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Jacques Amouroux, Paul Siffert, Jean-Pierre Massué, Simeon Cavadias, Béatriz Trujillo, Koshi Hashimoto,

Phillip Rutberg et Sergey Dresvin Le dioxyde de carbone, la molécule-clé de la chimie du développement durable
Le dioxyde
de carbone,
la molécule-clé
de la chimie
du développement
durable

Jacques Amouroux est professeur Émérite et directeur


du Laboratoire de Génie des procédés plasmas et traitements
de surface de l’École Nationale Supérieure de Chimie de Paris
ParisTech. Ce chapitre donne un extrait d’un travail de synthèse
de quatre années destiné à faire le point de la recherche et du
développement dans le domaine de la valorisation du dioxyde
de carbone, synthèse qui a été présentée le 22 mars 2011
au Parlement européen (STOA).

1 Une molécule-clé
pour l’avenir de
la planète
de bulles de champagne (Fi-
gure 1) !
Mais s oupçonnons-nous
Le dioxyde de carbone est une jusqu’à quel point nous pouvons
molécule qui nous est très fa- en tirer un usage bénéfique et
milière, responsable du stoc- durable pour notre avenir ?
kage de l’énergie solaire par Nous allons effectivement
photosynthèse ayant produit voir que le dioxyde de car-
au cours des millions d’an- bone se présente comme une
nées le charbon, le pétrole, molécule-clé, pour trois pro-
le gaz naturel… Enfin, cette blèmes vitaux : les ressources
molécule nous est connue par alimentaires, l’effet de serre
son dégagement sous forme et les besoins énergétiques.

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La chimie et la nature

Figure 1 à partir du mélange dioxyde


de carbone (CO2) + eau (H2O)
Thermographie infrarouge de
(Figure 3A) ;
l’écoulement du gaz CO2 lors
du remplissage d’une coupe de − à l’inverse, en présence
champagne. d’une enzyme, l’action de
l’oxygène permet, par com-
bustion du bois ou de tout
autre matériau carboné (y
compris ceux d’origine fos-
sile), de récupérer de l’énergie
1.1. Le problème de l’effet en retour (Figure 3B).
de serre Nous avons là un proces-
Depuis des milliards d’an- sus naturel de stockage de
nées, le dioxyde de carbone l’énergie solaire. Le stockage
stocke l’énergie solaire via la de la matière et de l’énergie
photosynthèse. Ce processus peut ensuite évoluer par une
naturel permet de dévelop- polymérisation du glucose
per la végétation et de nour- conduisant à des macromo-
rir la vie sur notre planète, lécules de tailles plus ou
et en particulier celle de la moins importantes telles que
population humaine grâce à l’amidon, bien connu pour ses
l’agriculture (Figure 2). Cette applications alimentaires,
même molécule est aussi l’un ou encore la cellulose, cou-
des acteurs de la climatisation ramment utilisée dans le do-
de notre planète par l’effet maine du papier (Figure 4).
de serre : sa concentration À travers ces transformations
détermine en partie le climat riches et variées, le CO2 appa-
et son évolution1. raît bien comme une molécule
Pour toutes ces raisons, le potentiellement valorisable
dioxyde de carbone est véri- par la chimie.
tablement une molécule-clé Ces réactions font partie du
dans planétaire à long terme cycle naturel du carbone (Fi-
et nous retiendrons qu’il est, gure 5), qui transforme le CO2
sans discussion possible, un en végétation et en réserve
indicateur de la consomma- nutritionnelle pour le monde
tion des réserves de carbone animal. Dans la partie aqui-
fossile. fère de ce cycle, en particulier
dans les milieux océaniques,
Examinons les stades impor-
les micro-algues constituent
tants où elle est transformée
le départ de la base de la
dans le cycle du carbone :
nutrition de l’ensemble du
− au cours du processus de monde marin. Par ailleurs,
photosynthèse, l’action du les coccolithophores (algues
soleil sur la chlorophylle (pig- unicellulaires marines) trans-
ment végétal) permet de for- forment le CO2 dissous en car-
mer des molécules de glucose bonate de calcium CaCO3 dans
des écailles calcaires appe-
1. Voir aussi La chimie et l’habitat,
lées coccolites, dont l’accu-
Chapitre de A. Ehrlacher et coll.,
coordonné par M.-T. Dinh-Au- mulation permet la formation
douin, D. Olivier et P. Rigny, EDP de dépôts sédimentaires tels
210 Sciences, 2011. que la craie. Enfin, en milieu

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Le dioxyde de carbone
A B C

Figure 2
Derrière toute la végétation (A, B) et le développement du monde agricole (C), le dioxyde de carbone joue un rôle-
clé de stockage d’énergie via la photosynthèse. Cette même molécule est l’un des facteurs de la climatisation de
notre planète par l’effet de serre.

Figure 3
A) Étape 1 : stockage d’énergie par photosynthèse (bilan : 6 CO2 + 6 H2O → C6H12O6 (glucose) + 3 O2) ; B) étape 2 :
production d’énergie (enthalpie de formation : -1273,3 KJ/mol).

profond et en l’absence d’oxy- qui conduiront aux « gaz de


gène, des bactéries transfor- schistes », et sont à l’origine
ment le CO2 en méthane CH4 de réserves d’hydrocarbures.
et en clusters, qui sont ensuite Ce cycle du carbone est bien
stockés dans les roches sédi- connu et fonctionne depuis
mentaires de type clathrate2 des millions d’années. Mais
au cours des deux derniers
2. Voir La chimie et la mer, en- siècles, les échanges entre
semble au service de l’homme, végétation, atmosphère et
coordonné par M.-T. Dinh-Audouin, océans ont été modifiés par
EDP Sciences, 2009 : au sujet
la combustion des réserves
des clathrates, voir le chapitre
de J.-L. Charlou, et au sujet de fossiles d’une part, et par la
l’acidification des océans, voir le déforestation d’autre part.
chapitre de S. Blain. L’ensemble de ces deux 211

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La chimie et la nature

Figure 4
Dans la nature, le glucose (ou plus généralement les oses), produit par photosynthèse, se polymérise pour
former les biomolécules constitutives des végétaux et arbres telles que l’amidon et la cellulose. Ces molécules
présentent un intérêt industriel important dans le secteur agroalimentaire, dans celui de la papeterie et dans
celui des matériaux à base de bois.

