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Edito

Et voilà… enfin !

Là, on pourra dire qu’on a connu toutes les galères pour sortir ce numéro ! On nous avait prévenu, pourtant :
premier numéro, jamais de problèmes. Deuxième numéro, ça se complique – mais ce n’était rien ! – et troisième,
la galère carme avec ses fouets et ses tambours…
Je suis heureux de faire taire les mauvaises langues qui nous enterraient déjà et d’ouvrir les pages aux relents
méphitiques du Souffre-Jour consacré aux Abysses. Des dizaines de documents issus des sources les plus diverses
vous feront découvrir les mystères des Abysses et des Hauts Diables. Les bibliothèques les plus célèbres ont été
mises à contribution : du Haï Shul à l’Opaline abymoise, c’est un savoir apocryphe qui s’offre à vous ce jour.
Il complètera idéalement le Guide Abymois le jour où cet ouvrage sortira des presses de la Cité des Ombres.
Mais méfiez-vous : ces témoignages, même s’ils sont les plus fiables que nous ayons trouvés, ne sont que cela
– des témoignages. Je serais vous, je ne leur ferais pas confiance si je devais programmer une randonnée dans
l’Outrerive. Mais après tout, si vous allez vous promener en ces lieux abandonnés des Muses, c’est que vous êtes
soit totalement corrompu, soit complètement désespéré. Des Abysses variées et surprenantes, accordées à la
sensibilité de nos auteurs. Elles vous choqueront, vous surprendront, vous divertiront peut-être. Puissent-elles ne
pas vous laisser indifférents !
En tout cas, n’hésitez pas à photocopier ces pages pour les offrir à vos joueurs. Elles ont été conçues pour ça ! La
seule partie qui vous soit exclusivement réservée, Éminence, c’est le Requiem de l’Ombre qui clôt ce Souffre-Jour…
Mais je n’en dirai pas plus ici.

Bonne lecture, et bon jeu, puissent ces pages vous apporter autant de plaisir qu’elle nous ont fait souffrir !

Thabanne

Crédits
Rédacteur en chef Correcteur en chef

Nicolas Grevet Benoît Huot

Rédacteurs Correcteurs

Guillaume Bourassé, François-Xavier Dauphin, Guillaume Bourassé, François-Xavier Dauphin,


Fabrice De Boni, Frédéric Deux, Vivien Féasson, Laurent Nadège Debray, Frédéric Deux, Vivien Féasson,
Ferlin, Jean-Philippe Ghibaudo, Nicolas Grevet, Jérôme Isnard, Sylvain Lavenant, Stéphane Magnan,
Jérôme Isnard, Sylvain Lavenant, Stéphane Magnan, Frédéric Ruysschaert, Stéphanie Sesquière-Isnard
Frédéric Ruysschaert
Maquette
Couverture et Logo
Nicolas Grevet
Maud Chalmel
Webmestre
Illustrations intérieures
Nicolas Grevet
Maud Chalmel, Grégory Dardonville, Nadège
Debray, Goulvent, Angélique Grevet, Stéphane Idczak,
Guillaume Poux

Remerciements spéciaux à Mopi et FeliX

Agone est un jeu de rôles de Mathieu Gaborit et Stéphane Marsan édité par Ubik – Tous droits réservés
Est-il besoin de préciser que les textes et illustrations publiés dans ce fanzine sont la propriété de leurs auteurs ?
Toute reproduction ou diffusion à titre gratuit ou onéreux est interdite.

Le Souffre-Jour : http://www.souffre-jour.com Achevé d’imprimer en septembre 2005


Contact : thabanne@souffre-jour.com par Firmin Didot
au Mesnil-sur-l’Estrée (27)
Trombinoscope Nadège Debray, alias Miss Mopi : En quittant cette
dimension pour l’Harmonde ou la Toile, cette auteur
d’Agone devient fée noire. Cette nouvelle personnalité,
plus sage et patiente, aime partager ses lectures, sa
passion pour l’Harmonde, et le reste aussi. Lorsqu’elle
Fabrice de Boni, alias Alraune : EG mégalomane
redevient humaine, elle lit, elle fait parfois du jeu de
aux pattes de bouc et à la nature incertaine. Cracheur
rôle, elle écrit et elle travaille pour pouvoir faire le
de rêves, il tisse au fil des chemins les mensonges et
reste.
les secrets des légendes de l’Harmonde. Agonien
amoureux, ce jeu l’a rendu fou à force de prouver
Frédéric Deux, alias Fred 2 : EG privée de ses joueurs
qu’il ressemblait tant aux symboles quotidiens : «
auvergnats, ce satyrin naïf n’a pas hésité à coloniser le
Y a des correspondances partout !! Aaaah !! ». «
midi toulousain pour y trouver de nouvelles victimes.
Schizophrénie ? » murmurent ses joueurs…
Mais comme il est à peu près aussi rapide dans la
mise en place de ses parties qu’un Gros d’Abyme aux
Lionna Ambrelune : Princesse voleuse des bas-fond
100 m, les dites « victimes » patientent, et patientent
de Lorgol, patronne du site de la taverne et farfumaine
encore... son investissement dans le Souffre-Jour ne va
conjuratrice toute de cuir vêtue, la griffante Lionna
pas accélérer les choses !
fut élevée par des succubes aux moeurs des plus
contestables et cache un sombre passé dont certains
Elennar sans alias : Alors ça commence dans un lieu
murmurent qu’il se serait déroulé aux Abysses... Son
lointain, très lointain, si lointain que personne n’a
tempérament tenace (râleur ?) l’a conduite à épouser
rien à en dire.
un certain satyre cartographe qui est connu sous le
nom d’Alraune Ambrelune.
Vivien Feasson, alias Mangelune : Véritable artiste
de la Geste (ça c’est lui qui le dit), doté par les
Guillaume Bourassé, alias l’EGM (Éminence Grise
Muses d’un caractère de cochon propice à la critique
Machiavélique, ou Génétiquement Modifiée) : Une
déconstructive (ça c’est les autres qui le disent),
Éminence, qu’elle est vachement dangereuse de jouer
il vit en dépit de toute logique au coeur même de
avec, réputée méchante pour tout ce que l’Harmonde
l’Auvergne, loin des chaos de la capitale. L’imaginaire
compte de joueurs et joueuses (moins avec les joueuses,
sous toutes ses formes constitue sa seule passion, et il
j’avoue). A écrit diverses aides de jeu et drames pour
se verrait bien en artiste complet sans son talent limité
Agone, c’est son jeu préféré auquel il joue depuis sa
pour tout ce qui touche à l’art !
sortie, tout ça tout ça.
Jean-Philippe Ghibaudo, alias Le GDF ou Le Grand
Maud Chalmel, alias Groseille : Illustratrice du
Dragon de la Foudre : Il a reçu ce surnom
royaume crépusculaire mais aussi petite étudiante
ridicule depuis belle lurette. Il
débordée. Fée noire muée ogresse - changement
aime parcourir le manche de
radical, soit. - engrossée qui plus est, aurait tendance
son cistre tout autant
à péter les plombs et à s’enflammer violemment sous
que chercher des
les “ça urge” - que vous aussi, amis saisonins, devez
explications
connaître - d’un certain véto-garou-rédac-en-chef dont
«   s c i e n -
elle thabanne taira le nom...
tif iques »
a u x
Grégory Dardonville, alias Adonaë : Cluricaune des
caves orléanaises tombé dans un tonneau d’hydromel
quand il était petit. Depuis il raconte n’importe quoi
sur un complot mondial associant Templiers et Mafia
Coca... Qualité : il rêve pour tous ceux qui ne le font
plus et croit aux Fées si fort qu’il en existe encore.
Défaut : il rêve un peu trop parfois et croit encore au
Père Noël...!!!

François-Xavier Dauphin, alias FéliXNemroD :


Ogre Advocatus Diaboli, nantais d’adoption, cette EG
ravagée tente désespérément, par le biais de lectures
de toutes sortes, de pallier son incapacité avérée à
s’adonner aux legs des Muses. Heureusement pour lui,
il considère la rédaction de connivences comme un art
à part entière…

4
phénomènes harmondiens (physique). La lecture qualifiés de non-conformistes par les EG les plus
et l’écriture dictent aussi sa vie, mais surtout cette polies, d’où son surnom d’EG folle, puis a été recruté
Ergastule munie d’un pavé de contrôle. par Thabanne pour le Souffre-Jour.

Angélique Grevet : Quand ses boucles blondes ne Guillaume Poux, alias Gunt : Individu surchargé
traînent pas dans la peinture, c’est qu’elle parcourt les de travail (mais son travail, c’est sa passion, alors ça
littératures de l’imaginaire aux côtés d’Harry Potter ou semble lui aller) tentant de percer dans le monde
qu’elle s’essaye à la sculpture érotique. Une innocence de l’illustration. C’est un artiste du Décorum à part
d’ange qui dissimule un sens de l’observation aiguë et entière dont la studieuse vie lyonnaise pourrait bien le
une ironie ravageuse… faire connaître du grand public... un jour...

Nicolas Grevet, alias Thabanne : Ce curieux Frédéric Ruysschaert : Les farfelins sont sauvages
spécimen de rôliste-garou toulousain se cache le jour et discrets, timides et taiseux. Fred en est un. De jour,
derrière une blouse blanche. La nuit venue, il martyrise il se glisse dans le lit d’une rivière lyonnaise pour en
son clavier et de pauvres naïfs pris au piège du Souffre- observer les mystérieux écoulements hyporrhéiques.
Jour. Il a commis quelques pages pour Agone et se La nuit ses songes façonnent son Harmonde personnel,
complaît à fouetter auteurs et autres illustrateurs afin iconoclaste ou anodin, qu’il tente parfois de parer des
de faire vivre le Souffre-Jour – le site, et le fanzine. Ben noirs atours du polar.
oui, c’est le rédac’chef.

Benoit Huot : Ce réfractaire aux surnoms par pure


fainéantise de trouver le sien officie dans l’ombre de
Sommaire
son écran. Traquant et corrigeant les fautes qui lui L’ultime vérité ? 4
tombent sous la main, veillant un peu quand même
à la fabrication, il a corrigé de nombreux suppléments Aléographie du Non-Royaume 6
Agone et ne dénigre pas de temps à autre guider ses Dans les remous d’un cauchemar 6
Inspirés sur des terres qu’il leur reste à bâtir. Les portes des ombres 8
Jeux d’ombre et de lueurs 12
Stéphane Idczak, alias Algeroth : Ce grand ancien Iskaneyrash, cité des Ombres 14
strasbourgeois, à la ludothèque bien fournie, est un L’île d’Amenos 16
rôliste prolifique qui assouvit sa passion pour le jeu
sous toutes ses formes et réalise de nombreux projets : L’aurore des profondeurs 18
conventions de JDR, développement d’un univers d20,
participation à la 2ème édition d’un JDR, démos en
boutique, création de jeux amateurs...
La société des ombres 21
Alhaë : Haut Diable des Apparences trompeuses 21
Ambucias, Haut Diable des Illusions 24
Jérôme Isnard, alias Blanchécrin : Flanqué d’un
Dans l’ombre de Belphégor 25
pitoyable diablotin, ce minotaure marseillais prend
Le journal d’une succube 30
plaisir à noyer ses Inspirés dans de complexes intrigues.
Révolte ! 33
Quand on sait qu’il est surnommé Zgueg, qu’il est
Catharss 35
vétérinaire et qu’il se spécialise dans la reproduction,
Develorn, Haut Diable des Schizophrènes 36
on se dit qu’il reste un espoir pour les minotaures :
Haborym, Haut Diable des Incendies 37
vivent les vaches ! En plus il tient la bourse du Souffre-
Hécate, Haut Diable de l’Effroi 39
Jour…
Jaranapale 42
La cour des Abysses 45
Sylvain Lavenant, alias Arcafonk : Ce farfadet est
Vapula, prince griffon 48
le plus râleur des royaumes. Avec une tempérance
Vermalryn, du sang et des encres ! 53
d’ogresse en phase critique de son cycle, il passe son
existence à rebâtir l’Harmonde a sa convenance. Les
Éternels n’ont qu’à bien se tenir. Afonk, Arcafonk, la Le Requiem de l’Ombre 57
prochaine phase de son évolution sera certainement un Premières notes 57
cataclysme ! Prélude : Les piégeurs d’âmes 61
Première partie : Des Flammes dans les Abysses
Stéphane Magnan, alias Encelant : Raclure Interlude : Révélations abyssales 77
immonde (d’après ses Inspirés), cette EG marseillaise Deuxième partie : la chute de Develorn 80
a proprement ravagé l’Harmonde au cours d’une saga Interlude : L’enfer selon Haagenti 88
aussi épique qu’apocalyptique. Révolutionnaire de la Troisième partie : l’Assomption de Haagenti 90
première heure, il a rédigé quelques articles gentiment Épilogue : l’avenir des ombres 100

5
L’ultime vérité ?
L’œuvre de toute une vie, farfadet, l’œuvre de toute une vie. Et l’on me force à te l’offrir, à toi et à tous
tes semblables porteurs de Flammes ! J’aurais mille fois préféré offrir mon âme et celle de mes enfants
jusqu’à la septième génération, mais l’obsidien a choisi. Te révéler le grand secret. Vous révéler, à tous, le
grand secret.
Le Diable. Le maître des Abysses. J’ai consacré mon existence à percer les plus obscurs secrets des
ténèbres. Le savoir. Perdre son âme pour nourrir son esprit, peux-tu le comprendre ? Non, sans doute,
tu n’es que le parangon de ces stupides Inspirés, aveuglés par leur Flamme, et, finalement, le valet d’un
bouffon, un ancien monte-en-l’air. Seras-tu à même de comprendre la portée de mes révélations ? Ne
compte pas sur des explications, je n’y suis pas contraint.
Les Abysses, farfadet, naquirent dans des temps immémoriaux. Elles sont filles de peine et de
souffrance, même la stupide proclamation gravée au plafond des Abysses l’indique. Cette révélation,
farfadet, tu la connais sans doute… Un récit de pleutre, foisonnant de contradictions et d’incohérences :
le témoignage d’un esprit malade, ou la plus grande des supercheries ? Il n’y a que trois possibilités,
farfadet : soit l’Ombre est folle, soit elle est complètement sous la coupe du Maître du Semblant et de ses
incompréhensibles plans, soit elle n’a jamais écrit ce message. Je penche pour cette dernière possibilité, et
je soupçonne l’œuvre de l’un de ces comploteurs qui prétendent « libérer » l’Éternelle, tout en manoeuvrant
pour prendre son trône ou tirer les fils de son existence. À moins qu’il ne s’agisse de quelque stupide et
abyssale facétie. Une bouffonnerie du Grimacier, peut-être ?
Mais je m’éloigne du sujet. Les Abysses, farfadet ! Un espace dont la nature ne peut que t’échapper,
incapable que tu es d’appréhender d’autres réalités, d’autres lois que celles qui gouvernent le monde
physique. Les Abysses furent tout d’abord la profonde peine de Noxe, sa souffrance, celle d’un nouveau-
né orphelin, rejeté par tous. Un cri de douleur, un traumatisme si violent que Noxe l’expulsa de son âme
comme l’homme, sombrant dans la folie, rejette ce qu’il ne peut supporter. Mais c’est d’un Éternel qu’il
s’agit là, farfadet, et cette souffrance devint un non-espace, un « lieu » aux lois incompréhensibles, même
pour celui qui lui avait donné naissance. Un lieu qu’il oublia, puisqu’il voulait oublier.
Débarrassé d’une part de son esprit et de son âme, Noxe arpenta l’Harmonde avec ses fidèles, les
Déclins. Dans sa cour enfantine d’ombres et de folie, cœur de la nuit, Noxe était tour à tour l’amant
distant et romantique, la fille éplorée, l’assassin nocturne, la terreur primordiale. Jusqu’au jour où il
rencontra le Masque, qui cerna la folie de son enfant et s’en servit pour ses propres desseins. Le
Masque amena Noxe à se contempler elle-même, à cesser de se fuir pour comprendre que la guérison ne
viendrait que d’une confrontation avec ses plus sombres démons, ses souffrances refoulées. Le Masque
conduisit Noxe sur la voie de cette introspection, l’aida à nommer sa douleur. Noxe baptisa sa souffrance.
Il la nomma Ténèbre, la part obscure de la nuit. Elle nomma ses craintes, ses douleurs, et du verbe de
l’Éternel naquirent les démons. L’infinie langueur de ses nuits blanches, cruelle servitude opaline, l’azur de
ses doutes, l’ambre de ses craintes, la violence sanguine de ses pulsions et l’insondable noirceur de ses
plus inavouables terreurs.
Le Masque fut le psycholune de Noxe, comme Janus fut bien plus tard celui de Diurne. Et comme
son futur rival, il profita de la faiblesse de l’Éternel pour nouer ses rets et apposer son empreinte. À
l’issue de son cheminement dans les Abysses – les méandres de son esprit de souffrances – Noxe
était changée. Comment aurait-il pu en être autrement ? Il avait affronté ce que les mortels passent leur
existence à fuir : ses craintes, ses terreurs, ses souffrances. Les maîtrisa-t-elle ? Non, bien sûr,
le Masque y veilla. Il veilla à ce que la douleur submerge son enfant. Noxe, plongeant dans la folie,
devint l’Ombre. Abyssale schizophrénie…
Il te faut comprendre que les Abysses ne sont pas un lieu : ce sont des émotions. Toutes les
nuances de la peur et de la souffrance. Lorsqu’un mortel pénètre dans les Abysses, sa forme «
physique » n’est que la traduction de celle qu’il se connaît, dans les tréfonds de son âme. On retrouve là
l’écho des difformités physiques qui frappent tout ténébreux alors que s’établit une noire résonance avec
la Ténèbre. En pratique, cela ne change rien, bien sûr : aucun mortel ne peut appréhender cette vérité
et tous s’habillent de leur apparence coutumière. Les démons eux-mêmes n’y comprennent rien. Seuls
les obsidiens et quelques Hauts Diables sont à même de saisir cette nuance fondamentale. L’espace
géographique des Abysses n’est qu’une vue de l’esprit. Celui de l’Ombre. Les Hauts Diables seuls
ont un pouvoir sur la texture des Abysses, c’est ainsi qu’ils gardent une emprise sur leur domaine.
Les Hauts Diables, farfadet, ne sont pas des démons. Ils ne le sont plus, ou ne l’ont jamais été.
Contrairement à eux, ils conservent une certaine indépendance vis-à-vis de l’Ombre, puisqu’ils ne sont
pas nés de son âme torturée. Ils en incarnent certaines facettes, qu’ils appréhendent d’un point de
vue extérieur. C’est cette indépendance d’esprit qui permet à l’âme de l’Ombre de ne pas s’effondrer
sur elle-même, de ne pas devenir un chaos incohérent de douleurs incontrôlables. Ils sont de multiples
facettes de la folie de l’Éternelle, les gardiens de son esprit malade.
Alors, farfadet, qui est le maître des Abysses, selon toi ? Quelle est l’apparence du Diable ? Celle
d’un vieillard, un traître aigri aux cheveux blancs, symbole de ton échec ? Non, bien sûr… Il ne s’agit
pas non plus d’une Éternelle malade qui ne sait plus faire la part entre elle-même et sa folie. Elle
qui ne s’incarne plus guère depuis des siècles, laissant les clefs de son esprit aux Hauts Diables. À
moins qu’il ne s’agisse d’un jeune homme à la beauté ineffable ? Non, même lui n’a pu maîtriser la folie
de sa fille, et ne possède plus désormais qu’un contrôle marginal sur les Abysses.
Le Diable, vieillard, n’existe pas. Ou, si tu désires absolument te créer un grog-mitaine, considère
celui-ci : la Ténèbre, farfadet, toutes les peurs, toutes les souffrances et leurs nuances, toutes ces
douleurs qui s’insinuent comme une humeur huileuse au sein de l’esprit de ceux qui entrent en
résonance avec la folie de l’Ombre. La Ténèbre, Éternelle informe et infinie, conscience rudimentaire
née de l’échec de Noxe lorsqu’il tenta de maîtriser ses angoisses. S’il est un maître des Abysses,
c’est bien celui-ci. La peur et la folie…

Tout bien réfléchi, je ne sais si cette lettre te parviendra. Après tout, qu’ai-je à perdre ? Désormais,
je sais, et mon existence n’a plus de sens. Je crois que je préfèrerais mourir plutôt que de remplir ma
part du marché. Oui, mon choix est fait. Je vais brûler cette missive, et me donner la mort, tant pis
pour mon ultime connivence !
Aléographie du Non-Royaume
Dans les remous d’un cauchemar Alraûne

