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FRATERNITÉ SAINT VINCENT FERRIER

http://www.chemere.org/

LE FRÈRE CONVERS

DANS

LA FRATERNITÉ SAINT VINCENT FERRIER

d'après un texte du P. Paissac, o.p.

paru dans le Courrier domimicain en 1936

plaquette ancienne de la Fraternité Saint Vincent Ferrier


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qui pour ne sembler plus disponible


décrit une réalité pleinement d'actualité

Édition numérique sans autorisation, sous ma seule responsabilité

1
POURQUOI LE FRÈRE CONVERS

Nous voudrions attirer l'attention sur une branche de notre famille religieuse, souvent trop
peu connue, qui cache des gloires de sainteté et dont la noblesse est authentique, les frères convers.

Corps vivant, la Fraternité Saint Vincent Ferrier comprend les frères clercs, qui sont prêtres,
et les frères convers. Les frères clercs sont amenés à être des prédicateurs et donc à se faire
connaître, puisqu'ils doivent faire connaître le Christ : on peut les voir dans les chaires, entendre
leur parole, lire leurs livres. Mais il ne faudrait pas que la gloire extérieure de ceux qui doivent se
faire connaître fasse oublier la gloire silencieuse de ceux qu'on ne connaît pas : les frères convers.
L'apostolat de ceux qui parlent ou écrivent pourrait faire oublier l'apostolat de ceux qui prêchent par
leur vie consacrée au Christ. Nous voudrions donc remettre en pleine lumière la valeur de cette vie.

Mieux comprendre la vie du frère convers, ce serait mieux comprendre la vie des frères (qui
sont tous amenés par vocation à être des prêcheurs), car ce serait bien voir que la prédication ne
suffit pas à réaliser l'idéal intégral de notre Institut, sinon lorsqu'elle est soutenue par une vie de
prière et de silence. Ce serait méditer sur les vraies valeurs d'action que le Christ a laissé aux
hommes, sur le sens profond du mot prêcheur. Et dans nos maisons, le frère convers prêche quand,
au jardin, à l'atelier ou à la lingerie, il travaille à sauver les hommes en maniant sa bêche, en
rabotant une planche ou en raccommodant les chaussettes. Car Jésus sauvait les hommes en sciant
du bois dans l'atelier de saint Joseph, et sa vie était la vraie prédication que retenait si bien la vierge
Marie.

Les frères convers sont donc nécessaire dans notre Fraternité, comme un vivant rappel de la
loi même de tout apostolat fécond, comme un silencieux avertissement à ne pas se tromper dans
l'utilité de la Parole. Ils sont là « pour aider les Pères » qui vont parler, c'est à dire, pour les aider à
mieux prendre conscience de la valeur de la contemplation. Voila ce que voudraient montrer les
pages qui suivent.

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LE NOM DE FRÈRE CONVERS

« Pourquoi donc s'appeler frère convers ? », se demande avec une légère inquiétude le jeune
postulant qui prendre l'habit noir et blanc. « convers fait bien penser à conversion, mais pourquoi
parler de conversion ? Serais-je un converti ?... » La question se précise lorsqu'arrive le 25 janvier,
fête de la Conversion de saint Paul ; c'est la fête officielle des frères convers : à n'en plus douter il
s'agit bien de conversion...

C'est qu'en effet le nom de frère convers vient de saint Paul, et par tout un passé de gloire
s'est transmis de saint Paul à saint Dominique, et, par notre Père, à tous ceux qui doivent être fiers
de porter ce nom.

La conversion de saint Paul devint très vite, pour les premiers chrétiens, le dramatique
symbole de ce qui se passe en toute âme où la Foi pénétré en fulgurante lumière : se convertir, c'est
sur le chemin de l'infidélité, se retourner soudain vers le Christ Jésus, et se donner à lui : « Seigneur,
que voulez-vous que je fasse ? » Tout nouveau chrétien comme saint Paul, est un converti, un
convers.

