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: Innovation en Coopération
Pascal Renaud - 25 août 2006
http://www.tic.ird.fr/spip0d02.html?article177
RÉSUMÉ : Entre 1989 et 1995, l’Orstom, Institut français de recherche pour le développement en
coopération, a introduit les premiers services Internet et notamment le courrier électronique, dans une
dizaine de pays d’Afrique au Sud du Sahara : Sénégal, Mali, Niger, Burkina Faso, Côte-d’Ivoire,
Congo, Togo, Madagascar, Cameroun, Congo, Guinée. Ce projet baptisé RIO – ou RIOnet dans les
documents anglophone – a fait de l’Orstom, un opérateur d’innovation technologique dans un domaine
inattendu, celui de l’informatique et des réseaux (le domaine rio.net a été attribué au projet RIOnet par
Jon Postel).
Ce projet est le résultat d’une association étroite entre ingénieurs français et africains autour
d’objectifs simples. Il s’agissait d’une part, de mettre à la disposition des équipes du Sud, des moyens
informatiques équivalents à ceux qui étaient déployés au Nord. Il s’agissait d’autre part, de mettre en
oeuvre l’interconnexion de ces ordinateurs entre eux et avec ce qu’on appelait « les réseaux
mondiaux de la recherche » qui donneront naissance à l’Internet.
Avant se s’éclipser au profit des structures nationales, le projet aura été confronté aux problèmes
d’infrastructure, de formation comme aux questions politiques et juridiques posées par Internet.
Innovant dans son approche de la coopération, il aura notamment montré qu’il était possible pour les
pays les moins avancés, d’acquérir un savoir-faire de pointe alors que celui-ci est encore en cours
d’appropriation dans les métropoles technologiques.
Introduction
En tant que principal acteur du projet RIO, l’auteur n’est pas le mieux placé pour en faire une
évaluation objective. Ce texte n’en est pas une et prend délibérément le risque de la subjectivité. Il
retrace l’histoire du projet pour mettre en évidence ses aspects originaux et tenter d’apprécier sa
contribution au développement de l’Internet en Afrique.
Le contexte : l’Orstom [1], Institut de recherche scientifique, travaille dans une trentaine de pays de la
zone tropicale dont la moitié en Afrique. Près de 1500 chercheurs, ingénieurs et techniciens sont
répartis dans une centaine de laboratoires sans autre moyen de communication que le courrier postal
ou le téléphone qui reste très onéreux. Si quelques ordinateurs sont utilisés pour le calcul scientifique
et l’enregistrement de données, deux semaines sont nécessaires pour acheminer les données
d’Abidjan vers Paris. Il n’y a pas encore de télécopie et les messages urgents sont envoyés par télex.
Enfin le service DHL, très coûteux, ne garantit pas intégrité des disquettes trop sensibles aux champs
magnétiques.
Nous sommes en 1986. Pour l’essentiel, l’informatique repose encore sur d’énormes machines,
jalousement protégées dans des centres de calcul climatisés. Ces précieux ordinateurs qui coûtent
des centaines de milliers de dollars et occupent des sous-sols entiers font la fierté de leurs
établissements. IBM règne encore en maître avec près de 70% du marché et une technologie des
plus performantes.
Les micro-ordinateurs commencent à se diffuser notamment dans les milieux académiques. Ils restent
assez lents (2 à 8 Mhz) et sont déconsidérés par les « professionnels de l’informatique [2] » qui ne voit
dans ces petites machines que des gadgets pour bricoleurs. Enfin, quelques illuminés s’intéressent
aux réseaux de communication électronique. Ceux-ci portent de curieux acronymes terminés par net :
ARPAnet, BITnet, UUnet, Fidonet... Internet.
Créé par IBM, Bitnet, utilise une technologie propriétaire [5]. Son succès est du à une astucieuse
politique de marketing. La compagnie proposait aux universités équipées d’IBM, de financer
totalement ou partiellement, une ligne spécialisée vers un autre établissement, lui-même équipé
d’IBM. Ainsi, de proche en proche, l’ensemble des grands centres de calcul universitaires était
interconnecté. On reconnaît là l’habileté légendaire de la firme qui va tirer le meilleur parti de ce que
les économistes appellent l’effet réseau (CASTEL, 1998). Ce deal proposé aux universitaires était
d’autant plus alléchant que les lignes spécialisées étaient d’un coût très élevé pour ces établissements
et que leurs autorités de tutelle étaient encore bien loin d’avoir pris conscience des enjeux.
