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21 AVRIL 2020

RAPPORT SUR LE VOLET COMMERCIAL DES


ACTIVITES DE LA SNIM (DSP).
PERIODE 2009-2013.
COMMISSION D’ENQUETE PARLEMENTAIRE

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Table des matières

1. Introduction..................................................................................................................................... 2

2. Les circonstances de ma mutation à la DSP .................................................................................... 2

3. La période Taleb Abdival ................................................................................................................. 5

3.1 Gestion de la crise 2009 .......................................................................................................... 6


3.2 Introduction du TZFC ............................................................................................................... 6
3.3 Abandon du mécanisme de fixation des prix (Benchmark) .................................................... 7
3.4 L’abandon de la commercialisation du minerai phosphoreux ................................................ 8
4. La nomination d’un nouvel ADG : Mohamed Abdellahi Oudaa ...................................................... 9

5. La volonté d’introduction de nouveaux clients ............................................................................. 10

5.1 La stratégie commerciale ...................................................................................................... 10


5.2 La montée de pression .......................................................................................................... 12
5.2.1 Les « opportunités » offertes par des baisses apparentes des programmes ............... 13
5.2.2 L’intermédiaire anglais de Nouakchott ......................................................................... 14
5.2.3 Le cas Duferco ............................................................................................................... 16
5.2.4 Le cas du contrat Hangzhou (sidérurgiste chinois)........................................................ 17
5.2.5 Le cas Pson ou la goutte qui a fait déborder le vase ..................................................... 18
5.2.6 La tentative de mise sous tutelle de la DSP en utilisant les consultants ....................... 20
6. La tentative de recrutement à la DSP de Mohamed Ould Msabou .............................................. 22

7. Ma démission de la Snim ............................................................................................................... 25

8. L’Après démission de la Snim ........................................................................................................ 27

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1. Introduction

Le présent rapport fait suite à une demande formulée par la commission d’enquête
parlementaire chargée de vérifier et d’enquêter sur les conditions d’exécution et les
procédures de gestion relatives à certains secteurs d’activité dont la Direction de la Succursale
de Paris de la SNIM.

J’étais en charge de la Direction Commerciale de la SNIM, ou plus précisément la « Direction


de la Succursale de Paris (DSP) » de la période d’Août 2009 à Juin 2013, et je livre dans ce
rapport mon témoignage sur cette période.

Cette période est en fait divisée en deux, avec deux Administrateurs Directeurs
Généraux (ADG) différents: Taleb Abdivall (Août 2009 – Mars 2011) et Mohamed Abdellahi
Ould Oudaa (Mars 2011 – Juin 2013, date de mon départ de la Snim).

Si je n’ai jamais senti la moindre pression de la part du premier, il va en être autrement avec
le second, et ses pressions porteront notamment sur deux dossiers qui semblaient le tenir
particulièrement à cœur :

 L’introduction de certains clients ou intermédiaires, qui, de mon point de vue et


conformément aux procédures en place, ne correspondaient pas aux critères établis
par la Snim, ni à sa pratique habituelle ;
 Le recrutement à la DSP de Mohamed ould M’Sabou, gendre du président Aziz, qui, là
aussi, me semblait en contradiction flagrante avec les procédures de la Snim et ses
intérêts et non conforme avec la règlementation française à laquelle la DSP est
assujettie.

J’ai fait comprendre clairement à l’ADG ce que je pensais de ces deux dossiers, et devant son
insistance, j’avais été amené à lui signifier, de manière ferme, que je n’étais pas prêt à
m’engager sur cette voie. C’est ce refus d’obtempérer à ses injonctions qui avait conduit à la
décision de me muter à Nouadhibou sur un poste conseiller du DG, décision qui avait, par son
caractère humiliant, vu mon parcours à la Snim, conduit à ma démission immédiate de toutes
mes fonctions au sein de cette entreprise.

Ces deux dossiers sont abordés en détail dans les chapitres 5 et 6 de ce rapport, mais sans la
lecture attentive des premiers chapitres il sera difficile pour le lecteur d’appréhender le
contexte et les enjeux du dossier.

2. Les circonstances de ma mutation à la DSP

J’ai été nommé au poste de Directeur de la Succursale de Paris (DSP) , la Direction


Commerciale de la SNIM, en fin Août 2009, peu de temps après l’arrivée du nouvel
Administrateur Directeur Général (ADG) de la SNIM, Taleb Abdivall. Le poste de DSP était resté

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vacant depuis le 12/08/2019, date de la nomination du titulaire, Brahim Ould M’Bareck, au
poste de Ministre du Développement Rural au sein de la nouvelle équipe gouvernementale
du Président Aziz.

La nomination à la DSP était une grande surprise pour moi comme pour beaucoup d’employés
de la Snim. Jusque-là, j’occupais le poste de « Directeur Délégué chargé des Opérations de
Production (DDOP) », et à ce titre en charge de l’ensemble des sites de production (Zouerate,
Nouadhibou, chemin de fer), et intérimaire attitré de l’ADG.

J’avais effectué toute ma carrière et gravi tous les échelons hiérarchiques (chef de Service,
Division, Département, Directeur, puis Directeur Délégué) au sein des structures techniques
de la Snim, aussi bien à Zouerate qu’ à Nouadhibou.

J’ai cependant accepté la proposition qui m’a été faite par Taleb Abdivall. Les spéculations
vont se propager au sein de la Snim sur les raisons possibles d’une telle mutation qui était tout
sauf une promotion. Beaucoup y voyaient déjà la main de Aziz qui voudrait avoir les coudées
franches à la Snim et certains iraient jusqu’à dire que son objectif initial était de me
« placardiser » et que la DSP ne serait que le compromis obtenu avec Taleb Abdivall, qui
trouvait que cette décision, dont le caractère arbitraire était évident, pourrait être mal perçue
en interne.

D’autres, beaucoup moins nombreux, trouvaient qu’à l’inverse, la décision est justifiée par le
fait que le défi auquel la Snim faisait face en ce moment – on était en plein dans la crise
financière 2008/2009 – est celui des ventes, pas la production. La DSP serait donc la priorité
du moment. A l’appui de cet argument, ils ajoutaient que j’avais dirigé le groupe de travail
« Commercial », qui avait été notamment à l’origine de la proposition de création du nouveau
produit (TZFC) que la Snim devait pousser sur le marché (cf.3.2).
Ce ne sont là que des spéculations et je ne saurais jamais la vérité sur cette affaire.

Ce qui est certain, c’est que je n’avais rien fait pour plaire en haut lieu. Quelques exemples de
la campagne électorale présidentielle de 2009 pour l’illustrer :

 Je reçois dans ma résidence à Zouerate, un haut responsable et un ami proche, venu


en appui à la campagne Aziz. Il me dit être porteur d’un message du directeur de la
campagne Aziz à Zouerate - un haut responsable, très proche de Aziz - qui me demande
de l’aider dans cette campagne, arguant du fait que j’avais sous mon autorité plus de
80% des effectifs de la Snim et que j’aurais une certaine crédibilité à leurs yeux. Je lui
réponds en substance que je n’ai jamais été impliqué dans une quelconque campagne
électorale et que si le personnel de la Snim m’écoutait, c’était parce que je ne leur
parlais que des affaires de la Snim. J’ai appris plus tard que le responsable de la
campagne aurait peu apprécié cette position.

 De retour à Nouadhibou, je reçois à mon domicile une forte délégation de notables


proches de Aziz. Même requête, même refus poli et même déception.

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 Certains des cadres de la Snim avaient eu l’idée de faire circuler une liste pour une
collecte en faveur de la campagne Aziz. Je refuse d’y participer. Ça ne passe pas
inaperçu.
 Je m’étais également arrangé pour ne pas aller à une rencontre qu’il avait organisée
avec les cadres de la Snim, lors de l’une de ses visites à Nouadhibou.

Le fait que je n’aie jamais participé à aucune activité politique sous les autres régimes n’était
certainement pas un argument suffisant.

Le Premier Ministre de l’époque, Moulaye Ould Mohamed Laghdaf, un ami de longue date,
mais avec lequel j’avais peu de contacts, ayant appris la nouvelle de ma mutation à Paris,
m’appelle pour me demande de venir dans son bureau. Il me demande de lui expliquer les
raisons de cette mutation qu’il semblait trouver surprenante. Je lui réponds qu’on m’a fait une
proposition et que je l’ai acceptée. Il n’avait pas l’air convaincu, surtout que, selon lui, la
décision était déjà prise de rapatrier la DSP en Mauritanie.

