance que la décision sera finalement prise en
toute connaissance de cause.
Ce principe est à plus forte raison important lorsque l’on est en
présence d’une instance juridictionnelle où le juge doit en effet être
parfaitement éclairé sur toutes les données de l’affaire.
Les parties doivent ainsi être totalement informées des arguments de
l’adversaire et des documents ou pièces sur lesquels il s’appuie.
Concrètement, cela se traduit par les transmissions effectuées sur l’instruction
du juge rapporteur par l’intermédiaire du greffe.
L’article 329 du Code de procédure civile prévoit la notification de la
requête et la transmission des pièces qui l’accompagnent à la partie adverse.
Le défendeur est prié de fournir tout mémoire en réponse et toutes
pièces justificatives dans le délai fixé par le juge rapporteur.
Ce principe du contradictoire gouverne l’ensemble de la phase de
l’instruction.
Lorsque le juge estime que l’affaire est en état d’être jugée et que les
délais fixés pour la production des réponses sont expirés, il prononce par

(43) C.A.A., Rabat, 19 novembre 2008, Etat marocain et consorts c/ Charfi, REMALD, n° 93, 2010,
p. 137, note Benabdallah

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La procédure administrative contentieuse 95

ordonnance son dessaisissement du dossier et fixe la date de l’audience


(article 335 du C.P.C.).
Normalement, plus aucune pièce, ni mémoire ne peuvent être produits
par les parties.
Le tribunal peut cependant renvoyer le dossier au juge rapporteur dans
deux cas :
– si un fait nouveau de nature à influer sur la décision est survenu
depuis l’ordonnance de dessaisissement ;
–  s’il estime qu’un fait antérieur au dessaisissement n’a pu être invoqué
par les parties pour des raisons indépendantes de leur volonté.

Section II
L’instance
Les caractères généraux de la procédure que l’on vient de voir donnent
déjà une idée de ce que sont les principaux moments du procès
administratif. Il s’agit, à présent, de reprendre les différentes étapes qui la
constituent en examinant l’introduction de l’instance, puis l’instruction et
le jugement.

§1. L’introduction de l’instance


L’introduction de l’instance dépend d’une requête introductive d’instance
qui doit respecter certaines exigences de forme (A) et de délai (B), le
requérant doit par ailleurs avoir qualité pour agir (C).
Enfin, il conviendra d’évoquer une dernière question qui porte sur le
point de savoir s’il faut une décision administrative préalable (D).

A. Les conditions de forme


Ce sont celles qui sont posées par l’article 32 du C.P.C.
La requête est écrite et signée par un avocat ; elle doit comporter
l’indication du nom et du prénom du demandeur et, éventuellement, ceux
de son mandataire, son domicile, sa profession. S’il s’agit d’une personne
morale, il faut en indiquer la dénomination, la nature, le siège social. La

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96 Contentieux administratif marocain

requête doit préciser qui est le défendeur, l’Etat et l’administration mise en


cause, telle collectivité publique, etc.
La requête est enregistrée et donne lieu à délivrance d’un récépissé qui
prouve son dépôt et la date de celui-ci.
La requête doit naturellement contenir, au moins de façon sommaire,
les conclusions du requérant.
Elle doit préciser :
–  l’objet de la demande : annulation ou indemnité ;
– les moyens, c’est-à-dire les arguments du requérant ; ceci est
important car le juge ne peut statuer ultra petita, c’est-à-dire au-delà
de la demande, sauf s’il se trouve en présence d’un moyen d’ordre
public. L’exposé des moyens peut être sommaire dans la requête, un
mémoire ampliatif peut les développer par la suite.
La requête doit être accompagnée des pièces invoquées. S’il s’agit d’un
recours en annulation pour excès de pouvoir, la requête doit obligatoirement
être accompagnée d’une copie de la décision attaquée, de la décision de
rejet s’il y a eu recours administratif ou d’une pièce prouvant le dépôt du
recours administratif ou de la demande si l’administration n’a pas répondu
expressément.

B. Les conditions de délai


L’exigence d’un délai pour intenter le recours au juge se justifie par
l’idée qu’il ne convient pas de laisser s’éterniser des situations litigieuses
et de ne pas troubler une certaine stabilité juridique, somme toute
nécessaire à toute vie en société. C’est une exigence qui existe également
en droit privé où les actions en justice se prescrivent dans certains délais.
En droit public, l’ordre public et l’intérêt général militent plus encore en
faveur d’un apurement rapide des situations de conflit.
Toutefois, il faut distinguer le contentieux de la légalité et le contentieux
de pleine juridiction.
En matière de légalité, ce qui est en cause, c’est la validité des décisions
administratives. Certes, le privilège du préalable permet l’application
immédiate de l’acte administratif, mais il n’est pas bon qu’un doute pèse

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La procédure administrative contentieuse 97

trop longtemps sur sa validité. L’acte doit disparaître rapidement ou devenir


incontestable.
Le recours au juge est donc enfermé dans des délais très brefs : 60 jours
à compter de la publication ou de la notification de la décision ou de la
date à laquelle est acquise la décision implicite de refus de la demande
initiale, ou du rejet du recours administratif.
Le juge applique strictement la condition de délai ; cependant, il n’hésite
pas à déjouer les manœuvres de l’administration qui tendent à paralyser le
requérant ; par exemple il considère que « la lettre adressée par le
gouverneur de la province d’El Hajeb en réponse à la demande tendant à
l’obtention d’un passeport et qui indique que la procédure est en cours,
sans préciser l’attitude de l’administration, ni par l’affirmative ni par la
négative, est considérée comme un silence au sens de l’art. 23 de la loi
41-90 ; en conséquence l’écoulement du délai de deux mois depuis le dépôt
de la demande est regardé comme une décision implicite de rejet » (44).
La Cour suprême adoptait une attitude sévère lorsque le requérant avait
saisi à tort une juridiction incompétente et rejetait le recours porté devant
elle pour expiration du délai. Le législateur a fait échec à cette jurisprudence
en décidant que « la saisine d’une juridiction incompétente, même de la
Cour suprême, interrompt le délai de recevabilité du recours en annulation
pour excès de pouvoir qui ne recommence à courir qu’à compter de la
notification au demandeur de la décision statuant définitivement sur la
juridiction compétente. » (Article 25 de la loi n° 41-90).
Les tribunaux administratifs adoptent une position plus libérale que ce
n’était le cas de la Cour suprême à l’égard de cette condition ; si le
requérant a intenté un recours administratif gracieux ou hiérarchique, il
n’a pas l’obligation d’attendre l’expiration du délai de deux mois pour
intenter le recours en annulation (45). Quant au tribunal de Marrakech, il
admet que la force majeure, ou la maladie, puisse entraîner une interruption
de l’écoulement du délai qui ne recommence à courir qu’à partir de la
disparition de la cause de l’interruption (46).

(44) T.A., Meknès, 22 février 1996, Regragui, REMALD, n° 16, 1996, p. 171, note Benabdallah.
(45) M.A. Benabdallah, Le caractère facultatif du recours administratif préalable, note sous T.A.
Meknès, 25 novembre 1995, REMALD n° 18, 1997, p. 175 et Contribution à la doctrine du droit
administratif marocain, REMALD, Coll. « Manuels et Travaux universitaires » n° 77, vol. I, p. 377.
(46) T.A. Marrakech, 26 décembre 1995, Merdoukh, REMALD, n° 16, 1996, p. 135.

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98 Contentieux administratif marocain

En revanche, dans le contentieux de pleine juridiction, l’enjeu n’est,


dans la plupart des cas, qu’une somme d’argent ; que la cause du litige se
trouve dans la violation d’un contrat ou dans un préjudice causé par tout
acte de l’administration, toute activité ou tout acte matériel ou juridique.
Dans ce cas, le recours n’est enfermé dans aucun délai (47).
Néanmoins, l’absence de délai ne doit pas faire oublier l’existence de
prescriptions particulières :
– la prescription de l’action prévue par l’article 106 du dahir sur les
obligations et contrats qui est de cinq ans (48).
– la déchéance quadriennale des dettes de l’Etat prévue par l’article
134-3° du décret royal du 21 avril 1967 sur la comptabilité publique :
« Sont prescrites et définitivement éteintes au profit de l’Etat toutes
les créances qui n’ont pu être liquidées, ordonnancées et payées dans
un délai de quatre années à partir de l’ouverture de l’exercice pour
les créanciers domiciliés au Maroc, et de cinq années pour les
créanciers résidant hors du territoire marocain ».

C. Conditions tenant à la qualité du requérant


Le requérant doit avoir la capacité d’agir en justice et justifier qu’il
possède un intérêt à agir.

• La capacité
Pour les personnes physiques, il s’agit de la capacité juridique qui
dépend de l’âge et de la possession des droits civils ; le mandataire doit
justifier l’existence du mandat.
Pour les personnes morales, la capacité découle des règles statutaires
qui déterminent les organes capables de représenter valablement
l’institution en justice.
Pour les personnes publiques, il faut distinguer l’Etat pour lequel
l’article 515 du Code de procédure civile prévoit qu’il doit être assigné en

(47) En France, la situation est différente. Lorsque l’administration a fait connaître sa position par
une décision, le délai court à partir de la date de cette décision, sauf en matière de travaux publics
où ne sont exigés ni décision préalable, ni délai.
(48) C.S.A., 25 février 1977, Agent judiciaire du Maroc c/ Ahmed Thami Ben Hamou.

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La procédure administrative contentieuse 99

la personne du Chef du gouvernement ; celui-ci peut cependant se faire


représenter par le ministre compétent.
En outre, de nombreux textes particuliers ont prévu des règles spéciales
en matière de représentation en justice :
– pour les litiges intéressant le domaine privé, c’est le directeur des
domaines au ministère des Finances ;
–  pour le domaine public c’est le ministre chargé des travaux publics ;
– le directeur des Eaux et Forêts est compétent pour les litiges
concernant le domaine forestier ;
– le directeur de l’O.N.T. pour les litiges relatifs aux accidents causés
par les véhicules automobiles (49).
Pour ce qui concerne les collectivités locales, c’est l’exécutif qui doit
dans certains cas être habilité par une délibération de l’assemblée.
Enfin, pour les établissements publics, c’est le directeur qui doit aussi
dans certains cas être habilité par une délibération du conseil d’administration.

•  L’intérêt à agir
Le grand principe en procédure, c’est que nul ne peut agir en justice s’il
n’a pas intérêt à le faire. “Pas d’intérêt pas d’action” ! Mais cet intérêt n’est
pas un intérêt abstrait ou idéal. Cet intérêt doit se rattacher à un fondement
juridique que le juge apprécie plus ou moins rigoureusement selon le type
de recours dont il est saisi.
La définition de l’intérêt à agir peut ainsi être plus ou moins large, et,
par voie de conséquence, le recours plus ou moins largement ouvert.
En résumé, on dira simplement ici que le recours en annulation est
largement ouvert parce que le juge exige seulement du requérant la preuve
qu’il possède un simple intérêt à agir, alors que dans le contentieux de
pleine juridiction, le juge exige du requérant qu’il possède un droit lésé :
droit lié à un contrat, droit de propriété, droit à l’intégrité physique, etc.

(49) La transformation de l’Office en Société Nationale des Transports et de la logistique par la loi
du 23 novembre 2005 (Bull. Off. 2005, p. 787) ne devrait pas entraîner de changement en ce qui
concerne cette compétence qui semble devoir être transférée à la nouvelle société.

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100 Contentieux administratif marocain

D. Le problème de la décision préalable


Il paraît logique de n’accepter le recours au juge que si un litige
oppose évidemment le requérant à l’administration. La question de savoir
comment on peut faire apparaître cette opposition de prétention qui se pose
différemment selon qu’il s’agit du contentieux de la légalité ou de
l’indemnité.

• Le contentieux de la légalité


Le plus souvent, le requérant se trouve devant une décision dont il
conteste la légalité, mais il peut aussi se trouver face à l’inertie, l’abstention
de l’autorité administrative dont on ne peut pas déduire avec certitude
qu’elle s’opposera à la demande de l’administré.
Il faut donc soit provoquer un nouvel examen de l’affaire, si
l’administration a pris une décision expresse, soit obliger l’autorité
compétente à prendre une position qui se traduira par une décision
expresse ou implicite.
Dans le premier cas, on utilise un recours administratif tendant à inciter
l’administration à revenir sur sa décision.
Dans le second, il s’agit d’une demande initiale.
Mais dans les deux cas, il a fallu prévoir le moyen d’éviter que le
silence de l’administration fasse obstacle à ce que l’administré soit en
présence d’une décision non équivoque quant à la position de l’autorité
administrative. C’est pourquoi le législateur a décidé que le silence gardé
pendant plus de 60 jours à compter du dépôt du recours administratif ou
de la demande initiale vaudrait décision implicite de rejet.
Si le recours ou la demande est adressé à une assemblée délibérante, le
délai est prolongé de 60 jours après la fin de la session qui suit le dépôt
du recours ou de la demande.
Naturellement, le recours administratif doit avoir été effectué lui aussi
dans le délai de 60 jours à compter de la notification ou la publication de
la décision contestée.
Si des textes ont prévu des recours particuliers ce sont eux qui doivent
être utilisés. Il en est ainsi par exemple en ce qui concerne les lois
organiques du 7 juillet 2015 relatives aux collectivités territoriales, (B.O.
2016, p. 260 et s.). Aucune action pour excès de pouvoir ne peut être

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La procédure administrative contentieuse 101

intentée contre la collectivité ou contre une décision émanant de son


organe exécutif si le demandeur n’a pas préalablement informé le président
de la collectivité et adressé au gouverneur de la province ou de la
préfecture ou selon le cas le wali de la région un mémoire exposant l’objet
et les motifs de sa réclamation ; le dépôt de ce mémoire donne lieu à la
délivrance d’un récépissé qui interrompt toute forclusion. Cette formalité
exclut les actions en référé et les actions possessoires. Si à l’expiration
d’un délai de quinze jours après la réception du mémoire il ne lui a pas été
délivré de récépissé, ou d’un délai de trente jours à compter de la date de
la délivrance du récépissé si les parties ne sont pas parvenues à un accord
amiable, le demandeur peut intenter son recours devant la juridiction
compétente.
Cette obligation disparaît lorsque le recours est intenté contre une
décision du président du conseil communal agissant sous le contrôle de
l’autorité supérieure pour le compte de l’Etat, par exemple pour la
délivrance du permis de construire (50).

• Le contentieux de pleine juridiction


Théoriquement, le recours peut être intenté directement dès lors que
l’atteinte au droit est réalisée. Il n’y a aucune obligation de se tourner vers
l’administration pour provoquer une décision de sa part.
Mais il est clair que la victime a tout intérêt à le faire. L’administration
peut parfaitement reconnaître ses torts, et c’est ce qu’elle fera le plus
souvent dès lors que ceux-ci seront évidents.
La victime peut donc obtenir satisfaction sans avoir à assumer les
difficultés et les frais d’un procès. Ce n’est que si l’administration refuse
totalement ou partiellement de lui donner satisfaction que la victime devra
agir en justice.
Cette exigence de la décision administrative préalable existe dans
certains contentieux particuliers, par exemple le contentieux fiscal ; le
contribuable doit s’adresser avant tout recours au juge à des commissions
administratives.
De même dans le contentieux des marchés de travaux publics, le décret
relatif aux marchés publics du 30 mars 2013 prévoit, en son article 169,

(50) C.S.A., 5 février 1982, Belhaj c/ Président du conseil communal de Temara.

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102 Contentieux administratif marocain

un recours auprès du maître d’ouvrage, puis auprès, selon le cas, du


ministre concerné par les marchés de l’Etat, le minitsre de l’Intérieur pour
les marchés des régions, des préfectures, des provinces et des communes.
Pour les établissements publics, le recours se fait auprès de l’autorité
compétente. Ces recours sont très utiles dans la mesure où ils permettent
le règlement amiable des litiges.

§2. L’instruction et le jugement


L’évolution du procès se poursuit avec l’instruction dont la clôture
s’accompagne de la fixation de la date de l’audience ; enfin le procès
s’achève avec le jugement.

A. L’instruction
Nous savons déjà qu’elle est largement dominée par l’office du juge
rapporteur qui dirige le procès.
La procédure est ici commune au procès administratif et au procès qui
se déroule devant le juge ordinaire dans certaines matières énumérées par
l’article 45 du C.P.C.
Les parties présentent leurs arguments dans les délais fixés par le juge
rapporteur et sous forme écrite.
Le juge prescrit d’office, ou à la demande des parties, les mesures
d’instruction qu’il estime de nature à éclairer le tribunal. A l’issue des
délais qu’il a fixés, le silence des parties vaut acquiescement aux arguments
de l’adversaire.
Enfin, à l’issue des délais qu’il a également fixés, le juge prononce par
ordonnance la clôture de l’instruction, c’est-à-dire son dessaisissement ; il
rédige son rapport et transmet le dossier au tribunal ; il fixe la date de
l’audience.
Jusqu’à la mise en œuvre de la réforme de 1991, le principe était que,
dans les affaires où était en cause l’ordre public, l’Etat, les collectivités
locales et les établissements publics, le Ministère public devait être saisi,
et son intervention était obligatoire ; la mention de son intervention devait
d’ailleurs figurer au jugement (article 9 du C.P.C.).

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La procédure administrative contentieuse 103

Aujourd’hui, cela ne s’applique pas au tribunal administratif car il n’y


a pas de ministère public ; en revanche, le commissaire royal à la loi et au
droit doit présenter ses conclusions écrites et orales à l’audience afin
d’éclairer la juridiction sur tous les points de fait et de droit soulevés par
l’affaire.

B. L’audience
A la différence du tribunal de première instance qui statue à juge
unique, le tribunal administratif comporte trois membres dans sa formation
de jugement. Il siège publiquement, sauf exception prévue à l’article 43 du
C.P.C. dans la mesure où il peut décider que les débats se déroulent à
huis-clos « si l’ordre public ou les bonnes mœurs l’exigent ».
Le tribunal procède à l’audition du rapporteur, du commissaire royal,
des avocats et des représentants de l’administration.
Dans les instances tendant à faire déclarer débitrices les administrations
publiques, un office ou un établissement public, l’article 514 du C.P.C.
prescrit l’audition de l’agent judiciaire du Maroc qui est chargé de la
défense des intérêts financiers de l’Etat ; sa mise en cause est obligatoire.
Dans les instances ayant la même finalité mais dirigées contre une
collectivité territoriale, commune préfecture province région ou leurs
groupements, il faut appeler en cause l’Agent judiciaire des collectivités
territoriales nommé par le ministre de l’Intérieur sous peine d’irrecevabilité
de la requête
L’affaire peut alors être jugée, mais dans la plupart des cas elle sera
mise en délibéré. Le juge renvoie à une audience ultérieure le prononcé du
jugement. Dans les affaires complexes, il faut en effet que le juge – le
tribunal – ait la possibilité de peser soigneusement la décision qu’il va
prendre sans oublier la nécessité de la rédiger de façon minutieuse.
Le jugement sera enfin rendu en audience publique après avoir été rédigé
en réunion non publique ; c’est ce que l’on appelle le secret du délibéré.

C. Le jugement
Le jugement doit comporter un certain nombre d’énonciations prévues
par l’article 50 du C.P.C.

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104 Contentieux administratif marocain

Il est rendu au nom du Roi et en vertu de la loi.


Il doit rappeler les indications relatives aux parties et comporter la
mention des auditions diverses : parties, rapporteur, Ministère public
(commissaire royal).
Il mentionne la mise en cause de l’agent judiciaire du Maroc. Il
rappelle les conclusions des parties, l’analyse sommaire de leurs moyens,
les pièces produites et les textes dont il est fait application. Le jugement
est daté et signé par le président et le greffier. Le jugement ainsi rendu
doit être notifié aux parties ; mention est faite de la possibilité de faire
appel et du délai (30 jours).
C’est seulement à l’expiration de ce délai que le jugement acquiert
autorité relative de chose jugée et qu’il peut être exécuté. Après expiration
du délai du recours en cassation, il passe en force de chose jugée, mais
cela ne vaut que pour les décisions rendues par les juridictions ordinaires
puisqu’il n’existe ni appel ni recours en cassation contre les décisions
rendues directement par la Cour suprême en matière administrative, par
exemple le recours pour excès de pouvoir contre les actes réglementaires
ou individuels du Chef du gouvernement ou les décisions des autorités
administratives dont le champ d’application s’étend au-delà du ressort
territorial d’un tribunal administratif (article 9 de la loi 41-90 instituant les
tribunaux administratifs).
L’appel est suspensif de l’exécution du jugement ; en revanche, le
recours en cassation ne l’est pas. La possibilité d’ordonner le sursis que
prévoyait l’article 360 du C.P.C. a été supprimée en 1986 (51).
Lorsqu’il est devenu définitif, le jugement d’annulation est revêtu de
l’autorité absolue de chose jugée. On dit qu’il est erga omnes, qu’il a effet
à l’égard de tous. Quant au jugement rendu à la suite d’un recours de
pleine juridiction, son autorité n’est que relative en ce sens qu’il n’a
autorité qu’à l’égard des parties.
Par ailleurs, lorsque les voies de recours ont été utilisées ou que les
délais pour le faire sont expirés, le jugement est définitif ; il est passé en
force de chose jugée.

(51) M. Hassen, A propos du vote par le Parlement du projet de loi supprimant le sursis à exécution
et l’évocation devant la Cour suprême, R.M.D., n° 12, 1987, p. 98.

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La procédure administrative contentieuse 105

Le code de procédure civile comporte un chapitre consacré à l’exécution


forcée des jugements ; mais cela ne concerne pas l’administration à l’égard
de laquelle les voies d’exécution sont inutilisables en raison d’un privilège
de puissance publique et de règles spécifiques aux biens de l’administration
qui sont insaisissables.
L’article 25-1° du C.P.C. interdit par ailleurs d’entraver l’action des
administrations publiques.
Mais ce privilège n’a de sens, dans un Etat de droit, que si l’administration
exécute les décisions de justice. L’article 126 de la Constitution ne
rappelle-t-il pas fort opportunément que «  les jugements définitifs s’imposent
à tous » ?
C’est d’ailleurs ce que constate le tribunal de première instance de
Rabat dans une décision remarquable par son bon sens et son courage (52).
« Attendu qu’en effet, il n’existe aucun texte juridique dispensant l’Etat
d’exécuter les décisions de justice ; que bien plus, le principe de légalité
considéré comme l’un des principes fondamentaux consacrés par la
constitution marocaine soumet les agissements de l’Etat au contrôle de la
loi.
« Qu’en conséquence l’Etat peut être jugé conformément au droit ; qu’il
en résulte que l’Etat est tenu d’exécuter les arrêts et jugements rendus à
son encontre.
« Que soutenir le contraire aurait pour conséquence de vider le principe
de légalité de son sens... » (53).
En fait, il semble que l’administration, qu’il s’agisse de l’Etat ou des
collectivités locales, soit fréquemment réticente devant l’obligation qui lui
incombe (54).
Toutefois, le code de procédure civile offre aux juridictions des
possibilités que les tribunaux administratifs semblent désormais décidés à

(52) Trib. Première instance, Rabat, 16 décembre 1985, C.O.M.A.G.R.I. c/ Henri Bonin, R.M.D.,
n° 4, 1986, p. 234, note Ouazzani Chahdi, p. 183.
(53) S.M. Hassan II fait référence à cette décision qui représente, à ses yeux « l’application, comme
principe de droit, de la règle islamique : la vocation de la loi à la liberté », Le génie de la
modération, Plon, 2000, p. 276.
(54) M. El Yaâgoubi, L’inexécution des décisions de justice, une atteinte intolérable aux droits de
l’homme, REMALD, n° 28, 1999, p. 67.

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106 Contentieux administratif marocain

utiliser, suivant en cela l’exemple du tribunal de première instance de


Rabat.
C’est ainsi que le tribunal administratif de Rabat a prononcé la saisie
arrêt d’une somme d’argent représentative d’une indemnité provisionnelle
à laquelle avait été condamné un office et que ce dernier refusait de
verser (55). C’est également la position de la Cour suprême (56) et,
sachant que par l’arrêt de la haute juridiction, la voie est désormais
ouverte, il y a tout lieu d’espérer qu’elle devienne celle de tous les
tribunaux.
Les juridictions utilisent également le procédé de l’astreinte (57) sur la
base de l’article 448 du C.P.C.
Ainsi, le tribunal administratif de Rabat décide le prononcé d’une telle
astreinte dans un jugement du 6 mars 1997 (58) ; ce jugement est confirmé
par la Cour suprême qui précise : « Attendu qu’il n’existe aucun texte
juridique qui exempte l’administration de la condamnation à l’astreinte
dans le cas de son refus d’exécuter un jugement prononcé à son
encontre… »  (59).
Allant plus loin, le Tribunal de Meknès n’a pas hésité à prononcer une
astreinte à titre personnel contre l’agent public responsable de
l’inexécution (60).
Il faut également noter la décision très intéressante du Tribunal
administratif de Fès, recourant à l’exécution d’office d’une décision

(55) Ordonnance du 24 septembre 1997, El Ansri c/ ORMVA du Loukos, REMALD, n° 23, 1998,
p. 171, note Antari.
(56) C.S.A., 7 novembre 2002, O.N.C.F. c/ A.L. et Consorts, REMALD n° 69, 2006, p. 73, note
Rousset et Benabdallah.
(57) A. Sayegh, L’astreinte comme moyen d’exécution des décisions juridictionnelles en matière
administrative, REMALD, Coll. « Manuels et travaux universitaires » n° 55, 2004, en langue arabe.
(58) T.A., Rabat, 6 mars 1997, Héritiers El Achiri, REMALD n° 20-21, 1997, p. 247, note
Benabdallah.
(59) C.S.A., 25 septembre 1997, Agent judiciaire c/ Héritiers El Achiri, REMALD, n° 23, 1998,
p. 139, en langue arabe.
(60) T.A., Meknès, Ordonnances de référé du 3 avril 1998, Attaoui et 23 juin 1998, Ismaïli Alaoui,
REMALD n° 27, 1999, p. 111, note Benabdallah, et in Contribution à la doctrine du droit
administratif marocain, REMALD, Coll. « Manuels et Travaux universitaires » n° 77, vol. II, p. 117 ;
M. Rousset, Le juge administratif marocain et l’exécution des décisions de justice prononcées
contre l’administration, RJPIC, n° 2, 1999, p. 197.

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La procédure administrative contentieuse 107

annulant la mise sous scellés d’un établissement commercial. Après avoir


relevé qu’il y avait urgence à faire exécuter cette décision, un an après
qu’elle devînt exécutoire, le juge observe qu’au surplus « il est possible de
remettre la situation dans l’état dans lequel elle était avant la décision de
fermeture annulée, sans intervention directe de l’administration, pour faire
disparaître les effets de cette décision » (61).
En définitive, on peut se demander si devant un refus d’exécuter qui
constitue une illégalité intolérable, il ne serait pas possible d’engager la
responsabilité de l’agent public pour faute personnelle. Méconnaître
l’autorité de la chose jugée ne peut en aucun cas – sauf circonstances tout
à fait exceptionnelles – être considéré comme un acte relevant de la
fonction qu’assument les agents des collectivités publiques.
En Algérie, un mécanisme a été prévu pour assurer le versement des
condamnations pécuniaires en cas d’inexécution ; l’indemnité est prélevée
sur un compte spécial du trésor ; les sommes sont ensuite récupérées sur le
budget de la personne publique défaillante ; mais on peut aussi envisager
de mettre en cause la responsabilité personnelle de l’autorité responsable
du refus d’exécuter.
En France, les lois de 1980 et 1995 et le décret de 1990 ont donné aux
différentes juridictions administratives des pouvoirs d’injonction et de
prononcé d’astreinte dont on attend, sinon la disparition complète, du
moins la raréfaction des cas de refus d’exécution par mauvais vouloir de
l’administration.
Dans certains cas, le jugement définitif et inexécuté vaut titre de
paiement obligeant le comptable public à procéder au paiement ; une
procédure analogue a été imaginée pour les collectivités locales ; l’autorité
de tutelle peut procéder au mandatement d’office de la somme due après
avis de la Chambre régionale des comptes.
Par ailleurs, le prononcé d’astreinte assortissant l’injonction d’exécuter
adressée à l’administration est possible depuis la loi de 1995 qui a permis
de dire que le législateur avait mis fin à un tabou, l’interdiction d’enjoindre
à l’administration des obligations de faire ou de ne pas faire.

(61) T.A., Fès, 23 septembre 1997, Laraki, REMALD n° 23, 1998, p. 93, note Benabdallah et in
Contribution à la doctrine du droit administratif marocain, REMALD, Coll. « Manuels et Travaux
universitaires » n° 77, vol. II, p. 31.

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108 Contentieux administratif marocain

A la lumière des expériences étrangères, il semble que les efforts des


juridictions devraient être soutenus par le législateur.
Seule la loi peut organiser une procédure d’injonction permettant de
faire respecter l’autorité des décisions du juge sans méconnaître les
exigences légitimes de l’administration. C’est là une réforme capitale à
laquelle le ministre de la Justice pourrait attacher son nom et cela d’autant
plus que les juges administratifs n’ont pas manqué d’audace dans
l’interprétation des dispositions du code de procédure civile dont ils ont
exploité les vertus, mais dont ils ont désormais atteint les limites (62).
La meilleure preuve en est la regrettable décision de la Cour suprême
dans l’Affaire commune de Tounfit c/ Attaoui (63).
La Cour suprême estime que le recours à l’astreinte n’est pas possible,
le juge administratif n’ayant été saisi que d’un recours en annulation ; le
requérant peut, en cas d’inexécution, intenter un recours en indemnité pour
le préjudice que lui cause l’inexécution !
Cette décision qui contredit ce qu’avait jugé la haute juridiction dans
l’affaire précitée Agent judiciaire c/ Héritiers El Achaâri, méconnaît aussi
l’article 7 de la loi créant les tribunaux administratifs qui dispose
expressément que les dispositions du code de procédure civile sont
applicables devant ces juridictions sauf texte contraire ; or aucun texte n’a
exclu l’application de l’article 448 du C.P.C. qui permet au juge de
prononcer des astreintes pour obtenir l’exécution de ses décisions ; seul le
principe “importé” en 1913, de l’impossibilité de contraindre
l’administration à cette exécution, explique la décision de la haute
juridiction qui est ainsi dépourvue de toute base légale et ne repose que
sur l’argument d’autorité. Qu’on le veuille ou pas, l’inexécution des
décisions de justice par l’administration est une plaie béante dans le corps
de la justice ; et le fait de savoir que si l’on a jugement contre
l’administration, les chances sont faibles de le faire exécuter vide de tout
son sens l’idée même de justice.

(62) M. Rousset, Vertus et limites du C.P.C. pour obtenir de l’administration le respect de l’autorité
de la chose jugée, REMALD, n° 23, 1998, p. 153.
(63) C.S.A., 11 mars 1999, Commune rurale de Tounfit c/ Attaoui, REMALD n° 31, 2000, p. 127,
note Rousset et Benabdallah.

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La procédure administrative contentieuse 109

Section III
Les voies de recours
Les voies de recours sont de deux sortes : les voies tendant à la
rétractation du jugement et les voies de recours tendant à sa réformation.
Ce sont les secondes qui sont les plus utilisées : l’appel et la cassation.
Les voies de rétractation sont tout d’abord l’opposition qui est ouverte
à celui qui n’était pas présent à l’instance. Le jugement rendu par défaut
peut faire l’objet d’une opposition ; mais celle-ci n’est possible que si
l’appel n’est pas ouvert ; l’opposition suspend l’exécution du jugement.
La tierce opposition est un recours qui permet à une personne, ni
présente ni représentée dans une instance, de s’opposer à un jugement qui
préjudicie à ses droits.
On mentionnera enfin le recours en rectification d’erreur matérielle
devant la Cour suprême et le recours en rétractation (article 379 du C.P.C.)
lorsque l’arrêt a été rendu sur pièce fausse, ou bien encore si la partie a
été condamnée faute d’avoir pu présenter des pièces détenues par son
adversaire, etc.

§1. L’appel
Jusqu’à la réforme introduite par la loi du 12 juillet 1991, l’appel ne
concernait que les décisions rendues en matière administrative par les
tribunaux de première instance ; il était alors porté devant les cours
d’appel ; par hypothèse, il n’y avait pas d’appel pour les décisions rendues
par la Cour suprême (64) sur recours en annulation pour excès de pouvoir.
Depuis l’entrée en vigueur de la loi n° 41-90 en mars 1994, et sur la
base de ce texte, les jugements des tribunaux administratifs étaient portés
en appel devant la Cour suprême selon les formes et délais prévus aux
articles 134 à 139 du Code de procédure civile.

(64) M.A. Benabdallah, L’absence de recours en cassation contre les arrêts de la Cour suprême,
note sous C.S.A., 23 janvier 1997, Lamrabet, REMALD n° 24, 1998, p. 135 et in Contribution à la
doctrine du droit administratif marocain, REMALD, Coll. « Manuels et Travaux universitaires »
n° 77, vol. II, p. 67.

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110 Contentieux administratif marocain

Mais depuis l’entrée en vigueur de la loi n° 80-03 instituant des cours


d’appel administratives, les jugements rendus par les tribunaux administratifs
et les ordonnances de leurs présidents sont portés en appel devant ces
juridictions qui sont actuellement au nombre de deux situées à Rabat et à
Marrakech.
La requête doit être présentée sous forme écrite dans le délai de trente
jours de la notification du jugement de première instance ; elle doit être
présentée par un avocat, sauf lorsque l’appel est interjeté par l’Etat et les
administrations publiques. Il est dispensé de la taxe judiciaire.

§2. Le recours en cassation


Ce recours qui avait disparu avec la création des tribunaux administratifs
relève désormais, depuis la promulgation de la loi n° 80-03 précitée, de la
Cour suprême, devenue Cour de Cassation. Ainsi, l’article 16 de cette loi
prévoit-il que les décisions rendues par les cours d’appel administratives
sont susceptibles de pourvoi en cassation devant la Cour suprême. Le délai
du pourvoi est fixé à 30 jours à compter de la date de notification de
l’arrêt objet du recours.
Le recours en cassation est soumis aux règles posées par le code de
procédure civile.
Lorsque la Cour suprême prononce la cassation d’un arrêt, elle peut
évoquer l’affaire et statuer si celle-ci est en état. Autrement, elle la renvoie
devant une autre juridiction du même degré ou, exceptionnellement,
devant la juridiction qui a rendu la décision cassée mais qui doit être
composée de magistrats n’ayant pas participé à la décision objet de la
cassation.
C’est donc l’unité de juridiction qui est conservée au sommet de la
pyramide de l’ensemble des tribunaux du Royaume. Elle constitue un
avantage très précieux pour la simplicité, la rapidité et la cohérence du
traitement du contentieux administratif (65).

(65) M. Rousset, Plaidoyer pour la Chambre administrative de la Cour suprême, REMALD


n°  99-100, 2011, p. 13 ; M. El Yaâgoubi, Le rôle régulateur de la Cour suprême, RJPIC, n° 1, 1998,
p. 81.

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La procédure administrative contentieuse 111

Section IV
Les procédés non juridictionnels de règlement des litiges
Si le recours aux juridictions administratives est le procédé normal de
règlement des conflits qui peuvent survenir entre l’administration et ses
usagers, ou les personnels qu’elle emploie ou ses cocontractants, il existe un
certain nombre de procédés, les uns traditionnels, les autres plus récents, qui
permettent de mettre un terme au litige sans avoir recours au juge. C’est tout
d’abord les recours administratifs et, depuis peu, le recours à l’arbitrage et,
éventuellement, à la médiation.

§1. Les recours administratifs et le retrait


S’adresser à l’administration mal informée ou responsable d’une erreur,
c’est en quelque sorte le réflexe normal de celui qui s’estime victime
d’une décision qu’il juge erronée ; et si l’administration reconnaît son
erreur elle retirera sa décision et, éventuellement, lui en substituera une
autre conforme à la réalité des faits ou à la règle de droit : elle procédera
donc au retrait de sa décision.
Ce retrait est entouré d’un certain nombre de règles qui ont pour finalité
à la fois de protéger les droits du réclamant (66) ; le recours est encadré
dans certains délais, et, d’autre part, il ne doit pas en principe porter
atteinte à des droits acquis par les tiers. Le recours administratif permet
ainsi d’éviter le recours au juge et de donner satisfaction au réclamant tout
en donnant à l’administration la possibilité de corriger ses erreurs.

§2. L’arbitrage (67)
Pendant longtemps, l’arbitrage qui était admis entre les personnes
privées était interdit aux collectivités publiques par l’article 527-2° du

(66) M.A. Benabdallah, Le retrait de la décision de réussite à un examen universitaire, REMALD,


n° 18, 1997, p. 169.
(67) A. Ragala Ouazzani, L’arbitrabilité en droit public marocain, REMALD n° 54-55, 2004, p. 87 ;
M. Rousset, La nouvelle loi 08-05 sur l’arbitrage et les collectivités publiques, REMARC n° 10,
2010, p. 11 ; Th. Dal Farra, L’arbitrage international et les personnes publiques au Maroc,
REMARC, p. 59 ; A. Janati Idrissi, L’intervention du juge en amont et en aval de la sentence
arbitral, REMARC, n° 5-6, 2007, p. 35.

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112 Contentieux administratif marocain

dahir du 2 août 1913 ; cette interdiction avait même été maintenue lors de
la révision du code de procédure civile en 1974, dont l’article 306 excluait
de l’arbitrage « les questions intéressant l’ordre public et notamment les
litiges concernant des actes ou des biens soumis à un régime de droit
public ». Le recours à l’arbitrage n’était possible que pour résoudre des
litiges relatifs à des situations relevant du droit privé, c’est-à-dire de la
gestion privée des collectivités publiques. Cette position était critiquée par
ceux qui faisaient valoir que l’arbitrage pouvait être un excellent moyen
de résoudre les différents opposant l’administration à ses partenaires ou
ses usagers alors même que dans de nombreux pays, y compris au
Maghreb, se développait un mouvement en faveur des modes de règlement
alternatif des litiges. Il s’agissait en effet de répondre à la critique des
milieux d’affaires qui déploraient la lenteur de la justice, l’inadaptation
des juges à des questions souvent très techniques posées par les conflits,
et, parfois aussi, la fiabilité douteuse du fait du phénomène de corruption
parfois observé.
Ces diverses raisons ont sans aucun doute joué leur rôle dans la
préparation puis la promulgation de la loi n° 08-05 du 30 novembre 2007
sur l’arbitrage (B.O. 2007, p. 1369) qui substitue au texte ancien du C.P.C.
un nouveau chapitre VIII du titre V consacré à l’arbitrage et à la médiation
conventionnelle.
Anticipant cette réforme, l’article 9 de la loi du 14 février 2006 relative
à la délégation de service public avait prévu que les litiges survenant entre
le délégant et le délégataire pourraient être soumis à l’arbitrage interne ou
international alors même que la délégation est réalisée par une convention
de droit public.
Le nouvel article 310 du C.P.C. admet désormais le principe du recours
à l’arbitrage de la part des personnes publiques à l’exception des litiges
relatifs aux actes unilatéraux de l’Etat, des collectivités territoriales ou
autres organismes publics dotés de prérogatives de puissance publique.
Cette exclusion ne concerne cependant que les recours destinés à remettre
en cause ces décisions ; en revanche, l’arbitrage demeure possible pour
régler toutes les contestations pécuniaires soulevées par ces actes, sauf
celles concernant l’application de la loi fiscale. Ces exceptions visent à
protéger les fonctions régaliennes confiées aux autorités administratives ou
exercées pour leur compte par des personnes privées investies du pouvoir
d’agir en leur nom.

Publications de la REMALD, Collection « Manuels et Travaux universitaires », n° 118, 2018


La procédure administrative contentieuse 113

L’arbitrage consiste en un accord des partenaires qui décident de


confier à un arbitre le soin de trancher le litige qui les oppose. L’arbitrage
peut résulter soit d’une clause générale insérée dans un contrat prévoyant
que les litiges éventuels nés au cours de l’exécution du contrat seront
soumis à l’arbitrage, soit d’une convention spéciale portant sur un litige
déterminé. La signature de ces conventions doit naturellement respecter
« les dispositions relatives au contrôle ou à la tutelle prévues par la
législation ou la réglementation en vigueur sur les actes concernés ».
Les établissements publics administratifs ou industriels et commerciaux
peuvent conclure des compromis d’arbitrage dans les formes et conditions
déterminées par leur conseil d’administration ; mais les conventions
comportant une clause d’arbitrage doivent faire l’objet d’une délibération
spéciale du conseil d’administration. De même, les entreprises publiques
soumises au droit des sociétés commerciales peuvent conclure des
conventions d’arbitrage à la condition qu’elles soient conclues « dans les
formes et conditions déterminées par leur conseil d’administration ou de
surveillance ou leurs organes de gestion ».
Une question peut se poser concernant les contrats administratifs que
passent les collectivités publiques et dont on sait que l’administration
contractante dispose de prérogatives de puissance publique dans
l’exécution du contrat qui se traduisent par des actes unilatéraux, pouvoir
de modification unilatérale du contrat, pouvoir de résiliation ou pouvoir de
sanction.
La question que l’on peut se poser est de savoir si ces contrats pourraient
échapper à la mise en œuvre de clause d’arbitrage. Il appartiendra à la
jurisprudence de se prononcer sur ce point ; mais, d’ores et déjà, on peut
relever l’intérêt qu’il y aura à maintenir l’unité de traitement des litiges
soumis à l’arbitrage pour en faciliter le règlement.
Le législateur a réglementé de façon précise les conditions de
nomination des arbitres de façon à ce que la confiance placée en eux soit
inattaquable. La loi a également prévu les pouvoirs des arbitres ; ce sont
eux qui déterminent la procédure à suivre dans le respect des principes
posés par la loi et notamment le principe du contradictoire et les droits de
la défense.
La compétence des arbitres est protégée ; en effet les juges nationaux
doivent se déclarer incompétents si un recours est porté devant eux en

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114 Contentieux administratif marocain

contradiction avec une convention d’arbitrage. L’arbitre ou le tribunal


arbitral a un pouvoir d’instruction de l’affaire qui est portée devant lui.
A la demande des parties ils peuvent entendre des témoins, prendre des
mesures provisoires ou conservatoires s’ils l’estiment nécessaire ; le rôle
actif qu’ils peuvent jouer apparente cette procédure à la procédure
inquisitoire qui est utilisée devant les juridictions étatiques.
La sentence arbitrale doit toujours être motivée et dans tous les cas elle
a « la force de la chose jugée relativement à la contestation qu’elle tranche » ;
mais, s’agissant d’une sentence rendue à l’encontre d’une collectivité
publique, cette force n’est acquise qu’après que la sentence a obtenu une
ordonnance « d’exéquatur qui est rendue à la demande de la partie la plus
diligente par le président de la juridiction compétente ».
Cette ordonnance n’est susceptible d’aucun recours nonobstant les cas
limités prévus par la loi où il est possible de contester la sentence ; dans ce
cas ce recours emporte de plein droit recours contre l’ordonnance
d’exéquatur. Les cas limités de remise en cause de la sentence sont prévus
par la loi ; il s’agit par exemple de l’absence ou de la nullité de la convention
d’arbitrage, de l’irrégularité de la composition du tribunal arbitral, de la
violation d’une règle d’ordre public etc.
Si le magistrat saisi de la demande refuse de délivrer l’ordonnance
d’exéquatur, il doit motiver sa décision et celle-ci peut faire l’objet d’un
recours devant la cour d’appel ; cet appel doit être interjeté dans le délai
de quinze jours à compter de la notification du refus et ne peut être fondé
que sur les motifs limités prévus par la loi qui peuvent être invoqués
contre la sentence.
Si la cour d’appel annule la sentence, elle statue sur le fond de l’affaire
dans les limites de la convention d’arbitrage sauf évidemment en cas
d’absence de celle-ci ou de sa nullité.
En revanche, si elle valide la sentence elle doit ordonner son exécution
et sa décision est définitive sous réserve du recours en cassation.
Le législateur a en outre déterminé les règles spécifiques applicables à
l’arbitrage international qui est fréquemment utilisé sur la base de
conventions bilatérales ou multilatérales, notamment en matière
d’investissement. Le Maroc a souscrit une clause d’adhésion au Centre
International de Règlement des Différends (CIRDI).

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La procédure administrative contentieuse 115

§3. La médiation conventionnelle


Cette procédure a été intégrée dans le code procédure civile par la loi
n° 08-05 du 30 novembre 2007 sur l’arbitrage et les collectivités publiques.
L’intérêt de la médiation est de prévenir ou de régler les différends dans
des conditions de rapidité et de simplicité qui sont conformes à l’intérêt
des parties. Toutefois son champ d’application est plus limité dans la
mesure où l’article 327-56-2° renvoie aux dispositions du dahir du 12 août
1913 formant code des obligations et contrats dont l’article 1100 exclut
notamment de la transaction les questions d’ordre public, formule identique
à celle de l’ancien article 306 du C.P.C. dont on sait qu’il s’opposait à
l’arbitrage des personnes publiques avant la promulgation de la loi
n° 08-05.
Ainsi, la médiation ne serait possible qu’à propos de litiges survenus
dans le cadre de la gestion privée des activités des collectivités publiques.
La médiation lorsqu’elle est possible doit avoir été prévue par exemple par
une convention signée par les parties qui s’entendent pour la désignation du
médiateur chargé de faciliter la conclusion d’une transaction mettant fin au
litige né ou à naître ; si le litige est déjà né, il s’agira d’une convention
appelée compromis de médiation, et si elle est insérée dans un contrat
principal il s’agira d’une clause de médiation.
La convention doit naturellement être écrite. Elle doit prévoir les
modalités de désignation du médiateur et l’objet de la médiation si le litige
est né. La durée de la médiation ne peut excéder trois mois à compter de
l’acceptation de sa mission par le médiateur ; cette durée peut être prolongée
par accord des parties. Le médiateur dispose pour l’accomplissement de sa
mission de pouvoirs d’instruction prévus par la loi ; il peut entendre les
parties et confronter leurs points de vue ; avec l’accord des parties, il peut
aussi entendre les tiers si ceux-ci y consentent, faire effectuer toute expertise
de nature à éclairer le différend afin de proposer un projet de transaction ou
un compte-rendu de ses activités.
La médiation permet d’éviter le recours en justice et de limiter
l’encombrement des tribunaux ; elle permet par ailleurs d’aboutir à un
règlement amiable de nombreux litiges qui, soit par leur faible importance
ou par leur nature, ne justifient pas la saisine d’un juge sans que les parties
souhaitent pour autant les soumettre à l’arbitrage. Ce sont les parties qui
s’accordent sur les termes de la transaction préparée par le médiateur. A

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116 Contentieux administratif marocain

l’issue de celle-ci, le médiateur rédige un document qui contient les faits


constitutifs du litige, les modalités de son règlement, ses conclusions et ce
dont sont convenues les parties pour mettre un terme au litige.
Dès lors que cette transaction est acceptée par les parties elle a l’autorité
de la chose jugée ; et si les parties le souhaitent, elle peut être revêtue de la
mention d’exéquatur par décision du juge matériellement et territorialement
compétent compte tenu de l’objet de la médiation. Si les parties ne se sont
pas d’accord, le médiateur leur délivre un document de non-transaction.
En définitive, la médiation présente l’avantage de responsabiliser les
parties dans les relations qu’elles ont pu nouer entre elles, car ce sont elles
qui, avec l’aide du médiateur, participent à la recherche d’un accord
mettant fin à des relations conflictuelles. De cette façon la médiation peut
contribuer à l’amélioration des relations entre les personnes publiques et
leurs partenaires, notamment dans le cadre des relations contractuelles.
C’est pourquoi il faut souhaiter que ces modes de règlement alternatif des
litiges se développent et que les administrations acceptent de faire appel à
des pratiques et de se plier à des règles qui ont cours dans les relations
d’affaires qui excluent les privilèges auxquels sont habitués les personnes
publiques, plus enclines à utiliser le principe d’autorité que le recours à la
technique consensuelle.

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Deuxième partie
Le domaine du contentieux administratif
On sait que sous l’empire du système d’unité de juridiction et de
séparation des contentieux mis en place en 1913, la détermination du
domaine du contentieux administratif, c’est-à-dire de la matière
administrative, était nécessaire pour des raisons tant procédurales que
tenant au fond. En effet, d’une part, il y avait des règles de procédure
propres au recours en matière administrative ; et, d’autre part, le litige
soumis à la juridiction mettant en cause l’administration devait être tranché
sur la base de règles spéciales, autres que celles du droit privé, exorbitantes
du droit commun, les règles du droit administratif.
C’est pourquoi les juridictions qui se sont succédé depuis 1913 ont eu
recours à une méthode permettant de reconnaître la “matière administrative”
et de la distinguer de la “matière ordinaire”.
Cette méthode repose sur les critères du contentieux administratif. Ces
critères pouvaient théoriquement être un critère de compétence. On a en
effet observé que l’organisation judiciaire de 1913 comportait des
tribunaux de première instance exclusivement compétents en matière
administrative, mais aussi des tribunaux de paix. Ces derniers se
partageaient la matière ordinaire avec les tribunaux de première instance,
de telle sorte que le critère permettant de distinguer matière administrative
et matière ordinaire jouait aussi le rôle de critère de compétence si l’affaire
relevait de la matière ordinaire entendu que, dans ce cas, elle pouvait aller
soit au juge de paix, soit aux tribunaux de première instance (68).
La même remarque pouvait être faite à propos des tribunaux de première
instance issus de la réforme de 1974. L’article 18 du code de procédure
civile indique que le tribunal de première instance n’est compétent que sous
réserve des compétences spéciales attribuées aux juges communaux. Mais,
en pratique, ces juges n’ont eu aucune compétence à l’égard des collectivités
publiques et des litiges que celles-ci pourraient avoir dans les conditions du
droit commun. Il en est de même aujourd’hui en ce qui concerne les

(68) O. Renard-Payen, L’Expérience marocaine d’unité de juridiction et de séparation des


contentieux, L.G.D.J. 1964, p. 36.
120 Contentieux administratif marocain

juridictions de proximité créées en 2011. Le critère de la matière


administrative ne s’est donc jamais présenté comme un critère de
compétence pour départager ces juridictions.
En revanche, avec la création des tribunaux administratifs, le rôle du
critère de la matière administrative a changé. La logique d’une juridiction
administrative a pour conséquence que le critère de la matière
administrative doit permettre de déterminer le juge compétent pour
appliquer le droit administratif.
Et, c’est bien ce qui résulte des dispositions de la loi n° 41-90 qui
définissent la compétence des nouvelles juridictions.
L’article 8 de la loi décide que les tribunaux administratifs statuent à
charge d’appel devant la Cour suprême et aujourd’hui devant les cours
d’appel administratives sur :
– les recours en annulation pour excès de pouvoir dirigés contre les
décisions des autorités administratives ;
–  les recours relatifs aux contrats administratifs ;
– les actions en réparation des dommages causés par les actes et les
activités des personnes publiques.
On peut remarquer que le législateur n’a pas retenu la proposition
consistant à dire que le tribunal administratif était compétent de plein droit
pour statuer sur les recours en matière administrative. Une telle référence
aurait clairement indiqué qu’il convenait d’utiliser un critère matériel pour
identifier ces recours. Mais aujourd’hui l’article 118-2° de la Constitution
semble bien imposer le recours à ce critère matériel lorsqu’il est dit que
« tout acte règlementaire ou individuel pris en matière administrative peut
faire l’objet d’un recours devant la juridiction administrative compétente ».
Mais la formule qu’il utilise est doublement maladroite.
D’abord, comme nous l’avons vu, parce qu’elle définit la compétence
de ces juridictions par une énumération par nature limitative.
Ensuite, et surtout, parce que les termes utilisés se rattachent soit au
critère organique : autorité administrative, personnes publiques ; soit au
critère matériel : contrat administratif.
Ainsi, l’identification de la matière administrative qui relève désormais
de la compétence des tribunaux administratifs, passe par l’identification

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Le domaine du contentieux administratif 121

des autorités administratives et des personnes publiques, mais aussi par la


détermination de ce qu’est un contrat administratif.
Le recours au critère organique n’est pas aussi simple que cela puisse
paraître. Que l’on songe par exemple à la distinction de l’autorité
juridictionnelle et de l’autorité administrative ! En outre, les personnes
publiques utilisent souvent le droit privé, et, de plus en plus fréquemment,
les personnes privées collaboratrices de l’administration accomplissent
pour son compte des missions de service public et mettent en œuvre des
prérogatives de puissance publique. Le recours au critère organique ne
permet donc pas de régler ces différents problèmes.
Il en est de même en ce qui concerne les contrats passés par
l’administration qui peuvent être soit des contrats privés, soit des contrats
administratifs. L’identification de la personne publique signataire ne
permet nullement d’affirmer la compétence du tribunal administratif.
Ainsi, la détermination de la compétence du juge, donc du domaine du
contentieux administratif, est plus importante et nécessaire que jamais,
mais toujours délicate.
Si l’on doit réserver au juge administratif l’application du droit
administratif aux litiges relevant de la matière administrative, ce qui
semble aller de soi à partir du moment où, rompant avec l’unité de
juridiction, l’on crée une juridiction administrative, il faut utiliser le
double critère de compétence : organique et matériel qui ne sont d’ailleurs
pas d’un maniement aisé. Mais telle est la logique d’un système de
spécialisation du juge ; nul ne pourrait en effet comprendre que le juge
administratif puisse appliquer autant le droit administratif que le droit
privé à partir du moment où l’on a abandonné le système d’unité de
juridiction et de séparation des contentieux caractérisé précisément par le
fait que le même juge appliquait l’un et l’autre droit.
A la faveur de ces précisions, on examinera dans un premier chapitre le
problème du critère de compétence, puis, dans un second, le critère du
service public pour enfin voir les exceptions qui grèvent l’application de
celui-ci.

