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de la Toussaint
SOMMAIRE
Page 3 : Introduction
Page 4 : Le rouge au front, article de André Wurmser, du journal « L’Humanité » paru le 31 janvier 1969
Pages 5, 6, 7 : Les "Oubliés" de la Toussaint, article de Jean Benoît, du journal « Le Monde » paru le 1er
novembre 1970
Page 8 : Article de Charles Tillon paru dans le premier bulletin de l’Amicale du 1er septembre 1973
chronologique de décès
Page 16 : Paul Pitoume, artiste peintre interné & inhumé dans le cimetière
Page 28 : Un poème écrit par Ampari Perez, PERFILES HUMANOS PROFILS D’HOMMES
Dessins de Carlos Duchatellier, peintre Haïtien interné. Source : Amicale des Anciens
L’histoire du cimetière du camp de concentration du Vernet d’Ariège est intimement liée à celle de
l’Amicale des Anciens Internés Politiques et Résistants du camp de concentration du Vernet d’Ariège,
créée le 1er décembre 1944.
Fin 1950, dans le contexte de la « Guerre Froide » & sous la pression de Franco, l’opération de
répression policière nommée « Boléro-Paprika » vise plusieurs centaines de militants d’associations
antifascistes, principalement des Espagnols Républicains qui sont assignés à résidence & déportés en
Algérie & en Corse pour la plupart, vers des pays de l’Est pour les autres. Notre Amicale n’est pas
interdite d’exercer ses activités, mais certains de ses militants sont poursuivis. Ce climat répressif
ignoble envers des personnes qui ont été parmi les premiers Résistants & qui ont participé à la
Libération de la France oblige à sa « mise en sommeil ». Le cimetière, abandonné, tombe dans l’oubli. Il
disparaît sous les ronces. Les vaches vont paître parmi ses tombes. Une indifférence quasi générale
plane au-dessus de ce lieu où le fascisme pétainiste & hitlérien a frappé cruellement.
En 1969, la chronique « Mais, dit André Wurmser », publiée dans le journal L’Humanité a pour titre
« Le rouge au front ». Le journaliste découvrant ce lieu de désolation a le cœur fendu & éprouve un
puissant sentiment de honte. HONTE de constater que la France a abandonné les dépouilles de ces
combattants antifascistes sans leur rendre le moindre hommage, alors que la République Fédérale
Allemande a rapatrié celles de ses soldats décédés & enterrés dans ce cimetière après la Libération
pour les honorer.
En 1970, deux actions vont être déterminantes pour sauver le cimetière. Dans l’été d’abord, un ancien
interné Garibaldien, Ilario PLINIO est mandaté pour contacter autorités & personnalités & les convaincre
de sauvegarder ce cimetière où plus de cent-cinquante antifascistes sont enterrés à jamais.
Ensuite, le 1er novembre 1970, un journaliste du journal Le Monde, Jean Benoît, publie un article intitulé
« Les "Oubliés" de la Toussaint ». Ces deux actions ont un grand retentissement. Les anciens internés se
remobilisent. L’Amicale se lance dans un travail opiniâtre qui porte ses fruits et les
"Oubliés" de la Toussaint récupèrent leur dignité. Les tombes sont rénovées, les alentours et les accès
au cimetière aménagés. La lutte contre l’oubli s’est mise en route & ne s’arrêtera pas.
Depuis 2010, chaque tombe est fleurie le 1er novembre à 11 heures au cours de la cérémonie des
« Oubliés » de la Toussaint.
En 2012, l’Amicale a aussi décidé de munir toutes les tombes d’une lampe solaire. Ceci pour mettre en
lumière tous ces combattants antifascistes trop longtemps restés dans l’ombre.
En 2016, l’identité & la nationalité des internés décédés sont lues au cours de cette cérémonie par les
personnes présentes.
Cette année 2020, avec l’aide d’une trentaine de bénévoles, nous avons effectué des rénovations : les
plaques commémoratives ont été repeintes & le gravier des tombes a été renouvelé.
Le cimetière est devenu un garant de lisibilité pour l’Histoire & la Mémoire du camp de concentration du
Vernet d’Ariège.
C’est aussi un lieu de recueillement pour les proches et de paix pour ceux qui y reposent.
L’Amicale qui a la responsabilité de ce « témoin » poursuit son travail sereinement, MAIS, l’oubli faisant
toujours son œuvre, la vigilance reste de mise.
Vous trouverez dans cette publication des articles de journaux, des textes d’auteurs, des documents
iconographiques, des documents d’archives, ainsi que la liste de toutes les personnes décédées que
nous avons recensées à ce jour.
Belle lecture…
Raymond Cubells, président de l’Amicale 3
Mais, dit André Wurmser, LE ROUGE AU FRONT
Ils étaient en décembre 1940, 3 367 au camp du Vernet. La plupart s’étaient levés avant le jour : les combattants d’Espagne
des Brigades Internationales. Il y avait là, avec 717 Espagnols, 538 Polonais, 28 Russes, 174 Yougoslaves, 333 Italiens, parmi
lesquels Luigi Longo, aujourd’hui secrétaire général du Parti Communiste, 111 Tchèques et parmi eux Arthur London, dont la
fermeté communiste survécut à la plus injuste des destinées, et 232 Allemands et parmi eux Frantz Dalhem, qui, humilié,
maltraité par ceux qu’il aurait pu tenir pour les représentants de notre pays, préside aujourd’hui, en République Démocratique
La police de Pétain leur adjoignit, expédié de tous les départements par des préfets zélés, tout étranger suspect de Résistance.
Beaucoup sont morts. Les autorités de ce camp de concentration ne les ont pas assassinés ; elles les ont laissés mourir. Un
petit cimetière en contint 211. Je me suis arrêté là, en allant de Toulouse à Foix.
Je n’ai pas le culte des tombes. Honorer la mémoire des morts, oui ; leurs ossements, non. Mais puisque cimetière il y a, du
moins la décence de ces lieux devrait-elle interdire de douter de notre reconnaissance envers ceux qui sont morts pour la
liberté.
Or c’est un spectacle à fendre le cœur, à rougir de honte. L’enclos est au milieu d’un champ. Aucun chemin n’y mène. La
clôture de bois tendre, les barbelés ont tour à tour pourri, disparu. En fait de monument, une pierre porte cette inscription :
« Aux étrangers morts loin de leur patrie ». La piété tient lieu de gratitude, d’hommage.