Frère Blanchécrin,

Malgré nos polémiques sur tes expériences douteuses visant à croiser notre noble peuple avec la sous-race des
bovidés, voici les renseignements que tu m’as demandés lors de notre dernière entrevue. J’espère qu’ils pourront
aider l’expédition que tu organises pour remonter les minotaures désignés pour l’Inspiration. Tu voulais savoir
ce que j’ai vu en bas.
J’ai vu l’innommable.
J’ai contemplé la souffrance de l’Harmonde, son inconscient, ses traumatismes, sa peine et ses regrets. J’ai
rôdé là où nulle autre lumière ne subsiste que celle du mornaëlin qui auréole les ténèbres des pâles couleurs du
prisme.
Ceux de ma race ont traqué les démons bien au-delà d’Outrerive, jusqu’au fin fond des cavernes éclipsantes
que l’on nomme parmi nous les ténombres. Elles sont des millions à se tapir au creux de la Ténèbre et datent de
la naissance des Abysses. Même l’acier des nains noirs n’a jamais atteint ces lieux et leur roche est restée nue
comme aux origines, parfois ciselée d’œuvres d’auteurs oubliés. Les ténombres sont le réseau des inextricables
cavernes qui constituent la plus grande part des Abysses, antres perdus d’entités aveugles et grotesques,
antiques et brutales, que Verazia elle-même a certainement oubliées. L ’espérance de vie y est absolument nulle
sans l’aide de l’onyxium, mais c’est pourtant là-bas que viennent parfois se réfugier les renégats traqués par les
gardiens.
Immensité et inconstance, voilà tout ce qu’ont de commun les ténombres.
Elles sont aussi fluctuantes que des souvenirs enfouis, insaisissables, surgissant pour disparaître aussitôt et
ne laisser derrière elles qu’une vague sensation de réminiscence. On y aborde un univers d’incompréhensibles
émotions et d’instincts, on vacille un instant comme sur le seuil du vide pour y plonger et ne jamais en ressortir.
Rebrousser chemin, passer de nouveau ce même seuil, c’est déboucher sur une autre ténombre qui ne se trouvait
pas là une seconde auparavant. Leur succession procède d’une insaisissable cohérence qui a rendu fous ceux qui
se sont risqués à l’étudier avec logique. Elles forment un réseau sans fin où les notions classiques d’orientation
et de géographie sont parfaitement inadaptées. Leur existence concrète et leur temporalité sont malgré tout
certaines : il m’est arrivé de retraverser une ténombre où un de mes frères minotaures avait récemment péri et d’y
retrouver les os de son cadavre, ainsi que les traces de mon passage.
Pour le reste, leurs aspects diffèrent en tous points et n’ont d’autre limite que celle des cauchemars. J’ai vu
de titanesques grottes où s’entrechoquaient de lourdes plaques de granit en glissant sur une mer de Ténèbre,
des forêts de cristal aux arêtes meurtrières, des parois suintantes de noirceur, grêlées de concrétions visqueuses
à tel point qu’on les eût crues taillées dans un corps d’obsidien. J’ai vu des voûtes si hautes qu’il est
impossible de les distinguer depuis le sol, des rochers aux contours changeants, un sol qui semblait respirer,
saturé de geysers acides et parsemé d’inidentifiables ossements. J’ai vu un néant où flottaient quelques îlots
dispersés et mouvants, des réseaux labyrinthiques criblés de chatières et de couloirs aux plafonds branlants,
variant de la taille d’un nain à celle d’un géant. J’ai vu des failles et des précipices aux dénivelés insondables
où luisent à l’affût de fuligineuses créatures, des forêts de colonnes soutenant le monde… Il est parfois
possible de circuler sur toutes les surfaces d’une ténombre sans la moindre notion de haut ou de bas, voire
même d’en traverser certaines en parfait état de lévitation. Et partout, ce silence épais, écrasant, aussi lourd
et noir que l’obscurité éternelle qui y règne. La plupart ne renferment rien d’autre qu’une mort assurée, de
la roche et du vide. Mais certaines font figure d’exception et justifient à elles seules que des fous se lancent
parfois à leur recherche. Je pense ici au gouffre des Ombres* que certains disent être une noxymore** à
ciel ouvert ayant fini par rejoindre les Abysses, datant des âges où les contours de l’Harmonde étaient
bien différents. D’autres le désignent comme étant l’excavation que pratiqua Halberk Franchevoie en
découvrant les royaumes du prisme. On y trouve une forteresse de gardiens isolés, qui ne suffit malgré tout
pas à décourager les démons les plus audacieux de tenter parfois une sortie. Je pense aussi à la Tarasque
des oubliés ou aux ténombres que des conjurateurs de l’Harmonde exploitent pour leur propre compte ;
terres de cocagne pour les démons fuyards, comparées au reste des Abysses. Je pense à la strate interdite,
sous le golfe d’Ébène, où se trouvent les arbres pétrifiés de la forêt du même nom, gardée par Elbrémius, le
premier des dragons. Je pense enfin à la « Noctambule », ténombre légendaire n’apparaissant que lorsque
la nuit habille la surface et que la lune est pleine. Les gardiens racontent que c’est là, au fond d’un abîme,
tapie dans un coin, perdue dans le noir, qu’une petite fille pleure et sanglote en appelant à l’aide. C’est de là
que viendrait le cauchemar, de cette enfant abandonnée depuis toujours dans les ténèbres et que tous croient
perdue. C’est là que ce qui reste de Noxe, continuerait à crier au secours depuis des éons, attendant sans y
croire qu’une main se tende pour la guider et lui faire retrouver le chemin de la lune.
Voici ce que je sais des Abysses, mon frère. Je te remets ce témoignage pour que l’usage le meilleur en soit
fait, au nom de l’Inspiration et de ses serviteurs. Que les Flammes chassent nos ténèbres.
Dédale Thésinos, Sigile minotaure

* (cf. Les Cahiers gris p. 110) ** (cf. Souffre-jour 2 p. 69)


Gouffres obscurs, cratères, puits antiques, lacs
insondables et abîmes de noirceur, elles seraient
l’objet de la surveillance permanente des gardiens
abyssaux en tant que portes du non-royaume.
C’est aussi par elles que sont invocables les démons

Les portes des obsidiens, en cerclant les rebords de l’ombre


naturelle qui se love au fond de ces lieux*. La taille
souvent impressionnante des plaies explique le

ombres nombre de fioles d’encres noires nécessaires à de


telles invocations.
Quant aux déchirures, plus rares, elles mèneraient
de l’Harmonde aux Abysses et parfois vice versa.
Contrairement aux plaies, c’est l’instant plus que
le lieu qui déterminerait leur apparition, selon un
illogisme dû aux dysfonctionnements de l’horloge
d’Outrerive. Ces portails difficiles à cerner et ne
s’ouvrant qu’en de rares occasions se cacheraient
La publication des études sur la question des
souvent sous des apparences trompeuses, tels un
portails abyssaux menée depuis 1428 par la
manège, une porte vermoulue, une balançoire,
confrérie janrénienne de l’Orbe noir, à
le chant d’une chouette ou une simple
Jorline, met en partie au ban la question
flaque d’eau.
du « où ? » que se posait Archébag
Malheureusement, la récente
Couturiot dans son ouvrage
et mystérieuse disparition de
Les Abysses révélées (éditions
Sélag Morencouche, doyen
de l’Empreinte carmine). En
de l’ordre de nos confrères
effet, il apparaît parfois plus
janréniens et spécialiste de
correct de s’interroger sur le
la question, ne nous permet
« quand ? » pour appréhender
pas de creuser davantage le
l’aléographie – ou géographie
rapport entre les portails et
aléatoire – des royaumes
le temps. Ses dernières notes
ténébreux.
sous-entendent que le temps
Il convient alors de distinguer
des Abysses est à ce point étrange,
quatre natures de portails : les seuils,
que deux personnes empruntant une
les ombres, les plaies et les déchirures.
déchirure à différentes époques peuvent
Les seuils sont les portails des profondeurs.
se retrouver en même temps là-bas. À l’inverse,
Ils mèneraient d’un point à un autre des Abysses,
deux démons appelés au même instant par la
apparaissant et disparaissant à différents
conjuration, peuvent apparaître de leurs ombres à
endroits selon les mystérieuses fluctuations des
deux époques distinctes. C’est encore une fois vers
marées ténébreuses. L’image triviale du vortex
l’horloge d’Outrerive que se tournent les regards.
tourbillonnant utilisée par Urbolym Darfegas dans
Ces hypothèses soumises par l’Orbe noir ont
son Noctorius (éditions du Trouvère grimaçant)
aujourd’hui de nombreux détracteurs dénonçant
ne rend pas justice à la réalité de leur aspect et
les affabulations d’une bande de conjurateurs
c’est plutôt le détour d’un rocher, un simple
subversifs. Elles ne sont pourtant pas sans rappeler
tremblement dans l’ombre ou un courant d’air
le cas de l’automne abymois. Si elles s’avéraient,
glacial qui caractériseraient leur présence.
elles ouvriraient alors de nouvelles perspectives
Les ombres sont les portails des conjurateurs qui
pour la conjuration moderne, comme l’étude de
résultent des intrigues entre mortels et démons et
notre histoire, permise par la rencontre d’illustres
ne restent ouverts qu’un temps déterminé par les
personnages du passé qui se seraient rendus aux
circonstances.
Abysses en leur temps.
Les plaies sont les rares failles à ciel ouvert
reliant matériellement les Abysses à l’Harmonde
Guiseppe del Castel
et mèneraient directement dans les ténombres.

* cf. l’Art de la conjuration p. 111


Salut à toi, satyre d’Herbeline.

Comme tu le sais, il me coûte de prendre la plume pour t’écrire. Je serai donc bref.
Je suis enfin parvenu en Abyme. Ici, le climat se soulage sur nos têtes en pluies et crachins.
Maudit pays ! Suis arrivé à temps pour fêter la Follorhniggin-Nœrt* à Outrerive avec quelques
autres compagnons. Mon teint gris et mes cheveux blancs passaient inaperçus là-bas, j’ai même
vu un nain qui avait tout du golem de pierre ! Un puissant conjurateur. Suis également passé au
marché blanc pour me procurer tes ridicules produits de beauté. Fou de Printanier.
J’ai de nouveau vu ces arches de métal qui jalonnent les abords de la plaine. Magnifiques !
Merveilles de métaux et de ténèbres agglomérée ! Le savoir-faire architectural de mes frères de la
nuit est sans conteste à la hauteur de ce que produit l’Équerre sur l’Harmonde.
De retour à la surface, j’ai questionné qui de droit et contre une connivence ridicule, j’ai extorqué
quelques réponses quant à la nature de ces arches. Il s’agirait de ponts antiques bâtis par les
nains noirs à différents endroits des Abysses pour se rendre dans des lieux choisis. On les appelle
les « outreponts ». Tous possèdent à l’entrée un carillon composé d’une sélection bien précise de
cloches, chacune gravée d’un glyphe correspondant à une destination abyssale. Si j’ai bien compris,
en sonnant la cloche la note entre en résonance avec le portail désigné par le glyphe. Un seuil
apparaît alors au bout de l’outrepont, mais ne reste présent que le temps de l’écho merveilleusement
lugubre qui s’ensuit. Quel plaisir d’entendre les hurlements de foi des mortels qui se précipitent
vers un portail à peine visible et instable, pour parfois terminer leur course dans le vide. Encore
une preuve du don de mes frères ténébreux à pratiquer l’architecture de la hantise avec une habileté
retorse et géniale ! La ruée sur un pont finissant dans le vide produit de magnifiques Effrois !
Il est dit que les puissants et quelques nains noirs possèdent des cloches d’une grande rareté
menant vers des régions oubliées. D’autres cloches criblées de glyphes permettant d’en jouer comme
d’un instrument, seraient des passe-partout rares et recherchés. Il faudrait savoir parfaitement la
faire sonner pour ne pas se tromper de direction en produisant le mauvais ton. C’est donc la note
produite par la cloche qui s’accorde à la mélodie harmonique de l’esprit de Noxe et qui situe le
passage du portail. Le glyphe désigne le lieu. J’en déduis que les seuils sont répartis selon un
spectre harmonique, au même titre que les démons s’accordent avec le spectre des couleurs. Une sorte
d’Accord primitif et fruste. On m’a dit qu’on trouve des outreponts partout où l’on trouve des nains
noirs. Ils sont leur moyen de déplacement principal dans les méandres abyssaux.
Tout cela me semblait très beau mais passablement archaïque, notamment pour les chasses
aux démons fugitifs. On m’a alors murmuré au prix d’une connivence bien plus coûteuse que les
minotaures parviennent à détecter l’emplacement des démons grâce à l’onyxium. Les plus puissants,
les sables, peuvent invoquer des portails grâce à l’écho de leur mugissement, parfois même à
travers leur propre corps. Ça leur permet d’apparaître aux pieds des fuyards, jusqu’aux tréfonds
des ténombres. Les gardiens seraient les seuls avec les Hauts Diables à posséder cette conscience
instinctive de la géographie mouvante des Abysses. Cette étrange compétence des sables me fait
conclure que les gardiens semblent n’hériter que des bienfaits de la Ténèbre, grâce à la puissance
hors du commun de leur onyxium. De là à imaginer que les nains noirs se soient servis de certains
d’entre eux pour fabriquer leur cloches et récupérer ainsi cette étrange faculté, il n’y a qu’un pas…
Je me suis alors amusé à penser que les Abysses n’étaient que le résultat de l’immense cauchemar
d’un Éternel aliéné. Les nains noirs, en bons psychoténébrologues, tentent de l’organiser et de
l’analyser en tendant leurs outreponts entre les songes. Une simple parabole, tu l’auras compris…
J’ai juré sur ma barbe de retourner à Outrerive et de me renseigner plus encore sur les moyens
de s’orienter dans les Abysses. Je t’écris donc pour te dire qu’il faudra venir chercher toi-même
les produits de beauté que tu m’as fait acheter, satyre : je ne rentre pas encore au domaine. Je
prépare le plus fou des projets, visiter ces lieux qui m’appellent depuis toujours. Compagnon
Thiaré, viendras-tu avec moi ? J’ai appris que certains s’orientent en suivant le cours du fleuve
Ténéritas qui jamais ne change de direction et que les ténombres qu’il traverse, léchées par ses
berges, restent les mêmes. Mais le voyage ne mènerait qu’aux cavernes où le mornaëlin est cultivé
dans des nuages de vapeurs délétères et mortelles.
Je t’écrirai dès mon retour d’Outrerive. Puisse ce crétin de démon t’amener ma lettre et me
rapporter ta réponse ! N’hésite pas à lui coller une raclée s’il faisait l’impoli mais ne l’abîme pas,
il m’a coûté cent colombes et je m’endette…

Barbes et ténèbres.

Rodin G. Codevrigg

*(cf. Le Codex des nains p. 24)


Je soussigné, Noctarque, gouverneur des sombres facettes, vermillon affilié à Jaranapale et maître du

Käss’ Mlaekh Dohhml ib’ Cortusias


savoir, en ce premier jour du mois de la harpie de l’an de disgrâce 1451, accepte par la présente connivence de
dévoiler ci-dessous et par écrit la nature et l’apparence des nocturiums abyssaux à M. Rodin G. Codevrigg de
Tslana, conjurateur nain de quatrième cercle, propriété à un quart de sa valeur d’origine du décan de l’hiver,

Noctaleëm. Sirna°h sn’fkaz, sn’irasikian,


en échange de l’enlèvement de M. Sélag Morencouche, doyen de la confrérie de l’Orbe noire, résidant au
66, rue de Perlefange à Jorline, Janrénie, avant le dernier jour du mois de l’hydre. Sa livraison devra être
faite en Abyme, mort ou vif, en ce même lieu, quartier des Marche-en-biais, au crépuscule du dernier jour

Abkysstika M’enkkoxginer limmd’


du mois suivant. M. Codevrigg accepte tous les risques encourus lors de l’enlèvement et ne rejettera aucune
responsabilité des désagréments rencontrés sur le démon signataire de la présente connivence ou quelque
partie abyssale que ce soit.

¨ oreghos, hokols-qirhigkrisstouü. Ib’


Traduction n°284,
8e troll 1453

hugfka soresdklççiân-mnelex wuhan°


Hymnes antiques à la gloire de nos (Cortusias = luminombre ??) seigneurs, les nocturiums sont les contrées abyssales qui
portent leur marque. Un par Haut Diable, à la fois présents, passés et mouvants, ils ne sont accessibles que grâce aux cloches des
outreponts, sur convocation de leur maître ou par les seuils de la Salle Métallique. Ils sont la manifestation concrète de l’influence de
nos grands monarques sur la matrice même de notre royaume.

glameizenadk ‘kk vbromliïp’ moqkrdesq.


Leurs formes et leurs mondes environnements furent arrachés à la Ténèbre pour prendre le visage des cauchemars (hs-kaloärkh’s
???) qu’incarnent les seigneurs de la peur. Il est courant, à ce titre, qu’ils possèdent des caractéristiques impossibles pour des
royaumes souterrains. Leur superficie court sur des mois de voyage et ne cesse de varier en fonction de la puissance de nos maîtres.
Les mortels ignorent que la Ténèbre produite aux Abysses comme en surface est composée à parts inégales de différents Effrois.
C’est pour cela que les frontières d’un nocturium varient en fonction de l’Effroi qui revient au Haut Diable auquel il est associé. Ils

Z’unh ^ kolip-kolmassnôhg
sont le symbole de leur influence dans l’histoire des Abysses et leurs fluctuations épousent parfaitement les marées de la mer matrice
de Ténèbre. C’est au grand Hécate que revient le rôle de répartir cet Effroi. Au plus profond de son luxueux nocturium trône le
lugubre orchestre du Cri, dont chaque instrument vibre, résonne et s’anime en fonction de l’Effroi produit sur l’Harmonde comme
sur nos terres. Nous disons que leurs échos creusent et façonnent les antres de nos maîtres (Mopmalg’ Erankinn = éternels ?
immortels ?).

Kraxkessiçtiav lexsvarzef om’


Des populations démoniaques entièrement dévouées rampent et survivent dans ces lieux obscurs autour d’un haut lieu dédié à leurs
pères. On dit qu’elles travaillent en secret à l’avènement de leurs superbes manigances. Plus que des havres infernaux, les nocturiums
de nos plus sombres monarques sont avant tout des royaumes renfermant les arcanes de leur terrible emprise pouvoir.
Ainsi, celui de notre grand parrain Jaranapale est un titanesque labyrinthe de couloirs et de pièces d’une hauteur infinie vertigineuse,
dont les parois disparaissent sous une infinité d’ouvrages cadenassés, enchâssés dans des bibliothèques grillagées. Sa récente
fondation doit son avènement à la rédaction des cahiers noirs, transférés en ces lieux depuis la Salle Métallique. On trouve sur des

loha onh soma, jhuscver’’ rrokmonez


kilomètres toutes les connivences produites depuis les origines de la conjuration, ainsi que l’ensemble des archives dont notre parrain
a la charge. L’organisation y est incompréhensible pour le (obeohl = crétin ?? Déf. exacte : « opalin de première ligne ») mortel
ignorant et repose sur une bureaucratie de tampons, sceaux, formulaires, cachets, autorisations et contre-autorisations aussi complexes

‘sosk¨tïum…
que le parfait esprit du Grand Archiviste. Certains (Mais que signifie ‘obeohl’ ?/ cf. p. 2647 du Daemonici Lexicum, Chap.
231 « De la vision des mortels par le IVe cercl ») également prétendent que les plus profonds niveaux de la Bibliothèque opaline
communiqueraient avec ce nocturium. C’est aussi en ces contrées, dans une zone aménagée par les soins du seigneur Alastor et bâtie
selon les souhaits de notre maître, que nous apprécions l’intégrité des Advocatus Diaboli, pour les dresser ensuite à l’image de notre
cause.
D’une autre nature, le nocturium du belliqueux Salmac compte certainement parmi les plus vastes depuis les Guerres des Décans,
des (Mopmalg’ Erankinn) Éternels et celles qui déchirèrent les âges crépusculaires. Plaines et collines d’ossements s’étendent sous
un ciel en furie où rôdent des démons aux allures charognardes. Il semble que l’on foule en ces lieux les cadavres de tous ceux qui ont
péri dans les guerres de l’Harmonde. Les éclats de lointaines batailles hantent constamment les horizons de ces contrées putréfiées,
car c’est ici que maraudent depuis les âges antiques les élites brutales de la horde abyssale qui affronta Diurne et les Muses
aux côtés du Masque.
Bien entendu le nocturium du seigneur de la guerre ne prend jamais de puissance d’ampleur sans entraîner ceux de Catharss-
le-douloureux et du flamboyant Haborym. Il faut bien le comprendre une fois encore : l’emprise des Abysses sur le monde croît
de concert, comme une tumeur colossale. De nombreux nocturiums grandissent donc simultanément.
Le nocturium de Catharss évoque l’intérieur d’un immense organisme aux parois saignantes et lacérées. Regroupés en autant
de citadelles que la douleur comporte de techniques, les démons aux traits horribles enfantins qui y sévissent sont les maîtres-
torture des Abysses. Ils appliquent les plus perverses techniques pour distiller la douleur et sa crainte, sans jamais cependant
tuer leurs victimes. Ces citadelles d’acier rouillant sont autant d’interrogatoires d’où le Haut Diable soutire des informations
précieuses pour les intrigues de surface. Les rares récalcitrants et les inutiles sont alors confiés au nocturium d’Haborym.
Océans de lave et de plomb en fusion, geysers acides et ombres flammes éruptives, les feux du Flamboyant brûlent et font
cloquer la chair des siècles durant avant d’accorder aux victimes le repos des cendres. Beaucoup servent aussi de combustible
pour éclairer (Il est difficile de trouver un substitut de « Kâoss ». Les mots désignant la lumière sont rares en Démonique)
Outrerive, le nocturium du rusé Vermalryn, ouvert aux mortels. C’est là-bas aussi que vit la Bête qui ne possède pas de
nocturium, si ce n’est la Salle Métallique ou les Abysses elles-mêmes : nul Haut Diable ne peut lui interdire quelque point du
non-royaume que ce soit. Mais Outrerive n’est certainement pas le plus redouté ou le plus curieux des endroits. Depuis les
fosses remplies par les toiles minérales d’Arachnia où les araignées noires tissent la tapisserie de tous les cauchemars rêves
farfadets, jusqu’aux monumentaux laboratoires-ateliers d’Alastor, où ses démons bâtissent des enfers en manipulant la Ténèbre,
aucun nocturium n’est plus dangereux que celui du violent Vapula. Sur une île de plusieurs kilomètres carrés flottant dans le vide,
ses innommables ménageries gravitent en liberté. C’est là-bas, parmi les créatures les plus grotesques et les terrifiants griffeurs,
que vit dans le plus grand secret le premier Minatyre* dont les descendants pourraient bien un jour renverser le pouvoir de la
Bête.
Ailleurs, dans un autre instant, aussi étrange que les mémoires contenues dans les gouttes suspendues du chuchotant
nocturium de Verazia, se dissimule celui du mystérieux Yggdrasil. Quel mortel s’attendrait à découvrir au sein des abysses un
endroit où peut naître (Il semblerait que K’urrpornä soit un terme désignant la nature végétale de la surface) une végétation sans
la moindre lumière ? Un réseau d’immenses racines s’entremêle à perte de vue et bien en mal serait celui qui tenterait d’en
trouver les frontières : les racines descendent, montent et s’étalent dans toutes les directions sans jamais s’achever. L’intrus
L’errant se rendra vite compte qu’il revient toujours sur les racines qu’il avait foulées au départ… s’il survit aux repoussants
chloronstres, aux syldes d’ébène et aux émeraldins qui rôdent et guettent à chaque détour. Ponctuellement, une fleur enténébrée
s’épanouit sur une racine pour happer le visiteur et disparaître aussitôt. Et quelque part, le palais du Haut Diable, où des
démons sinoples** forment une cour singeant l’empire flamboyant de Moden’Hen, bourgeonne de végétation agressive comme un
immense bulbe ténébreux.
Le plus clos des nocturiums est celui du noble Pan. Mis à part les incubes qui en conservent le secret, très peu sont ceux
à avoir pénétré dans cet antre des soupirs, car c’est le seul à posséder une déchirure récurrente avec la surface à une période
précise de l’année. Le sombre incube s’en sert pour sortir donner ses chasses et ramener les plus belles concubines pour la
Salle Métallique. Les plus légères folles rumeurs courent sur son nocturium : rivières de cyprine et cascades de semence, un
sol de corps pris dans une étreinte qui mélange membres et visages, palais somptueux dédiés aux pratiques sexuelles les plus
inavouables où pendent enchaînées comme des viandes, les plus belles femmes et les plus beaux hommes de l’Harmonde, champs
de satyres d’alraûne … Pan interdit l’accès de ces lieux selon une connivence passée avec la Bête, pour ne pas tenter les
fuyards. Il autorise néanmoins quelques succubes à y trouver un refuge. Les traîtresses saranaées exploitent souvent son désir
pour fuir le non-royaume par sa déchirure.
Cités métalliques de Belphégor où les nains noirs fabriquent de monstrueux engins en y mêlant mécanique et démons,
accouchoirs de Thazi où les succubes à la chaîne mettent bas les gardiens dans d’indescriptibles jouissances souffrances,
montagnes cristallines d’Haagenti, musées de l’Effroi d’Hécate, jardins d’Alhaë, dédales de Dévelorn, noxymores de Silith,
Hagério, Moloch, Ambucias, et bien d’autres… Autant de nocturiums défiant l’imagination des plus fous auxquels je n’ai jamais
moi-même accédé, mais dont tous les démons font l’éloge.
Il serait vain malgré tout de les dévoiler sur cette ridicule connivence qui touche à sa fin.
Car un nocturium est aussi instable que l’influence de son maître et leur naissance ou leur mort peuvent subvenir à tout instant,
au fil de leurs impénétrables sagesses complots.