Il est vrai que Aziz poussait beaucoup pour cette idée, que tous les gens ayant une
connaissance du domaine trouvaient absurde. Ce serait, selon Aziz, une manière de réduire
les coûts . Je crois que les ADG successifs (Kane Ousmane et Taleb Abdivall) avaient réussi à le
convaincre que ce n’était pas une très bonne idée. On verra plus tard, en 2016, un début
d’exécution de cette volonté présidentielle en décidant que le DSP -et lui seul- serait
désormais basé à Nouadhibou ; une décision sur laquelle un autre ADG (Bechir) est revenue,
ayant certainement constaté qu’elle manquait d’efficacité.

La discussion autour de la localisation de la DSP n’est pas qu’organisationnelle : Une DSP en


Mauritanie serait beaucoup plus perméable à toutes les formes d’interventionnisme, mais ça
on le comprendra que beaucoup plus tard.

Missions de la DSP
Les missions de la DSP s’articulent autour de trois fonctions principales :

 Marketing
 Veille commerciale : suivi en temps réel de la dynamique du marché, l’évolution
de l’offre et de la demande, les nouvelles menaces ou opportunités, les exigences
nouvelles des clients, etc.
 Documentation : collecte d’information sur le marché (la sidérurgie), les
concurrents, les clients, les prix, les nouveaux projets, le fret maritime, etc.
 Prospection : recherche de nouveaux clients, approche, négociations
préliminaires,

 Gestion des Ventes


 Programmes mensuels des ventes
 Programmation des bateaux avec les clients et les directions opérationnelles
 Facturation

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 Recouvrement
 Gestion des litiges commerciaux

 Suivi technique
 Connaissance intime des besoins des sidérurgistes
 Evolution des produits
 Suivi de la qualité des produits livrés
 Gestion des réclamations des clients

3. La période Taleb Abdival

Toute la période passée avec Taleb Abdivall comme ADG de la SNIM (08/2009 – 03/2011) va
se dérouler dans un climat de confiance et de parfaite collaboration , ce qui nous a permis de
parvenir à des résultats exceptionnels en très peu de temps, résultats que Abdivall ne cessait
d’ailleurs de mettre en valeur, y compris auprès du Président Aziz.

Nous avons fait ensemble le tour des clients européens, chinois et Japonais et à chaque fois,
sa position était claire : il était là pour soutenir et appuyer les positions de négociation de la
DSP et il le fait comprendre à tous les partenaires, sans la moindre hésitation. Cela a été
déterminant dans la suite des négociations et des résultats obtenus.

Au cours de toute la période, il n’a jamais cherché à introduire ou appuyer un quelconque


client. Et souvent, quand je me referais à lui pour certaines décisions importantes, sa réponse
était toujours la même : « Fais ce qui te semble le mieux approprié ».

Il faut reconnaitre que cela s’inscrit dans une longue tradition de la Snim où les directeurs
généraux successifs s’étaient toujours imposés comme règle de base de ne pas interférer dans
les relations entre la DSP et les clients. La position de la DSP à Paris lui fournissait un double
avantage : proximité avec les marchés et les clients et mise à l’abri des influences locales.

Au niveau de l’Etat, on peut noter que depuis sa nationalisation en 1974, et en dépit d’une
succession de régimes dont la plupart étaient militaires, la SNIM a toujours bénéficié d’une
très large autonomie de gestion. Il est vrai que chaque Président désignait un homme de
confiance au poste d’Administrateur Directeur Général, mais ils se sont tous imposés une règle
de base : ne pas s’ingérer dans la gestion de l’Entreprise et mieux, assurer à l’ADG toute la
protection nécessaire vis-à-vis de toutes les influences et pressions externes.

C’était l’un des rares points communs entre les régimes successifs et cela explique en grande
partie le succès de cette entreprise dans un environnement particulièrement difficile et une
conjoncture économique caractérisée par des prix de minerai de fer très bas (voir graphique
à la fin du document).

C’est au cours de la période Abdivall qu’il y avait le plus de défis à relever : les effets de la crise
de 2008/2009, le changement du système de fixation des prix (Benchmark) qui a été rejeté

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par tous nos partenaires chinois et surtout européens, et enfin l’introduction de notre
nouveau produit phare, le TZFC.

3.1 Gestion de la crise 2009

La crise financière de 2008 qui a durement affecté toute l’économie mondiale a très
sérieusement impacté le secteur de la sidérurgie et par conséquent les ventes de minerai de
fer. Les effets de la crise se feront ressentir sur le dernier trimestre de 2008 et sur l’année
2009. La Snim, comme tous les producteurs, en a subi les conséquences comme le montre le
graphique ci-dessous.

Ventes (Mt)
12 11,8

11,5

11 10,9

10,5 10,3

10

9,5
2007 2008 2009

En plus de la forte baisse des tonnages vendus, les prix se sont aussi effondrés : le chiffre
d’affaires 2009 était en baisse de 37% par rapport à celui de 2008.
La sidérurgie européenne en particulier était très durement touchée alors que ce continent,
en raison de sa proximité géographique et des liens historiques, absorbait la quasi-totalité de
la production de la Snim. Il fallait très vite trouver des débouchées en Chine. C’était ma
première mission.

3.2 Introduction du TZFC

Kane Ousmane, ADG SNIM à l’époque, avait créé en 2009 des groupes de réflexion internes
qui devaient contribuer à l’élaboration d’une nouvelle stratégie pour la société. Le groupe
travaillant sur le volet commercial est revenu avec une proposition assez audacieuse
consistant à réduire à quatre la gamme de produits - qui était de 12 à l’époque- et créer un
nouveau produit, baptisé « TZFC », qui devait être le produit phare de la Snim.
Les avantages de cette nouvelle approche sont très nombreux , mais on peut les résumer
ainsi :

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Les produits de la Snim sont pénalisés, à juste titre, en raison de la présence de certains
éléments pénalisants. Le constat est que, en les combinant en un seul « blend », leurs
défauts respectifs tendent à s’annuler. Par ailleurs, la gestion de 12 produits différents,
pour un volume total relativement réduit, présente des inconvénients majeurs, en termes
de logistique, de programmation, de qualité et de coûts opérationnels.

Mais la démarche parait incertaine aux yeux de beaucoup de collègues, voire irréaliste. Kane
Ousmane quant à lui voit tout de suite l’intérêt de l’idée et va la soutenir à fonds.

Il me reviendra, comme nouveau DSP – il se trouve aussi que j’étais l’animateur du groupe qui
était à l’origine de l’idée- de la mettre en place et c’était une tâche difficile. Les résultats vont
s’avérer au-delà de tous nos espoirs : ce produit va représenter 35% des ventes la première
année (2010) et 65% en 2012. Personne ne pouvait espérer un tel succès : les sidérurgistes
sont connus pour être conservateurs. Les gains pour la Snim sont énormes en termes de
volume et de profit.

3.3 Abandon du mécanisme de fixation des prix (Benchmark)

Le mécanisme de fixation des prix du minerai de fer à l’échelle mondiale était, depuis plusieurs
décennies et jusqu’en 2009, extrêmement simple : il reposait sur un accord entre deux
acteurs majeurs (un sidérurgiste et un mineur, pas toujours les mêmes) qui fixent le niveau du
prix du minerai à la fin de chaque année pour l’année suivante . Les autres acteurs s’alignent
sur cet accord en procédant à des réajustements à la marge qui prennent en compte l’effet
de l’évolution du fret maritime et éventuellement de la qualité des produits. Ce prix était
connu sous le nom de « Benchmark ».
Les avantages de ce système sont nombreux :
 La simplicité : le nombre d’intervenants est réduit
 La garantie de recettes, au moins à l’échelle de l’année, pour les mineurs et
de prix et volumes pour les sidérurgistes
 Le développement de relations de partenariat à long terme entre mineurs et
sidérurgistes.
Mais comme tout système, le Benchmark avait aussi ses détracteurs qui le qualifient
d’archaïque et qui l’accusait de ne pas refléter la réalité du marché (équilibre offre - demande).
Ces derniers ont fini par gagner la partie, en raison notamment de l’intervention de deux
acteurs majeurs : la Chine qui avait un appétit insatiable pour le minerai de fer et l’Inde, qui,
en tant que producteur voulait en profiter en installant un marché (SPOT) parallèle au
Benchmark. L’ écart entre les deux marchés devient très vite flagrant et il était très largement
à l’avantage du SOPT.