Sur deux humbles couronnes de fleurs artificielles, assez déglinguées, on arrive encore à lire : « À nos compagnons de
captivité » : comme si le destin des victimes de Vichy ne concernait que les internés ! L’endroit que la mauvaise saison réduit à
la nudité de la misère, est, l’été venu, un grand roncier. Sur de légers renflements traîne, parfois, pas toujours, une petite
pierre où fut gravé un numéro matricule : 152, 187… Dans un coin s’entassent des croix vermoulues ou brisées. Ici et là bée
une tombe vide. La Yougoslavie a rapatrié ses morts. À la Libération, des soldats hitlériens que les maquisards avaient faits
prisonniers furent internés au Vernet ; quelques uns y moururent ; la République Fédérale Allemande a rapatrié les restes des
soldats hitlériens, ses soldats. Quant aux antifascistes allemands qui, en Espagne ou en France s’étaient rendu coupables
d’antinazisme, que la France avait internés au Vernet et qui y sont morts, allez savoir sous quel mince tumulus ils se mêlent à
la terre qu’ils ont défendue. Les restes de ceux qui ont combattu POUR Hitler ont été honorés ; les restes de ceux qui ont lutté
Encore une fois, ce n’est pas leur poussière qui est en cause ; c’est cette négligence des vivants, c’est cette différence de
destin entre les honorables soldats ennemis et les martyrs qui les combattirent, c’est cette indécence, cette honte.
Un dossier de police signale l’arrivée au Vernet d’un étranger soupçonné de ce crime : avoir assisté à une réunion « gaulliste ».
C’est le terme du rapport. Mais gaulliste avait alors un autre sens ; aujourd’hui les tombes des antinazis sont à l’abandon et le
nazi Kiesinger est plus gaulliste que les pauvres morts ne l’ont jamais été.
4
LES « OUBLIÉS DE LA TOUSSAINT » , de notre envoyé spécial
Publié en page 8, dans le deuxième bulletin de l’Amicale. À retrouver sur notre site
http://www.campduvernet.eu/medias/files/bulletin02.pdf.
« Nous publions ici, avec l’aimable autorisation du directeur du « MONDE » l’article de M. Jean
BENOIT paru le 2 novembre 1970. Ce texte, par son titre évocateur, a aidé grandement à
sensibiliser l’opinion sur le problème du cimetière du camp du Vernet. Nous remercions encore
une fois M. BENOIT pour l’aide qu’il nous a apportée. Les membres de l’Amicale seront sûrement
heureux de lire ou relire l’un des meilleurs articles sur le camp du Vernet. »
Le Vernet - Dans les Pyrénées, à la Toussaint, les femmes allument des cierges au pied des tombes,
mètres de la grand-route Andorre-Toulouse, aucune fleur, aucune bougie n’orne jamais le « cimetière des
étrangers ».
Curieux cimetière en vérité que cet enclos de 20 mètres sur 20 où reposent encore les dépouilles
chemin n’y conduit. L’autorité militaire qui possédait le terrain l’a cédé à un agriculteur. De sorte que
pour l’atteindre il faut traverser un champ. Le bétail va paître librement sur ce qui reste de l’ancienne
enceinte : une centaine de tertres recouverts de végétation, quelques fosses dissimulées par les ronces
et que personne n’a pris la peine de combler ; quatre croix de bois dont les inscriptions semblent avoir
définitivement disparu.
L’été dernier un homme est entré dans le cimetière ; il avait l’air d’un Italien. Il marchait lentement, à
cause des tumulus qu’il fallait enjamber entre les ajoncs, les gerbes de blé ou les épis de maïs. Il avait
fait le voyage de France pour venir au Vernet dans le petit cimetière. Randonnée d’embûches :
Francesco X…, de Reggio-de-Calabre, découvrait qu’il n’y avait pas moins de trois Vernet dans la région
Le Vernet, dans l’Ariège, qu’on appelle aussi Le Vernet d’Ariège. Ce dernier village seul intéressait
l’Italien. Lorsqu’il vit l’état des lieux, il s’en retourna sans rien dire.
La même mésaventure survint, il y a quelques semaines, à un visiteur arrivé cette fois du Mexique pour
« reconnaitre » l’un des siens. Aucun nom ne figurant sur les sépultures, le Mexicain s’adressa à la mairie
du Vernet. On lui dit : « Le cimetière est « sur » Saverdun, la localité voisine. » ; à Saverdun, on le renvoya
au Vernet : « C’est Le Vernet qui a l’état civil. ». Au Vernet, on rétorque que les listes des corps restés
inhumés se trouvent à Foix, préfecture de l’Ariège. À Foix, rien : les archives sont incomplètes.
5
Ceux des Brigades
Dans les années 1938-1939, alors que les estivants des côtes voisines écoutaient chanter Charles
Trenet, les Espagnols républicains et leurs compagnons des Brigades Internationales avaient eu le triste
surpeuplés, qui devaient recevoir par la suite le flux sans cesse grandissant des « suspects », des
ressortissants de pays ennemis, des apatrides arrêtés en Hollande, en Belgique et en France après le 10
mai 1940 puis après l’armistice, des israélites. On sait par quel enchaînement les gendarmes français
puis la police, puis la milice gravirent l’escalade de la cruauté et de la brutalité. Devenus un instrument
politique entre les mains du gouvernement de Vichy, les centres d’internement français allaient
finalement se peupler pour 70% d’israélites et fournir, dès l’invasion de la zone sud, en 1942, la
était l’un des plus importants. Y furent internés quatre-mille-cinq-cents personnes de toutes nationalités,
dont 50% d’israélites, surtout polonais, allemands, autrichiens et belges. Certains noms de prisonniers,
qui passèrent par le camp du Vernet ou qui s’en évadèrent, sont restés célèbres : Franz Dalhem (adjoint
de Dimitrov et actuel ministre de l’État est-allemand), Luigi Longo (chef du P.C. italien), Fernec Munich
(homme d’État hongrois), Yvan Gosniak (qui sera ministre de la défense nationale dans la Yougoslavie
d’après-guerre). D’autres moins heureux que le nazi Léon Degrelle, futur officier de Waffen SS - qui n’y
resta qu’une huitaine de jours, - moururent au Vernet, généralement des privations subies. Combien ?
Nul ne peut le dire. Ni la préfecture, ni les Archives Départementales ne peuvent nous renseigner, pas
plus que M. Claude Delpla, professeur au lycée de Foix, correspondant pour l’Ariège du comité d’histoire
de la deuxième guerre mondiale. Presque tous les documents ont été détruits.
Les Espagnols, premiers arrivants, avaient été aussi les premiers et les plus nombreux à succomber.
Puis il y eut les juifs, des gens d’Europe centrale, des Allemands. Le cimetière, installé à proximité du
morts Outre-Rhin ou à Dagneux (Ain), en janvier 1961, par les soins du Volksbund Deutsche
Kriesgräberfüsorges, service allemand pour l’entretien des sépultures, qui a son siège à Maisons-
Laffitte.
Selon les rares archives disponibles, il restait à cette époque les corps de vingt-six Russes, vingt-trois
Polonais, dix-huit Espagnols, seize Italiens, cinq Yougoslaves, trois Tchèques, deux Roumains, deux
autres étaient « juifs » ou « ennemis ». En 1964, les derniers israélites identifiés furent inhumés à Portet-
sur-Garonne (Haute-Garonne) par les soins des œuvres juives de France ; puis le gouvernement de
Belgrade prit en charge la translation des corps de ses ressortissants. Depuis lors le cimetière est laissé
à l’abandon - ainsi que ceux que l’on appelle au Vernet les "Oubliés".