Mais à mesure que s'étend la conversion du monde, l'amour des chrétiens pour leur Seigneur
devient, semble-t-il, moins brûlant, plus banal. Les plus fervents comprennent que le Christ Jésus
demande autre chose, et que sur le chemin de la vie chrétienne, la lumière, un jour, se fait plus
éclatante encore, que le Maître se fait plus pressant, plus aimant : « Si tu veux être parfait, va; vends
tout ce que tu as, et suis-moi. » Alors il faut se retourner une seconde fois vers Celui qui parle : «
Seigneur, que voulez-vous que je fasse ? Nouvelle conversion, nouvelle voie vers la perfection du
christianisme : du christianisme qui obéit aux commandements et garde l'esprit des conseils, au
christianisme qui embrasse la pratique effective des principaux conseils évangéliques.

Se faire moine, c'est se convertir une seconde fois, c'est accepter de vivre selon les conseils
de l'Évangile au sein d'une société de vie consacrée et religieuse. Aussi, partir du Ve et du VIe
siècles, le nom de conversion est réservé, pour ainsi dire, à la vie religieuse : on prend : « l'habit de
la conversion » ou ce qui revient eu même l'habit de convers ; on signale tel chrétien « qui s'est
converti » et qui s'est fait convers, qui s'est fait moine. Le nom de conversion et de convers se
précise, on le voit, tout en conservant toujours le sens fondamental de don fait au Christ.

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Mais au cours des siècles, le titre de convers va se préciser d'avantage encore. Il va falloir en
effet distinguer dans la vie monastique deux groupements de moines, deux catégories de
« convertis » ; ceux qui suivront les prières officielles de l’Église au chœur et pourront se destiner
au sacerdoce, les frères clercs ; ceux qui se donneront davantage aux travaux manuels, et auxquels
on réservera le nom de convers.

En somme « convers » signifie d'abord en un sens tout chrétien qui s'est converti ; puis ce
nom ne s'applique plus qu'aux chrétiens qui se sont convertis une seconde fois, les religieux ou
moines ; enfin parmi ceux-ci, ce nom est réservé à ceux qui ne sont que religieux, pour les
distinguer de ceux qui étant religieux, sont de plus clercs ou prêtres.

Dans la Fraternité Saint Vincent Ferrier, les frères clercs doivent être tous prêtres, apôtres et
prédicateurs. Et il est exigé des frères clercs non pas une instruction commune, mais une instruction
assez sérieuse pour permettre le sacerdoce et l'apostolat ; les frères convers sont ceux qui, pouvant
avoir une instruction déjà assez poussée, ne peuvent ou ne désirent cependant pas se livrer à l'étude
et à l’apostolat au même degré que les clercs.

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L'ETAT DE PERFECTION DU FRÈRE CONVERS

Le nom lui-même de frère convers nous a déjà fait entrevoir ce que pouvait être l'ideal
évoqué par ce nom ; nous allons essayer de préciser cet idéal.

« Si tu veux être parfait, dit le Seigneur Jésus, va, vends ce que tu as, donne-le aux pauvres,
et tu auras un trésor dans le Ciel ; puis viens, suis-moi. » Le frère convers a compris ce conseil, il
veut être parfait, ou plus précisément il veut s'obliger pour toujours, par un engagement public et
officiel, aux choses de la perfection ; par là même, il est dans l'état de perfection, et réalise l’idéal
religieux.

Les frères convers sont vraiment des religieux, au même titre que les frères clercs. Cette
affirmation n'est pas une inutile précaution, car à juger les choses de l'extérieur, on pourrait être
porté à commettre une grave méprise. Ceux qui ne sont pas familiarisés avec la vie intégrale d'un
couvent ne voient les frères convers que dans les travaux extérieurs dont ils semblent vivre comme
tous les hommes : l'un prépare la cuisine, l'autre taille les arbres du jardin, celui-ci reprise des
vêtements. celui-là forge ; on en pourrait conclure que l'idéal du frère convers est de bien travailler,
comme un ouvrier consciencieux. S'il en était ainsi, il serait inutile de demander l'habit religieux :
on ne se fait pas moine pour travailler, mais pour se donner au Christ. Sans doute le travail manuel
du frère convers, comme d'ailleurs le travail intellectuel du prédicateur, est le moyen nécessaire de
réaliser dans le couvent ce que le Christ veut de chacun ; mais ce n'est qu'un moyen : l'idéal est plus
haut.