Le système fut officiellement enterré en Avril 2010 et remplacé par un nouveau mécanisme
de fixation de prix, basé sur un indice publié par le « Platts » reflétant les transactions Spot.

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La Snim, qui voyait les avantages qu’elle pouvait tirer de ce système, et surtout constatant
l’absence d’alternative crédible, a décidé de l’adopter à son tour. Mais nos clients chinois, et
surtout européens, ont fait bloc, refusant catégoriquement l’application du nouveau système.
La pression était trop forte, avec des menaces de rupture définitive, mais la fermeté de la DSP
et le soutien sans faille de l’ADG (Taleb) ont fini par convaincre les clients qu’il n’y avait pas
d’autre choix.
C’était une bataille très dure qui n’a été conclue que fin 2010, mais qui illustre bien les défis
auxquels un petit producteur comme la Snim pouvait faire face, surtout quand il traite avec
de grandes multinationales.
Mais le marché du minerai de fer était définitivement rentré dans une ère de volatilité où les
prix sont fixés au jour le jour, en fonction de l’équilibre instantané de l’offre et de la demande,
et les cycles économiques étaient devenus de plus en plus courts. Il fallait changer de fonds
en comble notre manière de travailler.

3.4 L’abandon de la commercialisation du minerai phosphoreux

La SNIM avait signé en Aout 2007 un grand trader chinois, Minmetals, un contrat de vente à
long terme d’un produit très particulier, le MHF : il avait une teneur de phosphore élevée et
était considéré invendable.
Le contrat, qui offrait à la Snim la possibilité d’exploiter l’un de ses gisements dont les réserves
éraient connues de longue date, prévoit la vente de 1.5 Mt par an pendant une durée de 7
ans. C’était considéré, à juste titre, comme un succès commercial , même si le prix était fixé ,
naturellement, avec une très forte décote, vu les spécifications particulières du produit en
question.
Avec la création du TZFC évoqué plus haut (cf. 3.2), je me rendais compte qu’on pouvait
incorporer ce produit dans le mélange, en supprimant entièrement la décote. Mieux,
l’incorporation de ce produit améliore très nettement d’autres caractéristiques pénalisantes
du TZFC.
Le problème est qu’on était lié au client par un contrat à long terme, qui ne viendra à
expiration que fin 2014. Mais la disparition du Benchmark (cf. 3.3) nous offre une porte de
sortie, car c’était lui qui devait servir de référence pour la fixation du prix. Nous pouvions donc
envisager la résiliation du contrat. J’en parle à Taleb Abdivall qui soutient la démarche et
j’engage les négociations dans ce sens avec le client.
Comme on s’y attendait, leur réaction a été brutale car le manque à gagner était colossal pour
eux. Ils contestent vigoureusement l’interprétation que nous avons du système de
détermination des prix et arguent qu’il suffisait d’appliquer le même discount au prix dérivé
du Spot.
Ils iront jusqu’à m’accuser personnellement de porter préjudice aux relations sino-
mauritaniennes et font même parvenir une lettre dans ce sens au gouvernement mauritanien
(Ministère des Affaires économiques et du Développement) . Nous répondons qu’il s’agit de
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relations commerciales entre deux sociétés et que les états n’étaient pas concernés. Nous
maintenons fermement nos positions et Minmetals finira par se rendre à l’évidence.
Encore une fois, la position ferme de la DSP et l’appui sans hésitation de la Direction Générale
ont produit des résultats tangibles. Le gain pour la Snim se chiffre en dizaines de millions de
dollars.

4. La nomination d’un nouvel ADG : Mohamed Abdellahi Oudaa

Les défis développés plus haut et les résultats obtenus pourraient apparaitre hors de propos,
mais si je les ai évoqués , c’est pour mettre en évidence l’importance de la fonction
commerciale pour une entreprise comme la Snim et la nature même des enjeux. Cela permet
aussi d’identifier ce que je considère comme les trois facteurs clés de succès de cette fonction:

 Stratégie claire de la DSP (Cf. 5.1)


 Soutien ferme de la direction générale
 Absence de toute ingérence extérieure pouvant polluer les relatons avec les clients
C’est aussi pour monter que le nouvel ADG, Oudaa, nommé en Mars 2011, va trouver devant
lui une situation assainie où l’essentiel des problèmes cruciaux étaient déjà réglés et la
conjoncture avait connu un redressement spectaculaire.
Au niveau personnel, je n’avais aucune animosité à son égard, même si je trouvais, comme la
plupart de mes collègues, que nommer quelqu’un qui avait quitté l’entreprise au grade de
chef de division, pour diriger une entreprise comme la Snim qui comptait des centaines de
cadres, n’était pas une décision évidente en soi.
J’avais moi-même effectué le test d’entrée de la Snim du candidat Oudaa, en tant que jeune
ingénieur, et toute sa carrière à la Snim s’est déroulée sous mon autorité directe ou indirecte
(échelon hiérarchique intermédiaire). Mais « l’exilé » que j’étais déjà ne pouvait prêter
véritablement attention à ce genre de détails.
Ce qui a caractérisé la carrière d’Oudaa au sein de la Snim c’est surtout son engagement
politique au sein des structures PRDS de Zouerate, avec leurs multiples tiraillements et conflits
internes, et cela était en rupture avec les pratiques au sein de la Snim où les cadres étaient
invités à s’éloigner de la politique. Cela lui avait valu, avec trois autres collègues -oui, ils
n’étaient que quatre !- un rappel à l’ordre ferme de l’ADG de l’époque, Heyine, leur intimant
l’ordre de « choisir entre la Snim et la Politique ».
Les premiers mois suivant sa nomination se déroulent sans accroc. Je lui organise et
l’accompagne durant la tournée habituelle des clients : Europe, Japon , Singapour. Le fait qu’il
ne parlait pas Anglais ne facilitait pas beaucoup les échanges avec les clients.
En revanche, des divergences vont apparaitre assez vite et elles mettent en évidence deux
conceptions diamétralement opposées :

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 La mienne s’inscrit dans une longue tradition que je m’étais toujours imposée depuis
mes premiers jours à la Snim, et qui était en fait celle de la Snim en général. Je dois
souligner ici qu’avec tous les directeurs que j’avais connus avant Oudaa, 6 au total, je
n’avais jamais senti la moindre pression pour aller dans un sens contraire à ces
principes.
 La sienne semblait considérer que les instructions venant d’en haut devaient primer
sur tout le reste. Point !
Deux dossiers en particulier vont cristalliser cette divergence de points de vue:
 L’introduction de nouveaux clients à la Snim
 Le recrutement de Ould M’sabou, gendre du Président Aziz, à la DSP

5. La volonté d’introduction de nouveaux clients

La stratégie de la DSP en matière de sélection des clients n’a jamais varié sur deux points :
 Pas d’intermédiaires
 On ne traite qu’avec les usines ou les grands traders.

Il est vrai que la situation du marché qui était limité à la seule Europe, et avec des prix très
faibles, laissait peu de place aux intermédiaires. Cette situation va changer avec la montée en
puissance de la Chine et l’augmentation fulgurante du minerai de fer à partir de 2005.
A titre d’exemple, le chiffre d’affaire réalisé au cours de la période 2010-2013 (4 ans) dépasse
de 30% le cumul réalisé au cours de toute la décennie 2000 – 2009. Cette manne tombée du
ciel va aiguiser l’appétit de beaucoup.
Si l’intérêt des intermédiaires pour le marché du minerai de fer Snim n’a pas commencé avec
Oudaa, c’est tout de même avec lui qu’on voyait pour la première fois un ADG s’impliquer
directement et ouvertement dans ce processus.
Au cours de l’année 2010, j’ai dû recevoir un certain nombre d’intermédiaires exprimant leur
vif intérêt pour le sujet et me demandant de leur faciliter la tâche. Je répondais à chaque fois
que cela était contraire à la stratégie et à la pratique Snim et, généralement, ils n’insistaient
pas, et surtout je ne recevais aucun signal de l’ADG de l’époque m’incitant à leur accorder des
dérogations dans ce sens.
Cela va changer rapidement à partir de 2011 !