Bitnet s’est vite étendu à tous les grands centres de calcul américains, puis européens. La branche
européenne, nommée EARN [6], associait les principaux pôles universitaires d’Europe occidentale. En
1988, BitNet et EARN comptaient près de 3000 noeuds dans 40 pays et des dizaines de milliers
d’utilisateurs (Tracy Lynn LaQuey, 1988). C’est dans le cadre du réseau EARN qu’a été tenté une des
toutes premières expériences d’interconnexion d’ordinateurs avec le Sud du Sahara.
EARN à Abidjan
En 1988, le centre de calcul inter-universitaire de Montpellier (CNUSC [7]) met en place, avec l’appui
de la Coopération française, une liaison spécialisée vers le Ministère de l’Éducation nationale de Côte
d’Ivoire. Situé à Abidjan, il dispose de puissants ordinateurs IBM. Une équipe du CNUSC installe
EARN et notamment la messagerie électronique sur une machine de ce centre de calcul situé sur le
« Plateau », en plein centre ville. Tandis que des consoles IBM sont à la disposition des enseignants
et chercheurs…
Est-ce trop tôt ? Est-ce l’absence de chercheurs à proximité du nœud EARN ou la complexité des
consoles IBM 3270 ? Toujours est-il que les utilisateurs ne sont pas au rendez-vous. Après avoir
financé au prix fort, deux ans de liaison intercontinentale, le bailleur de fonds doit constater que le
dispositif n’est utile qu’à une poigné d’expatriés. Les difficultés rencontrés dans cette toute première
expérience révèlent la complexité de ce type projet qui entrecroise des aspects techniques, des
questions économiques et doit s’inscrire dans environnement social difficile à décrypter.
La naissance du projet
Le projet RIO prend naissance en 1986 lorsque l’Orstom qui traverse une profonde réforme, décide de
redéfinir sa stratégie informatique. Un nouveau schéma directeur est élaboré. Ce dernier considère
que l’ordinateur n’est pas seulement un outil de traitement de données mais un « instrument efficace
pour développer la communication, la collaboration entre les équipes de recherche et diffuser
rapidement l’information dans l’Institut ». Il recommande la mise en place d’une « infrastructure
informatique » basée sur un modèle décentralisé et reposant sur « l’interconnexion de réseaux »
(RENAUD, 1986).
Une équipe réseau est constituée. Elle sera basée à Montpellier. Dans un premier temps, elle se
concentrera sur la mise au point de la liaison entre les centres Orstom de France métropolitaine
(notamment la liaison entre la région parisienne et Montpellier). Une fois la technologie maîtrisée elle
s’attaquera à l’interconnexion de ce réseau avec les centres africains.
Le premier service de courriel est installé à Montpellier en 1987. Ce n’est encore qu’une maquette du
dispositif à construire. Il est destinée à évaluer la demande et fonctionne sur le mode « terminal
distant [9] ». Malgré son raccordement à Transpac [10], le système reste trop coûteux pour être utilisé
de manière systématique à partir de l’Afrique.
En quelques mois une centaine de chercheurs s’abonnent à cette messagerie électronique pourtant
limitée au trafic interne et manquant totalement d’ergonomie… Ces résultats vont encourager l’équipe
réseau à transformer l’essai et à étendre le service de messagerie à toutes les implantations de
l’Institut. Mais une chose est d’installer un serveur accessible à travers des terminaux, autre chose est
de faire communiquer plusieurs serveurs afin qu’ils s’échangent les messages et les distribuent à la
manière des bureaux de poste. Peu de spécialistes savaient mettre en place de tels réseaux de
distribution de courrier électronique. Si la technique est assez bien maîtrisée sur BITNET/EARN avec
des technologies propriétaires et des liaisons « spécialisées », c’est-à-dire réservé à ce seul usage.
Le contexte des réseaux hétérogènes et des liaisons « commutées », c’est-à-dire partagées entre de
nombreux utilisateurs dans le cadre d’un service public » est plus expérimental. Ce sera celui de
l’Orstom. Il n’est pas pensable pour l’Institut de louer à France Telecom des lignes entre la France et
l’Afrique. Le réseau devra s’accommoder des infrastructures disponibles localement : les lignes
téléphoniques ou les services de données qui commencent à se déployer en Afrique.