Sur une stèle élevée jadis au centre de l’enclos par des anciens combattants, une inscription se devine
encore : «Aux étrangers morts loin de leur patrie - 1939». Elle exprime dans son laconisme un peu sibyllin
la volonté d’englober dans un même hommage toutes les victimes de la guerre, quelles que soient leurs
origines.
Victimes, les "Oubliés" du Vernet le sont deux fois plutôt qu’une. Une querelle de clocher qui s’est greffée
sur l’inertie de l’administration centrale aboutit à ceci : un cimetière anonyme émouvant et terrible. Il y a
quelques années, la municipalité du Vernet s’aperçut, en effet, lorsqu’il fut question d’exhumer les corps
- à 100 francs par dépouille, - que le cimetière n’était pas sur son territoire, mais à 80 mètres près sur
celui de Saverdun, petite ville voisine, dont le maire, M. Amiel, est conseiller général. Les deux maires se
firent des politesses, refusant d’offrir, si l’on ose dire, l’hospitalité du cimetière municipal, le premier
l’Ariège s’est émue de cette situation. Le préfet de l’Ariège, M. Gorse, a saisi le ministère de l’Intérieur.
Le 15 octobre, le conseil municipal de Saverdun donnait son accord de principe pour le déménagement
des corps vers le cimetière du Vernet, où l’on acceptait de céder « gratuitement » une partie du cimetière
municipal, à condition que les frais ne soient pas mis à la charge de la commune. On attend toujours la
racisme, morts sans éclat au pied des Pyrénées, démontrent qu’il peut y avoir aussi un racisme d’outre-
tombe.
JEAN BENOIT
7
LE VERNET…
Il suffit parfois d’un simple enclos où se reposent des témoins et des victimes de l’affrontement entre les hommes
pour qu’au bout d’une longue vie, la mémoire vous restitue tout un pan de notre histoire, dont la méconnaissance
Ce sentiment me bouleversa le jour où des amis qui veillent sur l’honneur de leurs morts m’avaient conduit à
l’ancien camp du Vernet d’Ariège. Le Vernet, qui fut pendant les années sombres un vaste cimetière où
pourrissaient toutes les libertés humaines, arrachées aux deux-mille prisonniers qui survivaient là, sur 50 ha de
terre enlevée à la nature par des bourreaux dénaturés, un labyrinthe de barbelés, un cloaque où l’improvisation
« Le Vernet, un point zéro de l’infamie », pourra écrire un de ses prisonniers, Arthur Koestler ! Un de ces camps
dont les gardiens n’avaient rien à envier aux camps hitlériens de la mort que le four crématoire.
La guerre d’Espagne venait de finir. Je m’en souviens en tant qu’ancien prisonnier de Franco qui, libéré, subit la
honte de voir que la France, par-dessus les Pyrénées, donnait raison aux franquistes en jetant dans des bagnes
les survivants des Brigades Internationales. Et ce fut dans les baraquements de ces prisonniers d’une trempe
particulière que sévirent le plus cruellement la torture quotidienne du mépris de la personne humaine, l’obligation
du travail rabaissé jusqu’à donner l’envie de la mort, le supplice de la faim scientifiquement entretenu et du
La France vaincue et trahie, le Vernet va devenir un carrefour international de la souffrance pour des antifascistes
des cinq continents dont le crime était de vouloir la liberté, la paix et l’indépendance pour tous les peuples.
C’est ainsi que ceux qui sont morts au Vernet nous ont laissé, avec leurs cendres enfouies sous un peu de terre,
leurs noms inoubliables et le testament de leur vie. À la place de ces lieux souillés par la haine des droits de
l’Homme, Le Vernet est devenu un sanctuaire du souvenir aussi sacré pour chaque homme que «la plus
solennelle déclaration de ses droits naturels, imprescriptibles et inaliénables» sans laquelle la victoire de 1945
Le Vernet a vu vivre, croire, espérer, combattre et mourir une fraction de cette humanité fraternelle que les
Le Vernet, cet enclos de terre de France où reposent les restes d’antifascistes de presque tous les pays du
monde, victimes des fanatiques, des racistes, des faiseurs de charniers, de tous ceux qui avaient peur de chaque
homme dont le regard dépassait les frontières, dont le cœur battait du sang de tous les sacrifices pour la liberté,
Le Vernet gardant mémoire de ses morts dit au passant, avec le poète italien antifasciste Carado Alvaro que :
Lieux de l’inhumation ou
NOMS PRÉNOMS Nationalités Né le Décédé le
du décès
ABAD SEBASTIAN Jose Espagnol 13/10/1890 27/03/1939 Cimetière
ACKERMANN Zélik Russe 15/05/1898 03/10/1940 Exhumé
AIXA FRANCO Daniel Espagnol 10/01/1898 09/04/1939 Exhumé
ARNAUD ZABALA Ricardo Espagnol 04/05/1898 05/04/1944 Cimetière
AROCA GARCIA Marino Espagnol 24/01/1903 10/04/1939 Cimetière
ARTIME José Espagnol 10/10/1911 27/05/2005 Cendres déposées
ASLANIDIS 5W206 Georges Grec 02/11/1883 03/04/1941 Hôpital de Foix
AVDEEF Georges Russe 07/10/1911 08/06/1942 Cimetière
AVENTIN VIVAS Jose Espagnol 19/04/1917 05/06/1939 Cimetière
BACOCCOLI Orazio Italien 17/02/1887 21/06/1941 Exhumé
BADIA MONCLUS Jose Espagnol 17/03/1899 05/07/1939 Cimetière
BALEN Joseph Yougoslave 26/06/1905 27/05/1941 Cimetière
BARAN François Polonais 06/10/1892 17/12/1939 Lieu inconnu
BARFULL GELADA Germain Espagnol 07/06/1904 07/11/1941 Cimetière