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Chapitre I
Le problème du critère de compétence

La recherche du critère de la matière administrative a évolué entre


l’utilisation du critère organique : détermination de l’autorité, de la
personne à l’origine du litige, et le recours au critère matériel, impliquant
une analyse des situations en cause, opérations matérielles ou actes
juridiques à l’origine du litige.

Section I
Le critère organique (69)
C’est le critère qui paraît le plus simple puisqu’il suffit de savoir à qui
l’on a affaire pour déterminer la compétence. Si l’acte ou l’opération ou
l’activité cause du litige est sous le contrôle d’une personne publique, la
compétence est administrative.
Seulement, le mérite de simplicité de ce critère est plus apparent que
réel ; il n’a en tout cas pas été retenu par les juridictions de 1913 qui ont
privilégié le critère matériel, malgré la formule utilisée par l’article 8 du
D.O.J.
Cette attitude durera jusqu’en 1966, date à laquelle la Cour suprême
s’est, pour partie au moins, orientée vers l’utilisation du critère organique
avec l’arrêt Abassi Abdelaziz.

§1. Le rejet du critère organique (1913-1966)


Les termes de l’article 8 du D.O.J. incitaient le juge à avoir recours au
critère organique ; il confie aux juridictions de 1913 la connaissance des

(69) M. Rousset, Incidence du critère organique sur le contentieux administratif, R.J.P.E.M.


n° 10, p. 39.
124 Contentieux administratif marocain

litiges se rattachant à l’exécution des marchés conclus par les administrations,


aux travaux qu’elles ont ordonnés et à tous actes de leur part ayant causé
préjudice.
En fait, les juges se sont orientés vers le critère matériel pour une
raison qui tient au fait que, pour la plupart, ils sont de nationalité française,
ont servi dans des juridictions métropolitaines et ont naturellement reçu
une formation juridique liée au système juridictionnel en vigueur. Ils
n’ignorent pas que l’administration est soumise à un régime juridique
spécial, que ce régime ne concerne pas toutes les activités et tous les actes
de l’administration mais seulement celles et ceux qui se rattachent au
service public et sont organisés dans le cadre d’un régime juridique de
droit administratif.
C’est pourquoi, après, il est vrai, quelques hésitations, la jurisprudence
s’oriente définitivement vers le critère matériel.
La Cour d’appel de Rabat, dans un arrêt du 10 novembre 1936 (70),
affirme: « La distinction à établir entre les instances de nature différente
pour le partage des compétences entre les juridictions suivant les prévisions
du dahir formant code de procédure civile doit se faire en considération
des litiges qui seraient en France justiciables des juridictions administratives
ou des tribunaux de l’ordre judiciaire ».
Les juridictions feront ainsi application du critère matériel, que ce soit
en matière de contrat, de domanialité ou d’actes unilatéraux.
La considération de l’existence d’une personne publique joue certes un
rôle, mais seulement comme présomption que l’on est bien en matière
administrative. C’est cette méthode, utilisant de façon combinée critère
organique et critère matériel, qui se maintiendra intégralement jusqu’en
1966.

§2. L’adoption partielle du critère organique comme critère exclusif


C’est l’arrêt Abassi Abdelaziz du 25 novembre 1966 (71) qui inaugure
cette évolution de la jurisprudence. La Cour suprême déclare recevable un
recours en annulation pour excès de pouvoir contre une décision de résiliation

(70) RACAR, 1936, p. 17.


(71) Jurisprudence de la Cour suprême n° 2, 1968, p. 102, en langue arabe.

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Le problème du critère de compétence 125

d’un contrat d’engagement d’un agent temporaire de l’administration soumis


au droit privé.
La haute juridiction affirme que la décision émane d’une autorité
administrative et qu’elle est donc compétente pour en connaître
indépendamment du point de savoir si le contrat relève du droit privé ou
du droit administratif, car le dahir de 1957, qui ouvre ce recours contre les
décisions des autorités administratives, n’a pas fait de distinction de cet
ordre.
Par la suite, la Cour suprême a appliqué le même raisonnement à des
décisions émanant de directeurs d’établissements publics, industriels et
commerciaux fonctionnant normalement dans les conditions du droit
commun : B.R.P.M. et O.C.E. Il s’agit des décisions du 26 janvier 1977,
Badaoui c/ ministre du Commerce et de l’Industrie et du 6 mai 1977,
El Moumi Sadek (72).
Elle a par ailleurs confirmé cette position dans un arrêt du 1er mars
1990, Jamila Sadiki c/ B.R.P.M. ; entre temps, elle avait décidé, dans un
arrêt du 30 mai 1985, que le directeur de la R.A.T.C. est une autorité
administrative et que ses décisions, prises dans le cadre de sa gestion du
service public (révocation), sont des actes administratifs susceptibles de
recours.
Cette décision assimile donc acte administratif et acte d’une autorité
administrative ; ce qui porte à se poser la question à quoi sert, dans ces
conditions, la référence à la notion de service public industriel et
commercial.
Par ailleurs, la Cour semble être allée plus loin en accueillant en
matière administrative un recours en indemnité dirigé contre l’O.N.C.F.
par un tiers victime d’un accident alors que l’O.N.C.F. est sans doute une
personne publique, mais qui gère un service public industriel et commercial
normalement soumis au droit privé (73).
On peut observer que le législateur algérien a été beaucoup plus
rigoureux en posant le principe du recours au critère organique dans

(72) R.J.P.E.M. 1978, n° 4, p. 273.


(73) C.S.A., 13 avril 1977, O.N.C.F. c/ Kebira bent Mohamed, R.J.P.E.M. n° 5, 1979, p. 173, en
langue arabe.

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126 Contentieux administratif marocain

l’article 7 du Code de procédure civile du 8 juin 1966, mais uniquement


pour les établissements publics à caractère administratif : « Les cours
connaissent en premier ressort, et à charge d’appel devant la Cour suprême,
de toutes les affaires quelle que soit leur nature où est partie l’Etat, la
wilaya, la commune ou un établissement public à caractère administratif. »
Le recours au critère organique en ce qui concerne le règlement des
problèmes relatifs au personnel est une chose heureuse car cela simplifie
la tâche du requérant ; au demeurant, les règles à appliquer sont souvent
voisines chaque fois que les personnels de droit privé sont soumis à des
règlements dont le contenu est proche des règles applicables aux agents de
droit public.
Mais la question qui se pose désormais est sensiblement différente si
l’on admet que la création des juridictions administratives implique que
leur compétence s’arrête là où s’applique le droit privé, et inversement.
Et c’est bien cette question que le tribunal administratif de Rabat avait
tranchée dans un sens différent de la solution antérieure. Le tribunal se
déclare compétent pour statuer sur la décision de mutation prise par le
directeur général de la Caisse nationale de crédit agricole à l’encontre de
la requérante, parce qu’il estime que ce dernier “est une autorité
administrative” ; mais en revanche, il refuse de statuer sur la décision de
licenciement prise par ce même directeur général à l’encontre de la
requérante pour sanctionner le refus de cette dernière de rejoindre le poste
dans lequel elle estimait avoir été illégalement nommée ; le tribunal fonde
son refus sur le recours parallèle dont dispose la requérante devant le
tribunal ordinaire « pour réclamer ses droits dans le cadre du contentieux
du travail »  (74).
Il est souhaitable que la Cour suprême tranche cette question dont la
solution devrait être guidée par le souci de maintenir l’unité de traitement
de litiges qui donnent à juger des questions de même nature, solution qui
serait favorable à ce que l’on appelle communément “une bonne
administration de la justice”.
Or, dès lors qu’il n’y a pas coïncidence entre personnes publiques et
droit administratif, le critère organique est inopérant.

(74) T.A., Rabat, 19 mars 1998, Dahani, REMALD, n° 24, 1998, p. 139, note M.A. Benabdallah et
p. 147, note M. Antari.

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Le problème du critère de compétence 127

Il faut bien comprendre que le maintien du critère organique utilisé à


titre exclusif, même de façon limitée au contentieux de l’excès de pouvoir,
aboutit à une double contradiction :
– permettre au juge administratif de connaître des litiges relevant du
droit privé ;
– interdire au juge administratif de connaître des litiges se rattachant
au service public et mettant en cause des prérogatives de puissance
publique confiées à des personnes privées (75).
Il faudra donc choisir clairement la voie à emprunter afin d’éclairer les
juges, les requérants et leurs conseils.
C’est ce que la Cour suprême semble avoir parfaitement compris dans
une décision rendue en 1991 par laquelle elle a accueilli un recours en
annulation dirigé contre une décision de sanction prise contre un arbitre
par la Fédération royale marocaine de foot-ball, association de droit privé,
délégataire d’une mission de service public et des prérogatives de
puissance publique nécessaires pour son accomplissement (76).
En revanche, si les actes de l’organisme privé ne se rattachent pas à la
mission de service public qui lui a été confiée et ne concernent que ses
intérêts purement privés (acquisition de locaux, organisation de réception,
voyages des responsables, des personnels ou des membres de l’association
à titre personnel, etc.) les litiges auxquels peuvent donner lieu ces actes ou
opérations sont de nature privée. C’est dans ce sens que la Cour suprême
s’est prononcée dans un arrêt concernant également le sport (77).

(75) M. Rousset, Les incidences du critère organique sur le traitement du contentieux administratif,
R.J.P.E.M. 1981, p. 39.
(76) C.S.A., 31 octobre 1991, Saâd Ben Haj Saigh c/ Fédération royale marocaine de foot-ball, note
M. Rousset, Du critère de la matière administrative au critère de compétence des tribunaux
administratifs, R.J.P.E.M. n° 25, 1991, p. 101.
(77) CSA, 5 janvier 1996, Ligue sud de Football c/ Mouloudia club de Marrakech et consorts,
REMALD, n° 25, 1998, p. 129, note M. Rousset.

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128 Contentieux administratif marocain

Section II
Le critère matériel
Recourir au critère matériel pour déterminer la nature d’une affaire
portée devant le juge consiste à analyser son contenu, les caractères de la
décision ou de l’activité qui a donné naissance au litige.
Le juge, dès lors qu’il refuse d’utiliser de façon exclusive le critère
organique, fait naturellement appel à ce critère matériel à l’instar de ce
qu’a fait, dans le passé, le juge administratif français dont il n’est pas
inutile de rappeler brièvement la démarche avant d’exposer ce qu’est la
jurisprudence marocaine à cet égard.

§1. R
 appel de la jurisprudence française relative au critère
matériel
Ce rappel est utile dans la mesure où il montre comment l’on est passé
d’une conception de la compétence du juge administratif conçue comme
privilège de juridiction à la conception moderne qui fait découler la
compétence du juge administratif de la spécificité du litige, donc du droit
applicable ; ce qui conduit, par voie de conséquence, à la spécialisation du
juge.
Au lendemain de l’adoption de la loi d’organisation judiciaire de 1790
qui pose le principe de séparation des autorités judiciaires et
administratives, c’est le critère organique qui fut utilisé pour distinguer les
litiges relevant du juge de droit commun et ceux dont il lui était interdit de
connaître.
Tout acte et toute activité relevant d’une personne publique échappaient
ainsi à la compétence des tribunaux judiciaires.
Cette application stricte du critère organique devait conduire à des
conséquences qui choquaient les juristes de l’époque ; ainsi, le procureur
général près la Cour de cassation s’étonnait de ces « conceptions bizarres
qui font que des actes quelconques, des contrats ordinaires, des baux,
échappent désormais à la connaissance du juge judiciaire et soient
considérés comme des actes d’administration ».

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Le problème du critère de compétence 129

La jurisprudence et la doctrine vont alors s’orienter vers la recherche


d’un critère rationnel permettant de justifier la compétence du juge
administratif. Cette démarche se fera en deux temps.

A. Le recours à la distinction actes d’autorité – actes de gestion


Dès lors que la puissance publique est impliquée dans une opération
parce qu’elle utilise son pouvoir de commandement, qu’elle émet donc des
actes d’autorité, elle échappe à la compétence du juge judiciaire ; c’est le
droit administratif qui s’applique et c’est le juge administratif qui est donc
compétent (78).
En revanche, si l’administration gère ses biens, si elle passe des contrats,
elle effectue des actes de gestion comme n’importe quel propriétaire,
n’importe quelle personne privée et, dans ce cas, elle est soumise au droit
des particuliers et relève de la compétence du juge judiciaire.
Très brièvement, on dira que ne correspondant pas à la réalité matérielle
et juridique, cette conception n’a pas échappé à la critique. L’administration
doit en effet faire fonctionner les services publics soit en utilisant le pouvoir
de commandement pur et simple, soit en utilisant des procédés contractuels,
mais dans des conditions qui ne peuvent être celles qui prévalent entre les
personnes privées, car la finalité du procédé contractuel, c’est le
fonctionnement du service public. On va donc abandonner cette distinction
dans la deuxième moitié du XIXe siècle au profit du critère du service public.

B. Le critère du service public


C’est un critère matériel car le service est une activité d’intérêt général
soumise à un régime juridique spécial qui est le droit administratif. A
l’origine, il y avait une coïncidence presque absolue entre l’activité
d’intérêt général et l’existence d’une personne publique qui en assurait la
responsabilité ; c’est pourquoi la présence d’une personne publique
constituait une présomption quasi absolue de l’existence d’un service
public qui, à l’époque, est en principe soumis au droit administratif.

(78) Dans son traité, Edouard Laferrière écrivait, « D’après une doctrine universellement admise,
les actes prévus par les lois de 1790 et de l’an III sont seulement les actes et les opérations qui se
rattachent à l’exercice de la puissance publique », Traité de la juridiction administrative et des
recours contentieux, Berger-Levrault, 1896, 2e édition, p. 477.

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130 Contentieux administratif marocain

A partir du célèbre arrêt Blanco du 8 février 1873 (79), la jurisprudence


va utiliser le rattachement au service public comme critère de la
compétence, aussi bien en ce qui concerne les actes unilatéraux que les
contrats ou la responsabilité.
Mais c’est un critère qui va évoluer pour tenir compte de l’extension
des services publics industriels et commerciaux et la multiplication des cas
où les personnes publiques font appel à des procédés de droit privé pour la
gestion du service public ainsi qu’à des personnes de droit privé.

C. Le critère gestion publique – gestion privée


C’est le critère actuel. Pour retenir sa compétence, le juge administratif
exige qu’une double condition soit satisfaite :
–  il faut que le litige se rattache à une activité de service public ;
–  il faut également que la gestion de cette activité implique le recours
à des procédés juridiques relevant du droit administratif tels les
prérogatives de puissance publique, le régime juridique imprégné de droit
public, etc.

§2. Le recours au critère matériel par le juge marocain


Les juridictions de 1913 ont sans doute manifesté quelques hésitations
dans l’interprétation qu’elles devaient donner des articles 8 du D.O.J. et 17
du D.P.C. de 1913 ; l’application du critère organique aurait en effet pu
être la solution de facilité pour la mise en œuvre de la séparation des
contentieux.
Mais ces juges ne pouvaient ignorer déjà que l’action administrative ne
coïncidait pas toujours avec l’application du droit administratif. Cette
distorsion va d’ailleurs s’accentuer entre les deux guerres du fait que
l’administration est de plus en plus interventionniste et qu’elle agit de plus
en plus fréquemment dans le domaine des activités industrielles et
commerciales en faisant normalement appel au droit privé.

(79) Il faut dire que les prémices de cet arrêt sont apparues dans un arrêt plus ancien et très peu cité
(C.E. 6 décembre 1855, Rotschild) dans lequel le juge, tout en adoptant le critère de l’Etat débiteur,
s’appuyait déjà sur les principes qui, plus tard furent consacrés, dans la jurisprudence Blanco.

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Le problème du critère de compétence 131

Le juge va donc se livrer à une analyse du contenu des actes de


l’administration, de la nature de ses activités, des particularités des
opérations qu’elle conduit, pour décider s’il se trouve en matière
administrative ou en matière ordinaire.
C’est, par exemple, ce que fait, par un jugement du 10 janvier 1927, le
tribunal de Casablanca à propos d’un litige mettant en cause un bien
relevant du domaine privé de l’Etat, par lequel il exclut les opérations de
gestion des biens du domaine privé de la matière administrative.
De même, à propos d’un contrat, le juge recherche s’il comporte des
clauses exorbitantes du droit commun (pouvoir de commandement,
contrôle de l’exécution, etc.) : C.A. Rabat, 9 janvier 1945 (G.T.M., 1945,
p. 48).
A cet égard, la décision de la Cour d’Appel de Rabat est particulièrement
significative : « Attendu que le caractère civil ou administratif d’une
instance ne dépend pas seulement de la qualité des parties en cause, mais
avant tout de la cause et de l’objet de la demande… »
Il faut que la cause de la demande trouve son origine dans une activité
propre à l’administration, c’est-à-dire une activité de service public, pour
que l’on se trouve en matière administrative. Cette solution qui s’impose
dans la jurisprudence des tribunaux de 1913 va être conservée par les
juridictions modernes qui succèdent, en 1957, aux tribunaux français :
c’est le critère du service public.

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Chapitre II
Le critère du service public

On sait que la justification du droit administratif se trouve dans l’idée


que les règles spécifiques qu’il contient sont indispensables pour assurer,
en toutes circonstances, le bon fonctionnement des services publics.
La mission de service public, c’est la défense de l’intérêt général. Dès
lors que l’intérêt général est en cause, l’administration doit être en mesure
d’y pourvoir avec des moyens juridiques appropriés.
Le juge doit donc, lorsqu’il est saisi d’un litige, se poser la question de
savoir si celui-ci se rattache à une activité de service public ; mais cette
question, en raison des transformations qu’a connues la notion de service
public, n’est plus aussi simple qu’elle pouvait l’être au début du protectorat
Qu’est ce qu’un service public ?
Est-ce que le rattachement à un service public est une condition
suffisante pour entraîner la compétence du juge ?

1. Rappel de la définition du service public


Aujourd’hui, on admet une conception extensive de l’intérêt général et
donc de l’activité qui peut être érigée en service public. La notion d’intérêt
général est en effet une notion relative qui dépend de nombreux facteurs
propres à chaque société et à chaque époque.
Par ailleurs, même en admettant cette conception extensive de l’intérêt
général et de l’activité de service public, il y a naturellement un grand
nombre d’activités prises en charge par les collectivités publiques qui ne
peuvent pas être considérées comme activités de service public ; ce sont
par exemple les nombreuses activités purement économiques que l’Etat
entreprend et assure dans le cadre de la direction du développement.
134 Contentieux administratif marocain

Le professeur André de Laubadère avait tenté de donner une définition


de l’activité de service public qui permettait de distinguer les activités de
service public des activités économique prises en charge par les
collectivités publiques.
Pour l’auteur, il n’y a service public que si l’activité tend directement à
assurer la satisfaction d’un besoin essentiel de la collectivité. Mais même
ainsi circonscrit, le champ ouvert à l’activité de service public demeure
très vaste et très diversifié.

2. L
 e rattachement au service public est-il suffisant pour entraîner
l’application du droit administratif ?
On sait aujourd’hui que la réponse est négative ; l’administration peut
en effet utiliser, dans la gestion du service public, des procédés de droit
public, mais ce n’est pas la règle générale ; dès lors que ceux-ci ne lui
paraissent pas nécessaires, elle peut se placer dans les conditions du droit
privé, et ce sera fréquemment le cas lorsqu’il lui est nécessaire de procéder
à l’acquisition de biens ou de services. On dit qu’elle fait appel aux
procédés de la gestion privée du service public.
Bien mieux, la gestion privée peut aussi être utilisée de façon
systématique chaque fois que l’activité gérée revêt un caractère industriel
et commercial ; le régime juridique normal du service public industriel et
commercial c’est précisément le droit privé, notamment le droit commercial.
On constate ainsi que le rattachement au service public d’un litige joue
comme une condition nécessaire pour que l’on soit en matière
administrative, mais que cela n’est pas suffisant ; il faut aussi que
l’administration utilise un procédé du droit administratif, un procédé de
gestion publique.
Ceci revient à dire que la distinction matière administrative – matière
ordinaire passe par le recours au critère gestion publique – gestion privée
qui est un critère matériel.
En outre, avec le développement de l’interventionnisme, il arrive très
fréquemment que l’administration qui cherche à contrôler une activité se
borne à poser des règles et charge un organisme privé, souvent professionnel,
du soin d’en assurer le respect ; parfois elle confie à l’organisme privé la

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Le critère du service public 135

gestion même de l’activité dans des conditions qu’elle détermine. Dans ces
différents cas, les acteurs sont certes des personnes privées, mais l’activité
est organisée par l’administration et constitue une activité de service public
gérée parfois selon des procédés de gestion publique. On comprend ainsi
que la détermination du domaine du contentieux administratif pose problème
en cas de gestion privée du service public (section I) ou bien encore lorsque
la gestion du service public est assurée par des personnes privées (section II).

Section I
La gestion privée du service public
La gestion privée du service public peut être un procédé occasionnel
ou bien, au contraire, un procédé normal.

§1. Le recours occasionnel à la gestion privée


Les services publics administratifs sont normalement gérés dans le
cadre du droit administratif, c’est-à-dire par l’utilisation de procédés de
gestion publique : les autorités responsables prennent des décisions
unilatérales ; passent des contrats administratifs ; les biens affectés au
service public sont soumis à la domanialité publique, et les personnels
qu’elles emploient sont soumis à un statut de droit public.
Cependant, il leur est toujours permis de se placer dans les conditions
du droit privé pour recruter un personnel temporaire, acquérir des biens
d’usage courant dans les conditions du droit commercial, de louer des
locaux sous l’empire du droit privé, etc.
En France, cette gestion, occasionnelle a fait son apparition dans la
jurisprudence avec le fameux arrêt Société des granits porphyroïdes des
Vosges du 31 juillet 1912 (G.A.J.A., 12e éd. p. 154).
Au Maroc, les arrêts Mamour Belgacem et Ahmed Cherkaoui du
30 avril 1959 (Recueil des arrêts de la C.S.) consacrent cette possibilité en
ce qui concerne le recrutement de personnel.
Les collectivités publiques possèdent, par ailleurs, des biens qui sont
soumis au droit privé dès lors qu’ils ne sont pas exclusivement adaptés au
service public ou affectés à l’usage direct du public.

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136 Contentieux administratif marocain

§2. Le recours habituel à la gestion privée


Il s’agit d’un mode normal de gestion du service public qui concerne
les activités industrielles et commerciales.
Ces services publics industriels et commerciaux se sont beaucoup
développés dans le domaine des grandes activités économiques d’intérêt
général telles que les télécommunications, la fourniture de l’eau, de
l’électricité, les transports de toutes natures, etc.
Les organismes chargés de la gestion de ces activités sont plus proches
du commerçant ou de l’industriel que de l’administrateur. C’est pourquoi
en Algérie, le Code de procédure civile de 1966 a créé un bloc de
compétence judiciaire en faisant échapper les établissements publics
industriels et commerciaux à la compétence du juge statuant en matière
administrative.
Ces activités sont en quelque sorte par nature placées sous un régime
de droit privé.
Ce régime est normal car le service public industriel et commercial se
livre à des opérations d’achat et de vente, de transformation, de prestation
de services mis ainsi à la disposition des usagers. Le service est ainsi le
plus souvent organisé comme une entreprise privée.
C’est en principe l’ensemble du service public qui échappe au droit
administratif, qu’il s’agisse des rapports du service avec ses fournisseurs,
avec ses personnels ou ses usagers ; il en est de même, normalement, des
rapports du S.P.I.C. avec les tiers.
Toutefois, l’application du droit public n’est pas totalement exclue. En
principe, l’organisation du service est déterminée par des actes
réglementaires émanant de la personne publique qui a la responsabilité de
l’activité, soit de l’autorité de tutelle. Ce sont ainsi des décrets ou arrêtés
ministériels qui déterminent ces règles, ou bien des délibérations du
conseil communal et des arrêtés du président pour la commune.
Il ne faut pas oublier non plus le fait que l’on est en présence de
services publics qui, comme tout service public, sont soumis aux grands
principes de continuité, d’égalité et d’adaptation du service public.
On ajoutera enfin deux exceptions relatives à la situation du personnel
de direction et à la responsabilité à l’égard des tiers. S’agissant du

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Le critère du service public 137

personnel de direction, la Cour suprême a expressément décidé que « le


directeur général nommé par dahir et ayant pour mission d’assurer
l’exécution de l’ensemble des décisions prises par le conseil
d’administration, a la qualité d’agent public » (80).
A la fin des années soixante-dix, la Haute juridiction a appliqué l’article
79 du DOC relatif à la responsabilité des collectivités publiques dans un
litige opposant un tiers, victime d’un accident causé par le service public
des chemins de fer (81). Il est vrai que la formule utilisée par la Cour n’est
pas dépourvue d’ambiguïté car elle déclare que l’O.N.C.F. « est un service
public » et qu’il relève donc de l’article 79 du DOC et non de l’article 88.
Il est certain en tout cas que cette solution va à l’encontre de ce qui peut
paraître souhaitable : le maintien de l’unité du régime juridique applicable
au S.P.I.C.

Section II
La gestion du service public par des personnes privées
La gestion du service public par des personnes privées est peu
développée au Maroc en dehors de la concession, mais elle a connu un
large développement en France, notamment dans le domaine de
l’intervention économique de l’Etat, puis dans celui de l’organisation
professionnelle ainsi que dans le domaine des activités socio-culturelles et
sportives. Actuellement, il semble que les pouvoirs publics marocains y
aient plus fréquemment recours que par le passé.

§1. L’appel aux personnes privées en France


L’arrêt inaugural en ce domaine remonte au 13 mai 1938 : Caisse
primaire Aide et protection qui consacre l’existence d’un service public
géré par un organisme privé (G.A.J.A., 13e éd., Dalloz, p. 335).
Par la suite, cette situation va connaître un grand développement avec
des arrêts célèbres tels :

(80) C.S.A., 14 janvier 1963, Bougibar, R. 93.


(81) C.S.A., 13 avril 1977, O.N.C.F. c/ Kbira Bent Kacem, R.J.P.E.M., 1979, p. 173.

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138 Contentieux administratif marocain

– C.E., 31 juillet 1942, Montpeurt ; à propos des comités d’organisation


chargés d’assurer l’approvisionnement des secteurs d’activité
industrielle pendant la dernière guerre : G.A.J.A. 13e éd., Dalloz,
p. 341.
– C.E., 2 avril 1943, Bouguen ; s’agissant des ordres professionnels
(ordre des médecins) ; G.A.J.A. 13e éd., Dalloz, p. 357.
– C.E., 13 janvier 1961, Magnier ; lutte contre les parasites des plantes,
confiée aux agriculteurs ;
– C .E., 22 novembre 1974, Fédération française des industries
d’articles de sport ; à propos des organismes chargés d’organiser les
compétitions sportives ;
– C.E., 22 avril 1974, Blanchet ; à propos des organismes de sécurité
sociale, etc.

§2. L’appel aux personnes privées au Maroc


Au Maroc l’appel aux organismes privés pour assurer la gestion d’une
mission de service public est plus limité, mais il tend à se développer
notamment avec la privatisation en 2005 d’organismes antérieurement
créés sous forme d’établissements publics, par exemple l’Office National
des Chemins de Fer devenu Société Nationale des Chemins de Fer ou
l’Office National des Transports devenu Société Nationale des Transports
et de la Logistiques,ou bien enfin l’Office de Développement des Ports qui
a donné naissance à deux nouveaux organismes, l’Agence Nationale des
Ports,organe de régulation et la Société d’Exploitation des Ports.
Du temps du protectorat, le recours aux associations professionnelles
avait été utilisé dans le domaine agricole avec les associations syndicales
agricoles ; toutefois ces “associations”, malgré leur nom, étaient des
établissements publics.
L’Etat encourageait les agriculteurs à se grouper pour assurer des
travaux favorables à la mise en valeur agricole.
On a vu par la suite apparaître les personnes privées dans le domaine
social avec la Caisse d’aide sociale qui préexistait à la création de la
C.N.S.S. en 1959 : C.S.A. SARL United Exporters, 1er juillet 1958, R. 25 ;
cette décision, interprétée a contrario, signifie que les décisions de la
Caisse d’aide sociale, organisme privé, auraient pu faire l’objet d’un

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Le critère du service public 139

recours en annulation pour excès de pouvoir si elles avaient été prises


après l’entrée en vigueur du dahir du 27 septembre 1957 créant la Cour
suprême et le recours en annulation pour excès de pourvoir.
Ce sont donc des décisions émanant d’un organisme privé mais prises
dans le cadre d’une mission de service public social.
Aujourd’hui, il faut mentionner les ordres professionnels qui ont reçu
de la puissance publique le droit de prendre certaines décisions ou de
participer à l’élaboration de décisions telles la réglementation de l’exercice
de la profession, l’accès à la profession, le respect des règles qui la
commandent, etc.
On rencontre également des organismes privés dans le domaine de
l’intervention économique et financière.
Par exemple, l’association professionnelle des sociétés de bourse, créée
par le dahir portant loi du 21 septembre 1993 (B.O. 1993, p. 513), chargée
de veiller au respect de la réglementation professionnelle ; il en est de
même dans le domaine du crédit, pour l’association professionnelle des
sociétés de financement et du groupement professionnel des banques,
organismes nés de la réforme du crédit opérée par le dahir portant loi du 6
juillet 1993 (B.O. 1993, p. 333) qui doivent veiller au respect de la
réglementation du crédit et qui constituent les intermédiaires obligés entre
les professionnels et les pouvoirs publics ; citons encore la Fédération
nationale de la minoterie qui succède à l’Association professionnelle de la
meunerie en vertu du dahir du 22 février 1995 promulguant la loi 12-92
relative à l’OCICL ; la Fédération groupe des associations professionnelles
régionales ; elle est chargée de contrôler le respect de la réglementation
professionnelle sur le plan administratif, technique et financier dans le
cadre de la délégation de pouvoir que peut lui donner l’Office (B.O. 1995,
p. 387).
Il faut aussi mentionner les associations des usagers des eaux agricoles
créées par la loi du 21 décembre 1990 (B.O. 1990, p. 30), les associations
créées par la loi sur le sport et l’éducation physique et sportive du 19 mai
1989 (B.O. 1989, p. 198) ; ces associations agréées sont chargées d’une
mission de service public, et le législateur leur donne le pouvoir de prendre
les mesures nécessaires à l’exécution de leur mission. C’est ce qu’admet, à
juste titre, la Cour suprême dans l’arrêt du 30 octobre 1991 n° 310, Saâd
Ben Haj Saigh c/ Fédération royale marocaine de foot-ball (précité).

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140 Contentieux administratif marocain

Les pouvoirs publics semblent également faire de plus en plus


volontiers appel à des entreprises privées pour assurer des missions de
service public de caractère technique.
Ceci se manifeste naturellement dans le cadre de la concession pour la
construction et la gestion des autoroutes, les transports en commun urbains
ou, plus récemment, la distribution de l’eau, de l’électricité et
l’assainissement dans les villes de Rabat et Casablanca.
Mais le recours aux organismes privés est expressément prévu
également par le législateur dans l’article 5 de la loi du 28 décembre 1984
(B.O. 1985, p. 36) relatif à la création de l’Office d’exploitation des ports
ainsi que dans l’article 2 du décret d’application (1er avril 1985, p. 189)
aux termes desquels : « L’Etat peut confier la gestion de certains services
(confiés à l’Office) à des organismes publics ou privés ». Quant au décret,
il vise cette disposition et ajoute que « délégation est donnée au ministre
des Travaux publics pour prendre par voie d’arrêté les mesures
d’application de cette disposition ».
Mais cela se présente aussi avec le recours au procédé de l’agrément.
Comme, par exemple :
– Sur la base du décret du 7 juillet 1962 relatif à l’aéronautique civile
(B.O. 1962, p. 947), le Bureau Véritas assure la vérification de la
navigabilité des aéronefs : A.M. 3 mai 1967, B.O. 1967, p. 905.
– Société privée pour la vérification des installations électriques dans
les entreprises soumises à des obligations de sécurité par la
législation du travail : A.M. 17 janvier 1990, B.O. 1990, p. 261.
– Même solution pour la vérification des appareils de levage : A.M.
25 décembre 1990, B.O. 1991, p. 52.
Dans tous ces cas, les organismes privés participent à l’exercice d’une
mission de service public ; ils délivrent des certificats, prennent des
décisions au nom de la puissance publique.
En cas de litige, il convient d’analyser la nature des actes en cause ou
des activités matérielles, afin de voir s’il y a un lien ou non avec la mission
de service public qui leur est confiée.
Si le juge s’avisait de n’utiliser que le critère organique, il abandonnerait,
non seulement au droit privé, mais aussi à la connaissance du juge

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Le critère du service public 141

ordinaire, un contentieux qui se rattache incontestablement au service


public et à la puissance publique.
Ce qui était déjà peu acceptable avant la création des tribunaux
administratifs devient à plus forte raison impensable depuis la création
d’un juge de l’administration (82).
C’est la raison pour laquelle la Cour suprême a dû faire appel au
critère matériel dans une affaire exemplaire, en accueillant le recours en
annulation contre une décision prise par une association de droit privé (83).
Encore faut-il que les actes ou opérations de l’organisme privé se
rattachent à la mission de service public et mettent en œuvre des procédés
propres au droit public, C.S.A. 5 janvier 1996, Ligue Sud de Foot-ball
c/ Mouloudia club de Marrakech et consorts, précité.

(82) M. Rousset, Incidence du critère organique sur le traitement du contentieux administratif,


R.J.P.E.M., 1981, op. cit. p. 30.
(83) C.S.A., 31 octobre 1991, Saâd Ben Haj Saigh c/ Fédération royale marocaine de foot-ball, note
Rousset, R.J.P.E.M., n° 25-26, 1991, p. 101.

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Chapitre III
Les exceptions au critère du service public

Ces exceptions ne correspondent pas nécessairement à des considérations


purement logiques, tout comme il n’est pas impossible que leur existence
soit modifiée ou remise en cause du fait de la création des tribunaux
administratifs. Il faut en effet conserver présents à l’esprit les termes de
l’article 8 de la loi du 12 juillet 1991 disposant que les tribunaux
administratifs sont compétents en ce qui concerne le contentieux de la
légalité, le contentieux contractuel et le contentieux de la responsabilité et
que sont confiés à ces nouvelles juridictions toute une série de contentieux
spéciaux, à savoir pensions, élections, contentieux fiscal, expropriation,
recouvrement des créances, fonction publique, appréciation de la légalité
des actes administratifs.
C’est donc en fonction de cette compétence légale que l’on examinera
le problème de la voie de fait, la question de l’exception d’illégalité et
diverses exceptions au critère principal du service public.

Section I
Le problème de la voie de fait
Apparue dans la jurisprudence française à la fin du XIXe siècle dans les
années 1890-1900 pour s’éclipser pendant près de quarante ans puis
réapparaître à travers le contentieux des réquisitions de logements au
lendemain de la seconde guerre mondiale, la théorie de la voie de fait est
purement jurisprudentielle.
C’est une notion non pas conceptuelle mais fonctionnelle (84). Sa
fonction est de déchoir l’administration des privilèges qu’elle détient dans

(84) G. Vedel, La juridiction compétente pour prévenir, réparer ou faire cesser la voie de fait
administrative, JCP 1950, 851.
144 Contentieux administratif marocain

le cadre du contentieux administratif. Elle repose sur deux éléments


essentiels dissociables par l’analyse, mais nécessaires pour sa qualification
juridique. C’est un acte matériel de l’administration qui porte, sans titre
justificatif, une atteinte grave à la propriété privée ou à une liberté
fondamentale.
C’est donc un acte de l’autorité administrative si gravement irrégulier
qu’il n’apparaît pas possible de le rattacher à un pouvoir appartenant à
l’administration et qui a reçu, ou est sur le point de recevoir, une exécution
matérielle mettant en cause la liberté ou la propriété ; il ne constitue plus
un acte administratif bénéficiant des privilèges de l’acte administratif ;
c’est une voie de fait, appellation empruntée au droit pénal qui évoque
l’agression, la violence et la brutalité.
Quelle est l’origine de la théorie, quel est le régime actuel de la voie
de fait et quel peut en être son devenir ?

§1. Origine de la notion de voie de fait


L’existence de la notion de voie de fait s’explique par des raisons
historiques.
C’est en 1790 qu’est posé le principe de séparation des autorités
administratives et judiciaires qui se traduit par l’interdiction faite au juge
judiciaire de connaître des actes de l’administration.
Or, à cette époque, il n’existe pas encore un juge administratif
indépendant de l’administration ; c’est en définitive l’administration qui se
juge elle-même ; même après la création de la section contentieuse au
sein du Conseil d’Etat en 1806 et jusqu’en 1872, il n’y aura pas, au
sens institutionnel du terme, un juge administratif indépendant de
l’administration. Il n’existait qu’une justice retenue consistant à rendre des
décisions qui devaient recevoir l’aval du chef de l’Etat.
Dans l’esprit des contemporains, cette “justice” administrative est ainsi
quelque peu “douteuse” ; aussi a-t-on imaginé un procédé permettant
d’assurer une meilleure protection aux administrés dès lors que leurs
intérêts essentiels seraient gravement menacés par les agissements de
l’administration.

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Les exceptions au critère du service public 145

Si l’administration commet une illégalité grossière, menaçant gravement


l’individu dans sa liberté ou sa propriété, elle perd le bénéfice de la
protection que lui assure la règle de séparation des autorités administratives
et judicaires : l’acte n’est plus un acte administratif, il est dénaturé, dégradé
en une simple voie de fait.
En conséquence :
–  Le juge judiciaire retrouve sa compétence ;
– Il peut traiter l’administration comme un simple particulier et
prononcer à son encontre des injonctions, voire des astreintes tendant
à la contraindre à faire cesser l’action constitutive de voie de fait ; le
juge peut être saisi en référé, procédure rapide et efficace ;
–  Enfin, le juge judiciaire est compétent pour condamner l’administration
à réparer les conséquences de la voie de fait.
On voit ainsi tout l’intérêt de cette construction jurisprudentielle pour
la défense des droits essentiels de l’individu ; c’est la raison pour laquelle
les juridictions marocaines l’ont adoptée.

§2. Le régime contentieux de la voie de fait au Maroc


Les juridictions marocaines ont adopté la voie de fait avec d’autant
plus d’empressement qu’avant 1957 il n’y avait pas de possibilité de
contester la légalité des décisions administratives en dehors du mécanisme
de portée limitée de l’exception d’illégalité (A) ; mais cette notion de voie
de fait a été conservée même après la création du recours en annulation
pour excès de pouvoir (B).

A. L’adoption de la voie de fait


Les raisons qui ont guidé le juge sont parfaitement exposées dans un
arrêt de la Cour d’appel de Rabat du 7 février 1947 (R.A.C.A.R., T. XIV,
p.  133) :
« Attendu en droit que si l’article 8 du D.O.J. interdit aux juridictions
civiles d’ordonner toute mesure dont l’effet serait d’entraver l’action des
administrations publiques, ce texte ne fait pas obstacle aux pouvoirs des
tribunaux de l’ordre judiciaire d’examiner dans chaque espèce si les
conditions substantielles pour qu’il y ait acte administratif ont été remplies

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146 Contentieux administratif marocain

(...) attendu en conséquence que le premier juge était compétent vu


l’urgence pour examiner la régularité de l’acte du 24 mai 1946 et
déterminer si l’expulsion qui l’avait suivie en constituait une exécution
régulière ou avait, au contraire, le caractère d’une voie de fait dont il
importait de faire cesser le trouble en résultant. »
Les tribunaux de 1913 sont ainsi parvenus, malgré la prohibition des
alinéas 4 et 5 de l’article 8 du D.O.J., à censurer les plus graves
irrégularités commises par l’administration.
En cas de voie de fait, le juge n’est plus lié par la règle de séparation
des autorités administratives et judiciaires.
L’acte étant dénaturé en simple voie de fait, il est manifestement
insusceptible de se rattacher à l’application d’un texte législatif ou
réglementaire, et il peut être traité comme le serait l’acte d’un simple
particulier.
L’administré peut ainsi saisir le juge des référés et celui-ci peut :
–  adresser des injonctions à l’administration ;
–  la condamner éventuellement sous astreinte ;
– la condamner à réparer les conséquences dommageables de la voie
de fait dans les conditions du droit commun.

B. Le maintien de la voie de fait après 1957


La Cour suprême consacre l’existence de la voie de fait dans un arrêt
du 4 décembre 1958, Consorts Félix, R. 164.
La Cour d’appel de Rabat adopte une position semblable dans une
décision du 25 avril 1964, Directeur de la marine marchande c/ Antonio
Cardenas, R.A.C.A.M., 1965, 416.
Et, depuis lors, cette position a été confirmée par diverses juridictions :
C.S.A. (en langue arabe) n° 345 du 4 août 1978 ; Cour d’appel de
Casablanca, 11 novembre 1980, commune urbaine Aïn-Diab c/ Rachidi
Omar, R.M.D., n° 3, p. 206, avec une note du Professeur Ouazzani Chahdi,
la voie de fait administrative et la compétence du juge en référé (R.M.D.,
n° 3, pp. 157 et 176).
Il s’agissait dans cette dernière espèce de la démolition d’office
effectuée par une commune d’une construction édifiée sur une propriété

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Les exceptions au critère du service public 147

privée, et, dans une deuxième espèce, de la menace d’expulsion manu


militari du locataire d’un logement militaire avant que le juge saisi du
litige opposant le locataire à l’autorité militaire n’ait statué : 28 août 1982,
Mounir Omar c/ commandant d’armes de la place de Casablanca.
Il y avait atteinte à la propriété privée réalisée sans droit et
matériellement dans la première espèce, menace imminente d’atteinte à
l’inviolabilité du domicile dans la seconde. Dans la première espèce, le
juge des référés a été saisi pour qu’il fasse cesser le trouble, et dans la
deuxième espèce pour qu’il interdise l’expulsion menaçante.
Ainsi, malgré le fait que l’autorité administrative ait agi par voie
d’autorité, ses actes n’ont pas été protégés par l’article 25 du C.P.C.
L’intérêt de la voie de fait demeure intégralement malgré l’existence du
recours en annulation pour excès de pouvoir, car la règle de séparation
demeure ; la théorie de la voie de fait permet ainsi de demander au juge des
référés de prendre les mesures d’urgence qu’impose la situation à la seule
condition de ne pas « préjudicier au principal » (article 148 du C.P.C.).

§3. Situation actuelle de la voie de fait (85)


Avec la création des tribunaux administratifs, le régime contentieux de
la voie de fait a pris un tout autre aspect par rapport au passé du fait que
l’unité de juridiction qui favorisait son traitement par un seul juge s’est
effacée au bénéfice d’une dualité de juridiction sans doute pas complète
mais d’une dualité tout de même ; on peut dire que c’est une semi-dualité
dans la mesure où au sommet il n’existe qu’une seule juridiction (86),
aujourd’hui, la Cour de Cassation.
Naturellement, l’utilité de la notion de voie de fait demeure pleinement
puisqu’il s’agit de renforcer la protection de l’administré face aux agressions
les plus graves de l’administration.
En revanche, il paraissait souhaitable de modifier son régime contentieux
pour éviter les complications de compétence aux origines historiques que
l’on rencontre en France, et qui n’ont aucune raison d’être au Maroc.

(85) M.A. Benabdallah, La voie de fait administrative en droit marocain, REMALD, 2008, n° 80, p. 9.
(86) M.A. Benabdallah, Bref regard sur la Cour suprême à l’occasion de son quarantième
anniversaire, REMALD, Thèmes actuels n° 4, 1998, p. 7 et suiv.

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148 Contentieux administratif marocain

En effet, en France, la constatation de la voie de fait peut être effectuée


indifféremment par le juge administratif ou le juge judiciaire. En revanche,
le juge judiciaire est exclusivement compétent pour “faire cesser et
réparer” les conséquences dommageables de la voie de fait. Cette
compétence exclusive s’explique historiquement par le fait que le juge
judiciaire est apparu comme seul capable d’assurer une protection efficace
aux administrés victimes des plus graves illégalités ; cette situation s’est
naturellement transformée avec le temps, mais la compétence judiciaire,
du moins jusqu’en 2013, a subsisté (87).
Or, au Maroc, le juge administratif créé en 1991, est tout aussi qualifié
et aussi indépendant de l’administration que le juge ordinaire ; c’est la
raison pour laquelle on a fait valoir qu’il était possible et surtout souhaitable,
dans un but de simplification de la détermination du juge compétent, que ce
soit le juge administratif qui puisse statuer en cas de voie de fait sur tous les
aspects de la cause (88).
Il lui appartiendrait de :
–  constater l’existence de la voie de fait ;
–  enjoindre à l’administration de la faire cesser ;
–  condamner l’administration à en réparer les conséquences.

(87) Néanmoins, il y a lieu de signaler qu’il n’y pas très longtemps, la jurisprudence française, tant
du Conseil d’Etat, C.E., 23 janvier 2013, Commune de Chirongui, A.J.D.A., n° 4, 2013, p. 199, que
du Tribunal des conflits, T.C., 17 Juin 2013, M. Bergoend c/ Sté. ERDF Annecy Léman, A.J.D.A.,
n° 22, 2013, p. 1245, note M-C de Monteclerc, s’est engagée dans une orientation tout à fait
nouvelle, qui, sans doute, ne manquera pas de faire école, tendant à faire relever « l’atteinte grave et
manifestement illégale au droit de propriété, lequel a le caractère d’une liberté fondamentale,
quant bien même cette atteinte aurait le caractère d’une voie de fait », de la juridiction civile. Dans
sa décision citée du 17 juin 2013, le Tribunal des conflits a conclu que « il n’y a voie de fait de la
part de l’administration, justifiant, par exception au principe de la séparation des autorités
administratives et judiciaires, la compétence des juridictions de l’ordre judiciaire pour en ordonner
la cessation ou la réparation, que dans la mesure où l’administration soit a procédé à l’exécution
forcée, dans des conditions irrégulières, d’une décision, même régulière, portant atteinte à la
liberté individuelle ou aboutissant à l’extinction d’un droit de propriété, soit a pris une décision qui
a les mêmes effets d’atteinte à la liberté individuelle ou d’extinction d’un droit de propriété et qui
est manifestement insusceptible de se rattacher à un pouvoir appartenant à l’autorité
administrative ». Voir X. Domino et A. Bretonneau, La voie de fait mise au régime sec, A.J.D.A.
n° 27, 2013, p. 1568. Sur la voie de fait en France, par comparaison au Maroc, M. Rousset et
M.A. Benabdallah, Le traitement de la voie de fait en France ; une évolution jurisprudentielle
positive, REMALD, 2013, n° 111, p. 185.
(88) M. Rousset, « Le juge administratif et la voie de fait au Maroc », RJPIC n° 1, 1995, p. 9 ;
Consécration et évolution de la notion de voie de fait dans le contentieux administratif marocain,
même revue, n° 1, 1997, p. 12.

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Les exceptions au critère du service public 149

C’est dans cette voie que s’est d’ailleurs orienté le juge des référés du
Tribunal administratif de Casablanca dans sa décision du 26 avril 1994,
Kadalia Rachel et consorts c/ Commune urbaine de Sidi Belyout.
Après avoir constaté que la loi n° 41-90 a opéré une profonde
transformation des frontières de la compétence des deux ordres de
juridictions en transférant aux tribunaux administratifs l’essentiel des
recours mettant en cause l’administration, il relève que leur rôle qui est de
rendre justice aux administrés, implique « notamment la sauvegarde de la
propriété privée contre les actes de l’administration » ; il ajoute enfin que
du fait des dispositions de l’article 19 de la loi, le tribunal administratif
comporte un juge des référés qui doit donc, en cette qualité, « exercer les
mêmes pouvoirs que ceux dont disposait le juge ordinaire… parmi lesquels
celui de statuer sur la demande tendant à faire cesser une voie de fait ».
Il restait une question que le juge n’avait pas à trancher, qui était celle
de la réparation du dommage éventuel et du droit applicable à la cause.
Après quelques hésitations, la Cour suprême a pris une position sans
aucune équivoque. Infirmant une décision du Tribunal administratif
d’Agadir qui s’était déclaré incompétent pour connaître du litige né d’une
voie de fait, au motif qu’il n’y avait pas acte administratif, la Cour
suprême décide que la loi n° 41-90 a transféré aux tribunaux administratifs
la compétence en matière de réparation des dommages causés par les actes
et activités des personnes de droit public, y compris la réparation des
dommages résultant d’une voie de fait, et qu’elle a également transféré au
président de ces juridictions les attributions du président du tribunal de
première instance en matière de référé et donc la compétence pour statuer
sur les demandes incidentes, en l’occurrence la demande de levée de la
voie de fait ; la Cour en déduit que l’article 8 de la loi « peut couvrir ledit
cas et autres formes de voie de fait tant en ce qui concerne l’indemnisation,
qu’en ce qui concerne la levée de cette atteinte… »
Ainsi la voie de fait est “rapatriée” dans l’ordre juridictionnel
administratif en ce qui concerne tant sa constatation et sa cessation, que la
responsabilité et la réparation des dommages qui peuvent en résulter :
C.S.A., 20 mai 1996, Ammouri Hafid, RJPIC, précité.
Ayant commis une faute d’une extrême gravité, l’administration perd le
bénéfice du privilège de l’article 25 du Code de Procédure civile sans
qu’il soit besoin de faire appel à la fiction d’une prétendue dénaturation ;

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150 Contentieux administratif marocain

on comprend alors qu’elle puisse parfaitement être condamnée à réparer le


dommage causé sur la base des articles 79 et 80 du DOC. La condamnation
pourra être proportionnée à la gravité du préjudice et de la faute commise.
Mais, encore faut-il que le juge accepte de reconnaître l’existence de la
voie de fait. A cet égard la Cour suprême ne semble pas avoir eu une
claire compréhension de ce que signifie cette notion si l’on en juge par la
décision qu’elle a rendue et qui fut à proprement parler stupéfiante.
Ainsi, dans une décision, C.S.A. 30 décembre 1999, Inspection générale
des forces auxiliaires c/ Bousfir (89), elle avait pris le contre-pied de
l’affaire tranchée par la Cour d’appel de Casablanca qui posait un
problème identique (CAR 28 août 1982, Omar Mounir c/ Cdt d’armes de
la place de Casablanca, RMD 1985, n° 3, p. 210). La Cour suprême
infirme le jugement du Tribunal administratif de Rabat qui constatait
l’existence d’une voie de fait constituée par l’intrusion dans le logement
du requérant et le déménagement manu militari de ses biens par les agents
des Forces auxiliaires ; la Cour suprême estime qu’il n’y a pas voie de fait
parce que les Forces auxiliaires sont soumises “au régime militaire” !
Ce faisant, la Haute juridiction méconnaissait l’article 10 de la
constitution de 1996 garantissant l’inviolabilité du domicile ; elle
méconnaissait aussi les règles fondamentales de l’exécution forcée imposant
à l’administration de faire appel aux voies de droit, en l’espèce le recours
au juge pour obtenir de ce dernier l’autorisation de procéder à l’expulsion
de l’occupant sans titre.
Enfin, cette décision est en contradiction flagrante avec la volonté
unanime de renforcer l’Etat de droit et de mettre un terme à l’arbitraire.
La Constitution de 2011 renforce encore, s’il en était besoin, cette volonté ;
son article 117 dispose en effet que « le juge est en charge de la protection
des droits et des libertés et de la sécurité judiciaire des personnes et des
groupes » le juge étant évidemment, selon le cas, le juge ordinaire et, dans
notre cas, le juge administratif.