Figure 5
Le cycle du carbone, à la fois atmosphérique et aquifère, fonctionne depuis des milliers d’années. La quantité
totale de carbone produite présente un excès de 8,47 gigatonnes par an dans l’atmosphère.

Atmosphère 750
CO2

0,5
121,3 5,5
Végétation 610 Fioul d’origine
60
1,6 fossile et
ciment 4 000
60

Sols 92
1 580 Rivières
90
Surface de l’océan 1 020
50
40 91,6 100
Biotope marin 3
6 Profondeurs
4 océaniques
Carbone organique Stockage
38 100 en gigatonnes
dissout < 700 de carbone (GtC)
6 0,2
Flux en gigatonnes
Sédiments 150 de carbone par an

212

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Le dioxyde de carbone
évènements a conduit à une
accumulation supplémentaire
de CO2 dans le monde, et en
particulier dans l’atmosphère
et les océans (avec acidifica-
tion2) (Figure 6). L’augmenta-
tion de la concentration en
CO2 peut paraître faible par
rapport à la valeur atmosphé-
rique, mais elle correspond
tout de même à 35 milliards
de tonnes de CO2 supplémen-
taires chaque année…
Quelles en sont les consé- oblige à une réflexion politique Figure 6
quences ? et technique sur l’opportunité
de le stocker et de le valoriser. Bilan de matière mondial pour
L’ensemble des analyses qui le carbone (en gigatonnes de
Le parlement Européen a éla-
ont été réalisées notamment carbone, GtC).
boré une approche politique Le problème majeur est la
par le glaciologue Claude
dans ce domaine que nous cinétique de la transformation
Lorius 3 montre que depuis
présenterons plus loin. enzymatique du CO2 par rapport
le début de la révolution in-
Dès lors, une question récur- à la cinétique de la production
dustrielle il y a un siècle et industrielle.
demi, la teneur en CO2 dans rente se pose aujourd’hui :
l’atmosphère est passée de peut-on modifier le rôle du
280 ppm à 380 ppm, avec un carbone dans notre civilisa-
cycle qui décrit parfaitement tion ?
les saisons (notons toutefois
que de telles valeurs ont déjà
été atteintes dans un passé 1.2. La gestion des
lointain). À partir des ana- ressources énergétiques
lyses de carottes glaciaires de et carbonées
l’Arctique et de l’Antarctique, La Figure 7 représente les
ces travaux montrent qu’il différentes sources d’éner-
existe un lien entre la teneur gies et leurs interactions. Sur
en CO2 et l’évolution de la tem- la partie droite fi gurent les
pérature depuis 800 000 ans. sources carbonées fossiles et
Aujourd’hui, l’évolution de la biomasse utilisées pour les
la teneur en CO 2 devrait se transports (aérien, terrestre,
poursuivre, et il est probable maritime) et le chauffage, qui
que l’on atteigne 500 ppm au sont productrices de CO 2 ;
milieu du XXIe siècle. sur la partie gauche figurent
La teneur en CO2, indicateur les sources non carbonées
de la consommation des éner- productrices d’énergie élec-
gies fossiles et du climat, nous trique (le nucléaire, l’éolien,
le photovoltaïque, les énergies
3. Claude Lorius a été le directeur marines (hydrolienne), etc.).
du Laboratoire de glaciologie et de L’énergie solaire est le moteur
géophysique de l’environnement de la production agricole, avec
de Grenoble, de 1983 à 1988. Il a un élément déterminant, celui
reçu la Médaille d’or du CNRS en
du cycle de l’eau, qui dépend
2002, avec Jean Jouzel, pour ses
nombreux travaux réalisés dans le du cycle thermique de l’at-
cadre d’expéditions polaires, prin- mosphère et de la surface des
cipalement en Antarctique. océans. L’évaporation de l’eau 213

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La chimie et la nature

Figure 7 et sa condensation participent exemples dont on parle ra-


au contrôle climatique et per- rement : dans le cas des tur-
Analyse de la gestion des sources
mettent d’irriguer l’ensemble bines à gaz, il faut 200 litres
d’énergie.
de la végétation, mais l’eau à 3 mètres cubes d’eau par
peut être stockée de façon mégawatt-heure, tandis que
naturelle ou artificielle sous dans le cas des biocarburants
forme de réserve d’énergie (éthanol à partir de maïs ou
pour alimenter les centrales biodiesel à partir de soja), il
hydrauliques. faut 2 000 à 20 000 mètres
Discuter de la gestion des cubes d’eau par mégawatt-
ressources énergétiques né- heure.
cessite le rappel d’un certain
nombre de données concer- 1.2.2. Le prix de l’énergie
nant l’eau, le prix de l’éner- Le Tableau 2 compare, selon
gie et la production mondiale les sources, les coûts en dol-
d’électricité. lars d’une énergie en giga-
joules. On peut voir que le pé-
1.2.1. Données sur l’eau trole, actuellement entre 110 $
nécessaire à la production et 125 $ le baril, conduit à une
d’énergie énergie entre 15 et 20 $/GJ.
La production d’énergie élec- Le gaz naturel aux États-Unis a
trique nécessite une certaine chuté de 4 $/GJ en 2010 à 2,7 $/
quantité d’eau. Le Tableau 1 GJ en janvier 2012, du fait des
compare, selon les tech- gaz de schiste (500 000 puits
niques, les quantités d’eau né- ont été forés aux États-Unis).
cessaires pour la production Le charbon est à environ 2 $/GJ
d’un mégawatt-heure d’éner- (1,4 $/GJ pour celui de l’Il-
214 gie électrique. Prenons deux linois qui est exploité à ciel