BARGALLO DE LA TORRE Jose Espagnol 22/02/1915 27/03/1939 Cimetière
BARRABES ASIM Juan Espagnol 23/08/1939 Cimetière
BATOR Ladislas Polonais 19/04/1899 26/08/1941 Cimetière
BAUTISTA REINA Nicomedes Espagnol 03/09/1920 14/07/1939 Cimetière
BAYER Xavier Allemand ?/10/1944 Cimetière
BELARDIS Georges Italien 15/02/1890 08/05/1941 Cimetière
BERGMAN Ladislas Roumain 06/10/1910 16/09/1941 Cimetière
BERMAN Herman Polonais 11/11/1887 20/08/1940 Toulouse
BERNABE VALERO Juan Espagnol 27/06/1941 Exhumé
BERNARDINO HUERTES Fausto Espagnol 19/12/1908 13/09/1941 Cimetière
BERNHARDT François Hongrois 12/09/1890 10/09/1941 Hôpital de Saint-Lizier
BOATELLA GRILLO Jaime Espagnol 03/02/1904 12/05/1939 Cimetière
BORKIEWIEZ Albert Allemand 02/08/1918 24/08/1940 Cimetière
BOROY José Espagnol 17/05/1939 Hôpital de Pamiers
BORRANI Charles Italien 24/04/1899 30/07/1944 Exhumé
BRANDEIS Werner Allemand 17/08/1892 22/02/1942 Hôpital de Pamiers
BRICE Léon - Jules 17/08/1940 Hôpital Larrey, Toulouse
BRISSINE Nicolas Russe 29/04/1897 25/12/1942 Cimetière
CANO FLORES José Espagnol 13/06/1939 Hôpital de Foix
CARRERAS MIGUEL Jose Espagnol 03/05/1918 16/04/1939 Cimetière
CAUDEVILLA LADRERO Esteban 30/06/1944 Exhumé
CHERRE Vladimir Russe 20/05/1881 21/02/1942 Cimetière
CHRISTIANI Nicolas Russe 23/04/1884 17/04/1941 Cimetière
CHWALECK Jean Polonais 10/10/1885 25/04/1944 Cimetière
CONTRERAS GALLARDO Miguel Espagnol 27/07/1939 Cimetière
CURETTI Pascal Italien 06/01/1877 07/01/1940 Cimetière
9
Lieux de l’inhumation ou
NOMS PRÉNOMS Nationalités Né le Décédé le
du décès
CUVIN Romain Nicolas Roumain 20/07/1903 08/10/1941 Hôpital de Pamiers
DA SILVA 5W326 Antonio Portugais 15/02/1902 18/07/1943 Cimetière
DALLINGER Leo Allemand 04/08/1906 11/11/1940 Cimetière
DARINI Sabbattino Italien 14/01/1900 11/07/1942 Cimetière
DAWSON 5W206 Eric Apatride 13/05/1904 11/07/1942 Cimetière
DENISOFF Paul Russe 01/01/1884 04/11/1940 Hôpital de Pamiers
DIAZ PERERA Severiano Espagnol 08/04/1908 05/03/1939 Exhumé
DIAZ SANCHEZ Benito Espagnol 03/04/1900 15/03/1941 Hôpital Sabbart, Tarascon
DONATTINI Joseph Italien 05/01/1897 14/12/1941 Cimetière
DREYFUS Paul Allemand 16/07/1880 27/02/1940 Exhumé
DUDALSKY Antoine Polonais 29/10/1889 16/12/1941 Cimetière
DURAN NOGUES Juan Espagnol 08/05/1915 17/03/1939 Exhumé
DYC 5W207 Jacob Polonais 06/07/1889 21/03/1941 Cimetière
FANTINI 5W413 Mario Italien 18/06/1906 27/08/1941 Exhumé
FASSLER Albert Suisse 24/11/1910 08/12/1940 Cimetière
FELIU GARCIA Eduardo Espagnol ?/09/1939 Cimetière
FERRAND Édouard Jules USA 21/11/1892 21/02/1942 Cimetière
FINDIKIAN Nabar Arménien 10/11/1894 14/10/1943 Hôpital de Saint-Lizier
FREIXAS Miguel Espagnol 28/02/1916 29/03/1939 Cimetière
FRET Joseph Polonais 27/01/1921 05/10/1942 Cimetière
FRITZ Boris Russe 13/03/1893 17/03/1942 Cimetière
GALARDINI Joseph Américain 13/04/1894 07/03/1944 Exhumé
GALITZKI Alexandre Russe 20/10/1898 15/03/1942 Hôpital de Saint-Lizier
GALLARDO GARCIA Livorio Espagnol 23/01/1887 13/02/1943 Cimetière
GAMBIOLI Pietro Italien 06/08/1893 27/02/1942 Cimetière
GARCIA GINER Juan Espagnol 25/09/1876 03/06/1941 Cimetière
GARCIA LOPEZ Gumersindo Espagnol 02/09/1892 17/06/1939 Cimetière
GARCIA RUBIAGO Jose Espagnol 21/01/1896 03/12/1940 Exhumé
GARCIA SEGURA Jose Espagnol 21/01/1896 03/11/1940 Cimetière
GIMENEZ LOPEZ Emilio Espagnol 24/03/1917 03/07/1943 Cimetière
GISPERT REIG Jose Espagnol 02/08/1906 04/04/1939 Cimetière
GONZALES FERNANDEZ Jose Espagnol 17/09/1897 21/03/1939 Cimetière
GONZALEZ LORENTE Pascual Espagnol 14/11/1916 07/04/1939 Cimetière
GONZALEZ PEREZ Manuel Espagnol 08/03/1921 21/03/1939 Cimetière
GORKLAMIAS Albert Polonais 24/03/1940 Lieu inconnu
GUERASSIMOFF Basile Russe 15/03/1888 17/08/1941 Hôpital de Saint-Lizier
GUGLIELMINI Lidio Italien 14/11/1896 21/02/1942 Cimetière
GUILLAMONT BAYO Jose Espagnol 22/08/1939 Cimetière
GUIRAU PELEGRI Antonio Espagnol 09/03/1913 17/09/1944 Cimetière
GUITART ROMEO Ramon Espagnol 11/02/1900 13/02/1942 Cimetière
GUTTIEREZ Jose Espagnol 10/05/1912 18/06/1941 Exhumé
GUZMAN ARGONA Sebastian Espagnol 20/01/1902 16/07/1942 Cimetière
HAGOS Tecle Ethiopien 25/03/1898 19/08/1941 Cimetière
HERNANDEZ PASTORES Mariano Espagnol 08/08/1899 22/07/1941 Hôpital de Pamiers
JANUSIAK Henri Polonais 19/02/1922 10/10/1941 Cimetière
JENSEN Wilhem Allemand 28/08/1882 24/09/1941 Cimetière
KARASSIEFF Grégoire Russe 25/09/1896 14/12/1941 Cimetière
KONDIANZ
MATHIAS
MOUCHENKO
FANTINI MARIO CONSTANTIN 11
Lieux de l'inhumation ou du
NOMS PRÉNOMS Nationalités Né le Décédé le
décès
OBERLANDER Gustav Allemand 04/09/1881 31/12/1940 Cimetière
OESTREICHER Jean Luxembourgeois 02/10/1919 31/01/1944 Hôpital de Foix
ORENSE GARCIA Juan Espagnol 20/10/1911 20/07/1939 Cimetière
ORGANOV Paul Russe 08/06/1896 13/05/1942 Cimetière
OSTAPSCHUCK Paul Russe 01/05/1882 15/04/1941 Cimetière
OSTROWSKI Michel Allemand 19/12/1910 13/01/1944 Exhumé
PADROS BALSAC Jose Espagnol 02/08/1939 Cimetière
PALAU VILELLA Ventura Espagnol 03/02/1919 28/03/1939 Cimetière
PARRERA COLETAS Ramon Espagnol 15/05/1922 23/03/1939 Cimetière
PAWLOWSKI Théophile Polonais 30/03/1885 30/01/1942 Cimetière