5.1 La stratégie commerciale

Le document de stratégie commerciale de la DSP formule les principaux axes de cette stratégie
et notamment le volet relatif au choix des clients qui stipule ce qui suit :

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En somme :

 La porte est ouverte à toutes les usines quelles que soient leur taille ou position
géographique. Cela s’explique par le fait qu’il s’agit de l’utilisateur final avec lequel on
pourrait développer des relations à long terme. Il pourrait ainsi adapter et optimiser
son Process afin d’intégrer nos produits dans son Blend ;

 Interdiction absolue de travailler avec les intermédiaires : N’ayant pas de réelle valeur
ajoutée, ceux-ci vont souvent recourir à des moyens détournés afin d’obtenir des
informations commerciales sensibles, par le biais de certains maillons du circuit, et
vont polluer la relation avec le client final en lui faisant croire qu’ils ont le pouvoir
d’influencer les décisions.

 Le nombre de traders doit être limité et on ne doit travailler qu’avec les principaux, et
uniquement en dehors du marché européen. Certains pourraient se demander
pourquoi cette restriction. Les raisons sont les suivantes :
 La valeur d’une seule cargaison de minerai de fer pouvait dépasser les 20 M$.
Il est par conséquent illogique de réaliser ce type de transactions avec des
sociétés dont le chiffre d’affaires est du même ordre de grandeur ;
 Même en vendant le produit à un trader, il demeure porteur du « label Snim »
et toute erreur dans sa gestion se répercutera sur la réputation du produit et
de la société;

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 L’objectif est de développer des relations à long terme et il cela ne peut se faire
qu’avec des entreprises pouvant apporter de la valeur ajoutée : solides ,
viables, ayant une présence effective et étendue dans la zone géographique
concernée ;
 Les grands traders parviennent, grâce à l’effet volume, à obtenir des taux de
fret maritime très compétitifs , et le fret est devenue une composante
essentielle de la tarification du minerai de fer ;
 Le trader doit posséder les compétences techniques nécessaires afin de
promouvoir les produits et traiter les différentes réclamations relatives à sa
qualité. Ce n’est pas le cas de ces petits traders qui n’ont ni l’expertise ni les
structures techniques;
 Les grands traders offraient à leur clients - les usines - des services
financiers (termes et modalités de paiement) que ni la Snim ni les petits traders
ne seraient en mesure de fournir ;
 Les petits traders ont souvent une approche « opportuniste » : ils apparaissent
généralement quand la conjoncture est bonne et la demande forte et
disparaissent en période de basse conjoncture, c’est-à-dire précisément quand
on a besoin d’eux ;
 Très souvent, derrière eux, se cachent des intermédiaires, et comme on le
verra dans la suite de ce rapport, certains ne se cachaient même pas.

Concernant le passage par les traders, il convient de souligner que cette pratique est
nouvelle pour la Snim : elle date de 2006 et était motivée par l’émergence du marché
chinois où le recours aux traders est quasiment incontournable. En effet, la plupart des
usines chinoises – il y en a des milliers- ne sont pas en mesure de gérer des contrats
internationaux ni d’organiser le fret maritime et ils n’ont souvent tout simplement pas
d’autorisation d’importation. Certains traders ne sont d’ailleurs que des grandes
sociétés d’Etat (SOE).
Les grandes lignes de la stratégie commerciale avaient été présentées au Conseil
d’Administration de la Snim qui les a approuvées lors d’une cession tenue au mois de Mars
2010. Une version plus détaillée a été élaborée en Avril 2012.
La formulation d’une telle stratégie, claire et pas contestée (cf. 5.2.6), n’était visiblement pas
suffisant pour endiguer la pression qui ne cessait de monter au fur et à mesure de
l’augmentation du chiffre d’affaires de la Snim.

5.2 La montée de pression

Il serait long de revenir sur tous les cas, mais j’en citerai quelques-uns qui permettront, je
l’espère, d’illustrer le climat d’interventionnisme et de pression qui régnait au cours de la
période 2011 – 2013. Je ne citerai pas les messages directs ou indirects transmis par certains
intermédiaires me mettant en garde contre une approche trop « rigide », qui risque de me
mettre en porte à faux par rapport à tout le monde.

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Contrairement à la pratique et aux procédures habituelles de la Snim en la matière, on voit
apparaitre des dossiers venant directement de la Direction Générale, et qui demandaient à
être enregistrés en tant que clients de la Snim. Ils ont la particularité de ne pas répondre à nos
critères, et surtout, l’ADG ne se contentait plus de nous les transmettre , mais il ne cessait de
nous relancer à leur sujet.

5.2.1 Les « opportunités » offertes par des baisses apparentes des programmes

L’ADG profitait souvent des baisses apparentes sur certains programmes mensuels – tout à
fait habituel, vu la volatilité du marché - pour pousser vers l’introduction de ces candidats,
sous prétexte de « l’élargissement » de la base clients ; un principe sur lequel nous étions tout
à fait d’accord, pourvu que :

(i) Cela ne soit pas avec n’importe qui, et


(ii) Qu’on n’aboutisse pas à une trop grande fragmentation de la clientèle qui fait
que nous deviendrions insignifiants pour chacun d’être eux.

En d’autres termes, on devait être guidé par les lignes stratégiques énumérées plus haut.

L’échange d’email ci-dessous montre un exemple de ces « opportunités » que l’ADG aimait
bien saisir pour pousser vers l’introduction de ceux bénéficiant de recommandations ou
d’appuis en haut lieu.

Ayant tout à fait saisi le sens du message : « C’est le moment de penser à mes dossiers », je
lui réponds ceci.

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Il était clair qu’on n’avait pas la même compréhension du mot « élargissement » .

Il faut d’ailleurs souligner, et c’est important, qu’en matière d’élargissement de la base clients,
ou de diversification, on n’était pas restés les bras croisés, et ce alors même que le niveau de
production était resté quasiment le même.

C’est ainsi qu’on avait réussi à signer en 2012 deux contrats de long terme et directement avec
deux parmi le TOP5 des sidérurgistes chinois : Shougang et Wuhan, et ce sans compter
Hangzou dont on parlera du cas dans la suite de ce rapport (Cf.5.2.4). On avait aussi réussi à
signer des contrats avec les deux premiers sidérurgistes japonais, y compris le plus grand
d’entre eux (Nippon Steel) et en Europe, on poussait très fort pour conclure avec Voest Alpine
(Autriche) ou Erdemir (Turquie) pour ne citer que ces quelques exemples.

Mais ce n’était certainement pas le genre d’ « élargissement » qui nous était demandé.

5.2.2 L’intermédiaire anglais de Nouakchott

La lettre d’introduction des sociétés « Commodities Trading » et « Liberty » nous a été


transmise par l’ADG, le 23/02/2012. Les deux sociétés ont été introduites par un certain Pieter
Tesch, qui se définit comme étant « European Director, Industrie de Peche & Représentation
(IPR), Nouakchott, Islamic Republic of Mauritania ». Il n’avait donc , à priori, rien à voir avec le
minerai de fer ! Selon sa propre version, son principal atout était que lui et ses associés avaient
été à l’origine de la première visite en Mauritanie , en octobre 2011, du ministre des affaires
étrangères britannique, William Hague, accompagné par une délégation parlementaire. Il
attendait visiblement quelque chose en retour.

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Ce monsieur se positionnait clairement comme intermédiaire basé à Nouakchott, alors que
son activité n’avait rien à voir avec le minerai de fer, et que les intermédiaires ne sont pas les
bienvenus chez nous.
Comme lui et ses partenaires ne présentaient clairement pas d’intérêt pour la SNIM et qu’ils
ne répondaient pas à nos critères de sélection (cf. 5.1) , je leur ai expliqué lors d’une rencontre
dans nos bureaux à Paris que le programme de l’année 2012 est déjà clôturé, manière de les
évacuer en douceur. Mais cette réponse ne les satisfaisait visiblement pas.
Ils évoquent la possibilité de vendre à un client en Angleterre, et je leur réponds qu’avec les
clients européens, les ventes ne se font que de manière directe : nous ne passons pas par les
traders et encore moins par les intermédiaires.

Pieter Tech, après avoir visiblement rendu compte à l’ADG, est revenu avec un message
commençant par (« I understand that there is an opportunity to start working together », soit
traduit en Français : « je comprends qu’il y a une nouvelle opportunité de commencer à
travailler ensemble »), qui laissait clairement entendre qu’ils ont reçu des engagements à des
niveaux supérieurs.