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Le dioxyde de carbone
Tableau 1
Besoins en eau pour la production d’énergie (en litre par mégawatt-heure)
Source : Science, 23 octobre 2009, vol. 326.
Extraction de pétrole 10-40
Raffinage d’huiles 80-150
Gazéification du charbon intégrée à un cycle combiné 950
Centrale à gaz naturel à cycle combiné 200-3 000
Centrale nucléaire de refroidissement en boucle fermée 950
Centrale géothermique en boucle fermée 1 900-4 200
Récupération améliorée du pétrole 7 600
Centrale nucléaire de refroidissement en boucle ouverte 94 000 - 277 000
Éthanol de maïs : volume d’irrigation 2 270 000 - 3 670 000
Éthanol de soja : volume d’irrigation 13 900 000 - 27 900 000

Tableau 2
Coût de l’énergie (en $/gigajoule). Source : Science, 12 juin 2009, vol. 324, p. 1389.
Pétrole à 60 $ le baril 10 (2009), 12,5 (septembre 2010)
Pétrole à 85 $ le baril 14
Pétrole à 90-107 $ le baril* 15-17
(mars 2012, pétrole West Texas Intermediate)
Pétrole à 105-125 $ le baril* 17-20
(mars 2012, pétrole Brent)
Gaz naturel (États-Unis) 4 (août 2010)
Gaz de schiste (États-Unis) 3,2-3,7 (2012)
Charbon 2 (Illinois : 1,44)
(États-Unis, valeur moyenne 60 $/T ;
37 $/T pour l’Illinois)
Charbon 4
(Europe, valeur moyenne en 2010 :
75-100 €/T)
Stock de biomasse alimentaire (à partir de 3,8 (pour des quantités traitées de 1 million
la canne de maïs)* de tonnes)
Granulés de bois 11
(États-Unis, 200 $/T en 2009)
Granulés de bois 22
(États-Unis, 400 $/T en 2013)
Dioxyde de carbone 8-11 $ par tonne (janvier 2012)

*Energy Environ. Science (2010), 3 : 28. 215

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La chimie et la nature

ouver t). La biomasse est Situer les énergies renouve-


quant à elle à 3,8 $/ GJ et le lables dans cette évolution des
bois à 11 $/GJ. besoins énergétiques, c’est
analyser leur particularité
1.2.3. Les besoins énergétiques essentielle : être des éner-
mondiaux gies intermittentes, que ce
En extrapolant les données du soit pour l’éolien ou le solaire.
Tableau 2 à l’horizon 2050, les Rappelons par exemple que
besoins en électricité ont été l’éolien fournit de l’énergie
calculés pour une population seulement en périodes de
prévue à neuf milliards d’in- vent, qui ne correspondent
dividus (Tableau 3). Compte pas forcément aux périodes de
tenu des points mentionnés besoin ; ou à l’inverse, le vent
précédemment, les deux prin- n’est pas toujours au rendez-
cipales sources énergétiques vous en cas de besoin. Pour
seront le charbon et le gaz le solaire4, la situation est de
naturel, dont les exploita- même nature, même si l’on en
tions seront multipliées par connaît mieux les cycles.
2,5 et peut-être par 3 pour le Or, rappelons que notre civi-
gaz naturel. De leur côté, les lisation, occidentale en parti-
énergies renouvelables (so- culier, a l’habitude de disposer
laire, éolienne, hydrolienne, de l’énergie souhaitée – ther-
géothermique) devraient éga- mique, électrique, lumière…
lement monter en puissance. – à la demande. Cette habitude
L’ensemble de ces données de penser et de vivre entraîne
permet de prévoir dans les pro- un certain nombre de consé-
chaines années une augmenta- quences, et actuellement,
tion de la teneur en CO2 due au les énergies fossiles sont les
charbon et au gaz naturel. seules sources qui nous déli-
Comment traiter ce problème ? vrent l’énergie « que l’on veut,
Comment tenir compte de rôle quant on veut, si l’on veut ».
spécifique des énergies renou- Dès lors, la question pour
velables et de leur caractère l’avenir est celle-ci : comment
intermittent ? concevoir un développement
durable dans ce cadre ?

Tableau 3
Extrapolation des productions mondiales d’électricité (en milliards 1.3. Quels défis d’avenir des
de mégawatt-heure). ressources et de l’énergie ?

2020 2050 Un défi qui fait l’objet de nom-


breuses recherches aujourd’hui
Charbon 6,1 16,7
est le stockage des énergies
Pétrole 0,694 0 alternatives (énergies renou-
velables). Un certain nombre
Gaz naturel 5,6 13,9
d’outils commencent à appa-
Énergies renouvelables 1,4 5,6 raître. On pense par exemple
Énergie nucléaire 2,2 2,8 aux batteries lithium-ion

Déchets 0,694 1,1


4. Sur l’énergie photovoltaïque, voir
Cogénération 2,8 5,6 La chimie et l’habitat, coordonné
par M.-T. Dinh-Audouin, D. Olivier
Total 19,4 45,6
216 et P. Rigny, EDP Sciences, 2011.