PELC Anton Yougoslave 13/01/1905 09/09/1941 Cimetière
PENDO HERNANDEZ Jose Espagnol 06/07/1904 20/04/1939 Cimetière
PENSIAS Moise Roumain 20/03/1891 21/12/1941 Cimetière
PEREZ MARTIN Francisco Espagnol 28/04/1904 04/04/1939 Cimetière
PERLOT Arthur Belge 02/01/1882 19/12/1941 Cimetière
PICON PICON Juan Espagnol 11/03/1918 22/04/1939 Cimetière
PIETRAS Stanislas 10/07/1940 Toulouse
PINOSA Giacomo Italien 12/07/1904 05/12/1940 Cimetière
PITOUME Paul Lituanien 17/08/1892 05/07/1940 Cimetière
PLANAS TORRES Miguel Espagnol 29/11/1918 25/03/1939 Cimetière
PLAUT Edmond Allemand 13/04/1891 04/01/1942 Cimetière
POLEC Boleslaw Polonais 12/06/1887 17/02/1942 Cimetière
PROL RIBAS Benito Espagnol 14/11/1908 24/07/1943 Cimetière
PUIG FABREGAT Manuel Espagnol 24/04/1920 07/07/1939 Cimetière
PUIG GARRETA Antonio Espagnol 14/04/1911 11/12/1943 Hôpital de Foix
QUERONS RIGOLA Jose Espagnol 14/06/1912 19/05/1939 Cimetière
RAGAN Jean Polonais 08/10/1903 20/06/1944 Cimetière
RAJCHMAN 5W425 Suchet Polonais 15/04/1903 24/01/1942 Exhumé
REGAS CARDUS Joseph Espagnol 22/02/1879 14/04/1941 Exhumé
REQUENA FAIGES Carlos Espagnol 15/02/1921 02/05/1939 Cimetière
RICHKINE Pierre Russe 08/06/1898 18/12/1941 Cimetière
ROCA SOLEDA Miguel Espagnol 07/06/1916 27/03/1939 Cimetière
RODRIGUES Coelho Portugais 19/09/1908 09/01/1941 Cimetière
RODRIGUEZ RODRIGUEZ Manuel Espagnol 29/12/1897 04/07/1939 Cimetière
ROIG GONZALEZ Juan Espagnol 18/09/1939 Cimetière
ROMERI Luigi Italien 27/02/1906 13/06/1942 Cimetière
ROSENBUSCH Paul Allemand 30/11/1891 18/10/1940 Exhumé
ROSENWEIG Adolphe Allemand 16/06/1914 21/03/1943 Hôpital de Saint-Lizier
ROTFLUG Jean Hongrois 19/10/1900 08/12/1941 Cimetière
RUIZ ANDRES Ricardo Espagnol 31/03/1901 05/06/1939 Cimetière
RUIZ PEIGUE Jose Espagnol 05/02/1941 Cimetière
SALA CASALS Antonio Espagnol 08/05/1904 22/03/1939 Cimetière
SALLENT PUVILL Tomas Espagnol 23/07/1905 27/05/1939 Cimetière
SAUER Jacob Polonais 13/12/1888 06/03/1942 Exhumé
SCHUSCHAK Milan Yougoslave 28/11/1912 03/03/1940 Exhumé
SEBESI Joseph Hongrois 08/09/1916 29/05/1942 Cimetière
SEMINOFF 5W426 Basile 02/05/1941 Exhumé
VIDAL CALDERON
ANGEL WEBER WILLY WEIL HUGO ZBOTONOV NICOLAS 13
Éléments biographiques de Paul Pitoume
Né en Ukraine en 1892, Paul Pitoume, après avoir étudié la peinture et exposé dans son pays d’origine, part en
tournée à 29 ans, en qualité d’acteur et de décorateur de théâtre. Il intègre la Scala de Milan, puis rejoint un an
plus tard une troupe russe à Berlin. Après avoir traversé la Belgique, l’Algérie et la France, il s’installe à Paris en
1923.Il y travaille comme décorateur pour des studios de cinéma et réalise des affiches pour le cinéma russe. Il
poursuit son activité picturale et expose ses œuvres entre 1926 et 1929 au Salon d’Automne et au Salon des
Indépendants, puis participe activement à la décoration du pavillon soviétique lors de l’Exposition universelle de
1937. Il évolue avec plaisir au sein de l’importante communauté d’artistes d’origine juive russe de Paris, passant
ses soirées à jouer aux échecs dans les grandes brasseries du boulevard Montparnasse. Il est dans le même
temps engagé dans la mouvance communiste. Il est arrêté comme ressortissant étranger début septembre 1939
et enfermé dans le camp de concentration de Roland Garros. Il débarquera en train au camp de concentration du
Vernet d’Ariège le 12 octobre 1939. Il aura l’autorisation de la direction du camp de reprendre son activité
artistique, son épouse Eva Zonis, lui faisant parvenir son matériel : chevalet, pinceaux, carnets, toiles, peinture…
Atteint d’une péritonite aigüe, il décédera le 5 juillet 1940 dans le camion qui le ramenait de l’hôpital.
Portrait de Moïa
Boniface, congolais
belge, réalisé le 17
février 1940, date à
laquelle il a été
conduit sous
e s c o rt e à la
frontière de la
Belgique.
Vues du cimetière après la fin de la guerre. En 1945, une cérémonie s’y déroula. La
suivante eut lieu 25 ans après, le 11 novembre 1970…
AUX ÉTRANGERS MORTS LOIN DE LEUR PATRIE 1939 Longtemps cette inscription a orné la stèle du
cimetière. La décision de changer ce texte fut prise le 25 septembre 1976 par le bureau de l’Amicale.
Ce fut un texte imaginé par José Manchon, un ancien interné qui fut choisi :
À LA MÉMOIRE DES COMBATTANTS ANTIFASCISTES
CONNUS ET INCONNUS MORTS POUR LA LIBERTÉ DES PEUPLES
17
Albert Borkiewiez est abattu...
[…] Tout à coup, nous entendîmes des cris saccadés venant du dehors : « Assassin ! Assassin ! »
Je me précipitai.
le quartier A :
était en route pour la rivière quand, tout à coup, la Garde avait ouvert le feu sur deux internés qui
s’étaient quelque peu éloignés du groupe. Les coups avaient été tirés à bout portant. Un jeune polonais
nommé Borkiewiez avait été tué sur le coup ; un autre avait été grièvement blessé. Le blessé avait été
prétendait que les deux prisonniers avaient fait une tentative d’évasion ; l’autorisation de tirer avait été
rappelée aux gendarmes depuis quelques jours à peine, et c’est ainsi que, conformément au devoir, ils
avaient fait usage de leur arme. Voilà ce que nous pûmes connaître du rapport qu’on avait élaboré au
bureau.