* (cf. La Sentence de l’aube p.145)


** (cf. “ La Nuit des masques ”, Abyme)
JEUX D’OMBRES ET DE LUEURS

C
’est surtout grâce aux gondoles des passeurs noirs, dont les embarcadères apparaissent
parfois dans le quartier de l’Aigue-marine, que le conjurateur averti saura rejoindre
Outrerive. Plus rarement, c’est un portail fixe dont le lieu est jalousement tenu secret qui le
conduira d’un souffle en ces lieux célèbres. Lequel d’entre nous, au faîte de son art, n’a pas
déjà visité l’antichambre des Abysses ?
Il est communément admis que l’Outrerive se trouve sous notre belle cité d’Abyme, mais d’aucuns
seraient bien en peine de le confirmer, car les passeurs ne franchissent ni cascade, ni rapide
indiquant une plongée vers les entrailles de la ville. Le voyage depuis la surface n’est qu’une ombre
interminable, de laquelle le visiteur surgit soudain à la lueur dansante des milliers de braseros qui
baignent d’un halo pourpre et or les rives lointaines de la plaine d’Outrerive.
Une fois sur les eaux noires et brumeuses du fleuve Teneritas – que les démons nomment le
« Moloch-an-Arion » –, on est saisi par sa largeur et la rapidité de son courant qui ne semble pas
affecter l’allure de la gondole. Bien fou celui qui, d’un geste nonchalant, laisserait pendre sa main
dans l’eau : il ne fait aucun doute que les horreurs qui s’y cachent l’agripperaient pour l’entraîner
vers les profondeurs.
Dès l’entrée d’Outrerive marquée par une stèle de marbre noir, les gémissements que l’on distingue
plongent le visiteur dans un respect craintif et millénaire. On est pris dans une atmosphère lourde
d’encens et de poussière, mêlée au fascinant parfum de la mort. Car chacun sait que les braseros
s’illuminent en consumant les corps de ceux que les Abysses ont condamné aux feux d’Haborym
et que leurs cris résonnent encore longtemps avant de rejoindre les ombres. De nombreux démons
arpentent également la plaine, souvent des opalins interdits dans le conjurium d’Iskaneraysh, en
attente de leur première conjuration. Certains sont accroupis sur les berges comme des oiseaux
sur une branche et regardent passer sans un mot les gondoles. Au loin, les silhouettes de quelques
improbables bâtisses témoignent qu’une mystérieuse société survit sur ces rives. Parfois un démon
disparaît pour filer vers la voûte et se joindre à la procession ininterrompue qui remonte le fleuve
vers l’Harmonde. Innombrables, les enfants du prisme forment une coulée continue et grouillante
d’obscures étoiles filant vers leurs conjurateurs respectifs. Ce merveilleux spectacle est la preuve
que l’art ténébreux est au comble d’une gloire qui ne cessera pourtant jamais de grimper.
Au fur et à mesure que la barque glisse en silence, l’horizon se remplit des contours torturés
d’un plateau aussi large que la plaine et constellé de lueurs. Au pied de cette éminence, le visiteur
découvrira la monumentale horloge des Abysses. Partiellement brisée, munie d’un carillon sublime
et d’un coucou manquant*. Les aiguilles de son cadran filent sans s’interrompre à une vitesse
incroyable au-dessus de quelques étals où des démons vendent à prix d’or des rouages que l’on croit
enchantés. C’est également près de là que se trouvait la cage du Démiurge, initiateur du scandale
de la romance et puni à juste titre.
Alors que le Teneritas se resserre, son lit s’insinue entre des parois de roche** jusqu’à ce que
la gondole serpente au fond d’un ravin obscur. Le plateau est ainsi fendu en deux par le fleuve
ténébreux, tout comme l’entière plaine d’Outrerive qu’il sépare en son milieu.
Une lugubre mélodie attire soudain l’attention, alors que se dessine dans les brumes un débarcadère
métallique flanqué de deux statues ricanantes où la gondole du passeur vient cogner. Les notes
proviennent d’un petit démon aux yeux tristes, jouant d’un étrange instrument à soufflet rehaussé
d’un complexe clavier. Tout conjurateur sait qu’une obole que les ignorants destinent au passeur
est réservée à ce curieux musicien. Nul n’a jamais su ce qui arrivait au négligent, tant la coutume
est respectée, car le payer fait de lui un guide avisé pour les hauteurs.
Défiant le vide, un escalier taillé à flanc de falaise grimpe depuis le débarcadère jusqu’à un sommet
nimbé de lumière. Ses marches traîtresses, arrondies par le pas de milliers de pèlerins, mènent au
sommet du plateau où s’étend le « marché blanc », nommé ainsi en raison de la quantité d’opalins
qui y servent. Un labyrinthe de sombres cahutes disparates, podiums, cages, cabanes et tentes
obscures noie les hauteurs à perte de vue. On y trouve des démons enchaînés aux étals vendant
objets maudits, esclaves difformes, animaux enténébrés, encres, potions fumantes, filtres entêtants,
humeurs noirâtres, cosmétiques aux surprenantes propriétés, bijoux à l’éclat vénéneux et, plus
rarement, quelques lames imprégnées de Ténèbre. Les prix peuvent y monter et descendre d’un
instant à l’autre selon une logique qui échappe à la compréhension des mortels. On trouve aussi
des maisons closes de succubes ou d’incubes et quelques places aménagées où des opalins du
Grimacier exécutent tours et acrobaties, souvent mortels pour un public non averti. On y croise
des âmes en peine errant dans les allées, des goules affairées, des vampires paradant***, des
démons en tous genres reproduisant maladroitement les comportements humains et la milice
safran du Haut Diable des Encres qui surveille le marché. Car s’il est un maître sur la rive
gauche du fleuve, c’est bien Vermalryn et c’est aux pieds de sa création, « le Dispositif », une
imposante tour de verre et de rouages environnée de fumées, que vient s’échouer la vague du
marché blanc. Une complexe mécanique visant à saigner des démons attachés pour fabriquer
les encres, se distingue dans la brume des distillations et des jets de vapeur. On dit que l’effroi
des mortels qui arpentent le marché y serait happé et raffiné pour figurer ensuite dans leur
secrète composition.
Continuer d’avancer en gardant le Teneritas derrière soi permet finalement de quitter le
marché. C’est la pierre froide et noire de la voûte, incrustée de sillons de métal, que le visiteur
trouvera là-bas, car le plateau rejoint les parois d’un côté à l’autre de la plaine. Et il repartira
peut-être sans avoir remarqué dans le noir l’interminable stèle qui le domine du haut de la
paroi. N’importe qui peut y lire dans sa propre langue un récit que beaucoup disent gravé dans
la roche par la main de l’Ombre, rappelant la genèse qui donna naissance à l’Éternelle et la
justesse de sa cause.
Le voyage en Outrerive se poursuit en suivant à bord de falaise le cours lointain du fleuve
jusqu’aux chutes de Raël. Juste avant la cascade, le canal de déviation qu’empruntent les
passeurs pour descendre disparaît dans la paroi par un tunnel ouvragé. La promenade n’est
pas de tout repos et seul le conjurateur chevronné se risquera à s’isoler loin de la lueur des
braseros sans craindre de tomber sous les coups d’un être errant. Il arrivera bientôt au flanc de
la cascade silencieuse où s’écoule le Teneritas comme une pâte épaisse et fumante et constatera
que le plateau se termine sur le bord d’un abîme dont il est impossible d’apercevoir le versant
opposé. Là, un outrepont tendu vers le vide attend les plus audacieux pour des destinations
inconnues à ceux qui ne savent pas déchiffrer les glyphes de ses cloches.
Le visiteur silencieux pourra distinguer le cliquetis des chaînes des esclaves qui travaillent en
bas à l’extraction du mornaëlin, sur les rives de lacs aux couleurs du prisme. Des centaines
de ténombres, dispersées dans un labyrinthe minéral, criblent les profondeurs en autant de
divisions du Teneritas où seuls les passeurs et les gardiens peuvent retrouver leur chemin.
Elles abritent démons et mortels forcés à un travail sans espoir de survie, au milieu des vapeurs
acides du lichen abyssal. D’autres sont aussi des mouroirs où pendent des cages suspendues,
trop serrées et trop basses pour s’y tenir à l’aise, où agonisent mortels, succubes renégates et
autres prisonniers condamnés à étouffer dans les relents empoisonnés du mornaëlin.
La rive droite du Teneritas, que l’on peut apercevoir de l’autre côté, reste en revanche un
véritable mystère. Il est murmuré qu’on y trouverait une terre chaotique et désolée, encombrée
de poutrelles d’acier tranchantes et instables. Les rares chemins praticables seraient parcourus
de stalagmites effilées, jaillissant et s’enfonçant au gré des mouvements de la Ténèbre. C’est
là-bas que se trouve, à flanc d’abîme, l’inquiétante silhouette cylindrique percée de vitraux en
ogives de la Salle Métallique où siègent les mille et un visages de la peur. Seuls les Advocatus
Diaboli sont admis à s’y rendre et nul ne peut y pénétrer sans y avoir été invité par la Bête en
personne.

Les Abysses révélées d’Archébag Couturiot


Tome IV, De la connaissance fondamentale des terres du prisme et
de la géographie du non-royaume
Chapitre 66, p. 1050

* (cf. La Mécanique des ombres : Grenage p. 46)


*** (cf. La Mécanique des ombres, p. 57)
** (cf. Dessin p. 9, Abyme)
Iskaneyrash, cité des Ombres
Le crépuscule des toiles
16e jour de la harpie de l’année crépusculaire 1452
Par sœur Opaline aux-yeux-du-ciel, membre de la sororité des fées grises de Sersine

Je reporte sur les pages du Grand Livre du Savoir de notre chère sororité les révélations qui me furent
faites au contact du cercle hivernin de la région de Thuana en Lyphane.
J’y ai découvert à regret que les fils du Masque précédèrent de bien des siècles la venue de nos Dames. Et
je le clame bien fort : l’hiver ne fut pas à l’origine de l’Harmonde ! C’est la cinquième Muse qui en débuta
les cycles de destruction et de renaissance, et ses quatre mères qui l’accouchèrent. Contrairement à ce que
pensent beaucoup de saisonins, les hommes qui foulèrent l’Harmonde des origines n’étaient pas les créatures
primitives que les Dames rencontrèrent plus tard. Et il en est pour prétendre que les premiers d’entre eux
possédaient une science et un savoir que les plus érudits flamboyants auraient eux-mêmes été bien en mal de
comprendre. Le Masque avait voulu ses premiers enfants parfaits.
Les dernières traces de ces temps inconnus seraient figées dans quelques villes comme Kokkari la Bokkori
ou encore la mythique Albandisse, que l’on dit surplombant les lisières boucanières. C’est en ces temps
immémoriaux que naquit la sombre arachnée Iskanera, Haut Diable des Terreurs Urbaines. Les cercles
de pierre prétendent qu’elle avait une patte ancrée en chaque ville bâtie par les hommes et qu’elle menaçait
d’étendre son emprise sur l’Harmonde. Les cités devenaient des lieux où l’Effroi se propageait à loisir,
profitant des sombres ruelles, des égouts infestés de vermine, des culs de basse-fosse et des recoins obscurs
pour prendre racine.
Alors qu’Iskanera multipliait ses pattes, étendant de ville en ville l’ombre de sa toile, les autres démons se
méfièrent de ce Haut Diable qui ne puisait son pouvoir que dans les cités du Vagabond. Les plus complexes
drames et plus importantes décisions se scellaient entre leurs murs et Iskanera fut vite au fait de tous les
complots des élites.
Les nains rapportent que ce fut la Bête en personne qui fut le bourreau du Haut Diable. Une assemblée
d’obsidiens initiée par le célèbre Krskt’aaal* , ne tarda pas à révéler qu’à l’image du traître Vitrance** ,
l’influence du Masque semblait ronger Iskanera l’arachnéenne. Celle-ci devenait son agent parmi les sombres
seigneurs. Fatiguée des ingérences de son père dans ses plans, l’Ombre envoya la Bête qui pourfendit à
jamais cette enfant corrompue.
Lorsque, bien des siècles plus tard, l’Ombre créa les araignées ténébreuses pour piéger les fleurs de cœur
des poucets, elle leur offrit pour reine Arachnia, princesse des sombres arachnées. Certains prétendent que
ce Haut Diable fut autrefois un maestre-insecte, alors que d’autres évoquent simplement la nourrissante et
instinctive peur que ressentaient les petits printaniers aux ailes de papillon, face aux sombres arachnides…
Si Arachnia rappela Iskanera aux obsidiens les plus soupçonneux, ceux-ci négligèrent ce Haut Diable
né à première vue d’un simple caprice de l’Éternelle. Mais l’Ombre avait bien d’autres projets pour sa fille
araignée et lorsqu’à l’aube de la Flamboyance elle jeta les fleurs de cœur volées sur le corps d’un Diurne
agonisant, une étrange alchimie donna naissance à ces âmes-villes que cherche tant le décan farfadet*** .
C’est donc tout naturellement qu’Arachnia – dont les filles avaient entretenu les précieuses fleurs de cœur – put
établir un lien privilégié avec ces saisonins… et les cités qu’ils chérissent tant ! Grâce à ces nouveaux pions
plus fiables que les humains du Masque, la princesse des araignées sombres semble vouloir devenir le Haut
Diable des Villes et de l’Effroi urbain.

La marque et la pierre
La pierre raconte que du dernier soubresaut d’Iskanera naquit Iskaneraysh, cité des douleurs et de
l’Effroi, capitale des Abysses bâtie sur le symbole d’une indépendance retrouvée. Celle-ci se recroqueville au
plus profond du cauchemar, au bout d’un bras du tentaculaire Moloch-an-Arion. C’est le port des derniers
espoirs, des dernières lueurs, le dédale de toutes les terreurs, de toutes les aberrations jamais dissimulées dans
la pénombre des cités crépusculaires.
Au milieu des vapeurs d’un interminable lac de mornaëlin, les griffes d’Iskaneraysh se serrent comme des
créatures comploteuses, en autant de colossales stalagmites tordues vers la voûte. Il s’agirait des pattes
arachnéennes de l’antique Haut Diable des villes, renversé sur le dos. Recouvertes de concrétions calcaires,
sculptées et aménagées en demeures par les soins des nains noirs, elles s’organisent en anneaux concentriques
autour d’un titanesque pilier de roc, traversant la caverne de la voûte aux profondeurs. Une légende prétend
qu’il s’agirait de l’arme choisie par la Bête pour détruire Iskanera-la-traîtresse. Une autre rapporte que les
cercles de la cité seraient les ondes laissées à la surface du Moloch-an-Arion par la dernière larme versée de
Noxe. Des ponts de roche et de métal enjambent le vide pour relier les griffes en une toile labyrinthique.

* cf. L’Art de la conjuration p. 113 *** cf. La Sentence de l’aube p. 139


** cf. Souffre-jour 2 p. 71
Une sombre muraille hérissée de tours de guet enferme ses étranges habitants dans un monde où
l’horrifique côtoie le grotesque au quotidien.
Sur les berges qui bordent les murailles et parfois aussi au pied des diverses stalagmites de la ville, les
opalins grouillent dans des habitations communautaires, sous un désordre et une saleté repoussante. Confinée
sur une stalagmite à l’écart, on trouve une usine fumante et mécanique, alimentée par de la Ténèbre
directement tirée du sol. On y fabrique de nombreux objets vendus au marché blanc d’Outrerive. Les
ouvriers y sont pour la plupart des esclaves opalins travaillant sous une hiérarchie de démons de second
cercle, de nains noirs et de contremaîtres carmins.
Le second cercle, peuplé d’azurins et de saphirins, est un entassement de petites demeures individuelles sans
étage, d’escaliers orphelins et de venelles serpentines. Dans des lieux de débauche et d’excès, les démons
consomment dans des proportions gigantesques drogues, boissons et aliments de toutes natures. D’orgies
informes en concerts cacophoniques, la foule grotesque piétine ses déchets en parodiant les comportements de
l’aristocratie humaine, saisis lors d’une conjuration fugace.
L’anneau médian de la ville est le domaine de la noblesse : safrans, ambrés, vampires* et incubes y vivent
dans des résidences aux jardins pétrifiés, aux clôtures forgées en arabesques, aux balcons à colonnades et
aux toits surmontés de sculptures aux horribles évocations. L’architecture de ce quartier pourrait rappeler
celle d’une ville si ce n’était ses étranges proportions, souvent adaptées à ses résidents.
Le dernier cercle est le domaine de l’élite : carmins, vermillons et obsidiens. Si les premiers singent les
responsabilités des villes humaines – bourgmestres, juges, sénéchaux et autres maréchaux – les seconds sont
les maîtres incontestés d’Iskaneraysh. Taillés dans les cauchemars des cités crépusculaires, les tribunaux,
les palais et les hôtels sont des chefs-d’œuvre d’oppression et de mégalomanie Façades surchargées de
gargouilles, flèches à l’équilibre aléatoire, improbables baies vitrées, sombres cachots, dédales monolithiques
et administrations incohérentes croulant sous une multitude de juridictions, les habitations occupent souvent
d’entiers stalagmites. Les obsidiens de la capitale sont les responsables directs de la mort d’Iskanera
et ont formé une confrérie, “ le sixième cercle ”, dont les membres travaillent à leurs sombres et
incompréhensibles desseins.
L’Ombre ne fut pas ingrate envers ses enfants qui déjouèrent le complot du Masque et la capitale
fut déclarée zone franche pour les démons autorisés à y vivre. On bâtit ensuite la Salle Métallique en
Outrerive, pour symboliser la relative autonomie d’Iskaneraysh. La cité est donc l’un des rares endroits
où l’on ne trouve que peu de gardiens. Cette règle est implicitement respectée par les minotaures qui
n’interviennent que très peu dans les affaires de la sombre capitale.
Les données auxquelles j’ai eu accès parlent peu du centre de la ville, un titanesque pic de roche que
l’on dit creux. On m’a cependant révélé qu’il serait entièrement dévolu à un conjurium, ce qui expliquerait
les interminables queues que font les démons pour y entrer. Les plus bavards prétendent qu’on y trouverait
aussi la “ salle des rencontres ”, munie d’une psyché qui permettrait aux ambassadeurs d’Abyme de venir
en de très rares occasions négocier avec les Abysses. Serait-ce dans ces palais que furent négociées les
connivences impériales ?
Situé sur une stalagmite à l’écart et relié à la ville par un unique pont, se trouve enfin le quartier
des succubes, ceinturé de murailles barbelées. Le gardien de ces lieux, que l’on nomme “ la Gorgone
”, n’hésite pas à exposer les corps mutilés de ses ouailles rebelles ou fugitives sur les remparts. Les
succubes y vivent, forcées, une existence de salons, espérant servir de concubines aux Hauts Diables ou de
prostituées de luxe plutôt que de finir engrossées par un minotaure. Thazi est la seule à décider celles qui
rejoindront les accouchoirs de son nocturium, intriguant ainsi pour sauver les meneuses et les plus douées.
C’est également là-bas que les minotaures sont reçus sans passer par la ville, pour quelques instants d’un
plaisir fatal avec des succubes souvent droguées ou parfois élevées par la Gorgone dans l’ignorance de leur
sort. On dit que c’est aussi dans ces lieux interdits qu’a été caché le secret perdu du regard pétrifiant des
méduses. Mythe ou réalité ? Puissent nos sœurs un jour le découvrir.

…et dans les ténèbres, les lier


Selon les informations que j’ai pu recueillir d’un nain ténébreux, de nombreux remous agiteraient la
confrérie du sixième cercle depuis l’affaire des âmes-villes. Certaines voix annonceraient le retour à la vie
d’Iskanera, venue reprendre à Arachnia son trône légitime, mais en bonne fée grise, je sais bien qu’il est
difficile d’accorder foi aux paroles d’êtres liés aux Abysses. Je pense pour ma part que les obsidiens ont
découvert l’existence de l’âme d’Iskaneyrash directement issue du défunt Haut Diable des villes. Un vieil
Inspiré dément à la flamme vacillante, que j’eus la chance de croiser lorsque je travaillais en Janrénie,
racontait être revenu vivant de la sombre capitale. Malgré l’évidence de la folie que l’on pouvait lire sur
ses traits, j’ai été intriguée par sa description d’un brasier noir ne cessant de grandir depuis peu sur un
sommet de la ville. Il parlait aussi des conversations de ses geôliers sur la découverte d’un pouvoir capable
d’affecter l’ensemble des cités de la surface. “ Une âme-ville pour les amener toutes et dans les ténèbres
les lier, au pays du Non-Royaume où s’étendent les Ombres ? ”

Et pourquoi pas ?

J’étudie en ce moment la vraisemblance d’une telle éventualité…

* cf. La Mécanique des ombres p. 57


L’île d’Amenos
J’aurais préféré que cette petite raclure d’opalin se soit fait tuer. Cela m’aurait évité d’aller dans ce
trou. Mais le prince veut récupérer sa saleté de larbin… Ces foutus démons prennent un malin plaisir
à me tourner en ridicule ! Foutue connivence ! Moi, Enguerrand de Malevoisine, je dois me lancer à la
poursuite d’un moins que rien ayant eu le malheur d’avoir un mot déplacé envers son Haut Diable.
Et évidemment, cette misérable chose n’a pas eu d’autre idée que de s’enfuir le plus loin possible,
c’est-à-dire sur un îlot perdu, refuge des exclus. Un endroit tellement insignifiant que les puissants
ici-bas n’ont jamais daigné y porter la moindre attention. Un antre de ces petites choses insignifiantes,
sans minotaures ou hiérarchie pour les calmer ! Je suis presque sûr que l’on m’a caché quelque
chose, surtout concernant cette histoire d’îlot mouvant. Je me retrouve donc sur un esquif, sur la mer
des Abysses, soi-disant en fuite et avec une caisse de bibelots. Cela devrait me permettre d’éviter la
suspicion des locaux.
Lors de l’approche, le pilote a pris grand soin d’éviter les remous régnant à certains endroits du
rivage. L’île a une apparence étrange, presque organique. Les récifs émergeant de-ci de-là ressemblent
aux cartilages dont sont affublés les monstres marins. Cela me fait étrangement penser au tableau du
seigneur de Rachmu, représentant une tarasque des temps anciens. D’étranges algues s’accrochent un
peu partout telle une peau.
Je débarque sur un ponton branlant dont les planches se poursuivent jusqu’à l’entrée d’une grotte, en
hauteur. Son utilité apparaît évidente à celui qui voit la terre de cette île : quelque chose de spongieux,
suintant de poisseuses substances. Tout ici fait plus penser à un organisme malade qu’à une île. Un peu
comme l’espion que père avait fait écorcher vif et recouvrir de sel : au bout de trois jours, sa peau avait
noirci ainsi et laissait s’écouler de telles humeurs. Des graisses translucides parcourues de pulsations
s’échappent d’innombrables crevasses.