L'idéal du frère convers, c'est la perfection de la charité, la parfaite amitié divine à laquelle il
veut tendre. Le travail, tous les hommes s'y livrent ; l'obligation de tendre à la perfection caractérise
le religieux.

Tout chrétien doit tendre à la perfection, mais tout chrétien n'est pas dans l'état de perfection
: le frère convers, lui, s'oblige solennellement, et pour toujours, à tendre à la perfection, et à réaliser
les œuvres extérieures de la perfection ; et cette obligation le fixe dans un état de vie où il réalise
son idéal. Son état, son métier à lui, c'est de tendre à la perfection : il fait profession de vouloir être
parfait.

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Le frère convers, lorsqu'il prononce ses vœux perpétuels, lorsqu'il s'oblige à donner sa vie
« jusqu'à la mort » et que cette obligation s'affirme avec solennité devant l’Église, fixe son cœur et
sa vie dans le sens de la charité parfaite.

Il promet en effet de supprimer radicalement en lui ce qui est un obstacle à la parfaite amitié
du Christ : il travaillera à se libérer de l'esprit de richesse, si souvent maudit par Jésus, à renoncer à
l'humaine joie du corps et du cœur pour pouvoir « gouter combien le Seigneur est doux », à sacrifier
surtout sa volonté propre pour se donner la liberté d’obéir. Voila son travail, voilà son métier. Dans
la Fraternité où il fait profession, et par les vœux qui répondent au conseil du Seigneur, le frère
convers offre un holocauste que Dieu agrée, sacrifice qui l'unit au Sacrifice de la Croix offert sur
nos autels. Par sa vie toute entière qu'il donne une fois pour toutes, le frère convers célèbre une
perpétuelle et sainte Liturgie, le culte auquel Dieu a droit, l'acte suprême de la vertu de religion qui
dispose immédiatement au suprême degré de la charité parfaite.

La charité parfaite, l'amitié divine, l'intimité avec Dieu : voilà l’idéal exclusif du frère
convers. Mais cet état de perfection du frère convers est le fait de tout religieux. Aussi nous reste-t-
il à montrer comment se précise pour le frère convers de notre Fraternité, l’idéal de fils de saint
Dominique.

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LA VIE CONTEMPLATIVE DU FRÈRE CONVERS

Engagé par ses vœux dans un état de perfection, le frère convers, vrai religieux, a donc pour
idéal la parfaite amitié divine. Mais si la charité parfaite constitue la fin même de toute vie
religieuse, chaque Ordre trouve sa fin spéciale dans les œuvres qui sont l'exercice de cette charité.
Or la charité, dit Jésus, comprend l'amour de Dieu et l'amour du prochain, car l'amitié du Christ fait
de nous les amis des Trois Personnes divines, et nous impose l'obligation d'aimer les personnes
humaines. Pour être l'ami des Trois Personnes, il n'y a rien d'autre à « faire » qu'à les contempler
sans fin ; pour aimer les hommes, il faut faire quelque chose et se dépenser dans l'action : action,
contemplation, voilà les œuvres de charité qui donneront à chaque famille religieuse son caractère
spécifique.

L'idéal spécial de tout membre de la Fraternité, c'est la contemplation, mais à ce point


féconde que l'action, nécessairement, en découle. Le frère convers est un contemplatif, mais à ce
point que sa contemplation doit s'épanouir en action apostolique.

La contemplation, les Saints et Bienheureux frères convers dominicains l'ont atteinte, un


Martin de Porrès, un Jean Massias, un Simon Ballachi, un Jacques d'Ulm, et tant d'autres que
l'Eglise n'a pas déclarés saints ou bienheureux.

Car la contemplation, c'est le très simple regard de l'âme pénétrant les vérités que la vertu de
foi et les dons du Saint-Esprit permettent d'entrevoir. C'est un don de Dieu que personne ne peut
décrire, sinon ceux-là qui l'ont reçu et qui savent en parler, fruit d'une présence mystérieuse et de
plus en plus intime d'un Ami qui veut vivre en nous et avec nous.