L’attitude de Pieter Tesch, qui voulait représenter les deux sociétés , mais sans que l’une soit
au courant de l’existence de l’autre, a fini par créer une confusion dans nos esprits, ce qui nous
a amenés à interroger « Liberty » sur les liens avec « Commodities ». Ils ont répondu
« Aucun !». Mais ils ont dû comprendre le double jeu de Pieter Tesch et celui-ci se plaindra
plus tard auprès de l’ADG de notre demande de clarification. Mais son jeu sera réellement
démasqué lors d’une réunion tenue dans nos bureaux à Paris et à laquelle les a conviés l’ADG
de passage à Paris, sans nous en informer au préalable.

Pieter Tesh devait arranger les réunions de manière à ce que les deux sociétés ne se
rencontrent pas, mais Harry Bhikha, le DG de Commodoties a été trop bavard et la délégation
de Liberty va surprendre Pieter Tesch en pleine réunion de promotion d’un concurrent
potentiel, ce qui les a manifestement surpris.

Par ailleurs, au cours de la réunion, Harry Bhikha, s’était montré très arrogant à notre égard,
expliquant qu’on ne répondait jamais à ses emails, qu’on n’est pas sérieux et qu’on lui faisait
perdre son temps.

Je lui ai demandé : « Votre nom, c’est bien H. Bhikha ? », il répond : « Oui ». Je lui tends alors
une copie imprimée de tous les échanges emails, avec des réponses précises, fournies
quasiment en temps réel. Embarrassé, mais toujours aussi sûr de lui – ou plutôt de ses
soutiens, il reprend son discours agressif, en disant : « Il faut conclure vite ! Je n’ai pas de
temps à perdre ! ». Je me retourne vers l’ADG, en lui faisant remarquer en Hassanya, qu’une
telle attitude n’était pas acceptable et qu’on ne pouvait pas accepter de nous faire insulter
ainsi. Aucune réaction de sa part, Il avait visiblement d’autres soucis plus importants que la
dignité des responsables SNIM !

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C’est alors que j’interrogeais Bhikha sur ses références dans le domaine du minerai de fer. Il
me répond « Nous sommes dans les boissons alcoolisées ! ». Visiblement, la réponse n’avait
pas non plus choqué l’ADG !

« LIBERTY », qui a un peu plus d’expérience dans le domaine, ayant constaté le jeu ridicule
auquel se livrait Pieter Tiesh a décidé d’adopter une position plus professionnelle et a continué
à discuter avec nous, sur des bases plus transparentes. Il n’y aura cependant pas d’accord avec
eux, du moins jusqu’à mon départ.

5.2.3 Le cas Duferco

Duferco était un client habituel de la SNIM, basé en Europe, qui avait cessé ses activités
industrielles depuis quelques années mais avec lequel on maintenait des contacts réguliers et
courtois. J’ai cependant eu la surprise de recevoir une lettre de ce client, transmise par l’ADG
de la Snim, proposant une collaboration dans le domaine du trading.
Intrigué, J’appelle pour confirmer réception de la lettre et nous convenons d’une réunion à
PARIS, réunion qui aura lieu dans bureaux (je n’ai pas la date exacte de la réunion), suivie d’un
déjeuner.
A l’issue du déjeuner et au cours d’une discussion informelle sur le chemin du retour aux
bureaux, je les interroge sur les raisons du passage par notre siège, contrairement à la pratique
habituelle entre nous. La réponse fut évasive et embarrassée.
Je reçois pourtant la bonne réponse un peu plus tard au cours d’un déplacement en
Mauritanie. Un notable bien connu m’appelle sur mon portable et me demande de lui
accorder un entretien. On convient d’un rendez-vous et il vient me voir à l’hôtel.
Il m’indique avoir sollicité le Président pour s’introduire dans le minerai de fer et que ce
dernier a donné des instructions en ce sens à l’ADG de la Snim. Il me confirme aussi avoir
obtenu le feu vert de ce dernier , mais que les choses n’avancent pas en raison du blocage
dont je serais l’origine. Il m’indique même le montant de la commission qui lui est promise par
Duferco (3 $/t). Tout ne dépend désormais que de moi, et il serait presque criminel de le priver
d’une telle manne, qui, de surcroit, ne devait rien couter à la SNIM !
Réponse habituelle de ma part , avec un refus courtois mais ferme. Je précise que les traders
eux-mêmes ne gagnent pas autant d’argent et qu’il s’agit certainement d’une méprise.
Plus tard, l’ADG me reprochera ma réaction vis-à-vis de Duferco, quant aux raisons qui les
avaient poussés à passer par la direction générale. Je lui réponds que c’est tout simplement
parce que la démarche est inhabituelle.
Il en profite pour ajouter que toutes les personnes qu’ils m’envoient se plaignent du fait de
ne pas être bien traitées. Dans leur esprit, cela voulait certainement dire qu’ils ne partaient
pas avec des contrats signés.

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5.2.4 Le cas du contrat Hangzhou (sidérurgiste chinois)

L’email ci-dessous reçu le 28/04/2013 est certainement l’un des plus désagréable que je n’ai
jamais reçus durant toute ma carrière à la Snim. Mais pour le comprendre, il faut bien
connaitre le contexte.
Le DG reçoit pour signature un contrat avec un client chinois, selon l’usage qui veut que tous
les contrats commerciaux quel que soit le montant soient signés par l’ADG. Mais n’ayant pas
reconnu le nom de la société en question, Il était visiblement convaincu qu’il détenait là une
preuve contre moi : un contrat négocié et finalisé sans qu’il en soit informé. Il s’empresse donc
de rédiger un message rapide avec un ton accusateur et l’annonce du lancement d’une
enquête qu’il va mener lui-même sur le sujet !!!
Il m’ordonne de lui envoyer toutes les informations sur ce client. Me voilà donc piégé ! Je ne
pourrais plus jamais après ça lui refuser une demande !
Il convient de souligner dans cet email, l’intérêt soudain de l’ADG pour le profil des clients :
« Classement, quantité totale de fer achetée annuellement, chiffre d’affaire, etc. » !!!!!! Avait-
il posé ces mêmes questions dans les cas de Commodities, Liberty , Pson, et tous les autres ?
Certainement pas !

Je lui réponds aussitôt par un laconique message : « Il s’agit du contrat Hangzhou », qui traduit
tout mon agacement et ma frustration.

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Dans sa précipitation, le DG avait tout simplement oublié qu’il s’agit d’un sidérurgiste chinois
à qui nous avions déjà vendu une cargaison en Décembre 2012 et avec lequel on était en
négociation depuis pour un contrat long terme. L’ADG avait surtout oublié qu’il était consulté
et tenu au courant par email et téléphone de manière régulière de toute l’évolution de ce
dossier , y compris dans un rapport de mission détaillé, qui lui avait été transmis le 5/12/2012.
Il avait aussi oublié que ce sidérurgiste - une cible prioritaire pour nous- était le premier, avec
CARGILL, à accepter de nous acheter le XFC -un nouveau produit très pauvre que j’avais
proposée d’introduire en 2012 afin de liquider des stocks morts au Port et booster le
programme de ventes- et qui se vendait très difficilement, étant complétement en dehors des
standards du marché.
Et contrairement à ce qu’il prétend dans son Email, les conditions obtenues étaient meilleures
que celles de CARGILL, auquel il fait allusion et qui était le premier client à avoir accepté l’achat
de ce produit. En plus, s’agissant d’une usine et non d’un trader, l’intérêt de les avoir dans
notre portefeuille pouvait tout à fait justifier de leur accorder de meilleures conditions.
Plus tard, lors de mon passage à Nouadhibou, il signera le contrat devant moi et me le
remettra sans aucun commentaire, mais, j’imagine, avec la déception de celui qui voyait tout
le scénario sur lequel il avait misé s’écrouler en quelques minutes.

5.2.5 Le cas Pson ou la goutte qui a fait déborder le vase

J’ai reçu une lettre de l’ADG transmettant un courrier d’une société dénommée PSON datant
du 7/12/2012. Après enquête, je découvre que la société ne correspondait pas à nos critères.
Je leur envoie un Email le 17/1/2013, avec copie à l’ADG, en leur indiquant que la production
de 2013 est déjà vendue dans le cadre de nos contrats à long terme. Je mentionne dans l’Email
que notre programme d’augmentation de capacité prévoit une montée en production
substantielle à partir de 2014 et que nous reprendrions contact avec aux en fin 2013.
Nouvelle relance de leur part, transmise par le DG, le 29/01/2013, et nouvelle réponse de ma
part le même jour, en leur demandant de reprendre contact avec nous au 3ème trimestre 2013.

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Suite à cette réponse, l’ADG m’envoie un email , m’indiquant qu’il faut, malgré tout, les
convoquer à la DSP et entamer les négociations du contrat avec eux. Voir échanges ci-dessous.