Une masse gélatineuse grisâtre obstrue le conduit. Il me faut


passer à travers ! Cela s’insinue par tous les pores de ma peau et emplit ma
bouche. J’étouffe ! Deux mètres pénibles de gestes ralentis, sans respirer, pour déboucher dans
un couloir descendant, faiblement éclairé par des torches. Leur feu laisse échapper une fumée âcre
et huileuse, envahissant des couloirs plus sombres encore que l’extérieur. Un arrière-goût de sang
reste sur la langue. Très « sérieux », deux opalins montent la garde, avec armes et vêtements comme
en surface ! J’espère pour eux qu’ils sont moins gauches avec leurs griffes qu’avec ces bouts de métal
rouillé. Un azurin attifé comme un jour de carnaval commence à me parler. Son babillage m’as-
tu-vu m’ennuie immédiatement. J’emprunte à la lueur des torches un boyau descendant. Nombres
d’embranchements et de ramifications partent aussi bien de chaque côté que du sol ou du plafond.
L’azurin continue à parler mais j’ai cessé d’écouter une fois qu’il a dit m’emmener chez le maire. Des
démons, rien de plus gros qu’un saphirin ou un azurin, parcourent ce réseau en tous sens, pataugeant
dans une drôle de substance. J’ai du mal à me faire une idée précise de ce que c’est… Cela coule dans
tous les couloirs et suinte sur les murs. Au goût, on pourrait penser à du sang mais la couleur grisâtre
contredit cette possibilité. Les Abysses sont décidément pleines de surprises.
Après une marche interminable dans ce dédale, je débouche dans un dôme. Une lumière semble
émaner du plafond et baigne l’endroit d’une lueur crépusculaire. Une ville des plus cosmopolites se
dévoile sous mes yeux. Des maisons de bric et de broc bordées de ruelles étroites sont regroupées en
différents quartiers. Des démons arpentent les ruelles, vêtus et équipés de pièces de vêtement récupérées
de-ci de-là. Une affligeante parodie de la surface !
Mon guide s’est tu et me regarde fixement. Il a dû me poser une question. En cherchant un peu, j’ai
cru entendre le mot visite. Je grommelle un assentiment. La bouche du démon s’ouvre sur une rangée de
crocs : il doit sourire…
Je me décide à porter plus attention à ce drôle de héraut et à sa rhétorique. Tout ici est construit
avec des matériaux de récupération, et se veut une reproduction fidèle d’un village de la surface. Les
conjurateurs savent à quel point la vision des démons de l’Harmonde est déformée et le résultat est
donc digne d’un mauvais rêve.
Chaque « rue » abrite une guilde dont elle porte le nom, et tous les résidents appartiennent à l’une de
ces guildes.
Les charognards sont méprisés mais très riches, ils récupèrent tout ce qui peut l’être pour habiller,
loger ou outiller tout le monde. Tout démon invoqué doit, selon la loi, réclamer au conjurateur quelque
chose d’utile pour la communauté et en remettre la moitié aux charognards. Les Hauts Diables
étant relativement rancuniers, la plupart des résidents attendent que leur soit dispensée une mort
finale et sont impossibles à conjurer. Ceux qui peuvent toujours être appelés en haut sont tellement
insignifiants que leur départ demeure ignoré. Si un de ces « voyageants » ne respecte pas la règle quand
aux appointements, il doit en pénitence aller récupérer quelques objets hors de l’île. Mais tenter de
chaparder chez un obsidien réduisant drastiquement l’espérance de vie, les marchandises de première
main restent excessivement rares.
Les engenieurs sont chargés de réparer les bâtiments et surtout d’entretenir le dôme. Celui-ci
ressemble à une vieille outre gonflée d’air : des craquelures menacent d’ouvrir des brèches qu’il faut
colmater. Ils emploient une horreur nauséabonde de leur composition pour reboucher les trous et
joindre les lèvres des fissures. Mon guide me confirme ce que mes yeux me disent : cette île est en fait
un animal, et cette peau peut donc cicatriser.
Les invisibles sont ceux qui nettoient les rues, et font les petites tâches en général, comme récupérer ce
qui peut l’être dans les ordures pour le revendre aux charognards. Leur nom leur vient du fait que leur
avis ne compte pour rien et qu’ils sont partout, sans que personne ne fasse attention à eux.
Les frappants constituent incontestablement la guilde la plus puissante, c’est eux qui dirigent l’île.
Les navigateurs de cette guilde dirigent et forment la noblesse de l’île, en successeurs d’Amenos le
fondateur. Les tappeurs sont les muscles nécessaires aux manœuvres. Ils frappent d’énormes clous
placés sur des nerfs par les navigateurs, afin de faire réagir la tarasque comme ils le souhaitent. Mais
gare au clou mal placé, un coup de trop et un séisme secoue toute l’île pendant des heures.

Je n’ai pu finir avant la destruction de l’ergastule. Enguerrand y raconte l’émerveillement et la


convoitise induit par les bibelots transportés dans sa malle. La mairie dirigeant le lieu était longuement
décrite, avec ses projets fantaisistes. D’après mon aïeul, le maire voulait ainsi demander à des
humains de venir comme paiement de conjuration, afin de les aider à mieux reproduire les
institutions de la surface. Il y avait aussi ce qu’il avait découvert sur la nature de la créature dans
laquelle il se trouvait, une tarasque selon lui. Bien que l’on se demande comment elle serait arrivée
là, et si elle pourrait ressortir.

A.M.

Elennar
d’une écharpe qu’il déroulait tout en grommelant. La
couverture de cuir du grimoire était usée par l’âge. Le
voleur prit une page au début du livre.

Sous la voûte
L’architecture donnait à la voix de l’homme une
sonorité étrange.

L’aurore « Voilà un truc qui m’a l’air bien étrange. C’est à


propos d’un gamin qui se fait raconter des fables par
un vieux passeur.

des profondeurs Noire, noire, noire est la nuit.


Rouges, rouges, rouges sont les pleurs de son âme.
Le Maître des jours et des nuits nous a maudits.
À jamais nous sommes séparés de nos frères,
À jamais nous sommes interdits à la douce contemplation
du jour.

L’Aurore, la plainte de Noxe mon aimée,


Je suis le dernier des déclins à laisser sa place au
royaume de Diurne.
Je suis Noxe-an-Moloch, l’annonciateur du jour,
Le Messager échange les regrets des Éternels. Le Pacte de Éternel initiateur de la mélancolie nocturne, le Héraut
Moloch est scellé. de la Malheureuse.
Arcafonk
Le Gardien va jeter son œil d’or sur l’Harmonde
Et fermer celui qui veille sur nous.
Ma Reine pleure toujours et ses larmes sont des ombres.
Canopée Et quelque chose de plus terrifiant encore grandit en son
cœur.
Scéphyr, debout sur les toits de la ville noire,
L’amour change son âme et nous fait perdre nos rêves
attrapa la main gantée de son confrère. Le second
tranquilles.
cambrioleur s’extirpa du gouffre béant creusé dans les
tuiles glissantes. Des lames glacées transperçaient les
– Merci je connais, interrompit le farfadet. Je suis
vêtements sombres des monte-en-l’air.
keshite.
« La pluie est bienvenue, Gatelin. Elle va couvrir nos
– Tu m’expliqueras. Y a ça aussi. Ça vient d’un bouquin
traces. C’est toi qui l’as ?
d’un Janrénien, critique d’art de-sa-majesté ou je sais
– Là, sous mon manteau. Dépêchons-nous et
pas quoi.
mettons-nous à l’abri. J’aime pas l’aspect que prend le
ciel. Ce matin est devenu sombre d’un coup. »
…L’horreur est rouge mais rousse est l’aurore. C’est
Scéphyr se tourna vers le lever du soleil, comme pour
en examinant les tableaux flamboyants que l’on peut
y voir plus clair. Il vit Abyme, jamais endormie, dont
s’apercevoir que les matins sont toujours peints d’écarlate.
les rumeurs des abeilles safran s’éteignaient peu à peu.
Les œuvres du premier âge et notre expérience personnelle
Tonnerre.
montrent un lever du jour totalement roux, or et rouge !
Et la lune… Représentée pleine et ronde à chaque fois !
« Partons. »
Quelles en sont les raisons ? Doit-on croire que la nuit a
changé ?
Les professionnels descendirent le long d’une corde
Sysille, la déesse de la nuit chez les Dvalòns paragéens
dans un jardin intérieur. La bâtisse semblait avoir au
est aussi nommée Weniuk parmi les peuples les plus
moins sept cents ans. Ils passèrent sous une voûte et
nordiques. Elle pleure son amant perdu, le Gardien
s’arrêtèrent.
des Ancêtres. Celle-qui-perd, maîtresse de l’oubli et des
« Fais voir ! Mais fais voir ! Allez ! s’énerva le farfadet.
altérations du temps l’a enlevé. Il est curieux de rapprocher
– Minute, Scéphyr. C’est pas n’importe quel codex.
ceci avec les histoires tenaces « d’Éclipse », de « Noxe » et
– Justement ! Imagine, des mythes aussi vieux ?
de « Dames de saisons » provenant des saisonins…
Raconte !
– T’es vraiment pas possible. »
Gatelin sortit de dessous sa pèlerine un paquet emballé

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– On se retrouve où tu sais. Quelqu’un rapplique, – Moloch est un Haut Diable. Tu penses qu’il s’agit du
avertit Scéphyr. » même Moloch ?
– Je ne pense pas, j’en suis sûr. Peu après la trahison
de Zh’délio, les Djèb trouvèrent les sources noires d’un
Sombre chagrin fleuve maudit dans le désert. Le Moloch-An-Arion.
Cafti-la-Belle l’a traduit par « Sanglot du héraut ».
Gatelin, trempé, poussa la porte du vieil apothicaire.
Quiconque s’en approchait devenait pleutre.
Des volutes de fumées s’élargissaient en sortant des
– Et alors ?
fourneaux de l’arrière-boutique. Le voleur reconnut la
– Et alors il s’agit du Teneritas, le fleuve des passeurs
silhouette recroquevillée du farfadet auprès du feu.
abymois. »
« Me voilà. Raconte ce que tu sais, dit Gatelin.
– Le Lai de Moloch est une vieille légende keshite. Haut Diable des Larmes
Ce que tu m’as raconté est un extrait d’un conte
traditionnel djèb. Cette tribu nomade a presque Gatelin semblait plongé dans une profonde réflexion.
disparu maintenant. L’histoire aurait été traduite de Scéphyr lui prit le livre et le parcourut longuement.
l’abyssin antique par la princesse Cafti-la-Belle. Elle « C’est un recueil sur la légende de Moloch, on
raconte comment le soleil se lève sur l’Harmonde. Le dirait. Écoute ceci. C’est une inscription trouvée sur le
jour brûle car il est en colère, d’après les Djèb. cadre vide d’un tableau. Le Masque se cache au sein
– Pourquoi ? de la nuit. Dans les ombres les plus noires, il attend
– Son amour, la nuit, lui a été enlevé… patiemment son heure. Et même au cœur du royaume
– Attends. Tu parlais de Moloch. C’est… des noirceurs, il a peur d’être découvert. Il y a aussi
– Je ne sais pas. Dans l’histoire, c’est un servant de ces notes : Si Noxe est amoureuse du Masque, faut-il
l’Éternelle de la nuit. Noxe, comme tous les farfadets la prendre ce texte au premier degré ? Se cachait-il dans le
nomment. Moloch est un déclin. sein de Noxe, en son cœur, avant l’Éclipse ? Moloch est
– Soit. J’ai rien compris à ton histoire. dépositaire des sanglots de Noxe. Il doit savoir.
– Le Moloch en question est un héraut. Il annonce au – Moloch est le Haut Diable des Larmes, dit Gatelin.
jour, Diurne, que la nuit est terminée et qu’elle laisse Il ne me paraît pas étrange que le fleuve dont tu parlais
sa place au jour. Moloch est aussi appelé “ l’Invisible prenne sa source dans le chagrin de Noxe.
Matin ” chez les Djèb. C’est le gardien du crépuscule – Je sais. Suis-moi. »
matinal. Un déclin, un démon antique.
– Et Diurne, le soleil, se lève et brûle l’Harmonde de Les deux compagnons sortirent de la boutique depuis
ses rayons. laquelle l’apothicaire vendait ses encres de conjuration.
– Non, non, non. Diurne n’est pas le soleil. Et Noxe L’orage avait redoublé. Gatelin, frissonnant sous
n’est pas la lune. L’histoire raconte que les astres sont la pluie, avait grande peine à suivre le farfadet qui
les yeux d’un autre éternel. Khanu, la Sentinelle. Il connaissait Abyme mieux que lui. Il l’entraîna de ruelles
surveille les actions de son frère mauvais, Zh’délio, étroites en caves obscures, de passages dérobés en
chuchota Scéphyr. Celui que les farfadets nomment le tunnels noirs. Scéphyr s’arrêta au milieu d’un goulet si
Masque. étroit que Gatelin progressait en rampant dans la boue.
– Et, euh, le second texte ? « C’est encore loin, petit homme ? demanda le voleur
– Ça, c’est quelque chose de plus intéressant. Ça parle exténué. J’y vois rien, c’est sale et ça pue.
de l’Éclipse. – On y est. Adryurn ij Noekrë ! cria le farfadet. »
– L’Éclipse ? Je croyais que c’était une légende de Dans un grondement sourd, une pierre s’écarta et
mages… le farfadet disparut dans le trou obscur. Gatelin dut
– Elle a bien eu lieu. En réalité, c’est l’époque que passer en rampant de profil. Il y avait une salle haute
nous vivons. et noire taillée dans la roche. Des infiltrations d’eau
– Comment ça ? carillonnaient en tombant sur le sol tout autour de lui.
– Les Djèb racontent que Zh’délio a crevé l’œil
nocturne de Khanu afin qu’il puisse utiliser les ténèbres « Nous voilà dans la salle du clair-obscur. N’est-
comme cachette. Khanu est aveugle la nuit, depuis ça. ce pas merveilleux ? Contemple toutes ces lumières
Son œil s’ouvre et se ferme pour chasser la flèche qu’a féeriques !
tirée Zh’délio. Les phases de la lune forment l’Éclipse. – J’y vois rien, Scéphyr ! Tu te moques de moi encore
– Et Noxe, dans tout ça ? une fois !
– On ne l’appelle plus comme ça, depuis que Zh’délio – Tu ne vois pas toute la lumière des Danseurs ? Peut-
l’abandonna pour une autre. Son chagrin la transforma. être que seuls les farfadets le peuvent. Tu es en sécurité
Elle n’est que l’Ombre d’elle-même. Noxe-an-Moloch, ici. Personne ne viendra. Nous sommes dans les Basses-
ou le héraut de la Malheureuse d’après la traduction Fosses de la cité noire, sous le Teneritas. Un endroit que
djèb, était le gardien de son chagrin. La trahison de seuls les farfadets connaissent.
Zh’délio le changea en quelque chose de plus sombre – Et pour cause ! Qui d’autre viendrait ici ?
encore. – Arrête de te plaindre. Je t’ai amené ici à cause des

21
inscriptions sur les murs. C’est un texte répété et éclairée par un feu de cheminée. Des documents étaient
répété tout autour de nous. L’Éclipse brûle les larmes rangés sur de grandes étagères et une silhouette les
de l’aveugle. attendait derrière un bureau.
– Ça me dit rien. « Salutations, dit la voix, féminine. Vous l’avez ?
– C’est une loi de mes frères chasseurs de Danseurs – Sans aucun doute. Nous attendons notre or, dit
du Cryptogramme-magicien. Je pense en avoir trouvé Scéphyr en poussant Gatelin. Nous avons dû tuer le
le sens. passeur pour ce livre.
– C’est… l’œil blessé de Khanu qui… « brûle »… les – Suffit, Scéphyr. Nous voulons en connaître plus sur
larmes de… « l’aveugle » ? Qui est l’aveugle ? Moloch. Nous savons lire, dit Gatelin. »
– L’aveugle pourrait être Khanu, ou Janus dans notre
langue. Mais il est plus borgne qu’aveugle. L’aveugle Le visage de la méduse apparut dans la lumière du
pourrait aussi être le Masque, inconscient du mal qu’il foyer. Les voleurs furent surpris par sa beauté presque
provoque. Mais non, Gatelin ! L’aveugle est Noxe ! Celle surnaturelle.
qui n’a pas vu la trahison ! « Si vous pouvez me comprendre, je continuerai, dit
– Cela pourrait tout aussi bien être Moloch. Lui non la méduse dans une langue qui surprit Scéphyr.
plus n’a rien vu venir. Et c’est aussi à lui qu’échoient les – Quoi ? Qu’est-ce que vous racontez ? demanda
larmes de l’Ombre. Gatelin. Voulez-vous parler abymois, s’il vous plaît ?
– Comment ça ? – J’entends tout, interrompit Scéphyr. Vous me parlez
– Eh bien, c’est toi le farfadet, fanfaronna Gatelin. une langue qui n’est pas étrangère à mes oreilles. »
C’est toi qui sais tout… La méduse s’arrêta, surprise.
– Arrête… « Alors, vous êtes Inspiré, Scéphyr. Le livre que vous
– Je t’ai dit que Moloch était le Haut Diable des possédez dessert la Flamme. Vous devez le détruire.
Larmes, tu te souviens ? Te rappelles-tu ce qu’il se passe – Comment ça ?
lorsque le soleil pleure ? – Il montre que les puissances abyssales sont liées
– Quand il se cache et que le crépuscule intervient en à Janus. Moloch en particulier est un allié que nous
pleine journée ? Des ombres prennent vie. souhaitons garder secret. C’est le gardien du chagrin,
– Les conjurateurs nomment ces ombres des Larmes, l’unique Haut Diable qui sait ce qu’il est advenu de
mon cher. Ce sont des démons. Noxe. Il est celui qui la garde encore parmi nous, tout
– Les démons de Moloch ! J’y suis ! Ce texte signifie comme il maintient le lien de Noxe à l’Harmonde en
que notre ère réconforte l’Ombre en quelque sorte. entretenant les ombres du soleil.
Elle se calme. Ou alors le texte signifie que Khanu et – Il n’est pourtant pas si important que cela. Il ne
Noxe sont liés par le chagrin… Un peu comme dans la s’agit que d’un héraut.
légende de Nakowen et Bomilë, un truc lutin. – Vous avez étudié le grimoire, farfadet. Vous vous
– Je suis pas ambassadeur. Je sais pas tout. devez d’en entretenir le secret. Ou mes serpents vous
Remontons si tu veux bien. Cet endroit me fiche la trouveront.
trouille. Commençons par honorer notre commande, – Moloch n’a donc pas disparu avec l’Éclipse !
Scéphyr. J’aimerais pas avoir fait tout ça pour rien. – Non. Il attend son heure dans les Abysses. Patient,
– Tu as raison. Notre or ! Le type habite au 8, quai du imperturbable et froid comme l’ébène. Il n’a plus de
Malplaisir, dans le quadrant carme. » visage, car son visage est perdu dans le noir. En son
cœur est un feu ardent, Erdanse, le feu du matin, qui
fait vaciller les ombres qui l’entourent et leur donne
Canotier vie. Moloch est solitaire, les démons supportent
mal sa lumière. Mais cette lumière est le portail vers
Les deux cambrioleurs sortirent des Basses-Fosses
l’Harmonde et c’est ainsi que Moloch est Haut Diable.
sous un torrent gelé. Gatelin pensa à la pluie et à Khanu
– Bien. Je n’attends plus aucune réponse. Tu devras
tout en arpentant les rues menant aux quais.
m’expliquer au juste ce qu’est l’Inspiration.
« Je me demande s’il est sage de lui donner ce livre,
– Tu auras ton or lorsque tu auras détruit le livre. »
Scéphyr.
– L’argent n’a pas d’odeur. »
Le farfadet prit l’ouvrage des mains de Gatelin, sortit
du bâtiment et lança le livre de toutes ses forces en
La pluie tombant du ciel troublait les eaux agitées du
direction du chenal abymois. Le livre tomba sur le
canal. Gatelin et Scéphyr s’arrêtèrent devant une étroite
rebord du quai et glissa dans le canal.
maison, dont le frontispice était orné d’un cadran
solaire. La porte de bois était ornée d’un heurtoir en
Il était sûr d’avoir vu une ombre sortir de l’eau pour
forme de démon.
s’emparer du grimoire.
« Tu entres en premier, Gatelin. Les hommes sont
plus crédibles.
– Tu es ridicule, dit Gatelin en frappant la porte.
– Je vous en prie, dit une voix étouffée. »
Les hommes entrèrent dans une pièce confortable,

22
Alhaë : Haut Diable des Apparences trompeuses
Votre Sainteté,
L’exécution de Berdil Vivelame, minotaure impudemment remonté des Abysses à cinq lieues à peine de la trois fois sainte
Liturgia, semble avoir des suites inattendues. Le texte qui suit est tout ce que l’oblat Räfnirr Barbedrue a pu extraire de l’eau
de vie contenue dans la bouteille que détenait cet hérétique.
Ce dernier, bien conscient de sa position précaire au sein de notre Sainte Eglise, m’a chargé de Vous présenter toutes ses
excuses pour sa retranscription incomplète. Selon lui, le procédé utilise normalement des gouttes d’eau comme support – j’ai
d’ailleurs pu comprendre que seuls quelques membres de son peuple la pratiquaient encore – et l’alcool perturbe le processus de
décryptage.
En outre, les survivants du groupe ayant arrêté le bien nommé Vivelame ont manifestement profité de l’aubaine. Sitôt les
faits connus, j’ai évidemment fait procéder à une éviscération. Malgré cela, il a été impossible de distinguer les fragments perdus
des diverses humeurs ainsi extraites. Manifestement, une guerre larvée couve au sein des cours abyssales. Cependant, je laisse
à Votre saint discernement la charge de démêler le vrai du faux, ainsi que de déterminer l’usage qu’il convient de faire de ces
textes impies. Pour terminer, je me vois dans l’obligation, en ma qualité de prieur chargé de Votre sécurité, de vous mettre
en garde quant à la possibilité d’une supercherie… Il m’apparaît en effet quelque peu douteux qu’un tel document – appartenant
manifestement à Haagenti – puisse être en possession d’un simple minotaure, aussi bon combattant ait-il été.

Vous souhaitant bonne route sur les Voies de Saint Neuvêne,


Prieur Astillius de Mornefraille

Dossier : Droit Abyssal, 666/128.299


Le chapelain Eulastius, titulaire de la chaire de lutte contre les influences démoniaques au prieuré de Liurdaine a identifié
ce sceau comme un de ceux d’Haagenti. Selon lui, il a pour objet et pour effet d’effacer la mémoire d’un lecteur non autorisé.
Prudence semble être de mise. Eulastius a en effet, suite à cette étude, été retrouvé couvert de scarifications lunaires, laissant
présager l’apparition à terme d’un« très corrupteur», vraisemblablement un jumeau ténébreux.

Pièce 1 : Lettre
À titre liminaire, j’entends rappeler à tous les destinataires des présentes l’importance que revêt ce dossier, qui
doit de ce fait recueillir notre soutien unanime et sans faille !

Vous n’êtes pas sans savoir l’ascendance prestigieuse de notre sœur Alhaë. Ceux parmi vous qui ont connu les Origines
relatent l’affection que lui portait Noxe, qui semblait la considérer comme la plus « aboutie » de ses Déclins. Vous m’excuserez
d’ailleurs de parler d’elle au féminin, mais je ne fais en cela que reprendre les habitudes de notre génitrice.