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Le dioxyde de carbone
(250 watts par kilo), qui sont les
meilleures batteries existantes
aujourd’hui. Toutefois, 60 kg de
batteries stockent pour l’ins-
tant au maximum 15 kilowatt-
heures, chiffre à comparer
avec le diesel de synthèse, en
cours de réalisation, et pour
lequel 60 kg génèrent 660 kilo-
watt-heures.
Une autre idée pertinente a été
proposée par le prix Nobel de
Chimie 1994, Georges A. Olah ;
elle consiste à utiliser du CO2
pour refaire des carburants
(Figure 8). Il s’agit de générer
du méthane CH4 ou du métha-
nol CH3OH à partir du CO2 et
de l’hydrogène H2, le métha-
nol pouvant conduire, selon
les procédés et catalyseurs
utilisés, à des polymères, des
hydrocarbures de synthèse, ou
encore des solvants. La seconde décision impor- Figure 8
Examinons l’état actuel de tante de la Communauté eu-
Propositions pour la valorisation
la recherche dans cette voie, ropéenne a été de créer en
du CO2, par Georges A. Olah, prix
en vue d’un développement 2003 un marché de l’émission Nobel de Chimie 1994.
durable qui permette de ré- du CO2, et elle a ouvert au 1er
pondre à nos besoins à venir. janvier 2005 le marché des
quotas d’émission. Cette dis-
position réglemente les droits

2 Les défis du CO2 à émettre, avec pour objec-


tif de réduire les émissions
de CO2 en faisant payer des
Dans le souci de gérer l’ave-
nir énergétique de l’Europe, droits pour émettre ce gaz et
le Parlement Européen a pris en introduisant des possibilités
les décisions suivantes dès no- d’échanges de droits à émettre
vembre 2008, dans le cadre du cotés en bourse. Les politiques
« set plan » : 20 % de réduc- doivent maintenant décider le
tion des émissions de CO2, 20 % nombre de droits d’émissions
d’énergies renouvelables, 20 % gratuits et payants ; cette dé-
d’améliorations énergétiques. cision permettra d’une part
Ces décisions ont conduit en de promouvoir les investisse-
France aux lois issues du Gre- ments industriels et collectifs
nelle de l’environnement 1 et 25. qui favorisent des sources peu
émettrices de CO2, et d’autre
5. Voir aussi La chimie et l’habitat, part de pouvoir réduire d’ici
chapitre de D. Plée (au sujet du 2050 les émissions de 80-95 %
« set plan ») et chapitre de J.-M. en diminuant la part des car-
Michel (au sujet du Grenelle de burants fossiles.
l’environnement), coordonné par
M.-T. Dinh-Audouin, D. Olivier et Actuellement, les démarches
P. Rigny, EDP Sciences, 2011. les plus ambitieuses consistent 217

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La chimie et la nature

à augmenter le rendement 2.1. Capturer et stocker le CO2


énergétique des installations
Les procédés de capture et de
pour améliorer le rendement
stockage du CO2 sont appe-
de la transformation des
lés « CCS » (« carbon capture
sources d’énergie primaires :
and storage ») ; ils permettent
il n’est en moyenne que de
d’extraire le CO2 des fumées
38 %, et seulement de 10 % si
industrielles. Ces procédés
l’on considère le charbon ou
sont mis en œuvre à la sortie
le carburant automobile. En
de centrales à charbon, dont
effet, entre la source primaire
les fumées contiennent du CO2,
et sa transformation par un
de l’azote, de l’eau, des traces
nombre croissant d’opérations,
de mercure, des oxydes d’azote
les pertes s’en trouvent accen- (NOx) et des oxydes de soufre
tuées. Par exemple, le charbon (SOx). Ces composés, toxiques
coûte aussi cher au transport et corrosifs en faible teneur
qu’à l’extraction. Il reste donc (mercure, ox ydes d’azote
une grande marge d’amélio- et de soufre), sont éliminés
rations, qui exige toutefois re- dans une première unité de
cherches et investissements. lavage à l’ammoniac. Le CO2
Aujourd’hui, la recherche se est ensuite absorbé dans une
tourne vers cette molécule- colonne d’ammoniac réfrigé-
clé qu’est le CO 2 , que l’on rée, puis le mélange liquide
cherche à capturer, stocker ammoniac-CO2 obtenu passe
et valoriser de différentes dans une troisième colonne
manières. Quel est l’état des chauffée où le CO2 est désorbé,
lieux sur cette recherche et tandis que l’ammoniac est re-
que peut-on en attendre ? cyclé (Figure 9).

Figure 9
Procédé pour la capture de CO2 en sortie de centrales à charbon par le procédé d’oxydation électro-catalytique
(« electrocatalytic oxydation », ECO).

Précipitateur Étage supérieur Plateau


électrostatique humide de l’unité d’électrocatalyse de séparation
Piégeage
d’oxydation (ECO) de
Plateau l’humidité
de séparation

Récupération
Capture du CO2
À partir d’un Ajout d’eau
précipitateur d’ammoniac
Compresseur
électrostatique
ou d’un filtre Refroidisseur
en tissus Sécheur
Lavage-
absorbeur
du CO2
Réfrigérant

Réacteur
d’oxydation (Nox)
Réservoir Vapeur
de recyclage
de l’étage supérieur
Réservoir
de capture
d’ammoniac
Étage inférieur
de l’unité Ajout Réservoir Échangeur de chaleur
d’électrocatalyse de réactif de réactif
d’oxydation (ECO) Vers le traitement
du sulfate d’ammonium
Adsorbeur de mercure
218