Voyant, qu’il n’avait pas bien senti le sens de mes messages, un refus poli de traiter avec eux,
je lui réponds que j’aimerais que nous en discutions tout d’abord, et de vive voix, lors d’une
réunion à Paris ou en Mauritanie. En fait, je voulais crever l’abcès une fois pour toute afin de
mettre fin à flot ininterrompu de demandes.

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En dehors du fait que, comme expliqué dans un mail précédent que je lui avais envoyé, PSON
ne correspond absolument pas à nos critères (petit trader avec un volume dérisoire et un
chiffre d’affaire très faible), ce genre de changement subit de position discrédite la DSP et
affaiblit sa position de négociateur.

Réponse du DG :« OK »

Arrivé à Nouadhibou, pour participer à la réunion de Directeurs du mois de Mai 2013, l’ADG
me convoque dans son bureau, me remet ma PSR (Prime Pour Services Rendus) annuelle, en
précisant que c’était la « la meilleure PSR de toute la SNIM ». Je n’ai pas vérifié, mais cela doit
être facilement vérifiable.
Je fais exprès de ne pas évoquer le cas PSON, mais il en prend l’initiative, en me demandant
au moment où je m’apprêtais à quitter son bureau : « Au fait, où en êtes-vous avec le dossier
PSON » ?
Je lui réponds en substance ceci :
« J’ai préféré vous en parler directement. Tu es probablement soumis à une
forte pression pour finaliser ce dossier. Ce qu’on peut faire dans pareilles
situations, afin d’alléger la pression, c’est recevoir les sociétés concernées,
avec toute la courtoisie nécessaire, leur expliquer nos procédures et s’il le
faut trouver des prétextes (programme chargé, engagements ultérieurs,
etc.) pour leur donner des rendez-vous lointains afin de gagner du temps.
En revanche, si l’objectif est de signer des contrats avec eux, je ne pourrai
pas le faire. »

J’ajoute ceci, pour être encore plus clair : « A titre personnel, il me parait aussi
inopportun d’introduire les intermédiaires dans le circuit Commercial de la Snim».

Il y avait une réaction d’agacement perceptible de sa part au moment où je prononçais le mot


« intermédiaires » . « Quels intermédiaires ? » me disait-il ? Je ne les connaissais pas, mais il
n’y avait pas besoin de beaucoup d’efforts pour se rendre compte que derrière PSON se
cachait un intermédiaire. Sinon, comment expliquer un si grand intérêt pour une petite société
inconnue dans le domaine ?
Rien dans ce discours n’était fait visiblement pour plaire à l’ADG, mais je tenais à ce que la
situation soit clarifiée une fois pour toute.
Mon limogeage interviendra quelques jours plus tard.

5.2.6 La tentative de mise sous tutelle de la DSP en utilisant les consultants

C’est un cas un peu à part, mais qui me semble tout aussi révélateur . L’ADG avait engagé les
services d’un cabinet de Conseil international qui avait pour mission d’élaborer une nouvelle
stratégie pour la Snim. Tout à fait normal.

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La DSP, comme toutes les autres directions de la SNIM, avait joué le jeu, même s’il nous est
apparu très vite que les consultants ne connaissaient rien au commerce du minerai de fer.
Mes collègues et moi, avions tout mis en œuvre pour les initier aux métiers de marketing,
pricing et ventes de minerai de fer.
Le Consultant a élaboré un programme baptisé « Nouhoudh » , qui devait amener la
production de la Snim à 40 Mt/an en 2025 et la hisser au « TOP5 » des sociétés de production
de minerai de fer !!!
J’ai été en désaccord avec eux sur certains points concernant la stratégie globale et
notamment cet objectif de « TOP5 » qui me paraissait tout simplement ridicule !

La DSP a été la seule structure où ils n’ont rien modifié à la stratégie que nous avions élaborée,
y compris, et c’est important, son volet relatif à la sélection des clients, volet qui constitue le
principal point de divergence avec l’ADG . Ils ont aussi reconduit le Plan d’Action à la virgule
près, jugeant qu’il était clair et cohérent.
L’attitude des consultants était pour la plupart correcte et professionnelle, mais le chef de
mission (AZ) , réputé très proche de l’ADG se montrait de plus en plus arrogant et sûr de lui.
A la fin de la première mission d’élaboration de la stratégie, ils vont , comme c’est souvent la
pratique en la matière, se transformer en machine à générer les avenants. Et cette fois-ci ,
aucune structure ne devait leur échapper. A ceux qui évoquent des contraintes budgétaires,
ils répondaient : « le budget n’est pas un problème !!!».
A la DSP, la première cible a été identifiée, il s’agit de la valeur d’usage (ou VIU) ; cette idée
vieille qu’il faudra réchauffer et qui allait transformer le fer de la SNIM en Or. Mais en
l’occurrence, l’intérêt immédiat était de générer du cash pour le Consultant.
Ils nous demandent une première réunion, qui se déroule dans nos bureaux et qui se passe
plutôt bien. Nous tombons tous d’accord sur l’intérêt d’explorer l’idée, qui figurait déjà sur
notre Plan d’action, mais aussi sur ses limites (n’étant pas reconnue par le marché).
Plus tard, une seconde réunion est programmée avec eux sur le même thème, avec différents
intervenants par Visioconférence . Cela se passe dans leurs bureaux de Paris, et on apprend à
la dernière minute que l’ADG lui-même va y assister. Deux de mes collègues assisteront
également à cette réunion. La réunion se passe plutôt bien, mais une fois la visioconférence
débranchée, AZ reprend la parole pour nous dire qu’on doit signer avec eux et tout de suite !
L’ADG , qui en avait manifestement discuté avec lui, abonde dans le même sens.
Je réitère ma position, sur laquelle il y avait d’ailleurs eu accord avec leur équipe : La « Value
In Use » est un outil de Marketing, pas plus. Elle n’est pas reconnue en tant qu’outil de pricing.
Le chef de mission (AZ) conteste, je le renvoie alors à l’exposé de son expert chinois, et en
projetant à nouveau sa présentation devant tout le monde, l’ADG est obligé d’acquiescer .
Dans sa précipitation, AZ avait oublié de coordonner avec ses experts ! Pas assez pour le
décourager, il tient à avoir son contrat.
Il me répond « C’est vrai, que la VIU n’est pas reconnue par le marché, mais il faut éduquer les
chinois ! » . Excédé par le coté ridicule de sa proposition, je lui réponds : « L’éducation des
chinois n’est pas un Job pour moi, si toi tu veux le faire, tu n’as qu’à y aller ». J’ajoute que ce

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que ce que les BIG4 (VALE , RIO , BHP et FMG), avec des centaines de Millions de tonnes de
fer vendues en Chine, et des bureaux partout, n’avaient pas réussi à faire, l’équipe
commerciale SNIM , composée de 3 personnes, et sans représentation en Chine, ne pourrait
évidemment pas le réaliser. Notre volume vendu, de l’ordre de 1% du marché global, ne nous
permet pas de peser sur des choix aussi importants. D’autant plus qu’il est loin d’être évident
que ce serait en notre faveur, car nous avons une silice trop élevée, et nous étions justement
sous pression de la part des clients pour intégrer une forte pénalité silice, qui, elle était déjà
intégrée par le marché. L’impact sur les prix Snim aurait été catastrophique.
J’ajoute qu’en ce qui nous concerne, nous avons placé la barre des prix à un niveau tel que
nos deux principaux clients (un chinois et un européen) ont très fortement réduit leurs
élèvements chez nous , trouvant que nos produits n’étaient plus compétitifs. On peut donc
légitimement nous reprocher d’avoir un peu trop tirer sur la ficelle, pas l’inverse. Il répond
« Ils font peut-être du Bluff ». Je lui rétorque que la SNIM ne traite qu’avec des gens sérieux
et qu’il pourra le vérifier en consultant la liste de nos clients. On ne traite pas avec des
spéculateurs. Le message ne s’adressait pas qu’à lui.
Sur ce, la réunion se termine dans un climat extrêmement tendu et avec un ADG plus que
jamais absent. Le lendemain AZ viendra me voir au bureau pour s’excuser . L’affaire est close.
Il faudra souligner que le recours à certains consultants « dociles » est une pratique courante
à laquelle certains dirigeants ont souvent recours pour faire passer des mesures qu’ils
n’avaient pas réussi à imposer eux-mêmes.