L’INRIA [11] et l’AFUU [12] vont apporter leur concours et aider les ingénieurs de l’Orstom à percer les
secrets des réseaux Unix. Après quelques semaines de tâtonnement, le courrier circulera entre les
serveurs de l’Institut. Et peu de temps après, grâce à un accord avec l’INRIA et Fnet/Eunet, le réseau
de l’Orstom sera interconnecté avec l’ensemble des réseaux ouverts : UUCP, Fnet/Eunet, NSFnet,
EARN/Bitnet… Tous ces Net qui vont peu à peu se fédérer dans l’Internet.
Dakar sera choisi pour la première expérience intercontinentale. L’Orstom y est associé à l’ISRA,
l’Institut sénégalais de recherche agronomique, qui dispose d’une solide expérience en l’informatique,
gère un Bull Mini 6 et un IBM 4331 [13]. En fin 1988, Hervé Chevillotte, ingénieur réseau chevronné,
est envoyé sur place pour coordonner l’opération. Il installe une première « station Sun 3 » au Centre
de recherche océanographique de Tiaroye et une autre au centre Orstom de Hann puis met en place
des réseaux locaux, forme les utilisateurs et commence les tests d’interconnexion.
Les premiers essais réalisés sur une liaison par modem ne sont guère concluants. Heureusement,
l’ouverture prochaine d’un service sénégalais de transmission de données [14] va régler ce problème,
le réseau peut démarrer. Dès sa mise en service, les chercheurs vont se précipiter sur la messagerie,
plébiscitant de fait ce nouveau média. Les plus enthousiastes sont les océanographes et notamment
les spécialistes de la pêche thonière qui collaborent avec des équipes scientifiques situés aux quatre
coins de l’Océan.
Le succès rencontré à Dakar va permettre d’étendre rapidement le réseau. En 1989 et 1990, des
serveurs sont installés à Lomé, Bamako, Brazzaville, Nouméa, et Cayenne. Lorsque en juin 1991,
Larry Landweber et Vin Cerf ouvrent à Copenhague le premier congrès de l’Internet Society, L’Orstom
fait savoir que contrairement à ce qui est indiqué dans les documents de la conférence, l’Afrique est
déjà sur Internet.
Cette demande externe qui va croître rapidement, suscite quelques remous dans l’organisme.
Certains craignent que RIO ampute leurs ressources informatiques. Tandis que d’autres considèrent
que l’ouverture du réseau est l’occasion de développer de nouvelles collaborations. Le projet doit-il se
contenter de répondre à la demande des seuls chercheurs hébergés par l’Institut ou collaborant
directement avec ses programmes ? Ou bien, se considérant comme le premier maillon d’un projet
plus vaste, doit-il contribuer à faire connaître Internet en Afrique ? Il s’agit d’un choix stratégique pour
le projet. Et ce choix engage aussi l’Institut qui craint d’être accusé de « coopération de substitution »
et s’inquiète à juste titre des incidences financières.
L’Orstom décide finalement de répondre à cette demande sociale. Le projet sera réorienté en
conséquence. Une charte est établie par laquelle les utilisateurs deviennent des partenaires. Elle fixe
les règles déontologiques d’utilisation des services et de partage des coûts. Le financement du réseau
sera assuré par les contributions des utilisateurs, chercheurs de l’Orstom où ressortissant des autres
organismes signataires de la charte. Un logiciel de facturation est développé pour calculer la part de
chaque utilisateur. Ces nouvelles règles ne manqueront pas de soulever les protestations de quelques
esprits chagrins mais elles seront finalement adoptées et respectée parce que le courriel est déjà
devenu indispensable, constitue un gage d’efficacité et un important facteur d’économie pour les
programmes de recherche.
C’est ainsi que de projet d’équipement qu’il était, RIO devient un programme de coopération
internationale (RENAUD, 1994). Le nom du projet est adapté à cette nouvelle orientation qui fait de
RIO, un réseau partagé. Il s’appellera dorénavant « Réseau Intertropical d’ordinateurs », gardant cet
acronyme qui fait maintenant référence à la ville qui va héberger le premier sommet du
développement durable.