(89) C.S.A. 30 décembre 1999, Inspection générale des forces auxiliaires c/ Bousfir, note
Benabdallah et Rousset, REMALD, n° 35, p. 149.

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Les exceptions au critère du service public 151

Section II
L’exception d’illégalité
A la différence du recours pour excès de pouvoir qui est intenté aux
fins de l’annulation d’un acte administratif, l’exception d’illégalité a pour
objet l’appréciation de la légalité de l’acte administratif dans le but
d’écarter son application au cas soumis à une juridiction. La différence
entre les deux procédures est que le juge n’annule pas l’acte mais se
contente de relever son illégalité.
Il y a alors exception d’illégalité lorsque, au cours d’une procédure
engagée devant une juridiction, une partie récuse l’application d’un acte
administratif en estimant qu’il est illégal. Cela ne donnera pas lieu à
l’annulation de l’acte, mais uniquement à son inapplication. Ce sera, par
exemple, le cas si le contrevenant à une réglementation administrative
estime que celle-ci étant illégale, il n’y a pas de contravention. En général,
il existe un principe de procédure destiné à accélérer le cours de la justice
en vertu duquel le juge de l’action est également juge de l’exception.
Mais ce principe connaît des limites lorsque l’exception est en dehors de
la compétence matérielle du juge saisi au principal ; ce pourra être le cas, par
exemple, si le juge se voit interdire d’entraver l’action des administrations
publiques en portant obstacle à l’exécution des actes administratifs ; dans ce
cas, le principe de plénitude de juridiction du juge saisi au principal se
heurte à un autre principe, celui de la séparation des autorités judiciaires et
administratives.
Telles sont les données du problème dont la solution a évolué en trois
étapes:
Avant 1957, depuis 1957, et, enfin, depuis la loi n° 41-90 du 12 juillet
1991 instituant les tribunaux administratifs.

§1. L’exception d’illégalité largement admise avant 1957


L’exception d’illégalité (90) a connu un large développement avant
1957, car les juridictions de la période du protectorat y ont vu un moyen

(90) A. de Laubadère, Le contrôle de légalité par les tribunaux judiciaires au Maroc, G.T.M., 1943,
p. 122 ; M. Rousset, Développements récents de l’exception d’illégalité, R.J.P.I.C., 1966, p. 379.

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152 Contentieux administratif marocain

de compenser l’absence de contrôle de la légalité des actes administratifs


et d’atténuer les conséquences de l’interdiction que leur faisait l’article 8
du D.O.J. d’entraver l’action des administrations publiques.
Les juges justifiaient leur position en faisant valoir que, chargés de dire
le droit, ils ne pouvaient appliquer des actes administratifs illégaux.
C’était évident s’agissant de leur compétence pour déclarer débitrices
les administrations publiques à raison de tous actes ayant causé préjudice
à autrui, puisque c’est l’illégalité qui constitue la faute de nature à engager
la responsabilité de la collectivité publique.
Le juge a donc examiné la légalité des actes qu’il devait appliquer soit
en matière civile ou commerciale, soit surtout en matière répressive, en
fonction de l’idée fondamentale qu’il ne pouvait pas y avoir d’infraction
punissable si l’acte administratif méconnu était illégal.
Certes, ce contrôle de la légalité des actes administratifs par voie
d’exception était souvent d’une intensité limitée, le juge se bornant à
vérifier le respect des règles de forme et de compétence ; toutefois, à la fin
de la période, le juge s’est quelquefois enhardi et a contrôlé la régularité
interne ; exemple, C.A. de Rabat, 24 février 1954 : le contrôle judiciaire
doit porter non seulement sur les questions de forme et les erreurs
matérielles de la décision, mais aussi sur la validité des motifs des
pénalités prononcées et sur la légalité de ces pénalités (il s’agissait de
pénalités contractuelles).
Le juge affirme également que « le détournement de pouvoir est une
illégalité si manifeste qu’elle entache même les actes réputés
discrétionnaires ».

§2. L’exception d’illégalité depuis 1957


La création du recours en annulation pour excès de pouvoir enlève
certes une large part de justification à la jurisprudence antérieure. Mais
l’article 8 du D.O.J. subsiste ; pour condamner l’administration à réparer
les conséquences dommageables de ses actes juridiques, il faut
nécessairement que le juge puisse juger si l’acte en question est illégal,
puisque seule l’illégalité peut constituer la faute de nature à permettre
l’engagement de la responsabilité administrative.

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Les exceptions au critère du service public 153

C’est ce que la Cour suprême va naturellement reconnaître dans deux


décisions : 13 avril 1961, Borromet, R. p. 110 et 18 mai 1961, Benzaqui,
R. p. 131.
Que l’acte soit individuel ou réglementaire, les tribunaux modernes
sont compétents pour apprécier sa légalité chaque fois que cette
appréciation est nécessaire pour déterminer la responsabilité de la
collectivité publique.
Que va-t-il cependant se passer si l’acte concerne la reconnaissance ou
le refus de reconnaître l’existence du droit à une somme d’argent ?
Dans une telle hypothèse, on voit que l’appréciation de la légalité de
l’acte peut déboucher sur sa “nullification”, c’est-à-dire un résultat
équivalent à une annulation.
La Cour suprême a estimé que dans ce cas il fallait utiliser le recours
pour excès de pouvoir, car le recours en indemnité aboutirait à une
méconnaissance de la prohibition contenue dans l’article 8 du D.O.J.,
C.S.A. 20 mai 1963, Sieur Faure, R.M.D. 1965, p. 48.
Cette décision concerne tous les actes à portée pécuniaire ; cette
interprétation a eu pour but de permettre un règlement rapide des litiges
portant sur le bien-fondé de réclamations relatives à des sommes d’argent,
que celles-ci soient prévues par un contrat ou par un texte législatif ou
réglementaire.
En matière répressive dans l’affaire Mas, la Cour suprême (chambre
pénale, 25 novembre 1965) va limiter à l’extrême les pouvoirs du juge
répressif en décidant que l’appréciation de la légalité des actes
administratifs n’est possible que dans le cadre de l’article 609-II du code
pénal qui dispose que seront punis ceux qui « auront contrevenu aux
règlements légalement faits par l’autorité administrative ».
Ceci revenait en fait à enlever au juge répressif toute possibilité
d’apprécier la légalité des actes administratifs servant de fondement aux
poursuites ou invoqués comme moyen de défense en dehors des infractions
contraventionnelles !
Par ailleurs, la Cour suprême refusait également d’accueillir un recours
direct en appréciation de légalité sur renvoi d’une juridiction inférieure ou
à l’initiative d’un requérant en observant dans une deuxième décision :

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154 Contentieux administratif marocain

« Attendu que la Cour suprême n’est compétente pour apprécier la


légalité des décisions administratives individuelles que concernant les
litiges où elle statue en dernier ressort par la voie du recours en annulation
pour excès de pouvoir et n’est compétente pour interpréter ces actes que
dans le cadre dudit recours... » C.S., 26 novembre 1969, Mas.
Enfin, il faut rappeler que l’article 25 (2e) du C.P.C. interdisait au juge
d’apprécier la conformité des décrets à la Constitution. Cependant, il
convient de remarquer que cette interdiction ne s’étendait pas à la Cour
suprême dans la mesure où l’article 25 débutait par la mention « Sauf
disposition légale contraire » et que l’article 353 du C.P.C. mentionnait que
la Cour suprême statuait, « sauf si un texte l’exclut expressément », sur les
recours en annulation pour excès de pouvoir qui naturellement incluaient
le contrôle de constitutionnalité des décrets réglementaires autonomes qui
ne peut avoir lieu que par rapport à la Constitution (91).
Ainsi, l’appréciation de la légalité des actes administratifs par le juge
ordinaire avait pratiquement disparu.

§3. Les innovations de la loi du 12 juillet 1991


Pour comprendre la portée de cette loi, il faut naturellement garder
présent à l’esprit le fait qu’elle a transféré aux tribunaux administratifs de
très importantes compétences dans des domaines du contentieux où se
posait précisément la question de l’appréciation de la légalité des actes
administratifs, question qui avait conduit la Cour suprême à adopter la
jurisprudence Borromet.
Le transfert de compétence a donc fait disparaître le problème de
l’appréciation de légalité des actes administratifs dans tous les recours
correspondants qui relèvent désormais des tribunaux administratifs.
Cette loi comporte deux innovations complémentaires :
• En premier lieu, l’interdiction faite au juge d’apprécier la
constitutionnalité des décrets est supprimée par l’article 50 de la loi. Il
s’agit d’une suppression tout à fait raisonnable car on ne doit pas
perdre de vue que le contrôle d’un décret réglementaire autonome par

(91) Sur ce point, M.A. Benabdallah, Du contrôle de la constitutionnalité des décrets réglementaires
autonomes, REMALD, n° 53, 2003, p. 9 et suiv.

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Les exceptions au critère du service public 155

le juge de l’excès de pouvoir ne peut avoir lieu que par référence à la


Constitution et non à la loi (92).
• En second lieu, la loi du 12 juillet 1991 contient un article 44 qui
s’énonce comme suit :
« Lorsque l’appréciation de la légalité d’un acte administratif
conditionne le jugement d’une affaire dont une juridiction ordinaire non
répressive est saisie, celle-ci doit, si la contestation est sérieuse, surseoir
à statuer et renvoyer la question préjudicielle au tribunal administratif ou
à la Cour suprême selon la compétence de l’une ou de l’autre juridiction
telle quelle est définie aux articles 8 et 9 ci-dessus. La juridiction de
renvoi se trouve de ce fait saisie de plein droit de la question préjudicielle.
La juridiction répressive a plénitude de juridiction pour l’appréciation
de la légalité de tout acte administratif invoqué devant elle soit comme
fondement de la poursuite soit comme moyen de défense ».
Comme on peut le relever, par cet article, le législateur a considérablement
élargi le champ de l’appréciation de légalité ; outre cela, il ne l’ouvre pas
uniquement à la partie demanderesse, c’est-à-dire le requérant ; il a bien
précisé que la question préjudicielle peut être soulevée à la condition que
l’appréciation de la légalité de l’acte administratif conditionne le jugement
de l’affaire ; ce qui, logiquement, joue dans les deux sens et permet à la
partie défenderesse de soulever l’exception d’illégalité tout comme le ferait
le requérant.
C’est un cas qui, certes, ne s’est jamais posé, mais rien ne l’exclut.
On supposera la situation que voici :
Un acte administratif, décret ou arrêté, est édicté en méconnaissance de
la loi, d’un principe constitutionnel ou d’un principe général du droit,
disons celui de l’égalité des citoyens. Soixante jours se sont écoulés,
personne ne l’a contesté devant le juge de l’excès de pouvoir et, de ce fait,
il est devenu définitif. Ceux qui veulent en tirer bénéfice, demandent à
l’administration son exécution, mais celle-ci oppose un refus contre lequel
un recours pour excès de pouvoir est intenté. Ne peut-on pas dire alors
que puisque la légalité de l’acte de base dont se prévaut le requérant

(92) M.A. Benabdallah, Sur l’appréciation de la légalité des actes administratifs, REMALD, n° 7-8,
1994, p. 9.

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156 Contentieux administratif marocain

(décret ou arrêté) conditionne le jugement de l’affaire – et ce sont les


termes de la loi – l’administration peut parfaitement en soulever l’exception
d’illégalité au même titre que le requérant lui-même en soutenant que
l’acte sur la base duquel il veut obtenir la décision est illégal ?
Ceci dit, pour la commodité de l’exposé, on distinguera selon que la
question se pose devant le juge civil ou commercial, le juge répressif ou le
juge administratif lui-même.

A. Le juge civil ou commercial


Le juge statuant en matière civile ou commerciale doit surseoir à
statuer s’il se trouve devant une difficulté sérieuse en ce qui concerne la
légalité des actes administratifs qu’il doit appliquer et renvoyer la question
préjudicielle, selon le cas, au tribunal administratif ou à la Cour suprême ;
la juridiction est saisie de plein droit de la question préjudicielle.
Aucun délai n’est fixé pour le jugement de cette question ; mais on peut
estimer que la juridiction de renvoi devra statuer rapidement afin de ne pas
retarder outre mesure la solution de l’affaire portée devant le juge ordinaire.

B. Le juge répressif
L’article 44 de la loi pose le principe de la plénitude de juridiction du
juge répressif pour apprécier la légalité de tous les actes administratifs, qu’ils
soient invoqués comme moyens de poursuite ou comme moyens de défense.
A cet égard, la solution marocaine est plus libérale que celle qui est
retenue en France par le tribunal des conflits dans l’arrêt Avranches et
Desmarets, (5 juillet 1951, GAJA, 10e éd., 1993, p. 456) : le juge pénal n’a
plénitude de compétence qu’à l’égard des actes réglementaires ; mais il n’a
aucune compétence en ce qui concerne les actes individuels.
Sans doute, la Cour de cassation allait plus loin ; mais elle n’acceptait
cependant la plénitude de compétence du juge pénal qu’à l’égard des actes
administratifs non réglementaires invoqués comme fondement des poursuites.
Cette situation a toutefois été modifiée du fait de l’entrée en vigueur du
nouveau code pénal en février 1994, qui dispose que « les juridictions
pénales sont compétentes pour interpréter les actes administratifs,
réglementaires ou individuels, et pour en apprécier la légalité lorsque, de cet
examen, dépend la solution du procès pénal qui leur est soumis » (art. III-5°).

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Les exceptions au critère du service public 157

Quant au juge non répressif, il peut seulement interpréter les actes


administratifs réglementaires ; pour l’appréciation de la légalité et
l’interprétation des actes individuels, il doit renvoyer les parties devant le
juge administratif : Tribunal des conflits, Septfonds, 16 juin 1923, sauf
naturellement s’il y a voie de fait (G.A.J.A. 12e éd., p. 249).

C. Le juge administratif
On notera que dans l’article 44 de la loi n° 41-90 instituant les tribunaux
administratifs, le législateur ne parle que des juridictions ordinaires non
répressives et des juridictions répressives.
Une lecture purement littérale de cet article porterait à penser que si
l’appréciation de la légalité d’un acte administratif conditionne le jugement
d’une affaire pendante devant le juge administratif, celui-ci ne pourrait pas
en apprécier la légalité ou la renvoyer devant la Cour de cassation, naguère
Cour suprême, s’il s’agit d’un acte réglementaire ou individuel du Chef du
gouvernement ou d’une décision administrative dont le champ d’application
s’étend au-delà du ressort territorial d’un tribunal administratif.
Reconnaissons qu’un tel raisonnement serait totalement insensé du seul
fait qu’il aboutirait sur la situation absolument inacceptable que la
juridiction qui fait l’objet de toute la loi se verrait exclue d’une compétence
qui curieusement ne reviendrait qu’aux juridictions ordinaires. En d’autres
termes, on serait moins protégé devant le juge administratif que devant le
juge ordinaire.
Nous disons cela parce que tout simplement la Cour d’appel administrative
de Marrakech s’était justement fourvoyée dans ce sens.
Dans un arrêt du 8 octobre 2008, Agence autonome du transport urbain
d’Agadir c/ Bakkouri, cette Cour avait décidé que le tribunal administratif
n’avait pas la compétence pour apprécier la légalité des décisions
administratives comme le prévoit l’article 44 de la loi n° 41-90. Elle avait
estimé que cette appréciation ne revenait qu’aux juridictions ordinaires.
Mais la barre a été redressée en cassation par l’arrêt du 17 juin 2010,
Bakkouri c/ l’Agence autonome du transport urbain d’Agadir, par lequel la
Cour suprême a conclu à la pleine compétence du tribunal administratif
pour l’appréciation de la légalité d’un acte administratif. Autrement dit,
s’il s’agit d’une décision administrative relevant de sa compétence, il peut
lui-même le faire et s’il s’agit d’un acte réglementaire ou individuel du

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158 Contentieux administratif marocain

Chef du gouvernement ou d’une décision dont le champ d’application


s’étend au-delà du ressort territorial d’un tribunal administratif, il doit la
renvoyer à la Cour de cassation. Et, nous pensons que c’est la voie la plus
juste et la plus rationnelle.
Enfin, pour être aussi complet que possible, à un niveau plus élevé,
celui de la constitutionnalité des lois, on doit indiquer que l’article 133 de
la Constitution de 2011 a confié à la Cour constitutionnelle la compétence
pour « connaître d’une exception d’inconstitutionnalité soulevée au cours
d’un procès lorsqu’il est soutenu par l’une des parties que la loi dont
dépend l’issue du litige, porte atteinte aux droits et libertés garantis par la
Constitution ». Une loi organique doit préciser les modalités d’exercice de
cette exception dont on peut déjà penser qu’elle devrait obéir
approximativement aux mêmes modalités procédurales que l’exception de
légalité.

Section III
Les exceptions diverses
Certaines jouent en faveur de la juridiction ordinaire et d’autres au
profit de la juridiction administrative ; naturellement, la loi de 1991 a
quelque peu modifié la situation antérieure.

§1. Les exceptions en faveur de la juridiction ordinaire


La compétence du juge ordinaire découle de la loi ; tel est le cas pour
ce qui concerne les accidents d’automobile appartenant à des collectivités
publiques ou en ce qui concerne les associations. Un problème nouveau se
posera sans doute en ce qui concerne le fonctionnement des juridictions
ordinaires.

A. Les accidents d’automobiles


Les accidents d’automobiles appartenant aux collectivités publiques et
survenus sur la voie publique relèvent de la compétence des juridictions
ordinaires en vertu de l’article 8-1° alinéa in fine qui vise : « ... les dommages
causés sur la voie publique par un véhicule quelconque appartenant à une
personne publique ».

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Les exceptions au critère du service public 159

Il est logique de penser que le législateur a voulu unifier le contentieux


des accidents d’automobiles qui donnent à juger les mêmes questions, quel
que soit le propriétaire du véhicule.
Déjà le législateur était intervenu pour permettre, en cas d’accident
d’automobile, la jonction de l’action civile dirigée contre l’administration
à l’action pénale dirigée contre l’agent devant la juridiction répressive
(article 9-2° du Code de procédure pénale – dahir du 18 septembre 1962).
Désormais, ce seront les juridictions ordinaires – civiles ou répressives –
qui trancheront ces questions ; toutefois, quelques difficultés peuvent se
présenter s’agissant de savoir ce qu’il faut entendre par “véhicules
quelconques”, ou bien encore ce qui se passera si l’accident causé par un
tel véhicule se produit ailleurs que sur la voie publique. Il appartiendra au
juge de répondre à ces questions.

B. Le contentieux des associations


Ce contentieux relevait de la matière ordinaire dans le texte initial de
1958 ; la dissolution des associations ne pouvait résulter que d’une action
du ministère public devant les tribunaux ordinaires.
Mais la modification de ce texte en 1973, avait donné naissance à une
double procédure de dissolution ; la dissolution pouvait résulter comme
auparavant d’une procédure judiciaire ; elle pouvait également être
effectuée par décret éventuellement précédé d’une décision de suspension.
Dans son article 7, la loi du 23 juillet 2002 (Bull. Off. 2002, p. 1062)
revient à la situation de 1958 en confiant à titre exclusif au tribunal de
première instance la compétence pour connaître des demandes de
déclaration de nullité de l’association et des demandes de dissolution que
celles-ci émanent de toute personne concernée ou qu’elles soient dues à
l’initiative du ministère public. Le tribunal de première instance peut
également ordonner des mesures conservatoires telles la fermeture des
locaux et l’interdiction de toute réunion des membres de l’association
nonobstant toute voie de recours (93).

(93) M.A. Benabdallah, L’incompétence de l’administration pour déclarer la nullité d’une


association, REMALD n° 30, 2000, p. 89.

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160 Contentieux administratif marocain

C. Les actes intéressant les juridictions ordinaires


Avec l’unité de juridiction, le problème ne se posait pas ; mais dès lors
que l’on crée des tribunaux administratifs, on peut se demander ce qu’il
adviendra de la contestation de décisions mettant en cause les juridictions
ordinaires ; il ne semble pas normal que les tribunaux administratifs
puissent connaître indistinctement de tous les actes pouvant les concerner.
Est-il concevable qu’un tribunal administratif se déclare compétent pour
statuer sur une décision d’un président de cour d’appel refusant de
transmettre pour exécution un jugement au tribunal de première instance à
l’instar de ce qu’a décidé il y a quelques années la Cour suprême ? (C.S.
n° 15 du 25 février 1983, R.J.P.E.M. 1984, p. 103).
A cet égard, la jurisprudence française donne une indication dans un
arrêt de principe du tribunal des conflits : 27 novembre 1952, Préfet de la
Guyane, G.A.J.A. 12e éd. p. 482.
Le juge administratif est compétent pour connaître des actes qui
concernent l’organisation des juridictions judiciaires. En revanche, il est
radicalement incompétent pour se saisir d’actes intéressant leur
fonctionnement, car cela risquerait de porter atteinte à l’indépendance du
pouvoir judiciaire.
On signalera enfin pour mémoire que le contentieux du domaine privé
des collectivités publiques devrait continuer à relever de la compétence
des juridictions ordinaires.

§2. Les exceptions au profit de la juridiction administrative


Sans entrer dans les détails, on procédera à une simple et brève
énumération.
Les litiges se rapportant aux travaux publics sont toujours de la
compétence administrative, même lorsqu’il s’agit de mettre en cause la
responsabilité de l’entrepreneur qui est une personne privée ; on dit que
cela résulte du caractère attractif de la notion de travail public, c’est-à-dire
de l’intérêt qu’il y a, pour une bonne administration de la justice, à
soumettre à un même juge les litiges qui sont étroitement liés à la
réalisation des opérations de travaux publics.

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Les exceptions au critère du service public 161

–  Tous les litiges relatifs au domaine public et, notamment la question


de savoir si un bien fait ou non partie du domaine public.
–  Par ailleurs, du fait de la loi du 12 juillet 1991, un certain nombre de
litiges qui relevaient jusqu’alors du juge statuant en matière ordinaire
relèveront désormais de la compétence de la juridiction administrative ; tel
est le cas du contentieux fiscal qui relevait du tribunal de première instance
statuant en matière civile ; c’était également le cas du contentieux de
l’expropriation pour cause d’utilité publique.
L’article 133 de la Constitution de 2011 a créé une exception
d’inconstitutionnalité pour permettre à une partie à un procès de contester
la constitutionnalité d’une loi dont dépend l’issue du procès s’il estime
que les dispositions de celle-ci portent atteintes aux droits et libertés
garantis par la constitution. Les modalités pratiques et juridiques de la
mise en œuvre de cette exception doivent être précisées par une loi
organique.

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Troisième partie
Les recours contentieux
Nous avons vu que le contentieux administratif se subdivisait en deux
grandes catégories de litiges selon que l’action administrative porte atteinte
à la règle de droit et constitue une illégalité ou qu’elle cause un préjudice
à un administré.
Dans le premier cas, on peut utiliser un recours tendant à obtenir du
juge la disparition de l’acte illégal, c’est le contentieux de l’annulation
dont l’instrument est le recours en annulation pour excès de pouvoir.
Dans le second cas, il s’agit d’obtenir réparation du préjudice, et c’est
le recours en indemnité qui permettra de mettre en cause la responsabilité
de l’auteur du préjudice ou de la collectivité publique.
Le juge saisi par le recours en indemnité condamnera la personne
responsable au versement d’une somme d’argent représentative de la
réparation du préjudice.
Il y a donc principalement deux sortes de contentieux : contentieux de
l’annulation et contentieux de la pleine juridiction qui doivent être
soigneusement distingués.
Pourquoi cette distinction ? Comment est-elle effectuée ? Ce sont les
deux questions qu’il convient de développer.

A. P
 ourquoi faut-il distinguer le contentieux de l’annulation du
contentieux de pleine juridiction ?
Jusqu’au vote de la loi du 12 juillet 1991, l’intérêt de cette distinction
était particulièrement évident car le recours pour excès de pouvoir était de
la compétence exclusive de la Cour suprême, tandis que le recours de
pleine juridiction relevait en premier ressort des tribunaux de première
instance avec appel devant les Cours d’appel et éventuellement recours en
cassation devant la Cour suprême.
Il fallait donc distinguer soigneusement les deux types de recours afin
de ne pas saisir une juridiction incompétente et cela d’autant plus que la
166 Contentieux administratif marocain

Cour suprême avait jugé que le fait d’avoir saisi une juridiction
incompétente ne permettait pas de prolonger le délai du recours pour
excès de pouvoir.
Pour l’heure, l’importance de cette distinction subsiste, bien qu’à un
moindre degré, pour deux raisons :
• La Cour suprême, aujourd’hui la Cour de Cassation, conserve une
compétence d’attribution en matière d’excès de pouvoir en vertu de
l’article 9 de la loi qui lui confie le soin de juger les recours en
annulation dirigés contre les décrets et les actes réglementaires dont
le champ d’application dépasse le ressort territorial d’un tribunal
administratif. En outre l’article 144 de la Constitution dispose que les
décisions individuelles du Conseil Supérieur du Pouvoir Judiciaire
relèveront de la compétence de la plus haute juridiction
administrative, en l’espèce la Chambre administrative de cette
juridiction.
• L’article 23 de cette loi maintient, en outre, ce que l’on appelle
l’exception de recours parallèle en vertu de laquelle « le recours en
annulation n’est pas recevable contre les décisions administratives
lorsque les intéressés disposent pour faire valoir leurs droits du
recours ordinaire de pleine juridiction ».
Enfin, il y a une raison pratique au maintien de la distinction de ces
contentieux qui découle de ce que le recours en annulation est dispensé de
la taxe judiciaire en vertu de l’article 22 de la loi.

B. Le critère de la distinction
Il peut sembler naturel de se pencher sur l’objet de la demande en ce
sens que le recours en annulation consiste en une demande d’annulation
d’un acte pour violation de la règle de droit ; le moyen est alors d’ordre
objectif.
Par contre, dans la pleine juridiction, le requérant demande au juge
l’attribution d’une indemnité en réparation du préjudice que lui cause
l’administration soit du fait de la violation d’un contrat ou de la survenance
d’un accident de travaux publics, etc., préjudice matériel ou physique,
c’est-à-dire du fait de l’atteinte à un droit qui lui appartient
personnellement ; on se trouve ainsi dans un contentieux subjectif.

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Les recours contentieux 167

La simplicité de cette analyse a cependant été altérée du fait que les


tribunaux ordinaires se sont toujours vus interdire l’annulation des actes de
l’administration par l’article 8 du D.O.J. tout d’abord, puis par l’article 25
du C.P.C.
Dès lors que le jugement de l’affaire impliquait la mise en cause d’une
décision administrative, le tribunal de première instance étant incompétent,
il convenait de saisir la Cour suprême par la voie du recours pour excès de
pouvoir. Deux exemples illustrent cette situation.
Litige à portée non pécuniaire : La demande d’annulation de la
résiliation d’un contrat ne peut être présentée au juge ordinaire qui ne peut
annuler un acte de l’administration ; il faut donc s’adresser à la Cour
suprême.
Litige à portée pécuniaire : La demande d’annulation d’une décision
refusant une somme d’argent prévue par un contrat ou par un texte
législatif ou réglementaire peut s’analyser comme une demande tendant à
obtenir réparation du préjudice causé par le refus de versement de la
somme considérée.
Cependant, une autre analyse est possible ; c’est celle qu’a finalement
faite la Cour suprême en acceptant le recours en annulation pour excès de
pouvoir car, dans des situations de ce type, il est clair qu’il s’agit plus
d’une question de légalité que d’une question de responsabilité.
C’est la solution retenue tout d’abord par les arrêts 9 juillet 1959,
Ahmed Ben Youssef, R. p. 61 et 10 juin 1960, Skoba, R. p. 123, puis de
façon générale, par l’arrêt 20 mai 1963, Sieur Faure c/ Ville de Casablanca,
R.M.D. 1965, p. 48.
Le recours pour excès de pouvoir est recevable contre les décisions
administratives qui refusent une somme d’argent prévue par un texte
législatif ou réglementaire ou par un contrat: indemnités, primes,
remboursement de frais de déménagement, etc.
Enfin, à partir de l’arrêt du 25 novembre 1966, Abassi Abdelaziz,
(J.C.S., n° 2, novembre 1968, p. 102), la Cour accueille le recours pour
excès de pouvoir contre des décisions de résiliation de contrat d’agent
contractuel de droit privé.

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168 Contentieux administratif marocain

Elle étendra cette position aux agents des services publics industriels et
commerciaux dès lors qu’ils sont gérés dans le cadre d’un établissement
public : 21 janvier 1977, Badaoui Mohamed, R.J.P.E.M., 1978, p. 274.
Il en est de même pour une décision de résiliation d’un contrat passé
avec un architecte et régi par le droit privé : 13 juin 1985, Saïd El Fassi
Fihri.
Evidemment, la création des tribunaux administratifs peut conduire à
remettre en cause cette jurisprudence dans la mesure où il est conforme à
la logique de la dualité de juridiction que les tribunaux administratifs ne
soient saisis que de recours comportant l’application du droit administratif
et réciproquement. C’est donc sous cette réserve que l’on étudiera en deux
titres, le recours en annulation pour excès de pouvoir et le recours en
indemnité.

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Titre I
Le recours en annulation
pour excès de pouvoir

Le recours en annulation pour excès de pouvoir (94) n’existait pas sous


le protectorat (95) ; on avait seulement admis en 1928 que les agents des
administrations néo-chérifiennes pourraient porter devant le Conseil d’Etat
français les litiges relatifs à l’application de leurs statuts. C’est le dahir du
27 septembre 1957 créant la Cour suprême qui lui donne naissance dont
les dispositions seront reprises par l’article 353-2° du C.P.C. de 1974.
Le dahir de 1957, comme celui de 1974, laissait au juge une très large
liberté pour déterminer l’organisation et le régime juridique de ce recours.
C’est donc la jurisprudence qui, pour une grande part, a élaboré son
régime juridique en s’inspirant d’ailleurs du modèle français.
La plus grande partie de ce contentieux est désormais transférée aux
tribunaux administratifs à l’exception des recours dirigés contre les décisions
du Chef du gouvernement qui demeurent de la compétence de la Cour
suprême, devenue Cour de cassation, les décisions individuelles du Conseil
Supérieur du Pouvoir Judiciaire et les décisions réglementaires dont le
champ d’application dépasse le ressort territorial d’un tribunal administratif
(article 9).
• Quels sont les caractères généraux du recours ? (chapitre I)
• Quelles sont les conditions de recevabilité du recours ? (chapitre II)
• Quels sont les cas d’ouverture du recours, c’est-à-dire les moyens
d’annulation ? (Chapitre III)

(94) Sur toutes ces questions on consultera avec profit l’étude quasiment exhaustive de la
jurisprudence récente des juridictions administratives présentée par le professeur El Yaâgoubi, Le
juge protecteur de l’administré, au colloque de Grenoble les 27-28 mars 1998 : Indépendance
nationale et système juridique : l’exemple du Maroc. Les actes de ce colloque ont été publiés par les
Presses universitaires de Grenoble, 2000, et les éditions la Porte de Rabat, 2000.
(95) M.A. Benabdallah, Les prérogatives de l’Etat dans le recours pour excès de pouvoir, Le
littoral, 1982.
Chapitre I
Les caractères généraux du recours en annulation
pour excès de pouvoir

Le recours en annulation pour excès de pouvoir est l’action par laquelle


toute personne physique ou morale peut demander au juge administratif
l’annulation d’un acte administratif pour illégalité. C’est, par excellence, le
moyen de faire respecter la légalité. Mais en l’absence d’un code
administratif à l’image du code pénal ou du code de commerce ou du code
de la famille, c’est le juge de l’excès de pouvoir qui, progressivement, a
dégagé un ensemble de règles et de principes qui explicitent ce qui est
conforme à la règle de droit et ce qui lui est contraire.
C’est ce qui explique l’importance de la jurisprudence comme source
du droit.
Le recours pour excès de pouvoir apparaît comme un recours qui existe
de plein droit (section I) ; c’est un recours qui n’est pas suspensif
(section II) ; c’est enfin un recours en annulation (section III).

Section I
C’est un recours qui existe de plein droit
Article 1er du dahir du 27 septembre 1957 : Il est institué une Cour
suprême « chargée de statuer, sauf si un texte l’exclut expressément, sur :
1. les pourvois en cassation ;
2. les recours en annulation pour excès de pouvoir contre les décisions
émanant des autorités administratives... ».
Cette formule a d’ailleurs été textuellement reprise par l’article 353 du
C.P.C. de 1974 ; quant à l’article 8 de la loi du 12 juillet 1991, il est plus
laconique et dispose simplement que les tribunaux administratifs sont
172 Contentieux administratif marocain

chargés de juger « les recours en annulation pour excès de pouvoir formés


contre les décisions des autorités administratives ».
Cette dernière formule ne comporte ni restriction ni réserve ; les deux
précédentes faisaient seulement allusion à la possibilité ouverte au
législateur de restreindre éventuellement le champ du recours.
L’interprétation de cette formule a donné lieu à quelques difficultés que
la Cour suprême avait, semble-t-il, réglées en faisant du recours un recours
dont l’existence de plein droit constitue un véritable principe général du
droit.
Or, à la stupéfaction générale, elle s’est déjugée dans une espèce dont
on voulu croire qu’elle était le fruit d’une erreur (96) sans suite et sur
laquelle elle est revenue (97).

§1. A
 ffirmation de la primauté du recours en annulation sur
tous les textes antérieurs excluant tout recours
C’est dans l’arrêt du 23 février 1961, Société balnéaire, R. p. 38, que la
Cour décide que l’exclusion de tout recours formulée par un texte antérieur
à la création du recours pour excès de pouvoir, en l’espèce le dahir relatif
à l’occupation du domaine public de 1918, ne peut en aucune façon
s’opposer à l’admission du recours en annulation qui, depuis 1957, existe
de plein droit à l’encontre des décisions des autorités administratives quel
que soit leur objet.
Cette décision ne faisait que tirer les conséquences de l’innovation
législative qui, naturellement, entraîne la caducité de toutes les dispositions
antérieures contraires à la loi nouvelle. Il est en effet difficile d’admettre
qu’un texte ait pu exclure la possibilité d’un recours qui n’existait pas.

(96) M. Antari, « Le recours pour excès de pouvoir, une garantie dans un Etat de droit », REMALD,
n° 27, 1999, p. 99 ; M. Rousset, Note sur l’arrêt de la Cour suprême du 19 juin 1997, ministre de
l’Intérieur c/ Bizakarrne Ahmed, excluant certains actes administratifs du recours pour excès de
pouvoir, REMALD, n° 28, 1999, p. 121. M.A. Benabdallah, Sur une “régression jurisprudentielle” :
l’exclusion de certains actes administratifs du recours pour excès de pouvoir, même revue, p. 125.
Concernant le retour sur cette jurisprudence.
(97) M. Rousset et M.A. Benabdallah, Retour sur une « régression jurisprudentielle » : Le recours
pour excès de pouvoir contre les décisions du conseil de tutelle des terres collectives, Note sous
CSA, 7 juin 2006, Agent judiciaire du Royaume c/ Aït Mouli, REMALD n° 71, 2006, p. 141.

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Les caractères généraux du recours en annulation pour excès de pouvoir 173

§2. A
 ffirmation de la prééminence du recours en annulation
pour excès de pouvoir sur les textes postérieurs tendant à en
limiter le champ d’action
La Cour suprême s’est trouvée en présence de dispositions législatives
postérieures à 1957 formulées de façon à prêter à discussion.
Par exemple, il est dit dans certains textes que les décisions prises en
application de leurs dispositions sont insusceptibles de tout recours. La
pratique d’une telle formule a eu par ailleurs tendance à se développer à
une certaine époque ; la Haute juridiction a trouvé la parade dans un arrêt
du 18 février 1963, William Wall, R. p. 126 :
« Attendu que l’expression dont use le législateur ne peut être
interprétée, en l’absence d’une volonté clairement manifestée, comme
excluant le recours en annulation pour excès de pouvoir devant la Cour
suprême, recours ouvert contre tout acte émanant d’une autorité
administrative et qui a pour effet d’assurer, conformément aux principes
généraux du droit, le respect de la légalité. »
Ainsi, il faut désormais que le législateur exclue expressément « le
recours pour excès de pouvoir ». Ce problème est ainsi résolu dans un sens
favorable au contrôle de légalité. On peut même penser que cette exclusion,
concevable en 1957, ne l’est plus guère depuis que la Constitution de
1962 a fait du principe de légalité un principe constitutionnel maintenu en
1972, et, à plus forte raison, depuis la création du Conseil constitutionnel
chargé de vérifier la conformité de la loi à la Constitution. Plus proche de
nous, aujourd’hui, le problème d’une quelconque exclusion s’avère
impensable avec la Constitution de 2011 dont l’article 118 précise en son
deuxième alinéa que «  tout acte de nature réglementaire ou individuelle,
pris en matière administrative, peut faire l’objet de recours devant la
juridiction administrative compétente ».
Cependant, avant aujourd’hui, on aurait pu penser, et tout le monde le
croyait, que le problème était définitivement réglé lorsque la Cour
suprême, infirmant en appel une décision du Tribunal administratif
d’Agadir qui se reconnaissait compétent pour statuer sur un recours dirigé
contre une décision du conseil de tutelle des terres collectives, déclara ce
recours irrecevable car ces décisions « ne sont pas motivées et ne sont

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174 Contentieux administratif marocain

susceptibles d’aucun recours » selon l’art. 12 du dahir du 27 avril 1919


confirmé sur ce point par le dahir du 6 février 1963.
Le Tribunal administratif, considérant, à juste titre, qu’il y avait là une
séquelle législative d’une époque révolue, avait estimé pouvoir retenir sa
compétence pour plusieurs raisons. La première était l’existence de la
jurisprudence William Wall ; la seconde était une décision de la Cour
suprême dans une affaire identique retenant sa compétence pour statuer
sur un recours précisément dirigé contre une décision du conseil de
tutelle (98).
Enfin, l’intention non équivoque du législateur de 1991, éclairée par le
discours du Roi Hassan II du 8 mai 1990, ne laissait aucune place pour le
non droit !
Il était d’ailleurs aisé de surmonter la difficulté posée par ces textes.
Il suffisait en effet de relire l’art. 1er du dahir du 27 septembre 1957
créant la Cour suprême et le recours pour excès de pouvoir dont les termes
ont été repris intégralement par l’art. 353 du code de procédure civile de
1974, pour déclarer recevable le recours contre les décisions du conseil de
tutelle.
Le conseil de tutelle est une autorité administrative qui prend des
décisions administratives ; l’art. 12 du dahir de 1919 n’a pas pu exclure le
recours pour excès de pouvoir puisque, par hypothèse, il n’existait pas à
cette époque et le dahir de 1963 qui reprend la formule de 1919, ne peut
en aucun cas constituer une exclusion expresse de ce recours ; donc le
recours pour excès de pouvoir n’ayant pas été “exclu expressément”, était
parfaitement recevable.
Quant à l’interdiction de motiver ces décisions, elle concerne le
problème de fond du contrôle de la légalité qui est un problème tout à fait
différent, mais tout aussi important.
En entérinant purement et simplement l’argumentation de la Direction
de la réglementation et des libertés publiques du ministère de l’Intérieur, la
Cour suprême a rendu une mauvaise décision qui ne mérite que l’oubli !

(98) CSA, 8 avril 1966, Aït Aflah et Aït Lahcen, ministère des Affaires administratives, les arrêts de
la Cour suprême, 1983, p. 10.

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Les caractères généraux du recours en annulation pour excès de pouvoir 175

Mais il faut aussi ajouter qu’en rendant cet arrêt, la Cour suprême a
perdu de vue l’objet de sa mission que lui rappelait le Roi Hassan II dans
le message adressé aux participants au colloque organisé à l’occasion du
quarantième anniversaire de sa création qui insistait sur son rôle « en tant
qu’instance d’interprétation et d’adaptation de la loi… », afin « que la
justice soit en mesure d’accompagner les mutations économiques et
sociales » (message du 17 décembre 1997). Et, ce n’est certainement pas
en se référant à des textes ou des principes remontant aux origines du
protectorat que la Cour suprême fera progresser l’affermissement de l’Etat
de droit.

Section II
Le recours n’est pas suspensif
Cette règle a été posée par l’article 15 du dahir du 27 septembre 1957
et reprise par l’article 361 du C.P.C.
Actuellement, l’article 24 de la loi créant les tribunaux administratifs la
reprend sous une autre forme : « Sur demande expresse du requérant, le
tribunal peut ordonner qu’il soit sursis à l’exécution des décisions
administratives contre lesquelles a été introduit un recours en annulation
pour excès de pouvoir. »
Cette règle découle du privilège du préalable dont bénéficie l’acte
administratif qui, en tant que décision exécutoire, est présumé régulier.
Mais il est naturel de prévoir le cas où les inconvénients de cette
présomption peuvent l’emporter sur les avantages, et c’est ce qui a conduit
à prévoir cette possibilité de sursis.

§1. Les justifications de la règle


La présomption de régularité et le caractère exécutoire de la décision
administrative se justifient par des raisons pratiques. L’administration qui
a la responsabilité de l’intérêt général doit pouvoir faire appliquer les
mesures qui lui paraissent opportunes ; elles sont dites exécutoires dès lors
qu’elles ont reçu la publicité appropriée.

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176 Contentieux administratif marocain

En contrepartie, elle a l’obligation de rendre compte de son action,


mais a posteriori. Il faut donc éviter que l’action administrative soit
paralysée par la mise en œuvre de recours juridictionnels à l’issue
incertaine, utilisés de façon dilatoire par un administré mécontent soucieux
de retarder l’action administrative.
Mais il faut aussi éviter les conséquences difficilement réversibles de
l’exécution d’une décision manifestement irrégulière ; c’est la raison pour
laquelle on a prévu la possibilité du sursis à exécution.

§2. Le sursis à exécution


L’administration ne doit pas pouvoir exécuter des décisions dont, de
toute évidence, la régularité est contestable. Si elle le fait, elle s’expose à
voir sa responsabilité mise en cause ; d’où un double inconvénient résultant
du fait que la réparation du préjudice causé par l’exécution peut être en
fait impossible : que l’on songe à la destruction d’office d’un immeuble
dont, à tort, l’administration prétend qu’il menace ruine ou qu’il a été
édifié en contradiction avec les règles d’urbanisme (99) !
On a donc imaginé une possibilité exceptionnelle de sursis. L’octroi du
sursis est prévu par la loi ; mais celle-ci n’en fixe pas les conditions ; il
appartient au juge de les déterminer. Il en existe plusieurs dans le cadre du
caractère exceptionnel du sursis qui, lui, est prévu expressément par les
dispositions du dahir de 1957 (article 15) et par les textes subséquents.
Il existe en premier lieu une condition de procédure, en ce sens que le
sursis ne peut être accordé que sur demande expresse du requérant (article
24 de la loi du 12 juillet 1991 qui a repris cette exigence des textes
antérieurs). Par ailleurs, cette demande n’est concevable qu’à l’égard des
décisions contre lesquelles un recours en annulation a été introduit ; ceci
signifie que la demande de sursis n’est pas autonome et qu’elle ne se
conçoit pas indépendamment de l’action principale, le recours pour excès
de pouvoir.

(99) M.A. Benabdallah, Les prérogatives de l’Etat dans le recours pour excès de pouvoir, Le
Littoral, 1982, p. 139.

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Les caractères généraux du recours en annulation pour excès de pouvoir 177

Les autres conditions sont des conditions de fond qui se dégagent de la


jurisprudence, plus précisément de trois décisions anciennes mais qui
n’ont jamais été infirmées :
–  C.S.A. 13 février 1961, Sté huilière annexe, R. 97
–  C.S.A. 23 février 1961, Sté balnéaire, R. 38
–  C.S.A. 2 juillet 1972, SOMAP, dossier n° 39 457.
Les moyens développés dans la requête doivent être suffisamment
sérieux pour que la décision apparaisse à l’issue d’un premier examen de
façon quasi certaine irrégulière ; mais il faut que le juge ait au préalable
vérifié que le recours était recevable et, ainsi, si la requête en annulation
est irrecevable, la demande de sursis ne peut être examinée.
Il faut enfin que les conséquences de l’exécution de la décision soient
difficilement réparables ; l’appréciation à laquelle se livre le juge à cet
égard est naturellement de pur fait et de pure opportunité.
Mais on peut penser qu’il l’effectue toujours avec une très réelle
prudence compte tenu des termes de la loi qui qualifie le sursis de mesure
exceptionnelle.
La jurisprudence qui était peu abondante jusqu’à l’entrée en fonction des
tribunaux administratifs, semble depuis lors plus fournie, mais elle ne nous
indique pas de façon plus précise les conditions dans lesquelles le juge se
livre à cette appréciation des conséquences de l’exécution de la décision.
On pouvait déjà noter cela par exemple dans un arrêt tout à fait
laconique de la Cour suprême, 7 mars 1980, Jemaa Lejana, dossier
n° 70-449, par lequel la Cour accorde le sursis mais sans expliciter les
raisons pour lesquelles elle le fait, oubliant ainsi la mission “pédagogique”
du contrôle juridictionnel de l’administration, non seulement en ce qui
concerne les autorités administratives, mais aussi pour tous les membres
des professions judiciaires, magistrats et avocats.
Dans une décision du 16 avril 1992, Sté Briqueterie Louajriine
c/ Président du Conseil municipal de Fès, la Cour accorde le sursis au vu
du dommage qui pourrait résulter de la fermeture définitive de l’entreprise
décidée par l’arrêté du Président du Conseil municipal, mais elle ne fait
pas apparaître la condition relative à l’illégalité de la décision de fermeture.
En revanche dans sa décision du 16 juillet 2014, Académie régionale de
l’éducation et de la formation de la région de l’Oriental, c/ Salma Ahmadi,

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178 Contentieux administratif marocain

la Cour d’appel administrative de Rabat confirme l’octroi du sursis à


exécution d’une décision refusant à la requérante la possibilité de se
présenter à une session de rattrapage du baccalauréat que lui avait accordé
le Tribunal administratif de Rabat, en invoquant à la fois les conséquences
difficiles à surmonter de l’exécution de la décision entreprise sur l’avenir
scolaire de la requérante, et d’autre part, le fait que la requête en annulation
faisait état de moyens et motifs sérieux susceptibles d’aboutir à l’annulation
de la décision administrative contestée (REMALD n° 120, 2015, p. 265,
Note M. Rousset et M.A. Benabdallah).
De la jurisprudence, on relève certes un plus grand nombre de décisions
accordant le sursis. Ainsi, dans un arrêt du 30 juillet 1998, la Cour suprême
avait pris en considération la situation personnelle de la requérante, mère de
famille qui devait être mutée loin de ses enfants en bas âge, en dehors du
périmètre urbain (100) et dans un arrêt du 19 novembre 2008, la Cour
d’appel de Rabat avait accordé le sursis à exécution d’une décision de
démolition (101), mais l’on note également qu’une jurisprudence plus
libérale de la Cour suprême serait bienvenue pour inciter les tribunaux
administratifs à accorder le sursis plus facilement sans se laisser trop
aisément persuader de la refuser par l’argumentation de l’administration (102).
Cette évolution serait évidemment plus aisée si le législateur atténuait
la rigueur de l’article 24 de la loi n° 41-90 qui autorise le tribunal
administratif à ordonner “à titre exceptionnel” le sursis à exécution des
décisions administratives objet d’un recours en annulation.
Désormais, la Cour suprême et les tribunaux administratifs peuvent
accorder le sursis, chacun dans le cadre de sa compétence (103). On
ajoutera que si le juge accorde le sursis, il importe qu’il statue rapidement
au fond afin de lever l’hypothèque qui pèse sur l’action administrative et
sur la situation du destinataire de l’acte.

(100) C.S.A. 30 juillet 1998 ; Agent judiciaire c/ Zahara Mouhtaraf, REMALD n° 37, 2001, p. 163,
note Benabdallah.
(101) C.A.A, Rabat, 19 novembre 2008, Etat Marocain et cts c/ Charfi, REMALD n° 93, 2010,
p. 137, note Benabdallah.
(102) T.A., Casablanca, 24 avril 1996, Sté d’exploitation des plages du Maroc, note M. Rousset,
REMALD, n° 19, 1997, p. 165.
(103) A. Bounite, Le sursis à exécution des décisions administratives à la lumière de la
jurisprudence marocaine, Mémoire, en langue arabe, Faculté des sciences juridiques économiques
et sociales, Souissi-Rabat, 2007

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Les caractères généraux du recours en annulation pour excès de pouvoir 179

Section III
Le recours pour excès de pouvoir
est un recours en annulation
Le juge saisi du recours n’a qu’un seul pouvoir, mais il est d’importance,
puisqu’il peut annuler la décision exécutoire.
Cette annulation peut être totale ou seulement partielle en fonction de
la demande mais aussi de la nature et de l’ampleur de l’illégalité.
Il annulera les dispositions d’un acte réglementaire dont l’illégalité a
fait l’objet du recours et laissera subsister le reste de l’acte pour autant du
moins que les dispositions annulées ne fassent pas perdre toute cohérence
au texte. De même, il annulera une décision dans sa portée rétroactive en
laissant subsister l’acte pour l’avenir à la condition qu’il ne résulte pas de
l’instruction que son auteur avait uniquement en vue la portée rétroactive
de la décision lorsqu’il l’a édictée. Naturellement, le juge peut aussi rejeter
le recours. Il faut donc examiner en détail les effets de l’arrêt puis les
conditions de son exécution.

§1. Les effets de l’arrêt


Il faut distinguer l’arrêt de rejet de l’arrêt d’annulation. L’arrêt de rejet
n’a qu’une autorité relative de chose jugée et ne vaut qu’à l’égard du
requérant ; ceci est logique. En effet, qu’il s’agisse d’un rejet pour
irrecevabilité ou d’un rejet au fond, le rejet peut ne s’expliquer que par des
raisons liées à la personne du requérant ou à l’argumentation non pertinente
qu’il a utilisée ; un autre requérant pourra parfaitement être recevable et
obtenir satisfaction par une meilleure argumentation et l’on sait, en effet,
que le juge ne statue pas au-delà de la demande.
Le rejet du recours laisse cependant intacte la possibilité d’utiliser
éventuellement l’exception d’illégalité.
Enfin, la tierce opposition n’est pas recevable car le requérant éventuel
peut toujours utiliser le recours principal contre la décision : C.S.A.
20 juillet 1964 : Sté huilière annexe, non publié : l’arrêt de rejet ne peut
préjudicier à aucun droit appartenant à des tiers.
Qu’en est-il maintenant de l’arrêt d’annulation ?