Perpétuelle liturgie en raison des vœux de religion, la vie du frère convers atteint son point
culminant au Sacrifice de la Messe et dans la Communion. C'est le moment choisit pour que
s'épanouisse la vie contemplative, dans l'union intime du frère convers à son Ami. Chaque jour le
frère assiste à la Messe et y communie ; il trouve là Jésus et par conséquent les Trois Personnes, et
en suivant le cycle des fêtes de chaque jour, il revit tour à tour chaque anniversaire de l'histoire
merveilleuse de l'amitié divine : Jésus contemplé dans ses joies, dans ses souffrances et dans ses
gloires, et le Père et l'Esprit avec Lui.

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La contemplation dominicaine est liturgique, elle est aussi théologique, nourrie de doctrine
certaine, avide de vérité. Le frère convers n'étudie pas les vérités de la Foi autant que les frères
clercs ; et d'ailleurs cette étude, si elle est un vrai moyen de contemplation, n'est pas un moyen
nécessaire ; mais il aimera profiter de l’atmosphère de certitude et de vérité où il vit, il sera désireux
d'alimenter sa Foi et sa contemplation non pas de quelques idées pieuses que son imagination
pourrait lui fournir, mais de vérités puissantes qu'il puisera dans ses lectures méditées. Par vocation,
le frère convers a la passion de la vérité, il se porte d'instinct vers ce qui est sûr, solide ; ses
dévotions seront les grandes dévotions de l’Église, la dévotion des Trois Personnes habitant en
nous, la dévotion à l'Eucharistie qui doit tant à saint Thomas d'Aquin, la dévotion à la Vierge Marie
et à son Rosaire, la dévotion aux saints dominicains... Peu à peu, au cours de ses lectures, le frère
convers prendra conscience de cette nourriture abondante et substantielle qu'il trouve à la table de
son Père saint Dominique, dans la maison de la vérité.

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L'ACTION APOSTOLIQUE DU FRÈRE CONVERS

La vie contemplative ne suffirait pas à faire du frère convers un vrai fils de saint Dominique,
et la contemplation doit pour lui s'achever en apostolat. D'ailleurs le jeune postulant est mû par de
grands désirs pour le salut du monde. Il veut entrer dans la Fraternité Saint Vincent Ferrier pour être
prêcheur : le « métier » qu'il ambitionne c'est de sauver le monde, en employant les mêmes moyens
que le Seigneur Jésus.

Être un prêcheur, comme le frère convers le pourrait-il ? Pour être apôtre ne faut-il pas
courir le monde ? Participant peu à l'apostolat extérieur, le frère convers reste habituellement au
couvent : comment serait-il prêcheur ? Et s'il n'est pas prêcheur, mérite-t-il encore d’être nommé fils
de saint Dominique ?

Il suffit pour bien répondre de bien comprendre ce nom de prêcheur.

De bien comprendre, d'abord, qu'on est pas prêcheur seulement quand on prêche ; ni même
seulement parce qu'on prêche ; bien plus, l’idéal du prêcheur, c'est de ne pas toujours prêcher : «
pour montrer aux prêcheurs que ce n’est pas toujours qu'ils doivent se montrer en public, le
Seigneur s'est parfois retiré loin des foules. » (saint Thomas d'Aquin, IIIa, q.40, a.1). C'est que
prêcher n'est pas une fin en soit ; c'est dire ce qu'on a vu, mais pour sauver le monde. Le salut des
hommes, voilà le but de l’apôtre ; parler est un moyen, parmi d'autres moyens. Et d'ailleurs pendant
trente trois ans Jésus a prié, a souffert, a vécu pour sauver le monde ; il a prêché seulement pendant
trois ans.

Comme Jésus, le frère convers agira en apôtre par sa prière d'abord. Il songera qu'au
moment même où sa prière sort de son cœur, les hommes souffrent, tombent, se redressent ; ils
mendient la lumière, la paix, la joie avec le pain du corps et de l’âme, tandis que le Prince de ce
monde est là rodant dans son domaine, « cherchant qui dévorer ». Mais la prière ardente du frère
convers agit, en vérité ; cette prière est cause et raison de cette conversion, de ce redressement, de
cette joie qui tombe soudain dans le cœur de cet homme, de cette grâce que le pécheur reçoit de la
main de Dieu.