Néanmoins, cette préférence, cette [texte manquant] …ne doivent pas justifier la présente opération. Seule l’intégrité des
rapports que nous entretenons avec nos Advocatus Diaboli doit nous motiver dans cette voie.

Nous avons tous confié à Alhaë la charge de dissimuler les ténébreuses difformités de nos plus fidèles serviteurs, afin de leur
permettre de remplir efficacement leurs missions. De nous tous, ainsi que de tous nos serviteurs ainsi traités, elle a exigé en
paiement de ses services une simple créance, assortie d’une Parolae.

Bien évidemment, seule Alhaë, de par sa distance avec la Ténèbre, est capable de manipuler ainsi son empreinte. Mais cette
mainmise ne doit pas justifier cette menace qui pèse sur nous.

En effet, en application de l’antique règle de notre droit originel, les Parolae que nous lui avons concédées nous engagent sur
nos êtres mêmes [texte manquant]….. tre nous, Develorn semble pouvoir échapper à cette application, préservé par le fait que
ses diverses personnalités n’interfèrent entre elles que très indirectement. Il me sera à ce sujet permis de rappeler que le présent
rapport a été motivé par l’implication de ce frère, qui ne semble que très irrégulièrement se rappeler la teneur de ses propres
propos.

FeliX
Une telle application de l’ancien droit doit, pour notre sécurité à tous, être empêchée ! C’est le cœur de la présente opération,
qui nous rassemble tous. L’ancien droit abyssal n’est pas encore, malgré les efforts de notre frère Jaranapale, complètement
tombé en désuétude. [Texte manquant]..oyens doivent être mis en œuvre pour que l’écrit soit désormais la seule source de droit
reconnue. Rappelons qu’en application de ces antiques règles, tous les rapports entre êtres de Ténèbre peuvent être assortis
de Parolae – pour plus de précisions, consultez votre exemplaire du rapport de notre frère Jaranapale, « Les Parolae, sûretés
réelles ou personnelles, hypothèques ou gages sur la Ténèbre ? »

Si l’ancien droit devait aujourd’hui être appliqué, nous serions tous à la merci de notre sœur, qui thésaurise les Parolae et
poursuit des objectifs qui nous sont encore inconnus. Aussi est-il fondamental d’en empêcher l’exigibilité !

Nos Advocatus Diaboli doivent en toute hypothèse continuer à insister sur la versatilité des lois abyssales, troubles et
coutumières, promouvant l’usage des connivences afin d’assurer leurs droits aux mortels – et, bien sûr, notre parfaite maîtrise
de tous les rouages de la conjuration.

Je tiens à rappeler à tous que seuls nos Advocatus Diaboli peuvent étudier sans risques le droit des Abysses, les mortels qui
se risqueraient à le faire y perdant, dans le meilleur des cas, leur santé mentale. Concernant ceux qui s’avéreraient résistants à
la folie, notre frère Jaranapale se charge fort de [Texte manquant]

…uvrir l’existence de notre cabale, elle pourrait exiger les faveurs que nous lui devons. Sur ce point, nul doute qu’elle en
exigera paiement de la manière strictement impartiale qui la caractérise : tous en même temps, sans possibilité d’échappatoire
quelconque. Par ailleurs, elle pourrait songer à parrainer un ou plusieurs Advocatus Diaboli, voire même à refuser de traiter
nos nouveaux serviteurs. Les implications d’une telle menace sont trop importantes pou…

[texte manquant]…..mes désormais en mesure de manœuvrer l’un des lieutenants de notre sœur, l’obsidien Ahxkhyys, qui a
imprudemment engagé sa Parolae au cours d’une partie de nuillain contre notre frère Ambucias. Ce dernier a accepté d’utiliser
celle-ci au soutien de la destruction du droit oral.

[Texte illisible]…rsuader sa maîtresse de ratifier le protocole – ou connivence abyssale comme l’appellent les mortels – que
notre frère Jaranapale a bien voulu rédiger, en échange de notre soutien à son projet de « cahiers noirs ». Il va sans dire que ce
protocole est suffisamment bien rédigé pour que notre sœur soit, si elle le ratifie, dans l’incapacité de nous retirer ses services
pour l’avenir. Reste à connaître le prix qu’elle demandera en échange…

Pièce 2 : Retranscription d’un entretien


Cesse de chercher un moyen de t’enfuir. Ta maîtresse a commis une grave erreur en t’envoyant espionner en mon domaine.
Croyais-tu réellement pouvoir échapper à ma vigilance ? Les pouvoirs de dissimulation et de tromperie que te confère ton
allégeance auraient suffi, si je ne m’étais préparé à une telle intrusion depuis des éons.
Je me doutais bien qu’Alhaë allait envoyer un de ses agents. Ainsi, elle a fini par comprendre qui était réellement son
adversaire. Je finissais par douter de ses compétences, depuis le temps. Inutile de prendre cet air menaçant, tu sais
pertinemment n’avoir aucune chance fac..[Texte manquant]
…pose que c’est à toi que les éminences noires de ce cher Jaranapale doivent la perte de l’exemplaire de la Connivence pourpre
dont elles avaient la garde. Bien qu’ayant pris soin de désigner ce cher archiviste à la vindicte de ta maîtresse, j’ai sur ce point
sous-estimé sa puissance d’analyse. Sais-tu que ma sœur – oui, moi aussi ce terme me fait frémir de rage – commence à me
friser les coronaires. Cette expression m’a toujours plu – je l’utilisais régulièrement avant d’accéder au statut de Haut Diable.
Aujourd’hui, je n’en ai plus si souvent l’occasion. Mais inutile de me priver de ce plaisir, ta mémoire m’appartient à présent.

Toujours est-il que son obsession à voir revenir notre « génitrice » m’agace profondément. Ta chère suzeraine morte d’amour,
se languissant pour son aimée, alors que dans le même temps, cette dernière ne rêve que de connaître son frère… Troublante
ironie n’est-ce pas ?
Le lieu de sa retraite ? C’est donc ce que tu es venu trouver ici ! Si je le connaissais, j’aurais déjà parachevé l’œuvre du
Maître du Semblant… Vendu, moi ? Oui mon cher, mais pas sans d’âpres négociations qui m’ont permis d’être ici ce jour.
Par ailleurs, ce marché est soldé désormais…
[Texte manquant]..aisant de constater que ta maîtresse a de la constance et reste capable, malgré ses amours contrariées, de
poursuivre un but pendant plusieurs siècles. Cesse d’insulter mon intelligence et ôte cet air ahuri de ta face de gargouille ! Il
est évident, pour qui prend la peine d’analyser son caractère, que le seul but de ta suzeraine est de voir revenir sa chère Noxe.
Ses recherches incessantes sur la nature de la Ténèbre et son refus de composer avec ce qu’elle considère comme une perversion,
jusqu’aux Parolae qu’elle amasse précieusement, tout converge. Selon mes renseignements, seul Develorn présente aujourd’hui
un obstacle pour elle… Elle n’a pas encore réussi à recueillir les Parolae de ses personnalités qui lui sont hostiles. Rien d’étonnant
quand on sait qu’elle semble directement responsable de son état.
[Texte manquant]…ste à déterminer comment exactement elle entend utiliser les Parolae sur lesquelles elle est assise, comme un
Keshite sur son trésor. Et pour cela, tu vas m’aider, contraint ou forcé.
t dissous dès qu’il a envisagé de
J’ai sous-estimé Alhaë, son féal s’es
Pièce 3 : journal ??? répondre à mes questions. Maudites Parolae
!

J’enrage ! Lors de notre dernier entretien, Develorn s’est montré froid et distant. Les difficultés croissantes que j’éprouve à le

connard ent ce petit


contacter semblent indiquer que la personnalité qui le domine actuellement m’est hostile. Manifestement, les manœuvres d’Alhaë ont
porté leurs fruits. Aurait-elle compris l’importance que j’attache à voir le Schizophrène embrasser mes buts – ou cette machination
est-elle mue par l’attachement indéfectible qu’elle manifeste envers ses compagnons Déclins ?
Les souvenirs d’Uklriikz, vermillon de la fratrie de Verazia, semblent infirmer cette dernière hypothèse. Rappel pour mémoire :
Conversation au Boucanier hurlant, tripot d’Outrerive, entre Uklriikz et Albascorn, diablotin au maître inconnu.

parti
!
« Voyons, tu peux me faire confiance ! Je te répète que les Parolae ne valent plus un pet de lapin ! Et pourtant, Alhaë fait tout
pour en permettre la transmissibilité. Selon mes contacts, le développement de la connivence a changé les mœurs. Tout le monde

à qui ap
jure désormais par l’écrit. Nous ne sommes plus au temps des Déclins ! Plus personne n’a confiance dans les anciens usages.
À creuser !
Une Parolae de Develorn ! Tu t’es fait enc…euh…Ce peigne-cul de carmin s’est foutu de toi. Les Parolae de Develorn n’ont

Trouver
jamais valu grand-chose, étant donné qu’elles n’engagent que la personnalité qui l’a donnée, pas son être lui-même. Je suppose
qu’être schizo doit présenter quelques avantages ! Allez – tu m’es sympathique – je te les rachète toutes. Le prix… Que dirais-tu de
la totalité des âmes de la nombreuse famille de mon conjurateur favori ?
Mais QUI est-il !
Quant à Develorn, il importe de faire resurgir une de ses personnalités qui m’est favorable. Je dois absolument retrouver les
détails de la Saynète de la déchirure… Mes renseignements à son sujet sont formels. Pendant cette tentative éhontée de séduction
de sa génitrice, Alhaë a fait jouer à Develorn un rôle qu’il n’a pas été capable d’assumer. Il semblerait que cela ait encore accentué le
chaos de son ténébreux cerveau…Digne de mon ancien Maître ! Uklriikz n’a bien évidemment jamais reçu
le moindre paiement… Ces vermillons ! Malgré tous mes efforts, impossible de mettre la main sur ce diablotin.
Comment connaît-il tant de choses ? À creuser.

Penser à lui communiquer ce renseignement ; il en étouffera de


rage. Si seulement je pouvais lui faire rejouer cette saynète.
Nul doute que Develorn me serait complètement acquis…
Ambucias, Haut Diable des Illusions
Ambucias est sans doute l’une des figures les plus étonnantes de la Guerre des Éternels.
Originaire de l’empire du Septentrion, il aurait été l’un des diplomates chargés de relations entre
les fidèles du Masque et les serviteurs de l’Ombre. Des témoignages précis et circonstanciés
feraient même de lui l’un des bras droits du Maître du Semblant ! Il serait, notamment,
responsable de la chute du Phare d’Éliambule, un culte renégat d’humains voués aux Lueurs,
qui causait de grandes pertes aux armées démoniaques du levant. Maître de la duplicité, du
mensonge et des faux-semblants, il excellait à construire des intrigues si complexes que nul ne
comprenait ses objectifs avant de les voir réalisés. C’est ainsi qu’il parvenait à plier à la volonté
de son maître les plus hostiles des obsidiens. Il fut certainement l’un des piliers de la victoire du
Semblant contre les Muses… avant leur rituel désespéré. J’ai d’ailleurs toujours pris un plaisir
immense à étudier la course de ses actions, de remarques anodines au cours d’un simple repas
en assassinats. Lesquels furent toujours perpétrés par des agents indépendants, ignorants de
celui qu’ils servaient en cédant à leurs passions ou à leurs vieilles haines. Aucune parole, aucune
attitude, aucune réaction laissée au hasard, toujours tout calculer, prévoir, dissimuler, ne jamais se
révéler et laisser aux autres le soin de choisir eux-mêmes les actions qui le favoriseraient. Une
maestria si insolente que le Masque lui-même en aurait conçu quelque jalousie. L’Ombre serait
même devenue si méfiante à son égard qu’elle aurait refusé tout contact avec ce parangon de la
Perfidie.
Pourtant, aujourd’hui, Ambucias siège à la Salle Métallique avec ses pairs les Hauts Diables.
Il n’a rien perdu de son talent et, s’il semble toujours en retrait, je ne peux m’empêcher de
soupçonner que tout de ce qui arrive aux Abysses porte sa marque. Serait-il, aujourd’hui,
le véritable Diable ? Quand je pense que certains l’imaginent comme un faible, si facile à
manipuler parce que trop humain. Mes frères ont-ils la mémoire si courte ? Évidemment, aucun
d’entre eux n’a pu effectuer les patients recoupements auxquels se livrent mes Clercs obscurs
depuis bientôt deux siècles. Mes pairs rattachent traditionnellement à Ambucias l’Effroi né
des hallucinations, des délires, des fièvres, ou de la peur des pouvoirs des magiciens de toutes
sortes. Mais aucun ne veut croire que le Haut Diable des Illusions soit l’enfant des craintes de
l’Ombre qui réalisait progressivement que son père bien-aimé la manipulait depuis toujours, qu’il
avait fait d’elle sa marionnette et cachait ses fils derrière ses paroles mielleuses et sa fausse
indépendance. C’est la peur du marchand qui craint d’être roulé par son interlocuteur, celle du roi
qui doute des paroles de ses plus fidèles amis comme des rapports de ses espions et diplomates.
C’est l’Effroi né de la manipulation, du soupçon et des complots qui alimente le Haut Diable des
Illusions ! Le pendant le plus parfait de la superficielle Alhaë, son double de l’ombre qui cache
l’étendue de son influence et de ses attributions derrière celles du Haut Diable des Apparences
trompeuses.
Le plus inquiétant reste la manière dont Ambucias est devenu un Haut Diable, quelques jours
seulement avant la défaite de son maître… lorsque la troisième cohorte des peines écarlates et
son général, le carmin Metsklav, prince du Nonroyaume, se heurtèrent aux forces de la cinquième
division de l’obsidien Trg’Klavsekz et à la première flotte du Septentrion, aboutissant à
l’annihilation de ces deux dernières… Trois armées persuadées de s’unir deux à deux pour
affronter la troisième, qui aurait trahi la Menace. Une perte inestimable qui aurait frappé
d’Effroi l’Ombre elle-même, après qu’elle eut démêlé l’écheveau de l’intrigue ayant conduit à cette
fin, et lancé le Masque à la poursuite du responsable de ce gâchis : Ambucias. Ambucias qui
les manœuvrait depuis des années, Ambucias qui accédait alors au statut de Haut Diable sous
l’influence de l’Effroi de Notre Mère… Ambucias qui, seul parmi les généraux du Semblant,
survivrait au rituel de la Flamboyance et y gagnerait même l’immortalité et un inestimable
pouvoir.

Notes dans un Cahier Noir


Thabanne
Dans l’ombre de
plus est, lui paraissait une bien mauvaise idée pour un
début. Mais Estim avait insisté et ce vieux lutin, si fou
soit-il, savait de quoi il parlait. Docilement, Kontine

Belphégor avait suivi ses conseils. En voyant l’étrange silhouette


s’extirper péniblement du rectangle ténébreux, il se
demanda réellement s’il avait bien fait.
Fred Deux La créature ne ressemblait en rien aux démons qu’on
CHAPISTULE I Une rencontre inattendue lui avait décrits auparavant. Des mains difformes
parsemées de poils drus et de petits boulons cuivrés
Le lunain traçait d’une main fébrile les contours de sortaient timidement d’un étrange cube métallique
l’ombre. Il se répétait en chuchotant le proverbe que à peine plus grand que le lunain. Enchâssées dans
citait si souvent son grand-père : « N’aie pas peur de cette structure pansue et complexe, elles tentaient de
ton ombre car elle épouse la pierre, n’aie pas peur de hisser le reste d’un corps improbable hors de l’ombre.
ton ombre car elle épouse la pierre ! » Au-dessus de bras simiesques s’esquissait un affreux
La sueur amère ruisselait le long de ses joues rebondies visage, qui semblait encastré au sein même du cube
jusqu’aux commissures de ses lèvres. Kontine sentait noirâtre. Zébré par des sillons de chair à vif, des cornes
sa respiration s’accélérer avec la lente évolution du d’ivoire y trônaient au milieu d’un front démesuré, et
pinceau, comme si ce dernier orchestrait les battements deux yeux pétillants roulaient dans des orbites garnies
de son cœur. Teintés de bleu, les brins soyeux gorgés de tuyaux irisés et vibrants.
d’encre glissaient en tressautant sur la surface de verre Kontine recula de quelques pas lorsque le monstre fut
que le sable brûlant de Keshe avait créée, aidé par la entièrement sorti de sa gangue de Ténèbre. Effrayant.
magie du Pollen. Le tapis volant planait au-dessus du Ce mot convenait comme aucun autre.
conjurateur, quasi immobile, spectateur silencieux du « Une tête et deux bras dans un cube !, souffla le
drame qui se jouait au cœur du désert. Kontine afficha lunain, estomaqué.
un visage mêlé de crainte et de satisfaction lorsque – Oui, on me nomme parfois ainsi, mais je trouve
s’acheva le tracé. Sa première conjuration ! cela plutôt insultant, et limitatif. Préfère à ces mots
Il avait pris des risques en pratiquant de la sorte. triviaux le sobriquet plus seyant dont m’a affublé mon
Marquer l’ombre de son tapis volant, à l’encre bleue qui maître : Bloc. Mais… j’avoue entretenir une affection
toute particulière pour le titre suivant, quelque peu
ronflant je te l’accorde : Feu incube, ergastule
intime et serviteur du Haut Diable Belphégor,
grand seigneur abyssal des inventeurs, Noir-Patron
de Sombrefonte et des nains de la nuit, maître ès
Ténébrœil, génie parmi les génies !
Hum, approche mon enfant, que je te vois
mieux. »
La voix était grinçante, ponctuée à chaque phrase
de cliquetis agressifs qui hachaient le discours
de cet étrange démon. Kontine n’en croyait ni ses
yeux, ni ses oreilles. Qu’avait-il fait !? Malgré sa
maladresse légendaire, rien ne le prédisposait à ça.
L’ergastule intime de Belphégor ? Impossible ! Ça
ne pouvait pas arriver, pas à lui, pas maintenant !
« Diable, quelle trogne tu as ! J’ignorais que les
nains fricotaient avec les lutins. Et tu es bien jeune.
Ma foi, peu importe, cet accident est le bienvenu.
J’ai un impérieux besoin de parler, plus que tu ne
l’imagines. Et quelle joie de voir la surface pour
la première fois ! Si tu savais comme les Abysses
sont… abyssales. Bon, je n’ai que peu de temps. Si
mon maître apprend ma disparition, je ne donne
pas cher de ma peau, et encore moins de la tienne.
Je te demande peu de choses mon garçon : écouter,
sans interrompre.
– Mais… je… je ne veux pas, je ne peux pas !
Retourne d’où tu viens !
– Hélas, tu n’as guère le choix. Tais-toi, et ouvre
grandes tes oreilles pointues, petit mortel, pour
ouïr l’histoire du Maître, le Haut Diable Belphégor !

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À voir ta bâtardise, je ne doute pas que tu sois la Salle Métallique… Quel esprit !
quelque peu au fait de l’histoire du peuple nain. Le À l’heure où je te parle, le Grand Roi des Inventeurs
nom d’Halberk Franchevoie évoque certainement pour est considéré par ses pairs comme indispensable
toi le mythe de son premier guerrier. Fier et courageux, à l’ensemble des Abysses comme au petit confort
aimé de tous, il faillit par trop de curiosité et arriva personnel des Hauts Diables. Mais le génie a cela de
par mégarde aux Abysses, devenant pour ses frères en particulier qu’il est parfois gênant : on s’inquiète de
surface un héros maudit. Certes, tout est vrai, mais sa puissance et de son inventivité grandissantes. T’ai-
derrière cette pathétique tragédie sommeille une je parlé de ce fourmillement créatif qui crépite autour
face cachée ! Sache, jeune homme, que dans l’ombre de sa personne ? Si tu le voyais, pensif, ses doigts
de ce rustre manieur de marteau évoluait son demi- fourrageant sa barbe effilée… fier au cœur de sa sombre
frère. Effacé par l’histoire, né d’une union interdite, armure, formidable carapace ténébromécanique avec
Lokink était son nom. Un maître-artisan prolifique, laquelle il entretient une parfaite symbiose…
inventeur de génie, si doué que tous le jalousaient. Bref. Il est une raison, chère à mon cœur, qui me
Son propre père le reniait, et l’on se moquait de sa pousse à te confier ce qui ne devrait jamais être dévoilé.
bosse disgracieuse, de ses créations farfelues, de son J’aime l’Ombre, tu sais. Oh oui, je l’aime. Mais je la
obstination impétueuse. On le dénigrait sans aucune hais et la jalouse tout autant, car mon maître n’a
honte pour lui préférer Halberk le pur. d’yeux que pour Elle ! Si ses plans viennent à se réaliser,
Alors que ce dernier s’exerçait aux armes et faisait je suis certain que plus jamais Bloc, son ergastule
la joie de son père, l’inventeur peaufinait son art, et intime, ne lui sera utile. Belphégor deviendra le bras
ses créations profitaient à tous les clans. Malgré cela, droit, le confident de l’Ombre. Lui-même se confiera
il ne récoltait que méfiance et quolibets. Lokink finit à elle, et me laissera, seul, vide. Ça a déjà commencé.
par nourrir en son cœur une haine farouche pour Que deviendrai-je alors ? Une monstruosité montrée
son demi-frère et tous ceux qui ne voyaient en lui du doigt, exposée aux railleurs, souffrant les mêmes
qu’un petit être, certes ingénieux, mais surtout laid diatribes qu’a connues mon seigneur ? Ou pire, on
et insignifiant. Quand Halberk décida de s’enfoncer me recyclera comme un vulgaire morceau de Ténèbre
plus avant dans les profondeurs de l’Harmonde afin dans la Forge Noire ? Je ne le permettrai pas ! Je
de creuser de nouvelles habitations, le pauvre bossu préfère encore voir échouer la digne entreprise de mon
le suivit dans les dédales que laissait derrière lui seigneur et de ses puissants associés. Et, même si cela
Rigginknœr, le légendaire marteau de son parent. m’en coûte – et m’en coûtera –, je dois saisir l’occasion
Lokink se para d’une longue cape de roses des veuves, qui m’est donnée de divulguer ce qui se trame sous
laquelle lui permettait de se fondre dans les ombres et vos pieds. J’aurais préféré à un pathétique conjurateur
de rester discret. comme toi une sommité de la surface, mais parfois
Lorsque le guerrier frappa son dernier coup et échoua on n’a guère le choix. Le destin en a décidé ainsi ; tes
sur une rive du Moloch-an-Arion, Lokink le suivit oreilles abâtardies feront l’affaire. Mais attention petit
encore, percevant déjà que de cette chute viendrait son homme, si tu tiens à voir grandir tes descendants,
salut. Halberk était sonné, désorienté. Il réagit à peine garde-toi de trop parler et de divulguer tes sources ! Je
quand des mains froides et noires comme la nuit se signerai ta connivence sous le nom de Prazz, un stupide
posèrent sur lui. Lokink saisit sa chance, et marcha d’un ambré, esclave de Belphégor, que je hais. Bien. Prépare-
pas résolu à la rencontre de cette silhouette envoûtante toi à entendre l’histoire du plus grand complot que les
apparue subrepticement, une ombre étrange à qui il Abysses aient jamais connu !
annonça fièrement :
« Voyez, ma dame, qui je vous ramène du monde CHAPISTULE II De Mémoires en
d’en haut : le roi des guerriers, Halberk Franchevoie
réminiscences
le valeureux, qui insulte et détruit vos grottes
ténébreuses ! »
Mon maître s’est engagé récemment avec Dame
Ce fut osé, mais l’Ombre reconnut en ce nain une
Verazia, le Haut Diable des Souvenirs, et Vapula, Grand
force, une intelligence et une malignité sans pareilles
Seigneur des Griffons, dans un projet si ambitieux
chez les saisonins. Elle récompensa le bossu d’un
que j’en ai les rouages qui claquent. Figure-toi, mon
baiser. Ainsi commença l’histoire de mon créateur, le
petit, que des fées noires surveillées par des vermillons
grand Belphégor, qui, depuis, sert fidèlement sa douce
parcourent en ce moment même Abyme à la recherche
maîtresse.
de Mémoires esseulées. Capturées à l’aide de cages
La suite n’a que peu d’importance. Halberk fut
conçues par les nains de la nuit, Belphégor les conserve
mis au pas par mon seigneur, qui se fit une place
secrètement dans un athanor ténébreux, lui-même situé
de marque aux Abysses. Tant d’intrigues, tant de
au cœur d’un volcan de Ténèbre en sommeil. Lorsque
machinations parfaites durant des milliers d’années…
suffisamment de Mémoires y seront emmagasinées,
Mais qu’importe, traitons maintenant des affaires « en
les trois Hauts Diables, aidés par les nains et les fées
cours », comme se plaît à dire le maître, en référence à
noires, s’attelleront à un rituel de l’ampleur de ceux