Le Sommet de Rio
Nous sommes toujours en 1991. La communauté internationale prépare la première Conférence des
Nations Unies sur l’environnement et le développement (CNUED), c’est-à-dire le « Sommet de Rio ».
Pour la première fois, les ONG sont associées à un Sommet de l’ONU. Carlos Afonso, animateur
d’une association brésilienne, IBASE [16], a convaincu Maurice F. Strong, secrétaire général du
Sommet, de diffuser les textes préparatoires à la conférence, par courrier électronique. Il propose à
RIO, qui s’en félicite, d’être le partenaire africain de cette initiative.
L’opération est baptisée « RIO à Rio ». Une campagne de communication est lancée auprès des
ONG africaines, des Ministères de l’Environnement et des Affaires étrangères du continent. Les
candidats à cette conférence de Rio électronique sont invités à s’inscrire, ils recevront les documents
dans des boites aux lettres électroniques mise à leur disposition. Ceux qui ne possèdent pas d’accès
au réseau, c’est-à-dire presque tous, sont invités à se rendre dans les centres de l’Orstom. Ils
pourront non seulement lire et imprimer les textes mais rédiger leurs commentaires et les expédier par
courriel aux délégués de leur pays ou de leur ONG.
Pour la première fois, l’information diplomatique sera largement disponible, sur tous les continents et à
peu près au même moment. Cette entrée des réseaux électroniques dans la politique internationale
est une innovation majeure qui est loin d’avoir livré toutes ses conséquences.
Pour bien marquer cette volonté d’africaniser le réseau, les points focaux sont incités à enregistrer
leur « code pays [18] » et à constituer une association locale qui gérera ce nouvel espace. Le
domaine national, indiqué par les deux lettres finales des adresses électroniques, symbolise
l’appartenance géographique du titulaire. Son ouverture sanctionne une appropriation du
cyberespace. Dans le réseau Rio, les adresses n’étaient pas « localisée ». Dans la première période,
celle du réseau de l’Orstom, les adresses sont rattachés au domaine français : dakar.orstom.fr,
ouaga.orstom.fr… Puis avec le partenariat et la charte RIO, elles sont « décolonisés » : dakar.rio.net,
ouaga.rio.net, abidjan.rio.net, yaoundé.rio.net… marquant l’appartenance de ces serveurs à un réseau
international. Cette troisième période, d’appropriation nationale, se devait de restituer aux adresses
électroniques leurs attributs nationaux.
L’ouverture du domaine national, son enregistrement sur « Internic », la base de données des noms
de domaine [19], est encore aujourd’hui une étape importante dans l’appropriation politique de
l’Internet. Une preuve récente en a été donnée par la querelle du domaine EU. Cet indicatif européen
dont les autorités américaines ont systématiquement retardé l’enregistrement sous divers prétextes et
qui n’est toujours pas opérationnel. On ne sera donc pas étonné d’apprendre que le premier point
focal à s’enregistrer eut aussi quelques difficultés avec Internic. Tout s’est passé comme si cette
organisme, a priori purement technique, auraient préféré que le premier domaine africain à
s’enregistrer soit anglophone...
C’est l’ENSUT [20], grande école d’ingénieurs de l’Université de Dakar, qui sera le premier candidat à
la reprise du réseau. Alex Corenthin et Tidiane Seck, piloteront cette dynamique qui va aboutir à la
construction du réseau sénégalais. Deux serveurs Unix sont installés dans les locaux de l’Université.
Le 19 mars 1993, Internic enregistre le domaine SN. Le troisième pays africain à s’enregistrer dans le
cyberespace après l’Afrique du Sud en 1990 et la Tunisie en 1991. Une association, le NIC-SN [21],
va être créée pour gérer cet espace de noms. Le NIC-SN est toujours en charge de la gestion du
domaine SN et joue un rôle important dans la promotion des TIC aux Sénégal, préservant l’équité et
l’indépendance de l’Internet. Cette première association d’internautes a donné naissance à d’autres
entités, plus orientés vers la réflexion politique et sociale. Il s’agit notamment de l’ISOC-SN [22], puis
d’OSIRIS [23], une des associations d’utilisateurs des TIC les plus influentes d’Afrique subsaharienne.