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Comme Jésus, le frère convers agira en apôtre par sa souffrance. La souffrance de Jésus est
sa nourriture quotidienne, jusqu'au paroxysme qu'est la Croix. Religieux voué à la vie régulière, le
frère convers trouve dans sa vie la souffrance qui, en le délivrant, délivre autour de lui ceux pour
qui il expie. Souffrance de la pauvreté, souffrance de la solitude du cœur, souffrance de l’obéissance
qui brise les plus profonds désirs, souffrance de la vie régulière, monotone, du travail continuel sans
les légitimes plaisirs du monde, sans perspectives terrestres. Voila cette « action » apostolique que le
frère convers unit à la grande action du Calvaire, et qui sauve les hommes plus efficacement que les
plus beaux discours. Sa vie de sacrifice donne au frère le droit d’être nommé apôtre.

Le frère convers agira enfin en apôtre, comme Jésus, par toute sa vie ; sa vie elle même sera
une prédication. Prêcher ce n'est pas autre chose qu'exprimer extérieurement des convictions et des
idées, dans le but de mener les hommes au Christ. Mais cette expression peut être ce qu'on dit, elle
peut être aussi ce qu'on fait, et plus simplement ce qu'on est ; on prêche alors d'exemple. On en
souligne pas assez d'ordinaire cet aspect de notre prédication ; on ne remarque pas assez la
puissante action apostolique que le couvent réalise par sa simple présence. L'action du frère
prêcheur ne disparaît pas au moment où il disparaît de la chaire, et rentre dans le cloitre. Precheur, il
l'est encore quand il se nourrit du silence, quand il accomplit la « solennelle célébration de la
liturgie sacrée » commandée par nos Constitutions, quand il travaille sous le regard du Christ.

Qui donc dira l'apostolat exercé sur tel ou tel par la vie silencieuse de tel frère convers, qu'on
voit tout près de Dieu. Car la vie se voit et ne trompe pas : on peut exprimer par ce qu'on dit des
convictions dont on ne vit plus ; par ce qu'on est on s'exprime sans mensonge, et cette expression
est la plus forte. Le frère convers qui sort peu du cloître sauve les hommes en prêchant d'exemple
par sa vie.

Il faut d’ailleurs ajouter que le frère convers pourra être amené, selon ses capacités, à avoir
une activité apostolique en accompagnant les Pères dans leur ministère, en enseignant le
catéchisme, en animant des pèlerinages, ou en encadrant des camps de jeunes. Il y a également un
champs apostolique dans lequel les frères convers ont été bien présents au cours de l'histoire
dominicaine, c'est le domaine de l'art.

*
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Mais nous devons remonter à des principes plus haut pour comprendre en quel sens le frère
convers est un prêcheur authentique. La Prédication envisagée cette fois dans son sens strict, la
Parole publique au nom du Père et du Fils et du Saint Esprit, c'est ce qui caractérise notre Fraternité.
L'Eglise a confiée à notre Fraternité la mission de « prêcher et de témoigner de l'Evangile » (Décret
d’érection de la Fraternité). A notre Institut, c'est à dire à ce corps que forme la réunion de tous les
frères de la Fraternité Saint Vincent Ferrier, mais non pas spécialement à chaque membre de ce
corps.

Cette image du corps est précieuse : de même que dans notre corps il y a différents organes
qui ont des fonctions diverses, mais qui concourent au service et au bien de tout l'ensemble ; ainsi
pour la Fraternité Saint Vincent Ferrier qui est caractérisée par la Prédication. Tels organes de ce
« Corps » seront directement et spécialement des instruments de Prédication, tels autres serviront de
moins près à cette fonction ; tous seront à part entière membres du même Institut, instruments du
même Corps en vue de la Prédication.

Par quoi le frère convers est-il prêcheur ? Parce qu'il est partie du Corps dont il accepte
d'être l'instrument. Pas un acte du frère convers, pas une prière, pas une pensée, pas une souffrance,
qui ne soit au service de la Fraternité ; tout ce qu'il est, lui, frère convers, appartient à la Fraternité.
Il s'est donné à Dieu par elle et en elle, totalement et pour toujours quand il a prononcé ses vœux ;
voilà pourquoi il est, comme tout profès, convers ou clerc, prêcheur.