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180 Contentieux administratif marocain

Ceci soulève deux questions, d’une part, l’effet de l’arrêt pour le passé
et, d’autre part, l’autorité absolue de chose jugée.

A. L’effet rétroactif de l’arrêt d’annulation


L’acte administratif annulé est censé n’avoir jamais existé ; il s’agit
certes d’une fiction, mais d’une fiction qui entraîne d’importantes
conséquences. L’administration doit remettre les choses dans l’état qui
aurait été le leur si l’acte n’avait jamais été pris.
Mais il faut naturellement distinguer le cas où l’acte portait atteinte à
une situation acquise ; ce sera le cas pour une sanction disciplinaire, le
retrait de l’autorisation d’occuper le domaine public, la décision de
fermeture d’un établissement commercial, la décision d’interruption des
travaux de construction entrepris sur la base d’un permis de construire,
etc.
L’administration doit dans tous ces cas remettre les choses en l’état qui
était le leur avant l’intervention de la décision annulée.
En revanche, si par l’acte annulé, l’administration refusait de faire droit
à une demande, l’annulation ne vaut pas octroi de la chose demandée,
mais seulement possibilité de formuler de nouveau la demande. En tout
cas, jamais le juge ne substitue sa décision à celle de l’administration. Soit
il annule l’acte administratif, soit il rejette le recours.

B. L’autorité absolue de chose jugée


On dit que l’arrêt d’annulation a effet à l’égard de tous, erga omnes.
Cependant, le législateur a prévu deux possibilités pour que les tiers
puissent faire entendre leur voix lorsque leurs intérêts risquent d’être mis
en cause par la décision.
Il existe un moyen préventif par l’intervention prévue par le C.P.C.,
article 377 devant la Cour suprême.
« Peuvent intervenir devant la Cour suprême à l’appui des prétentions
de l’une des parties en cause toutes personnes qui ont à la solution du
litige des intérêts indivisibles de ceux du demandeur ou du défendeur. »

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Les caractères généraux du recours en annulation pour excès de pouvoir 181

Mais si le tiers n’a pas utilisé cette possibilité, il pourra, une fois l’arrêt
rendu, utiliser la tierce opposition : article 379 du C.P.C. Cependant, les
conditions sont plus restrictives.
Il faut en effet que le demandeur justifie de la possession d’un droit, et
pas seulement d’un intérêt, auquel la décision préjudicie.
Il faut en outre qu’il n’ait été ni présent, ni représenté à l’instance
principale, ce qui est logique : C.S.A. 8 juin 1964, Benhaïm c/ Président du
conseil (104) par lequel il est décidé que les membres d’une société
coopérative sont irrecevables dans leur tierce opposition contre un arrêt
rendu sur recours intenté par la société coopérative à laquelle ils
appartiennent. La loi de 1991 ne fait pas allusion à la tierce opposition,
mais l’on sait qu’en application de son article 7, les règles du code la
procédure civile sont applicables devant les tribunaux administratifs sauf
dispositions contraires prévues par la loi.

§2. L’exécution de l’arrêt


En fait, le juge de l’excès de pouvoir ne dispose que du pouvoir
d’annuler l’acte irrégulier. On l’a dit plus haut, soit il annule l’acte
administratif, soit il rejette le recours. La règle de séparation du juge et de
l’autorité administrative lui interdit de substituer une décision régulière à
celle qu’il a annulée et, de ce fait, il ne peut pas adresser d’injonctions à
l’administration.
Il ne peut que renvoyer le requérant devant l’autorité administrative
compétente pour que celle-ci tire les conséquences de la décision
juridictionnelle.
Parfois, il n’y a aucune difficulté parce que l’annulation entraîne à elle
seule tous les effets nécessaires. Par exemple, l’annulation d’un règlement.
Par ailleurs, si l’annulation est prononcée pour vice de forme ou
incompétence, l’autorité administrative n’éprouvera aucune difficulté à
refaire son acte en respectant cette fois les règles qu’elle avait méconnues.
Le problème peut en revanche être plus délicat si l’administration doit
faire un acte contraire à l’acte annulé en réintégrant l’agent révoqué,

(104) C.S.A. 8 juin 1964, Benhaïm c/ Président du conseil, R.A.C.A.M. 1964, p. 451.

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182 Contentieux administratif marocain

maintenant l’autorisation d’occupation du domaine public lorsque le retrait


de cette autorisation à été annulé, reconstituant la carrière de l’agent
sanctionné (105). Dans ce cas, le juge se reconnaît le droit de vérifier que
la reconstitution a bien eu pour effet de replacer l’agent dans la situation
qui aurait été la sienne s’il n’avait pas fait l’objet de la sanction irrégulière.
Mais comme la rétroactivité est une fiction, il peut se faire que la
remise des choses en l’état se heurte à une réelle impossibilité.
Lorsque le cas se présente, la seule issue peut être une validation
législative de la décision annulée. Ainsi, le cas s’est-il parfois présenté en
France, par exemple après l’annulation du concours d’entrée à l’école
Centrale en 1949, ou bien en 1983 avec l’annulation du concours de
l’Ecole nationale de la magistrature. Les concours ont fait l’objet d’une
validation législative pour tenir compte des intérêts des candidats reçus qui
avaient achevé leur scolarité. Le Conseil constitutionnel français a eu
l’occasion de dire (notamment, décision 119 DC, 22 juillet 1980, R. p. 46)
que la validation législative ne pouvait être justifiée que par l’intérêt
général et par les nécessités du bon fonctionnement du service public.
Mais le vrai problème qui peut se poser est celui qui résulte de la
mauvaise foi de l’administration.
Il est difficile de se faire une opinion sur l’importance du phénomène ;
mais en tout cas on sait qu’il existe et qu’il est parfaitement intolérable et
la Cour suprême ne manque pas de le dénoncer en des termes sans
équivoque :
« La méconnaissance par l’administration des jugements passés en
force de chose jugée constitue, sauf circonstances exceptionnelles, une
violation des lois fondamentales d’organisation et de procédure judiciaire
dont l’ordre public impose le respect... » C.S.A., 24 novembre 1967,
Aboukacem Alaoui.
Le refus d’exécuter est naturellement une faute de nature à engager la
responsabilité de l’administration : C.A. Rabat, 2 mars 1965, G.T.M. 1965
p. 74 :
« Le refus d’exécution, ou même le retard d’exécution, constitue une
faute de nature à engager la responsabilité de l’Etat. »

(105) C.S.A. 18 juillet 1963, Mallie, R. 183.

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Les caractères généraux du recours en annulation pour excès de pouvoir 183

C’est d’ailleurs ce qu’avait jugé la Cour suprême dans l’arrêt du


9 juillet 1959, Guerra, R. p. 58.
Il n’existe naturellement pas de procédure d’exécution forcée à
l’encontre des personnes publiques ; mais la Cour d’appel insiste sur le fait
que ce privilège est compensé par « un devoir juridique d’exécuter sans
réserve, ni restriction ».
Le problème n’est pas réglé pour autant en cas de refus. La Cour
suprême utilise en effet la même formule que dans l’arrêt de 1967 dans
une décision du 12 juillet 1990, Haj Mbarek Al Yacoubi.
Le juge s’enhardit parfois de façon très méritoire. C’est ce que l’on
peut constater avec l’ordonnance en référé du Président du tribunal de
première instance de Rabat:
« Attendu qu’aucun texte ne dispense l’Etat d’exécuter les décisions de
justice ; que bien plus, le principe de légalité considéré comme l’un des
principes fondamentaux consacrés par la constitution marocaine soumet
les agissements de l’Etat au contrôle de la loi ; qu’en conséquence l’Etat
peut être jugé conformément au droit ; qu’il en résulte que l’Etat est tenu
d’exécuter les arrêts et jugements rendus à son encontre ; que soutenir le
contraire aurait pour conséquence de vider le principe de légalité de son
sens... »  (106).
En conséquence de ce raisonnement, le juge a ordonné la saisie des
“facultés mobilières” de la C.O.M.A.G.R.I.
Nous avons vu combien la jurisprudence récente avait réagi positivement
face à ce problème lancinant de l’inexécution des décisions de justice.
L’utilisation des ressources du Code de procédure civile et l’esprit
créatif du juge ont donné un coup d’arrêt à ces pratiques d’un autre âge !
Exécution d’office, saisie arrêt, astreinte prononcée contre l’autorité
administrative, mais aussi à titre personnel contre l’agent responsable de
l’inexécution, tous ces procédés ont été employés par les nouvelles
juridictions qui montrent ainsi qu’elles sont particulièrement sensibles à la
mission qu’on leur a confiée : faire respecter le principe de légalité par
l’autorité administrative.

(106) Trib. Première instance, Rabat, 16 décembre 1985, C.O.M.A.G.R.I. c/ H. Bonin, RMD 1986,
p. 234, note Ouazzani Chahdi, p. 183)

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184 Contentieux administratif marocain

Celle-ci doit savoir que désormais elle ne pourra plus pratiquer


l’arbitraire à l’abri de privilèges qui lui ont été reconnus pour qu’elle
applique la loi et non pas pour lui permettre de la bafouer. Il demeure
qu’une intervention du législateur serait nécessaire pour renforcer les
moyens mis à la disposition du juge dans le sens, par exemple, où cela a
été réalisé en France.
On sait qu’en France un mécanisme a été mis en place qui permet
d’obtenir la condamnation de l’administration à exécuter sous astreinte.
Par ailleurs, le juge peut, depuis une loi de 1995, adresser des injonctions
à l’administration d’avoir à prendre les mesures nécessaires pour donner
plein et entier effet aux décisions de justice. Une modification du code de
procédure civile qui irait dans cette direction serait certainement d’un
grand secours pour le juge administratif. Cette intervention est d’autant
plus souhaitable qu’elle serait de nature à interdire à la Cour suprême de
désavouer les juridictions administratives de premier degré en jugeant
selon la lettre de textes bientôt centenaires, mais surtout de textes fondés
sur des principes révolus.
Le désaveu infligé par la Cour suprême au tribunal administratif de
Meknès dans la décision du 11 mars 1999, commune rurale de Tounfit
c/ Attaoui, ne peut être qu’un combat d’arrière garde tournant le dos au
renforcement irréversible de l’Etat de droit.
Il demeure que le véritable remède à l’inexécution se trouve dans une
pratique administrative respectueuse de la légalité, donc dans le
développement d’une déontologie administrative fondée sur l’idéologie
libérale de l’Etat de droit, et ceci à tous les niveaux de la hiérarchie
administrative. On pourrait aussi imaginer des mécanismes automatiques
de sanction disciplinaire à l’encontre des responsables de l’inexécution,
voire la mise en cause de leur responsabilité personnelle pour faute lourde
dans l’exercice de leurs fonctions (107). En tout cas, qu’on le veuille ou
pas, et même si l’on a tendance à dissimuler le problème de l’inexécution
des décisions de justice contre l’administration en le diluant dans la grande
entreprise de la réforme de la justice en général, ce qui risque de le
renvoyer aux calendes grecques, il faut bien se rendre compte qu’il
demeure et demeurera la condition indiscutable de l’effectivité de la

(107) M.A. Benabdallah, Justice administrative et inexécution de justice, REMALD n° 25, 1998,
p. 9.

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Les caractères généraux du recours en annulation pour excès de pouvoir 185

fonction judiciaire. On peut réformer à loisir, mais si, en fin de compte,


pour une raison ou une autre, l’exécution du jugement se heurte au refus
de l’autorité administrative, il y aura lieu de s’interroger sur l’utilité de la
réforme surtout que l’article 126 de la Constitution rappelle que « les
jugements définitifs s’imposent à tous » et que « les autorités publiques
sont tenues de prêter leur assistance à l’exécution des jugements ».

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Chapitre II
Les conditions de recevabilité du recours
pour excès de pouvoir

La réglementation du recours pour excès de pouvoir a été délibérément


laissée à la détermination du juge.
On n’en trouve que quelques règles dans le dahir de 1957 et dans les
textes postérieurs, y compris la loi instituant les tribunaux administratifs.
C’est donc le juge qui dans la plupart des cas a fixé les conditions de
recevabilité du recours en essayant de combiner les exigences de sa
finalité – respect de la légalité, sanction des irrégularités administratives –
et les exigences pratiques de l’action administrative.
Les conséquences théoriques que l’on peut tirer du principe de légalité
sont difficilement acceptables pour l’administration ; elles signifieraient en
effet que tout le monde peut intenter un recours pour faire respecter la
règle de droit, que le recours pourrait être intenté à toute époque et que
tous les actes de l’administration pourraient être ainsi contestés toujours et
par toute personne, ce qui serait alors une « action populaire ». Le juge
n’accepte que partiellement de telles conséquences car il tient compte
d’autres réalités.
La protection des droits des administrés doit en effet être conciliée
avec la prise en considération des nécessités de l’action administrative.
Il doit être attentif aux exigences de la stabilité de l’ordre juridique
comme au pouvoir dont l’administration doit disposer pour s’organiser
librement afin d’être en mesure de remplir efficacement sa mission.
Ceci a pour conséquence que des limitations sont apportées au droit
d’intenter le recours par des conditions de recevabilité qui tiennent au
délai, à la personne du requérant, à la nature de l’acte attaqué et enfin à
l’absence de recours parallèle.
188 Contentieux administratif marocain

La condition de délai fera l’objet d’un simple rappel dans la mesure où


elle a été exposée dans le chapitre consacré à la procédure et, notamment
dans les développements consacrés à l’introduction de la requête. On se
bornera donc à indiquer que la justification du délai se trouve dans l’idée
qu’il faut apurer rapidement les situations litigieuses spécialement
lorsqu’elles mettent en cause la validité de l’ordre juridique. La
computation des délais a changé en 1974 lorsque l’exigence du recours
administratif préalable a été supprimée. Aujourd’hui le délai est de
soixante jours ; c’est un délai franc ; ce délai est le même pour obtenir une
décision implicite de rejet lorsque l’on a fait un recours administratif
gracieux ou hiérarchique, ou une demande initiale. On rappellera que toute
action dirigée contre une collectivité locale doit être précédée d’un
mémoire adressé à l’assemblée délibérante et selon le cas au gouverneur
ou Wali (collectivité communale) ou au ministre de l’intérieur s’agissant
des collectivités préfectorales ou provinciales et contre récépissé ; ce
mémoire a pour but d’informer la collectivité et l’autorité de tutelle de
l’objet et des motifs de la demande. Il interrompt toute prescription ou
déchéance s’il est suivi d’une demande en justice dans le délai de
trois mois.

Section I
Les conditions tenant à la qualité du requérant

Le requérant doit avoir la capacité d’agir en justice et il doit, en outre,


avoir intérêt à agir.
La condition de capacité n’est pas spécifique au recours pour excès de
pouvoir ; elle est la même pour toutes les actions en justice, et nous avons
déjà évoqué cette question dans les développements consacrés à la requête
introductive d’instance.
De même, nous avons indiqué qu’un grand principe de procédure exigeait
du requérant la démonstration d’un intérêt à l’action ; ce principe, connu par
l’adage « pas d’intérêt, pas d’action », signifie dans le contentieux de la
pleine juridiction : pas de droit pas d’action.

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Les conditions de recevabilité du recours pour excès de pouvoir 189

En revanche, la notion d’intérêt à agir dans le contentieux de la légalité


présente une spécificité qui justifie qu’on lui consacre un développement
particulier.
La notion d’intérêt à agir dans le recours pour excès de pouvoir n’a pas
fait l’objet d’une définition légale ; ce sont les décisions du juge qui ont,
peu à peu, permis de la construire.
La jurisprudence marocaine comporte à cet égard un certain nombre de
décisions importantes ; mais il est de nombreux cas qui ne se sont pas
présentés devant le juge, en sorte que l’on sera conduit à évoquer, à leur
propos, les décisions du Conseil d’Etat français qui peuvent servir de point
de repère dans la mesure où, compte tenu de la similitude des textes, elles
peuvent servir d’orientation.
Il convient tout d’abord d’indiquer que le juge distingue entre le droit
et l’intérêt. Il n’exige du requérant que la preuve qu’il a intérêt à contester
la décision administrative ; il est évident que cette exigence est moindre
que celle d’un droit et qu’ainsi le cercle de ceux qui peuvent intenter le
recours s’en trouve considérablement élargi.
Toutefois, cet intérêt n’est pas un intérêt purement abstrait et théorique
que tout individu peut avoir à savoir que la loi est respectée.
En effet, ce doit être un intérêt que le requérant éprouve concrètement
dans sa situation matérielle ou morale qui se trouve menacée par la
décision administrative et qui le pousse à utiliser le recours pour excès de
pouvoir ; ce dernier est un moyen de se défendre, de défendre ce à quoi il
est concrètement attaché.
Il faut donc que le requérant fasse la preuve qu’il est concerné
directement par l’acte attaqué et que le recours va ainsi lui permettre de
défendre sa situation menacée.
L’intérêt du requérant s’apprécie à la date de la requête ; si l’intérêt
vient à disparaître du fait du retrait de la décision contestée postérieurement
à l’introduction de la requête, le juge décidera qu’il n’y pas lieu à statuer.
L’intérêt s’apprécie au regard du dispositif de la décision et non pas au
regard de ses motifs ; ceci explique qu’il ne soit pas possible de contester
une décision qui donne satisfaction à son destinataire.

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190 Contentieux administratif marocain

L’intérêt pour agir (108) présente un certain nombre de caractéristiques ;


ce peut être un intérêt matériel ou moral, ce doit être un intérêt
individualisé, mais ce peut être aussi un intérêt collectif.

§1. L’intérêt matériel ou moral


Les exemples d’intérêt matériel sont très nombreux et faciles à
imaginer :
• la fermeture d’un garage par l’administration en raison du bruit qu’il
occasionne ;
• la sanction administrative d’amende pour hausse illicite des prix ;
• la révocation ou la rétrogradation d’un fonctionnaire ;
• le retrait de l’autorisation d’exercer une profession ;
• le refus d’un permis de construire ou l’ordre d’interruption des
travaux, etc.
L’intérêt moral est moins bien représenté en jurisprudence, bien qu’il
puisse être étroitement imbriqué avec l’intérêt matériel ; tel est le cas en
matière de sanction où la décision comporte un aspect moral incontestable
qui se cumule avec ses conséquences matérielles.
Mais il peut y avoir des cas où l’intérêt moral joue de façon isolée. Par
exemple, dans la jurisprudence française, les associations se pourvoient
fréquemment contre des décisions administratives qui portent atteinte aux
buts qu’elles poursuivent ; par exemple l’association des amis de l’Ecole
polytechnique a attaqué une décision nommant irrégulièrement des élèves
de l’Ecole. L’association faisait valoir qu’une telle décision portait atteinte
à la réputation de l’Ecole (109). Pour la même raison, un syndicat
d’enseignement supérieur avait déposé un recours contre un arrêté
ministériel créant, avec la même appellation d’agrégation, un concours de
recrutement n’ayant aucun rapport par son contenu et le type d’épreuves
avec le concours d’agrégation des disciplines juridiques. Dans le même
esprit, une association de lauréats peut se pourvoir contre une décision
ministérielle déclarant admis aux épreuves d’un examen des élèves qui ne
seraient pas proposés par le jury. Il en serait de même d’ailleurs si des

(108) M.D. Halabi Kettani, La condition d’intérêt dans le recours en annulation, in REMALD, coll.
« Thèmes actuels », n° 12, 1997, p. 29 (en langue arabe).
(109) C.E. 13 juillet 1948, Sté des amis de l’Ecole polytechnique, R. 330

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Les conditions de recevabilité du recours pour excès de pouvoir 191

décisions d’admission d’élèves étaient prises au mépris des règles régissant


le concours d’accès aux différents cycles.
Dans toutes ces hypothèses, on voit bien que c’est seulement un intérêt
moral qui justifie ou pourrait justifier la recevabilité du recours.

§2. L’intérêt doit être suffisamment individualisé


Le juge exige que le requérant fasse la preuve qu’il possède un intérêt
individuel, mais cela ne signifie pas qu’il doive être le seul à pouvoir faire
état de cet intérêt ; on voit ainsi apparaître la distinction entre l’intérêt
personnel et l’intérêt individuel.
Le requérant doit ainsi appartenir à une catégorie suffisamment
individualisée, et son intérêt relever d’un « cercle d’intérêt » nettement
circonscrit. Seuls des exemples puisés dans la jurisprudence permettent de
préciser ce qu’il faut entendre par là.
Ainsi le contribuable communal appartient à une catégorie dont les
intérêts sont nettement individualisés au regard des décisions engageant
les finances communales. L’habitant d’un quartier pourra critiquer un
permis de construire délivré pour un projet de construction dans le quartier.
L’usager d’un service public pourra critiquer les décisions qui concernent
le fonctionnement du service: fermeture d’une ligne ou déplacement d’un
itinéraire. L’enseignant du supérieur pourra critiquer les décisions
organisant l’université (conseil d’université) ou les élections universitaires,
etc.
Mais le cercle d’intérêt reste limité, et le juge n’accepterait certainement
pas de l’élargir au point d’en faire une action dite populaire ; c’est par
exemple ce qu’a décidé la jurisprudence française qui ne considère pas
que la seule qualité du contribuable national donne intérêt pour contester
les décisions engageant les dépenses de l’Etat.

§3. L’intérêt collectif


Si les individus sont largement admis à défendre un intérêt collectif,
l’intérêt d’une catégorie, le problème est plus délicat lorsqu’il s’agit
d’apprécier si un groupement a un intérêt à agir.

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192 Contentieux administratif marocain

Il est vrai que dans certains cas il n’y a aucune difficulté, car le
groupement défend des intérêts qui lui sont propres et correspondent à son
objet social. Nous en avons eu un exemple avec l’association des anciens
élèves de tel établissement.
Une association, un syndicat, un organisme professionnel (ordre des
médecins, des architectes, etc.) peut agir sans difficulté pour la défense
des intérêts moraux ou matériels qui sont communs à l’ensemble de ses
membres. Exemples : la Fédération nationale des transporteurs routiers, la
Société hippique et des courses marocaines, la Fédération nationale des
agents généraux d’assurances, etc.
Dans ces différents cas, l’organisme collectif utilise ce que l’on appelle
l’action corporative pour défendre un intérêt collectif. Mais si les
groupements peuvent agir pour défendre l’intérêt collectif, ils ne peuvent
pas agir pour défendre des intérêts individuels, ce qui relève de l’initiative
de chaque individu et se traduit en procédure par l’adage : « Nul ne plaide
par procureur ».
Toutefois, il peut être difficile de distinguer entre l’intérêt collectif et
l’intérêt individuel, sans oublier que, parfois, il existe des intérêts
individuels à répercussion collective.
La distinction est aisée lorsque l’on est en présence d’un acte
réglementaire ou collectif, car ces actes touchent le plus souvent l’ensemble
des membres du groupement, donc l’intérêt collectif :
Exemples :
• C.S.A., 29 janvier 1987, Association des inspecteurs adjoints du
Ministère des Finances qui annule l’alinéa 3 de l’article 13 du décret
du 28 septembre 1983 relatif au calcul du quota budgétaire permettant
l’accès au grade d’inspecteur (échelle 10).
• C.S.A., 16 juillet 1959, Association tangéroise interprofessionnelle
économique et sociale, R. 72, recours dirigé contre un décret étendant
à la zone de Tanger la réglementation fiscale applicable dans l’ex-
zone Sud.
Mais, en revanche, une fédération de syndicats locaux ne peut agir si
l’acte contesté ne concerne que les adhérents d’un syndicat régional,
C.S.A., 23 mars 1964, Fédération nationale des syndicats de transporteurs
routiers du Maroc. Il s’agissait d’actes individuels à répercussion

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Les conditions de recevabilité du recours pour excès de pouvoir 193

collective, le recours était dirigé contre des agréments délivrés à des


entreprises de transport pour assurer un service sur certaines lignes en
contradiction avec le plan de transport régional. Dans ce cas, ce sont les
entreprises, ou le syndicat régional les regroupant, qui pouvaient agir.
Par contre, nul problème si l’acte individuel vise le groupement lui-
même, par exemple une dissolution administrative, le refus d’une
subvention.
Mais la question devient délicate dès lors que l’acte individuel vise un
membre du groupement : sanction, retrait d’agrément, nomination ou
promotion irrégulière, etc.
Le principe est que le groupement ne peut se substituer au destinataire
de l’acte ; mais il pourra toujours, si l’acte a une répercussion sur les
intérêts collectifs, agir pour les défendre.
En pratique, on distingue les actes positifs et les actes négatifs.
Dans le premier cas, actes positifs, il n’y a pas un intérêt individuel
prédominant, et il ne faut naturellement pas attendre que le bénéficiaire de
la mesure la conteste ; c’est pourquoi le groupement sera considéré comme
ayant un intérêt pour agir. Ce sera le cas des décisions de promotion,
nomination, octroi d’un agrément, d’une subvention, d’une prime
d’équipement, d’un permis de construire, etc.
En revanche, en cas de décision négative, le groupement ne sera pas
autorisé à agir. Le juge estime, en effet, que le destinataire de la mesure de
refus ou de sanction ou de retrait a un intérêt qui l’emporte sur celui du
groupement ; il agira d’ailleurs le plus souvent, et s’il ne le fait pas, il n’y
a pas de raison que le groupement se substitue à lui.
Le groupement n’est cependant pas complètement écarté du procès
dans ce cas ; il peut en effet, si l’intéressé intente un recours, utiliser le
procédé de l’intervention pour conforter l’argumentation du requérant en
vertu de l’article 379 du C.P.C.
Evidemment, il convient de rappeler que le groupement peut toujours
être mandataire. Mais, dans ce cas, il lui faudra fournir la preuve qu’il a
reçu un mandat spécial pour agir aux lieu et place de l’intéressé.

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194 Contentieux administratif marocain

Section II
Les conditions tenant à la nature
de l’acte attaqué
La Cour suprême en 1957 et les tribunaux administratifs selon le texte
de la loi de 1991 statuent sur les recours en annulation dirigés contre les
décisions des autorités administratives.
Il faut donc déterminer ce que l’on doit entendre par décision des
autorités administratives. Parfois d’ailleurs, le législateur utilise une
expression légèrement différente en parlant de « décision administrative », ce
qui n’est pas équivalent : article 8-3° à propos de l’appréciation de la légalité,
article 21-6° à propos de l’exception de recours parallèle, ou bien encore
article 22 à propos du sursis. L’identification de l’acte administratif semble
apparemment un problème simple, et tel est le cas le plus fréquent.
Mais il peut arriver qu’il soit plus complexe parce que certaines
autorités administratives, en raison du dédoublement fonctionnel, peuvent
être conduites à prendre des actes qui ne sont pas administratifs ou parce
que certains actes qui émanent des autorités administratives ne constituent
pas des actes faisant grief au requérant.
Il faut enfin tenir compte du fait que de nombreux organismes ou
personnes privés assurant des missions de service public sur la base de la
loi, prennent des décisions dans le cadre de ces missions ; celles-ci sont
des décisions administratives dès lors qu’elles se rattachent à l’exécution
de la mission de service public et qu’elles mettent en œuvre des
prérogatives propre à l’action administrative comme le pouvoir d’action
unilatérale ; c’est ce que nous avons exposé à propos du critère matériel de
la matière administrative et que la Cour suprême a confirmé dans la
décision du 30 octobre 1991, Saâd Ben Haj Saigh c/ Fédération royale
marocaine de foot-ball.

§1. L’acte doit émaner d’une autorité administrative


Cette exigence conduit à exclure les actes législatifs, les actes royaux,
les actes juridictionnels et les actes de gouvernement.

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Les conditions de recevabilité du recours pour excès de pouvoir 195

A. Exclusion des actes législatifs


Il ne s’agit pas de la loi naturellement, qui est parfaitement identifiable
et que l’on ne peut confondre avec un acte administratif. Mais le problème
est plus délicat dans les périodes où le parlement cesse de fonctionner, et,
à plus forte raison, en a-t-il été ainsi avant qu’il ne soit créé.
–  Avant 1962, le pouvoir législatif a été exercé par le Roi. Il en a été
de même sur la base des mesures transitoires prévues par les diverses
constitutions en attendant la mise en place du parlement.
La constitution a prévu également en période d’Etat d’exception que le
Souverain pourrait exercer le pouvoir législatif, et c’est également le Chef
de l’Etat qui a exercé ce pouvoir sur la base de l’article 19 de la constitution
entre octobre 1983, date de l’expiration de la législature, et octobre 1984,
date de l’élection de la nouvelle assemblée. Dans ces diverses situations,
les décisions législatives du Roi ont reçu des appellations diverses : dahir
avant 1962, décret royal portant loi, puis dahir portant loi, ce qui fut la
terminologie jusqu’à la Constitution de 2011.
L’article 59 de la Constitution de 2011 a prévu également en période
d’Etat d’exception que le Souverain pourrait prendre les mesures
qu’imposent la défense de l’intégrité territoriale et le retour dans les
moindres délais, au fonctionnement normal des institutions constitutionnelles,
ce qui implique naturellement l’édiction éventuelle de mesures législatives.
Il faut par ailleurs rappeler l’existence :
– de l’article 70-3° de la Constitution et des décrets pris sur habilitation
du Parlement ;
– de l’article 81 de la Constitution qui permet au gouvernement de
prendre, dans l’intervalle des sessions, avec l’accord des commissions
concernées des deux Chambres, des décrets-lois.
Dans les deux cas, il y a ratification ultérieure. Mais on peut se poser
la question de la nature de ces décisions avant qu’elles n’aient fait l’objet
d’une ratification. Il n’y a pas de décision juridictionnelle relative à cette
question ; on peut seulement indiquer que, dans des cas de ce type, le
Conseil d’Etat français a décidé qu’il s’agissait d’actes administratifs
jusqu’à la ratification. Donc susceptible de recours pour excès de pouvoir.

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196 Contentieux administratif marocain

B. Les actes du Roi en matière administrative


Sous le protectorat, le pouvoir normatif était aux mains du Sultan qui
pouvait également prendre un certain nombre de décisions individuelles.
Dans l’arrêt de la Cour d’appel de Rabat du 4 mai 1944, Jemâa
Tamesguelft, une tentative avait été faite de distinguer dans les actes du
Sultan les dahirs-lois et les dahirs-décrets, ces derniers ayant une nature
administrative.
Cette distinction fut totalement ignorée par la Cour suprême dans un
arrêt du 18 juin 1960, Abdelhamid Ronda, R. 136, relatif à la révocation
d’un cadi. Cette solution fut confirmée par une décision du 15 juillet 1963,
Abdallah Bensouda, R. 173. Le recours pour excès de pouvoir est
irrecevable contre les décisions individuelles « émanant du Souverain et
prises en forme de dahir ».
Par la suite, la Haute juridiction devait formuler sa position de façon
plus radicale encore dans l’affaire Sté propriété agricole Abdelaziz du
20 mars 1970. L’irrecevabilité est générale, quelle que soit la forme que
peut prendre la décision: décret royal, décret, arrêté ou décision et, à plus
forte raison, dahir.
« Attendu que… Sa Majesté le Roi exerce ses pouvoirs constitutionnels
en qualité d’Iman des croyants conformément à l’article 19 de la constitution
et qu’à cet égard Il ne peut être considérée comme une simple autorité
administrative au sens de l’article 1er du dahir du 27 septembre 1957 ».
Cette décision concernait une décision prise par délégation de signature
dont on sait qu’elle est rapportée à la personne du délégant.
Or, aujourd’hui la Constitution de 2011 distingue les pouvoirs du Roi en
tant qu’autorité religieuse, art. 41, de ses attributions en tant que chef d’Etat,
article 42. On peut donc considérer que la question du recours contre les
actes relatifs à la nomination des magistrats ne se pose plus ; les propositions
du Conseil supérieur de l’autorité judiciaire peuvent faire l’objet d’un
recours car ce sont, pour ce qui le concerne, des décisions administratives
qui tombent sous le coup de l’article 118-2° de la Constitution et surtout de
l’article 114 qui dispose que « les décisions individuelles du Conseil
supérieur du pouvoir judiciaire sont susceptibles d’un tel recours devant la
plus haute juridiction administrative du Royaume », c’est-à-dire la Chambre
administrative de la Cour de cassation.

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Les conditions de recevabilité du recours pour excès de pouvoir 197

C. Les actes juridictionnels


Cette exclusion va de soi pour les décisions constitutives de jugements
qui font l’objet de recours spécifiques en appel ou en cassation. Celui-ci
existe d’ailleurs de plein droit sauf si un texte législatif l’exclut
expressément : C.S.A., 18 mars 1977, Kadiri Abdelhafid (110).
Mais il peut y avoir difficulté lorsque l’on ne se trouve pas en présence
d’une juridiction intégrée dans la hiérarchie normale des tribunaux ;
certains organismes ont une nature qui n’est pas évidente : juridiction
spéciale ou organisme administratif, le problème peut se poser.
Tel est le cas :
• de la commission chargée de donner son avis sur les autorisations de
transports routiers : C.S.A., 19 décembre 1959, Jacob Hamouth, R. 83 ;
• du conseil des Oukils judiciaires, 18 juillet 1963, RACAM, p. 221 ;
• du conseil de la pharmacie statuant en matière disciplinaire : 18 mai
1961, Israël, R. 123, avec les conclusions du procureur général
Zarrouck ;
• des commissions de taxation : 12 juillet 1962, X., R. 66.
Le problème est d’ailleurs le même aujourd’hui pour les commissions
locales et nationales créées par la loi créant la T.V.A. (B.O. 1986, p. 2).
La Cour suprême utilise, pour déterminer la nature de ces organismes,
la méthode du faisceau d’indices :
• Acte de création : les catégories de juridiction doivent être créées par
la loi : article 71 de la Constitution.
• La composition de l’organisme : comprend-elle des magistrats, quel
est leur nombre et leur rôle ?
• L’organisme est-il indépendant  ?
• Q uels sont ses pouvoirs ? A-t-il un pouvoir de décision, et ses
décisions doivent-elles être motivées ?
• La procédure est-elle contradictoire ?
• Y a-t-il des recours contre ses décisions ? Quel type de recours ?

(110) Une telle exclusion serait certainement censurée par le Cour constitutionnelle comme
contraires aux principes fondamentaux d’organisation judiciaire et surtout à l’article 118-2° de la
Constitution.

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198 Contentieux administratif marocain

C’est en fonction des réponses que l’on peut apporter à ces diverses
questions que le jugement pourra conclure dans un sens ou dans l’autre
sur la question de la nature juridictionnelle ou administrative de
l’organisme.
Une dernière question doit être soulevée en raison de la création des
tribunaux administratifs.
Il s’agit de savoir s’il ne conviendra pas désormais de faire une
distinction entre les actes qui relèvent de l’organisation du service public
de la justice et ceux qui concernent le fonctionnement des juridictions.
En effet, dans le système de l’unité de juridiction, il n’y avait aucun
inconvénient, du point de vue de l’indépendance des juges, à ce que la
Cour suprême, qui coiffait l’ensemble des juridictions, connaisse par la
voie du recours pour excès de pouvoir les décisions liées à l’exercice de la
fonction du juge. Tel est par exemple le cas de l’arrêt de la C.S.A.,
25 février 1983, R.J.P.E.M. 1984, p. 103, par lequel la Haute juridiction
statue sur le recours en annulation dirigé contre la décision par laquelle le
premier Président de la Cour d’appel s’oppose à ce que le dossier d’une
affaire soit transmis au tribunal de première instance pour exécution.
Aujourd’hui, peut-on admettre que de tels actes soient déférés au
tribunal administratif ? Ne conviendra-t-il pas de distinguer entre les actes
touchant l’organisation du service public de la justice (création de
juridiction, affectation de magistrats ou création d’emplois, etc.) qui
peuvent faire l’objet d’un recours en annulation, et les actes touchant
l’exercice de la fonction juridictionnelle qui ne devraient pas pouvoir faire
l’objet d’un recours devant le tribunal administratif ? C’est une question
qui devra être tranchée.

D. Les actes de gouvernement


C’est sous cette appellation que la doctrine regroupe traditionnellement
un certain nombre d’actes qui émanent d’autorités administratives ou
exécutives mais qui ne peuvent faire l’objet du recours en annulation,
parfois même qui sont insusceptibles de recours juridictionnel.
La jurisprudence de la Cour suprême n’a consacré cette catégorie que
dans une décision a contrario : 30 avril 1959, Fédération nationale des
syndicats de transporteurs routiers du Maroc, R. 47.

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Les conditions de recevabilité du recours pour excès de pouvoir 199

« Attendu… que cette décision n’est pas au nombre des actes de la


puissance publique qui, en raison des autorités qu’ils mettent en cause,
échappent à toute procédure juridictionnelle. »
Les actes peuvent être des actes pris par le gouvernement dans les
rapports avec le parlement. Par exemple, décision ou refus de déposer un
projet de loi ou un amendement à un tel projet, acceptation par le
gouvernement ou refus d’un amendement parlementaire, etc. Ce peut être
aussi la décision (décret) de clôture d’une session ordinaire ou de
convocation d’une session extraordinaire.
Dans le domaine des relations internationales et diplomatiques, les
autorités responsables peuvent prendre des décisions dont le juge refusera
de connaître : décisions d’engager des relations diplomatiques ou de les
rompre, ordres et instructions donnés aux diplomates, interprétation des
traités (111).
La jurisprudence du Conseil d’Etat français offre un assez vaste
éventail d’exemples qui intéresse aussi les opérations de guerre :
arraisonnement de navires, création d’un périmètre de sécurité dans la
zone des 300 milles marins interdit à la circulation maritime, etc.
Ces actes se rattachent au droit constitutionnel et aux relations
internationales, ce qui explique que le juge administratif, qui n’est compétent
que pour appliquer le droit administratif à des autorités administratives, ne
puisse pas se déclarer compétent.
En revanche, on ne peut pas accepter la théorie de l’acte à mobile
politique qui a été invoquée parfois et qui aurait pour conséquence de faire
échapper au contrôle du juge un grand nombre de décisions importantes
dont il ne serait pas difficile de démontrer qu’elles ont un objectif d’ordre
politique ; en effet, les décisions des plus hautes instances administratives
(gouvernement) ont pratiquement toujours une finalité politique au-delà de
leur aspect purement technique.
L’article 3-2° de la loi tunisienne du 1er juin 1972 créant le tribunal
administratif a exclu du recours pour excès de pouvoir les décrets à caractère
réglementaire ; malgré les explications avancées par le représentant du
gouvernement, il est clair que celui-ci a voulu faire échapper les décisions

(111) T.A., Rabat, 8 mars 2011, Belouad, REMALD n° 41, 2001, p. 133, note Benabdallah

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200 Contentieux administratif marocain

administratives les plus importantes au contrôle du juge, transformant ainsi


celles-ci en “actes de gouvernement” (112).
En Algérie, le législateur excluait tout recours contre les décisions
homologuant la nationalisation et l’attribution des terres dans le cadre de
l’opération dite « de la révolution agraire ». le professeur Mahiou justifiait
cette tentative d’échapper au contrôle du juge en rangeant ces décisions
dans la catégorie des actes de gouvernement sans faire apparaître le
caractère inacceptable de cette volonté de faire échapper au juge le
contrôle d’actes qui ne sont que des actes administratifs ; on opposera à
cette attitude celle du conseil d’Etat dans l’arrêt Dame Lamotte de 1950 et
celle de la Cour suprême dans l’arrêt William Wall, et la résistance de la
doctrine libérale qui n’a jamais cédé à la tendance de l’administration et
du législateur de faire en sorte que, par le biais d’une conception extensive
de l’acte de gouvernement, les actes administratifs échappent au contrôle
du juge (113).

§2. L’acte doit avoir le caractère d’une décision exécutoire


On observera de façon préliminaire que cette condition ne peut être
satisfaite que si l’on est en présence d’une décision. Si l’administration n’a
pas pris de décision, il ne peut pas, par hypothèse, y avoir d’acte
contestable ; ceci explique une décision rarissime par laquelle la Cour
suprême rejette un recours pour irrecevabilité en constatant que ce que le
requérant conteste, c’est une opération matérielle de l’administration, en
l’espèce l’occupation d’une propriété agricole qui n’est pas fondée sur un
acte juridique : C.S.A. 21 novembre 1969, R.A.C.S.A., tome IV, p. 212 ; il
s’agissait d’un acte matériellement inexistant. Cela dit, la condition se
dédouble. Il faut que l’acte fasse grief au requérant et qu’il constitue un
acte unilatéral.

A. L’acte doit faire grief


Cette exigence signifie que l’acte doit avoir une valeur juridique
suffisante pour s’imposer au requérant. Cette condition exclut donc les

(112) Y. Ben Achour : Droit administratif, Tunis, 1982, p. 611.


(113) A. Mahiou, Cours de contentieux administratif, 2e, éd. 1981, Office des publications
universitaires, Alger, p. 193.

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Les conditions de recevabilité du recours pour excès de pouvoir 201

actes de l’administration qui sont simplement préparatoires d’une décision :


avis, propositions, projets, etc.
• Proposition de sanction : 15 décembre 1960, Ingarao Plinio, R. 24.
• Mise en demeure préalable à un retrait d’autorisation : 22 février
1961, Société coopérative agricole vinicole d’Oujda, R. 34.
• Rappel de la réglementation en vigueur, 19 juin 1962 ; R. 59, Ali
Ou Mimoun.
• Cependant, l’avis notifié à l’intéressé a le caractère d’une décision,
30 mais 1963, Roubinet, R. 46.
• De même, la lettre du gouverneur qui « demande » à une dentiste de
fermer un cabinet secondaire est considérée comme une décision,
C.S.A., 12 mars 1959, Caillères, R. 40.
Naturellement, il faut vérifier le régime juridique de ces actes
préparatoires ; parfois ils ont, en eux-mêmes, des effets juridiques ; tel est le
cas du projet d’arrêté de cessibilité dans le droit de l’expropriation qui doit
être publié, la publication entraînant au bout d’un certain délai la purge de
tous les droits réels dont les titulaires ne se sont pas fait connaître : C.S.A.,
29 juin 1989, Al Mjad Mohamed Ben Hassan. Egalement, la notation d’un
fonctionnaire (114).
Seront également considérés comme des actes ne faisant pas grief les
mesures d’ordre intérieur : notes de service, circulaires, instructions.
Un problème se pose cependant pour les circulaires et autres directives.
Normalement, elles ne font pas grief car elles n’ajoutent rien à la
réglementation existante ; les ministres n’ont pas en effet de pouvoir
réglementaire, et ils ne peuvent pas ajouter quoi que ce soit à l’ordre
juridique par voie de circulaire ou de directive ; ceci explique l’irrecevabilité
du recours pour excès de pouvoir contre de tels actes.
Cependant si, outrepassant ses pouvoirs, le ministre édicte une circulaire
qui n’est pas seulement interprétative mais qui ajoute une obligation à
celles qui résultent de l’ordre juridique existant, le recours sera possible
(M.A. Benabdallah, De la nature juridique de la circulaire, REMALD
n° 60, 2005, p. 70).

(114) T.A., Agadir, 2 juillet 2008, Boudlal, REMALD n° 96, 2011, p. 168, note Benabdallah.

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202 Contentieux administratif marocain

C’est ce qu’admet la Cour suprême dans une décision a contrario :


C.S.A., 9 juillet 1960, Mohamed Alem, le recours aurait été possible
contre les opérations d’un concours organisé par une circulaire illégale.
Et c’est ce qu’elle confirme cette fois dans deux décisions positives :
25 mai 1968, Barbato et 29 janvier 1969, Sté Electras Maroquies à propos
de circulaires de l’Office des changes (115).
L’Office n’a pas reçu de pouvoir réglementaire ; il n’est donc pas fondé à
rejeter une demande en opposant uniquement des moyens de non-recevabilité
de celle-ci tirés de ses notes ou avis ; d’autre part, et de façon en quelque
sorte symétrique, il n’est pas tenu de les appliquer automatiquement pour
chaque demande.
Dans une décision relativement récente la Cour suprême a confirmé
l’orientation qu’elle avait adoptée antérieurement (116).

B. L’acte doit être une décision unilatérale


Cette condition exclut le recours dirigé contre les contrats qui sont des
actes résultant d’un accord de volonté.
Le contentieux contractuel est normalement un contentieux de pleine
juridiction. Toutefois, le juge utilise la théorie de l’acte détachable pour
accueillir le recours contre les actes qui sont un préalable à la passation
d’un contrat : délibération décidant de passer un contrat, délibération et
décision des commissions d’adjudication, décision d’approbation du
contrat, etc. C.S.A., 15 juillet 1963, S.A.R.L. Andalous c/ Ministre des
Habous R. 168, à propos d’une décision refusant d’organiser une procédure
d’adjudication prévue par la loi pour la location d’un bien Habous.
Cependant, la Cour suprême est allée plus loin pour une raison à la fois
pratique et théorique.
Sur le plan pratique, il est évident que le recours pour excès de pouvoir
permettait de régler plus rapidement le litige que le recours de pleine

(115) P. Decroux, La délégation de pouvoir au Maroc », R.J.P.I.C., p. 357 ; cf. R. 1966-1970, p. 145
et 223.
(116) C.S.A., 5 juin 2003, Commune urbaine de Aïn Sebba c/ Moussadik Habiba, REMALD n° 60,
2005, p. 70, note Benabdallah

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Les conditions de recevabilité du recours pour excès de pouvoir 203

juridiction, compte tenu de l’appel et de la cassation éventuelle, avant la


loi n° 41-90 instituant les tribunaux administratifs.
Par ailleurs, en matière de personnel contractuel, les litiges sont toujours
très proches des questions de régularité de la décision administrative dont
peut se plaindre l’agent.
Enfin sur le plan théorique, l’article 8 du D.O.J. puis l’article 25 du
C.P.C. interdisant au juge de pleine juridiction d’annuler les actes
d’administration, la question se posait de savoir si la saisine du juge de
l’excès de pouvoir ne s’imposait pas.
C’est pour ces diverses raisons que l’admission du recours pour excès
de pouvoir a été ouverte au requérant se plaignant d’une décision
unilatérale prise en violation du contrat, pour autant que le recours de
pleine juridiction ne lui permettait pas d’obtenir une totale satisfaction.
En matière de contrat de la fonction publique, on citera :
• L’arrêt du 20 mai 1963, Sieur Faure, R. 277 et R.M.D. 1965, p. 48,
qui déclare recevable le recours pour obtenir l’annulation de la
décision refusant le versement d’une indemnité prévue par le contrat
de recrutement.
• L’arrêt du 25 novembre 1966, Abassi Abdelaziz, J.C.S. n° 2, novembre
1968, p. 102, par lequel la Cour accepte le recours pour excès de
pouvoir contre une décision de résiliation d’un contrat de recrutement,
jurisprudence confirmée par les arrêts du, 26 janvier 1977, Badaoui et,
6 mai 1977, El Moumi Sadek (R.J.P.E.M., n° 4, 1978, p. 273. Il
s’agissait de la résiliation d’un contrat et de la sanction d’un agent
contractuel prise par le directeur d’un office. Même solution à propos
de la résiliation du contrat de vente d’un terrain : 8 janvier 1971,
Union hôtelière de l’Afrique du Nord.
En revanche, la Cour avait estimé que le recours n’était pas recevable
contre une décision refusant une révision de prix car cela relevait de la
compétence du juge de pleine juridiction, la détermination du prix étant
une clause contractuelle et la demande se résumant en définitive en une
demande d’indemnité : 14 janvier 1963, Sté marocaine d’application
électrique, R. 103.

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204 Contentieux administratif marocain

Section III
L’exception de recours parallèle
« Le recours pour excès de pouvoir n’est pas recevable contre les
décisions administratives lorsque les intéressés disposent pour faire valoir
leur droit du recours ordinaire de pleine juridiction. »
Cette exigence résulte de l’article 14-6° du dahir de 1957, repris par le
C.P.C. ; elle figure enfin dans l’article 23-6° de la loi de 1991.
Il y a donc recours parallèle lorsque le requérant peut faire pleinement
valoir ses droits grâce au recours devant le juge ordinaire. Telle est du
moins la conception de cette exception qui a prévalu depuis la création du
recours en 1957. La question que l’on peut se poser est celle de savoir si
elle demeurera inchangée avec la mise en place des tribunaux administratifs.

§1. L’exception de recours parallèle depuis 1957


Cette exception est parfaitement logique dès lors que la Cour suprême
est seule chargée en première instance du contentieux de la légalité. Il est
naturel qu’elle respecte la répartition des compétences qui veut que les
juridictions ordinaires accueillent les recours de pleine juridiction. D’autre
part, et inversement, il est logique que la Cour suprême accueille le
recours chaque fois que la question à juger peut conduire à l’annulation
d’une décision administrative, ce qui est interdit au juge ordinaire.
Cette exception traduit donc sur le plan procédural la distinction entre
le contentieux de pleine juridiction et le contentieux de l’annulation.
Elle permet par ailleurs de faire respecter la répartition des compétences
entre la Cour suprême et les juridictions ordinaires.
Cependant, quelques problèmes ont pu se poser du fait que certains
textes particuliers attribuaient des compétences spéciales aux juridictions
ordinaires leur permettant de régler les litiges nés de leur application, y
compris en annulant les décisions litigieuses.
Tel est le cas en matière de pension et en matière fiscale ; le juge de
l’impôt a plénitude de compétence pour trancher les litiges qui peuvent
naître des décisions individuelles de l’administration fiscale : C.S.A.
13 avril 1961, Groupement foncier d’Agadir, R. 50. Il en est de même en

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Les conditions de recevabilité du recours pour excès de pouvoir 205

matière de pension, bien qu’aucune décision n’ait eu à se prononcer sur ce


point.

§2. Les conséquences de la création des tribunaux administratifs


La création de ces nouvelles juridictions et la définition de leur
compétence matérielle ont eu pour effet d’enlever une grande partie de son
importance à la règle qui reste cependant maintenue par l’article 23-6° de
la loi.
En effet, dès lors que c’est désormais le même juge qui, dans la majorité
des cas, est compétent pour traiter les recours en annulation et les recours
de pleine juridiction, l’exception ne concerne plus que la distinction des
contentieux, c’est-à-dire une distinction sans grande conséquence dès lors
que c’est le même juge qui est compétent à l’égard de l’un et de l’autre.
Toutefois, on doit relever qu’il existe quelques différences de procédure
entre les deux recours puisque le recours pour excès de pouvoir est
dispensé de la taxe judiciaire.
C’est d’ailleurs la raison pour laquelle les tribunaux administratifs sont
portés à opposer cette exception au requérant lorsque celui-ci dispose du
recours de plein contentieux notamment en matière contractuelle : T.A.,
Rabat, 11 avril 1996, non publié (117).
Par ailleurs, l’exception conserve toute sa valeur lorsque la Cour
suprême est compétente en premier ressort en matière d’excès de pouvoir
pour statuer sur les recours dirigés contre les actes du Premier ministre,
appelé aujourd’hui chef du Gouvernement, et les actes réglementaires dont
l’application dépasse le ressort territorial d’un tribunal administratif.
La situation est inchangée s’agissant des contentieux particuliers
confiés désormais au tribunal administratif et qui excluent le recours pour
excès de pouvoir : contentieux des pensions et contentieux fiscal par
exemple.
Le Tribunal administratif de Rabat a fait une application regrettable de
l’exception dans un litige intéressant une employée de la Caisse nationale

(117) M. Amazid, Réflexions sur la responsabilité en matière de marchés de travaux publics,


REMALD, n° 17, 1996, p. 175-188.