Dans le même temps, au Burkina Faso, l’ESI, toute nouvelle « École supérieure d’Informatique »,
s’engage sur la même voie à l’initiative de son directeur, Joachim Tankoano. Le domaine BF est
ouvert le 29 mars 1993. Il est tout d’abord géré par l’école avec les moyens du bord, puis confié à la
Délégation générale à l’informatique [24] et finalement à l’ONATEL, opérateur historique de
télécommunication.
Six mois après le Sénégal et le Burkina Faso, c’est le tour du Mali. Le domaine ML est enregistré le 29
septembre 1993. Il sera géré par le CNRST [25]. Moins d’un an plus tard, la société Bintta de Bamako
recrute un jeune ingénieur formé par l’Orstom et lance « Malinet » qui est le premier opérateur Internet
privé au Mali. Eric Stevance, l’artisan de Malinet, ouvrira quelques années après, toujours à Bamako,
sa propre société, AFRIBONE [26] devenue un des principaux fournisseurs d’accès Internet du pays.
Au Cameroun, l’École polytechnique [27], à l’initiative d’Emmanuel Tonyé va ouvrir dès 1993, un
service de email à destination des établissements publics et privés. Mais les rivalités d’influence
retarderont la création du domaine CM qui ne sera enregistré qu’en avril 1995 par… l’Union
international des télécommunications pour être ensuite transféré à l’opérateur historique, IntelCam et
sa filiale Camnet [28].
Peu à peu, tous les pays concernés par le projet RIO vont enregistrer leur domaine et définir des
modalités de gestion du réseau. Et c’est au Niger qu’éclatera le premier conflit africain de nom de
domaine. Un opérateur commercial se voyant refuser le nom « Internet.ne », porte l’affaire devant
l’Internic. Jon Postel [30] tranchera, en se référant à un précédent concernant email.com.
Email et Internet désignent des biens communs qu’un utilisateur privé ne saurait s’approprier.
Si la prise en main administrative avance, la construction pratique du réseau africain exige des
compétences techniques qui font encore cruellement défaut. L’équipe RIO va donc demander et
obtenir le recrutement de jeunes ingénieurs africains. Ils seront six à être embauchés par les
principales implantations de l’Orstom : Dakar, Ouagadougou, Bamako, Niamey, Abidjan et
Madagascar. Ils recevront une formation spécifique et auront notamment pour mission d’appuyer les
points focaux du réseau.
Ces nouveaux collègues de l’équipe RIO se montreront particulièrement motivés par l’aventure des
réseaux. Ils seront des intermédiaires efficaces entre l’Orstom et les organismes locaux. Leur
contribution à la construction de réseaux Internet nationaux aura été essentielle. Confrontés à la
gestion quotidienne d’un parc d’ordinateurs et d’un réseau, ils vont devenir parmi les spécialistes
africains d’Internet les plus aguerris. Plusieurs d’entre eux seront débauchés par des grandes
firmes [31] ou des organisations internationales, d’autres comme Sylvain Zongo [32], créeront leur
propre entreprise.
En 1995, lorsque les opérateurs de télécoms commencent à proposer des services Internet au grand
public, le projet RIO a quasiment terminé son transfert de compétence au profit des structures
nationales. L’activité du projet qui va progressivement se réduire, se limitera à fournir de l’assistance
technique aux opérateurs académiques et à organiser des stages de formation. La période des
pionniers est maintenant révolue. L’US AID, La banque mondiale et le PNUD vont s’investir sur ce
nouveau créneau (Renaud, P, 2005).
RIO n’est pas le seul projet NTIC des années 80-90 en Afrique ou même en Francophonie. Nous
avons déjà évoqué la tentative du CNUSC d’installer EARN en Côté d’Ivoire en 1988. Deux autres
projets sont remarquables.
RINAF, Regional Informatics Network for Africa (Jensen 98, Abba 98), est lancé en 1992, grâce à une
contribution exceptionnelle de l’Italie au programme PII de l’UNESCO. Il empruntera la voie très
diplomatique de la logique multilatérale, s’attachant surtout à sensibiliser les autorités et à définir des
concertations sous-régionales. S’il n’a pas permis de développer les infrastructures d’accès comme
c’était son ambition, il réussit cependant à faire naître, sur une échelle continentale de 41 pays, un
réseau de spécialistes sur lequel s’appuie actuellement le nouveau programme de l’UNESCO
« Information pour tous ». RINAF est le premier grand projet de sensibilisation des responsables
politiques africains.