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Le dioxyde de carbone
Ce procédé a été testé et être utilisé pour extraire les
développé par Alstom aux hydrocarbures des puits de
États-Unis sur une centrale pétrole en fin de vie : une tonne
à charbon de 300 mégawatts. de CO2 permet de récupérer
En France, l’Agence pour la 1,5 tonnes d’huile. Le colloque
maîtrise de l’énergie et de international d’Abu Dhabi
l’environnement 6 (ADEME) (Émirats arabes Unis) en mars
soutient un programme de 2012 a réuni les grands ma-
développement de l’extrac- jors de l’industrie pétrolière
tion du CO2 des fumées d’une autour de la question d’un dé-
centrale à charbon du Havre, veloppement industriel visant
et l’ensemble de ce protocole à améliorer les rendements
associé à un programme de des puits de pétrole par forage
stockage du CO 2 en milieu horizontal puis injection de
géologique profond est l’ob- CO2 liquide (EOR, c’est-à-dire
jet d’un second programme récupération assistée du pé-
d’étude préindustrielle. De trole). Le Wall Street Journal
son côté, la communauté du 7 janvier 2012 annonce par
européenne a lancé un pro- ailleurs qu’une augmentation
gramme d’études à 1 milliard de la production de pétrole
d’euros l’unité, portant sur américain est attendue d’ici
dix centrales à charbon de 2013. Enfin, le groupe chinois
1 000 mégawatts, dans le but Shenshua a d’ores et déjà
de capter 5 millions de tonne décidé la capture et la sé-
de CO2 par an, au coût de 200 € questration de 3,6 millions de
la tonne. L’objectif à cinq ans, tonnes de CO2 pour améliorer
voire dix ans au maximum, est le rendement de l’extraction
de pouvoir extraire le CO2 à pétrolière en Mongolie Inté-
un coût de 20 € par tonne par rieure.
des techniques employant soit
l’ammoniac, les amines, des
zéolithes, ou encore la sépa- 2.3. Valoriser le CO2
ration cryogénique. La Chine, et stocker les énergies
qui possède et construit de intermittentes : vers
nombreuses centrales à char- la régulation des
bon, développe des unités du réseaux électriques et
même type, notamment en l’approvisionnement en
partenariat avec Alstom. carburants de transport
Soulignons que le CO 2 pro- Pour assurer un dévelop-
duit par capture a une pureté pement durable sur le plan
de 99,9 %, pureté nécessaire énergétique à partir d’éner-
pour permettre sa compres- gies intermittentes, il convient
sion et son transport. de compléter la régulation des
réseaux électriques entre les
énergies stockées et les éner-
2.2. Valoriser le CO2 comme gies intermittentes (« smart
solvant grid »), et de concevoir l’ap-
Le CO2 est un bon solvant, re- provisionnement en carbu-
lativement facile à liquéfi er rants de transport par des hy-
sous 70 bars à 30 °C ; il peut drocarbures de synthèse.
Plusieurs stratégies pour le
6. www.ademe.fr stockage de l’énergie sont 219

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La chimie et la nature

envisageables, en utilisant à une grande diversité d’in-


différents procédés permet- termédiaires pour l’industrie
tant dans le même temps de chimique ou encore à des
valoriser le CO2, représentés carburants de synthèse (para-
sur la Figure 10. Nous avons graphe 2.3.2) ;
d’un côté l’ensemble des uni- − par la gazéification du
tés qui produisent du CO2 (gaz, charbon pour en améliorer
charbon, fioul, combustion des l’extraction, par exemple par
déchets, cimenteries, distilla- des procédés plasma (para-
tion du pétrole), et de l’autre graphe 2.3.3) ;
côté des sources d’énergie non − en le faisant réagir à travers
carbonées (nucléaire, turbines des réacteurs chimiques avec
à gaz, énergies solaires, etc.). de l’hydrogène produit par élec-
Ce dernier secteur est en déve- trolyse de l’eau, en présence de
loppement au niveau européen, catalyseurs appropriés, selon
mais la production d’énergie y le procédé dit de Fischer-
est discontinue, contrairement Tropsch, qui permet de fabri-
au premier secteur qui produit quer du méthanol, du méthane
de façon continue du CO2, qu’il ou des hydrocarbures de syn-
est possible de stocker et de va- thèse (paragraphe 2.3.4) ;
loriser de plusieurs manières : − en l’utilisant dans des éle-
− en le transformant en vages de micro-algues pour
méthane, permettant de régu- synthétiser diverses molécules
ler la production d’électrici- dont des biocarburants (para-
té (paragraphe 2.3.1) ; graphe 2.3.5) ;
Figure 10 − en le transformant en − en l’utilisant comme réactif
Procédés de valorisation du CO2. méthanol, qui donne l’accès chimique pour accéder à une

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Le dioxyde de carbone
multitude de produits, dont des
CH3
polymères (paragraphes 2.3.6
H 3C C O CH3 O
et 2.3.7).
CH3 MTBE DMC
La Figure 11 résume les réac-
O O

tions chimiques que nous –CH2–


CH4 O
allons détailler ci-après, CH3OH
– H2O
DME CH 3
CH3
qui permettent de valoriser + H+
+ H2
Conversion méthanol
le CO 2 en hydrocarbures de + e– en essence
+ H2
synthèse, méthanol (CH3OH),
+ H2 + H2 + H2
diméthylcarbonate (DMC), di- HCOOH CO2 CO (+ H2O) – CH2–
Réaction du Fischer-Tropsch
méthyléther (DME), acide for- gaz à l’eau
inverse
+ H 2O
mique (HCOOH) – qui trouve
+ H2
une application dans le do- Reformage + CH
4
maine de la teinturerie –, ou à sec
CH4
encore en méthane (CH4), uti- + H 2O
CO + H2
lisé pour la régulation du ré-
seau électrique, comme nous
allons le voir à présent.
heures de pointe (de coût dix
2.3.1. Transformer le CO2 Figure 11
fois plus élevé), ce qui donne
en méthane : une nouvelle un bilan économique crédible. Voies chimiques de valorisation
source pour réguler l’énergie du CO2.
Un procédé pilote est actuelle- DME = diméthyléther,
électrique
ment développé au Japon par MTBE = méthyltributyléther,
L’Allemagne a décidé de lan- le Professeur K. Hashimoto DMC = diméthylcarbonate ;
cer en 2012 un programme de (Université de Sendai, Japon, HCOOH = acide formique.
recherche et développement Figure 13), qui transforme le
de deux milliards d’euros, en CO2 en méthane en utilisant un
vue de réguler sa production électrolyseur à eau de mer et
électrique issue des énergies des catalyseurs au nickel dépo-
renouvelables, notamment sés sur de la zircone stabilisée
par la conversion du CO2 en par du samarium. Il vient d’être
méthane : le CO 2 peut ainsi transféré en Thaïlande dans le Figure 12
être considéré comme une cadre d’une joint venture entre Principe de la conversion de CO2 en
nouvelle matière première. les groupes Hitachi Zosen méthane CH4.
Le principe, présenté sur la
Figure 12, paraît très simple :
à partir de l’eau de mer et Énergie solaire
d’une énergie alternative (éo-
lienne, solaire), on génère de O2
l’hydrogène et de l’oxygène
par électrolyse. Puis par réac-
tion entre l’hydrogène et le CH4
CO2, on fabrique du méthane H2
qui sera ensuite brûlé avec de H 2O
l’oxygène pour récupérer de
l’énergie aux heures de pointe H2O CO2
+
sur le réseau (oxycombustion). ÉNERGIE
H2 O
Un kilowatt-heure d’énergie
intermittente consommé en
H 2O
heure creuse (de coût quasi-
ment nul) permet ainsi de gé- Eau de mer CO2 + 2H2O  CH4 + 2O2
nérer 0,5 kilowatt-heures aux 221