Mais « Le Paysan » vint au quartier en titubant et se vanta d’avoir tiré le coup mortel. Cette appellation
désignait pour nous un gendarme joufflu qui, dans son uniforme, ne cessait pas de ressembler à un idiot
de village. Jusqu’ici, il ne s’était distingué que par ses jurons vulgaires et son ivrognerie. Maintenant, de
bouche en bouche, le bruit circulait que « Le Paysan » aurait tenu le propos suivant : « La chasse est
ouverte. »
[…] Du quartier A vint de nouveau le mot d’ordre : grève de la faim. Cette fois-ci, beaucoup étaient prêts
et continuait d’avoir cette mission. Il était déplorable que la fusillade eût fait une victime, mais on ne
pouvait rien y changer. La victime avait déjà été enterrée ce matin à cinq heures. Cela ne s’était tout de
même pas produit par crainte de nouvelles manifestations mais parce que le prêtre catholique ne
pouvait venir qu’à ce moment-là. Il ne s’opposait pas à l’achat d’une couronne avec l’argent collecté,
mais au dépôt de cette couronne ne pouvait participer qu’un seul représentant de quartier.
18
[...] Accompagné d’un garde mobile, Luigi partit vers la petite ville proche pour y acheter la couronne.
C’était une grande couronne à perles de verre multicolores. Sur un ruban blanc resplendissait en or la
se trouvait bien loin derrière le terrain de sport. Mais nous nous attendions à cela ; ce prêtre qui, disait-
on, ne faisait que du service de nuit avait éveillé notre méfiance. Étant donné que la route passait
devant notre quartier, il nous suffisait de placer des sentinelles qui nous annonceraient à temps l’arrivée
de la couronne.
Quelques secondes plus tard, le long de la haie qui séparait le quartier de la route, se trouvait une
épaisse foule de gens qui, tête nue et levant le poing fermé, saluaient le cortège funèbre qui n’existait
pas. Isolé, mais accompagné d’un gardien en uniforme, l’homme trébuchait misérablement sur la route
poussiéreuse, portant devant lui l’énorme couronne, comme un étendard au cortège de Mai. Il marchait
lentement, droit devant lui, comme s’il ne voyait rien, comme s’il était tout à fait seul au monde. Lui et sa
couronne.
Quant à nous, nous pensions à cette victime qui était notre camarade et aussi à toutes les victimes. Aux
victimes passées et à venir. Car nous savions que des temps durs nous attendaient. Et qui pouvait savoir
19
Tentative d’évasion de Leo Dallinger
[…] Peu de jours après, vers sept heures du soir, je fus subitement secoué par des coups de feu tirés rapidement
les uns après les autres. Trois coups suivirent à de plus longs intervalles. Il avait plu toute la journée et il s’était
levé un épais brouillard à travers lequel apparaissait la lueur laiteuse des faibles ampoules électriques fixées au
sommet du mât. Les coups étaient venus du côté de la route, à la hauteur du quartier C, non loin de l’endroit où il
jouxte le quartier B. De l’autre côté, en C, des ombres avaient surgi qui couraient vers le grillage en fil de fer
bordant la route. On entendait des cris, mais à cause du brouillard épais on ne pouvait rien distinguer nettement.
Nous regardions fixement dans la nuit en essayant de déchiffrer ses secrets. Le grand August s’approcha de la
– Eh, vous, de l’autre côté, qu’est-il arrivé ? Bientôt la nouvelle passa de bouche en bouche.
– Ils ont tué Dallinger. Abattu comme un lapin au clapier. Les coups lui ont déchiqueté les poumons tellement le
Du brouillard, surgirent des hommes avec une civière, mais ils n’arrivèrent pas jusqu’à la grille. Ils durent s’arrêter
dix mètres avant la clôture. Les factionnaires dirigeaient leur carabine sur les camarades venus porter secours à
l'homme grièvement blessé qui se trouvait pris dans la clôture en fil de fer.
C'est ainsi que Leo Dallinger, âgé de trente-deux ans, perdit tout son sang en face de ses camarades.
Il était de Mannheim ; là-bas une femme attendait son mari et un enfant son père. Son histoire est celle de
beaucoup. En l’année 1928, dans une réunion de masse, Dallinger avait interrompu Adolf Hitler par des
interpellations. Il avait pensé que l’on pouvait discuter avec les nazis. Alors, les brunes sections d'assaut l’avaient
rossé et laissé à demi-mort. À partir de ce moment, le jeune ouvrier devint, à l’égard des nazis, un ennemi plein de
haine. Assommer les chiens bruns devint sa devise. Il adhéra à la ligue de combat antifasciste et se battit contre
les Bruns tant que cela fut possible. Dans l’illégalité, il ne renonça pas au combat. Puis il alla en Espagne et
poursuivit sur le sol espagnol sa lutte contre les nazis. En mai 1938, quand les fascistes percèrent le front et que
les Internationaux, à Belchite, furent contraints à la retraite dans des conditions difficiles, beaucoup d’hommes
grièvement blessés restèrent étendus devant les lignes ; il était amer de les abandonner. C’est alors que
Dallinger, à quatre reprises, alla dans le terrain avancé qui se trouvait sous le feu des mitrailleuses ennemies et
Maintenant, ils voulaient rendre ce service à l’homme durement touché et le ramener de la ligne de feu du Vernet.
Les assauts des Maures devant Madrid, il les avait surmontés vivant, mais la vie au camp du Vernet, il ne la
supporta pas. Il voulait parvenir à réintégrer sa petite patrie et rejoindre les combattants de l’ombre.
20
À présent il était mort. Il n’avait pas traversé le treillis de fils de fer large de deux mètres cinquante. Ses jambes
étaient encore dans la cour du camp, la tête et la poitrine dans les barbelés. C’est dans cette position qu’il reçut
les premiers coups. Il ne pouvait plus fuir puisqu’il était découvert et blessé. Mais ensuite, le gendarme de Vichy
tira à bout portant, sur le blessé sans défense, trois autres coups qui lui déchiquetèrent la poitrine.
Maintenant, il était neuf heures. On était allé chercher à l’hôpital le médecin du camp et il avait constaté la mort
de Dallinger. Des gendarmes tirèrent le corps du treillis de fil de fer, le soulevèrent dans une civière et
l’emportèrent à la morgue. Derrière la civière marchaient douze chefs de baraque. Les internés, en longue file,
Le lendemain, le colonel reçut une délégation des délégués du quartier C. Il était de mauvaise humeur. Le
factionnaire, pensait-il, avait fait feu par peur. Sur l’ordre du ministre de la Guerre, les autorités du camp avaient
pour devoir de faire rigoureusement usage de l’arme à feu en cas de tentative de fuite. Même sans sommations.