En somme, on pourrait dire que ce qui fait qu'on est prêcheur, ce n'est pas qu'on prêche, c'est
très précisément qu'on est partie d'un Corps dont la fonction spéciale est de prêcher. Voilà pourquoi
on peut être prêcheur sans pour autant prêcher, voilà pourquoi surtout, le frère est prêcheur, non pas
dans la mesure où il prêche, mais dans la mesure où il se donne à sa Fraternité. Un bras sain est plus
humain qu'un cerveau malade ; de même un frère qui ne peut pas prêcher mais qui vit intensément
de ses vœux, qui se donne vraiment à la Fraternité, est plus prêcheur qu'un prédicateur qui
chercherait dans sa prédication autre chose que le but même de la Fraternité, le salut des âmes, qui
prêcherait pour lui, par vanité ou pour un but personnel.

On le voit donc, le frère convers est un prêcheur authentique, et ceci en vertu de ses vœux
qui font de lui un organe d'un Corps voué à la Prédication. Il peut affirmer que c'est pour le travail
sacré de la Prédication qu'il a été appelé. La seule condition requise pour mériter cet honneur, c'est

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de donner réellement ce qu'on fait, ce qu'on a, ce qu'on est, afin d’être un membre sain, un organe
vivant. Le frère convers donnera tout, sa prière, sa souffrance, sa vie entière ; il donnera
spécialement le travail manuel dont sa vie est faite.

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LE TRAVAIL MANUEL DU FRÈRE CONVERS

Autrefois, lorsqu'on parlait de frère convers, il semblait obligatoire de bien insister, de


donner des explications, tant bien que mal, sur leur « humble condition », sur leur « humble
travail » : comme si vraiment l'humilité était la vertu essentielle et l'apanage des travailleurs
manuels. Grâce à Dieu, un regard plus juste sur la dignité du travail manuel nous délivre de cette
fausse “humilité” ; le travail des mains reprend sa place légitime dans la vie humaine et son
caractère de noblesse vraie. Le frère convers sera fier de travailler de ses mains, et sa fierté ne
l'empêchera pas d'être humble.

Comment ne serait-il pas fier, lorsqu'il peut se dire que son travail, pétrissant la matière,
prolonge la Création de Dieu : humble travail sans doute, mais de quelle étrange grandeur ! Le frère
convers sait comprendre le Sens divin de ce qu'il fait. Il sait de plus ce que le Christ Jésus pense ; le
Verbe de Dieu s'est fait charpentier; aux Yeux du Christ, prononcer un discours dans la chaire de
Notre-Dame, c'est en un sens aussi humble que de bêcher le jardin, car c'est, ici et là, le pauvre petit
travail de l'homme, faisant tous ses efforts pour donner toute sa mesure. Aux yeux du Christ
surveiller la cuisine est aussi grand que de publier un savant livre sur saint Thomas, car dans l'un et
l'autre cas la charité peut être présente, qui divinise tout.

Sans doute la valeur objective des œuvres est diverse, selon leur rapport intrinsèque à la fin
surnaturelle de l'homme. Ainsi la collation des sacrements et la prédication pour le Royaume sont-
elles en elles-mêmes supérieures aux œuvres de miséricorde corporelle. Mais il est vrai aussi de dire
que, dans la perspective du mérite qui est mesuré par la charité, la vraie valeur des travaux de
l'homme vient de l'amour de celui qui s'en charge. Car c'est bien là qu'il faut en venir : il s'agit avant
tout d'aimer.

L'amitié de Dieu, nous l'avons dit, voilà la vie du frère convers ; son métier, c'est d'aimer les
Trois Personnes Divines. Et son travail manuel est un moyen pour lui de “pratiquer” son amour, de
donner sa vie goutte à goutte, jour par jour, car « aimer c'est tout donner, et se donner soi-
même »(sainte Thérèse de Lisieux).

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Alors le frère convers travaillera dans la joie, autant qu'il le pourra, aussi bien qu'il le pourra.
Ce qu'il fait ressemblera, de l'extérieur, à ce qu'on fait dans le monde. Mais son amour transformera
et grandira son travail. Humble et grande comme toute besogne humaine, la tâche quotidienne du
frère convers sera sa vie, la spécialité dont il sera fier, ce qu'il donnera de tout son cœur à sa
Fraternité, pour être un vrai prêcheur, un vrai membre vivant de ce Corps.