6. La tentative de recrutement à la DSP de Mohamed Ould Msabou

Mohamed Ould M’sabou , gendre du Président Aziz, a été recruté à la Snim en Février 2013
comme cadre à la Direction Financière à Nouadhibou, alors qu’il n’avait pas encore terminé
ses études : il serait titulaire d’un Master1 en Finances.

Je ne m’étalerai pas sur cet épisode dans lequel je n’étais pas directement impliqué. Je sais
seulement que la procédure « Express » de recrutement, en violation directe des règlements
et des pratiques de la société – ni annonce de recrutement, ni sélection – avait suscité un
mécontentement général du personnel de la Snim, peu habitué à ce genre de procédures
dérogatoires.
La direction générale de la Snim et le Pouvoir en place ont fait peu de cas des protestations
que ce recrutement a suscité. Au contraire, ils avaient décidé de franchir un pas de plus dans
un processus visiblement arrêté à l’avance, en décidant d’envoyer M’sabou « en mission » à
la DSP, et ce avant même la fin de son « stage d’intégration » de 6 mois, et , bien entendu,
avant la fin de « la période d’essai » conventionnelle de 6 mois auxquels tous les cadres
nouvellement recrutés sont normalement assujettis. Du jamais vu à la Snim !

A son arrivée à la DSP, je l’avais confié à l’un des cadres de la Direction, Hafedh Yahya, en lui
donnant pour instruction de le traiter convenablement, de limiter ses contacts à son niveau

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et surtout de ne lui donner accès à aucune information confidentielle, les informations
commerciales étant très sensibles et devant rester confidentielles.

Mais le « stage » n’était en fait qu’une préparation à l’intégration au sein de la DSP, et l’ADG
(Oudaa) ne va pas tarder à me demander clairement d’entamer la procédure de recrutement :
« Tu dois nous aider à trouver une solution au cas M’sabou ». Je lui réponds que son
recrutement à Paris est impossible et ce pour plusieurs raisons:

A. La DSP venait tout juste de mettre en place un plan social qui avait conduit au
licenciement économique du tiers de son effectif. Ce plan était motivé par la
délocalisation partielle des activités en Chine, qui représente désormais le marché
le plus important pour la Snim. En effet, la stratégie commerciale, validée par le
Conseil d’Administration de la Snim, prévoyait l’ouverture d’un bureau commercial
en Chine , avec, de manière concomitante, une réduction des effectifs de la DSP à
Paris. L’objectif de ce rééquilibrage était de maintenir les coûts de la Direction
Commerciale à un niveau acceptable.

B. Il était illogique de présenter à la Direction du Travail à Paris un plan de


licenciement économique argumenté et structuré, et, quelques mois plus tard, leur
demander le recrutement d’un cadre mauritanien, sur un poste qui n’avait jamais
été mentionné dans le plan social.

C. Même en admettant que ce recrutement était nécessaire, le droit du travail


français donne clairement la priorité, en cas d’ouverture de poste, employés
récemment licenciés.

D. Les salariés licenciés avaient contesté le motif de licenciement auprès des


Prud’hommes et cette démarche de recrutement leur donnerait un argument
décisif qui leur permettrait aisément de justifier auprès des tribunaux le caractère
abusif du licenciement, comme ils le prétendaient.

E. Le recrutement d’un expatrié doit être motivé auprès de la Direction du Travail : Il


faut démontrer en particulier que le profil demandé n’existe pas en France. Je lui
cite mon cas où on m’avait demandé mes diplômes et mon expérience
professionnelle avant de valider mon recrutement à Paris. Dans le cas de Ould
Msabou, titulaire d’un Master1 en Finances et sans aucune expérience, cette
démarche serait vaine .

Ces arguments, pourtant clairs et précis, ne semblaient pas avoir convaincu l’ADG, mis
visiblement sous une très forte pression. En effet, peu de temps après, il revient à la charge
en expliquant qu’il devenait urgent de trouver une solution au cas M’sabou, et qu’il fallait
envoyer sans tarder le dossier de demande de recrutement à la Direction du travail.
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J’explique à nouveau que cette démarche n’avait aucune chance d’aboutir et qu’elle aura en
revanche un effet immédiat : La DSP se fera condamner dans tous les procès en cours, car
cette cela démolissait tout l’argumentaire que nous avions avancé depuis plus de deux ans, et
qui nous a permis de faire passer le plan social.

Je lui indique aussi que, indépendamment de tout ce qui précédé, cette affaire porte préjudice
à la réputation de la Snim et elle ne manquera pas d’éclabousser le Président de la république
lui-même, et que son devoir, en tant que soutien du Président est de le lui dire. A l’époque, je
pensais que la demande émanait de l’entourage du Président et que lui-même n’en était pas
nécessairement informé. Il est vrai que dans toute ma carrière à la Snim je n’avais jamais vu
un Président intervenir de manière aussi flagrante dans les dossiers de la Snim. Il me rétorque
qu’il y a toujours eu des dérogations et en cite deux. Je lui explique que les deux cas cités
n’étaient en rien comparables au cas M’sabou et il semblait l’admettre.

A l’issue de cette longue discussion, l’ADG ne paraissait pas sensible à mes arguments et insiste
sur l’envoi de la demande d’embauche à la Direction du Travail, laissant entendre que :

(i) il y aurait des interventions qui permettraient d’obtenir l’accord de la Direction du Travail
(ii) Il vaut mieux que le refus -si refus il y avait- vienne de la Direction du Travail.

Ma position était restée inchangée. Ayant constaté mon refus catégorique d’engager une
procédure portant préjudice à la Snim, il me demande si je pouvais expliquer cela à M’sabou.
Je réponds « Bien sûr !», et j’ajoute qu’on pourrait aussi s’appuyer sur l’avis de notre avocat à
Paris auquel on pourrait demander un avis juridique sur la question . Il accepte et je prends
aussitôt contact avec notre avocat, Maitre Mouchon, à qui j’explique, avec une gêne
apparente -ce sont des comportements de République bananière- les dessous de l’affaire et
lui demande de formuler son avis par écrit. Quelques jours plus tard, je reçois une note
détaillée de notre avocat, expliquant ce que je savais déjà, mais en termes plus juridiques. Je
la transmets aussitôt à l’ADG.

Visiblement, il avait déjà pris des engagements fermes et irréversibles. Indépendamment de


la pertinence des actions, de leur efficacité ou des impacts qu’elles auraient sur l’entreprise
(coût et dégradation de l’image), son seul souci semblait être d’apporter la preuve en haut
lieu que les instructions avaient été exécutées avec la célérité requise.

Il était devenu clair que je n’étais pas la personne qu’il fallait pour traiter ce genre de dossiers
et qu’il fallait sans doute nommer à ce poste une personne plus « flexible ». Au-delà du
recrutement même de Msabou et des avantages qu’il pouvait en tirer, l’objectif était sans
doute aussi de lui faire jouer un rôle important au sein de la DSP (accès aux informations
commerciales sensibles, inflexion de certaines décisions, etc.) et cela ne sera certainement
pas possible avec moi.

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L’intéressé sera recruté à la DSP quelques mois après mon départ et je me pose toujours la
question de savoir comment il a pu franchir ce filtre de « compétences spécifiques » pouvant
justifier son recrutement en France, alors que les Masters en Finance ne faisaient pas partie
des métiers où le pays manquait de compétences ? ! Serait-ce la main invisible à laquelle l’ADG
faisait déjà allusion ?

7. Ma démission de la Snim

Peu de temps après mon retour de cette mission à Nouadhibou (et la rencontre houleuse avec
l’ADG dans son bureau au sujet de PSON (cf.5.2.5) , et le blocage au sujet du recrutement de
M’sabou décrit lus haut, je reçois un appel de la part de l’ADG sur mon portable m’informant,
avec une gêne palpable, qu’il a décidé d’une nouvelle « réorganisation » de la DSP et que dans
ce cadre j’étais nommé « Conseiller du DG » à Nouadhibou. Le chef de Division Marketing,
Moulaye Jelledi, devait me remplacer en tant que DSP.

Je lui réponds en Hassanya : « Viha kheir, Inchaallah » et la communication s’arrête là. Elle
n’aura duré que quelques secondes.

Peu de temps après le DRH m’appelle pour me dire, étonné, que l’ADG l’avait contacté et qu’il
est très pressé pour qu’on lui amène les notes de nomination afin de les signer. Les notes
sortiront le lendemain : 26/06/2013.