Mais les coups sur le blessé avaient été inutiles ; ça, il devait l’avouer. Puis il ajouta, à voix basse, en hésitant :
« Seule une délégation de la baraque est autorisée à participer à l’enterrement. Toute manifestation sera
réprimée. » Comme le premier novembre, jour de la fête des Morts, la petite cloche de l’église du camp sonna de
nouveau. Ils avaient chargé le cadavre de la victime sur un camion. Lentement, le véhicule roula sur la route du
camp. Une douzaine de camarades marchaient derrière le cercueil, suivi et entouré d’un grand nombre de
gendarmes.
Alors, subitement, un mot d’ordre traversa le quartier, de bouche en bouche, sans que personne ne pût dire d’où il
Le soleil était haut dans le ciel, mais cependant un vent froid soufflait des montagnes qui, dans l’air léger,
semblaient s’être rapprochées. Les dernières feuilles des peupliers luisaient, jaunes et brunes. Les branches
Les hommes se tenaient debout, tel un mur. Ils parlaient en beaucoup de langues mais n'avaient qu’une idée.
La petite cloche du glas tintait, rauque et leste. Quant aux hommes, ils se tenaient immobiles, le visage dirigé vers
le cimetière éloigné que personne ne pouvait voir, car les baraques du quartier C se dressaient entre nous et le
Mais de l’autre côté, au quartier C, il était possible de s’approcher jusqu’à la grille extérieure entourant le camp,
où le cortège funèbre devait passer. Alors les Brigades Internationales se formèrent en unités, avec leurs propres
chefs et leur propre État-major. De l’autre côté de la grille de séparation, ils défilèrent au pas devant nos rangs
C'est ainsi qu’ils avaient défilé dans les rues de Madrid, quand ils avaient transporté Hans Beimler à sa dernière
debout immobiles. Jusqu’à ce que la voix inconnue ordonne par-dessus nos têtes : « Rompez les rangs ! »
C’est avec les honneurs militaires que les membres des Brigades Internationales avaient conduit à sa tombe leur
camarade mort, comme s’ils avaient encore été au front et non derrière les barbelés.
Le commandant ne se fit pas voir. Nous étions plus forts que le commandant.
x- - - -x
niveau du sol
5 S LIEUX
CROQUIS DE L’ÉTAT DE
4
2
1° Lieu où la victime a tenté l’évasion.
2° Emplacement de la sentinelle ayant tiré le coup de feu.
3° Baraque N°46 (cantonnement de la victime)
4° Hôpital du Camp.
5° Morgue.
Ce soir-là, un gamin dégourdi, d’environ cinq ans, aux cheveux roux et frisés comme un caniche, rampe
sous les barbelés ; par précaution sa mère l’a attaché à une longue corde pour pouvoir le tirer en arrière.
Le gamin se faufile dans les hautes herbes, se glisse sous les barbelés. À nouveau, beaucoup d’entre
nous se sont rassemblés pour contempler le spectacle. Le garçon est presque arrivé de notre côté, son
père lui tend la main, le sifflet du lieutenant retentit alors, un sergent d’un certain âge se précipite suivi
d’une sentinelle, il repousse violemment le père, arrache le fusil de la main de la sentinelle et frappe
l’enfant à coups de crosse, peut-être tout simplement pour lui faire peur et le chasser. Une terrible
effervescence se déchaîne. Le lieutenant de quartier siffle à nouveau, deux autres sentinelles arrivent
en courant, le sergent charge son fusil et s’apprête à épauler. À ce moment-là, telle une panthère, une
forme saute sur lui, le fusil s’abaisse, un coup part dans le sol. Les coups de crosse des gardes venus en
renfort claquent sur le dos et les épaules de Jules.
Il est allongé par terre. Le lieutenant bondit en avant, le sifflet à la bouche. La compagnie d’alarme arrive
en courant avec deux mitrailleuses. Les gardes nous repoussent à coups de crosse et de canon de fusil.
Je ne vois plus qu’une mare de sang dans la poussière noire du mâchefer.
Le soir, nous apprenons que Jules a été emmené au cachot.
Le lendemain matin, un infirmier de l’hôpital, un ancien légionnaire, vient chez nous chercher les affaires
de Jules. Jules a perdu beaucoup de sang, son poumon pourrait être touché. Il demande à me voir. Bien
sûr, on me refuse le droit de visite. Malgré tout, nous restons en contact. J’apprends que Jules est dans
« la baraque Pasteur » avec les tuberculeux, qu’il a craché le sang pendant trois jours, qu’on lui a donné
de la glace à avaler, mais qu’on ne lui a rien fait d’autre. Par l’intermédiaire de l’un des malades de
notre baraque qui est passé s’y faire soigner, je demande à Jules l’adresse de son fils. On me fait dire de
me présenter deux jours plus tard aux soins dentaires.
[…] Un soir d’automne, après que la garde de nuit en casque d’acier ait pris la relève, on m’appelle au
portail. Pierre est là. Je ne sais comment il a réussi à me faire obtenir un laissez-passer : il me dit que
Jules est mourant, qu’il a plus de quarante de fièvre, qu’il perd connaissance continuellement et qu’il
insiste pour me voir. Pierre, l’ancien légionnaire, l’infirmier, agite le laissez-passer sous le nez du
gardien : « C’est un ordre du
médecin de service, c’est une
urgence ! ».
23
[…] Derrière le cercueil de Jules la kommandantur a
autorisé le cortège suivant : six internés de chaque
quartier, c’est-à-dire dix-huit personnes et, trois autres
encore de son ancienne baraque, c’est-à-dire de la
nôtre, soit, en tout, vingt-et-une personnes. Notre petit
détachement, commandé par un sergent, se compose
de sept rangées de trois hommes. Notre sergent ne
peut refréner son machinal « Une-deux ! Une-deux ! »,
quand nous nous mettons en marche. Mais nous ne
marchons pas au pas.
À la morgue de l’hôpital, il y a un représentant du
rabbin de Toulouse. Jules repose dans le cercueil de
bois grossier, déjà cloué. Nous le plaçons sur l’auto du
camp et déposons nos couronnes sur les planches de
bois brut. Puis l’auto passe lentement le long des
baraques de l’hôpital. Tous les malades sont dehors,
dans leur habit rayé et sale d’hôpital, ils sont muets, le
visage grave, quelques internés espagnols saluent, le
poing à la tempe, un vieil homme se signe. Le garde, à
l’entrée, présente les armes.