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La chimie et la nature

Figure 13
Le Professeur Émérite K. Hashimoto, de Tohoku University (Institute for Materials Research, Sendai, Japon),
a développé depuis vingt ans un pilote pour réaliser le premier procédé de transformation du CO2 en méthane
en utilisant l’électrolyse de l’eau de mer et des catalyseurs à base de nickel. A) Électrolyseur de laboratoire pour
générer de l’hydrogène et de l’oxygène ; B) réacteurs à double étage, avec échangeurs thermiques entre les deux
étages, pour transformer le CO2 en méthane.

corporation, Daiki Ataka Engi- l’élevage des micro-algues


neering corporation et PTTEP, (voir la Figure 11).
société pétrolière nationale Le méthanol est généré selon
thaïlandaise, pour une instal- la réaction : CO2 + H2 → CH3OH
lation pilote associant énergie + H2O, à 300 °C sous 70 bars
photovoltaïque et transforma- dans un réacteur catalytique
tion du CO2 en méthane. utilisant un catalyseur bimé-
tallique à base de cuivre et
2.3.2. Transformer le CO2 de zinc, sur un support céra-
en méthanol mique d’alumine, du fait que
Le CO2 stocké peut aussi être la réaction est exothermique
transformé en méthanol et (Cu/ZnO/Al 2 O 3 ). Une unité
devenir une nouvelle matière industrielle utilisant ce pro-
première industrielle par ce cédé a été développée par la
biais. Le méthanol présente société Mitsui Chemicals7 au
l’avantage de pouvoir passer Japon. Elle produit un million
de l’état de gaz à l’état liquide, de tonnes de méthanol par an.
en s’accompagnant d’une La transformation du métha-
contraction de volume (de nol en polymères a été réalisée
22,4 litres à 32 cm3), consti- à l’université chinoise de Da-
tuant ainsi une nouvelle ma- lian, où un réacteur industriel
tière première qui ouvre la à lit catalytique fluidisé a été
voie à une chimie diversifiée, développé pour transformer le
allant des oléfines (polyéthy- méthanol en propylène et éthy-
lène, polypropylène), au di- lène selon un rapport défini par
méthyléther, additif moteur les conditions de température
pour l’amélioration de l’in- et de pression (600 000 tonnes
dice d’octane ; ou encore, on par an) (Figure 14).
peut utiliser le méthanol pour
222 extraire des protéines dans 7. Chemical Week, 3 mai 2010.

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Le dioxyde de carbone
Produits de reaction CO vers
la combustion
Produits
Réacteur riches en
à lit fluidisé avec oléfine
catalyseur de type
tamis moléculaire Mélange
eau/
méthanol
vers le
Air réacteur
d’entrée
Vapeur

Méthanol Eau
Réacteur récupérée
Colonne de trempe Colonne
Régénération des catalyseurs et de lavage de traitement
des eaux usées

2.3.3. Recycler le CO2 à marche continue en lit fl ui- Figure 14


pour transformer le charbon disé8 (à 1,5 MP). Dans le cadre
Procédé de transformation du
en gaz de synthèse d’un programme européen,
méthanol en oléfines, en vue de la
Partant du constat que le des équipes polonaises ont production de polymères.
transpor t du charbon est développé un réacteur de ga-
coûteux et peu fl exible (aussi zéification par un mélange
cher que son extraction), il CO2 + O2 sur un réacteur à lit
est intéressant de le trans- fluidisé de charbon. L’objec-
former sur place en gaz de tif suivant de ce programme
synthèse transportable par consiste à développer une ex-
gazoducs pour approvision- ploitation in situ des strates
ner les centrales électriques de charbon selon la technique
ou pour être conver ti en du forage horizontal des gi-
hydrocarbures selon le pro- sements afi n de réaliser la
cédé Fisher-Tropsch (voir le gazéification directement
paragraphe 2.3.4). dans la veine de charbon.
Cette voie nécessite cepen-
La transformation du charbon
dant une opération préalable
en gaz de synthèse, appelée
de production d’oxygène par
gazéifi cation, est une réac-
distillation de l’air.
tion endothermique qui peut
être réalisée en présence de Afin d’éviter cette opération,
CO 2 selon les réactions de une autre voie a été dévelop-
Boudouard : pée par les russes, qui en-
visagent d’utiliser l’énergie
Csolide + CO2 gazeux → CO + COadsorbé
COadsorbé → COgazeux
8. Le lit fluidisé permet de donner
Cette réaction endother- à des matériaux granulaires des
mique nécessite un apport propriétés des fluides (liquides ou
gaz). Ce procédé a été inventé par
d’énergie (Δr H f = 172,3 KJ.
le chimiste allemand Fritz Winkler,
mol– 1), mais exige un broyage qui l’avait appliqué en 1926 à la
préalable du charbon afin de combustion de charbon réduit en
le traiter dans des réacteurs poudre. 223