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LA JOIE DU FRÈRE CONVERS

Le Frère Convers est-il un homme heureux ?

Fils de saint Dominique, le frère convers peut affirmer avant tout examen que la joie est son
lot ; car la joie est la marque de famille, illuminant le front de notre Père comme une étoile au pur
scintillement.

Et d'où vient cette joie ? Saint Thomas répond : de l'amour. Il a en effet cette remarque
étrange : « En Dieu il y a la joie, donc en Dieu il y a l'amour. » (Contr. Gent. I. I. ch.91) Être
heureux, c'est prouver qu'on aime.

Or, chez nos frères, l'amour est à son comble, si l'on peut dire, puisqu'on doit y vivre
pleinement de la charité qui fait contempler Dieu et agir pour le prochain. Et parmi les frères, le
convers possède le privilège d'être pour ainsi dire spécialement voué à la contemplation. Il restera
fidèlement près du Maitre, comme Marie, il n'aura pas à « supporter d’être séparé pour un temps de
la douce contemplation divine. » (IIa IIae, q. 182, a. 2) C'est sans arrêt qu'il goutera, s'il le veut bien,
cette joie qui « surpasse toute autre délectation humaine » (id. q. 180, a. 7)

Son rôle à lui, frère convers, c'est justement de se livrer tout entier à cette joie de la Présence
de Dieu ; et ce rôle est nécessaire dans un monde et à une époque où l'on est tenté de ne plus rien
comprendre à la paisible joie du contemplatif. Le frère convers est heureux précisément de rester
dans la compagnie et la familiarité des Personnes divines, de ne pas interrompre leur conversation,
heureux de ne quitter que rarement le couvent, cadre normal et nourricier de la vie contemplative.

Dans le couvent, le frère convers doit vivre aussi de la charité fraternelle, et prolonger son
amour de Dieu en amour vrai et agissant pour ceux qui vivent avec lui. Et voilà une source de joie
dont nous devons dire quelques mots.

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La joie de vivre ensemble ne va pas sans quelques sacrifices. Car sous le même habit se
rencontrent les individualités les plus diverses. Or il faut que tous ne forment plus « qu'un seul cœur
et une seule âme » et pour cela que chacun se sacrifie un peu. Ce qu'il faut sacrifier encore, c'est la
joie sensible, quand elle est dominante et qu'elle fait préférer la compagnie de tel ou tel à
l'accomplissement de son devoir.

Mais le sacrifice ne fait que viriliser la vraie et profonde joie de la charité fraternelle. « Que
c'est bon, dit le Psaume, que c'est doux d'habiter ensemble avec des frères ! » C'est bon d'abord
parce que cela aide à aimer Dieu. Tout près de soi, on voit tel frère qui vit intensément de sa vie
religieuse, qui cherche à devenir, vraiment, un saint : quel exemple ! quel encouragement dans les
moments de lassitude, quel entraînement dans les instants de ferveur. Autour de soi, les frères sont
prêts à intervenir pour aider celui qui est en retard, pour corriger celui qui se trompe : la charité
fraternelle s'exerce alors au Chapitre des coulpes où chacun s'accuse de ses fautes extérieures, où
chacun peut et doit faire remarquer à son frère telle habitude, telle action qui l'empêche de s'élancer
vers Dieu.

Mais ce n'est pas seulement cette joie, quelque peu austère, qui se vit dans les cloîtres. Car il
s'agit encore de ce bonheur humain qu'on cherche à réaliser intensément dans une famille. Les
récréations de chaque jour sont faites pour que cette joie d'être ensemble s’épanouisse. On
comprend qu'on a vraiment retrouvé une famille.

Dans cette famille, tout est mis en commun : les peines d'un frère sont les peines de tous, ses
inquiétudes, ses espérances sont partagées. Rien n'est plus significatif de cette charité que la
cérémonie de prise d'habit. Le nouveau frère vient d'être revêtu de l'habit par le Prieur : au chœur on
entonne le Te Deum, et le frère tout ému passe entre les rangs des religieux pour recevoir le baiser
de paix. On voit alors tous les visages s’éclairer de joie, car la famille tout entière partage le
bonheur du nouveau venu : oui, que c'est. bon de vivre ensemble !