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206 Contentieux administratif marocain

de crédit agricole à l’encontre de laquelle le directeur général avait pris


successivement une décision de mutation puis, à titre de sanction pour le
refus de l’intéressée de rejoindre son poste, une décision de licenciement ;
le Tribunal retient sa compétence pour statuer sur le recours contre la
décision de mutation qu’il annule ; en revanche, en se fondant sur les
dispositions de la loi n° 41-90 qui prévoient l’exception de recours
parallèle, il rejette le recours contre la décision de licenciement, estimant
que la requérante dispose d’un recours devant la juridiction ordinaire
« pour réclamer ses droits dans le cadre du contentieux du travail ». T.A.,
Rabat, 19 mars 1998, Dahani, précité.
Ce faisant le tribunal met fin à l’unité de traitement du contentieux
relatif aux personnels des établissements publics et offices que la Cour
suprême avait, à juste titre, unifié à la suite de la décision 25 novembre
1966, Abassi Abdelaziz, JCS, n° 2, 1968, p. 102 (en langue arabe).
Il est à souhaiter que, saisie par la voie de l’appel, la haute juridiction
maintienne sa position antérieure favorable à la simplification de la tâche
des requérants, c’est-à-dire à ce que l’on appelle “une bonne administration
de la justice”.

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Chapitre III
Les moyens d’annulation : les cas d’ouverture
du recours pour excès de pouvoir

Les cas d’ouverture du recours pour excès de pouvoir correspondent


aux différentes causes d’irrégularité qui peuvent entraîner l’annulation de
l’acte.
Ces vices peuvent atteindre les différents éléments de l’acte ; on
comprend ainsi que le juge soit amené, à la suite du requérant, à s’interroger
sur la régularité des éléments qui constituent l’acte administratif.
Ces moyens d’annulation ont été dégagés empiriquement par la
jurisprudence, comme cela a été le cas en France de la part du Conseil
d’Etat au cours d’une longue évolution.
Ils ont été systématisés par la loi du 12 juillet 1991 dont l’article 20
dispose :
« Une décision administrative est entachée d’excès de pouvoir soit en
raison de l’incompétence de l’autorité qui l’a prise, soit pour vice de
forme, détournement de pouvoir, défaut de motif ou violation de la loi. La
personne à laquelle une telle décision fait grief peut l’attaquer devant la
juridiction administrative compétente. »
Ces moyens d’annulation peuvent être classés en deux catégories : les
moyens touchant la légalité externe et les moyens concernant la légalité
interne.

Section I
L’irrégularité externe de l’acte administratif
Ces irrégularités sont celles qui peuvent affecter la compétence ou la
forme de l’acte administratif.
208 Contentieux administratif marocain

§1. L’incompétence
C’est l’irrégularité qui concerne l’auteur de l’acte ; elle peut se
manifester de trois façons : usurpation de pouvoir, incompétence à raison
de la matière, incompétence temporelle.

A. L’usurpation
C’est la forme la plus grave d’incompétence. Une personne étrangère à
l’administration prend une décision ; dans ce cas, on peut observer que la
décision est juridiquement inexistante. Elle peut être attaquée à tout moment.
Une autre forme plus délicate apparaît lorsque l’on a affaire à ce que
l’on appelle le fonctionnaire de fait, c’est-à-dire un agent qui n’a jamais été
nommé dans ses fonctions, ou qui l’a été irrégulièrement, et qui prend des
décisions ; le juge a imaginé la théorie du fonctionnaire de fait pour remédier
aux conséquences redoutables qui auraient découlé de l’annulation de
décisions qui ont toute l’apparence de la régularité pour leurs destinataires ;
dès lors que l’auteur des décisions présentait toutes les apparences d’un
fonctionnaire régulièrement nommé, ses décisions seront maintenues.
Cette théorie qui n’a jamais eu l’occasion d’être mise en œuvre par le
juge marocain est utilisée par le législateur en matière de comptabilité
publique.
Exemple de l’article 16 du dahir du 21 avril 1967 sur la comptabilité
publique :
« Toute personne qui effectue sans titre des opérations de recettes, de
dépenses ou de mouvements de valeurs intéressant un organisme public est
constitué comptable de fait ; le comptable de fait est soumis aux mêmes
obligations et assume les mêmes responsabilités qu’un comptable public. »
Naturellement, tout ceci ne joue qu’en l’absence de circonstances
exceptionnelles.

B. L’incompétence ratione matériæ


Cette incompétence est très fréquente et consiste pour un agent de
l’administration à prendre une décision qui relève de la compétence d’une
autre autorité.

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Les moyens d’annulation : les cas d’ouverture du recours pour excès de pouvoir 209

Décision du Ministre du Travail réglant un conflit social alors que cela


relevait de la compétence d’une commission de conciliation : 30 avril
1959, Fédération nationale des syndicats de transporteurs routiers du
Maroc, R. 47.
Décision prise par deux ministres sous forme d’arrêté interministériel
alors qu’il fallait un décret : 18 mars 1963, Sté coopérative d’Oujda,
R.M.D. 1965, p. 95.
L’autorité de tutelle ne peut se substituer aux élus que dans les cas
expressément prévus par la loi : C.S.A. 1er juin 1970, R. p. 48. Il y a par
ailleurs toutes sortes d’incompétences dues à ce que des autorités
subordonnées empiètent sur les pouvoirs des autorités supérieures : chef de
cabinet qui décide à la place du ministre sans avoir reçu de délégation,
9 décembre 1966, R. 1966/1970, p. 49 ; secrétaire général de province qui
prononce une sanction à la place du gouverneur, 20 février 1986, p. 268.
Le conseil de tutelle des terres collectives tranche un litige relatif aux
terres Guich : 4 mai 1979, J.C.S. octobre 1982, p. 125.
L’incompétence peut parfois être si grave que l’acte devient alors
inexistant : 14 janvier 1963, Sté hippique et des courses marocaines,
R. 106, dissolution par voie administrative d’une association qui, à
l’époque, ne pouvait être dissoute que par voie judiciaire.

C. L’incompétence ratione temporis


L’autorité qui prend la décision doit être régulièrement habilitée à le
faire au moment où elle prend la décision.
L’agent doit être régulièrement en fonction : 10 novembre 1966, Cie
fermière des sources Oulmès Etat, R. 146 : le texte sur les sanctions
administratives pour infraction à la réglementation des prix prévoit que
l’autorité est investie du pouvoir de prononcer ces sanctions pour des
périodes de six mois renouvelables. L’autorité qui prend une sanction alors
que le texte l’y habilitant a plus de six mois et que le nouveau texte n’est
pas pris, est incompétente (118).

(118) La loi du 12 octobre 1971 sur la réglementation et le contrôle des prix a été abrogée et
remplacée par la loi n° 06-99 promulguée par dahir du 5 juin 2000, B.O. 2000, p. 645.

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210 Contentieux administratif marocain

Le problème pourrait théoriquement se poser à propos des décrets


portant sur le domaine de la loi qui ne peuvent être édictés que pendant
une période limitée prévue par la loi d’habilitation (article 70 de la
Constitution). Il se poserait aussi pour les décrets-lois pris dans l’intervalle
des sessions parlementaires (article 81 de la Constitution). Ces décrets
sont de nature réglementaire tant qu’ils n’ont pas été ratifiés par le
parlement.
On peut rattacher à l’incompétence ratione temporis la méconnaissance
du principe de non-rétroactivité dans la mesure où il signifie l’incompétence
radicale de l’autorité administrative pour prendre une décision qui
s’appliquerait au passé. Et l’on sait que ce principe général du droit a été
reconnu par la Cour suprême dès 1959 dans l’arrêt du 2 mai 1959,
Mohamed Darcherif, R., p. 50 ainsi que récemment, C.S.A., 25 juin 2008,
Agent judiciaire du Royaume c/ Ben Chaâbane (119) ; la Constitution dans
son article 6 le consacre à propos de la loi et à plus forte raison le juge
l’applique aux actes administratifs sauf s’il existe un motif légitime de lui
apporter des exceptions (120), par exemple pour la reconstitution de
carrière d’un agent frappé par une sanction disciplinaire irrégulière
annulée.

§2. Le vice de forme


On sait que le formalisme administratif est limité et que les formalités
qui doivent être respectées ne sont pas codifiées.
Cependant, certaines formes sont prescrites soit pour l’édiction de
l’acte, soit pour la rédaction de l’acte lui-même. Mais la méconnaissance
de ces formalités n’entraîne pas nécessairement l’annulation de la décision,
car le juge fait la distinction entre formalités substantielles et formalités
accessoires.

(119) M.A. Benabdallah, Des droits acquis et de la non-rétroactivité des actes administratifs,
REMALD, 2009, n° 86, p. 97.
(120) M.A. Benabdallah, Principe de non-rétroactivité des actes administratifs favorables ou
défavorables, Note sous T.A., Rabat, 17 juin 2008, El Asfar, REMALD, 2010, n° 90-91, p. 75.

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Les moyens d’annulation : les cas d’ouverture du recours pour excès de pouvoir 211

A. Les irrégularités dans la procédure d’édiction de l’acte


L’administration doit respecter les diverses étapes prévues pour
l’élaboration de la décision.
Par exemple, dans la procédure d’expropriation, il faut une enquête
publique avant d’aboutir à la déclaration d’utilité publique ; le projet de
décision de cessibilité doit, de la même manière, être publié et ne peut
devenir définitif qu’à l’expiration d’un certain délai.
Le prononcé des sanctions disciplinaires les plus graves doit être
précédé de la saisine de la commission administrative paritaire dont le
caractère paritaire doit être scrupuleusement respecté : C.S.A., 22 juin
1973, Abdelmajid Marrakchi.
La mise en demeure prévue en cas d’abandon de poste doit non seulement
avoir été envoyée, mais doit aussi avoir été reçue : C.S.A., 26 juillet 1984,
Abdelmalek Ami, R.M.D. n° 13, 1987, p. 141, note Benabdallah.
Parfois ces étapes sont la conséquence de principes généraux du droit :
tel est le cas du principe des droits de la défense : C.S.A., 9 juillet 1959,
Ahmed Ben Youssef, R. 62. La Cour annule si l’intéressé n’a pas été
complètement informé des griefs articulés contre lui, ou si on ne lui a pas
laissé un temps suffisant pour préparer sa défense : C.S.A. 8 mai 1970,
Khadija Bousekri Alami.
La Haute juridiction sanctionne aussi la violation du principe du
parallélisme des formes et des compétences :
« Attendu qu’en vertu des principes généraux, les textes législatifs ou
réglementaires ne peuvent être modifiés ou abrogés que par un texte de
même nature et de la part de la même autorité. » C.S.A., 5 juillet 1984, Sté
immobilière Zimani c/ préfecture de Casablanca, Revue de la Magistrature,
novembre 1987, p. 104.
Un acte ne peut ainsi être modifié qu’en suivant les mêmes formes que
celles qui ont été suivies pour son édiction : la révocation d’un agent
nommé par dahir est illégale si elle est prononcée par arrêté ministériel ;
C.S.A., 30 mai 1985, Ahmed Al Farkli. Cette décision concerne d’ailleurs
plus l’incompétence que le vice de forme (R.M.D. n° 17, 1988, p. 96, note
Benabdallah).

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212 Contentieux administratif marocain

B. Les formes de l’acte proprement dit


Le seul problème important qui se pose ici est celui de la motivation.
La Cour suprême a eu l’occasion de rappeler que l’administration n’avait
pas, en principe, l’obligation de motiver expressément ses décisions :
22 janvier 1962, S.A. Atlas Bank c/ Ministre des Finances, R. 28 :
« Aucune disposition législative ou réglementaire ne lui impose
d’indiquer les motifs du rejet de la demande d’inscription sur la liste des
banques autorisées. »
Ceci ne veut pas dire, naturellement, que la décision puisse n’avoir pas
de motifs, mais seulement que l’explicitation de ceux-ci dans le corps de
la décision n’est obligatoire que si un texte l’a prévue ou si le juge l’exige.
Ainsi, lorsque l’autorité hiérarchique prend une décision de sanction
plus grave que celle qui est proposée par le conseil de discipline, elle doit
le faire par une décision motivée ; désormais, le refus d’agrément d’un
investissement doit être motivé.
De toute façon, le juge peut exiger que l’auteur de la décision lui
communique les motifs de la décision afin d’en contrôler la régularité.
C.S.A. 20 novembre 1986, Sté marocaine de transport rural c/ gouverneur
de Fès et 1er mars 1990, Jamila Sadiki : si l’auteur de l’acte ne communique
pas ses motifs, le juge en déduit que ceux-ci sont inavouables, et il annule
(nous retrouverons cette question à propos du contrôle des motifs). C’est
ce qu’a tout récemment prononcé le Tribunal administratif de Casablanca
dans un jugement du 21 juin 2011, Bouhouli (121).
Actuellement, la motivation est régie par la loi n° 03-01 relative à
l’obligation de la motivation des décisions administratives émanant des
administrations publiques, des collectivités locales et des établissements
publiques (122).
Par ailleurs, l’acte doit être l’objet d’une publicité adéquate. La
méconnaissance des exigences de la publicité n’a aucune incidence sur la
régularité de la décision mais seulement sur son opposabilité : C.S.A.
3 novembre 1972, Cherkaoui c/ Air France, R. 1971/72, p. 325 :

(121) T.A., Casablanca, 21 juin 2011, Bouhouli, REMALD n° 104, 2012, p. 214, note Benabdallah.
(122) B.O. n° 5030 du 15 août 2002.

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Les moyens d’annulation : les cas d’ouverture du recours pour excès de pouvoir 213

« La publication des textes législatifs et réglementaires et des


conventions internationales dûment ratifiées par le Maroc constitue un
principe fondamental de droit public... que les textes non publiés au
Bulletin officiel ne peuvent être opposables aux tiers... »
Même solution en matière de notification des décisions individuelles.
Cependant, le juge admet parfois la « connaissance acquise » : tel est le
cas pour le policier informé par radio de la mesure le concernant, C.S.A.,
26 novembre 1962, Badri Driss Ben Abdenbi, R. 90.
De même, le candidat qui se présente à un concours ne peut se plaindre
de ce que l’avis d’ouverture du concours n’ait pas été publié : C.S.A.,
5 juillet 1972, Amrani c/ Ministre de l’Enseignement supérieur, R. 276.

C. La sanction de la violation des formes


Une distinction fondamentale est opérée par le juge entre les formalités
substantielles et les formalités accessoires.
Il y a formalités substantielles lorsque la méconnaissance de celles-ci
peut avoir une incidence sur le contenu de la décision. En général, les avis
sont toujours considérés comme des formalités substantielles, ce qui est
logique, car dans le cas contraire, on peut penser que l’administration se
dispenserait de cette formalité.
De même, les mises en demeure en matière d’exécution forcée ou
s’agissant de fonctionnaire coupable d’abandon de poste : C.S.A.,
11 octobre 1984, Aït Mri c/ Ministre du Commerce, Revue des Affaires
administratives n° 5, p. 95.
Le droit administratif n’est cependant pas formaliste ; c’est pourquoi, si
la méconnaissance d’une formalité ne semble pas avoir eu de conséquence
sur la décision, le juge ne prononcera pas l’annulation. Dans ce cas, on
dira qu’il s’agit d’une formalité accessoire.
Naturellement, le point de savoir si une formalité est accessoire parce
qu’elle n’a pas d’incidence sur le contenu de la décision est souvent une
question de fait ; par exemple, une erreur matérielle sur la date d’une
convocation, au demeurant rectifiée en temps utile par une lettre
postérieure, ne constitue que la violation d’une forme accessoire : C.S.A.,
5 juillet 1972, R. 1971/72, p. 268.

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214 Contentieux administratif marocain

Section II
L’irrégularité interne de l’acte administratif
Elle peut atteindre les différents éléments de l’acte administratif : but,
objet, motifs.
Il est donc normal qu’ils soient contrôlés par le juge. Mais, d’une part,
leur contrôle peut être délicat, tel est le cas du détournement de pouvoir ;
et, d’autre part, son ampleur est variable selon que le pouvoir dont dispose
l’autorité administrative est plus ou moins encadré par la règle de droit.
C’est le problème du pouvoir lié et du pouvoir discrétionnaire qui reparaît
ici.

§1. Le contrôle du but : le détournement de pouvoir


Le détournement de pouvoir (123) consiste dans l’utilisation d’un
pouvoir par l’autorité administrative dans un but autre que celui pour
lequel il lui a été confié.
Le but de toute décision doit être l’intérêt général ; il y aura donc
naturellement détournement de pouvoir dès lors que l’autorité aura utilisé
sa compétence dans un intérêt particulier, intérêt personnel ou intérêt d’un
tiers.
Par ailleurs, chaque compétence doit permettre d’atteindre un but
spécifique : but de police, but d’hygiène, but d’urbanisme, but de
valorisation du domaine public, but économique, but d’intérêt du service,
etc. On ne peut donc pas utiliser une compétence dans n’importe quel but.
Enfin, il existe des procédures qui doivent être suivies pour prendre
certaines décisions ; là encore, il n’est pas possible d’utiliser une procédure
à la place d’une autre sauf à commettre le détournement de procédure.

A. Le détournement de pouvoir par recherche d’un intérêt personnel


C’est celui auquel pense le plus souvent l’administré mécontent. Le
juge procède à une investigation qui est toujours difficile, car le

(123) M. El Yaâgoubi, Le détournement de pouvoir dans la jurisprudence administrative au Maroc,


in Quarante ans d’administration, 1956-1996, REMALD, Thèmes actuels n° 6, 1996, p. 181.

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Les moyens d’annulation : les cas d’ouverture du recours pour excès de pouvoir 215

détournement de pouvoir concerne le mobile de l’auteur de l’acte,


c’est-à-dire un élément psychologique qui n’apparaît pas nécessairement
de façon objective.
« Aucune pièce du dossier ne vient à l’appui du moyen invoqué par le
sieur C. selon lequel la mesure attaquée aurait été prise pour des fins
étrangères à l’intérêt du service », C.S.A., 4 décembre 1958, Courtille,
R. 31.
En revanche, dans l’arrêt Société balnéaire, la Cour constate que le
retrait de l’autorisation d’occuper le domaine public « n’a d’autre cause
que la promesse faite à des tiers en vue de les autoriser à occuper le même
emplacement du domaine public maritime », ce qui n’avait rien à voir avec
les exigences de la police et de la conservation du domaine qui sont le but
des mesures de ce type prévues par le dahir de 1918 relatif aux occupations
temporaires du domaine public.
De même, dans l’arrêt 10 juillet 1986, Abdelaziz Belkhor, R.M.D.
n° 12, p. 119. Est irrégulière une mutation dans l’intérêt du service qui est
en réalité une sanction déguisée prise pour satisfaire un syndicat.
D’autres décisions de même nature ont censuré des mutations dans
l’intérêt du service qui apparaissent en fait comme poursuivant un autre
but : C.S.A., 18 mars 1993, Kasri, REMALD n° 9, 1994, p. 67 et T.A.,
Meknès, 22 juin 1995, Maria Tahiri, REMALD n° 12, 1995, p. 71 note
Benabdallah.

B. L
 e détournement de pourvoir dans un intérêt général différent
de celui que permet d’atteindre l’acte
Le pouvoir de police existe dans le but de maintenir ou de rétablir
l’ordre public ; son utilisation dans le but de résoudre un conflit familial
constitue un détournement de pouvoir ; C.S.A., 26 mai 1960, Lahcen
Ben Abdelmalek Soussi, R. 105. Il s’agissait d’une décision de fermeture
de café prise par le caïd de Khémisset.
Un cas très voisin se présente dans l’affaire jugée par la Cour suprême
(C.S.A., 14 janvier 1988, RMD 1988, p. 105) où la suspension des travaux
de construction avait été ordonnée par le président d’un conseil communal
non pas pour infraction aux règles d’urbanisme, mais en raison d’une

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216 Contentieux administratif marocain

contestation privée sur la propriété du terrain : en l’espèce il y avait


également absence de motif de droit.
En France, un maire avait interdit la circulation sur une voirie
communale pendant les mois d’hiver afin d’éviter les frais d’entretien
pesant sur le budget communal !

C. Le détournement de procédure
Variété de détournement de pouvoir (Hauriou), le détournement de
procédure consiste dans le recours à une procédure à une fin autre que
celle pour laquelle elle doit être utilisée. C.S.A. 30 janvier 1970, Mohamed
Fraj, R. 1966/1970, p. 214 : la sanction prononcée par le gouverneur de
Fès pour hausse illicite des prix est illégale parce que la décision se fonde
sur le texte relatif à la répression des fraudes ; la Cour annule parce que
ces deux textes organisent des procédures de répression différentes,
notamment au point de vue des garanties données aux intéressés (expertise,
droits de la défense).
En France, une affaire fameuse : C.E., 24 juin 1960, Sté Frampar, p. 585,
illustre ce détournement. Le juge constate le détournement de procédure
réalisé par un préfet qui se fonde sur ses pouvoirs de police judiciaire en
matière d’atteinte à la sécurité de l’Etat pour procéder à la saisie d’un
journal alors qu’il aurait dû, en l’espèce, utiliser les pouvoirs de police
administrative, car il n’y avait aucune atteinte à la sécurité de l’Etat. Mais
l’utilisation des pouvoirs de police administrative supposait qu’il y ait
menace grave à l’ordre public et urgence, à défaut de quoi la saisie aurait
constitué une voie de fait.
Il y a également détournement de procédure lorsque le supérieur
hiérarchique utilise le procédé de la mutation dans l’intérêt du service
plutôt que la procédure disciplinaire pour sanctionner le comportement
fautif d’un agent en privant ainsi ce dernier des garanties disciplinaires
prévues par son statut.
En définitive, le grand problème du détournement de pouvoir, c’est la
preuve ; on sait que le but à atteindre relève souvent de ce que l’on appelle
les mobiles de l’acte, ou plutôt de l’auteur de l’acte ; celui-ci ne les
explicite généralement pas sauf les cas très rares d’aveux naïfs ou

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Les moyens d’annulation : les cas d’ouverture du recours pour excès de pouvoir 217

involontaires ; il peut arriver aussi parfois qu’un concours de circonstances


fasse apparaître la réalité de ces mobiles (124).
Par exemple, dans une décision, (C.S.A., 18 mars 1993, Kasri,
REMALD, n° 9, p. 67, rubrique en langue arabe) la Haute juridiction annule
une mutation faisant suite à trois autres en l’espace de trois ans ; au surplus,
à l’occasion de la dernière, l’administration avait proposé à l’agent soit
d’accepter sa mutation, soit de conserver son affectation mais sans aucune
des responsabilités ni aucun des avantages qu’elle impliquait ! La Cour
suprême y voit une sorte de persécution et de harcèlement qui démontre
objectivement l’absence d’intérêt du service dans la décision de mutation.
Mais le plus souvent, l’irrégularité du but se combine avec une
irrégularité des motifs qui permet ainsi au juge de censurer l’acte
illégal (125). C’est le cas, par exemple, dans l’affaire Société balnéaire,
car le motif légal du retrait d’autorisation d’occuper le domaine public ne
pouvait être tiré que des nécessités d’assurer la sécurité et la bonne
utilisation du domaine public.
On ajoutera enfin que l’existence d’un mobile autre que le souci
d’atteindre un but d’intérêt général peut coexister avec celui-ci ; dans ce
cas, le juge n’annulera pas : la fermeture d’un établissement peut favoriser
le concurrent sans être illégale s’il est prouvé que l’établissement troublait
l’ordre public ou n’avait pas respecté la réglementation des prix et de la
concurrence.

§2. Le contrôle de l’objet ou violation de la loi


Il s’agit de contrôler la mesure proprement dite qui constitue le
dispositif de la décision. Ce contrôle ne pose pas de problème en principe ;
il s’agit de vérifier que les textes permettaient à l’auteur de l’acte de
prendre la mesure qu’il a prise. Naturellement, celui-ci doit respecter, dans
l’édiction de sa décision, l’ensemble des règles de droit existantes, y
compris les principes généraux du droit ; on sait d’ailleurs qu’en vertu de

(124) M.A. Benabdallah, La preuve du détournement de pouvoir, R.M.D. 1987, n° 12, p. 124.
(125) M. Rousset et M.A. Benabdallah, Contrôle des motifs et détournement de pouvoir en matière
de mutation de fonctionnaires, Note sous C.A.A., Rabat, 9 mars 2011, Agence Maghreb Presse
c/  Harrak, REMALD n° 97-98, 2011, p. 215.

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218 Contentieux administratif marocain

l’article 50 de la loi du 12 juillet 1991 les juridictions peuvent vérifier la


conformité des décrets à la constitution.
La Cour a censuré des décisions dont l’objet n’était pas conforme à la
règle de droit :
Elle annule des sanctions disciplinaires qui ne figurent pas sur la liste
de celles qui peuvent légalement être prononcées.
De même, elle annule le refus de réintégrer un agent alors que la loi
permet cette réintégration.
Elle annule une décision d’interdiction alors que la loi permet
seulement d’assortir l’autorisation d’un certain nombre de conditions.
La Cour estime qu’un décret ayant prévu certains avantages pour les
médecins de santé publique, le refus d’en faire bénéficier un médecin
contractuel étranger constitue une discrimination contraire aux dispositions
du décret : 21 juin 1990, Rino.
Il en est de même pour une décision de sanction non comprise dans la
liste légale : 6 juin 1985, Bougrine.
Est une violation de la loi le fait pour un ministre de nommer des chefs
de service ne remplissant pas les conditions statutaires, en refusant de
procéder à la nomination du requérant qui postulait en remplissant ces
conditions : 20 février 1981, Yahya Al Ayadi.
En matière de délivrance de passeport, on peut rappeler cette décision
particulièrement bien motivée et importante au regard des libertés
publiques :
« Attendu que tout citoyen a le droit d’obtenir un passeport ; qu’il ne
peut être privé de ce droit que si un texte de loi prévoit cette interdiction...
Attendu qu’en refusant de renouveler le passeport du demandeur ou de lui
en délivrer un autre en l’absence de toute interdiction légale, le gouverneur
de Tanger a violé la loi... », C.S.A., 11 juillet 1985, Echemlal, R.J.P.E.M.,
n° 20, 1988, p. 29 et note Benabdallah.
Bien plus, dans une décision du 28 septembre 1995, le Tribunal
administratif de Rabat censure l’illégalité d’une décision interdisant au
requérant de quitter le territoire pour se rendre en France où réside sa
famille en invoquant l’article 9 de la Constitution de 1992 qui garantit la

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Les moyens d’annulation : les cas d’ouverture du recours pour excès de pouvoir 219

liberté de circuler (T.A., Rabat, 28 septembre 1995, Ouakka Omar


c/ ministre de l’Intérieur, REMALD, n° 17, 1996, rubrique en langue arabe,
p. 133).
Mais il faut aussi citer deux décisions relatives à la méconnaissance
par l’administration d’une disposition de la loi sur la liberté d’association
qui soumet la création d’une association à la seule formalité de la
déclaration à l’autorité administrative et dont la formule finale est sans
équivoque : « Il sera, de toute déclaration ou dépôt, donné récépissé ».
L’administration soit refuse de recevoir la déclaration ou le dépôt, soit
refuse d’en délivrer récépissé.
Les tribunaux administratifs d’Oujda et d’Agadir ont censuré ces refus
illégaux pour violation manifeste de la loi : T.A., Oujda, 29 mai 1996,
Amara et T.A., Agadir, 18 juin 1998, Association Zaouiat Aït Rakhae,
REMALD, n° 26, 1999, p. 85, note Benabdallah.
Plus récemment enfin, le Tribunal administratif de Marrakech a jugé
que l’administration, en l’espèce le caïd, était radicalement incompétente
pour déclarer la nullité d’une association et, pour ce motif invoqué à tort,
refuser de délivrer le récépissé prévu par la loi.
Seule la justice peut prononcer cette nullité (art. 7 du dahir du
15 novembre 1958 relatif au droit d’association) sauf les cas résultant de
la modification de ce texte en 1973 où l’association peut être suspendue
ou dissoute par décret. (T.A., Marrakech, 19 mai 1999, Président et
membres de la commission préparatoire de l’association marocaine des
retraités de la région du Tensift, REMALD, n° 30, 2000, p. 89, note
Benabdallah).

§3. Le contrôle des motifs


Les motifs sont des faits objectifs antérieurs à la décision et qui lui
servent de fondement logique et juridique.
L’administration n’est pas libre de choisir les motifs de ses décisions.
C’est la raison pour laquelle le juge cherche à en contrôler le bien-fondé et
la régularité. La difficulté de ce contrôle tient au fait que si toute décision
doit reposer sur un motif légal, l’administration n’a pas l’obligation de le
formuler expressément dans sa décision. Certes, il existe de plus en plus
souvent des textes qui imposent cette motivation chaque fois qu’il s’agit

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220 Contentieux administratif marocain

de décisions qui accordent ou refusent un agrément ou qui octroient ou


refusent un avantage, prononcent une sanction, etc., mais on ne peut pas
dire que le principe c’est l’obligation de motivation.
Par ailleurs, le juge se reconnaît le droit de réclamer à l’administration
la communication des motifs de sa décision chaque fois que cela est
nécessaire à l’exercice de son contrôle lorsque la décision attaquée met en
cause un droit ou une liberté du requérant.
Mais ces textes législatifs ou la jurisprudence des tribunaux ne
permettaient pas un contrôle suffisant de la motivation. C’est pourquoi une
loi n° 03-01 du 23 juillet 2002 (Bull. Off. 2002, p. 882) a étendu
l’obligation de motiver à un grand nombre de décisions individuelles (126).

A. L’obligation de motiver selon la loi n° 03-01 du 23 juillet 2002


La loi vient compléter l’ensemble des textes antérieurs qui établissaient
une obligation de motiver dans des cas particuliers.
Elle ajoute à ceux-ci une obligation qui pèse sur l’administration de
l’Etat, des collectivités locales et de leurs groupements, des établissements
publics et des organismes privés investis d’une mission de service public.
La motivation est prescrite à peine de nullité de la décision ; elle doit
comporter les éléments précis de fait et de droit qui servent de fondement
à la décision.
Les décisions qui doivent être motivées sont les décisions individuelles
défavorables aux intéressés, les décisions liées à l’exercice d’une liberté
publique, celles qui sont liées à l’exercice d’un pouvoir de police
administrative, les décisions de sanction administrative ou disciplinaire.
Il en est de même des décisions qui subordonnent à des conditions
restrictives particulières l’octroi d’une autorisation, d’une attestation, ou de
tout autre document administratif, ou qui imposent des sujétions non
prévues par les lois et règlements, les décisions qui abrogent ou retirent
une décision créatrice de droit ; enfin les décisions qui opposent une
prescription, une forclusion ou une déchéance de droit.

(126) L’obligation de motivation des décisions de l’administration, Actes de la journée d’études,


REMALD, Thèmes actuels n° 43, 2003.

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Les moyens d’annulation : les cas d’ouverture du recours pour excès de pouvoir 221

Doivent enfin être expressément motivées les décisions qui refusent un


avantage dont l’attribution constitue un droit pour les personnes qui
remplissent les conditions pour l’obtenir.
Cette liste est donc importante même si, procédant par énumération
positive, elle laisse peut-être en dehors des situations génératrices de
décisions qui mériteraient d’être motivées. C’est ce que la pratique fera
sans doute apparaître mais que la jurisprudence pourra également, comme
elle l’a fait par le passé, combler en faisant éventuellement appel aux
principes généraux du droit.
La loi a aussi prévu le cas des décisions tacites. Le destinataire de ce
type de décisions n’est pas désarmé car il peut dans le délai de trente jours
à compter de l’expiration du délai légal du recours, demander à
l’administration responsable communication des motifs de la décision.
Celle-ci doit alors accéder à cette demande dans le délai de quinze jours,
après quoi le requérant peut intenter le recours contre la décision tacite et
les motifs contestés ou éventuellement en invoquant le silence de
l’administration à la suite de cette demande.
Toutefois le législateur a tenu compte des nécessités de l’action
administrative dans deux sortes de situation.
La première concerne les décisions prises en cas de menace pour la
sûreté intérieure et extérieure de l’Etat. Il est cependant permis de penser
que, dans le cadre de « l’excès d’appréciation », le juge pourrait contrôler
l’existence de cette menace afin d’empêcher que le recours à cette notion
ne soit une « commodité » utilisée par l’administration pour échapper à
l’obligation de motivation.
La deuxième situation concerne l’urgence dans des cas de nécessité ou
de circonstances exceptionnelles. Le destinataire de la décision pourra
cependant dans les trente jours de la notification de la décision demander
à son auteur communication de ses motifs. Ce dernier dispose alors de
quinze jours à compter de la réception de la demande pour y répondre.
Le législateur précise enfin que cette exception à l’obligation de
motiver ne peut être invoquée par l’administration lorsqu’il s’agit de
décisions de sanction administrative ou disciplinaire ou celles qui opposent
une prescription, une forclusion ou une déchéance de droit. On suppose en
effet que dans ce genre de situation l’administration connaît parfaitement

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222 Contentieux administratif marocain

les motifs de la décision qu’elle veut prendre et que les expliciter ne lui
pose aucun problème.
Il est clair enfin qu’il appartient au juge de trancher les contestations
qui peuvent s’élever s’agissant de la légalité des motifs des décisions de
l’administration (127).
Il est des cas où, disposant d’un pouvoir discrétionnaire, l’administration
n’a pas l’obligation de motiver sa décision par exemple lorsqu’elle relève
de ses fonctions un agent occupant un « emploi de responsabilité » c’est-à-
dire un emploi supérieur dont la nomination est à la discrétion de l’autorité
investie du pouvoir de nomination ; elle peut nommer un tel agent et le
relever de ses fonctions sans avoir à indiquer les motifs de sa décision ;
mais si elle précise les motifs d’une décision le relevant de ses fonctions,
alors le juge est en droit d’en vérifier la réalité en fait et en droit : T.A. de
Rabat, 5 mai 2015, Bouchra Ouachou, REMALD, n° 125, 2015, p. 371,
Note M. Rousset et M.A. Benabdallah.

B. Les modalités du contrôle juridictionnel des motifs


Lorsqu’il est saisi le juge vérifiera que le motif n’est pas atteint par un
vice qui peut se manifester de diverses manières.
Le juge va s’assurer que le motif n’est pas atteint par un vice qui peut
se manifester de diverses manières :
• le motif n’existe pas : erreur de fait ;
• le motif n’existe pas juridiquement : erreur de droit ;
• le motif a été mal apprécié : il n’est pas de nature à justifier
légalement la décision : erreur de qualification.

a. L’erreur de fait
Il s’agit de vérifier que les faits allégués comme motifs de la décision
existent réellement.
On voit ici l’importance des différents procédés procéduraux qui
permettent de constater, de vérifier l’existence matérielle des faits :
expertise, enquête, visite des lieux. Exemple de la fermeture du garage à

(127) M.A. Benabdallah, Le pouvoir discrétionnaire de nomination et l’obligation de motivation


des décisions administratives, REMALD, 2006, n° 65, p. 149 

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Les moyens d’annulation : les cas d’ouverture du recours pour excès de pouvoir 223

Fès pour tapage ; ou bien encore vérification des raisons qui ont entraîné le
non-respect d’une obligation de construire dans un certain délai de la part
de l’acquéreur de terrain vendu par l’administration, C.S.A., 17 juillet
1969, Union hôtelière de l’Afrique du Nord : les causes du défaut de
construction sont mises en évidence à la suite d’une expertise ordonnée
par la Cour suprême qui fait apparaître que la cause réside dans l’inertie
de l’administration qui n’a pas procédé à la délivrance du permis de
construire, Union hôtelière d’Afrique du Nord (annulation de la décision
de résiliation de la vente).
De même, dans une décision du 14 janvier 1988 (R.M.D. 1988, p. 105),
le juge annule une décision de suspension de travaux de construction prise
au motif qu’il y aurait eu infraction aux règles d’urbanisme ; or, cette
infraction n’existait pas (en fait il y avait détournement de pouvoir car le
président du conseil communal cherchait à régler une contestation portant
sur la propriété du terrain).
Dans une décision du 31 janvier 1985, la Cour annule une décision
d’augmentation d’une redevance pour occupation du domaine communal
parce qu’elle ne repose sur « aucun critère objectif » : C.S.A., 31 janvier
1985, Sté Benkhaled frères c/ Président du conseil communal de
Marrakech, RMD n° 12, 1987, p. 105.
Elle annule également une décision de sanction au motif que
l’administration « n’a pas appuyé ses allégations sur des faits détaillés et
précis, se bornant à des généralités insuffisantes pour incriminer le
requérant » : C.S.A., 31 octobre 1991, Saâd Ben Haj Saigh c/ Fédération
royale marocaine de foot-ball (dont il convient de remarquer qu’elle est
une association de droit privé investie d’une mission de service public
délégataire de prérogative de puissance publique).
De même, après expertise il apparaît que le garage ne causait aucun
trouble au voisinage ; la décision du pacha de Fès ordonnant la fermeture
de l’établissement doit être annulée car le motif manque en fait : C.S.A.,
8 mai 1970, Hachoumi Ben Abdesslam, Jurisprudence de la Cour suprême,
1966-1970, p. 153 (en langue arabe).
Le juge peut d’ailleurs demander à l’administration de lui communiquer
le dossier afin de vérifier la réalité des faits invoqués à l’appui de la
décision. Dans l’affaire Sté de transport rural de Fès, la Cour annule la
décision de sanction au motif que l’autorité administrative ne lui a fourni

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224 Contentieux administratif marocain

aucun élément lui permettant d’exercer son contrôle sur la réalité des faits
constitutifs de l’infraction imputée à la Société.
Si la décision repose sur plusieurs motifs et si l’un d’eux seulement est
illégal, la décision ne sera pas nécessairement annulée, car le juge fait la
distinction entre le motif déterminant et le motif surabondant. La validité
du premier est suffisante pour entraîner le maintien de la décision : 9 mars
1964, Kanouni Driss, R. 196 (deux faits étaient invoqués à l’appui d’une
sanction ; l’un des deux manque en réalité ; mais le second, bien réel, est
suffisant pour justifier la sanction).

b. L’erreur de droit
Chaque décision doit reposer sur un motif qui est juridiquement prévu ;
il faut donc respecter le lien établi légalement entre la décision et le motif.
Une révocation suppose une faute disciplinaire ; or n’importe quel fait
ne constitue pas une faute.
Par ailleurs, dès lors qu’un fait a été dénié par une décision juridictionnelle
passée en force de chose jugée, il ne peut plus servir de fondement légal à
une sanction disciplinaire : C.S.A., 8 août 1985, Kabiri Seddik Ahmed Ben
Al Fakak c/ Directeur général des douanes et impôts indirects.
Un licenciement peut être la conséquence soit d’une insuffisance
professionnelle, soit d’une impossibilité de réintégration à l’issue d’une
période de congé pour longue maladie, soit enfin pour suppression
d’emploi, etc.
Le refus du permis de construire n’est justifié que si le demandeur ne
respecte pas les règles prévues par le dahir sur l’urbanisme.
Le retrait d’agrément pour les entreprises de transport routier ne peut
être prononcé que pour des motifs prévus par la loi : 23 mars 1964, Hadi
Lyoubi, R. 200 ; il en est de même pour le retrait ou le refus d’octroi d’une
licence de taxi : 21 décembre 1961, Ville de Casablanca c/ Magro, R. 225.
La Cour suprême a également annulé pour erreur de droit la décision
du gouverneur de Fès prononçant la fermeture d’une librairie pour atteinte
à l’ordre public du fait qu’avaient été exposés à la vente les Evangiles ; la
Cour observe que ces textes sont enseignés dans les facultés de Charia et
que, dans ces conditions, il ne peut y avoir d’atteinte à l’ordre public :

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Les moyens d’annulation : les cas d’ouverture du recours pour excès de pouvoir 225

C.S.A., 17 octobre 1985, K.M. c/ Gouverneur de Fès, RMD 1986, n° 1,


p. 42, note F.P. Blanc.

c. L’erreur de qualification : l’adaptation de la décision au motif


Tout fait conforme à la réalité et juridiquement correct n’est pas de
nature à justifier légalement la décision.
Dans certains cas, le juge pousse son contrôle très loin en vérifiant
l’adaptation de la décision aux motifs invoqués. C’est le cas en matière de
police administrative où le juge exerce ce que l’on appelle un contrôle
maximum. La mesure de police administrative doit être exactement
proportionnée à la menace de trouble à l’ordre public.
Le pouvoir de l’autorité administrative est alors un pouvoir lié ;
l’appréciation de la gravité du trouble n’est pas laissée à la libre
détermination de l’autorité administrative pas plus que la nature de la
décision à prendre pour y faire face. Ce contrôle est naturellement exercé
a posteriori, mais il est très poussé.
Mais les situations de pouvoir ainsi lié sont relativement rares, car
l’administration possède le plus souvent une marge d’appréciation de
l’opportunité de son action que le juge respecte.
Ainsi l’administration peut-elle apprécier les exigences d’une bonne
gestion du domaine communal ou bien encore si les besoins de la
population sont satisfaits par le nombre de voitures de place existantes,
Magro c/ Ville de Casablanca, précité.
En revanche, le juge estime qu’une condamnation pénale ne peut
justifier légalement le retrait du permis de circuler prononcé à l’encontre
d’un chauffeur de taxi que si « les faits retenus par la juridiction répressive
et ayant motivé la condamnation étaient de nature à porter atteinte au bon
ordre et à la moralité publique », 16 juin 1962, Hamou David, R. 63.
Le juge contrôle également les motifs invoqués à l’appui du retrait
d’autorisation d’occuper le domaine public maritime.
Le fait de consulter un cahier au cours d’un examen constitue un fait
qui, par lui-même, est de nature à justifier légalement l’exclusion du
candidat, 19 décembre 1959, Moulay Lyazid El Alaoui, R. 92.

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226 Contentieux administratif marocain

Dans tous ces cas, le juge se livre à ce que l’on appelle un contrôle
normal.
Mais il existe une troisième série de situations dans lesquelles l’autorité
administrative se voit reconnaître une très large liberté d’appréciation des
motifs des décisions qu’elle peut être amenée à prendre ; le juge n’exerce
alors qu’un contrôle réduit sur la liaison motif-décision. On dit alors qu’il
ne s’agit que d’un contrôle minimum.
C.S.A., 9 janvier 1960, Loc, R. 95 : L’appréciation des mérites des
candidats à l’inscription au tableau des experts agréés auprès des tribunaux
relève du pouvoir discrétionnaire de l’autorité administrative ; il en est de
même des appréciations que porte un jury de concours ou d’examen sur
les mérites des candidats ; ou bien encore de l’utilité publique dans la
procédure d’expropriation.
En France, le juge a essayé d’élargir son contrôle dans ce genre de
situation, en faisant appel à la notion de proportionnalité ou à celle d’erreur
manifeste de façon à censurer des erreurs grossières commises par
l’administration dans l’exercice de ce pouvoir discrétionnaire.
Il fait appel au principe de proportionnalité dans une décision de
principe C.E. 28 mai 1971, Ville nouvelle Lille-Est (G.A.J.A. 639) en
jugeant qu’une opération ne peut être légalement déclarée d’utilité
publique « que si les atteintes à la propriété privée, le coût financier et
éventuellement les inconvénients d’ordre social qu’elle comporte ne sont
pas excessifs eu égard à l’intérêt qu’elle présente ».
Le juge applique par ailleurs la notion d’erreur manifeste dans une
série de cas où il n’exerce qu’un contrôle dit minimum (contrôle de
l’irrégularité externe, de l’erreur de fait et de droit, du détournement de
pouvoir) ; en revanche, il ne contrôle pas l’adaptation motif-décision sauf
le cas d’erreur grossière : il utilise cette technique de contrôle en matière
de remembrement, 6 novembre 1970, Guyé, R.D.P. 1977, 517.
En matière d’urbanisme à propos d’un plan d’occupation des sols :
Association pour la sauvegarde du pays de Rhuys, 19 octobre 1979,
A.J.D.A. 1980, p. 110.
Pour l’expulsion d’un étranger : Sieur Pardov, 3 février 1975, A.J.D.A.
1975, p. 131.

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Les moyens d’annulation : les cas d’ouverture du recours pour excès de pouvoir 227

Le fait pour un étranger d’être entré en fraude sur le territoire national


et de n’avoir pas de travail ne constitue manifestement pas un danger pour
l’ordre public justifiant légalement une mesure d’expulsion.
Constitue manifestement une atteinte au site le fait pour le plan
d’occupation des sols de prévoir la construction d’un parking de 8 000 m2.
Le Conseil d’Etat a étendu ce contrôle de l’erreur manifeste en matière
d’adaptation de la sanction disciplinaire à la faute (Lebon, 9 juin 1978) en
matière d’intervention économique (Société maison Génestal, 26 janvier
1968, G.A.J.A. 633), ou encore en matière de notoriété médicale, 7 juin
1967, Rougemont, A.J.D.A. 1968, p. 48.
Au Maroc , les juridictions utilisent une notion empruntée semble-t-il
au droit administratif égyptien, mais qui se révèle très proche de la notion
française d’erreur manifeste : “l’excès d’appréciation” des motifs qui
fondent la décision peut conduire à l’annulation de celle-ci.
C’est le Tribunal administratif de Rabat qui, à propos d’une décision
de sanction disciplinaire, relève qu’il s’agit d’un pouvoir discrétionnaire
de l’autorité administrative mais qui ajoute « que ce pouvoir d’appréciation
n’encourt pas de contrôle juridictionnel tant qu’il n’est pas entaché d’un
excès d’appréciation… » (T.A., Rabat, 23 mars 1995, Boulil, REMALD,
n° 12, 1995, p. 78, note Benabdallah).
La Cour suprême a elle aussi adopté cette jurisprudence qui consiste à
censurer les décisions de sanction lorsque, par leur gravité, celles-ci
dénotent un « excès d’appréciation » de la part de l’autorité détentrice du
pouvoir disciplinaire: C.S.A., 13 février 1997, Ajdaa Rachid, REMALD,
n° 20-21, 1997, p. 109, note Benabdallah.
Il est à souhaiter que le contrôle de l’exercice du pouvoir discrétionnaire
de l’administration soit étendu à d’autres domaines que celui de la
répression disciplinaire de la fonction publique, notamment l’urbanisme ou
les décisions prises en matière d’intervention économique.
On évoquera enfin une dernière avancée de la jurisprudence en matière
d’expropriation pour cause d’utilité publique. Alors que pendant longtemps
la Cour suprême s’était bornée à contrôler l’utilité publique de façon
abstraite, elle s’est récemment décidée à effectuer la vérification concrète

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228 Contentieux administratif marocain

de l’existence de cette utilité : C.S.A., 7 mai 1997, Abied, R, p. 473 (128).


Cette décision ouvre la voie à l’utilisation de la théorie du bilan coût-
avantage dans le domaine de l’expropriation, domaine dans lequel
l’administration jouissait jusqu’alors d’une liberté souvent proche de
l’arbitraire.

Conclusion sur le recours pour excès de pouvoir


Techniquement, le recours en annulation constitue un outil qui semble
au point. D’une façon générale, le juge, lorsqu’il est saisi, dispose des
moyens de faire respecter la légalité et n’hésite pas à le faire en utilisant
toutes les ressources que le contentieux de la légalité met à sa disposition.
Cependant, il faut bien constater que ce contentieux n’a connu qu’un
faible développement : de 1957 à 1994, année d’entrée en fonction des
tribunaux administratifs, le nombre de recours dépasse à peine les 2 000,
ce qui est peu.
Les causes du phénomène sont diverses: il y a certes une cause
géographique : la centralisation du recours que seule la Cour suprême
pouvait accueillir ; de ce point de vue, la déconcentration que permet
désormais la création des tribunaux administratifs est une excellente chose.
Mais il est clair que cette faible propension des administrés à saisir le
juge est la conséquence de causes d’ordre sociologique qu’il sera plus
difficile de réduire. La persistance de certaines structures mentales qui ne
conduisent pas à contester la décision administrative est le plus gros
obstacle ; l’autorité ne s’affronte pas de face ; on essaye plutôt la
négociation, on fait appel à la bienveillance, on utilise des procédés qui
peuvent d’ailleurs être utiles mais qui ne sont que des substituts du recours
au juge.
Certes, si l’on peut résoudre ainsi le différend, l’essentiel est atteint ;
mais dès lors que le problème posé est un problème de droit, il est
préférable de faire dire le droit par celui qui, institutionnellement, en a
reçu la mission.

(128) M.A. Benabdallah, L’apparition de la théorie du bilan dans la jurisprudence de la Cour


suprême, REMALD, 1998, n° 22, p. 113

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Les moyens d’annulation : les cas d’ouverture du recours pour excès de pouvoir 229

Un bon exemple de cette attitude qui ne porte pas naturellement


l’administré à s’adresser au juge vient d’être donné par l’auteur d’un
article relatif au problème de l’application de la réforme du régime des
pensions publié par le journal l’Opinion du 11 mars 1992. Le ministre des
Finances refuse de faire bénéficier de la réforme les agents qui ont été
admis à la retraite avant la promulgation de la loi ; il y a donc un problème
juridique : la loi doit-elle rétroagir selon le principe de la lex melior, c’est-
à-dire de la mesure la plus favorable qui peut profiter aux retraités même
sortis de service avant la promulgation de la mesure nouvelle ?
Or, l’auteur de l’article recommande de s’adresser au Conseil national
consultatif des droits de l’homme afin que celui-ci saisisse Sa Majesté le
Roi et lui propose une solution pour ce problème.
A aucun moment l’auteur de cet article n’a imaginé qu’il était possible
de saisir la Cour suprême d’un recours contre le refus du ministre des
Finances de faire rétroagir la loi au bénéfice des anciens retraités en
articulant un raisonnement juridique. Quoi qu’il en soit, ceci montre bien
que le recours au juge n’est pas seulement affaire d’institutions, mais qu’il
est tout autant une question de mentalité.
Or, il semble que cela soit en train de changer si l’on en juge par
exemple, par le cas des refus illégaux de l’administration de recevoir le
dépôt des statuts des associations ou de délivrer le récépissé de ce dépôt
en violation de l’art. 5 dernier alinéa du dahir du 15 novembre 1958 ; les
victimes de ces illégalités n’utilisaient pas le recours existant pour se faire
rendre justice, ou en tout cas pour saisir la justice : tel est le cas de
l’Association « Al Jamaa » en octobre 1982, du « Parti du renouveau
national » en mai 1992, ou bien encore de l’Association « Réforme et
renouveau » ou de l’Association « Al adl wal ihsan » (129).
Or, aujourd’hui dans des cas semblables, les décisions de l’autorité
sont déférées au juge de l’excès de pouvoir comme on a pu le constater
avec les jugements des Tribunaux administratifs d’Oujda et d’Agadir
Si la timidité du requérant est en voie, sinon de disparition, tout au
moins d’atténuation, il est certain que la démultiplication des juridictions
administratives, et donc une plus grande accessibilité géographique au

(129) M. Tozy, Monarchie et islam politique au Maroc, 2e éd. Presses de sciences politiques, 1999,
p. 195, 240 et 280.

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230 Contentieux administratif marocain

juge, constitue un élément favorable à la popularisation du recours en


annulation pour excès de pouvoir et au développement du contrôle de
légalité de l’action administrative.
Le mouvement semble d’ailleurs bien engagé si l’on en juge par les
statistiques établies.
A l’aspect quantitatif de la jurisprudence s’ajoute, comme on a pu la
voir, le fait qu’il s’agit d’une jurisprudence libérale qui approfondit et
développe celle dont la Cour suprême avait posé les bases.
Ce sont ces considérations qui permettent de penser que la juridiction
administrative sera en mesure, si la tendance constatée se poursuit, de
relever le défi de l’achèvement de la construction de l’Etat de droit.
L’examen du recours en indemnité devrait permettre, pour sa part, de
confirmer cette appréciation.