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La chimie et la nature

électrique pour appor ter


EAU DE
REFROIDISSEMENT  l’énergie par une torche à
GAZ
ADDITIONNEL  plasma9 d’arc alimentée par
du CO 2 pur (Figure 15). Ces
GAZ
PLASMAGÈNE

torches, d’une puissance


allant de 1 à 10 mégawatts,
permettent la dissociation à
6 000 K du CO2 en CO + O qui
réagit sur un lit fixe de char-
bon. Une unité expérimentale
EAU DE
REFROIDISSEMENT  a été montée à l’Institute for
Electric Power and Electro-
physics de Saint-Pétersbourg
par le professeur P. Rutberg
(RAS) (Figure 16), avec une
adaptation technique permet-
tant de limiter les altérations
des électrodes des torches
par l’oxygène atomique pro-
duit par le plasma ; ainsi a-
t-on pu atteindre des durées
de vie de 8 000 heures par an.
Figure 15 Cette unité produit du gaz de
Torches à plasma pour convertir le charbon en gaz de synthèse.
synthèse, soit sur des lits de
1 : corps de torche ; 2 : canal de décharge ; 3 : enveloppe de refroidissement ; charbon, soit sur des déchets
4 : bride ; 5 : distributeur d’air supplémentaire ; 6 : distributeur de gaz municipaux ; ce mélange
plasmagène ; 7 : électrode de cuivre ; 8 : porte électrode ; 9 : isolant en ouvre la voie aux carburants
céramique ; 10 : bague d’étanchéité. de synthèse et à la production
d’électricité via une turbine,
cette flexibilité permettant de
Figure 16 s’adapter aux besoins éner-
gétiques des consommateurs
Unité expérimentale développée à l’Institute for Electric Power and (Figure 17). Cette technolo-
Electrophysics de Saint-Petersbourg par le Professeur Phillip. Rutberg (RAS)
gie a été transférée au Japon
pour produire à partir de charbon du gaz de synthèse et de l’électricité.
sous forme de deux unités in-
dustrielles gérées par Hitachi
Metals Ltden.

2.3.4. Transformer le CO2 en


hydrocarbures de synthèse
(réaction de Fischer-Tropsch)
La voie de transformation du
charbon en gaz de synthèse

9. Le plasma est un état gazeux


constitué de particules chargées
(d’ions et d’électrons) de molécules
et d’atomes neutres. Le degré de
dissociation de ce milieu dépend de
la pression et de l’énergie fournie,
ce qui s’exprime à la pression at-
mosphérique par des températures
224 de l’ordre de 8 000 à 12 000 K.

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Le dioxyde de carbone
CO-H 2 puis en hydrocar-
bures est le procédé appelé
Fischer-Tropsch ; elle a été
développée par deux scien-
tifiques allemands durant la
Seconde Guerre mondiale
de façon intensive, avant
d’être reprise par l’Afrique
du Sud. Des travaux plus ré-
cents, réalisés par l’équipe
du Docteur D. Hildebrand en
Afrique du Sud, ont permis
de développer le procédé à
partir d’un mélange CO2 + H2,
donnant lieu à des brevets en
2007, puis à des unités pilotes
qui ont été installées pour
produire du diesel de syn-
liser des biosynthèses de pro- Figure 17
thèse (Figure 18). La Chine
téines et de lipides ouvrant
travaille également dans ce Schéma de gazéification par
sur des débouchés comme
domaine : en Mongolie Inté- plasma : le charbon est transformé
le domaine des cosmétiques, en gaz de synthèse, qui peut
rieure, le groupe Shenhua
des additifs alimentaires et être converti en électricité ou en
développe un programme
des biocarburants. Cette voie carburant liquide (Phillip Rutberg
« Erdos », dont le but est de fait l’objet de nombreux tra- RAS).
produire un million de tonnes vaux, notamment en France,
par an de diesel par cette soutenus par l’Institut na-
nouvelle voie. tional de la recherche agro-
nomique (INR A), l’Institut
2.3.5. Valoriser le CO2 national de recherche en
pour la production informatique et en automa-
de micro-algues tique (INRIA), les universités Figure 18
L’objectif de cette nouvelle de Montpellier et de Pierre et Une nouvelle voie pour le procédé
voie est d’utiliser le CO 2 pour Marie Curie (Paris VI), avec Fischer-Tropsch : convertir le
augmenter la photosynthèse la participation de nombreux charbon en fioul via le mélange
de micro-algues, afin de réa- industriels. L’algothèque de CO2 + H2.

Énergie totale apportée Minimum energétique


théorique
1 520 MW 1 000 MW 520 MW 350 MW

Très endothermique Très exothermique


Haute T (1 500 K) CO + H2 + CO2 Basse T (500 K)
Charbon CO2
Gazéification Fischer-Tropsch
H 2O –CH2–
Moins endothermique Moins exothermique H 2O
CO2 + H2
Haute T (1 500 K) Basse T (500 K)
Fioul
1 240 MW 820 MW 420 MW
Énergie totale apportée
225

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La chimie et la nature

Montpellier dispose d’une c’est-à-dire un CO 2 à 99,9 %,


bibliothèque d’algues re- il est concevable d’élabo-
marquable où il est possible rer des produits nouveaux
d’identifi er les espèces les ou des approches créatives
plus adaptées aux besoins permettant le développe-
aval. Par exemple, certaines ment d’unités de produits
algues produisent plus spé- à grandes valeurs ajoutées.
cifiquement des protéines, Cette démarche ouvre le
et d’autres produisent plutôt champ des économies de
des lipides. matière carbonée fossile et à
La Figure 19 donne le schéma celui du recyclage industriel
d’une installation de pro- du carbone.
duction de biodiesel à par- Il existe aujourd’hui de nom-
tir d’une unité de culture de breuses possibilités de réac-
micro-algues en Australie. tions chimiques utilisant du
Pour comparaison avec les CO 2 , qui ne sont limitées
procédés classiques à partir que par l’imagination des
de la biomasse végétale : le chimistes, comme l’illustre
colza fournit 1 g/m2 par jour la Figure 20 : le CO 2 apparaît
d’huile végétale, le sucre de dès lors comme une matière
canne en fournit 10 g/m2, alors première équivalente à un
que les algues en fournissent produit de base de la pétro-
50 g/m2 ! Il faut néanmoins chimie.
rappeler que la culture des
algues exige le contrôle des 2.3.7. Transformer le CO2
conditions de température, de en polymère
pression (pressions d’oxygène Le CO2 peut également servir
et de CO2), de nutriments et de base à la fabrication de po-
bien sûr la protection contre lymères tels que les polycar-
les attaques bactériennes ou bonates. Ainsi, le professeur
virales. Xianhong Wang a développé
des synthèses nouvelles qui
2.3.6. Le CO2 comme nouvelle ont conduit à la réalisation
matière première pour la d’unités industr ielles en
chimie Chine ; les domaines dévelop-
À partir d’une matière pre- pés sont celui du polymétha-
mière de très haute pureté, crylate de méthyle (PMMA),