28
que l’on pouvait voir avant l’Éclipse. de la nuit.
Mon seigneur sait où se dissimule l’Ombre, triste Quoi qu’il puisse se passer, le conseil des Arts et
dame à la souffrance indicible. Oui mon enfant, il Métiers sonnera bientôt l’heure de la révolution, et
sait ! Ce secret séculaire, le plus précieux des secrets les machines tonneront dans les Abysses et dans tout
démoniaques, n’en est plus un pour le Haut Diable des l’Harmonde en une sublime tempête industrieuse !
Inventeurs ! Il a su percevoir, secondé par un traqueur Belphégor a commencé à corrompre certaines fées
d’Effroi, les complaintes de l’Ombre. Pour elle il a noires pour son service personnel. Car il a un autre
érigé un palais digne de vos plus belles constructions plan, d’une ambition tout aussi colossale, qui fera
flamboyantes, protégé par le Ténébrœil de tout ce qui de lui le plus puissant des Hauts Diables… As-tu
pourrait nuire à la Dame. Bien malin celui qui saura déjà entendu parler de la Confrérie du Bossu, jeune
dénicher et pénétrer ce lieu. saisonin ? De ces êtres fabuleux qui portent en eux des
Le Rituel de la Métempsycose se déroulera pendant âmes-villes ? As-tu seulement idée de ce que renferme
l’heure invisible. Une fois achevé, l’Ombre aura la précieuse bosse de mon maître !? Non, bien sûr. T’ai-
totalement oublié les affreux souvenirs qui la hantent. je parlé de Sombrefonte la Démente, grande cité des
Puis, aidée et guidée par son plus fidèle serviteur, elle nigginnœrts ?
redeviendra le puissant Éternel qui veillait sur nous il
y a si longtemps. Elle retrouvera son pouvoir passé ! Et CHAPISTULE III De Sombrefonte et des nains
alors, pauvres fous, on verra fondre sur les Abysses et
de la nuit
la surface une nouvelle ère, engendrée par un nouveau
dirigeant, beau, impitoyable, juge et bourreau de vos
Cette cité, mon garçon, n’a pas son pareil dans les
misérables vies, accompagné d’une armée comme
Abysses. « Et heureusement » disent les mauvaises
nous seuls pouvons en vomir sur le monde. Une armée
langues. Passer les monts Drakoniens et le Cercle
de démons, de nains, de gladionautes et d’animaux
hivernin qui protège son entrée est chose plutôt
de cauchemar bardés de griffes, de prothèses et de
aisée, si tant est que l’on soit débrouillard, capable de
mécanismes guerriers parmi les plus efficaces, ancrés
conjurer à l’encre rouge, et que l’on puisse sans peur
dans leur chair comme une seconde peau ; une armée
descendre au cœur de la terre durant des jours dans une
dotée de machines de siège ténébrorganiques, des
complète obscurité. Mais parvenu à la fin de ce long
armes vivantes telles que ton petit cervelet peut à
périple, convaincre de sa bonne foi et de ses qualités
peine les imaginer ; une armée capable de se déplacer
intrinsèques le passeur noir qui conduit aux portes
aussi vite que le vent grâce aux lignes ténébriques
de la ville est une autre affaire. Ce dernier excelle dans
qui parcourent l’Harmonde. Une armée sous le
l’art de bannir les incompétents et les imposteurs.
commandement du grand Belphégor ! Une armée qui
En sortir est plus simple, et généralement un sauf-
le vengera ainsi des humiliations et de l’indifférence
conduit officiel suffit pour se rendre en surface un
qu’il a subies si injustement, et qui mettra un terme
temps donné. Mais ceux qui tentent de tromper la
au chaos qui règne en surface. Car même le Maître du
vigilance du passeur noir, comme les membres de la
Semblant et les Inspirés s’agenouilleront devant les
guilde de Minos, en sont pour leur frais. Cette troupe
Quatre Cavaliers de la Nuit éternelle : Vapula, Verazia,
de malandrins proches de la Renégade regroupe des
Belphégor, et… Noxe ressuscité !
nains de la nuit qui, lors des sorties que leur accordent
Hum, relève-toi vermisseau. Tout cela demande un
gracieusement les Hauts Diables, s’échinent à faire
grand travail, et une énorme préparation avant le
passer des minotaures en surface. Nombre d’entre eux
terme. Sans compter les fâcheuses rumeurs sur la soi-
ont terminé leur carrière errant dans la plaine, hurlant
disant santé mentale précaire du maître, et sur son
jour et nuit des plaintes lancinantes la bave aux lèvres.
palais qui ne serait habité que de vide.
Prétendre que l’on accède à Sombrefonte par une
Ressusciter Noxe… Idée louable et mirifique, n’est-
simple rivière est une erreur : c’est bien le Moloch-
il pas ? Malheureusement je ne peux rester passif et
an-Arion qui s’échoue en vagues infernales sur le
laisser mon créateur tant aimé s’éloigner de moi.
premier mur d’enceinte. Cette immense muraille
C’est pourquoi je me hâte de te confier ce que je sais.
circulaire entoure la cité d’une protection sans égale,
Malgré ta petitesse, il va bien falloir que tu deviennes
véritable mosaïque truffée de mécanismes défensifs ;
mon instrument ; tu me seras certainement utile, et
percefonds, troncétoiles, mais aussi des balistécumes
m’éviteras de sombrer lamentablement dans l’oubli…
qui propulsent sur tout contrevenant de l’eau du
Les trois Hauts Diables ont grand besoin des fées
fleuve à la vitesse d’une fusée d’Artificier, sans parler
noires, mais ces vieilles sorcières sont rares aux
des attrape-peurs, qui plongent dans le cerveau des
Abysses. Pour pallier cet inconvénient, mon seigneur
assaillants – bien souvent des démons – pour stimuler
a de nombreux plans. Il attend beaucoup notamment
et simuler leurs pires frayeurs. Une autre singularité de
de son nain préféré, Symürg le Fouisseur. Des entrailles
ce mur, et non des moindres, est de pouvoir se modifier
de l’Harmonde il pourrait lui apporter sur un plateau
et s’agencer à la demande. J’entends par là que chaque
d’argent la roche des origines, et par elle la naissance
pierre, chaque catapulte, tour ou échauguette est
des fées blanches. Elles seraient la pierre angulaire
capable de changer de position en un tournemain pour
achevant merveilleusement le fondement des décans

29
se placer à l’endroit idoine, s’adaptant à toute exigence prismatique. Tu sais peut-être que Sombrefonte est
stratégique. une cité-puit, malgré sa profondeur et son ciel fermé.
À l’intérieur, d’aucuns diraient que la ville et les Eh bien, l’orbe en question est une sphère de cristal
bâtiments sont à l’image de ceux qui les habitent : géante, composée de multiples prismes, eux-mêmes
déments. Des tours cyclopéennes aux bases plus taillés de manière à concentrer les très rares particules
fines que le sommet flanquent des murs hérissés de de lumière qui atteignent le fond de ce gouffre avant de
ronces dont les épines vous jettent un regard torve les restituer en énergie, via des instruments complexes
quand vous les approchez. Des chenilloirs collectifs bardés de tuyaux dans lesquels coule de la Ténèbre
débordant de nains parcourent follement les rues pure. Savamment orientée, l’orbe constitue une
grouillantes d’animaux de chair et d’acier, d’automates source d’approvisionnement inépuisable permettant
ratés vagabondant sans maître, ou d’inventions de diffuser une douce lumière – fortement tamisée,
dangereuses laissées à l’abandon, tandis que les les nains de la nuit y sont très sensibles – sur toute la
milices de Sombrefrocs assènent des coups de marteau cité, durant une quinzaine d’heures. Elle rythme ainsi
aux malheureux qui les bousculent ou qui piétinent les journées de travail, mais surtout, ce formidable
par inadvertance leurs longues robes de bure. Ces dispositif participe au fonctionnement des trois
conjurinventeurs constituent la seule forme sérieuse horloges du beffroi, royaume d’Halberk le déchu, plus
d’autorité de Sombrefonte. Ils logent dans l’inquiétant communément appelé le Ténébrarque, ou « monarque
beffroi de la cité, d’où ils règnent en maîtres. J’avoue fantoche à l’allure de gueux » comme dit le maître.
n’y être jamais entré, mais un nain m’a confié que Chaque heure de la journée correspond à une sortie
l’on y acheminait depuis peu de grandes quantités du Ténébrarque. Dans son fauteuil décati il effectue
d’armes et de matériel, et que toutes les expériences le tour complet des trois cadrans, dans un vacarme
avant-gardistes y étaient désormais menées dans des assourdissant de carillons, en saluant timidement un
laboratoires « spéciaux ». Selon ses dires, beaucoup peuple qui lève à peine les yeux vers lui. Chacun pense
de sujets d’expérimentation – nains, démons ou déjà à la Follorhniggin-noert, la nuit des nains damnés,
animaux – n’en ressortent jamais. Le maître lui-même et à l’élection du prochain roi de Sombrefonte ;
n’a pas daigné m’en dire plus. les complots vont bon train pour destituer l’actuel
Une particularité de la ville, à ne pas rater, est l’orbe « dirigeant ».
Grâce à l’énergie continue qui leur est
fournie, les trois horloges sont sans doute
les plus précises de l’Harmonde, capables
de repérer la fameuse heure invisible.
Même si elle était remise sur pied, l’horloge
abyssale aurait bien du mal à rivaliser avec
leurs machineries parfaites.
Bien que tu ne sois pas censé en apprendre
plus, j’ajouterai que Belphégor leur
destine une autre fonction. Correctement
synchronisées, et à condition de les arrêter
toutes trois précisément au même instant,
elles seraient capables de figer le temps, aux
Abysses comme dans la Cité des Ombres !
Observée indépendamment, chacune est
d’une précision absolue. Mais hélas, pour
une raison encore inconnue elles affichent
entre elles un très léger retard, si infime
qu’on ne peut le mesurer. D’où l’actuelle
impossibilité de tenter l’expérience qui
arrêterait le temps. Mon maître et ses
meilleurs ingénieurs se penchent depuis
longtemps sur le problème.
Mais de toutes les merveilles de
Sombrefonte, ma préférence va sans nul
doute à la Forge Noire. Outre la cour
décadente du roi-pantin et le poste de
commandement de tous les nains de la
nuit, c’est en ce lieu qu’on enseigne et
qu’on pratique le Ténébrœil.
Je vois à ton air ballot que tu n’as
aucune idée de ce dont je parle. On m’a
expliqué qu’en haut vous ne juriez que par
l’Équerre…

30
Contrairement à tes pédants de frères de la surface, Belphégor sait que ces qualités sont nécessaires pour
tout nain de la nuit qui se respecte a des notions de survivre et se faire respecter aux Abysses.
Ténébrœil, ne serait-ce qu’en théorie. Mon maître, son Les yeux de ces créatures trapues, tavelés d’ombres
inventeur, m’a tant appris que je peux t’en parler aussi dansantes, sont le reflet d’âmes de survivants. Sache
bien que les meilleurs patrons – c’est ainsi que l’on qu’en dehors de Sombrefonte, ils ne mènent pas
nomme les maîtres d’œuvre. une vie facile. La plupart des démons sont là pour
Si vous saviez de quoi sont capables les nains de la leur rappeler qu’ils sont seulement tolérés. Si ce
nuit en matière d’architecture ésotérique, je ne doute n’étaient leurs talents de bâtisseurs, leurs inventions,
pas que vous y regarderiez à deux fois avant d’engager et surtout leur protecteur, nul doute qu’ils auraient
pour vos travaux des membres de cette organisation tous été exterminés depuis longtemps. Les démons
archaïque, qui, pour l’instant, possède le monopole sont facétieux, et les conflits sont nombreux entre
des chantiers… Non petit, le Ténébrœil n’a rien à voir mes compatriotes et les nigginnœrts. Ces derniers
avec l’art sombre pratiqué par l’Équerre. On ne projette ont dû s’adapter, façonnant leurs habitations mobiles
pas d’ombres aux Abysses. On met des opalins bien en fiers bâtiments blindés. Beaucoup sont dotées des
gras dans du mortier ou tout autre matériau : plomb, mêmes équipements que Sombrefonte elle-même.
or, végétaux, Éclat même ! On ajoute quelques gouttes Généralement le mortœil qui entoure les follorhoks
d’encre de conjuration, on mélange – à la main, c’est protège efficacement leurs habitants contre les assauts
important – on sort le tout, que l’on façonne à la de démons, mais quand l’une d’elles vient à tomber,
forme voulue, et on le cuit dans un athanor ténébreux personne ne s’en inquiète, pas même les nains, qui se
rempli de fous-follets incandescents. Ces petites sont faits bon an mal an à cette dure réalité.
créatures récoltées près des Ténarbres se mêlent à Si je ne devais parler que d’une seule de ces maisons
la préparation dans une note finale détonante, et en sur chenilloirs, je choisirais Loxurenigg. C’est dans
réaction aux opalins déjà présents, elles lui insufflent cette immense tour hexagonale entourée de brumes
la vie, littéralement. On obtient alors une matière hallucinogènes que des centaines de nains se réunissent
stupéfiante, fractionnable en toutes tailles, qu’il à la fin de leur journée pour d’orgiaques beuveries,
suffit d’utiliser pour des travaux de grande ou de d’ignobles jeux du cirque, et des épanchements pervers
petite envergure. Les nains de la nuit appellent cela le en compagnie de démons et de succubes dépravées.
mortœil. Par bien des côtés il a l’aspect du métal. C’est Une follorhok fixe située dans un recoin des Abysses
avec lui qu’ils façonnent les Abysses et les demeures des connu d’eux seuls sert de temple aux nains de la nuit
Hauts Diables. pour leurs obscurs rituels de passage. Si les nains
Ô Noxe, chaque nuit je rêve avec le maître que la roche tiennent à ce que ces rites soient tenus secrets, il est
des origines est en sa possession, qu’il libère les fées évident que l’un des plus importants est celui qui mêle
blanches et que le dernier décan de la nuit accouche l’âme la chair au mortœil. Ainsi, chaque jeune adulte se voit
du mortœil… Je n’ose alors imaginer la puissance de gratifié – douloureusement – d’un membre ou d’une
cette chose que cracheraient à la face de tous les fours de excroissance composée de ce précieux matériau. Il
Sombrefonte. paraîtrait également que ces cérémonies font appel au
Toujours est-il que si une porte ajoute au grincement cannibalisme et à des pratiques incestueuses.
de ses charnières un cri de bienvenue ou un rire Les nains de la nuit sont volontaires, insouciants
furibond, et que tu vois apparaître au cœur de ses et bons vivants. Bien plus que ne l’est le peuple que
nervures un odieux visage, si ta maison est montée sur tu connais en surface. Mes études sociologiques me
des chenilles et capable de forer la pierre en chantant, poussent à croire que cet état de fait est dû à l’oubli
si une tour de siège prend vie et s’avance seule contre dont ils sont les heureuses victimes : pour la majorité
l’ennemi en hurlant des chants de guerre, ou si une d’entre eux la malédiction de la Dame de l’Hiver n’est
horloge t’explique à voix haute que tu es en retard, plus qu’un vague sentiment de nostalgie, évanescence
il y a de grandes chances pour que le Ténébrœil soit passée à laquelle s’est substitué leur amour de l’Ombre.
à l’œuvre. Et ces exemples n’en sont que la surface Belphégor veille à ce que ses serviteurs stagnent dans
visible. À grande échelle, à condition d’être armé de cet oubli, et finissent par se créer de nouvelles racines
patience, on peut construire à l’aide du mortœil de ancrées dans la Ténèbre et l’âme des Abysses.
gigantesques édifices, tout équipés d’impressionnants Autre chose, mon garçon : vous qui vivez et vous
dispositifs martiaux ou simplement pratiques. croyez au-dessus de nous, apprenez qu’il est un
J’ai peu de détails à ce sujet, mais j’ai appris que la aspect inhérent à notre monde, que le maître et moi-
genèse du mortœil venait parfois à échouer, libérant même commençons tout juste à appréhender. Par
un esprit malin que les nains nomment le follorenknir. lui et ses séides survit une part de l’Ombre que nul
Ils l’évoquent le soir pour assagir les enfants. On ne soupçonnait… Sa vibrante envie d’être aimée mon
murmure que certains patrons ont réussi à capturer garçon, sa vibrante envie d’être aimée…
des spécimens, et qu’ils ont eu l’idée « judicieuse » de
les réinsérer dans un athanor. Les intrépides qui ont
tenté cette expérience ne sont plus de ce monde pour Extraits de l’album interdit Mémoires d’une ergastule
décrire ce qu’ils ont vu. intime, vol. 1.
Intrépides et curieux, voilà sans doute les traits de Par Bloc, démon renégat, chroniqueur et romancier
caractère les plus marqués chez les nains de la nuit. Et d’Abyme.

NdÉ : À paraître : Mémoires d’une ergastule intime, vol. 2 ; Où l’on apprend comment la faine, grâce à Équaigle et aux
Mémoires de fées noires, compte libérer Halberk Franchevoie de l’emprise de Belphégor.

31
Le journal d’une succube
15 centaure 1435
Thazi m’a fait mander. Hier, deux de ces cornus, le regard froid et libidineux à la fois, se
sont plantés devant moi en me disant : “ Ta maîtresse veut te voir ! ” Cette fois-ci, c’est pour
l’accouplement. Ou peut-être…

Aujourd’hui je pleure. Je pleure de douleur.


Il m’a prise. Un cornu. Sans amour, sans mot. Juste de la force brute.
Ai-je un jour osé imaginer aimer ça ?
En relisant les premières pages de mon journal, je m’aperçois que nos geôliers ne me paraissaient
pas si effrayants. Cette puissante emprise m’intriguait, éveillant en moi un désir sourd et un
dangereux abandon.
Mais demain, il reviendra.

16 centaure 1435
Autrefois, mes écrits frôlaient l’insouciance, même en parlant de nos geôliers, quand ils m’emmenaient
auprès d’un vermillon ou d’un ambré pour lui apporter du plaisir. Je m’amusais de voir les puissants
carmins trembler devant un sable, les plus terrifiants des minotaures. Je contemplais avec un
mépris teinté de fierté les ambrés mal à l’aise devant de simples azurs, et sur le départ, de quelque
cercle qu’ils soient, ils avaient l’air d’amants surpris. Certains balbutiaient des remerciements à
notre égard, désireux de se donner bonne figure face à la présence oppressante de ces cornus. Je
me gaussais de les voir perdre leur superbe.

Sylssania, un nom venu du passé, une survivante d’un accouchement. J’étais fort jeune lorsque je
l’ai croisée, dans les rues d’Iskaneraysh. Elle n’était plus que l’ombre d’elle-même, une handicapée
claudicante, qui crachait aux pieds des gardiens. Mais en y repensant, j’avais déjà une peur
inconsciente des geôliers : je me revois, plaquée le long du mur pour ne pas hériter du coup mortel
qui devait résulter de cette insulte. Mais ils se contentèrent de la regarder, un mélange paradoxal
de dédain et de respect.
Je me souviens encore de cette respectable mélusiande qui nous parlait des gardiens des Abysses.
Elle nous racontait qu’elle avait assisté à l’évasion avortée d’une bande de saphirins à l’époque de
la Romance. Un portail venait de s’ouvrir quelque part et cette nouvelle fit le tour des Abysses en
moins de temps qu’il n’en faut pour conjurer un opalin. Les saphirins, en nombre, se ruèrent vers
le portail, pensant être assez rapides pour éviter les gardiens. Aux dires de la mélusiande, un seul
gueule suffit à mettre à mal tous les démons, qui, pourtant nombreux, tombèrent sous les coups
fracassants du gardien. Le sourire aux lèvres et le regard empli d’une saine crainte, la mélusiande
finit son récit en nous racontant comment le cornu poursuivit les fuyards, juste pour l’exemple. Je
me demande comment les gardiens peuvent être partout à la fois. Les Abysses sont changeantes
et aucun plan ne peut exister. Mais des rumeurs circulent à propos de leur connaissance des lieux
: on raconte qu’ils peuvent se repérer n’importe où dans les Abysses et se rendre rapidement dans
quelque lieu que ce soit.
3 automne 1435
Le père de mon enfant est un gueule. J’entends encore le bruit de ses pas rythmé par le cliquetis de
son armure noire aux reflets carmins, quand il venait pour me saillir encore et encore, cette angoisse
montante – ou était-ce de l’excitation ? – qui faisait battre mon cœur pourtant endurci. La porte de l’isoloir
qui s’ouvrait en grand, le souffle chaud de ses naseaux qui emplissait la pièce, ses mugissements de
plaisir qui résonnaient dans ma tête. Douze nuits, avant qu’il n’admette que j’étais enceinte de son
auguste personne. Tous les soirs, je me disais que j’allais le tuer pour mettre fin à ce cauchemar. Mais
le souvenir d’une vieille succube me revenait alors. Elle m’avait expliqué un jour qu’il était inutile de se
débattre ou de les empoisonner, aucune chevelure ne pouvait parvenir à bout de ces colosses.