REFER, Réseau francophone de l’enseignement et de la recherche, a été mené à partir de 1993, par
l’organe universitaire de la Francophonie. REFER a pris le relais du projet SYFED qui consistait à
mettre des salles d’ordinateurs et des Minitels à la disposition des universitaires afin qu’ils aient accès
aux bases de données francophones. Le dispositif cofinancé par la France (Ministère de la
Coopération) et la Francophonie s’est étendu à la plupart des universités d’Afrique francophone. A
partir de 1995, le projet s’est investi dans le développement de contenus francophones. Les centres
REFER toujours en service, s’appellent maintenant « Campus numériques francophones ».
RIO, REFER et RINAF ont sans aucun doute joué un rôle complémentaire. En effet, si on peut
regretter l’insuffisance de concertation entre ces trois projets, notamment en ce qui concerne les deux
projets financés par la France. Force est de constater qu’ils ont travaillé « en bonne intelligence »,
semblant opérer, nolens volens, un astucieux partage du travail. RINAF dans sa logique ONUsienne
s’est concentré sur la sensibilisation des décideurs (ministres, recteurs…) tandis que RIO s’intéressait
à la mise en service d’infrastructures et que REFER encourageait le développement de contenus
francophones (Renaud P., 2004).
Quel bilan ?
Le premier résultat de RIO est d’avoir connecter très tôt la recherche Nord-Sud à Internet et donc
d’avoir contribué à la rapprocher de la communauté scientifique internationale.
Le second est d’avoir, avec d’autres, notamment REFER (Francophonie) et RINAF (UNESCO),
permis à l’Afrique de s’associer à une aventure technologique aux conséquences considérables. Et ce
faisant, il a montré que l’introduction précoce d’une technologie de pointe dans les pays les "moins
avancés" était possible et qu’elle était souhaitable. Qu’il était légitime que les pays en développement
soient associés avec profit aux processus d’innovation et de recherche technologiques qui les
concernent. Entre 1989 et 1995, Internet était encore une technologie expérimentale. Elle n’était pas
totalement stabilisée sur le plan technique et peu de gens pariaient sur son avenir commercial. Et
c’est cette technologie qui a été transféré en Afrique dans des pays assez ou très pauvres.
Cependant le transfert technologique opéré dans le cadre du projet est difficile à évaluer en termes
économiques. Le succès indéniable d’Internet au Sénégal ne saurait lui être attribué. En revanche,
dans ce pays, il existe une certaine filiation entre les acteurs du projet RIO et ceux qui aujourd’hui
influencent ou même décident en matière de TIC. Ce qui a subsisté de ce projet informatique, ce n’est
pas tant sa part technologique mais c’est sa part sociale. S’il ne reste rien des nombreuses astuces
déployés par les ingénieurs pour s’accommoder des infrastructures bas débit, il subsiste une multitude
de relations sociales qui relient les pionniers d’Internet, leurs élèves, leurs partenaires internationaux,
d’Afrique, d’Europe et d’ailleurs. Des associations ont été créées et certaines sont devenues très
influentes. Les réseaux des pionniers d’Internet en Afrique des années 90, n’ont cessé de se renforcer
avec l’accroissement des responsabilités de leurs membres. Et finalement, il est probable – je compte
approfondir ce sujet – que, plus que tout autres facteurs, ce sont les réseaux humains développés
autour du projet RIO, qui ont renforcé la capacité du Sénégal à s’approprier les TIC, lui ont permis
d’aller à la fois plus vite et plus loin dans l’appropriation d’Internet.
Les conditions qui ont conduit à ces résultats sont multiples. Notons tout d’abord que le caractère
original, innovant, « hight tech » du projet, a largement contribué à la motivation des chercheurs et
ingénieurs engagés dans l’aventure et ceci tant pour les français que pour les africains.