Sortie de gaz
Récolte
Colonne de
dégazage

Zone
d’alimentation
en milieu
nutritionnel
Figure 19
Bioréacteur tubulaire hélicoïdal Eau
de 1 000 litres à l’Université de réfrigérante
Capteur solaire
Murdoch (Australie) pour la
production de biodiesel à partir Pompe
de micro-algues (1 kg d’algues Air
226 consomme 1,8 kg de CO2).

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Le dioxyde de carbone
Figure 20
De nombreuses possibilités de réactions chimiques utilisant le CO2 comme matière première.

des polyéthers et du poly- tion de l’acide cyanhydrique


éthylène par réaction du CO2 (HCN) et de l’acide sulfurique
avec des polyols (Figure 21). (H2SO 4), encore faut-il conce-
Ces travaux visent à concevoir voir les catalyseurs appro-
des voies de synthèse qui évi- priés à ces nouvelles réac-
tent les dangers de l’utilisa- tions (Figure 22).

Figure 21
Produits à base de polymères
(polyester and polyéther) issus de
réactions de polyols avec du CO2.
Procédés développés par le
Professeur Xianhong Wang (Chine). 227

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La chimie et la nature

Figure 22
Nouvelle voie envisagée pour accéder à des polymères (PMMA) à partir du CO2, évitant le recours à des réactifs
dangereux.

Le CO2, molécule-clé d’hier, molécule-


clé de demain, la molécule de la vie…
Cet état des lieux sur la recherche autour du CO2
montre toute la créativité des scientifiques au
niveau international. Les savoirs des chimistes
soulignent que le couple CO2- H2O contrôle, par
les échanges d’énergie, le cycle du stockage de
l’énergie et des matières premières à la base
de nos industries actuelles.
Le CO2 deviendra la matière première d’une
véritable révolution industrielle adaptée à la
liberté de vie de notre civilisation moderne.
Nous sommes au début d’un chemin qui nous
conduira d’ici quarante à cinquante ans au recy-
clage effectif d’une grande partie du carbone
selon des protocoles appropriés à chaque
industrie. Imaginer qu’on en recycle seule-
ment 50 % est un enjeu indispensable pour
poursuivre nos civilisations basées sur le rôle
déterminant du carbone dans toutes nos acti-
vités, qu’elles soient énergétiques, chimiques,
métallurgiques ou domestiques (habillement,
228 décoration, conditionnement alimentaire, etc.).

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Le dioxyde de carbone
Pour aller plus loin :

– online.org CEN august 2010, 2, p. 24.


– Workshop : CO2 : a future chemical fuel :
www.emrs-strasbourg.com/index.php?option=com_content&task=view&id=449&Itemid=1
– Reducing carbon from coal : German projects, C§EN 2010, sept. 13, p. 9.
– European Parliament STOA.
– EMRS meetings : Paris February 2008 ; Strasbourg June 2009 ; Varsovie sept. 2011.
– Sciences 12 June 2009, vol. 324, p. 1389.
– Chem. Engineering Journal, www.che.com, may 2008.
– CCS assessing economic Mac Kinsey 2009.
– Science 25, sept. 2009, vol. 325, p. 650.
– Chemical Week May 3, 2010, p. 25, Mitsui chemical.
– Science 18 April, 2008, vol. 320.
– Science 323, 1680, 2009
– Patent WO/2007/122498 D. Hildebrant, D. Glasser, B. Hansberger.
– Applied Catal. A, General, 1998, 172, 131 Habazaki H., Yamasaki M., Zhang B.-P., Kohno S., Kakai T.,
Hashimoto K.

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La chimie et la nature

Crédits
photographiques
Fig. 1 : C§EN chemical potential 22/09/2009 /EMRS, sept.
§Engineering News 24, july 26, 2010, Varsovie).
2010. Fig. 12 : Mar tin E. Carrera
Fig. 5 : source : ACS, 6 oct. 2009. Manager Biotechnology BP,EMRS
Fig. 6 : source : EMRS Fall Paris 5/02/2008.
Meeting, Varsovie, 13-15 sept Fig. 14 : source : Gerald Ondrey,
2010, European Parlement STOA Chemical Engineering, Janvier
22/3/2011, EMRS/UPMC. 2009, p.13.
Fig. 7 : source : European Fig. 18 : Brevet : D. Hildebrandt,
Parlement STOA 22 /3/2011, D. Gl asser, B. Hausberger,
J.Amouroux EMRS/UPMC. International Patent application
Fig. 9 : source : Chemical Enginee- W O / 2 0 0 7/ 12 2 4 9 8 , s c h é m a
ring, dec. 2003, p. 7. Power span d’après : Science, 2009, 323 : 1680.
Conf. Portsmouth, NH, USA. Fig. 20 : conférence du Professeur
Fig. 10 : source : EMRS Fall Xianhong Wang EMRS/STOA, 22
mars 2011.
Meeting, Varsovie 13-15 sept.
2010, J. Amouroux, Symposium A. Fig. 21 : Laboratory of polymer
ecomaterial, CA S /STOA
Fig. 11 : source : Max Planck 22 /03/2011, Changchun Inst.
Institute, Magdebourg/BMBF/ Applied Chemsitry, CAS.
Siemens seminar: CO2 utilization

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