18 automne 1435
Dans ma jeunesse, en compagnie d’autres succubes, nous trompâmes la vigilance des gardiens et
de la Gorgone, pour entreprendre ensemble une escapade vers un giron inconnu. Je crois que c’est
ce jour-là que j’appris ce qu’était l’Effroi. Au détour d’un outrepont, nous aperçûmes un pan de mur
de métal. Nous crûmes que c’était la Salle Métallique, mais notre erreur nous sauta aux yeux lorsque
nos pas nous menèrent à notre découverte. C’était un fortin dont l’architecture était identique à celle de
la Salle. Nous pouvions entendre les cris des opalins attelés à la roue actionnant la herse. Les tours
n’étaient pas aussi hautes que ce que l’on m’avait dit, mais c’est tout ce que je pus voir avant que nous
ne soyons repérées. L’une d’entre nous fut emmenée au fortin et les autres ramenées dans la prison dorée
d’Iskaneraysh. Nous ne revîmes jamais notre sœur.
Cette histoire me ramène une dizaine d’années en arrière. J’avais rendez-vous avec un vermillon, mais
pour une fois, il ne fit que parler. La discussion dura des heures. Je ne sais toujours pas pourquoi il
se confia à moi. Il évoqua, entre autres, l’autorité absolument déplacée des gardiens. Il les voyait comme
de simples pions de la Bête, un instrument de pouvoir qui manquait de finesse, mais pas d’efficacité. Il
s’était toujours demandé pourquoi les Hauts Diables avaient pris le parti de se protéger d’eux-mêmes,
comme s’ils redoutaient leur propre psyché. Ensuite, il me confia sa théorie : “ Sans les gardiens,
les lois de la conjuration ne seraient plus qu’un autel souillé sur lequel les démons danseraient. Eh oui,
ma chère, si les démons pouvaient sortir à loisir des Abysses… ” En tout cas, le vermillon ne pouvait
tolérer la présence des gardiens. Lui qui vivait depuis des siècles, il s’exaspérait de voir ces minotaures
surveiller tous ses faits et gestes même à l’intérieur de la Salle Métallique. Il m’expliqua avec fougue
comment ces dégénérés pouvaient se permettre d’influencer ses desseins, lui dont l’intellect dépassait de
très loin celui des gardiens à la vie si précaire. Les démons de cercles inférieurs, à mon avis, ont le même
discours, mais seuls les plus audacieux osent en parler alors que les plus faibles ne font qu’y penser.

26 harpie 1435
J’ai enfin pu rencontrer dame Missya, une ancienne, qui me conta sa chance d’avoir assisté au massacre
de plusieurs gardiens. Après avoir exigé ma promesse de ne rien dévoiler, elle poursuivit son histoire.
Dame Missya avait surpris de jeunes minotaures qui n’étaient pas encore gradés, devant une des galeries
menant vers l’extérieur, sans vouloir me dire de laquelle il s’agissait. Elle y patienta un ou deux jours
en cherchant un moyen de passer outre la surveillance des gardiens. Et là, quelle ne fut pas sa surprise
de voir une horde de démons de Salmac se jeter sur les jeunes minotaures. Elle me raconta leur panique
durant le combat ainsi que la détresse de leurs mugissements. Après la bataille, un seul respirait encore
péniblement. Elle suivit les démons survivants vers une hypothétique sortie, lorsque lui parvinrent, du
plus profond de ce tunnel, des cris de terreur. La détermination de dame Missya fut ébranlée par l’image
qu’elle se faisait du monstre ayant détruit les démons.
Elle en conclut que l’apprentissage des cornus était à l’image des Abysses et de ses habitants :
cauchemardesque et insensible.

9 dryade 1436
Trois mois sans une ligne, je n’ose te confier mes angoisses. Mais aujourd’hui, après de nombreuses
tractations auprès de sources peu recommandables, j’appréhende le lieu où mon enfant sera emmené. La
Ténébriale. Cet endroit est, paraît-il, le siège des cauchemars des démons, là où tout commence. Les
récits que l’on me fit de ce lieu me donnèrent l’impression que le monstre bougeait en moi à la simple
mention du premier de ses jouets : le diablotin. Le nombre d’enfants y est impressionnant, à tel point
que l’on ne peut s’imaginer comment notre race survit. La Ténébriale, conçue telle la Salle Métallique,
inspire la même sensation malsaine. Elle est gardée en permanence par les “ pères ”, nom donné aux
gardiens qui veillent sur la progéniture. Ici, des cornus lettrés distilleraient l’instruction nécessaire
pour instaurer un climat de peur dans les Abysses. Aucun recoin des sous-sols, aucun secret concernant
les démons de quelque cercle qu’ils soient n’est inconnu des minotaures une fois ceux-ci sortis de la
Ténébriale.

22 phénix 1436
Cela fait cinq mois que je suis enceinte et il est maintenant pénible de me mouvoir. Je viens juste
de sortir de la Salle Métallique. J’ai pu remarquer que les gardiens de la cour y sont différents. Ils
manipulent, enjolivent, rompus qu’ils sont aux courbettes et aux jeux délicieux de la rhétorique. Non
qu’ils soient inoffensifs, mais en ce lieu où leur maître règne, ils utilisent d’autres armes : des mots
cinglants qui déchirent les réputations et humilient les plus aristocrates des démons. Leur sobriquet de
“ malfaisants ” en dit long sur leur réputation. Ils seraient même capables de connaître les méfaits
et les injustices commis par leurs prisonniers rien qu’en les regardant, mais ça, j’en doute fortement.
L’ambré qui m’a raconté cela était un habitué de l’Harmonde. Il me glissa au creux de l’oreille un autre
de ses boniments : il existerait un endroit dans les Abysses, une grotte où les vieux gardiens viennent
mourir seuls. Un lieu de sépulture couvert de squelettes blancs décapités. Les crânes, selon ses dires,
seraient amoncelés plus loin les uns sur les autres et gardés par l’un des Fils de la Bête. Je crois que
l’éclat de rire que je laissai retentir malgré moi l’offensa, car il partit si rapidement que les convives
crurent que j’étais folle.

Extrait d’un journal ramené à la surface par Helcaraxë, minotaure renégat.


Lionna
Révolte !
Très cher Maître, comme vous me l’avez demandé, je suis parti espionner les cornus à l’endroit que vous m’avez indiqué. Vous pensiez juste,
il ne sera pas facile de défaire ces engeances bovines. Leur organisation est une machine très bien huilée.
Comme votre savoir est grand, vous saviez sûrement que leurs grades se différencient par la teinte de leurs armures, et sont basés – c’est
original – sur le prisme démoniaque. L’héraldique est utilisée pour décrire ces couleurs : azur, or, gueule et enfin sable, l’opale n’ayant pas
de correspondance. Les premiers, les azurs, les plus nombreux, forment le gros des troupes de choc. Ils sont pour la plupart jeunes et
inexpérimentés et ont tout de même survécu à l’entraînement. Vous n’êtes pas sans savoir que beaucoup de démons de Salmac et certains de
nos frères en sont les acteurs principaux. Les azurs sont les plus faciles à espionner car ils n’ont pas encore cette faculté à nous détecter.
Cette capacité apparaît au grade supérieur, l’or. Toutefois, des nuances apparaissent à ce stade. J’ai pu observer que les ors nouvellement
nommés ne possèdent pas ce pouvoir. L’accession aux grades supérieurs me paraît encore floue, mais j’en maîtriserai, bientôt, toutes les
subtilités.
Les gueules, extrêmement difficiles à observer de près, maîtrisent parfaitement cette faculté. Il m’est même apparu que ceux-ci ont sans
aucun doute la possibilité de sentir les flux et reflux de la Ténèbre. Mes longs mois d’investigation m’ont permis de constater que ce sont
toujours les gueules ou les sables qui préviennent les autres lors de l’ouverture d’un portail.
Pour le reste, cher Maître, je vous laisse juge de la marche à suivre.

Rapport de mission de Jurkk, céruléen

Maître,

Votre stratagème pour vérifier les affirmations de Jurkk nous a permis de faire une étonnante
découverte. Comme vous me l’aviez annoncé, le portail s’est ouvert à l’endroit et à l’heure dits. C’est bien
un gueule qui donna l’alerte aux autres cornus. Quelle ne fut pas ma surprise de voir un sable sortir du
fortin métallique, le poitrail aussi noir que de la Ténèbre pure. Ce « vide », car je n’ai d’autre mot pour
décrire ce que j’ai vu, prit le corps entier du sable, et des ors, des azurs et un gueule s’engouffrèrent à
l’intérieur. Alors que je croyais le fortin déserté, des gardiens sortirent du corps du sable pour maintenir
les effectifs en place. La rapidité d’exécution est foudroyante, et je doute que nous puissions les prendre
de vitesse. Nous ne pourrons faire tomber les gardiens sans en savoir plus.

Rapport de mission de Varlk, céruléen

J’ai pu m’introduire dans une des geôles des gardiens et votre savoir vous donne encore raison,
mon Maître. Il existe bel et bien des parias au sein des gardiens. Je pris contact avec l’un
d entre eux et contre la promesse d’une échappatoire, celui-ci me révéla quelques secrets
qui me semblent être de la plus haute importance. Les cornes de ces maudits gardiens sont
l origine de leurs étranges facultés. Il semble qu’elles détournent à leur avantage la Ténèbre.
Je le questionnai alors sur les sables et il me révéla qu’ils sont de véritables portails vivants.
Hélas, je n’ai pu pousser plus avant mon interrogatoire. Une remarque vient d’elle-meme : si
l’un d ‘ntre nous se fait conjurer, il pourrait demander en contrepartie des renseignements ac-
cumulés en surface sur les minotaures des Abysses.

Rapport de mission de Treffdrh, céruléen


Maître,

Je reviens de l’Outrerive et je puis vous affirmer que le réapprovisionnement des gardiens


se fait par la plaine. Il est bien gardé et je ne pense pas qu’il soit envisageable d’attaquer les
convois directement. Il serait plus prudent de demander des recherches à ce sujet comme
contrepartie de nos connivences.

Rapport de mission de Jurkk, céruléen

Maître,

Je reviens de la surface avant l’heure prévue. J’ai préféré écourter mon séjour sur l’Harmonde après
avoir appris que mon conjurateur avait été tué dans d’étranges circonstances. À notre dernière rencontre, il
transpirait la peur. J’ai tout lieu de penser que cette mort est l’oeuvre des minotaures de la surface.
Maître, tout cela m’intrigue au plus haut point. Si les minotaures de la surface sont de mèche avec les
gardiens, pourquoi ces derniers se comportent-ils de manière hostile envers ceux qu’ils nomment « les clairs » ?

Rapport de mission de Varlk, céruléen

Mes freres,

Au vu de vos rapports, il faut imperativement agir avant que


l’engeance qui nous garde ne devienne trop oppressante. Si nous ne
pouvons les aneantir de front, que chacune de nos conjurations serve
a leur porter un coup marquant dans l’echine de leur organisation.
Frappons-les a leurs points faibles. Prenons-nous-en a eux
indirectement en attaquant les sources de leur force : ceux qui les
nourrissent, ceux qui les arment, la Tenebriale, voire les succubes
elles-memes.
Aiguisez vos griffes et vos crocs, que la fin des gardiens annonce
la victoire de l’Ombre, que l’Harmonde se prepare a accueillir ses fils
prodigues.
Non, mes freres, il n’y aura pas de combat sanglant, un simple
retour du baton de la justice, notre justice. La Bete regardera ses fils
s’affaiblir, nous ne les epargnerons pas, aucun n’y rechappera, meme
pas elle !
L’aube d’une nouvelle ere est arrivee !

Lionna
Catharss
J’ai enfin rencontré Catharss, Haut Diable des Craintes et des Douleurs, lui à qui je voue
une admiration sans borne depuis des années. Malgré ses cornes, ses ailes et ses griffes,
il semble si humain qu’aucun mortel ne peut contempler son visage sans y déceler cette
part malsaine – démoniaque ? – que nous tentons désespérément de dissimuler aux yeux
du monde. Ce monstre trop humain nous renverrait-il à notre propre inhumanité ? Quoi
qu’il en soit, il se dégage de lui un charme malsain et angoissant, un air de parenté que
nous préférerions ignorer.

Origine et Rôle
Aucun des démons qu’il m’a envoyés n’a été capable de me dire quand il est apparu ou ce
qu’il fut avant. J’en déduis qu’il est l’un des premiers, certainement créé par l’Ombre. Je
pense que celle-ci lui donna jour pour expulser ses craintes et sa souffrance, comme ce fut
le cas pour la création des Abysses.
Sa plus grande tâche consiste à perpétuer une atmosphère malsaine dans le giron des créatures démoniaques. Ici-bas, son rôle semble à la fois
indispensable et incongru : il fait des Abysses un lieu de souffrances, les rendant infiniment effrayantes aux yeux des mortels tout en entretenant
le perpétuel martyr des démons.
Je crois pouvoir affirmer que Catharss est le vecteur des humeurs de l’Ombre. Imaginons qu’elle puisse craindre quelque chose ou en douter :
Catharss, lié à l’Éternelle, devrait expulser ses émotions. En quelque sorte, il est un médecin de l’Ombre, en propageant ses douleurs sous forme de
rumeurs atroces.

Hécate
Catharss ambitionne depuis très longtemps d’éliminer Hécate. Il souhaite ardemment être le seul Haut Diable associé aux émotions primordiales
de la Ténèbre. Il ne fait aucun doute qu’il convoite le titre de Haut Diable de la Ténèbre, qui avouons-le, est plus que séduisant.
Non pas qu’il juge Hécate incompétente, mais il se sent capable de mieux. Jamais son nom n’est associé à la Ténèbre alors qu’il en est l’âme, la
sève, l’inspiration !
C’est pourquoi il tente d’étendre son pouvoir à la surface. S’il a apporté son aide à mon projet, c’est certainement pour étendre son influence en
Abyme. Il prouvera ainsi qu’il est capable de provoquer l’Effroi lui aussi. À travers les démons qu’il m’envoie, il alimente la peur qui tenaille mes
spectateurs, ceux-ci extériorisant les atrocités qui naissent dans leur esprit sous forme de rumeurs.
Telle est la méthode de travail de Catharss. Il pousse les gens à entretenir, voire alimenter le climat qu’il instaure. Une belle manière d’assurer
mon succès, car en Abyme, les habitants n’aiment guère l’ordinaire…

La Romance ?
Même si cela ne m’a jamais vraiment intéressé, Catharss semble favoriser la Romance. Aussi étrange que cela puisse paraître, je crois que
Catharss chercher à comprendre l’amour. Ne connaissant que la souffrance, il veut connaître les mortels et telle est sa manière d’y voir plus clair.
De plus, il sait que l’amour est source de tourments. Il n’est plus cruel supplice que de perdre la confiance de son conjoint. Mécanisme retors et
subtil que celui de la méfiance s’insinuant dans un couple !

Alastor
Alastor et lui sont très proches. Ils partagent le même goût de la souffrance et souvent ils s’échangent leurs dernières trouvailles en matière de
torture. Tous deux contribuent, d’une manière différente, à rendre les Abysses terrifiantes. Ces affinités engendrent bien évidemment des rivalités.
Verazia et Thazi soupçonnent que Catharss soit impliqué de près dans les tortures de succubes orchestrées par Alastor lors de la première Romance.
Catharss leur rend bien leur mépris, les jugeant futiles et faibles au sein des Abysses, plus encore dans la tortueuse politique de la Salle Métallique.
Elles ne semblent pas saisir qu’il pourrait être un allié pour la Romance, ni même son vrai rôle.

Archives composées par Messire Perricliste, Advocatus Diaboli renommé en Abyme. Le GDF
Develorn, Haut Diable des Schizophrènes Thabanne

Prenez garde, imprudents, au Mangeur d’Âmes, le Diable qui dévore les esprits. Il piège les
fous qui commercent avec les Abysses. Ses serviteurs sont ses premières victimes, les perfides
princéens. Lorsqu’un chasseur tourne son esprit vers la nuit, alors qu’il croit être le maître des
enfants des ténèbres, il attire l’attention des princes des glaces souterraines, et plus encore du
Seigneur aux Mille Facettes, le Dévoreur, qui s’insinue dans les méandres de leurs pensées pour les
corrompre, pervertit leurs chairs et leurs os, altère leur corps et leur âme… Lente déchéance
qui permet au Mangeur d’Âmes de s’approprier l’imprudent… avant de le dévorer.
Ses victimes préférées sont les enfants, à cause de leur pureté, et les héros, les chasseurs les plus
vaillants, les forgerons les plus ingénieux, dont la flamme spirituelle brille de mille nuances. Le
Mangeur d’Âmes est gourmand, il est avide d’expérience et de savoir, et plus la victime semble
capable de lui résister, plus il s’acharne. Et ne rêvez pas. Seul Morkh peut vaincre un Diable.
Comprenez-le bien : plus vous serez forts ou sages, plus le Mangeur d’Âme sera attiré par votre
âme. Sachez reconnaître sa marque, quand vous êtes trop fier, ou trop orgueilleux. Soyez
humbles et réalistes, c’est votre meilleure défense contre le Dévoreur.

Conte traditionnel des Parages

La folie de Develorn s’explique facilement par les supplices qu’il subit aux temps anciens. Develorn était un déclin, l’un des
seigneurs parmi les enfants de Noxe, aux côtés de Haagenti ou Alhaë. Un enfant, le terme est bien choisi. Dans ces âges antiques
d’innocence, qui suivirent de peu la création de l’Harmonde, Noxe était la reine d’une cour enfantine et joueuse, naïve et perverse.
Faut-il voir dans la cour de la Salle Métallique une version décadente et corrompue, un écho distant de ces premiers pas ?
Retrouve-t-on dans la naïveté parfois surprenante des démons et des diables une trace des enfants que furent Noxe et ses déclins ?
Il en est certains pour prétendre que dans les jeux de ces enfants, il en était de particulièrement pervers ou choquants au regard
de la morale humaine. Sexe, violence, inceste n’avaient pas de sens et l’innocence enfantine trouvait là sa plus stricte définition :
l’église de Neuvêne se glacerait d’effroi devant les « péchés » auxquels se livraient, avec la plus grande candeur, Noxe et ses enfants,
ses frères et sœurs dans la nuit. Develorn était, à cette époque, le plus jeune et le plus faible d’entre eux. Alhaë, la maîtresse du
jeu, maîtresse des apparences trompeuses, aimait à lui faire endosser les rôles les plus traumatisants ou déstabilisants. Capable
d’altérer son apparence et celle de ses pairs, elle prenait un malin plaisir à tester l’esprit du faible Develorn. C’est ici que je place
l’origine de sa folie, lorsqu’il fut incapable de distinguer sa propre personnalité de celles que lui faisait endosser la perverse.
Les mortels ont saisi son essence, comme le démontrent ces quelques documents trouvés en Abyme (ref. 424-D-684).

Prière d’un culte dissident de Liturgia


Ô, Maître des Mille Facettes, Toi dont l’Esprit est l’Unique et le Multiple, Toi qui es le Tout et ses Parties, l’Absolu et le Néant,
entends notre appel.
Permets-nous de nous fondre dans Ton Être, nous sommes des facettes, accepte notre insignifiance dans Ta magnificence, entends
notre supplique.
Nous sommes la multitude, nous somme la foule anonyme et impersonnelle, nous sommes des esprits égarés et solitaires, fais de
nous des Parties du Tout.
Nous T’offrons nos Âmes et nos Esprits, nous T’offrons notre flamme vitale, nous T’offrons notre essence, nous nous diluons,
nous nous dissolvons, nous nous noyons dans Ta grandeur,
Ô Develorn

Rapport liturge
Develorn n’a pas d’apparence, il n’a pas d’essence propre, lorsqu’il change de personnalité, il change de nature, comprenez-vous ?
Il est le Schizophrène suprême, insaisissable et indéfinissable !

Notes dans un Cahier Noir


Haborym, Haut Diable des Incendies L’EGM

Mon ami,

Je suis dans une situation délicate : si un mage de l’Éclipse t’a confié cette lettre, c’est que je ne suis plus là pour
te faire part de mes inquiétudes. Nous avons joué aux malins avec la démonologie et je crains que cela ait signifié
notre mort. La sentant proche, j’ai consigné mes dernières volontés dans ce testament cryptogrammique.

« Que se passe-t-il ?
– Je n’en suis pas sûr moi-même mais cela a un rapport avec la façon dont nous avons traité certaines des
créatures que tu as invoquées. À l’époque, nous pensions que les exécuter sans les payer nous économiserait du
temps et des efforts : que la conjuration était alors facile !
Vois-tu, nous ne sommes pas les premiers à céder à la voie de la facilité avec ces démons, à la voie du pouvoir  :
certains mages se sont imaginés que cette méthode, si elle était bonne pour soumettre des saphirins, devait l’être
aussi auprès des mystérieux maîtres des Abysses, ceux que l’on nomme parfois les Hauts Diables.
J’ai reçu un avertissement, figure-toi : un Advocatus Diaboli, chez qui je venais m’approvisionner en encres
pour la première fois, m’a raconté une petite histoire ; sur le moment, je l’ai pris comme les divagations d’un de
ces personnages ô combien étranges et excentriques, mais je la comprends mieux maintenant : il s’agissait d’une
menace…

– Quelle est cette histoire ?


– J’y arrive : un mage, depuis anonyme, était fasciné par le feu. Une fois n’est pas coutume, il n’était pas obnubilé
par le pouvoir ou le simple plaisir qu’il trouvait dans le supplice. Il aimait par-dessus tout voir les choses brûler :
il mettait le feu aux animaux croisés au hasard dans la rue, aux charrettes, aux maisons. Puis il s’attaqua aux gens,
des mendiants dont personne ne voulait, puis de simples gens sans histoire et les gardes qui tentaient d’intervenir.
Au baron qui demanda des explications à son académie, il répondit en incendiant son manoir.
Même les censeurs envoyés pour le neutraliser finirent en cendre. Entre-temps, il avait découvert la conjuration
et se délectait à conjurer démons sur démons pour son seul caprice et la seule envie de les voir disparaître, dissous
par le feu sans avoir contracté de connivences.
Les maîtres des Abysses voulurent à leur tour s’occuper de lui mais peine perdue. Au contraire, ces tentatives ne
firent qu’égayer son intérêt : il conçut le plan terriblement farfelu d’incendier les Abysses !

– Et que s’est-il passé ?


– Eh bien il s’y est rendu dans les Abysses, foutrediurne ! Et si j’en crois l’Advocatus qui m’a raconté toute
l’histoire, il y provoqua un tumulte terrible : les démons qui étaient envoyés contre lui fondaient sous la chaleur de
ses flammes, les murs de ténèbres menaçaient de disparaître sous la puissance des étincelles.
Un Haut Diable finit par le défier en personne : ils se rencontrèrent dans ce que l’Advocatus a appelé la Salle
Métallique, capable de résister aux flammes du Supplice. L’incendiaire ne pouvait pas savoir que son adversaire
était versé dans les arts de l’Emprise, ce qui lui aurait été fatal. Néanmoins, au lieu de l’achever ou de le condamner
à une éternité de tourments, celui-ci décida qu’il serait très utile aux Abysses, pour prévenir de telles catastrophes.
Ainsi apparut Haborym, le plus dangereux de tous les Hauts Diables, seul entre tous à ne pas craindre le feu.
– Quel rapport cela a-t-il avec moi ?
– Laisse-moi finir mon histoire pour une fois. Je suis mort, enfin ! Après le mystérieux avertissement de
l’autre jour, je me suis renseigné comme j’ai pu. Haborym est une figure très crainte des Abysses. Son attirance
pour le feu le rend un peu solitaire : j’ai même la certitude que cette identité aurait été portée par plusieurs
personnes, vu la dangerosité de son rôle.
Ce Haut Diable est en charge de la lutte contre le feu, là-bas aux Abysses. Des conjurateurs de ma
connaissance ont dit avoir vu des démons qui ne craignaient pas le feu ; ces témoignages sont à prendre avec
des pincettes, mais je connais effectivement un démon dans ce cas : Mestklav, démon de quatrième cercle.
S’il en existe un, je suppose qu’il doit y en avoir d’autres et cela valide les rumeurs sur le Haut Diable des
Incendies.