Retenons aussi que l’équipe d’ingénieurs de l’Orstom qui a mené le projet, a joui d’une grande
indépendance. Elle n’a subi de pression ni de la part de sa direction ni de celui des tutelles. Les
technologies en jeux ne faisaient pas encore l’objet d’exploitation commerciale et la plupart des
représentants d’agences de coopération ne connaissaient même pas l’existence d’Internet. C’est la
raison principale pour laquelle RIO n’a pas bénéficié des largesses du Ministère de la Coopération.
Mais c’est pour la même raison que le projet a pu se déployer sans subir de pressions politiques ou
industrielles. Et qu’il a été conduit à rechercher des ressources auprès de ses propres utilisateurs et à
s’engager ainsi dans une dynamique d’ouverture qui lui fut profitable.
Enfin, RIO n’a pas été mené selon les méthodes de gestion de projet, habituelles et considérées
comme éprouvées. Alors que la plupart des projets informatiques comportent des procédures
contraignantes dont les étapes contractuelles rendent toute réorientation fastidieuse et coûteuse, RIO
a été conduit comme un projet de recherche. Tout a commencé par un état de l’art et l’identification de
partenaires, tel que l’INRIA. Puis chaque opération a été l’occasion de réflexions, de publications
(RENAUD, 1991, 1992, 1994) et d’échange avec des équipes étrangères (notamment californiennes).
A chaque étape, l’évaluation des résultats a conduit à redéfinir les objectifs. A plusieurs reprises, le
projet a du être réorienté. Il n’a cependant pas dévier de son objectif stratégique, faire de la diffusion
de l’internet, un outil pour la construction de communautés des communautés scientifiques dans les
pays en développement.
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Université Yaoundé 2
ENSP Ecole Nationale Supérieure Polytechnique
OCCGE Organisme de Coopération et de Coordination pour la lutte contre les Grandes Endémies en
Afrique centrale
Niger
[1] « Office de la Recherche Scientifique et Technique Outre Mer », devenu « Institut de recherche pour le
développement en coopération » puis IRD, Institut de Recherche pour le Développement depuis janvier 2000.
[2] Ces mêmes professionnels qui méprisent actuellement Linux et les logiciels libres et refusent le Wifi
[5] On appelle technologie – ou logiciel – propriétaire, une technologie développée par une firme pour ses propres
ordinateurs. Bitnet reposait sur la technologie IBM / SNA (CISCO, 2002)
[6] European Academic Research Network
[8] Ethernet, technologie développé par Xerox, devenue la norme générale des réseaux locaux. Elle était en
1987, une solution parmi d’autres. IBM préconisait un système propriétaire.
[9] Soit par Telnet (terminal network), soit par un accès modem sur le serveur de Montpellier, soit encore à
travers Transpac.
[10] Transpac, filiale de France Télécom, était en 1987 le service national de transmission de données (norme
X25). Transpac était notamment utilisé notamment par le réseau Minitel.
[14] Baptisé Senpac cet homologue de Transpac se montrera d’une grande fiabilité
[18] CC:TLD ou « Country Code : Top Level Domain ». Ce code pays, domaine de premier niveau, termine
l’adresse électronique : FR pour la France, CA pour le canada…
[19] Actuellement géré par ICANN (Internet Corporation For Assigned Names and Numbers), la base de donnée
était à l’époque sous la responsabilité directe du Département d’État américain.
[20] L’ENSUT (Ecole nationale supérieure universitaire de technologie) est maintenant intégrée dans l’Ecole
supérieure Polytechnique (http://www.esp.sn)
[21] Network Information Center for SN Domaine, NIC est un acronyme générique utilisé par les organismes de
gestion de « domaine pays ». NIC-FR gère le domaine FR, DENIC le domaine DE, etc.
[22] www.isoc.sn
[23] Observatoire sur les système d’information, les réseau et les inforoutes au Sénégal : www.osiris.sn.
[24] DelGi : www.delgi.gov.bf
[26] http://www.afribone.com
[28] www.camnet.cm
[29] http://www.nic.mg
[30] Jon Postel, éditeur des RFC a piloté la mise en place des noms de domaine puis dirigé l’organisme
d’attribution des noms et des numéros, lire sa biographie sur http://en.wikipedia.org/wiki/Jon_Postel.
[31] Il s’agit notamment d’ICBM à Abidjan.
[32] La société ZCP est un des principaux fournisseurs d’accès Internet à Ouagadougou (http://www.zcp.bf).