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Titre II
Le recours en indemnité

Le recours en indemnité est un recours de pleine juridiction par lequel


l’usager de l’administration demande au juge réparation du préjudice que lui
cause l’atteinte portée à un droit qui lui appartient, c’est-à-dire à un droit
subjectif. Ce recours est donc différent du recours en annulation pour excès
de pouvoir par lequel le requérant demande au juge d’annuler un acte qui est
contraire au droit et qui relève de ce que l’on appelle le contentieux objectif.
Cette définition appelle quelques remarques :
1. Il s’agit d’un recours de pleine juridiction où le juge a des pouvoirs
étendus qui lui permettent d’apprécier l’existence du dommage, son
imputabilité compte tenu du comportement de la victime, des tiers et de
l’administration ; le juge peut également tenir compte des circonstances, de
la nature des activités en cause, etc.
Par ailleurs, le juge peut évaluer le dommage et condamner
l’administration au paiement de l’indemnité réparatrice.
Le requérant est ainsi titulaire d’un droit de créance, d’un droit subjectif
à l’encontre de l’administration responsable du préjudice.
2. Ce recours ne concerne que la responsabilité quasi-délictuelle de
l’administration. Cela ne doit pas faire oublier que la responsabilité de
l’administration peut également être engagée pour manquement à ses
obligations contractuelles, ce qui pose naturellement des questions de droit
liées à l’interprétation des dispositions du contrat et des questions de fait
relatives aux conditions concrètes d’exécution du contrat ; mais il est clair
que le principe de cette responsabilité se trouve finalement dans le contrat
lui-même et la théorie du contrat administratif à laquelle il convient de se
reporter.
3. La responsabilité des collectivités publiques est fondée sur un texte
général qui en pose le principe et c’est le juge qui a mis en œuvre ce
principe qui découle des articles 79 et 80 du DOC.
232 Contentieux administratif marocain

Toutefois, dans certains cas, cette responsabilité découle de textes


particuliers ; ainsi en est-il en ce qui concerne la responsabilité du service
public de l’éducation nationale pour les dommages subis ou causés par les
enfants placés sous la responsabilité des maîtres ; il en est de même de la
responsabilité des collectivités publiques à l’égard de leurs agents.
On doit aussi signaler, pour s’en étonner, la persistance d’un texte qui
exclut en pratique la responsabilité de l’Etat pour les dommages causés
par une catégorie d’agents publics qui assurent le fonctionnement d’un
service public essentiel : les conservateurs de la propriété foncière.
En effet, l’article 97 du dahir du 12 août 1913 sur l’immatriculation
des immeubles, prescrit la responsabilité personnelle du conservateur pour
toutes les fautes professionnelles qu’il peut commettre dans l’exercice de
ses fonctions ; la victime doit donc d’abord le poursuivre devant la
juridiction ordinaire et ce n’est qu’en cas d’insolvabilité qu’elle pourra
rechercher l’indemnisation de son préjudice par une action dirigée contre
l’Etat dont la responsabilité pour mauvais fonctionnement du service
public n’est plus dès lors que subsidiaire !
Il convient de ne pas oublier que si le service public est géré dans les
conditions du droit privé (S.P.I.C.), sa responsabilité sera engagée sur la
base du droit commun (articles 78 et 88 du DOC).
4. On examinera dans les développements qui vont suivre la
responsabilité des collectivités publiques ; mais on traitera tout naturellement
aussi la responsabilité qui peut peser sur leurs agents lorsque ceux-ci se
sont rendus coupables d’agissements qui, par leur nature ou leur gravité, ne
peuvent que rester à leur charge ; c’est cette responsabilité que vise
particulièrement l’article 80 du DOC.
Nous examinerons donc en quatre chapitres les problèmes suivants :
Chapitre I : Les problèmes généraux de la responsabilité en matière
administrative
Chapitre II : Les cas de responsabilité
Chapitre III : La mise en œuvre de la responsabilité
Chapitre IV : La responsabilité personnelle des agents des collectivités
publiques.

Publications de la REMALD, Collection « Manuels et Travaux universitaires », n° 118, 2018


Chapitre I
Les problèmes généraux de la responsabilité
en matière administrative

L’existence d’une responsabilité de la puissance publique paraît


aujourd’hui chose naturelle ; les personnes publiques, comme les personnes
privées, doivent répondre de leurs actes et indemniser les victimes des
dommages qu’elles leur causent.
Mais ce principe généralisé de responsabilité n’a pas toujours été
reconnu. Il convient donc de rappeler les conditions de naissance de la
responsabilité de la puissance publique (section I).
Au Maroc, le droit moderne de la responsabilité administrative découle
des articles 79 et 80 du DOC dont la signification a prêté, et prête parfois
encore, à discussion ; c’est ce que nous examinerons dans une section II
consacrée au fondement législatif de la responsabilité de la puissance
publique.

Section II
La naissance de la responsabilité
de la puissance publique
La responsabilité de la puissance publique traduit en termes juridiques
l’obligation d’équité qui incombe à toute personne de réparer le dommage
qu’elle a causé à autrui.
Cette obligation, que le droit privé a pratiquement toujours connue,
constitue une institution récente en droit administratif. En effet, c’est un
principe d’irresponsabilité de l’Etat qui, pendant longtemps, a prévalu
dans la plupart des systèmes juridiques.
234 Contentieux administratif marocain

C’est seulement depuis la fin du XIXe siècle que le principe inverse


s’est peu à peu imposé.
Au Maroc, comme en France, la responsabilité de l’Etat sera admise
dans un cadre juridique différent de celui qui concerne les particuliers. Il
existe un particularisme de la responsabilité administrative. On envisagera
successivement le principe d’irresponsabilité, puis l’admission de la
responsabilité de la puissance publique.

§1. Le principe d’irresponsabilité


Dans la plupart des systèmes juridiques, c’est le principe d’irresponsabilité
de l’Etat qui a longtemps prévalu.
Il apparaissait anormal de mettre en cause la responsabilité du
Souverain. On soutenait que celui-ci ne pouvait mal faire. Cet argument,
d’apparence obscurantiste, couvrait en réalité une justification de type
« légalo-rationnel » qui consistait à dire que les dommages causés par le
Souverain n’étaient que la contrepartie regrettable mais inévitable des
avantages procurés à la collectivité par l’action de l’Etat en faveur de
l’intérêt général.
La réparation du préjudice n’est cependant pas exclue. Mais, d’une
part, elle est exceptionnelle et, d’autre part, elle n’est possible que dans le
cadre d’un recours gracieux et non pas comme conséquence d’une
obligation de réparer qui pèserait sur la puissance publique.
Ainsi, à la veille du protectorat, il existait un vizir Achikayat, version
marocaine de la justice des Madhalims, qui accueillait les réclamations de
toutes sortes, y compris celles tendant à obtenir réparation d’un dommage
causé par les agents du makhzen.
Ce recours n’était pas un recours juridictionnel, car le vizir des
réclamations était une instance essentiellement administrative chargée
d’instruire les réclamations et de proposer une solution au Sultan.
Cette irresponsabilité peut également être constatée dans des pays
comme la Grande-Bretagne où le principe d’irresponsabilité de la couronne
subsistera jusqu’en 1947 date à laquelle le « Crown proceeding act » le
fera pratiquement disparaître.

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Les problèmes généraux de la responsabilité en matière administrative 235

En France, l’irresponsabilité de l’Etat disparaîtra lentement au cours du


XIXe siècle sous l’effet de la jurisprudence libérale du Conseil d’Etat ; c’est
seulement en 1905 dans un arrêt du 10 février 1905, Tomaso Grecco (Grands
arrêts de la jurisprudence administrative, 12e éd. 1999, p. 81) que sera
admise la responsabilité de l’Etat en matière de police pour faute lourde.

§2. L’admission de la responsabilité


L’irresponsabilité de l’Etat ne présentait que des inconvénients limités à
une époque où l’Etat agissait peu. Etant peu présent dans la vie des
administrés, les occasions de causer des dommages étaient peu nombreuses ;
cette situation va changer avec le développement de l’action administrative
et la multiplication des occasions de conflits et de dommages matériels.
Mais elle va également changer sous l’influence croissante des idées
d’équité et de solidarité qui apparaissent incompatibles avec l’irresponsabilité.
C’est ainsi qu’en 1906 paraît en France sous la signature d’un conseiller
d’Etat, Georges Teissier, un ouvrage consacré à la « responsabilité de la
puissance publique » dans lequel l’auteur invoque précisément ces idées de
solidarité et d’équité pour récuser le principe ancien d’irresponsabilité ; il
s’exprimait ainsi :
« Le fondement juridique (du fait) que les dommages causés par le
fonctionnement des services publics constituent des frais généraux de ces
services publics payés par l’impôt et supportés par tous ceux qui forment
la collectivité bénéficiaire de ces services se trouve dans l’article 13 de la
Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen. »
Or, cet article 13 dispose :
« Pour l’entretien de la force publique et pour les dépenses de
l’administration, une contribution commune est indispensable. Elle doit
être également répartie entre tous les citoyens en raison de leurs
facultés »  (130).

(130) C’est dire que, déjà à l’époque, alors qu’il n’y avait pas de contrôle de constitutionnalité des
lois et que n’était pas encore admis le principe selon lequel le législateur ne pouvait exprimer sa
volonté que dans le respect de la constitution, mais tout le contraire, l’auteur avait trouvé à la
responsabilité administrative un fondement d’ordre constitutionnel dans la mesure où la Déclaration
des Droits de l’Homme et du Citoyen était la base de tout ce qui a suivi après la Révolution de 1789.

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236 Contentieux administratif marocain

C’est donc pour tenir compte à la fois des transformations de l’action


administrative et de l’évolution des idées que la jurisprudence du Conseil
d’Etat français va progressivement faire admettre, puis généraliser, que le
principe de la responsabilité de la puissance publique fut reçu. On se
bornera à mentionner l’arrêt Blanco de 1873, et surtout l’arrêt Rotschild
de 1855 qui fait figure de précurseur en la matière.
Ainsi, graduellement, l’on est passé de l’irresponsabilité de la puissance
publique qui a prévalu de 1800 à 1872, puis à son abandon partiel entre
1873 et 1914 et enfin à sa généralisation progressive depuis cette année (131).
Au Maroc, l’admission de cette responsabilité sera l’œuvre du
législateur de 1913 au moment où la réorganisation de l’administration va
conduire au développement de son action.
L’article 8 du D.O.J. confie aux nouvelles juridictions le soin de juger
les recours tendant à faire déclarer débitrices les administrations publiques
en matière de travaux publics, de contrats et plus généralement pour tous
actes de leur part ayant entraîné un préjudice.
Dans le prolongement de cette attribution de compétence, le législateur
affirme que l’Etat et les municipalités doivent réparer les dommages
causés par leurs services sauf si la cause de ces dommages se trouve dans
une faute personnelle de leurs agents.
Article 79 : « L’Etat et les municipalités sont responsables des dommages
causés directement par le fonctionnement de leurs administrations et par les
fautes de service de leurs agents. »
Article 80 : « Les agents de l’Etat et des municipalités sont
personnellement responsables des dommages causés par leurs dols ou par
des fautes lourdes commises dans l’exercice de leurs fonctions. L’Etat et
les municipalités ne peuvent être poursuivis à raison de ces dommages
qu’en cas d’insolvabilité des fonctionnaires responsables. »
A ce principe général de responsabilité, il existe cependant quelques
exceptions ou atténuations :
• Irresponsabilité de l’Etat du fait de la fonction législative ;
• Irresponsabilité du fait de la théorie des actes de gouvernement.

(131) J. Moreau, La responsabilité administrative, Que sais-je ? n° 2292, PUF, p.7 et suiv.

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Les problèmes généraux de la responsabilité en matière administrative 237

Mais dans ces deux cas, la considération de la jurisprudence française


montre qu’il est possible de faire fléchir l’irresponsabilité.
Irresponsabilité du fait des décisions royales qui sont couvertes par une
immunité juridictionnelle qui n’exclut cependant pas une réparation à
l’issue d’un recours gracieux.
Enfin, il faut signaler le régime particulier qui concerne la fonction
juridictionnelle ; la responsabilité de l’Etat ne pouvait être mise en œuvre
que de façon restrictive en cas d’erreur judiciaire reconnue à l’issue d’une
action en révision sur la base de l’article 612 du Code de procédure pénale ;
également, et dans le même but, en cas de dol, fraude ou concussion d’un
magistrat, l’article 391 du Code de procédure civile organise une procédure
particulière de prise à partie qui couvre également les officiers de police
judiciaire. Actuellement, la responsabilité de l’Etat est élargie puisque
l’article 122 de la Constitution de 2011 dispose que «  Les dommages
causés par une erreur judiciaire ouvrent droit à une réparation à la charge de
l’Etat ». En application de cet article, c’est le tribunal administratif qui est
compétent (132).

Section II
L’interprétation des textes et le problème du régime
de la responsabilité de la puissance publique
Les textes de 1913 ont posé dès leur édiction un problème d’interprétation
pour deux raisons.
La première résulte du fait que ces articles sont intégrés dans un code
qui est tout entier consacré au droit privé : le dahir sur les obligations et
contrats. Ce fait pose la question de l’autonomie de la responsabilité de la
puissance publique.
La deuxième est liée à la rédaction de l’article 79 ; il met en cause les
modalités d’engagement de cette responsabilité : découle-t-elle d’une faute
ou du risque ?

(132) C.C.A, 12 février 2013, Agent judiciaire du Royaume c/ Chelkha, REMALD, 2013, n° 109-110,
note Rousset et Benabdallah.

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238 Contentieux administratif marocain

§1. L’autonomie de la responsabilité administrative


On aurait pu penser que le fait de placer des articles consacrés à la
responsabilité des collectivités publiques dans le DOC signifiait que le
législateur entendait soumettre l’administration au même régime de
responsabilité que les personnes privées ; responsabilité pour dommage
causé à autrui à la suite d’une faute (articles 77 et 78) et dommages causés
du fait des choses que l’on a sous sa garde (article 88).
Cette interprétation n’a été soutenue par personne car les articles 79 et
80 ne faisaient, à l’évidence, que développer les principes posés par les
articles 8 du D.O.J. et 17 du C.P.C. qui faisaient à l’administration une
situation spécifique au regard de la compétence et des pouvoirs du juge.
Les magistrats ne s’y sont d’ailleurs pas trompés qui ont d’emblée soumis
l’administration à un droit spécifique différent du droit commun : le droit
administratif. Ayant à connaître des actions tendant à faire déclarer
débitrices les administrations à raison des contrats conclus par elles, des
travaux qu’elles ont ordonnés ou de tous actes de leur part ayant causé un
préjudice à autrui, ils ont statué « en matière administrative », sur la base
d’un droit autonome.

§2. La signification de l’article 79 du DOC


Le problème est lié à la rédaction de cet article qui conduit les
interprètes à estimer qu’il établit une responsabilité objective ; cette
interprétation se fonde sur trois arguments :
1. Le premier se réfère à la structure de la rédaction de l’article 79 ; en
effet, la première phrase de l’article vise la responsabilité pour les
dommages causés directement par le fonctionnement de l’administration
alors que la deuxième partie de l’article concerne les dommages causés
par la faute de service des agents.
Les interprètes ont ainsi fait valoir que la première partie de ce texte
établissait une responsabilité objective, automatique, dès lors que le
dommage était causé directement par le service public.
2. Les mêmes interprètes s’appuyaient aussi sur l’article 8 du D.O.J.
qui vise uniquement les «actions tendant à faire déclarer débitrices les

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Les problèmes généraux de la responsabilité en matière administrative 239

administrations » pour « tous actes de leur part ayant causé un préjudice à


autrui ».
3. Enfin, ils faisaient valoir la différence de rédaction de ce texte par
rapport au décret beylical tunisien du 27 novembre 1888 qui lui avait servi
de modèle et qui, lui, disposait que la puissance publique serait responsable
des dommages « causés sans droit » par les administrations de l’Etat et des
municipalités ; l’absence de cette expression « sans droit » signifiait bien la
volonté du législateur d’affranchir la responsabilité administrative de toute
exigence de la présence d’une faute.
Ainsi, il suffirait de démontrer l’existence du dommage et le lien de
causalité entre celui-ci et le service pour obtenir automatiquement une
réparation fondée en définitive sur le « risque administratif ».
Ce système aurait ainsi été l’un des plus avancés du monde et en tout
cas plus favorable que le système français qui, à l’époque, ne connaît
encore un tel mécanisme que dans le cas de la réparation du dommage
professionnel subi par un collaborateur du service public alors qu’il n’y a
aucune faute (C.E. 21 juin 1895, Cames, G.A.J.A. 12e éd. p. 38).
Cette interprétation était très séduisante ; elle a été très largement
répandue en doctrine et a influé sur certaines décisions des tribunaux (cf.
P.L. Rivière : note sous C.A. Rabat 21 janvier 1928, Sirey 1930 - II - 25).
Ainsi la Cour d’appel de Rabat jugeait, dans une décision du 8 décembre
1939, G. Marie, RACAR, p. 473 : « La législation du protectorat consacre
une responsabilité objective, sans faute, pour tout acte administratif causant
un préjudice à autrui. » Et, en 1943, elle statuait encore dans ce sens
(G.T.M. 20 février 1943, p. 25 et 3 avril 1943, p. 479).
Cette interprétation fut cependant remise en cause par un article
d’André de Laubadère publié à la GTM le 9 avril 1943 sous le titre : « Le
fondement de la responsabilité des collectivités publiques : la faute ou le
risque. »
L’argumentation était simple. Elle consistait à constater que l’article 79
avait posé le principe de la responsabilité des collectivités publiques, tout
en laissant aux tribunaux le soin de construire le régime juridique de cette
responsabilité.

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240 Contentieux administratif marocain

Cette interprétation fondée sur le bon sens tient cependant compte d’un
certain nombre de facteurs tirés du contexte historique.
Il faut conserver à l’esprit que le rédacteur des articles 79 et 80 n’est
autre que le Conseiller d’Etat Georges Teissier, l’auteur de l’ouvrage cité
plus haut relatif à la responsabilité de la puissance publique en France en
1906, responsabilité qui reposait sur la fameuse formule de l’arrêt Blanco
selon laquelle la responsabilité qui peut incomber à l’Etat pour les
dommages causés par les services publics n’est « ni générale ni absolue »
qu’elle a ses règles spéciales découlant de la nécessité de concilier les
exigences des services publics avec les droits légitimes des particuliers.
A l’époque, ainsi que nous l’indiquions ci-dessus, la responsabilité sans
faute n’a été consacrée que dans un cas, celui de l’arrêt Cames ; elle
n’occupe donc qu’une place tout à fait limitée à côté du régime principal
de responsabilité qui repose sur la faute.
Rapidement, les juridictions se rangèrent à cette opinion. Toutefois, le
Premier Président de la Cour suprême revint sur cette question dans un
discours d’ouverture de l’année judiciaire à propos d’une décision de la
Cour suprême accordant une réparation à la veuve d’un agent mort en
service sur la base de la responsabilité sans faute (C.S.A., 3 juillet 1968,
Aboubou, G.T.M. 1969, p. 5).
Le Haut magistrat se prononçait pour une responsabilité objective en se
fondant exclusivement sur des idées de justice et d’équité qui lui
semblaient plus en accord avec les bases philosophiques et historiques du
droit musulman.
Cette tentative de modifier les bases du système de responsabilité a
certainement introduit un flottement dans les décisions des juridictions
inférieures (133) ; mais, en fait, il semble que la Haute juridiction ait
surtout cherché à donner une plus grande extension à la responsabilité
pour risque chaque fois que l’équité le commandait, mais sans remettre en
cause le principe de la responsabilité pour faute.
Certains commentateurs ont cependant exprimé l’opinion que le
flottement constaté dans les décisions des tribunaux ordinaires provenait

(133) H. Ouazzani Chahdi, Les articles 79 et 80 du DOC et l’évolution de la jurisprudence,


RMDED n° 7, 1984, p. 163 ; M. Antari, « Remarques sur quelques tendances récentes de la
jurisprudence administrative », REMALD n° 18, 1997, p. 51.

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Les problèmes généraux de la responsabilité en matière administrative 241

peut-être plus d’une insuffisante maîtrise du droit administratif de la part


des magistrats de première instance et d’appel que d’une réflexion
approfondie sur les implications d’un système généralisé de responsabilité
objective.
Celui-ci n’est en effet pas nécessaire pour parvenir à l’indemnisation des
victimes. En revanche, son instauration aurait sûrement pour conséquence le
risque de voir les agents des administrations se désintéresser totalement des
conséquences de leurs erreurs.
Ce système serait ainsi particulièrement malvenu dans une administration
où le sens des responsabilités n’est pas toujours à la hauteur des exigences
d’un fonctionnement régulier et efficace des services, et dans laquelle les
contrôles et les systèmes d’inspection ne sont pas encore en mesure
d’assurer l’élimination du laxisme et de l’incompétence.
On peut donc considérer que la question de la signification de l’article
79 est désormais tranchée. Le législateur a posé un principe général de
responsabilité ; les juges ont à le mettre en œuvre de la façon qu’il estiment
la plus conforme à la fois à l’équité et à l’égalité des citoyens devant les
charges publiques, mais tout autant aux exigences et aux contraintes qui
pèsent sur l’action administrative. C’est pourquoi il convient que le juge
de l’administration soit un juge qui connaisse bien le droit, certes, mais
qui connaisse aussi bien l’administration ; cette connaissance lui est en
effet indispensable pour mettre en œuvre le principe de responsabilité posé
par l’article 79 du DOC, car contrairement à ce qu’affirmait une décision
du Tribunal administratif de Meknès, 27 juillet 1995, Sifouh, REMALD
n° 13, 1995, p. 156 (en langue arabe), le juge dispose d’un large pouvoir
créateur en face d’une infinité de situations de fait par rapport auxquelles
il doit déterminer la solution la plus équitable possible (134).
C’est dans cette perspective que l’on présentera les différents cas dans
lesquels la responsabilité administrative peut être engagée.

(134) M. Rousset, Interprétation et progrès du droit, Mélanges M.J. Essaid, T. I, Rabat 2005, p. 265.

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Chapitre II
Les cas de responsabilité

L’étude de la jurisprudence – peu abondante il est vrai – montre que,


malgré les hésitations dont ont fait preuve les tribunaux entre 1968 et le
milieu des années soixante-dix, le système de responsabilité repose sur un
double mécanisme :
La responsabilité administrative peut être engagée si la victime
démontre l’existence d’une faute administrative.
Mais elle peut l’être également en l’absence de toute faute dans des cas
où, objectivement, l’administration crée par son action un risque pour
l’administré et à condition que le préjudice qui en découle dépasse par sa
gravité le niveau de ce que l’on doit supporter dès lors que l’on vit en
société.
Ce double mécanisme d’engagement de la responsabilité permet ainsi
d’affirmer qu’au Maroc, comme en France, la « responsabilité qui peut
incomber aux collectivités publiques du fait des dommages causés par
l’action de leurs services et de leurs agents n’est ni générale ni absolue,
qu’elle a ses règles propres découlant de la nécessité de concilier les droits
légitimes des particuliers avec les exigences du service public ».
La responsabilité pour faute constitue ainsi la règle tandis que la
responsabilité sans faute constitue l’exception.
Mais dans les deux cas, il faut bien comprendre que le fondement de la
responsabilité publique est le même. C’est le principe d’égalité de tous
devant les charges publiques, formulé solennellement par les différentes
constitutions, et, qui, en outre, se présente comme une manifestation
particulière d’un principe plus général, celui du droit de l’égalité.
Dans ces conditions, il faut conserver présent à l’esprit que la faute ou
le risque ne sont que les conditions d’engagement de la responsabilité
administrative.
244 Contentieux administratif marocain

Dans le choix de l’une ou l’autre de ces deux conditions, le juge


dispose d’une liberté qu’il peut utiliser pour adapter la solution qu’il
retient à la situation de fait qui lui est soumise. C’est ainsi que se dégage
au fil des décisions – en l’espèce sous le contrôle de la Cour suprême,
régulatrice de l’application du fond du droit – une politique jurisprudentielle
qui doit avoir pour finalité de permettre au juge d’assurer l’indemnisation
de la victime chaque fois que l’équité l’exige.

Section I
La responsabilité pour faute de service
La faute de service peut se définir comme le manquement constaté aux
obligations qui pèsent sur le service. Cette faute n’est absolument pas
assimilable à la notion courante de faute ; elle ne présente aucun caractère
moral ou subjectif ; il s’agit d’une faute « objective » qui s’apprécie par
rapport à ce qu’implique le fonctionnement normal du service.
Chaque administration a en effet une mission déterminée qu’elle assume
avec des moyens matériels, des personnels et des moyens juridiques. Elle
assume ainsi des obligations et des droits qui constituent ce que l’on peut
appeler la charte du service ; ainsi on peut dire que la faute de service, c’est
le manquement aux obligations qui incombent aux services.
Il est ainsi évident que la faute de service peut prendre toute sorte de
visages ou de formes. C’est une notion variable, selon le service en cause
puisque chaque service a une mission propre, une organisation spécifique
et des obligations spéciales.
Mais c’est aussi une notion relative car elle s’apprécie en fonction des
circonstances qui peuvent être plus ou moins aisées et qui, à la limite,
peuvent être des circonstances exceptionnelles.
Il nous faut donc revenir sur la nature de la faute, avant de préciser
qu’elle peut être d’une gravité variable ; il restera alors à examiner le
problème de sa preuve.

§1. Nature de la faute de service


La faute peut résulter de la mauvaise organisation du service ou du
mauvais fonctionnement de celui-ci sans que l’on puisse dire qu’elle est le

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Les cas de responsabilité 245

fait d’une personne déterminée, nommément désignée ; la faute est


anonyme et, par commodité, on parle alors de « faute du service ». C’est ce
que fait le législateur dans le premier membre de phrase de l’article 79.
On peut donner quelques exemples illustrant ce cas : un arbre tombe,
une bouche d’égout mal refermée provoque un accident à un automobiliste,
une borne axiale destinée à signaler un carrefour n’est pas éclairée, un
dossier a été égaré, etc.
Dans tous ces cas, à l’origine de la faute, il y a certainement une action
ou une abstention d’un agent ; mais il n’est pas possible de dire lequel. La
faute existe même si son auteur n’est pas identifié.
Mais, à l’opposé, il y a des fautes commises par des agents parfaitement
identifiés : ce sont alors des fautes de service commises par tel ou tel
agent. Ce sont elles qui sont visées par le deuxième membre de phrase de
l’article 79.
Cette distinction, bien que présente dans ce texte, n’a cependant aucune
conséquence juridique. Dès lors que la faute a été commise dans le
service, dans l’exercice des fonctions, elle engage la responsabilité de la
collectivité publique pour autant qu’elle ne constitue pas une faute
personnelle que vise l’article 80 (dol, faute lourde dans l’exercice des
fonctions).
La faute peut être constituée par une décision juridique, par une action
matérielle, ou encore par une inaction, une inertie.

A. La faute dans l’activité juridique


Une décision administrative peut être fautive si deux conditions sont
réunies.
Il faut qu’il s’agisse d’une décision faisant grief ; les avis ou autres
mesures préparatoires ne sont normalement jamais constitutifs d’une faute
de nature à engager la responsabilité de la collectivité.
Il faut en outre qu’elle soit illégale ; l’acte légal ne peut pas être fautif.
L’illégalité est ainsi une condition nécessaire pour qu’il y ait faute ; mais
cette condition n’est cependant pas suffisante en ce sens que toute illégalité
n’entraîne pas automatiquement la responsabilité. Ainsi, s’il y a simple
vice de forme, alors que l’administration a un pouvoir lié et qu’elle doit

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246 Contentieux administratif marocain

reprendre la même décision, l’illégalité ne sera pas de nature à permettre


l’engagement de la responsabilité.
L’action en indemnité implique donc que le juge de plein contentieux
vérifie la légalité de la décision sauf si antérieurement une décision
d’annulation a été rendue.
Par exemple, le Tribunal administratif de Rabat saisi d’un recours en
indemnité pour réparation du préjudice causé par le refus de la tenue
d’une réunion publique constate que ce refus n’est fondé sur aucun motif,
qu’il est donc irrégulier et constitue une faute de service : 15 octobre 1998,
Secrétariat général du PAGDS, REMALD, n° 26, 1999, p. 84.
En revanche, dans l’affaire Lahcen Ben Abdelmalek Soussi, le
propriétaire du restaurant fermé illégalement par le caïd s’est fondé sur
l’annulation de la décision illégale de fermeture pour demander au juge
ordinaire une indemnité : C.S.A., 8 novembre 1965, n° 18004, non publiée
(cf. Serhane, op. cit. p. 187).
Un problème s’est posé du fait de la prohibition de l’article 8 du
D.O.J., puis 25 du C.P.C., portant sur le point de savoir si le juge ordinaire
pouvait apprécier la légalité des actes administratifs ; la Cour suprême a
répondu par l’affirmative en décidant que les tribunaux pouvaient apprécier
la légalité des actes administratifs chaque fois que cette appréciation leur
était nécessaire pour déterminer la responsabilité de l’administration :
C.S.A., 13 avril 1961, Borromet, R. 110 et jurisprudence constante.
De toute façon, ce problème a aujourd’hui disparu du fait que les
tribunaux administratifs sont compétents comme juge de la légalité et
comme juge de la responsabilité. Toutefois, il faut distinguer les deux
recours qui ne suivent pas exactement le même régime procédural
(dispense de la taxe judiciaire et du ministère d’avocat agréé devant la
Cour suprême pour le recours pour excès de pouvoir).

B. Agissements matériels de l’Administration


Ces agissements peuvent être très variables. Les uns sont purement
matériels, tandis que les autres sont de type bureaucratique ou administratif.
Les actes purement matériels sont innombrables ; par exemple, dans le
domaine des travaux publics : chantiers mal entretenus, non balisés, ouverts

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Les cas de responsabilité 247

au public malgré le danger des matériels ou des travaux, etc. Mais il y a


aussi des agissements administratifs, tels les renseignements erronés
donnés par les services : par exemple Caisse marocaine des marchés
c/ Ville de Casablanca, 17 janvier 1963, p. 392.
Mais ce peut être aussi l’inertie de l’administration, son abstention
alors qu’elle a l’obligation d’agir : T.A., Marrakech 24 décembre 1997,
Bouzra Azzahra (135).
Commet une faute de service, l’agent de la douane qui ne vérifie pas
que l’automobiliste étranger qui pénètre sur le territoire national est bien
en possession de l’attestation d’assurance internationale (la carte verte)
exigée pour les véhicules circulant sur le territoire national (CCA, 28 mai
2015, Héritiers Abderrhamane c/ Administration des douanes et impôts
indirects). De même, le conservateur de la Conservation foncière commet
une faute de service en ne vérifiant pas la véracité des procurations qui lui
sont présentées pour justifier la donation d’une propriété immobilière
(CCA, 21 juillet 2016, dossier administratif n° 1436/04/03/2016, Agence
Nationale de la Conservation Foncière c/ Christophe et consorts).
L’exemple caractéristique est celui de l’inexécution des décisions de
justice, l’oubli de la part du service compétent d’opposer une saisie
conservatoire entraînant ainsi la disparition du gage du créancier, les
lenteurs dans le fonctionnement des services qui peuvent engendrer un
préjudice, etc.
La jurisprudence n’est pas très abondante, ce qui ne signifie pas que
les usagers n’aient pas souvent matière à se plaindre des lenteurs et des
phénomènes d’inertie.
Ainsi les autorités qui ont laissé édifier des constructions dans la vallée
de l’Ourika au mépris des règles les plus élémentaires de sécurité et en
violation flagrante de l’obligation de respecter la qualité architecturale de
l’habitat local, ont incontestablement fait preuve de la plus extrême
inertie ! Mais personne n’a saisi le juge ! C’est peut être la raison pour
laquelle ces fautes perdurent : par exemple la délivrance d’autorisation de
construire dans des zones inconstructibles constitue une faute de nature à
engager la responsabilité de la collectivité publique. Quant à la démolition

(135) M. Antari, Les dommages causés par le silence de l’administration peuvent-ils être réparés,
REMALD n° 33, 2000, p. 37.

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248 Contentieux administratif marocain

des constructions illégalement édifiées, elle ne pourrait servir de fondement


à une action en responsabilité que si les propriétaires étaient en mesure de
démontrer leur bonne foi dans l’obtention de l’autorisation de construire.

§2. La gravité de la faute de service


Nous avons dit que la faute devait s’apprécier au regard :
• d es particularités du service en fonction de sa mission, de son
organisation et de ses moyens ;
• des circonstances normales, difficiles, exceptionnelles.
Ceci revient à dire que le juge sera d’une sévérité variable dans son
appréciation de la faute de service ; celle-ci fait l’objet d’une appréciation
concrète, compte tenu des conditions dans lesquelles elle s’est produite.
C’est ce qu’avait parfaitement formulé la Cour d’appel de Rabat dans
une décision du 13 juillet 1943, Dame Laurent (RACAR, p. 259) :
« Attendu que la faute de service n’engendre pas automatiquement la
responsabilité de la puissance publique ; que les faits générateurs de cette
faute doivent être d’une certaine gravité, considérés dans chaque cas en
fonction de la diligence que le plaignant était légitimement en droit
d’exiger du service public considéré. »
Cette formule a été reprise dans une décision du Tribunal de Casablanca
du 25 février 1960 (G.T.M. n° 1273) :
« L’Etat ne doit pas aux tiers la garantie de toute faute de ses agents…
il est nécessaire de tenir compte dans chaque cas de multiples circonstances
de sorte que le degré de gravité que doit présenter la faute pour engager la
responsabilité de l’Etat est variable selon les circonstances et selon les
services… »
Ceci revient à dire que le juge apprécie concrètement les faits et qu’il
établit une relation entre les faits qui sont à l’origine du dommage, les
circonstances et les obligations du service.
On comprend alors mieux la signification de la distinction que fait le
juge en fonction de la gravité de la faute, entre la faute simple et la faute
lourde. On considère traditionnellement que certains services ont une tâche
plus difficile que d’autres. Tel est le cas des services de police dans les

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Les cas de responsabilité 249

activités de maintien de l’ordre, des services publics hospitaliers (136) ou


des services de lutte contre l’incendie.
Le juge exigera dans ces cas la preuve d’une faute lourde ; mais celle-ci
ne concerne pas nécessairement le service dans sa totalité.
En ce qui concerne la Police, le Tribunal de Rabat a jugé « qu’il est de
règle bien établie qu’en matière de maintien de l’ordre public
l’administration ne répond que de sa faute lourde » 13 avril 1960.
Dans la même affaire, la Cour suprême devait faire la distinction entre
différentes situations.
Les opérations de maintien de l’ordre ne peuvent engager la
responsabilité administrative qu’en cas de faute lourde ; toutefois, s’il est
fait usage d’armes à feu, les tiers victimes sont indemnisés sur la base du
risque que leur fait courir l’usage d’armes dangereuses ; enfin, pour les
« destinataires » de l’opération de maintien de l’ordre, la responsabilité sera
à base de faute simple dans ce cas : C.S.A., 23 novembre 1964, Abdeslam
Doukkali, Racar, p. 457.
Le Tribunal fait application de cette position dans une affaire où le
requérant demandait une indemnité pour les dommages qu’il avait subis
du fait des émeutes de Fès en décembre 1990 ; le Tribunal accède à sa
demande en estimant qu’il y avait eu faute lourde de la part des forces de
l’ordre du fait de la tardiveté de l’intervention et de l’inadaptation des
moyens mis en œuvre : T.A., Fès, 31 juillet 1996, Sté Maroc Modis.
En dehors des opérations de maintien de l’ordre, la responsabilité des
services de police est normalement engagée dans le cadre de la faute
simple ; régler la circulation, prendre des mesures de police en matière de
chasse ou de pêche ou de préservation de la santé et de la salubrité
publique ne constitue pas une activité présentant des difficultés
particulières.
Toutefois, il convient de ne pas perdre de vue que, parfois, dans
l’exercice d’une activité juridique, l’autorité de police peut rencontrer des
difficultés très importantes. La décision d’ouvrir une route de montagne à

(136) M.A. Benabdallah, La responsabilité du fait du service médical, in La responsabilité


médicale, colloque 7-10 décembre 1988, Rabat, publié par la Société Marocaine des Sciences
médicales, 1989, p. 97 et suiv. et Contribution à la doctrine du droit administratif marocain,
REMALD, Coll. « Manuels et Travaux universitaire » n° 77, 2008, vol. I, p. 77.

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250 Contentieux administratif marocain

la circulation en période hivernale peut être une décision particulièrement


aléatoire lorsqu’elle est prise dans un contexte climatique difficile à
mesurer (chutes de neige, pluies importantes, risque d’avalanches ou
d’éboulement) ; dans ces cas, le Conseil d’Etat français exige la preuve
d’une faute lourde.
Les services publics hospitaliers constituent la deuxième catégorie de
services qui sont confrontés à des difficultés particulièrement grandes.
Il convient là aussi de distinguer les activités médicales et chirurgicales
et les activités de simples prestations de soins et à plus forte raison les
activités administratives et de gestion.
Dans ce dernier cas, une faute simple suffit pour engager la
responsabilité de l’hôpital : C.S.A., 21 février 1975, Etat c/ Lamrani, Revue
juridique, politique et économique du Maroc 1975, p. 105 : défectuosité
dans le fonctionnement de l’ascenseur – Tribunal de Rabat, 11 mai 1975 :
suicide d’un handicapé mental suite à un défaut de surveillance.
En revanche, il faut une faute lourde pour engager la responsabilité du
service médical ; le Tribunal de Rabat s’est prononcé en ce sens depuis
longtemps : 3 mars 1936, G.T.M. 1936, p. 255 : le juge exige « une erreur
grave ».
Le Tribunal régional de Marrakech reconnaît l’existence d’une faute
lourde dans le fait d’oublier des instruments chirurgicaux dans le corps de
la victime : il s’agit « d’une faute lourde médicale » : 11 janvier 1971 non
publié.
Il est jugé de la même façon par le Tribunal de Rabat pour l’ablation
d’un sein réalisée à la suite d’analyse médicale défectueuse qui avait à tort
fait apparaître l’existence d’une affection cancéreuse : 29 octobre 1980,
non publié.
Il faut enfin signaler l’existence d’un texte de loi qui, dans un autre
domaine, exige la preuve d’une faute lourde ; il s’agit de l’article 232 du
Code des douanes et impôts indirects en vertu duquel :
« Les dommages subis n’ouvrent droit à indemnité au profit des
propriétaires ou détenteurs soupçonnés de fraude que si le dommage
allégué résulte exclusivement et directement de fautes lourdes imputables

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Les cas de responsabilité 251

soit au fonctionnement de l’administration, soit à un agent dans l’exercice


de ses fonctions. » (Dahir portant loi du 9 octobre 1977.)
On indiquera en conclusion que si la gradation de la faute est destinée
à tenir compte des conditions concrètes de fonctionnement des services, le
juge peut aisément moduler cette exigence de gravité renforcée puisque
c’est lui qui décide ce qu’est une faute simple et ce qu’est une faute
lourde ; il peut donc parfaitement adapter son appréciation non seulement
aux circonstances mais aussi à ce qu’exige l’équité.
En France le Conseil d’Etat vient d’abandonner l’exigence d’une faute
lourde pour les actes médicaux et chirurgicaux ; celle-ci semble en effet
inutile dès lors que le juge apprécie la faute concrètement, en tenant compte
« des difficultés particulières, de l’urgence, de l’état des connaissances et
des moyens » dont dispose le médecin, c’est-à-dire de l’ensemble des
circonstances de l’affaire qui le conduisent à estimer qu’il y a, ou qu’il
n’y a pas, faute de nature à engager la responsabilité de l’hôpital public :
C.E. (assemblée) 10 avril 1992, M. et Mme V., conclusions Legal, A.J.D.A.,
1992, p. 355, et GAJA, 12e éd., p. 760.

§3. La preuve de la faute


En matière administrative comme dans les relations entre particuliers,
il est essentiel de pouvoir apporter la preuve de son droit ; la charge de la
preuve incombe en effet toujours au demandeur, en l’espèce à la victime.
Ici il faut prouver la faute de service, et cette obligation peut être très
lourde.
En effet, la victime n’a pas accès aux dossiers de l’administration ; elle
n’a aucune autorité lui permettant d’interroger les agents, de recueillir
auprès d’eux des informations sur le fonctionnement du service, la
répartition des tâches, les notes de service conditionnant l’utilisation des
outils et des divers matériels, produits ou engins, etc. La victime est à tous
égards dans une situation défavorable ; mais l’intervention du juge peut
corriger les conséquences de cette inégalité de trois façons.
1. La Cour suprême consacre le principe de liberté des modes de
preuve, ce qui signifie que le demandeur peut entraîner la conviction du
juge par tous les moyens qu’il juge utiles : « Les juges du fond ont le libre

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252 Contentieux administratif marocain

choix des modes de preuve des faits dont se prévalent les parties… »
C.S.A. 7 mai 1960, Etat c/ Dejoie, R. 218.
2. La procédure civile offre au juge de nombreuses possibilités
d’intervention au cours de l’instance : référé, expertise, enquête, transport
sur les lieux, peuvent être utilisés par le juge soit de sa propre initiative
soit à la demande des parties.
3. Mais ce qui est encore plus favorable c’est le renversement de la
charge de la preuve par l’établissement de ce que l’on appelle une
présomption de responsabilité à la charge de l’administration.
Dans ce cas, l’administration ne peut s’exonérer de sa responsabilité
qu’en démontrant qu’elle a fait tout ce qui lui incombait pour empêcher la
survenance du dommage.
Cette présomption a été imposée à l’administration en matière de
travaux publics : l’administration doit établir qu’elle a satisfait à
l’obligation d’entretien normal de l’ouvrage public (Etat c/ Dejoie). La
Cour suprême adopte la même attitude à propos de la responsabilité de
l’O.N.C.F. à l’égard des tiers : 13 avril 1977, Kbira Bent Kacem
c/ O.N.C.F., R.J.P.E.M., 1979, p. 173 : « Qu’il est suffisant pour que sa
responsabilité soit dégagée que le service prouve qu’il a fait tout ce qu’il
devait faire conformément à la loi et aux normes judiciaires… »
Par ailleurs, le juge utilise cette présomption en ce qui concerne les
accidents causés par les véhicules automobiles, estimant qu’il s’agit d’une
activité dangereuse à l’égard de laquelle les piétons, lorsqu’ils en sont les
victimes, doivent être protégés. Mais aujourd’hui, ce sont les juridictions
ordinaires qui ont conservé la connaissance de ces litiges.

Section II
La responsabilité sans faute
Dans un certain nombre de situations, l’application du système de la
responsabilité pour faute pourrait conduire à l’impossibilité pour la victime
d’obtenir réparation du préjudice en raison de son incapacité à démontrer
l’existence d’une faute à la charge de l’administration. Cette situation peut
se présenter :

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Les cas de responsabilité 253

• soit parce que la preuve de la faute est impossible : c’est le cas des
activités dangereuses : explosion, incendie, usage d’arme à feu,
avalanche ou éboulement, etc.
• s oit parce que la preuve de la faute peut être inopportune si le
dommage est causé par un acte de gouvernement.
•  soit parce qu’il n’y a pas de faute : l’activité administrative ne peut pas
ne pas produire de dommage : c’est souvent le cas de dommages de
travaux publics qui résultent nécessairement de la réalisation du travail
public ou de l’existence de l’ouvrage public ; ce pourra aussi être le
cas dans le domaine de l’activité juridique d’un acte administratif
régulier qui ne touche négativement qu’un nombre limité d’individus.
Pour faire face à ces diverses éventualités, le juge a imaginé de faire
appel à un autre système de responsabilité de façon à parvenir à indemniser
les victimes. C’est le système de la responsabilité sans faute.
La responsabilité sans faute repose naturellement sur le fondement
général de toute responsabilité : le principe d’égalité des citoyens devant
les charges publiques qui est un principe de justice et d’équité. Mais il
repose aussi sur un mécanisme spécifique qui est le risque que l’activité
administrative peut engendrer et qui oblige la collectivité publique à
réparer les dommages causés même en l’absence de faute.
Cette responsabilité sans faute a connu un assez large développement
en France ; elle est sans doute moins développée au Maroc, mais les
juridictions lui font une place qui ne peut que s’étendre dès lors que se
présenteront des situations où il sera équitable de s’y référer.
Il faut d’ailleurs indiquer que le législateur est parfois intervenu soit
pour institutionnaliser les solutions retenues par le juge, soit pour
compléter la jurisprudence.
Il est difficile de classer de façon logique les différents cas dans lesquels
cette responsabilité est retenue. La cause de l’appel à ce système peut être
le caractère dangereux de l’activité et du risque qu’elle implique, que
celui-ci soit matériel, juridique ou social. Dans d’autres cas, ce sera
purement et simplement la rupture du principe d’égalité qui obligera à
réparer le préjudice causé sans faute. On a parfois fait également appel à
l’idée d’enrichissement sans cause lorsque le collaborateur de service public
est victime d’un accident alors qu’il œuvre au profit de l’administration.

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254 Contentieux administratif marocain

Ces diverses classifications ne sont pas sans intérêt, mais dans la


mesure où elles ne couvrent pas la totalité des hypothèses envisageables, il
semble préférable de s’en tenir à une simple énumération.

§1. Les dommages de travaux publics


C’est le domaine d’élection de la théorie du risque, même si ce n’est
pas le domaine exclusif de cette théorie. La responsabilité pour dommage
de travaux publics est ancienne ; elle est importante, et c’est l’un des
points essentiels dont se préoccupe le législateur de 1913, qui confie aux
nouvelles juridictions le soin de trancher les litiges nés de travaux
ordonnés par les administrations.
Toutefois, le système de responsabilité est diversifié car la jurisprudence
traite différemment le dommage selon qu’il s’agit d’un dommage
permanent ou d’un dommage causé accidentellement.

1. Le dommage permanent de travaux publics


Le dommage permanent, c’est celui qui résulte objectivement de la
réalisation du travail public ou de l’existence de l’ouvrage public. Ce sera
le cas :
• des trépidations dues au passage du chemin de fer ;
• du bruit occasionné par le décollage des avions ;
• de l’inondation entraînée par les modifications du terrain qui résultent
d’une opération de travail public, C.A. Rabat, 28 octobre 1941,
Héritiers Marc, RACAR, 1942, 305 ;
• de la suppression d’une rue, C.A. Rabat, 1 er juillet 1953, G.T.M.
1955, 139.
Ce dernier arrêt illustre parfaitement la situation qui résulte de ce type
de dommage et la position du juge qui décide que « tout dommage
permanent causé par les travaux publics à un particulier doit être supporté
par la collectivité pourvu que ce dommage soit appréciable et qu’il soit en
rapport direct avec les travaux effectués ».
En revanche, le juge a refusé d’indemniser un requérant qui se plaignait
du préjudice que lui aurait causé la suppression d’une route ; le juge a fait
valoir que cette route était construite sur le domaine public et qu’elle n’avait
pas été conçue pour desservir la propriété du requérant qui n’établissait donc
pas la spécialité du préjudice. C.A. Rabat, 22 novembre 1948, Prat c/ Ville

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Les cas de responsabilité 255

de Casablanca, RACAR 1948, 34. Mais la Cour accepte d’indemniser le


préjudice résultant de la construction d’un marché municipal : 13 juin 1956,
Zoubida Bent Boubker.
Enfin, la Cour suprême, dans une décision du 9 janvier 1960, consorts
Mazoyer, R. 203, indemnise le préjudice résultant du passage d’une ligne
électrique au-dessus de la propriété du requérant ; certes dans ce cas il
existe un texte qui prévoit expressément l’indemnisation ; mais le dahir de
1918 n’en prévoit pas les modalités, et la Cour suprême précise que ce
préjudice doit être réparé comme en matière de dommage permanent de
travaux publics et donc qu’il doit être direct et appréciable en argent et
spécial au requérant.

2. Le dommage accidentel
Le dommage accidentel est le résultat fortuit de l’exécution du travail
public. Ce résultat n’est pas normal ; il aurait dû être évité ; il s’agit d’un
accident. Les exemples sont naturellement très nombreux :
• effondrement d’un mur en construction ;
• absence de balisage d’une tranchée, d’un chantier, d’un dépôt de
matériel qui provoque un accident ;
• éboulement dû à un tir de mine ;
• chute d’un câble électrique, etc.
La jurisprudence distingue selon que la victime est un usager ou un
tiers.
a. Le mode de réparation fait ici appel à la faute si la victime est un
usager bénéficiaire de l’opération ou de l’ouvrage public ; toutefois, il
s’agit d’une responsabilité pour faute présumée.
La justification – contestable – de ce système repose sur l’idée que
l’usager de l’ouvrage public est bénéficiaire de l’opération, qu’il tire un
avantage de l’existence de l’ouvrage public et que, dans ces conditions, il
est logique qu’il soit soumis à un régime de responsabilité pour faute
comme tout usager des services publics.
Dans une décision du 18 mai 1961, Etat c/ Mayent, R. 137, la Cour
suprême rappelle que l’usager bénéficiaire de l’ouvrage public peut être
indemnisé dès lors que le dommage « excède les sujétions que les riverains

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256 Contentieux administratif marocain

doivent normalement supporter sans indemnité compte tenu de la nature


des ouvrages et des avantages directs et spéciaux qu’ils en tirent ».
Mais afin de tenir compte des difficultés de la preuve en ce domaine,
le juge met en œuvre un système de faute présumée qui oblige
l’administration à démontrer qu’elle a fait tout ce qui lui incombait pour
éviter le dommage ; la formule des arrêts évoque le fait que l’administration
a assuré « l’entretien normal de l’ouvrage ».
Le juge ne condamne l’administration que s’il constate l’existence
d’une faute constituée par le « défaut d’entretien normal ». Dans son
appréciation de ce défaut d’entretien normal, le juge tient naturellement
compte des circonstances dans lesquelles l’administration a dû agir.
C’est ce que la Cour suprême rappelle dans plusieurs décisions :
– 7 mai 1960, Etat c/ Dejoie, R. 218 à propos de l’absence de
signalisation d’une chaussé dégradée ;
– 16 décembre 1963, Ministre des Travaux Publics, c/ Michel Marcel,
RACAM 1965, 347, absence de signalisation d’un passage
dangereux.
Le juge peut d’ailleurs faire preuve d’une sévérité variable selon les
circonstances : 8 novembre 1965, Ministre des Travaux Publics, c/ Langare
Med. (non publié) : Les agents des travaux publics connaissaient l’effet
des pluies torrentielles dans le Sud, l’état du chemin tertiaire sur lequel
s’est produit l’accident qui n’était pas empierré et dont il savaient qu’il
n’avait pas fait l’objet de travaux de revêtement ; dans ces conditions, « les
agents des travaux publics auraient dû prendre toutes les précautions
nécessaires pour que la circulation des véhicules, puisqu’ils l’autorisaient,
puisse se faire sans danger pour les usagers en quelque point du parcours
que ce soit et notamment au passage litigieux… »
Le régime de la faute présumée est un système intermédiaire entre la
responsabilité pour faute et la responsabilité pour risque que le juge a
imaginé afin de tenir compte non seulement de la situation de la victime et
de la difficulté qu’elle peut éprouver pour démontrer la faute de
l’administration qui est souvent une faute technique, mais aussi pour tenir
compte de la situation réelle de l’administration dont la tâche en matière
de travaux publics est souvent difficile.

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Les cas de responsabilité 257

b. Le tiers, victime de l’accident de travail public est dans une situation


plus favorable puisqu’il bénéficie du régime de la responsabilité sans
faute, ce qui est logique dans la mesure où il ne tire aucun avantage de
l’ouvrage ou de l’opération ; il ne serait pas équitable qu’on exige de sa
part la démonstration de la faute administrative.
C’est ce qu’explique la Cour d’appel de Rabat dans une décision du
7 novembre 1940 Ville de Rabat c/ Echo du Maroc à propos de l’inondation
de l’atelier du requérant à la suite de l’éclatement d’un égout :
« On ne saurait admettre sans violer le principe de l’égalité des charges
pour les administrés, qu’un travail public destiné à satisfaire aux besoins
de la collectivité constitue un élément de préjudice pour quelques-uns. »
La Cour suprême a eu l’occasion d’indemniser dans ces conditions un
requérant dont l’atelier avait été inondé à la suite de l’obstruction du lit
d’un oued au cours d’une opération de travail public par rapport à laquelle
il était dans la situation de tiers : 16 juillet 1959, Ville de Tanger c/ Martin.
Elle applique la même solution pour la réparation du dommage causé à
la maison d’un tiers dont l’effondrement est dû à des travaux d’adduction
d’eau effectués par une régie communale ; C.A.R., 25 janvier 1983,
Héritiers Toumit c/ RADEE de Rabat.
Il peut parfois y avoir difficulté à distinguer le tiers de l’usager, par
exemple si l’accident dont est victime l’usager de la voie publique est en
réalité causé non par un défaut propre à cette voie, mais par une plaque de
boue apportée par le débordement d’une séguia qui longe la voie publique ;
la cause de l’accident sera le débordement de la séguia, ouvrage dont
l’automobiliste n’est pas utilisateur.