Et cette joie de la vie commune, cette joie qui vient de ce que l'on est plus seul dans la vie,
car on se sent aimé, soutenu, accompagné dans le chemin souvent pénible qui mène au but, cette
joie est sans fin. A partir de l'instant où il revêtu l'habit de la Fraternité, le frère est assuré de trouver
jusqu'à la fin de son pèlerinage ici-bas cet amour fraternel qui se confond avec l'amour de Dieu.

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Ainsi se passera sa vie, toute joyeuse d'être riche d'amour. Vie de contemplation qui cause la
joie la plus parfaite qu'on puisse rêver, vie de fraternité agissante, vie où tout n'a qu'un but : être
heureux mais du bonheur réservé à l'ami des Personnes Divines.

Alors viendra, au terme de sa vie, le grand jour de joie que tout contemplatif attend comme
sa récompense. Les années auront passé, et le frère convers, ayant fait jusqu'au bout son devoir,
attendra la venue de Celui qui doit venir le prendre : le frère est là, reposant très calme sur son lit.
Autour de lui, tous les religieux sont présents, tous ses frères qu'il a aimés et qui veulent l'aider en
ces instants décisifs.

Puis un chantre commence doucement le Salve Regina. Le frère qui s'endort en Dieu a
ouvert une dernière fois les yeux, il a reconnu ce chant de joie et il sourit à sa Mère. Tous les soirs
de sa vie, il a chanté ce chant, pour terminer chacune de ses journées ; et maintenant que la grande
Journée s’achève, le même chant va l'endormir. Cette grande Journée, le frère la revoir peut être
d'une regard : l'enfance, puis la vocation, l'entrée dans la Fraternité, la Profession, puis toute la vie
d'un bout à l'autre. Il ne regrette rien, il est content de tout, il a confiance parce qu'il a beaucoup
aime, il est heureux parce qu'enfin il va voir Celui qui est tout pour lui.

Ces frères sont bien près de lui, il les entends chanter, et leur voix se fait douce et
affectueuse, porteuse de tout leur amour. Et le chant va se terminer, c'est l'heure prévue par l'Ami,
c'est l'heure où la joie va devenir parfaite, où notre frère convers, après toute une vie consacrée à
Dieu, va enfin dans un autre monde entendre la Voix qui accueille dans la Béatitude : « Viens, bon
serviteur. Tu as été l'ami fidèle qui a su m'attendre et n'attendre que moi seul : entre maintenant dans
la joie de ton Maitre. »

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« Votre vocation, mes chers Frères, n'est pas facile, surtout en raison de l'esprit
du monde qui n'apprécie guère la pauvreté évangélique et l'humble service. Vous êtes
appelés à suivre le Christ dans une vie de total don de vous-mêmes qui, en général,
n'appelle pas les applaudissements du monde. Beaucoup de gens ne peuvent
comprendre votre vocation, parce qu'ils ne peuvent saisir combien l'invitation du Christ,
quand elle est acceptée, peut apporter de vraie joie et d'épanouissement ››

(Jean-Paul II, 15 février 1982)

Cette brochure veut répondre à l'attente de ceux qui réfléchissent à la vocation de


Frère convers dans la Fraternité Saint-Vincent-Ferrier.

Cette vocation de totale consécration à Dieu et au salut des âmes se réalise en suivant
le Christ dans la radicalité de l’exigence évangélique. Elle imite particulièrement le Christ
« venu pour servir et non pour être servi », le Frère convers mettant ses forces au service de
la mission apostolique de la la Fraternité.

TABLE DES MATIÈRES

Pourquoi le Frère Convers........................................................................................................2


Le Nom de Frère Convers.........................................................................................................3
L'Etat de Perfection du Frère Convers......................................................................................5
La Vie Contemplative du Frère Convers..................................................................................7
L'Action Apostolique du Frère Convers...................................................................................9
Le Travail Manuel du Frère Convers......................................................................................13
La Joie du Frère Convers........................................................................................................15

Édition numérique par salettensis


disponible sur
http://www.scribd.com/doc/50014398

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