J’appelle Taleb Abdivall, Ministre des Mines et de l’Energie, et lui demande s’il était au courant
de cette décision. Il était très surpris, n’ayant visiblement pas été informé au préalable. Je lui
demande de vérifier si Aziz était courant et il m’appelle quelques instants après pour me
confirmer qu’il l’était.

C’était l’information que j’attendais pour prendre ma décision de démissionner de la Snim, ne


pouvant accepter d’être placé entre quatre murs, sans rien faire, sauf peut-etre à servir
d’exemple pour tous ceux qui auraient la tentation de contester les décisions prises par Aziz /
Oudaa.

Ne voulant pas partir sans envoyer un message au personnel d’une société où j’avais passé
toute ma carrière professionnelle, j’envoie par Email une lettre à l’ensemble du personnel de
la société, du moins ceux qui avaient une adresse Email. La lettre n’explique pas les raisons de
mon départ, mais l’explication avancée par tous était que cette sanction était liée au cas
M’sabou, ignorant le deuxième volet -l’ingérence commerciale- qui était sans doute peu
connu du public.

Cette démission a eu pour effet de mettre en lumière un cas de népotisme flagrant, entrainant
une réprobation quasi-unanime du personnel de la Snim, de la Presse, de la société civile, etc.

La médiatisation provient aussi du fait que les démissions ne sont pas très courantes dans
notre pays, et que Aziz avait la réputation d’utiliser des moyens de pression contre tous ceux

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qui , pour une raison ou pour une autre, lui déplaisaient, y compris la confection de « dossiers
sur mesure », les accusant de détournement et leur réclamant des sommes souvent
colossales. Et au passage, il entachait leur réputation.

Les réactions vont s’enchainer à un rythme et une intensité auxquels Aziz et Oudaa ne
s’attendaient certainement pas. Au niveau de la Snim tout d’abord où je reçois des dizaines
d’emails de sympathie et de solidarité venant de tous les sites et de toutes les catégories du
personnel, ce qui va inciter l’ADG à donner instruction pour qu’on coupe immédiatement ma
messagerie électronique, alors que j’étais encore employé de la Snim.

Au moins deux députés (Zeinebou Mint Taki et Yacoub ould Moine) vont interpeller le Ministre
des Mines, Taleb Abdivall, à ce sujet. Il n’y était pour rien !

Des personnalités de premier plan et de simples citoyens m’appellent pour exprimer leur
sympathie. Réaction quasi-unanime aussi des sites d’information et des réseaux sociaux qui
qualifient la mesure d’injuste et d’arbitraire. Certains vont jusqu’à traduire en Arabe ma lettre
de démission et la diffuser à grande échelle.

M’Sabou lui-même va m’appeler quelques jours plus tard pour m’exprimer ses regrets et me
faire comprendre qu’il n’y était pour rien. Je ne suis pas loin de le croire. Je crois connaitre en
effet ceux qui étaient à l’origine de la décision.

Le pouvoir, qui ne s’attendait pas à de telles réactions, se trouve visiblement embarrassé et


adopte un profil bas, incapable apparemment de formuler des réponses cohérentes ou de
trouver des supports capables de véhiculer son message.

Les personnes ayant parlé directement au Président reçoivent des réponses hésitantes et
incohérentes. L’une des raisons avancées serait que je ne m’entendais pas bien avec mon
adjoint . Or je n’avais pas d’adjoint et la personne à laquelle il était probablement fait allusion
n’était qu’un chef de division. C’est effectivement quelqu’un qui était notoirement proche de
la famille présidentielle et il ne manquait pas d’occasion de me le faire comprendre.

L’ambassadeur en France (Brahim Khlil), que je n’avais jamais rencontré auparavant, m’invite
à déjeuner. Il m’exprime toute sa sympathie et me demande de lui expliquer ce qui s’est passé.
Il semblait désapprouver fermement la mesure et me propose d’organiser une audience avec
le Président. Je décline poliment en lui expliquant que je n’avais rien à lui dire et rien à lui
demander.

Le Premier Ministre de l’époque, Moulaye, m’appelle pour me demander si j’étais prêt à


accepter un poste à la tête d’une entreprise publique ou ailleurs. Je lui réponds que je n’étais
pas du tout intéressé.

Toutes ces réactions étaient réconfortantes.

En revanche, l’ADG de la Snim, en signe de représailles, ne trouvera pas mieux que de bloquer
mes droits , y compris ceux acquis au titre de l’année 2012 et qui était déjà en cours de

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paiement au niveau de la Direction Financière, avant même ma mutation ou ma démission. Il
intervient pour bloquer le paiement espérant sans doute que j’allais l’appeler ou recourir à
d’autres interventions pour obtenir mes droits. Il n’en sera rien, et à ceux de mes amis qui
m’incitaient à recourir aux tribunaux, je répondais que je ne donnerais pas à Oudaa cette
occasion de se présenter en défenseur des intérêts de la Snim contre moi. Le dossier était
pourtant limpide.

8. L’Après démission de la Snim

Depuis ma démission de la Snim, je m’étais tenu soigneusement éloigné de tout ce qui


touchait de près ou de loin à cette entreprise. Je n’ai jamais mis les pieds dans ses bureaux à
Paris ou ailleurs.
J’ai néanmoins gardé des contacts réguliers avec mes anciens collègues que je rencontrais lors
de leurs missions à Paris ou de mes visites en Mauritanie. Je connais assez bien les trois
directeurs généraux nommés après Oudaa et du temps de Aziz, mais je n’avais quasiment pas
eu de contacts avec eux. Je me souviens seulement que l’un d’entre eux m’avait appelé dès
sa nomination pour me demander des conseils . Je lui avais dit en gros, ceci :
« De mon point de vue, le redressement de la Snim passe
nécessairement par un diagnostic approfondi et sans
complaisance de sa situation.
Pour sa relance, la Snim aura besoin de regagner la confiance de
l’ensemble de ses partenaires : clients, fournisseurs, et surtout
employés/partenaires sociaux et bailleurs de fonds. La force de la
Snim résidait dans la confiance dont elle jouissait au niveau de tous
ses partenaires. Force est de constater que cette confiance est
aujourd’hui rompue et que l’image de l’entreprise est fortement
dégradée. Pour restaurer ces liens de confiance, il faut qu’on parle
le langage de vérité à tous les partenaires et qu’on leur explique
clairement comment la société en est arrivée là où elle est, en dépit
de la conjoncture exceptionnelle qu’elle a connue ? Où est partie
toute la manne tombée du ciel au cours des années fastes ? Il
fallait aussi que la société retrouve son autonomie de gestion et
s’éloigne de la sphère politique. »
J’ajoute qu’il me semble qu’un tel diagnostic était impossible tant que la personne
responsable du désastre (Aziz) était encore en poste. Il se dit d’accord avec moi sur le
diagnostic, mais pas sur la responsabilité de Aziz, qi n’était pas nécessairement au courant de
tout. Mais Aziz lui-même affirmait, y compris devant les cadres de la Snim à Zouerate, qu’il
était au courant de tout et qu’il discutait avec l’ADG de toutes les décisions relatives à la Snim.
En Janvier 2016, Moulaye Ould Mohamed Laghdaf, devenue Ministre Secrétaire Général de la
Présidence, m’invite à le rencontrer chez lui. Il voulait connaitre mon avis sur la situation de

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la Snim, qui semblait le préoccuper beaucoup. Il paraissait aussi au courant du départ
imminent de l’ADG, Oudaa. Au cours de la discussion, il me demande l’autorisation de
proposer mon nom comme successeur potentiel ; je décline fermement, en lui expliquant que
le redressement de la Snim me semble une mission quasi-impossible.
En effet, les dégâts matériels au niveau de la Snim étaient immenses (évaporation d’une
manne colossale tombée du ciel, voir graphique ci-dessous), mais les destructions les plus
irrémédiables sont celles qui avaient touché aux fondements même de la société : procédures,
discipline, sobriété, rigueur, professionnalisme, méritocratie, autonomie de gestion,
éloignement de toute influence politique, etc. C’est cette culture d’entreprise qui explique la
grande résilience de la société durant toutes ces décennies où les prix du minerai de fer étaient
très faibles, et c’est aussi cela qui sera le plus difficile à reconstruire.

CHIFFRE D'AFFAIRE (MILLIONS $)

1600

1445
1400

1200 1230
1090 1127
1000

800 840

600 490 555 530


400 172 166 385
186 179
240
200

0
1998 2000 2002 2004 2006 2008 2010 2012 2014

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