§2. Le risque anormal de voisinage


Il n’y a que très peu de décisions concernant ce cas dans la jurisprudence
marocaine. En France, elle a été inaugurée par l’explosion d’un dépôt de
munitions qui a donné lieu à l’arrêt du 28 mars 1919, Regnault-Desroziers ;
ou bien encore par un incendie provoqué par les pompiers détruisant par le
feu un immeuble insalubre, 24 décembre 1926, Walther, (G.A.J.A. 12e éd.
p. 210).

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258 Contentieux administratif marocain

Le juge estime que les voisins ne doivent pas avoir à supporter la


charge de la preuve d’une faute résultant d’une activité en elle-même
dangereuse et qui est effectuée dans l’intérêt général. La Cour d’appel de
Rabat a fait application de cette idée dans deux affaires singulières.
La première est relative aux dégâts provoqués par le canon des Oudaïas
qui annonçait la rupture du jeûne pendant le mois de Ramadan et dont la
charge, vraisemblablement excessive, entraînait le bris des vitres des
immeubles du voisinage. La Cour devait accorder une indemnité tout en
affirmant dans une motivation contestable « qu’il s’agit d’un acte de
puissance publique qui ne saurait être soumis à la censure du juge »
21 janvier 1928, Canons des Oudaïas, RACAR, 1928, 330.
Une deuxième affaire concerne les dégâts causés par les sangliers aux
cultures dans des terres riveraines des forêts domaniales pendant la
seconde guerre mondiale à une époque où la chasse avait été interdite. Le
pullulement des animaux ayant entraîné une aggravation des dégâts, la
Cour d’appel a estimé que ceux-ci étaient dus à l’interdiction de la chasse
qui avait eu pour conséquence de transformer ce qui, en temps normal,
était une sorte de servitude naturelle pesant sur les voisins des forêts
domaniales en un risque anormal de voisinage : C.A., Rabat, 29 décembre
1943, RACAR, 1944, 337.
En revanche, au lendemain de la suppression de l’interdiction de la
chasse, elle a refusé l’indemnisation, considérant que le risque de voisinage
ne dépassait pas le niveau de ce qu’il est naturel de supporter de la part
des voisins des forêts domaniales : 26 mars 1944, RACAR, 1946, 484.
On peut rapprocher de cette dernière décision l’arrêt du Conseil d’Etat
français qui refuse d’indemniser un requérant se plaignant des dégâts
occasionnés à sa toiture par la chute des feuilles en provenance des arbres
d’un parc public dont sa propriété est riveraine : C.E., 24 juillet 1931,
Commune de Vic Fezensac.

§3. Les activités dangereuses


Ces activités peuvent être de diverses sortes : activités administratives
ou activités matérielles.
En France, la jurisprudence indemnise les victimes d’activités
organisées dans l’intérêt général : par exemple l’éducation surveillée, le

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Les cas de responsabilité 259

système de permission pour les détenus destiné à permettre leur réinsertion


sociale à l’issue de leur peine, ou bien encore le système de soins en
milieu ouvert pour les malades mentaux. Dans ces différents cas, le juge
estime que l’activité est en elle-même susceptible d’entraîner un préjudice
lié à la nature de l’activité.
Elle indemnise la victime qui court un risque social exceptionnel : C.E.,
3 février 1956, Thouzellier, 13 juillet 1967, département de la Moselle et
2 décembre 1982, Ministre de la Justice c/ Theys.
En ce qui concerne les activités matérielles, deux types de situation ont
donné lieu à un certain nombre de décisions. Il s’agit de l’usage des armes
à feu par les forces de l’ordre et les traitements médicaux.

•  L’usage d’armes à feu par les forces de police


La Cour d’appel de Rabat a posé le principe de la réparation du
dommage selon le système de la responsabilité sans faute lorsque la
victime est un tiers (C.A.R., 20 novembre 1951). Cette position a été
confirmée par la Cour suprême (15 mars 1960) et appliquée par le Tribunal
de Rabat (10 mai 1961) :
« Attendu qu’il est de règle bien établie qu’en matière d’opération
touchant au maintien de l’ordre par les services de police le principe que
l’administration ne répond que de sa faute lourde fait place à une
présomption de responsabilité trouvant sa source dans l’idée de risque
lorsque les forces de police font usage d’armes et d’engins dangereux et
que la victime est étrangère à l’opération de police. »
Le juge distingue ainsi, comme en matière de travaux publics, le tiers
indemnisé sur la base de la responsabilité sans faute et le « destinataire »
de l’opération qui doit démontrer l’existence d’une faute ; toutefois dans ce
cas, la preuve d’une faute simple suffit.
La Cour suprême applique cette règle dans une affaire : 23 novembre
1964, Agent judiciaire du Trésor c/ Abdesslam Doukkali, RACAM,
1966-457.
La victime blessée par balle est indemnisée parce que le juge estime
que les gendarmes qui étaient équipés d’un véhicule muni d’un phare
auraient pu rattraper la victime sans faire usage de leurs armes.

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260 Contentieux administratif marocain

• Les traitements médicaux et chirurgicaux


La jurisprudence estime que certains traitements ou certaines
interventions présentent un risque exceptionnel que les services hospitaliers
doivent partager avec le patient.
C’est le point du vue affirmé par la cour d’appel de Rabat dans une
décision du 4 janvier 1940, Sieur Pasquis, RACAR, 423 :
« Si un risque grave existe dans l’application d’un traitement même ne
constituant pas une innovation, le malade ne doit pas être seul à supporter
la charge de ce risque, mais la partager avec le service qui en a fait une
application malencontreuse. »
Cette solution est parfois critiquée parce qu’elle serait à la fois
dispendieuse et inutile.
Elle est certes dispendieuse, mais elle constitue une compensation de
l’échec médical dans un cas présentant un grave risque.
Elle serait inutile parce que si le patient a accepté le risque, il n’y
aurait aucune raison de le partager avec le service ; en revanche, en cas de
faute, il serait logique que le service prenne la responsabilité totale du
dommage, y compris si le patient n’avait pas été mis en mesure d’accepter
en toute connaissance de cause de courir le risque de l’opération ou du
traitement.
On indiquera que la Cour administrative d’appel de Lyon, dans une
décision du 21 décembre 1990, Gomez, Rec. Lebon 1990, p. 973, applique
la responsabilité sans faute dans une affaire où « le recours à une
thérapeutique nouvelle dont les conséquences ne sont pas encore
entièrement connues crée un risque spécial pour les malades qui en sont
l’objet ».
On peut estimer que l’arrêt de la Cour d’appel de Rabat de 1940
constitue une innovation intéressante, manifestation d’un libéralisme du
juge à l’égard de la victime dont participe, dans une mesure moindre il est
vrai, la décision de la Cour administrative d’appel de Lyon.
Quoi qu’il en soit, la responsabilité sans faute a été récemment admise
par la Cour suprême dans un cas où la victime avait été atteinte de cécité à
la suite d’une vaccination obligatoire en période d’épidémie ; il s’agissait
d’un risque spécial à la victime allergique au vaccin subi dans une école

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Les cas de responsabilité 261

publique, la vaccination ayant été réalisée sans faute et dans l’intérêt


général de la santé publique C.S.A., 26 novembre 1979, Zouind Hamou,
J.C.S. 1981, n° 28, p. 3.
Récemment, la Chambre administrative de la Cour de cassation a
condamné l’Etat à réparer sur la base du risque social et de la solidarité
nationale le dommage consécutif à une vaccination obligatoire subie par
un enfant et cela « abstraction faite de toute faute » de la part du service
public. (CCA, 11 avril 2013, Agent judiciaire du Royaume c/ Benmezouar,
REMALD, n° 122-123, 2015, p. 213, note M. Rousset et M.A. Benabdallah).
En France, le législateur a officialisé une jurisprudence identique.

§4. Le refus d’exécuter des décisions de justice


Les décisions revêtues de l’autorité absolue de chose jugée doivent être
exécutées au besoin en faisant appel à la force publique. L’autorité
administrative doit, en cas de besoin, mettre la force publique au service
des bénéficiaires des jugements et arrêts passés en force de chose jugée.
La décision du ministère public d’accorder – ou de refuser – l’octroi de
la force publique est une décision administrative susceptible de faire l’objet
d’un recours en annulation pour excès de pouvoir, et éventuellement, en
cas d’illégalité, d’un recours en indemnité : T.A. Oujda, 1er octobre 1997.
Il peut cependant se faire qu’elle refuse pour des motifs tirés des
circonstances et de ses autres responsabilités ; ce refus légitime est
naturellement contrôlé par le juge sur le plan de la légalité ; c’est ainsi que
le Tribunal administratif de Casablanca juge que « le refus de l’octroi de la
force publique pour l’exécution d’un arrêt d’appel au motif que les
circonstances opportunes ne sont pas réunies, sans pour autant les
expliciter, est entaché d’excès de pouvoir pour absence de motivation »
(10 février 1997). Mais s’il occasionne au bénéficiaire du jugement un
préjudice dont le juge estime qu’il doit être réparé, c’est donc une
responsabilité sans faute qui est mise en œuvre puisqu’en cas de refus
légitime il n’y a pas de faute.
En France, l’arrêt de principe est la célèbre décision Couitéas du
30 novembre 1923 G.A.J.A. 12e éd. p. 254 : Refus d’exécuter une décision
ordonnant une expulsion en raison des risques de troubles à l’ordre public
que l’expulsion aurait entraînés. Le Tribunal de Casablanca a adopté cette

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262 Contentieux administratif marocain

position en matière d’expulsion de logement dans deux décisions du 16


avril 1951 et 18 juin 1951, G.T.M. 1951, p. 144.
La Cour suprême, quant à elle, a reconnu que le refus d’exécuter
pourrait servir de fondement à une action en indemnité : 9 juillet 1959,
Guerra, R. 58. La Cour précise que l’obligation d’exécuter les décisions de
justice disparaît en cas de circonstances tout à fait exceptionnelles dont le
commentateur de la décision explique qu’il peut notamment s’agir de
risques de trouble grave à l’ordre public.
Dans une affaire jugée en 1973, la Cour d’appel de Casablanca n’a pas
utilisé cette possibilité, et elle a justifié le refus d’exécuter mais aussi le
refus d’indemniser. C.A. de Casablanca 10 avril 1973, Bouchaïb c/ Premier
ministre (non publié, cité par Serhane, thèse précitée, p. 263).
Le requérant, dirigeant une école coranique dans un quartier de
Casablanca, se plaignait de l’ouverture d’une école concurrente dans le
même quartier. Le Tribunal de Casablanca lui donne satisfaction et ordonne
la fermeture de la deuxième école ; l’administration refuse cependant de
faire exécuter la décision méconnue par la partie condamnée. Le requérant
s’adresse alors au tribunal pour obtenir une indemnité compensatrice du
préjudice qu’il prétend subir du fait du refus d’exécuter la décision initiale.
Le tribunal lui accorde cette indemnité, mais en appel la Cour infirme ce
jugement en motivant sa décision de la manière suivante :
« Si l’administration est responsable au cas où elle refuse de prêter
main forte à l’exécution d’une décision de justice, le refus est cependant
légitime s’il est basé sur des raisons légales… Or nul ne peut se permettre
d’obtenir l’aide pour fermer une école coranique… et cela même sur la
base d’une décision judiciaire. »
Cette décision est étonnante non pas, peut-être, dans la position qu’elle
défend en ce qui concerne la fermeture de l’école coranique (ce qui peut
toutefois se discuter si l’école est ouverte dans un local dangereux pour la
sécurité publique ou dans un local que le propriétaire destine à un autre
usage, etc.) mais dans le refus d’indemniser ; en effet, l’avantage de la
responsabilité sans faute c’est qu’elle peut parfaitement coexister avec le
point de vue de la Cour sur la légitimité du refus. Dans ce cas, ce qui est
surprenant, c’est que le juge ait lui-même décidé de refuser l’indemnité au
bénéficiaire d’un jugement qui, lui, était devenu définitif et ne pouvait
plus être remis en cause.

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Les cas de responsabilité 263

§5. L
 a responsabilité du fait des décisions administratives
générales régulières
En France, cette responsabilité touche également les actes législatifs,
dans des cas il est vrai exceptionnels : c’est le cas dans l’arrêt du 14 janvier
1938, La Fleurette, G.A.J.A. p. 325.
Une mesure d’ordre général peut en fait ne toucher que quelques
personnes, voire une seule ; dans l’affaire La Fleurette, la loi interdisant
l’utilisation de produits de substitution aux produits laitiers ne touchait que
l’entreprise La Fleurette qui dut fermer ses portes alors que la loi était
prise dans l’intérêt général ; de telles situations se sont par la suite
produites à propos de mesures réglementaires.
Dans ce type de situation, l’autorité législative ou réglementaire ne
commet pas de faute ; mais il y a pour celui qui supporte les conséquences
négatives de la mesure rupture de l’égalité devant les charges publiques.
La Cour suprême a admis, a contrario, le principe de cette
responsabilité sans faute dans une décision du 21 décembre 1961, Sieur
Magro c/ Ville de Casablanca, R. 225. Il s’agissait d’une décision de retrait
de licence de taxi fondée sur une réglementation générale relative à la
délivrance des licences d’exploitation des voitures de place.
La Cour a rejeté la demande d’indemnité en se fondant sur le fait que
le préjudice allégué ne présentait pas les caractères qui en auraient fait un
« préjudice indemnisable ».
Attendu que le préjudice subi « n’a pas le caractère de gravité ni
d’anormalité nécessaire pour que la responsabilité de la collectivité puisse
être considérée comme engagée, même en l’absence de faute, à la suite
d’une mesure d’ordre général ».
La Cour constate en effet que les licences ont « un caractère
essentiellement précaire et révocable ».

§6. Calamités nationales et terrorisme


L’article 40 de la Constitution de 2011, comme ses devancières, pose le
principe selon lequel les citoyens supportent solidairement et
proportionnellement à leurs moyens les charges résultant des calamités et

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264 Contentieux administratif marocain

catastrophes naturelles. C’est, sans doute, en s’inspirant du principe de


solidarité qui soutend cette disposition figurant dans toutes constitutions
antérieures que le juge administratif a été amené à résoudre le problème
de l’indemnisation des conséquences d’une calamité sociale, le terrorisme.
En effet, saisi, en octobre 1984, d’une instance en responsabilité de l’Etat
pour la réparation du préjudicie subi par la victime de l’attentat de l’hôtel
Atlas-Asni de Marrakech, le Tribunal administratif de Rabat avait jugé que
l’introduction des armes par le port de Tanger avait permis la commission
de l’attentat et constituait une faute des services de sécurité justifiant la
condamnation de l’Etat à réparer les conséquences dommageables subies
par la victime. Mais, sur appel de l’Agent Judiciaire du Royaume, la
Chambre administrative de la Cour suprême a infirmé ce jugement tout en
confirmant la condamnation de l’Etat mais sur un autre fondement, celui
de la solidarité nationale.
Cette solution est à la fois regrettable et en même temps heureuse. Elle
est regrettable car elle laisse dans l’ombre le fait qu’il y a eu
incontestablement défaillance des services de sécurité chargés de la
surveillance du port de Tanger ; en revanche, elle est heureuse dans la
mesure où elle représente pour la victime l’immense avantage de n’avoir
pas à prouver l’existence d’une faute dans un domaine, celui de la sécurité,
où cette preuve est particulièrement difficile à rapporter. On ajoutera que
le renouvellement de ces actes de terrorisme montre bien qu’il s’agit d’une
calamité nationale dont les conséquences pour les victimes doivent
incontestablement être prises en charge par la solidarité nationale. T.A.
Rabat, 19 novembre 2004, Ayants droit de Couibas Garcia et C.S.A.,
Chambres administrative et commerciale réunies, 14 décembre 2005,
Agent judicaire c/ Couibas Garcia, REMALD n° 68, 2006, p. 129 et
REMARC n° 5-6, 2007, p. 142, note Rousset et Benabdallah.
C’est finalement le législateur qui a élaboré un régime de réparation
des conséquences d’événements catastrophiques d’origine naturelle ou
humaine, le terrorisme. (M. Rousset, De la responsabilité sans faute à la
solidarité nationale, REMALD, n° 131, 2016, p. 9).
La loi substitue à la responsabilité sans faute un système
d’indemnisation « objectif » fondé sur la solidarité nationale pour permettre
l’indemnisation des victimes de catastrophes naturelles ou d’actes de
terrorisme. Cette indemnisation suppose l’identification des victimes et la
nature des dommages subis, dommages aux personnes ou dommages aux

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Les cas de responsabilité 265

biens ; cette évaluation relève d’une commission d’identification de ces


événements et d’assistance à l’évaluation de l’importance de ces
dommages. L’indemnisation est à la charge d’un Fonds de solidarité dans
des conditions fixées par la loi. En cas de litige celui-ci doit être soumis à
une commission de règlement des différends avant tout engagement d’une
procédure judiciaire. Par ailleurs les contrats d’assurances devront
comporter obligatoirement une clause de garantie de ces événements ; c’est
pourquoi la loi a prévu une modification du code des assurances qui
intègre également une garantie de l’Etat au profit des compagnies
d’assurances en cas de défaillance de leurs part ou de celle des compagnies
étrangères de réassurance.

§7. La responsabilité sans faute consacrée par le législateur


Elle est mise en œuvre dans un certain nombre de législations
particulières qui prévoient des systèmes d’indemnisation forfaitaire souvent
cumulables d’ailleurs avec la mise en jeu de la responsabilité de la
collectivité publique sur la base de l’article 79 du DOC.
Pour les dommages subis par les enfants, des écoles et ceux qui sont
accueillis dans des colonies de vacances organisées par le ministère de
l’Education nationale, les étudiants et les enfants des colonies de vacances
dépendant de l’enseignement secondaire et supérieur, il existe un texte : le
dahir du 26 octobre 1942 et le dahir du 19 septembre 1977.
En cas d’action en indemnité complémentaire fondée sur la faute de
service, les enseignants et surveillants ne peuvent être mis directement en
cause ; l’action doit être dirigée contre l’Etat dont la responsabilité est
substituée à celle des enseignants (article 85 du DOC) : C.S.A., Thomas
c/  Etat marocain et autres, 11 mai 1964, GTM, 1964, p. 61. La Cour
d’appel de Fès fait application de cette garantie absolue dans une décision
du 26 juin 1978, Driss Kadiri c/ Etat marocain et Ratiba Lahbabi, revue du
Barreau de Fès, n° 5, 1984, p. 75. Naturellement, si la faute de l’enseignant
s’avère être une faute personnelle, l’Etat sera fondé à se retourner contre
lui.
Il faut enfin évoquer les dommages subis par les collaborateurs
bénévoles du service public qui n’étaient couverts ni par les textes relatifs

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266 Contentieux administratif marocain

aux pensions d’invalidité, ni par le dahir de 1927 sur la réparation des


accidents du travail, applicable aux agents de droit privé.
C’est pourquoi le législateur leur a étendu le bénéfice du dahir de 1927
(dahir du 31 mars 1961, B.O. 1961, p. 510).
On indiquera que le régime des pensions d’invalidité prévoit
l’attribution d’une indemnité forfaitaire dont le montant est apparu souvent
sans rapport avec l’importance du préjudice subi ; c’est pourquoi la Cour
suprême a estimé que le régime d’indemnisation forfaitaire prévu par la
législation sur les pensions ne faisait pas obstacle à ce que l’agent victime
d’un accident en service, ou ses héritiers, intente une action en indemnité
fondée sur l’article 79 du DOC ; 8 juillet 1968, Dame veuve Aboubou ;
cette décision a été confirmée par un arrêt du 21 février 1975, Etat
c/ El Mrini, R.J.P.E.M., 1979, p. 243 ; la Cour précise que la victime peut
cumuler les deux indemnités. On remarquera que cette solution est
également fondée sur le principe que fait respecter la Cour suprême, cité
plus haut, selon lequel la réparation doit être intégrale.

§8. La réparation de l’erreur judiciaire


L’article 122 de la Constitution dispose que « les dommages causés par
une erreur judiciaire ouvrent droit à réparation à la charge de l’Etat » ; la
Chambre administrative de la Cour de cassation a fait application pour la
première fois de cette disposition dans une décision du 12 février 2013,
Agent judiciaire du Royaume c/ Chelkha (REMALD, n° 109-110, 2013,
p. 219, note M. Rousset et M.A. Benabdallah). L’irresponsabilité de l’Etat
a longtemps prévalu parce que rendre la justice s’identifiait à une
prérogative régalienne de l’Etat qui s’opposait à la reconnaissance d’une
responsabilité de sa part et cela d’autant plus que la justice est rendue au
nom de Sa Majesté le Roi. Sans doute l’article 353 du C.P.C. évoque la
compétence de la juridiction suprême aujourd’hui la Cour de cassation,
pour connaître des recours contre les actes et décisions par lesquels les
juges excèdent leurs pouvoirs ainsi que les prises à partie contre les
magistrats et les juridictions à l’exception de la Cour suprême – Cour de
Cassation. De même, la Haute juridiction est compétente pour statuer sur
une action en révision tendant à la réparation d’une erreur judiciaire
commise à l’encontre d’une personne condamnée à tort pour un crime ou
un délit. En revanche, aucun texte ne concernait de façon générale le

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Les cas de responsabilité 267

fonctionnement défectueux du service public de la justice. Aujourd’hui, la


volonté du constituant a fait prévaloir l’idée d’équité sur toute autre
considération de telle sorte que tout dommage causé par une erreur du
fonctionnement de la justice peut ouvrir doit à réparation quelle que soit la
justice en cause ,judiciaire ou administrative, et quelle que soit la nature
des décisions ayant causé le préjudice. En l’espèce, il s’agissait de la mise
en détention irrégulière de la victime qui ne résultait pas d’une décision
juridictionnelle. Désormais, il relève de la compétence du juge administratif
de statuer sur l’erreur judiciaire largement entendue et de condamner
l’Etat à la seule condition que la victime apporte la preuve de la faute du
service public de la justice et la réalité du dommage subi.

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Chapitre III
La réparation du préjudice

La réparation du préjudice suppose naturellement une action en


responsabilité qui relève désormais de la compétence des tribunaux
administratifs, à l’exception des actions en réparation des accidents causés
par des véhicules automobiles appartenant à une personne publique
circulant sur des voies publiques.
Par ailleurs, il convient d’insister sur le fait que la réparation met en
cause un problème d’imputabilité du dommage, qu’elle suppose aussi que
le préjudice présente les caractères qui en font un préjudice indemnisable
et qu’elle est ordonnée par le juge selon diverses modalités.

Section I
L’action en indemnité
Il n’existe pas d’obligation d’obtenir une décision administrative
préalable qui ferait suite à une demande d’indemnisation adressée à
l’administration. Ce qui n’exclut pas qu’il est préférable de tenter d’obtenir
satisfaction à l’amiable avant de venir devant le juge.
L’action doit respecter un certain nombre d’obligations :
1. Si l’action est dirigée contre une collectivité locale, elle doit
obligatoirement, à peine d’irrecevabilité, être précédée d’un mémoire
exposant l’objet et le motif de la demande adressée soit au wali ou
gouverneur, soit au ministre de l’Intérieur ainsi qu’au conseil de la
collectivité concernée ; l’action ne pourra être intentée que dans les deux
mois du dépôt de ce mémoire.
2. Il n’existe pas de délai pour intenter l’action ; mais il ne faut pas
oublier la prescription de l’article 106 du DOC qui est de cinq années :
270 Contentieux administratif marocain

C.S.A. 25 février 1977, Agent judiciaire du Trésor c/ Ben Hamou,


R.J.P.E.M., n° 4, p. 275.
Surtout, la déchéance quadriennale qui ne fait pas obstacle à la
recevabilité de l’action, s’oppose au versement de l’indemnité en vertu de
l’article 134-3° du dahir sur la comptabilité publique.
3. L’action doit être dirigée contre le Premier ministre, aujourd’hui le
chef du Gouvernement, sauf délégation de celui-ci à une autre autorité, ou
attribution spéciale de compétence par voie législative. Exemple, le
ministre des Travaux Publics pour les actions concernant le domaine
public, le directeur des Eaux et Forêts pour ce qui concerne le domaine
forestier, etc.
4. Obligation est faite au demandeur de mettre en cause l’agent
judiciaire du Trésor en première instance et en appel en vertu du dahir du
2 mars 1953 (article 1 er) qui précise que cette obligation concerne les
actions tendant à faire déclarer débiteur l’Etat marocain, l’une de ses
administrations, un office ou un établissement public de l’Etat dans une
matière étrangère à l’impôt ou au domaine. La sanction de cette obligation
est l’irrecevabilité de la demande qui peut être opposée même en appel :
C.S.A. 4 décembre 1958 Bertin, R. 171 ; 27 novembre 1964, R.E.I.
c/ El Kebir Abdesslam, RACAM, 1964, p. 506. Cette règle doit aujourd’hui
s’appliquer devant les Cours d’appel administratives.
On peut se poser la question de savoir si, lorsque la Cour suprême
statue en appel des décisions des tribunaux administratifs, elle fait
application de cette obligation devant elle, alors qu’elle n’en exigeait pas
le respect lorsqu’elle jugeait en cassation avant la création de ces
juridictions.
5. Il faut enfin rappeler que devant les tribunaux administratifs, le
commissaire royal de la loi et du droit doit présenter ses conclusions
oralement et par écrit.
Depuis la création d’un assistant judiciaire des collectivités locales
auprès du ministère de l’Intérieur, celui-ci doit obligatoirement être appelé
en cause lorsqu’une action tend à faire déclarer débitrice une collectivité
locale ; et cela à peine d’irrecevabilité de la requête (article 38 de la loi du
18 février 2009 relative à l’organisation des finances des collectivités
locales et de leurs groupements (Bull. Off. 2009, p. 339).

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La réparation du préjudice 271

Section II
L’imputabilité
Elle détermine le lien de causalité entre le dommage et l’activité
administrative. Cette détermination existe dans tous les systèmes de
responsabilité, pour faute et sans faute.
Elle pose un double problème : le problème de l’existence du lien de
causalité et de son éventuelle rupture ; le problème de la détermination du
patrimoine qui supportera finalement la charge de l’indemnité.

§1. L’existence du lien de causalité


L’établissement de ce lien de causalité est une question de fait et de
preuve ; si le plus souvent la démonstration de l’existence de ce lien ne
présente pas de difficulté, il peut parfois y avoir discussion lorsque, par
exemple, il y a une pluralité de faits de nature à avoir causé le dommage ; le
juge recherche alors, parmi ces faits, quel est celui qui a eu une action
déterminante, c’est-à-dire qui se trouve dans une relation de “causalité
adéquate” par rapport au dommage.
Il peut également y avoir difficulté si la collectivité publique invoque une
cause d’exonération de sa responsabilité qui peut résulter de trois situations :

A. La force majeure
Elle peut avoir un effet exonératoire, mais, comme dans le contentieux
contractuel, le juge se montre très exigeant pour accepter de reconnaître
un événement de force majeure. Il faut que le fait soit imprévisible,
irrésistible et étranger à l’action et à la volonté de l’administration. C.A.
de Rabat 9 décembre 1947 : « Ces pluies extraordinaires ont eu des effets
irrésistibles caractérisant la force majeure… »

B. Le fait d’un tiers peut être la cause exclusive du dommage


Mais il peut y avoir des situations plus complexes si le tiers et
l’administration ont concouru tous deux à la survenance du dommage.
Jusqu’alors, une seule action devant le juge ordinaire permettait de
mettre en cause les deux responsables, le juge acceptant parfois de

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272 Contentieux administratif marocain

prononcer une condamnation solidaire : C.A., Rabat, Grasso, 15 mai 1951,


RACAR, 1953-54, p. 156. Cette solution était favorable à la victime qui
pouvait réclamer à l’administration, toujours solvable, le versement de la
totalité de l’indemnité ; c’est l’administration qui devait ensuite se retourner
contre le tiers pour obtenir le remboursement de la somme correspondant à
la part qu’il avait prise dans la survenance du dommage.
Désormais, cette possibilité est exclue, car l’action contre l’administration
relève du tribunal administratif tandis que l’action contre le tiers doit être
portée devant le juge ordinaire ; on ajoutera qu’il y a en outre un risque de
contrariété de décisions au fond, chaque juridiction pouvant estimer que la
personne actionnée par la victime devant elle n’a aucune part de
responsabilité dans la survenance du dommage. Dans un tel cas, seule la
Cour suprême peut régler ce conflit de décision et cela démontre, une fois
de plus, l’importance qu’il y a à conserver l’unité de la Haute juridiction
qui peut, à la fois, être le régulateur des compétences et le régulateur de
l’application des règles de fond de la part de toutes les juridictions du
Royaume.
La faute du tiers peut par ailleurs coexister avec la responsabilité sans
faute de l’administration sauf s’il apparaît qu’elle est la cause unique du
dommage : C.S.A., 23 février 1979, Tayeb Ben Larbi c/ Etat et A. Kasmi,
JCS n° 31, p. 118 (en langue arabe). C’est la même solution qu’applique la
Cour suprême à la faute de la victime : C.S.A., 17 novembre 1978,
Héritiers Mohamed Ben Bajeddi c/ Hammadi Handoussi et Etat, JCS,
n° 30, p. 121 (en langue arabe).

C. La faute de la victime
Elle doit faire l’objet d’une analyse identique à celle du tiers. La faute,
ou le fait de la victime, peut être à l’origine exclusive du dommage ou
avoir seulement contribué à sa survenance ou à son aggravation.
Dans le premier cas, il est logique que l’administration soit totalement
exonérée de sa responsabilité et que, dans le second, celle-ci soit atténuée,
et cela dans les deux systèmes de responsabilité.

§2. La détermination de la collectivité responsable


C’est apparemment un problème simple ; et il l’est effectivement dans
la plupart des cas. Mais il peut parfois être rendu plus complexe en raison

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La réparation du préjudice 273

de ce que le dommage peut être causé au cours d’une opération mettant en


cause plusieurs collectivités, ou bien lorsque le dommage est le fait d’une
autorité administrative agissant en diverses qualités. Ainsi, le gouverneur
peut-il agir au nom de l’Etat, comme exécutif de la collectivité provinciale
ou régionale au nom de la commune s’il utilise son pouvoir de substitution,
et, enfin, comme officier de police judiciaire.
Le président du conseil communal qui gère l’état civil le fait au nom
de l’Etat. Il en est de même lorsqu’il délivre le permis de construire ou de
lotir.
Se pose enfin, pour l’instant de façon purement théorique, la question
de savoir si les prérogatives de police maintenues dans les mains de
l’agent d’autorité par l’article 49 de la charte communale de 2002 engagent
la commune lorsqu’elles concernent le maintien de l’ordre et de la sécurité
publics sur le territoire communal ; on peut même étendre cette question
au pouvoir de police communale transféré au Président du conseil
communal puisqu’il s’agit d’actes réglementaires soumis au visa de
l’autorité supérieure, gouverneur, wali ou ministre de l’Intérieur.
Selon que l’on fait prévaloir la nature des intérêts en cause, qui est
incontestablement communale, ou la maîtrise des opérations ou de
l’exercice des compétences, on pourra pencher pour une responsabilité
communale, ou, au contraire, une responsabilité étatique.
Ces problèmes complexes sont également posés dans les hypothèses de
plus en plus nombreuses où les collectivités communales sont associées à
l’Etat pour la réalisation d’équipements qui relèvent de la compétence
étatique mais qui ont une implantation communale qui justifie que la
commune soit associée à ces opérations ; tel est le cas en matière de
construction d’école primaire, d’équipements sanitaires, d’électrification
rurale, etc.

Section III
L’indemnisation
Deux questions essentielles se posent : tous les préjudices sont-ils
réparés ? Comment sont-ils réparés ?

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274 Contentieux administratif marocain

§1. Le préjudice indemnisable


Il faut naturellement prouver l’existence et l’étendue du préjudice. En
cas de difficulté on a recours à l’expertise ; ce sera même une nécessité
lorsqu’en cas de dommage corporel, qui peut être évolutif, il faut faire
apparaître l’étendue prévisible du dommage ; mais, ce peut être, également,
le cas lorsque le dommage touche matériellement un équipement complexe.
En tout cas, seul les experts peuvent mesurer avec certitude l’ampleur des
dégâts ; et c’est à la lumière de l’expertise que le juge peut se prononcer.
Nous avons vu que le préjudice doit avoir été causé directement par
l’activité administrative.
Il doit par ailleurs être certain et appréciable en argent. On indiquera
que le préjudice certain peut être un préjudice futur, ce qui est le cas par
exemple en ce qui concerne les accidents corporels qui peuvent comporter
des conséquences à long terme. Mais le juge refuse d’indemniser un
préjudice qui ne serait qu’éventuel.
Le préjudice doit être spécial et anormal, et cette exigence est
particulièrement importante dans le domaine de la responsabilité sans
faute. Si tel n’est pas le cas, le juge considérera que le préjudice constitue
une charge publique que tous les membres de la collectivité doivent
supporter (absence de spécialité) ou qu’il n’y a pas de préjudice, mais
seulement un inconvénient qui ne dépasse pas par son importance le
niveau de ce que l’on doit supporter dès lors que l’on vit en société
(anormalité).
Le préjudice est le plus souvent matériel, mais il peut être aussi d’ordre
moral.
C’est un préjudice moral dont le Secrétaire d’un parti demandait
réparation ; le préjudice résultait de l’interdiction d’une réunion publique
dont le juge constate l’illégalité : T.A., Rabat, 15 octobre 1998, REMALD
n° 26, 1999, p. 84.
Dans une décision antérieure, la Cour suprême avait par ailleurs précisé
que « la réparation du préjudice moral, comme celle du préjudice matériel,
doit être intégrale et non pas symbolique» car l’article 77 du DOC ne fait
aucune distinction entre les deux cas : C.S.A., 10 juillet 1986, Mehdi Zaïdi
c/ Agoumi et Batut, JCS n° 40, p. 204.

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La réparation du préjudice 275

Enfin, le juge accepte d’indemniser le « prix de la douleur » ; ceci


recouvre non seulement la douleur physique, mais aussi, question plus
délicate, celui de la douleur morale qu’un individu peut éprouver du fait
de la disparition d’un de ses proches.

§2. Les modalités de la réparation


Elle doit couvrir la totalité du préjudice (137). Initialement son montant
était évalué au jour où le préjudice était apparu ; l’inconvénient de cette
pratique s’est manifesté à partir du moment où la lenteur de la justice et le
développement de l’inflation ont entraîné une diminution importante du
pouvoir d’achat de l’indemnité ainsi fixée.
C’est pourquoi le juge se place désormais au jour du jugement pour
procéder à l’évaluation du préjudice et à la fixation du montant de
l’indemnité ; celle-ci sera le plus souvent versée sous forme d’un capital,
mais le juge peut aussi l’attribuer sous forme de rente.

(137) Le principe de la réparation intégrale est illustré par l’arrêt CSA 8 juillet 1968, Veuve
Abboud, G.T.M. 1968, n° 5, commenté par le Premier président Bahnini dans le discours de rentrée
de la Cour suprême, le 7 octobre 1968.

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Chapitre IV
La responsabilité personnelle des fonctionnaires

Le principe de cette responsabilité est posé par l’article 80 du DOC :


« Les agents de l’Etat et des municipalités sont personnellement
responsables des dommages causés par leurs dols et par des fautes lourdes
dans l’exercice de leurs fonctions. L’Etat et les municipalités ne peuvent
être poursuivis à raison de ces dommages qu’en cas d’insolvabilité des
fonctionnaires responsables. »
Naturellement, ce texte concerne toutes les collectivités publiques et
tous les agents publics.
Le principe d’une responsabilité personnelle des agents publics est une
nécessité si l’on veut éviter que ne se développe dans l’administration une
sorte de sentiment d’impunité de la part d’agents qui, se sachant couverts
en toute circonstance, pourraient être conduits à se désintéresser des
conséquences de leur action et à ne plus prêter une attention suffisante aux
obligations professionnelles qui leur incombent.
Naturellement, pour qu’il en aille ainsi, il faut que ce mécanisme de
mise en cause de la responsabilité personnelle des agents soit effectif.
L’analyse de la jurisprudence contemporaine, fort peu fournie à cet égard,
ne permet pas d’avoir de certitude sur ce point.
Quoi qu’il en soit, l’agent n’est couvert que dans la mesure où les
erreurs qu’il commet ne dépassent pas par leur gravité ce que l’on peut
estimer comme normal dans une activité humaine.
Il est donc important de déterminer ce qu’est la faute personnelle
(section I). Il faudra ensuite examiner les rapports qui peuvent exister
entre la faute personnelle de l’agent et celle de la collectivité publique qui,
si l’on suit les termes de l’article 80, semblent exclusives l’une de l’autre
(section II).
278 Contentieux administratif marocain

Section I
La faute personnelle
La détermination de la faute personnelle est dans certains cas tout à fait
aisée.
C’est la faute qui se détache matériellement et fonctionnellement ou
intellectuellement du service, soit parce qu’elle est commise en dehors de
l’exercice des fonctions, soit parce qu’elle n’a aucun rapport avec
l’exercice de celles-ci.
En revanche, lorsque la faute personnelle est une faute lourde dans
l’exercice des fonctions, le problème de son identification peut être plus
difficile à résoudre.

§1. La faute personnelle est une faute commise en dehors du service


Dès lors qu’il a quitté le service, l’agent ne peut naturellement pas
engager celui-ci par son comportement. Les fautes qu’il commet l’engagent
personnellement comme n’importe quel individu.
Une question peut venir à l’esprit si la faute de cet agent est commise à
l’aide de moyens dont ce dernier dispose grâce au service : voiture de
fonction, armes de service. On retrouvera ce problème en examinant les
rapports entre la responsabilité personnelle et la responsabilité administrative.

§2. Le dol
Le dol est constitué par tout acte qui implique une intention de nuire et
qui dénote la malveillance de son auteur.
Le dol peut être commis dans l’exercice des fonctions, mais il s’en
détache intellectuellement car celles-ci n’impliquent jamais la malveillance
et la volonté de nuire.
Les coups et violences seront considérés comme des actes dolosifs :
c’est ce que décide le tribunal de Rabat à propos des brutalités commises
sur un prévenu par un officier de police : 6 juillet 1960, Filali Bachir (138).

(138) J. Prat, op. cit., p. 112.

Publications de la REMALD, Collection « Manuels et Travaux universitaires », n° 118, 2018


La responsabilité personnelle des fonctionnaires 279

Il en serait à plus forte raison de même si les violences étaient le fait


d’agents relevant d’une autre administration.
La question de savoir si un délit pénal doit être ou non considéré
comme un dol a été tranchée par les juridictions ; les coups et blessures
involontaires qui constituent des délits ne sont pas constitutifs de dols :
C.S.A., 2 mai 1962, Mallorga, R. 230 : « La condamnation prononcée par
le juge pénal n’implique pas à elle seule que l’agent incriminé ait commis
une faute détachable de l’exercice de ses fonctions».

§3. La faute lourde dans l’exercice des fonctions


C’est ici que le problème de la distinction entre la faute personnelle et
la faute de service est le plus délicat.
La faute lourde est en effet une faute professionnelle commise dans
l’exercice de l’activité confiée à l’agent.
C’est une faute d’une très grande gravité, mais la notion de gravité est
une notion relative qui dépend d’une appréciation nécessairement
empreinte d’une certaine subjectivité.
La gravité de la faute sera appréciée différemment selon le niveau
hiérarchique de l’agent, sa qualification : le chef de service et le rédacteur,
l’ingénieur d’Etat et le manœuvre ne seront pas jugés de la même façon.
Les circonstances plus ou moins difficiles entreront également en ligne
de compte lorsqu’il s’agira d’apprécier la gravité de tel ou tel comportement,
et il en sera de même de la nature des tâches à accomplir qui peuvent
présenter des difficultés d’importance variable.
La jurisprudence n’est pas abondante car, pour des raisons pratiques
liées sans doute au désir de faciliter l’indemnisation de la victime, le juge
a tendance à voir des fautes professionnelles même lorsque l’agent se rend
coupable de fautes qui peuvent tout de même apparaître d’une extrême
gravité.
Ainsi un agent de police qui ne vérifie pas que le cran d’arrêt de son
arme est en position correcte et qui tue un délinquant ne commet qu’une
faute de service alors que les règles de sécurité en ce domaine sont d’une
extrême rigueur et d’une mise en œuvre simple.

Publications de la REMALD, Collection « Manuels et Travaux universitaires », n° 118, 2018


280 Contentieux administratif marocain

Un inspecteur de l’agriculture qui ne vérifie pas la nature du produit qu’il


utilise pour traiter des arbres fruitiers et les fait crever ne commet qu’une
faute de service (ces exemples sont cités dans la thèse de M. Serhane).
Une question se pose parfois de savoir si l’ordre du supérieur exonère
l’agent subalterne de sa responsabilité personnelle ; on applique ici la
« théorie dite des baïonnettes intelligentes » en vertu de laquelle un ordre
manifestement illégal ne doit pas être exécuté. Au demeurant, l’article 155
de la Constitution dispose que « les agents des services publics exercent
leurs fonctions selon les principes de respect de la loi... » ; ce qui leur fait
obligation de réfléchir à ce que cela implique même en présence d’un
ordre de leur supérieur.
Si la faute commise par l’agent public constitue une voie de fait,
celle-ci sera nécessairement une faute personnelle engageant la
responsabilité personnelle de son auteur ; toutefois celle-ci n’exclut pas la
mise en cause de la responsabilité de la collectivité publique (139).
Il ressort finalement de la jurisprudence que la distinction faute de
service-faute personnelle est une question de fait qui dépend très largement
des circonstances concrètes.
Jusqu’alors, cette distinction ne présentait d’importance que pour la
détermination des règles de fond applicables puisque c’était le même juge
qui statuait dans tous les cas.
Mais, désormais, il en va autrement, puisque l’agent responsable
personnellement doit être poursuivi devant le juge ordinaire, tandis que s’il
y a faute de service il faut poursuivre la collectivité devant le tribunal
administratif.
Il existe naturellement un risque d’erreur de qualification qui peut se
traduire par l’irrecevabilité de la demande pour incompétence de la
juridiction saisie à tort. Il faut alors recourir à la Cour suprême qui, dans le
délai de trente jours, doit statuer sur la compétence ; mais pour le faire elle
a l’obligation de se prononcer sur la nature de la faute : faute de service ou
faute personnelle, et, à travers ce problème de compétence, elle tranche
déjà, dans une certaine mesure, une question qui lie le juge du fond.

(139) M. Rousset et M.A. Benabdallah, Peut-on assimiler une voie de fait à une faute de service ?
Note sous T.A., Rabat, 21 décembre 2009, Jalal, REMALD n° 94-95, 2010, p. 179.

Publications de la REMALD, Collection « Manuels et Travaux universitaires », n° 118, 2018


La responsabilité personnelle des fonctionnaires 281

Section II
Les rapports de la responsabilité personnelle
et de la responsabilité administrative
Le législateur de 1913 a établi clairement le caractère exclusif des deux
responsabilités. Soit il y a responsabilité administrative, soit il y a
responsabilité personnelle et dans ce cas les collectivités publiques ne
peuvent être poursuivies qu’en cas d’insolvabilité de l’agent responsable.
La victime a donc toujours l’assurance d’être indemnisée. Il faut
observer que le texte de l’article 80 utilise l’expression : « être poursuivies »
et non pas être déclarées responsables. Les collectivités publiques sont
seulement substituées à leurs agents dans l’obligation de payer et non pas
dans la responsabilité ; la cause de cette obligation c’est la substitution, qui
constitue une sorte de garantie législative établie au profit des victimes ;
mais ce n’est pas une responsabilité de la collectivité.
Deux questions peuvent se poser :
• Peut-il y avoir cumul de fautes ?
• Peut-il y avoir cumul de responsabilité ?

§1. Le cumul de fautes


C’est l’hypothèse qui s’est présentée en France au Conseil d’Etat dans
un arrêt de principe du 3 février 1911, Anguet (G.A.J.A., 141). Un agent
des P.T.T. ferme le bureau de poste avant l’heure de la fermeture (faute de
service) et brutalise un usager qui voulait pénétrer dans le bureau par une
porte de service (faute personnelle).
Ce cumul n’est pas exclu par l’article 80 ; il est parfaitement concevable
qu’un dommage soit le produit de deux fautes, l’une constitutive d’une
faute de service et la seconde découlant d’un comportement dolosif du
même agent ou d’un autre agent et constitutive d’une faute personnelle.
Cette hypothèse reste à ce jour théorique ; on doit cependant l’évoquer
car son traitement contentieux n’est plus le même aujourd’hui et hier ; en
effet, si jusqu’en 1994, année de l’entrée en fonction des tribunaux
administratifs, le même juge pouvait être saisi des deux actions, elles
doivent depuis lors être portées devant des juridictions différentes ; le

Publications de la REMALD, Collection « Manuels et Travaux universitaires », n° 118, 2018


282 Contentieux administratif marocain

risque de complication pourrait conduire le juge administratif à adopter


une position restrictive en estimant ce cumul incompatible avec les termes
de l’article 80, mais ce serait contraire à la réalité et à l’équité.

§2. Le cumul de responsabilité


La jurisprudence française l’admet depuis un arrêt Lemonnier, 26 juillet
1918 (G.A.J.A. 201). Un même fait commis dans l’exercice de ses
fonctions par un agent peut apparaître à la fois comme une faute de
service, mais aussi, compte tenu de sa gravité, comme une faute
personnelle. Dans l’affaire Lemonnier, la négligence du maire d’une
commune qui, organisant un tir au cours d’une fête communale, néglige de
prendre les mesures élémentaires de sécurité (interdiction de la circulation
sur un chemin situé dans la ligne de tir) commet une faute qui l’engage
personnellement étant donné sa gravité, mais une faute qui, pour les
victimes, apparaît aussi comme un dysfonctionnement du service public et,
comme tel, constitue une faute de service.
La jurisprudence française a ensuite étendu cette analyse aux fautes
personnelles commises en dehors du service mais avec des moyens fournis
par le service ; notamment en cas d’usage abusif de véhicules de service,
ou d’armes de service pour les agents des forces de l’ordre ; le juge estime
que la faute personnelle n’est pas dépourvue de tout lien avec le service.
L’avantage de ce système est d’éviter les aléas de la qualification de la
faute dans un système de dualité de juridiction où la saisine de la
juridiction compétente dépend de la qualification de la faute ; le second
avantage est d’assurer la victime de pouvoir obtenir la réparation du
préjudice de façon certaine et plus rapide en se tournant vers
l’administration. Celle-ci dispose alors d’une action récursoire contre son
agent (C.E., 26 juillet 1951, Laruelle et Delville, G.A.J.A., 466).
Au Maroc, ce mécanisme semble interdit par les termes mêmes de
l’article 80. L’Etat et les collectivités publiques ne peuvent être poursuivis
qu’en cas d’insolvabilité de l’agent responsable. Au demeurant, la victime
ayant toujours la possibilité d’être indemnisée, le recours à ce cumul
s’avérait inutile.
Il demeure qu’avec l’introduction de la dualité de juridiction, la victime
se trouve devant la difficulté de qualification de la faute, difficulté dont

Publications de la REMALD, Collection « Manuels et Travaux universitaires », n° 118, 2018


La responsabilité personnelle des fonctionnaires 283

nous avons vu qu’elle était réelle. Dans ces conditions, le caractère


exclusif des deux responsabilités complique la situation de la victime qui
doit d’abord découvrir le juge compétent, c’est-à-dire qualifier la faute.
Naturellement reste l’obstacle du texte de l’article 80 qui devrait être
modifié, à moins que la Cour suprême n’estime possible d’en faire une
nouvelle lecture à la lumière de la loi du 12 juillet 1991 créant les
tribunaux administratifs !

§3. La responsabilité de l’agent à l’égard de l’administration


Cette responsabilité ne semble pas avoir été mise en œuvre jusqu’alors ;
mais il convient d’indiquer qu’elle pourrait l’être et que, dans certains cas,
elle devrait l’être.
Il peut paraître en effet choquant de constater qu’en cas de faute lourde
commise dans l’exercice des fonctions dont la victime est l’administration,
celle-ci ne demande pas de comptes à son agent.
Le sentiment d’impunité de l’agent est dans ce cas contraire aux
exigences d’une bonne administration et contraire également aux
obligations professionnelles qui découlent du statut de la fonction publique.
Sans doute existe-t-il une responsabilité disciplinaire. Mais ici, on envisage
les préjudices matériels que la négligence de l’agent peut causer à la
collectivité qui l’emploie : par exemple l’agent qui par sa négligence
détériore un matériel de prix mis à sa disposition. Le principe n’a pas été
posé par les textes à l’exception des comptables publics et des ordonnateurs
qui peuvent voir leur responsabilité mise en cause par la collectivité
publique devant la Cour des comptes (loi n° 12-69, B.O. 1969, p. 564).
Naturellement, rien ne s’oppose à ce que l’administration mette à la
charge d’un agent par la voie de l’état exécutoire l’obligation de verser le
montant du préjudice subi.
On indiquera enfin que si la collectivité publique a versé l’indemnité
due par l’agent insolvable à la victime de la faute personnelle, elle pourra
se retourner contre cet agent pour obtenir le remboursement des sommes
versées au titre de cette indemnité.
On a parfois fait valoir, en suivant un raisonnement fondé sur une
analyse littérale du texte de l’article 80 du DOC, celui-ci étant muet à cet

Publications de la REMALD, Collection « Manuels et Travaux universitaires », n° 118, 2018


284 Contentieux administratif marocain

égard, que l’action récursoire ne pourrait être utilisée par l’administration


pour récupérer sur son agent le montant de l’indemnité versée à sa place ;
à supposer que ce raisonnement ait pu être soutenu rationnellement en
faisant appel à un juridisme étroit, on peut lui opposer trois sortes
d’arguments.
D’abord, il serait étonnant que le silence du législateur puisse être
interprété comme signifiant exclusion alors que dans des situations de
même nature l’action récursoire a été admise (article 85 bis) ou bien
article 96 du dahir du 12 août 1913 sur le conservateur de la propriété
foncière, etc.). Simplement, en 1913, le rédacteur du DOC, G. Teissier, ne
pouvait pas concevoir une telle action dans les relations des agents publics
et de la collectivité car elle n’existait pas en France ; c’est seulement avec
l’arrêt du 28 juillet 1951 Laruelle, GAJA, p. 465, qu’elle a été admise !
Aujourd’hui, au Maroc, alors que la Constitution consacre le principe
de la corrélation entre la responsabilité et la reddition des comptes, au
moment où l’on veut responsabiliser les agents et lutter contre le laxisme,
il serait malvenu d’interdire à l’administration de réclamer à son agent
l’indemnité qu’elle a payée à la victime d’une faute personnelle, et à plus
forte raison si celle-ci était constitutive d’une voie de fait.
Enfin le juge pourrait toujours se fonder, à défaut d’un texte écrit qui
n’existe pas, sur un principe général du droit qui est celui de
l’enrichissement sans cause. Le pouvoir créateur de la jurisprudence ne
resterait pas ainsi un vain mot !