L’auto poursuit son chemin interminable en passant
devant les barbelés des quartiers A, B et C. Plus de
quatre-mille prisonniers s’approchent des barbelés et
saluent pour la dernière fois leur camarade défunt qui
n’aura plus jamais le droit de connaître la liberté. Dans
les yeux des prisonniers on peut lire aisément ce qu’ils pensent. Si la haine et la volonté à elles seules
avaient pu tuer, alors, en l’espace d’une seconde, aucun médecin du camp, aucun sergent, aucun garde
mobile ne serait resté en vie. En silence, les quatre-mille hommes derrière les barbelés saluent la
dépouille de Jules. C’est tout naturel. Nombre d’entre eux, figés au garde-à-vous, saluent le poing levé,
d’autres font le salut militaire, la main sur le béret, quelques-uns font un signe de croix, quelques Russes
Blancs s’inclinent profondément jusqu’à terre. Les cuisiniers, à demi-nus, sortent de leur cuisine,
essuient leurs yeux baignés de sueur et ôtent leur toque ; et, continuellement, les gardes présentent
leurs armes dans le camp entouré de sentinelles et de mitrailleuses. Le mort ne représente plus un
danger, il est donc sacré ! Garde à vous ! Présentez armes ! [en français dans le texte]
Enfin nous sommes sur la grande route de Pamiers à Toulouse qui mène au cimetière, sur la route que,
ces derniers mois, nous ne pouvions voir qu’à travers les barbelés, sur laquelle avançaient péniblement
des centaines de milliers de réfugiés et de soldats démobilisés après la défaite et la dissolution de leur
armée. Le calme règne maintenant sur cette grande route. Il n’y a plus d’essence, les voitures ne
circulent plus. Il n’y a plus de charbon, aucun train ne circule sur les remblais voisins. Dans les champs,
le blé doré est trop mûr, il penche vers le sol, personne ne le moissonne ; alors que dans de nombreux
camps, des dizaines de milliers de jeunes hommes aptes au travail sont inactifs derrière les barbelés.
On ne croise que quelques vieilles femmes qui font le signe de croix, un vieil homme s’arrête, il ôte son
béret et s’incline. En chemin, sur la route déserte, nous attend encore un détachement de la Garde
mobile : vingt hommes bien armés.
Le cimetière des prisonniers se trouve à l’extérieur dans la « prairie », dans un champ en friche. Le sol
est composé de sable et de graviers. Jules va être en bonne compagnie dans la rangée où, depuis un an
déjà, des douzaines de jeunes Espagnols de l’armée populaire républicaine ont été ensevelis.
Il nous est formellement interdit de prononcer des mots d’adieu devant la tombe de Jules. Seul l’officier
du culte dira des prières en hébreu. Mais deux petits incidents surviennent. Jules ne passe pas dans la
tombe. Selon le rite juif le visage du défunt doit être tourné vers l’est ; la partie la plus large du cercueil,
c’est-à-dire celle où se trouve la tête, doit être orientée vers l’est. Mais les tombes ont été creusées
exactement en sens inverse. On pose le cercueil de Jules sur la tête, on essaie d’autres positions : ça ne
passe pas ; Jules fait la « forte tête », il ne veut pas obéir à l’officier du culte de Toulouse ! Finalement
nous mettons un terme à ces manœuvres incongrues et nous laissons le cercueil descendre en terre 24
selon le bon plaisir de Jules. Alors l’officier du culte se livre, en un sens, à une falsification du certificat
de décès de Jules. Dans sa précipitation c’est à nous, les prisonniers, qu’il a demandé l’identité de Jules,
au lieu de se renseigner au bureau du camp.
« Son nom ? », demande-t-il.
Nous répondons : « Liter. »
« Son prénom ? »
Sans hésiter, nous répondons : « Jules. »
Nous sommes fiers d’entendre que notre ami Jules est enterré officiellement sous le nom de Jules Liter,
comme nous l’avions baptisé dans notre baraque.
S’en suivent les longues prières et les lamentations, les pleurs et les gémissements. Jules m’avait
souvent affirmé qu’il était un bon juif ; mais c’était également une forte tête, une tête brûlée, un gars
courageux et, à sa façon, un homme en quête de vérité. Certains tremblent à l’idée de l’au-delà. Lui, à
l’heure de sa mort, n’était préoccupé que par une seule et même idée : qu’on transmette la vérité à sa
fille, qu’on écrive l’entière vérité sur notre camp et qu’« on ne s’écrase plus sous la table comme un
chien. »
Je regarde les internés qui entourent la tombe : beaucoup de combattants de la guerre d’Espagne,
beaucoup de camarades parisiens, beaucoup d’hommes qui, comme Jules, ne sont devenus des
combattants qu’une fois internés dans le camp. Ils serrent les dents, leurs yeux regardent calmement
mais durement le gravier au fond de la fosse. Il est dangereux de regarder la vaste étendue ouverte
devant nous ; il suffit d’un saut par-dessus le muret du cimetière pour être de l’autre côté. Mais il y a là
vingt hommes de la Garde mobile, lourdement armés ; à gauche, dans la ferme, une mitrailleuse est
installée ; et cette journée est vraiment très claire : un champ de tir idéal ! Nous devons rester en vie !
C’est aujourd’hui ce que nous devons savoir faire de plus important : rester en vie, pour plus tard ! C’est
pourquoi nous devons serrer les dents, renoncer même aux mots d’adieu et aux protestations qui ne
mènent à rien, nous devons nous boucher les narines et résister à la séduction du lourd parfum des
céréales trop mûres qui s’inclinent vers le sol ! Ne pas regarder le ciel, là où les étourneaux se
rassemblent à nouveau avant de voler au-dessus de la mer et de gagner l’Afrique. Rester en vie ! Dire et
écrire la vérité sur ce camp, sur cette époque,
pour Maria, pour les jeunes, pour ceux qui ne
savent pas encore qu’ils ne doivent pas s’écraser
sous la table comme des chiens, pour qu’ils
restent unis et ne se divisent pas, pour qu’ils ne
ferment plus les yeux mais s’avancent avec
lucidité vers le grand combat final !
Rester en vie et ne pas craindre la mort !
Dommage, Jules, tu étais un bon camarade, un
homme courageux… dommage, c’est vraiment
dommage que tu aies eu « si peu de temps » !
Les cailloux s’abattent sur le cercueil dans un
bruit de rafale de mitrailleuse. Beaucoup de
camarades se découvrent, serrent le poing et le
portent à leur front. Ils rendent les honneurs à
Jules comme à un soldat tombé après un juste
combat.
Les gardes mobiles nous regardent de travers.
Je jette une poignée de gravier ainsi qu’une petite
fleur blanche séchée sur le cercueil de Jules : la
marguerite qu’il portait à la boutonnière le 1er Mai
pour braver avec nous la fureur de la Garde
mobile.
25
Le cimetière en 2020
Le parc paysager avec les 5 panneaux historiques qui mènent au parvis des nationalités.
Le 18 octobre 2020, une trentaine de bénévoles a étalé une nouvelle couche de gravier clair
sur les 154 tombes du cimetière.
Toutes les tombes recevront une fleur pour ne pas tomber dans l’oubli ainsi qu’une lampe
solaire pour sortir de l’ombre.
26
Vue du cimetière avec zoom sur deux des plaques rénovées.
27
PERFILES HUMANOS
PROFILS D'HOMMES