Publications de la REMALD, Collection « Manuels et Travaux universitaires », n° 118, 2018


Indications bibliographiques

O. Azziman, « Les institutions judiciaires », in la Grande Encyclopédie du


Maroc, tome I, Les institutions, 1986.
M.A. Benabdallah, Les prérogatives de l’Etat dans le recours pour excès
de pouvoir, Le Littoral, Rabat, 1982.
M.A. Benabdallah, Contribution à la doctrine du droit administratif
marocain, REMALD, Coll. Manuels et travaux universitaires, n° 77,
2 volumes, 2008.
Mohamed-Jalal Essaid, Introduction à l’étude du droit, 2e éd., collection
“Connaissance”, 1998 et 5e éd. 2013.
Abdallah Harsi, La responsabilité administrative en droit marocain, Thèse
d’Etat droit, Fès, 1993 (Dactyl).
Indépendance nationale et système juridique : l’exemple du Maroc, Actes
du colloque de Grenoble 27-28 mars 1998, Presses universitaires de
Grenoble, Editions la Porte, Rabat 2000.
R. Monier, Le contentieux administratif au Maroc, Sirey, Paris 1935.
A. Ouazzani, La cour spéciale de justice, éd. La Porte, Rabat, 1977.
J. Prat, La responsabilité de la puissance publique au Maroc, Rabat, 1963.
Recueil des arrêts de la Cour suprême (chambre administrative), 3 volumes
années judiciaires 1957-1965. (A partir de 1966, la publication des
arrêts en langue arabe a été assurée partiellement dans la revue
Jurisprudence de la Cour suprême.)
O. Renard-Payen, L’expérience marocaine d’unité de juridiction et de
séparation des contentieux, L.G.D.J., Paris, 1964.
M. Rousset, l’Administration marocaine : son droit et son juge, éd.
PUMAG, 1995.
286 Contentieux administratif marocain

M. Rousset et J. Garagnon, Droit administratif marocain, Imprimerie


Royale, Rabat, 2003, 6e éd. 2003.
M. Rousset et M.A. Benabdallah, Actualité du droit administratif, Ed. La
Porte, 2010.
E. Serhane, Le contentieux administratif de pleine juridiction en droit
administratif marocain, thèse de droit, Bordeaux, 1989 (dactyl.).

N.B. : Les ouvrages français se rapportant à la matière sont nombreux.


On se bornera à citer le classique et fondamental Traité de contentieux
administratif de J.M. Auby et R. Drago, 3e éd. L.G.D.J., Paris 1984, ainsi
que l’excellent et très suggestif ouvrage de G.Vedel et P. Delvolvé, Le
système français de protection des administrés contre l’administration,
Sirey, 1991.
Enfin, on consultera avec profit l’ouvrage de J.M. Auby et R. Drago,
Traité des recours en matière administrative, Litec, Paris, 1992.
Les références aux décisions du Tribunal des conflits et à celles du
Conseil d’Etat sont données aux Grands arrêts de la jurisprudence
administrative (GAJA) Dalloz, 12e éd. 1999.

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Textes principaux 287

Annexe I
Textes principaux

• Dahir portant loi relatif à l’organisation judiciaire de 15 juillet 1974,


Bulletin officiel, 1974, p. 1081.
• Décret du 16 juillet 1974 relatif à l’organisation judiciaire, Bulletin
officiel, 1974, p. 1083.
• Dahir portant loi du 16 juillet 1974 déterminant l’organisation des
juridictions communales et d’arrondissement, Bulletin officiel, 1974,
p. 1090.
• Décret du 16 juillet 1974 relatif aux juridictions communales et
d’arrondissement, Bulletin officiel, 1974, p. 1094.
• D ahir portant loi du 28 septembre 1974 approuvant le code de
procédure civile, Bulletin officiel, 1974, p. 1305.
• Dahir portant loi du 11 novembre 1974 portant statut de la
magistrature, Bulletin officiel, 1974, p. 1578.
• Loi du 12 juillet 1991 portant création des tribunaux administratifs.
• Décret du 3 novembre 1993, pris en application de la loi instituant
des tribunaux administratifs, B.O. 1993, p. 644.
• L oi n° 42-10 du 17 août 2011 relative à l’organisation et à la
compétence des juridictions de proximité, B.O. 2011, p. 2080.

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288 Contentieux administratif marocain

Annexe II
Loi n° 41-90
instituant des tribunaux administratifs (140)

Chapitre premier
Dispositions générales
Section première
Création et composition
Article premier
Il est créé des tribunaux administratifs dont le siège et le ressort sont
fixés par décret.
Les magistrats des tribunaux administratifs sont régis par les
dispositions du dahir portant loi n° 1-74-467 du 26 Chaoual 1394
(11 novembre 1974) formant statut de la magistrature, sous réserve des
dispositions particulières qui y sont édictées pour tenir compte de la
spécificité de leurs fonctions.

Article 2
Le tribunal administratif comprend :
• un président et plusieurs magistrats ;
• un greffe.
Le tribunal administratif peut être divisé en sections suivant la nature
des affaires.
Le président du tribunal administratif désigne, pour une période de
deux ans, parmi les magistrats de celui-ci, sur proposition de l’assemblée
générale, un ou plusieurs commissaires royaux de la loi et du droit.

(140) B.O. 1993, p. 595.

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Loi n° 41-90 Instituant des tribunaux administratifs 289

Section deuxième
De la procédure devant les tribunaux administratifs
Article 3
Le tribunal administratif est saisi par une requête écrite signée par un
avocat inscrit au tableau de l’un des barreaux du Maroc et contenant, sauf
disposition contraire, les indications et énonciations prévues par l’article
32 du code de procédure civile.
Il est délivré par le greffier du tribunal administratif récépissé du dépôt
de la requête. Ce récépissé est constitué par une copie de la requête sur
laquelle sont apposés le timbre du greffe et la date du dépôt et énoncées
les pièces jointes.
Le président du tribunal administratif peut accorder le bénéfice de
l’assistance judiciaire conformément à la procédure en vigueur.

Article 4
Après enregistrement de la requête, le président du tribunal administratif
transmet, immédiatement, le dossier à un juge rapporteur qu’il désigne et
au commissaire royal de la loi et du droit visé à l’article 2 ci-dessus.
Les articles 329 et 333 à 336 du code de procédure civile sont
applicables aux actes de procédure effectués par le juge rapporteur ; les
attributions dévolues par les dits articles à la cour d’appel, à son premier
président et au conseiller rapporteur étant exercées respectivement par le
tribunal administratif, son président et le juge rapporteur.

Article 5
Les audiences des tribunaux administratifs sont tenues et leurs
jugements rendus publiquement par trois magistrats assistés d’un greffier.
La présidence de l’audience est assurée par le président du tribunal
administratif ou par un magistrat désigné à cette fonction par l’assemblée
générale annuelle des magistrats du tribunal administratif.
La présence du commissaire royal de la loi et du droit à l’audience est
obligatoire.
Le commissaire royal de la loi et du droit expose à la formation de
jugement, et en toute indépendance, ses conclusions écrites et orales sur

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290 Contentieux administratif marocain

les circonstances de fait et les règles de droit applicables. Ses conclusions


sont développées sur chaque affaire en audience publique. Les parties
peuvent se faire communiquer à titre d’information, une copie des
conclusions au commissaire royal de la loi et au droit.
Le commissaire royal de la loi et du droit ne prend pas part au jugement.

Article 6
En matière de récusation, les attributions dévolues par le chapitre V du
titre V du code de procédure civile à la cour d’appel, à son premier
président et aux présidents des tribunaux de première instance sont
exercées, lorsqu’il s’agit des magistrats des tribunaux administratifs,
respectivement par la chambre administrative de la Cour suprême, son
président et le président du tribunal administratif.

Article 7
Les règles du code de la procédure civile sont applicables devant les
tribunaux administratifs, sauf dispositions contraires prévues par la loi.

Chapitre 2
De la compétence des tribunaux administratifs
Section première
De la compétence en raison de la matière
Article 8
Les tribunaux administratifs sont compétents, sous réserve des
dispositions des articles 9 et 11 de la présente loi, pour juger en premier
ressort les recours en annulation pour excès de pouvoir formés contre les
décisions des autorités administratives, les litiges relatifs aux contrats
administratifs et les actions en réparation des dommages causés par les
actes ou les activités des personnes publiques, à l’exclusion toutefois de
ceux causés sur la voie publique par un véhicule quelconque appartenant à
une personne publique.
Les tribunaux administratifs sont également compétents pour connaître
des litiges nés à l’occasion de l’application de la législation et de la

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Loi n° 41-90 Instituant des tribunaux administratifs 291

réglementation des pensions et du capital-décès des agents de l’Etat, des


collectivités locales, des établissements publics et du personnel de
l’administration de la Chambre des représentants et de la Chambre des
Conseillers, de la législation et de la réglementation en matière électorale
et fiscale, du droit de l’expropriation pour cause d’utilité publique, des
actions contentieuses relatives aux recouvrements des créances du Trésor,
des litiges relatifs à la situation individuelle des fonctionnaires et agents
de l’Etat, des collectivités locales et des établissements publics, le tout
dans les conditions prévues par la présente loi.
Ils sont, en outre, compétents pour l’appréciation de la légalité des
actes administratifs dans les conditions prévues par l’article 44 de la
présente loi.

Article 9
Par dérogation aux dispositions de l’article précédent, la Cour suprême
demeure compétente pour statuer en premier et dernier ressort sur :
• les recours en annulation pour excès de pouvoir dirigés contre les
actes réglementaires ou individuels du Premier ministre ;
• les recours contre les décisions des autorités administratives dont le
champ d’application s’étend au-delà du ressort territorial d’un
tribunal administratif.

Section deuxième
De la compétence territoriale
Article 10
Les règles de compétence territoriale prévues par les articles 27 à 30
du code de procédure civile sont applicables devant les tribunaux
administratifs sauf dispositions contraires de la présente loi ou d’autres
textes particuliers.
Toutefois, les recours en annulation pour excès de pouvoir sont portés
devant le tribunal administratif du domicile du demandeur ou devant celui
dans le ressort territorial duquel la décision a été prise.

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292 Contentieux administratif marocain

Article 11
Sont de la compétence du tribunal administratif de Rabat le contentieux
relatif à la situation individuelle des personnes nommées par dahir ou par
décret et le contentieux relevant de la compétence des tribunaux
administratifs mais né en dehors du ressort de ces tribunaux.

Section troisième
Dispositions communes
Article 12
Les règles de compétence à raison de la matière sont d’ordre public.
L’incompétence à raison de la matière peut être soulevée par les parties à
tout stade de la procédure. Elle est relevée d’office par la juridiction
saisie.

Article 13
Lorsque l’exception d’incompétence à raison de la matière est soulevée
devant une juridiction ordinaire ou administrative, celle-ci ne peut la
joindre au fond et doit statuer sur sa compétence par une décision séparée
dont les parties peuvent interjeter appel.
L’appel de décision relative à la compétence à raison de la matière est
porté, quelle que soit la juridiction qui l’a rendue, devant la Cour suprême
qui doit statuer dans le délai de 30 jours à compter de la réception du
dossier par son greffe.

Article 14
Les dispositions des articles 16 (les 4 premiers alinéas) et 17 du code
de procédure civile sont applicables aux exceptions d’incompétence à
raison du lieu soulevées devant les tribunaux administratifs.

Article 15
Le tribunal administratif saisi d’une demande entrant dans sa
compétence territoriale est également compétent pour connaître de toute
demande accessoire ou connexe et de toute exception qui ressortiraient
normalement à la compétence territoriale d’un autre tribunal administratif.

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Loi n° 41-90 Instituant des tribunaux administratifs 293

Article 16
Lorsqu’un tribunal administratif est saisi d’une demande présentant un
lien de connexité avec une demande relevant de la compétence de la Cour
suprême en premier et dernier ressort ou de la compétence du tribunal
administratif de Rabat en application des articles 9 et 11 ci-dessus, il doit,
soit d’office, soit à la demande de l’une des parties, se déclarer incompétent
et transmettre l’ensemble du dossier à la Cour suprême ou au tribunal
administratif de Rabat. Ces juridictions sont alors saisies de plein droit des
demandes principale et connexe.

Article 17
La Cour suprême saisie d’une demande relevant de sa compétence en
premier et dernier ressort est également compétente pour connaître de
toute demande accessoire ou connexe et de toute exception ressortissant en
premier degré à la compétence des tribunaux administratifs.

Article 18
Par dérogation à l’alinéa 1 de l’article 15 du code de procédure civile,
la juridiction ordinaire saisie de la demande principale est compétente
pour statuer sur toute demande reconventionnelle ayant pour objet de
déclarer une personne publique débitrice.

Article 19
Le président du tribunal administratif, ou la personne déléguée par lui,
est compétent en tant que juge des référés et des ordonnances sur requêtes,
pour connaître des demandes provisoires et conservatoires.

Chapitre 3
Des recours en annulation pour excès de pouvoir
devant les tribunaux administratifs
Article 20
Une décision administrative est entachée d’excès de pouvoir soit en
raison de l’incompétence de l’autorité qui l’a prise, soit pour vice de
forme, détournement de pouvoir, défaut de motif ou violation de la loi. La

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294 Contentieux administratif marocain

personne à laquelle une telle décision fait grief peut l’attaquer devant la
juridiction administrative compétente.

Article 21
La requête en annulation pour excès de pouvoir doit être accompagnée
d’une copie de la décision administrative attaquée. Au cas où un recours
administratif préalable a été formé, la requête doit être également
accompagnée d’une copie de la décision rejetant ce recours ou, en cas de
rejet implicite, d’une pièce justifiant son dépôt.

Article 22
La requête en annulation pour excès de pouvoir est dispensée du
paiement de la taxe judiciaire.

Article 23
Les recours en annulation pour excès de pouvoir contre les décisions
des autorités administratives doivent être introduits dans un délai de
soixante jours à compter de la publication ou de la notification à l’intéressé
de la décision attaquée.
Toutefois, les intéressés ont la faculté de saisir, avant l’expiration du
délai visé à l’alinéa précédent, l’auteur de la décision d’un recours gracieux
ou de porter devant l’autorité administrative supérieure un recours
hiérarchique. Dans ce cas, le recours au tribunal administratif peut être
valablement présenté dans le délai de soixante jours à compter de la
notification de la décision expresse de rejet, total ou partiel, du recours
administratif préalable.
Le silence gardé plus de soixante jours par l’autorité administrative sur
le recours gracieux ou hiérarchique vaut rejet. Si l’autorité administrative
est un corps délibérant, le délai de soixante jours est prolongé le cas
échéant, jusqu’à la fin de la première session légale qui suivra le dépôt du
recours.
Lorsque la réglementation en vigueur prévoit une procédure particulière
de recours administratif, le recours en annulation n’est recevable qu’à
l’expiration de ladite procédure et dans les mêmes conditions de délais
que ci-dessus.

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Loi n° 41-90 Instituant des tribunaux administratifs 295

Le silence conservé pendant une période de soixante jours par


l’administration à la suite d’une demande dont elle a été saisie équivaut,
sauf disposition législative contraire, à un rejet. L’intéressé peut alors
introduire un recours devant le tribunal administratif dans le délai de
soixante jours à compter de l’expiration de la période de soixante jours
ci-dessus spécifiée.
Le recours en annulation n’est pas recevable contre les décisions
administratives lorsque les intéressés disposent pour faire valoir leurs
droits du recours ordinaire de pleine juridiction.

Article 24
Sur demande expresse de la partie requérante, le tribunal administratif
peut, à titre exceptionnel, ordonner qu’il soit sursis à l’exécution des
décisions administratives contre lesquelles a été introduit un recours en
annulation pour excès de pouvoir.

Article 25
La saisine d’une juridiction incompétente, même de la Cour suprême,
interrompt le délai de recevabilité du recours en annulation pour excès de
pouvoir qui ne recommence à courir qu’à compter de la notification au
demandeur de la décision statuant définitivement sur la juridiction
compétente.

Chapitre 4
Des recours en matière électorale devant
les tribunaux administratifs
Article 26
Les tribunaux administratifs sont compétents pour connaître :
1. Aux lieu et place des tribunaux de première instance, des recours
prévus par :
• Le dahir n° 1-59-161 du 27 Safar 1379 (1er septembre 1959) relatif à
l’élection des conseils communaux, et en conséquence les mots
“tribunal administratif’ et “président du tribunal administratif” se
substituent aux mots “tribunal de première instance” et “président du

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296 Contentieux administratif marocain

tribunal de première instance” dans les articles 13 (3° alinéa), 17


(alinéa 6), 19 (dernier alinéa), 30 (2e alinéa), 33, 34, 35, 37 et 39
dudit dahir.
• Le dahir n° 1-63-273 du 22 Rebia II 1383 (12 septembre 1963) relatif
à l’organisation des préfectures et des provinces et de leurs
assemblées, et en conséquence, les mots “tribunal administratif” et
“président du tribunal administratif” se substituent aux mots “tribunal
de première instance” et “président du tribunal de première instance”
dans les articles 10, 21, 22, 27, 28, 29 et 30 dudit dahir.
• L e dahir n° 1-62-281 du 24 Joumada I 1382 (24 octobre 1962)
formant statut des chambres d’agriculture, et en conséquence les
mots “tribunal administratif” et “président du tribunal administratif”
se substituent aux mots “tribunal de première instance” et «président
du tribunal de première instance” dans les articles 11, 25, 29, 30, 31,
33 et 35 dudit dahir.
• Le dahir n° 1-63-194 du 5 Safar 1383 (28 juin 1963) formant statut
des chambres d’artisanat, et en conséquence les mots “tribunal
administratif” et “président du tribunal administratif” se substituent
aux mots “tribunal de première instance” et “président du tribunal de
première instance” aux articles 11(§2), 25 (alinéa 2), 29, 30, 31, 33
et 34 dudit dahir.
•  Le dahir portant loi 1-7742 du 7 Safar 1397 (28 janvier 1977) formant
statut des chambres de commerce et d’industrie, et, en conséquence,
les mots “tribunal administratif” et “président du tribunal
administratif” se substituent aux mots “tribunal de première instance”
et “président du tribunal de première instance” dans les articles 17
(alinéa 6), 27 (dernier alinéa), 32, 33, 34, 36 et 38 dudit dahir.
2. Des litiges nés à l’occasion des élections des représentants du
personnel au sein des commissions administratives paritaires prévues par
le dahir n° 1-58-008 du 4 Chaâbane 1377 (24 février 1958) portant statut
général de la fonction publique et les statuts particuliers du personnel
communal et des personnels des établissements publics.

Article 27
Les recours en matière électorale sont introduits et jugés selon les
règles de procédure prévues par les textes visés à l’article 26 ci-dessus.

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Loi n° 41-90 Instituant des tribunaux administratifs 297

Chapitre 5
Compétence des tribunaux administratifs en matière
fiscale et de recouvrement des créances du trésor
et autres créances assimilées
Article 28
Est abrogé et remplacé par les dispositions suivantes le 2e alinéa de
l’article 4 du dahir du 24 Rebia Il 1343 (22 novembre 1924) sur le
recouvrement des créances de l’Etat :
« Article 4 (alinéa 2). – Si le contribuable n’accepte pas la décision ainsi
rendue, il doit, dans le délai de 30 jours à dater de la notification de celle-ci,
provoquer une solution judiciaire de l’affaire en introduisant une demande
devant le tribunal administratif du lieu où l’impôt est dû ; la décision du
tribunal administratif est susceptible d’appel devant la Cour suprême. »

Article 29
Est abrogé et remplacé par les dispositions suivantes l’article 24 du
dahir du 24 Rebia II 1343 (22 novembre 1924) sur le recouvrement des
créances de l’Etat :
« Article 24. — Les contestations qui naîtraient de l’application du
présent dahir sont de la compétence du tribunal administratif compétent en
raison du lieu où la créance doit être recouvrée. »

Article 30
Est abrogé et remplacé par les dispositions suivantes l’article 69 du
dahir du 20 Joumada I 1354 (21 août 1935) portant règlement sur les
poursuites en matière d’impôts directs, taxes assimilées et autres créances
recouvrées par les agents du Trésor :
« Article 69. — Les contestations qui naîtraient de l’application du
présent dahir sont de la compétence du tribunal administratif compétent à
raison du lieu où l’impôt ou la créance est dû. »

Article 31
Le contentieux né de l’application des dispositions du décret n° 258-1151
du 12 Joumada II 1378 (24 décembre 1958) portant codification des textes

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298 Contentieux administratif marocain

sur l’enregistrement et le timbre ainsi que celui né du recouvrement de tous


droits et taxes confié à l’administration de l’enregistrement et du timbre
relèvent de la compétence des tribunaux administratifs compétents à raison
du lieu où les droits et taxes sont dûs.

Article 32
Par tribunal compétent, ont doit entendre pour l’application de l’article
16 de la loi n° 30-89 relative à la fiscalité des collectivités locales et de
leurs groupements, le tribunal administratif du lieu où l’impôt est dû.

Article 33
Sont portées devant les tribunaux administratifs les contestations dont
le règlement par voie judiciaire est prévu par :
• l’article 46 de la loi n° 30-85 relative à la taxe sur la valeur ajoutée
promulguée par le dahir n° 1-85-347 du 7 Rebia II 1406 (20 décembre
1985) ;
• l’article 41 de la loi n° 24-86 instituant un impôt sur les sociétés,
promulguée par le dahir n° 1-86-239 du 28 Rebia II 1407
(31  décembre 1986) ;
• l’article 107 de la loi n° 17-89 relative à l’impôt général sur le
revenu, promulguée par le dahir n° 1-89-116 du 21 Rebia II 1410
(21  novembre 1989) ;
•  l es articles 13 bis, 38, 50, 51 et 52 du livre premier du décret
n° 2-58-1151 du 12 Joumada II 1378 (24 décembre 1958) portant
codification des textes sur l’enregistrement et le timbre.

Article 34
Sont de la compétence du tribunal administratif à raison du lieu de
l’immeuble concerné, les recours dirigés contre les décisions de la
commission arbitrale instituée par l’article 20 de la loi n° 37-89 relative à
la taxe urbaine, promulguée par le dahir n° 1-89-228 du 1er Joumada II
1410 (30 décembre 1989).

Article 35
Sont de la compétence du tribunal administratif dans le ressort duquel
se trouve le siège de la commission préfectorale ou provinciale les recours

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Loi n° 41-90 Instituant des tribunaux administratifs 299

dirigés contre les décisions de ladite commission instituée par l’article 14


de la loi n° 30-89 relative à la fiscalité des collectivités locales et leurs
groupements, promulguée par le dahir n° l-89-187 du 21 Rebia II 1410
(21 novembre 1989).

Article 36
Les recours visés au présent chapitre sont introduits et jugés selon les
procédures édictées par les textes relatifs aux impôts, taxes et créances
concernés.

Chapitre 6
Compétence des tribunaux administratifs en matière
d’expropriation pour cause d’utilité publique
et d’occupation temporaire
Article 37
La compétence des tribunaux de première instance pour recevoir les
actes de procédure d’expropriation pour cause d’utilité publique et
d’occupation temporaire prévus par la loi n° 7-81 promulguée par le dahir
n° 1-82-254 du 11 Rajeb 1402 (6 mai 1982) et pour juger le contentieux né
de l’application de ladite loi est transférée aux tribunaux administratifs.
En conséquence, les mots “tribunal administratif”, “greffe du tribunal
administratif’ et “président du tribunal administratif” se substituent
respectivement aux mots “tribunal de première instance”, “juge de
l’expropriation”, “greffe du tribunal de première instance” et “président du
tribunal de première instance” dans les articles 12 (alinéa 3), 18 (alinéas 1
et 2), 19, 20 (§3), 21, 23, 24, 28, 42 (alinéa 2), 43, 45, 47, 55, 56 et 64 de
la loi n° 7-81 précitée.

Article 38
La procédure applicable devant les tribunaux administratifs statuant en
matière d’expropriation est celle fixée par la loi n° 7-81 précitée, les
compétences reconnues au juge des référés étant exercées par le président
du tribunal administratif ou le juge qu’il délègue à cet effet.

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300 Contentieux administratif marocain

Article 39
L’article 33 de la loi n° 7-81 précitée est abrogé et remplacé par les
dispositions suivantes :
« Article 33. — L’appel prévu au 3e alinéa de l’article précédent est
porté devant la Cour suprême statuant comme juridiction d’appel des
décisions des tribunaux administratifs et doit être interjeté, dans les 30
jours suivant celui de la notification, au greffe du tribunal administratif. Il
n’est pas suspensif. »

Article 40
L’article 62 de la loi n° 7-81 précitée est abrogé et remplacé par les
dispositions suivantes :
« Article 62. — Les intéressés qui n’auront pas accepté l’accord prévu
à l’article précédent seront cités à la requête de l’administration devant le
tribunal administratif pour que soit déterminée la plus-value acquise au
jour de la requête et que soit fixée l’indemnité exigible. La requête de
l’administration devra être déposée dans un délai maximum de huit ans à
dater de la publication des actes administratifs prévus à l’article 60
ci-dessus.
Les règles de procédure fixées par les articles 45 et 47 de la présente
loi sont applicables à ces instances. L’appel est toujours possible.. »

Chapitre 7
De la compétence des tribunaux administratifs
en matière de pensions
Article 41
Les tribunaux administratifs sont compétents pour connaître des litiges
nés à l’occasion de l’application :
– de la loi n° 011-71 du 12 Kaada 1391 (30 décembre 1971) instituant
un régime de pensions civiles, à l’exception des litiges relatifs à
l’application de l’article 28 de ladite loi ;

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Loi n° 41-90 Instituant des tribunaux administratifs 301

– de la loi n° 013-71 du 12 Kaada 1391 (30 décembre 1971) instituant


un régime de pensions militaires, à l’exception des litiges relatifs à
l’application de l’article 32 de ladite loi ;
– du dahir portant loi n° 1-74-92 du 3 Chaâbane 1395 (12 août 1975)
portant affiliation des personnels de l’encadrement et de rang des
Forces auxiliaires au régime des pensions militaires ;
– du dahir portant loi n° 1-77-216 du 20 Chaoual 1397 (4 octobre
1977) créant un régime collectif d’allocations de retraite, à
l’exception des litiges relatifs à l’application de l’article 52 (alinéa 2)
dudit dahir ;
– du dahir n° 1-59-075 du 6 Ramadan 1378 (16 mars 1959) relatif au
régime des pensions attribuées aux résistants et à leurs veuves,
descendants et ascendants ;
– du dahir n° 1-58-117 du 15 Moharrem 1378 (1er août 1958) sur les
pensions militaires au titre d’invalidité ;
– des dispositions législatives et réglementaires relatives aux régimes
de pensions et de prévoyance sociale exclus du champ d’application
du régime collectif d’allocation de retraite, conformément aux
dispositions de l’article 2 du dahir portant loi n° 1-77-216 précitée ;
– du dahir portant loi n° 1-76-534 du 15 Chaâbane 1396 (12 août
1976) relatif aux allocations forfaitaires attribuées à certains anciens
résistants et anciens membres de l’armée de libération et leurs ayants
cause ;
– de l’arrêté du 22 Safar 1369 (14 décembre 1949) portant institution
d’un capital-décès au profit des ayants droit des fonctionnaires
décédés et du décret n° 2-56-680 du 24 Hijja 1375 (2 août 1956),
chapitre 5 bis, fixant le régime de solde, alimentation et frais de
déplacement des militaires à solde spéciale progressive ainsi que les
règles d’administration et de comptabilité ;
– du dahir portant loi n° 1-75-116 du 12 Rebia II 1395 (24 avril 1975)
relatif à la rente spéciale attribuée aux ayants cause des militaires
morts par suite des opérations de la guerre du 10 Ramadan 1393 ;
– d es régimes de pensions, rentes et allocations visées par la loi
n° 4-80 portant amélioration de la situation de certains fonctionnaires
et agents de l’Etat retraités promulguée par le dahir n° 1-81-183 du
3 Joumada II 1401 (8 avril 1981).

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302 Contentieux administratif marocain

Article 42
Le dernier alinéa de l’article 56 du dahir portant loi n° 1-77-216 du
20 Chaoual 1397 (4 octobre 1977) créant un régime collectif d’allocations
de retraite est abrogé et remplacé par les dispositions suivantes :
« Article 56 (dernier alinéa). — Les décisions de la commission d’appel
peuvent faire l’objet d’un recours porté devant le tribunal administratif de
Rabat. »
Article 43
Le recours contentieux prévu à l’article 57 du dahir portant loi
n° 1-77-216 du 20 Chaoual 1397 (4 octobre 1977) précité est porté devant
le tribunal administratif de Rabat.

Chapitre 8
De l’examen de la légalité des actes administratifs
Article 44
Lorsque l’appréciation de la légalité d’un acte administratif conditionne
le jugement d’une affaire dont une juridiction ordinaire non répressive est
saisie, celle-ci doit, si la contestation est sérieuse, surseoir à statuer et
renvoyer la question préjudicielle au tribunal administratif ou à la Cour
suprême selon la compétence de l’une ou de l’autre juridiction telle quelle
est définie aux articles 8 et 9 ci dessus. La juridiction de renvoi se trouve
de ce fait saisie de plein droit de la question préjudicielle.
La juridiction répressive a plénitude de juridiction pour l’appréciation
de la légalité de tout acte administratif invoqué devant elle soit comme
fondement de la poursuite soit comme moyen de défense.

Chapitre 9
De l’appel des jugements des tribunaux
administratifs devant la cour suprême
Article 45
Les jugements des tribunaux administratifs sont portés en appel devant
la Cour suprême (chambre administrative). L’appel doit être présenté dans

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Loi n° 41-90 Instituant des tribunaux administratifs 303

les formes et délais prévus aux articles 134 à 139 du code de procédure
civile.

Article 46
La Cour suprême, saisie de l’appel, exerce la plénitude des compétences
dévolues aux cours d’appel en application des articles 329 à 336 du code
de procédure civile, les attributions dévolues par ces articles au premier
président de la cour d’appel et au conseiller rapporteur étant exercées
respectivement par le président de la chambre administrative de la Cour
suprême et par le conseiller rapporteur nommé par ce dernier à cette fin.

Article 47
Sont applicables devant la Cour suprême statuant sur appel des
décisions des tribunaux administratifs les articles 141 et 354 à 356 du
code de procédure civile.

Article 48
Les appels portés devant la Cour suprême en vertu de la présente loi
sont dispensés du paiement de la taxe judiciaire. Ils peuvent être présentés
par un avocat non agréé auprès de la Cour suprême.

Chapitre 10
Dispositions diverses et transitoires
Article 49
L’exécution des décisions des tribunaux administratifs s’effectue par
l’intermédiaire de leur greffe. La Cour suprême peut charger de l’exécution
de ses arrêts un tribunal administratif.

Article 50
L’alinéa 2 de l’article 25 du code de procédure civile est abrogé et
remplacé par les dispositions suivantes :
« Article 25 (2e alinéa) . — Il est également interdit aux juridictions de
se prononcer sur la constitutionnalité d’une loi. »

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304 Contentieux administratif marocain

Article 51
Les dispositions de la présente loi entreront en vigueur le premier jour
du 4e mois suivant celui de sa publication au Bulletin officiel.
Toutefois, la Cour suprême et les juridictions ordinaires demeurent
saisies des requêtes relevant de la compétence des tribunaux administratifs
en vertu de la présente loi, mais qui ont été enregistrées devant elles avant
la date de son entrée en vigueur.

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Index alphabétique

A
Accès à la justice 21, 31
Actes d’autorité et de gestion 129
Actes de gouvernement 194, 198, 200, 236
Actes des autorités administratives (voir décisions) 51, 52, 72, 73, 74,
104, 120, 125, 172, 194, 290, 291, 294
Actes du Roi 196
Actes juridictionnels 194, 197
Actes législatifs 194, 195, 263
Agent judiciaire des collectivités territoriales 103
Agent judiciaire du Trésor 259, 270
Appel 22, 26, 28, 31, 32, 37, 39, 43, 44, 46, 47, 48, 50, 52, 53, 58, 63,
67, 68, 72, 78, 79, 80, 81, 82, 83, 84, 85, 87, 89, 90, 91, 104, 109, 110,
120, 124, 126, 128, 130, 134, 137, 138, 140, 141, 145, 146, 149, 150,
157, 160, 165, 173, 178, 183, 196, 197, 198, 203, 206, 221, 226, 228,
239, 241, 248, 253, 255, 257, 258, 259, 260, 261, 262, 264, 265, 270,
284, 289, 290, 292, 297, 300, 302, 303
Appréciation de légalité 64, 75, 153, 154, 155
Arbitrage 22, 26, 43, 55, 111, 112, 113, 114, 115
Arrêt d'annulation
–  autorité de la chose jugée 60, 107, 108
–  effets 179
exécution 181
Arrêt de rejet 179
Assistance judiciaire 32, 84, 289
Associations 138, 139, 158, 159, 190, 229
Astreintes 108, 145
306 Contentieux administratif marocain

Audience 69, 81, 84, 95, 102, 103, 289, 290


Avocat 32, 54, 63, 85, 91, 95, 110, 246, 289, 303

B
Bonne administration de la justice 73, 83, 126, 160, 206
Bureau des requêtes 42

C
Cadi 40, 41, 43, 196
Capacité 66, 98, 188
Commissaire royal à la loi et au droit 69, 90, 103
Compétence : matière administrative et matière ordinaire
–  critère matériel 123, 130
–  critère organique 121, 123, 125, 126
Connexité 79, 293
Contentieux administratifs 73
Contentieux annulation – contentieux pleine juridiction (distinction) 205
Contrôle administratif 29, 42
Contrôle juridictionnel 29, 30, 33, 39, 42, 177, 222, 227
Cour suprême 22, 28, 31, 32, 37, 50, 51, 53, 60, 63, 65, 67, 68, 72, 73,
74, 75, 76, 78, 79, 80, 81, 83, 85, 86, 88, 92, 93, 97, 104, 106, 108,
109, 110, 120, 123, 124, 125, 126, 127, 137, 139, 141, 146, 147, 149,
150, 153, 154, 155, 156, 157, 160, 165, 166, 167, 169, 171, 172, 173,
174, 175, 177, 178, 180, 182, 183, 184, 194, 196, 197, 198, 200, 202,
204, 205, 206, 210, 212, 215, 217, 223, 224, 227, 228, 229, 230, 240,
244, 246, 249, 251, 252, 255, 256, 257, 259, 260, 262, 263, 264, 266,
270, 272, 274, 275, 280, 283, 285, 290, 291, 292, 293, 295, 297, 300,
302, 303, 304

D
Déchéance quadriennale 98, 270
Décision faisant grief 245
Décision préalable 98, 100

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Index alphabétique 307

Décisions des autorités administratives 51, 52, 72, 73, 74, 104, 120, 125,
172, 194, 290, 291, 294
Décision unilatérale 202, 203
Demande reconventionnelle 79, 293
Dessaisissement (ordonnance) 95
Détournement de pouvoir 152, 207, 214, 215, 216, 217, 223, 226, 293
Détournement de procédure 214, 216

E
Erreur judiciaire 237, 266, 267
Etat de droit 30, 64, 66, 105, 150, 172, 175, 184, 230
Exception de recours parallèle 65, 166, 194, 204, 206
Exception d’illégalité a pour objet l’appréciation de la légalité 151

F
Formalités substantielles 210, 213

G
Gestion publique – gestion privée 130, 134

I
Incompétence 73, 75, 78, 159, 181, 207, 208, 209, 210, 211, 241, 280,
292, 293
Instruction 92, 94, 95, 102, 179
Intérêt pour agir 190, 193
Intervention 48, 84, 102, 107, 137, 139, 180, 184, 193, 227, 249, 251,
252

J
Jugement (exécution) 26
Juge rapporteur 90, 91, 94, 95, 102, 289

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308 Contentieux administratif marocain

Juridiction
–  dualité 29
–  unité 37, 39, 49, 50, 62, 63, 64, 65, 67, 78, 88, 110, 119, 121, 147, 160,
198, 285
Juridictions collégiales 53
Juridictions communales et d’arrondissement 56, 287
Juridictions consulaires 43, 44, 89
Juridictions de proximité 57, 90, 120, 287
Justice des Madhalim 41
Justice (loi d’unification) 52
Justice officielle 32, 55
Justice rabbinique 44
Justice retenue 29, 39, 40, 42, 144

M
Magistrats 33, 48, 51, 52, 53, 54, 55, 56, 57, 58, 59, 68, 69, 74, 82, 83,
84, 88, 110, 177, 197, 198, 238, 241, 288, 289, 290
Médiation 22, 111, 112, 115, 116
Mémoire 41, 57, 90, 91, 94, 95, 96, 160, 188, 269
Ministère public 48, 49, 58, 63, 103, 159, 261
Mohtassib 41
Motifs
–  contrôle 219
–  erreur de droit 222, 224
–  erreur de fait 222, 226
–  erreur de qualification 65, 222, 225, 280
–  erreur manifeste d'appréciation 226, 227

O
Opposition 43, 85, 100, 109, 179, 181
Organismes privés gérant un service public 138

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Index alphabétique 309

P
Prescription 98, 188, 220, 221, 269
Procédure contentieuse
–  caractère contradictoire 94
–  caractère écrit-oral 58, 90, 91
–  caractère inquisitoire 91
–  code de procédure civile de 1974 87
–  dahir sur la procédure civile de 1913 89

R
Recours
–  administratif 27, 61, 97, 188, 294
–  administratifs 26
–  cassation 22, 37, 44, 49, 50, 51, 63, 80, 85, 86, 104, 109, 110, 165
–  délai 61, 104, 166
–  excès de pouvoir 27, 32, 33, 49, 51, 60, 72, 73, 77, 93, 96, 97, 109, 120, 124,
139, 145, 147, 152, 154, 165, 167, 168, 169, 171, 172, 173, 175, 230, 231,
261, 290, 291, 293, 294, 295
–  parallèle : exception 65, 166, 194, 204, 206
–  pleine juridiction 104, 165, 202, 203, 204, 205, 231
Rectification d’erreur matérielle 109
Référé 84, 93, 106, 145, 146, 149, 183, 252
Requête 84, 85, 90, 91, 92, 93, 94, 95, 96, 110, 177, 188, 189, 270, 289,
294, 300
Responsabilité de la puissance publique
–  des services publics hospitaliers 249
–  pour dommages de travaux publics 253
–  pour faute de service 244
–  pour faute lourde 184, 235
–  principe 236
–  sans faute 240, 243, 252, 253, 257, 259, 260, 261, 262, 263, 265, 272, 274
Responsabilité des fonctionnaires pour faute personnelle 107
Rétractation 109

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310 Contentieux administratif marocain

S
Science administrative 27
Séparation des autorités administratives et judiciaires 29, 47, 48, 59, 144,
146, 148
Service public 48, 121, 124, 125, 127, 129, 130, 131, 133, 134, 135, 136,
137, 138, 139, 140, 141, 143, 182, 191, 194, 198, 220, 223, 232, 238,
239, 243, 248, 253, 265, 282
Sursis à exécution 85, 93, 104, 176, 178

T
Tierce opposition 109, 179, 181
Tribunaux administratifs
–  compétence 72, 73, 120, 127, 290, 292, 293, 298, 300, 304
–  compétence territoriale 76, 78, 291, 292
Tribunaux de première instance 31, 46, 47, 56, 57, 67, 109, 119, 165,
290, 295, 299
Tribunaux français 43, 44, 45, 46, 50, 131

V
Véhicules automobiles 99, 252
Vice de forme 181, 207, 210, 211, 245, 293
Violation de la loi 207, 217, 218, 293
Vizir Achikayat 41
Voie de fait 70, 93, 143, 144, 145, 146, 147, 148, 149, 150, 157, 216,
280, 284

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Table des matières

Avant-propos . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 19

Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 23
Eléments de définition . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 23
A. Le point de vue de la science administrative . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 25
B. Le point de vue de la science juridique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 27

Première partie médiation


Le juge de l’administration et
la procédure administrative contentieuse

Chapitre I : Histoire de la juridiction compétente en matière


administrative . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 37

Section I : Le système traditionnel de protection des administrés . . . . . 37


§1. La justice retenue . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 38
§2. Les instances chargées d’assurer la protection des administrés . . 38

Section II : Les réformes judiciaires de 1913 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 40


§1. L’organisation judiciaire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 40
A. La réorganisation des juridictions existantes . . . . . . . . . . . . . . . . . 41
B. La création des tribunaux français, D.O.J. du 12 août 1913 . . . 42
§2. Les bases du contentieux administratif . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 43
A. L
 a juridiction compétente pour accueillir les recours contre
l’administration . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 44
B. Les litiges justiciables des tribunaux de première instance . . . 45
C. Le droit applicable . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 45

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312 Contentieux administratif marocain

Section III : Les réformes de l’indépendance . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 48


§1. Le dahir du 27 septembre 1957 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 48
§2. La loi d’unification de la justice . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 50
A. L’unification des juridictions . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 51
B. La marocanisation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 51
C. L’arabisation de la justice . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 52
D. L’unification du droit . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 52
§3. Les réformes de 1974 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 53
A. Les objectifs de la réforme . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 54
1. La création des juridictions communales et d’arrondissement . . 54
2. La création des tribunaux de première instance . . . . . . . . . . . . 55
3. Le nouveau statut de la magistrature . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 56
B. Les incidences de la réforme de 1974 sur le contentieux
administratif . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 57
1. La compétence . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 57
2. La procédure . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 59
C. L
 a Constitution de 2011 et le renforcement de l’indépendance
du Pouvoir judiciaire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 59

Section IV : La création des tribunaux administratifs . . . . . . . . . . . . . . . . . 59


§1. Les raisons de la création des tribunaux administratifs . . . . . . . . . . 61
A. Les justifications d’ordre technique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 61
B. Les justifications de politique juridictionnelle et de politique
administrative . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 63
§2. L’organisation des tribunaux administratifs . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 65
A. Le tribunal administratif est une juridiction collégiale . . . . . . . 66
B. Le tribunal administratif abrite une institution nouvelle :
le commissaire royal à la loi et au droit . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 66
C. La loi consacre l’unité de la magistrature . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 67

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Table des matières 313

§3. La compétence des tribunaux administratifs . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 69


A. La compétence à raison de la matière . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 69
B. La compétence territoriale . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 74
C. Les difficultés de compétence et les modalités de leur
règlement . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 75
Section V : La création des cours d’appel administratives . . . . . . . . . . . . 77
§1. Les justifications de la création des cours d’appel administratives . . 77
§2. Organisation, fonctionnement et procédure . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 79
A. Organisation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 80
B. Fonctionnement . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 81
C. Procédure . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 82

Chapitre II : La procédure administrative contentieuse . . . . . . . . . . . 85


Section I : Les caractères généraux de la procédure . . . . . . . . . . . . . . . . . . 86
§1. Les origines de la procédure civile . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 87
§2. La procédure est une procédure écrite . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 87
§3. Le caractère inquisitoire de la procédure . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 91
§4. Le caractère contradictoire de la procédure . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 92
Section II : L’instance . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 93
§1. L’introduction de l’instance . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 93
A. Les conditions de forme . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 93
B. Les conditions de délai . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 94
C. Conditions tenant à la qualité du requérant . . . . . . . . . . . . . . . . . . 96
D. Le problème de la décision préalable . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 97
§2. L’instruction et le jugement . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 99
A. L’instruction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 100
B. L’audience . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 100
C. Le jugement . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 101

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314 Contentieux administratif marocain

Section III : Les voies de recours . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 106


§1. L’appel . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 107
§2. Le recours en cassation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 107

Section IV : Les procédés non juridictionnels de règlement des


litiges . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 107
§1. Les recours administratifs et le retrait . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 107
§2. L’arbitrage . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 107
§3. La médiation conventionnelle . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 107

Deuxième partie
Le domaine du contentieux administratif

Chapitre I : Le problème du critère de compétence . . . . . . . . . . . . . . . . 115

Section I : Le critère organique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 115


§1. Le rejet du critère organique (1913-1966) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 115
§2. L’adoption partielle du critère organique comme critère exclusif . . 116

Section II : Le critère matériel . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 120


§1. Rappel de la jurisprudence française relative au critère matériel . . 120
A. Le recours à la distinction actes d’autorité – actes de gestion . . 121
B. Le critère du service public . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 121
C. Le critère gestion publique – gestion privée . . . . . . . . . . . . . . . . . 122
§2. Le recours au critère matériel par le juge marocain . . . . . . . . . . . . . 122

Chapitre II : Le critère du service public . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 125

Section I : La gestion privée du service public . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 127


§1. Le recours occasionnel à la gestion privée . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 127
§2. Le recours habituel à la gestion privée . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 128

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Table des matières 315

Section II : La gestion du service public par des personnes privées . . . 129
§1. L’appel aux personnes privées en France . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 129
§2. L’appel aux organismes privés au Maroc . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 130

Chapitre III : Les exceptions au critère du service public . . . . . . . . . 135

Section I : Le problème de la voie de fait . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 135


§1. Origine de la notion de voie de fait . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 136
§2. Le régime contentieux de la voie de fait au Maroc . . . . . . . . . . . . . . 137
A. L’adoption de la voie de fait . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 137
B. Le maintien de la voie de fait après 1957 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 138
§3. Situation actuelle de la voie de fait . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 139

Section II : L’exception d’illégalité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 143


§1. L’exception d’illégalité largement admise avant 1957 . . . . . . . . . . . 143
§2. L’exception d’illégalité depuis 1957 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 144
§3. Les innovations de la loi du 12 juillet 1991 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 146
A. Le juge civil ou commercial . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 148
B. Le juge répressif . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 148
C. Le juge administratif . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 149

Section III : Les exceptions diverses . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 150


§1. Les exceptions en faveur de la juridiction ordinaire . . . . . . . . . . . . . 150
A. Les accidents d’automobiles . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 150
B. Le contentieux des associations . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 151
C. Les actes intéressant les juridictions ordinaires . . . . . . . . . . . . . . . 152
§2. Les exceptions au profit de la juridiction administrative . . . . . . . . . 152
§3. L’exception d’inconstitutionnalité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 107

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316 Contentieux administratif marocain

Troisième partie
Les recours contentieux

Titre I :  Le recours en annulation pour excès de pouvoir . . . . . . . . . . . 161

Chapitre I : Les caractères généraux du recours en annulation


pour excès de pouvoir . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 163

Section I : C’est un recours qui existe de plein droit . . . . . . . . . . . . . . . . . . 163


§1. Affirmation de la primauté du recours en annulation . . . . . . . . . . . . 164
§2. Affirmation de la prééminence du recours en annulation . . . . . . . . 165

Section II : Le recours n’est pas suspensif . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 167


§1. Les justifications de la règle . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 167
§2. Le sursis à exécution . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 168

Section III : Le recours pour excès de pouvoir est un recours en


annulation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 170
§1. Les effets de l’arrêt . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 171
A. L’effet rétroactif de l’arrêt d’annulation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 171
B. L’autorité absolue de la chose jugée . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 172
§2. L’exécution de l’arrêt . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 173

Chapitre II : Les conditions de recevabilité du recours pour excès


de pouvoir . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 177

Section I : Les conditions tenant à la qualité du requérant . . . . . . . . . . . 178


§1. L’intérêt matériel ou moral . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 180
§2. L’intérêt doit être suffisamment individualisé . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 181
§3. L’intérêt collectif . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 181

Section II : Les conditions tenant à la nature de l’acte attaqué . . . . . . . 184

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Table des matières 317

§1. L’acte doit émaner d’une autorité administrative . . . . . . . . . . . . . . . . 184


A. Exclusion des actes législatifs . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 185
B. Les actes du Roi en matière administrative . . . . . . . . . . . . . . . . . . 186
C. Les actes juridictionnels . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 187
D. Les actes de gouvernement . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 188

§2. L’acte doit avoir le caractère d’une décision exécutoire . . . . . . . . . 190


A. L’acte doit faire grief . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 190
B. L’acte doit être une décision unilatérale . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 192

Section III : L’exception de recours parallèle . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 193


§1. L’exception de recours parallèle depuis 1957 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 194
§2. Les conséquences de la création des tribunaux administratifs . . . 194

Chapitre III : Les moyens d’annulation : les cas d’ouverture du


recours pour excès de pouvoir . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 197

Section I : L’irrégularité externe de l’acte administratif . . . . . . . . . . . . . . 197


§1. L’incompétence . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 198
A. L’usurpation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 198
B. L’incompétence “ratione materiae” . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 198
C. L’incompétence “ratione temporis” . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 199
§2. Le vice de forme . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 200
A. Les irrégularités dans la procédure d’édiction de l’acte . . . . . . 201
B. Les formes de l’acte proprement dit . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 202
C. La sanction da la violation des formes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 203

Section II : L’irrégularité interne de l’acte administratif . . . . . . . . . . . . . . 204


§1. Le contrôle du but : le détournement de pouvoir . . . . . . . . . . . . . . . . 205
A. Le détournement de pouvoir par recherche d’un intérêt
personnel . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 205

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318 Contentieux administratif marocain

B. Le détournement de pourvoir dans un intérêt général différent


de celui que permet d’atteindre l’acte . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 205
C. Le détournement de procédure . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 206
§2. Le contrôle de l’objet ou violation de la loi . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 207
§3. Le contrôle des motifs . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 209
A. L’obligation de motiver selon la loi n° 03-01 du 23 juillet
2002 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 210
B. Les modalités du contrôle juridictionnel des motifs . . . . . . . . . . 212

Titre II : Le recours en indemnité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 221

Chapitre I : Les problèmes généraux de la responsabilité en


matière administrative . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 223

Section I : La naissance de la responsabilité de la puissance publique . . 223


§1. Le principe d’irresponsabilité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 224
§2. L’admission de la responsabilité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 225

Section II : L’interprétation des textes et le problème du régime de la


responsabilité de la puissance publique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 227
§1. L’autonomie de la responsabilité administrative . . . . . . . . . . . . . . . . . 228
§2. La signification de l’article 79 du D.O.C. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 228

Chapitre II : Les cas de responsabilité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 233

Section I : La responsabilité pour faute de service . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 234


§1. Nature de la faute de service . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 234
A. La faute dans l’activité juridique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 235
B. Agissements matériels de l’Administration . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 236
§2. La gravité de la faute de service . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 237
§3. La preuve de la faute . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 241

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Table des matières 319

Section II : La responsabilité sans faute . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 242


§1. Les dommages de travaux publics . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 243
§2. Le risque anormal de voisinage . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 247
§3. Les activités dangereuses . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 248
§4. Le refus d’exécuter des décisions de justice . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 250
§5. La responsabilité du fait des décisions administratives régulières . . 252
§6. Calamités nationales et terrorisme . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 253
§7. La responsabilité sans faute consacrée par le législateur . . . . . . . . . 254
§8 La réparation de l’erreur judiciaire

Chapitre III : La réparation du préjudice . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 257

Section I : L’action en indemnité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 259

Section II : L’imputabilité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 259


§1. L’existence du lien de causalité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 259
A. La force majeure . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 259
B. Le fait d’un tiers . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 259
C. La faute de la victime . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 260
§2. La détermination de la collectivité responsable . . . . . . . . . . . . . . . . . . 260

Section III : L’indemnisation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 261


§1. Le préjudice indemnisable . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 262
§2. Les modalités de la réparation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 263

Chapitre IV : La responsabilité personnelle des fonctionnaires . . . . 265

Section I : La faute personnelle . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 266


§1. La faute personnelle est une faute commise en dehors du service . . 266
§2. Le dol . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 266
§3. La faute lourde dans l’exercice des fonctions . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 267

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320 Contentieux administratif marocain

Section II : Les rapports de la responsabilité personnelle et de la


responsabilité administrative . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 269
§1. Le cumul des fautes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 269
§2. Le cumul de responsabilité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 270
§3. La responsabilité de l’agent à l’égard de l’administration . . . . . . . 271

Indications bibliographiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 273

Annexe I : Textes principaux . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 275

Annexe II : Loi n° 41-90 instituant des tribunaux administratifs . . . . . 276

Index alphabétique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 293

Table des matières . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 299

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