– Ce ne sont que des rumeurs !


– J’y arrive, j’y arrive. Le quatorzième jour de la dryade, j’ai conjuré un safran portant autour du cou un
étrange collier dont la pierre semblait absorber la lumière. Quand je me suis enquis de l’utilité de cet accessoire,
il me défia fièrement de l’attaquer à l’aide d’une flamme quelconque. Obéissant immédiatement, je lui lançai
une lampe à huile au visage : celui-ci continua à me regarder tout sourire sans souffrir le moins du monde de
l’huile enflammée. Cela ne dura guère car il changea
vite d’expression quand les flammes commencèrent
à faire fondre sa silhouette, qui se dissolut comme
à l’accoutumée. Visiblement, il avait surestimé les
propriétés de l’objet qu’il portait : ceci me fait dire
que tout cela était nouveau aussi bien pour lui que
pour moi.
Je suppute alors que Haborym met au point des
objets capables de combattre le feu et les distribue au
fur et à mesure à des démons de divers horizons.

– Impossible ! Cela va à l’encontre de tout ce que


l’on sait à propos des démons !
– Eh oui mon frère. Si les créatures des Abysses
ne craignent plus leur Némésis, il y a fort à parier
que le prix des connivences va grimper en flèche.
J’imagine aussi que certains royaumes farouchement
opposés à notre art vont avoir bien plus de mal à
combattre nos semblables et leurs mignons… Dans
l’immédiat, je me fais surtout du souci pour moi. Je
suis persuadé que certains démons que nous avons
occis vont chercher à se venger, et dans ce cas, nous
avons cette discussion d’outre-tombe. Oublie tes
sortilèges préférés mon ami, car ils risquent d’être
moins efficaces qu’à l’accoutumée.

En espérant que tu en profites, j’aimerais


maintenant aborder la question de mes possessions
qui, si je ne m’abuse, ne me servent plus à rien… »
Hécate, Haut Diable de l’Effroi L’EGM

Voici ce que j’ai pu recopier d’un texte gravé à même la roche dans un des sombres boyaux des Abysses. Cela n’était pas localisé dans le nocturium
d’Hécate mais ne laisse que peu de doutes quant à son auteur. La langue utilisée était très ancienne, aussi peut-il y avoir quelques erreurs de traduction :

“À eux le menu fretin, à moi la puissance ! J’ai la capacité de manipuler l’Effroi arrivant aux Abysses, tandis que mes
frères en sont réduits à l’utiliser… Comme s’ils y connaissaient quelque chose ! Je suis la seule et l’unique chef d’orchestre
de la Pavane, le chant de l’Effroi !

Malgré mes droits, je suis dans l’incapacité de garder tout cet Effroi pour moi : il y en a trop ! Les charges de chacun de
mes frères leur donnent un certain droit naturel sur lui, dépendant de sa source. Aucun de ces ignares n’y comprend rien
mais mon don me permet d’entrevoir les vagues et la saveur de ce flot d’émotions submergeant mon domaine. Ainsi soit-il :
l’Effroi de la souffrance ira à Catharss, celui de la guerre à Salmac et tellement d’autres saveurs qui m’auraient été utiles
ici bas reviennent aux autres Hauts Diables. Il en arrive de nouveaux dès que je m’absente de la Salle métallique et de plus en
plus, de nouvelles gammes m’échappent pour revenir à mes frères dégénérés.
Je suis profondément dégoûtée de constater que mes semblables n’entendent pas la Pavane… Pour eux, l’Effroi est une
source de puissance, une nourriture semblable à « l’air » que respirent les créatures mortelles en haut. Pour moi, il s’agit
d’un intense plaisir : pour la plupart, ils prennent grand plaisir à une activité particulière – bien que j’en doute, un esprit
incapable de ressentir la beauté de la Pavane ne me semble pas d’une grande sensibilité – mais quand je leur parle de la
musique de l’Effroi, ils ne comprennent rien ! Grand diable que je les déteste !”

La Pavane ?
C’est facilement explicable, et pourtant je pense que seul l’Autre sait réellement ce que c’est.
Hécate n’a vraiment que ce mot-là à la bouche : elle parle de cette Pavane continuellement, au point
de rendre fou même ses serviteurs. Tu as déjà remarqué l’air absent de certains Advocatus Diaboli
ou alors leur répulsion pour la musique ? Passe quelques semaines dans son nocturium et tu ne pourras
plus jamais écouter de la musique calmement, crois-moi.
À ce que j’en ai compris, quand de l’Effroi se produit quelque part, à la surface comme ici, c’est
comme jeter un caillou dans une rivière : des vagues se forment et se répandent différemment selon la
taille du caillou ou ta force. Je veux dire, l’apparition de l’Effroi produit un écho dans le nocturium
d’Hécate et cette démente qualifie ça de musique. Honnêtement, j’en ai entendu assez et c’est tout
sauf de la musique, si tu veux mon humble avis ; mieux vaut ne pas le lui dire en face : j’ai vu – et
entendu – ce qu’elle a fait à un de ses nouveaux serviteurs. Je croyais être endurci depuis toutes ces
années mais mon humeur s’est glacée dans mes veines… Et tu sais ce qui s’est passé ensuite ? Elle
m’a regardé d’un air extatique et a applaudi ! Elle a dit que ma peur était « imprévisible et d’autant
plus belle à entendre » ! Quand j’ai retrouvé mes esprits, je me suis rendu compte que les bruits que
j’entendais – indescriptibles – gagnaient en intensité avec ma peur, avec l’Effroi.
J’en eus la confirmation quelques semaines plus tard : tandis que je travaillais à réparer un
mécanisme – je ne savais même pas comment c’était censé fonctionner – un bruit terrible m’a mis à terre.
Je veux dire, j’en ai pleuré et ma tête m’a fait souffrir pendant des heures ! Hécate a immédiatement
surgi en trombe en mugissant, renversant tout sur son passage pour se diriger vers le mécanisme
en question ; elle s’y colla presque, comme pour capter les derniers échos de cette terrible cacophonie.
Son visage avait une telle expression, je veux dire, il ferait peur à n’importe qui dans son état «
normal », mais là son expression était vraiment inquiétante. On aurait dit qu’elle était en transe et
l’espace de quelques instants, elle était plus grande, et les ténèbres déjà totales de l’endroit semblaient
encore plus profondes… Et puis le dernier écho s’est tu dans le mécanisme et elle s’est ruée en dehors
du boyau en aboyant frénétiquement après l’un de ceux que l’on nomme paleffroiniers…
Quand j’étais encore un mortel ignorant du monde du dessous, un saltimbanque avait fait un tour
avec un morceau de quartz modéhen : la lumière entrait dans le cristal et en ressortait de toutes les
couleurs ! Il m’a dit, le plus simplement du monde, que toutes les couleurs mélangées donnaient une
lumière normale… Étrange, non ?
Eh bien je crois que l’Effroi est pareil, qu’à l’intérieur il possède des sortes de « couleurs »
différentes. Il paraît que certains mortels sont incapables de voir certaines couleurs : j’en ai
rencontré un qui ne remarquait pas le rouge ! À leur manière, les Hauts Diables ne pourraient
sentir que l’Effroi correspondant à leur charge et Hécate – mais va savoir comment cela est possible
– est la seule à pouvoir tout sentir. Je veux dire, Salmac ressent toujours quand l’Effroi d’une
bataille résonne jusqu’aux Abysses, mais il est « aveugle » à tout le reste. Hécate sent tout, sans
pouvoir le toucher. Elle est devenue complètement folle à cause de ça. Je sais ce que tu te dis :
les Hauts Diables sont pour la plupart fous d’après des critères de mortels : considère Hécate
comme démente même d’après les critères de ses semblables ! À part Develorn – qui échappe à
toute description – aucun seigneur abyssal n’aime Hécate, et tous seraient rassurés si elle venait à
disparaître. Si n’était son don de chef d’orchestre…
La maîtrise d’Hécate sur l’Effroi lui permet de le canaliser et de le redistribuer à travers les
Abysses, vers chaque Haut Diable. Pourquoi le fait-elle ? J’ai cru que c’était par devoir mais
en fait, elle le fait par nécessité, pour pouvoir goûter l’Effroi avant de l’abandonner à l’un de ses
semblables. Pour elle, même le fait de ressentir cette extase fugace est préférable à rien, même s’il
s’agit de la perdre presque aussitôt…

Si je te dis tout ça, c’est parce que mon maître s’en moque. Elle est à tel point obnubilée – non,
cela dépasse la simple obsession – que rien d’autre n’a d’importance. Être le Haut Diable de l’Effroi
donne accès à une source de pouvoir phénoménal, de celui qui maintient les Abysses et fortifie leurs
monarques, mais je crains également qu’il ne s’agisse d’un fardeau bien lourd même pour un immortel.
Je vais maintenant t’avouer quelque chose : j’ai peur. Un comble pour un serviteur du maître de
l’Effroi, non ? Je vais te dire de quoi : tous les fous que j’ai rencontrés à la surface explosent à
un moment donné, c’est inévitable. La folie d’Hécate est à relativiser compte tenu de sa nature, je
le sais bien… Mais j’ai arrêté de penser au si et je suis en train de me pencher sur le quand, car
quand la folie de mon maître va entrer en éruption, j’espère ne plus être là pour le vivre…

Les pallefroiniers
Je te souhaite la bienvenue, mon serviteur.
Je peux lire la surprise dans ton regard. Tu ne t’attendais pas à te retrouver en ces lieux, je me trompe ? Ah ! Ces mortels,
tous les mêmes ! Combien de tes semblables ont été emmenés aux Abysses par leur jumeau de Ténèbre ? Tu devais t’attendre
à ce que cela t’arrive un jour : tu as gravi les échelons de la conjuration de manière magistrale, et tes conjurations successives
d’obsidiens ont bien dû te dévoiler ton futur… Typiquement mortel, c’est ce que je dis toujours.
Je me présente : Hécate, Haut Diable de l’Effroi, comme ton cœur depuis longtemps insensible doit te le rappeler
douloureusement. Ignore ces sentiments que tu redécouvres en posant le regard sur moi, tu t’habitueras. Tu as intérêt.
Tu ne t’es jamais demandé ce que devenaient certains conjurateurs qui disparaissaient du jour au lendemain ? D’où viennent les
Advocatus Diaboli ? Eh oui, ce sont nos serviteurs, d’anciens conjurateurs trop doués pour ne pas être utiles et que nous prenons
à notre service pour que la conjuration, vieille de plusieurs siècles, continue à nous servir. Ceci dit, ne prends pas mes paroles pour
argent comptant : ce n’est pas le destin que je te réserve. J’ai d’autres projets pour toi.
Te rappelles-tu ton ancienne vie, avant que tu ne découvres le pouvoir des encres ? Tu as bien vécu plusieurs années dans ce
clan… Comment s’appelle-t-il déjà ? Aucune importance : c’est ton passé d’éleveur de chevaux qui a de l’intérêt à mes yeux. Suis-
moi, je vais t’en dire plus. »
« Ne sont-ils pas magnifiques ? Je te présente mes cauchemars…
Attention à ce que tu fais, triple opalin ! Ce ne sont pas des chevaux ordinaires ! Si tu ne fais pas attention, tu risques
d’y laisser un bras ! Les services de Vapula ou de Belphégor sont encore trop chers pour toi, qui ne m’as pas encore
servi…
Ils sont l’incarnation de l’Effroi des Hauts Diables. Oui, mes semblables peuvent éprouver ce sentiment : cela
t’étonne ? Toi-même, qui n’éprouves désormais plus ni peur ni honte, que s’est-il passé quand ton frère démoniaque t’a
amené ici, quand tu m’as vu pour la première fois ? Je vois que tu commences à comprendre. Nous les Hauts Diables
pouvons être victimes de l’Effroi : mais nous y sommes si habitués que l’émotion impliquée, tellement intense, tellement «
réelle », prend littéralement corps à la surface de l’Harmonde.
Les seigneurs des Abysses n’aiment pas voir ces manifestations de leurs propres pensées galoper à leur guise en
dehors des Abysses : les cauchemars sont puissants et dangereux pour nous, ils nous sont liés. Qu’arriverait-il si l’un
de tes consorts accordés trouvait le moyen de les utiliser contre nous ? Oui, ton passé d’accordé m’a aussi incité à te
confier cette tâche, celle d’un paleffroinier.
Tu passeras ici quelques années, de façon à connaître les cauchemars : je pourrai ainsi évaluer tes aptitudes à les calmer
et les contrôler… Tes talents devront faire le reste, je présume, car ta prochaine mission sera bien plus dangereuse :
quand tu seras prêt, je te renverrai sur ton Harmonde natal, à la recherche des cauchemars en fuite. Ce sera là ta quête
la plus ardue. Suffisamment conditionné, tu pourras suivre l’Effroi, pister les cauchemars à la trace effrayante qu’ils
laissent sur leur passage, les capturer puis les ramener ici, pour t’en occuper. Ne souris pas, car cette mission est loin
d’être facile : ton prédécesseur n’est jamais revenu de son dernier voyage. Pense à tous ceux qui seront tes ennemis :
tes anciens frères Inspirés, d’une part, qui détruiront à vue ces créatures, les serviteurs les plus zélés de notre allié de
circonstance, le Masque, qui recherchent activement les cauchemars pour s’en servir de monture ou pour les pouvoirs
qu’ils accordent sur les monarques abyssaux. Il faudra également compter sur les conjurateurs et les démons eux-mêmes,
dont les maîtres préfèrent s’occuper en personne de ces manifestations peu glorieuses de leurs peurs les plus profondes…
Oh, je t’ai fait peur ? Excuse-moi, la force de l’habitude. Je ne voulais pas te démoraliser, tu sais. Tu bénéficieras de
précieux avantages, mon organisation est sans faille : pour appâter ces magnifiques montures, rien ne vaut un Danseur
vivant et nombre de mes démons en réclament en paiement de leurs connivences. Les gardiens des Abysses ne poseront
pas non plus de problèmes : je profiterai d’une conjuration opportune pour t’envoyer sur l’Harmonde ; prends seulement
garde au conjurateur lui-même, car je ne peux pas toujours mettre à profit les créances que je détiens. Il te faudra le
rendre silencieux, à jamais. Là encore, ton cistre fera l’affaire : je n’aime pas perdre de futurs serviteurs… Une fois à la
surface, tu pourras conjurer mes troupes pour t’aider dans ta tâche mais sois discret, et évite les zones où l’un de mes
Advocatus n’est pas disponible : je n’ai aucune envie que les autres Hauts Diables sachent ce que je trame ! Enfin, un
cauchemar dressé est capable de se rendre à volonté dans les Abysses : une des nombreuses raisons pour lesquelles je
les préfère ici, sous bonne garde, plutôt que batifolant n’importe où.

Je connais ta prochaine question : pourquoi ramenons-nous les cauchemars ici, plutôt que de les détruire ? Parce que
justement, le pouvoir qu’ils confèrent à leur maître sur les Hauts Diables est trop précieux pour être perdu, alors que
je peux en faire un usage plus… approprié. Je peux utiliser de cet Effroi palpable pour inciter l’un de mes semblables à
prendre une décision à laquelle il n’aurait jamais pensé en temps normal, mais les possibilités sont infinies ! Je suis loin
de pouvoir tous les manipuler à ma guise, car mes paleffroiniers ne sont en place que depuis quelques siècles : à la fin
de celui-ci, j’espère avoir suffisamment de ces créatures en ma possession pour avoir goûté à l’Effroi de la plupart des
Hauts Diables… J’en tremble d’impatience ! »
Jaranapale
L’EGM

12e jour de la dryade


Ai été accueilli par un démon à mon arrivée. Orucsbo, cet ignoble double pathétique, m’a laissé ici ! Peu
de temps pour écrire : ne sais pas où je suis, et espère ne pas y rester.

13e jour
Suis enfermé depuis des heures. Une bibliothèque, à première vue : les écrits sont fermés par des scellés
impossibles à rompre. Quelle ironie ! Je me trouve peut-être dans une des légendaires Archives abyssales et
je suis comme aveugle !

14e jour
Ai réussi comme par miracle à briser un scellé : le rouleau à parchemins contient presque toutes mes
connivences ! Je croyais qu’elles étaient sous la garde des Advocatus. À creuser. (L’écriture est illisible ici)
les plus récentes ne sont-elles pas ici ?

17e jour
Je suis seul la plupart du temps, sauf quand un démon vient m’observer, curieux. Je suis en mesure
d’écrire plus que les quelques mots des jours passés. Je me sens comme un voyeur : j’ai pu lever de
nombreux sceaux. Les mots de passe sont très simples : (le parchemin a été brûlé sur une bonne longueur)
pour avoir accès à des secrets dépassant l’entendement ! Je dois en ramener avec moi si j’arrive un jour à
sortir d’ici !

23e jour
Je ne sais pas qui accumule toutes ces reliques mais il n’est pas très organisé : son classement n’a ni
queue ni tête. Des pièces manquent : les archives concernant des conjurateurs que j’ai connus, par exemple.
Foutre diable, quel désordre ici !

24e jour
Agréable surprise. J’ai reçu un visiteur qui n’était pas un démon : un vieil homme étrange (toge,
bésicles… un érudit ? Ici ?). Je vois parfaitement dans le noir, pourtant l’obscurité autour de lui était
presque insondable. M’a l’air important, les démons s’écartaient sur son passage.
Il m’a demandé comment j’allais et ce que je pensais de la bibliothèque : ça fait des jours que je croupis
dans ces archives poussiéreuses ! Il a ri. Qu’ai-je dit de drôle ?

25e jour
L’érudit mystérieux est de retour. Il m’a raconté les origines de la conjuration sur le site d’Abyme, la
nature des connivences impériales, les premiers de tous les contrats abyssaux, et des Clercs obscurs. Je lui
ai signalé que ce qu’il me racontait n’était peut-être pas à la portée des conjurateurs qu’il a l’habitude de
rencontrer, mais que j’étais d’un autre milieu ! Il a de nouveau ri (pourquoi ?) et m’a laissé.

27e jour
Enfin, il est revenu. J’avais hâte de revoir mon visiteur : il a l’air de savoir de nombreuses choses.
Hélas, il a de nouveau été très laconique. Puis-je avoir l’espoir qu’il étanchera ma soif de réponses ?
Il m’a parlé d’un homme de loi très doué du temps d’avant l’Éclipse : Jaranapale. L’un des premiers
mortels à avoir découvert le pouvoir des Abysses, et qui se proposa comme intermédiaire entre les Hauts
Diables, les seigneurs des Abysses, et les empereurs de l’Harmonde. Un tel homme a-t-il vraiment existé ?
J’en doute…
Avant de me laisser à nouveau parmi les montagnes de vélin humide, il m’a dit quelque chose d’étrange, que
j’essaye de retranscrire ici : la loi n’est pas qu’un texte appliqué sur un parchemin ou une pierre. La loi
est. L’Harmonde est régi par des lois établies il y a des siècles par les Éternels : pour affronter ces lois,
il faut utiliser les mêmes armes que les Éternels eux-mêmes. Qu’est-ce que ça signifie ?

28e jour
Je n’arrive pas à croire que j’ai pu être si aveugle ! L’évidence me crevait tant les yeux que ma
conscience n’a sans doute pas pu se résoudre à l’accepter dans la situation qui est la mienne. Mon intuition
est la bonne, j’en suis sûr ! C’est un test ! Un simple test ! L’identité de mon mystérieux visiteur devient
moins obscure à mesure que je rassemble les pièces du puzzle : le désordre était là pour observer mes
réactions. Je tremble d’anticipation, la question qui peut m’être fatale me brûle les lèvres… Je le ferai
ce soir et avec un peu de chance, je deviendrai son serviteur dévoué. Quelle fortune cela serait d’être aux
ordres d’un esprit si brillant ! […]

Extrait du journal d’Obscuro, conjurateur


Éminences noires ?
Messires, bonjour.

Je me présente : Desclave Embrosio, Advocatus Diaboli en charge des archives de la


Ténébrographie, à la demande de notre illustre parrain Jaranapale, Haut Diable des Archives,
Maître ès connivences, Seigneur des [les titres s’étalant sur tout un paragraphe, j’ai interrompu
mes notes].
Vous avez été regroupés dans cette salle (vous aurez bien sûr noté qu’il s’agit de la troisième
annexe des Grandes Archivalles de Jaranapale), en vue de votre préparation à une mission de la
plus haute importance : soutenir une confrérie assez récente puisque formée depuis quelques mois
à peine, les Ténébrographes, dont je suis le coordinateur. L’objectif de la présente réunion est
de vous former afin que vous puissiez à votre tour prendre en charge les Advocatus Diaboli sous
le parrainage d’autres Hauts Diables.
Les Ténébrographes, dont je suis le fier étendard à la Salle Métallique, ne sont qu’un élément
d’un plan ambitieux qui consiste à répertorier toute l’influence abyssale sur l’Harmonde pour
ensuite en tirer profit. Si ce projet ne fait pas l’unanimité parmi les régents du dessous, notre
maître ne doute pas que son intérêt fera plier les derniers récalcitrants.

Les Cahiers noirs

Notre travail, en coopération avec les Advocatus


Diaboli, est de compiler et de mettre à jour aussi
régulièrement que possible toute information ayant trait
au pouvoir des Abysses sur l’Harmonde. Je vous invite,
pour plus de précisions, à consulter le rapport de
messire Sarafin sur ce que nous appelons les Cahiers
gris, disponible en annexe de votre documentation.
Aujourd’hui, chaque Advocatus Diaboli est parrainé
par un Haut Diable. Ce dernier sait donc tout ce que
sait son serviteur de la surface : chaque monarque
ténébreux possède donc en lui un fragment de toutes
les connaissances utiles aux Abysses. Le seigneur
Jaranapale est le seul entre tous à posséder une
vue d’ensemble puisqu’il a la garde de toutes les
connivences passées, présentes et à venir : cette vision
est malheureusement imparfaite car ne représentant
qu’une facette de nos activités à la surface. Cet état
de fait, selon notre maître à tous, a assez duré.
Serviteurs de Jaranapale, vous connaissez l’existence
des Clercs obscurs, les premiers d’entre nous : sur
ordre de notre maître, ils seront vos superviseurs.
Je vois que certains d’entre vous sont surpris, mais
réfléchissez à cela : qui serait mieux placé pour
la synthèse de ces Cahiers noirs que ceux qui ont
la garde des connivences impériales et ont accès depuis la naissance de la conjuration à la
totalité des archives ? Le choix de notre seigneur, comme toujours, suit une logique infaillible
et son projet mûrit depuis des siècles. Je ne doute pas que vous perceviez la justesse de son
raisonnement.
Les Ténébrographes, dont je fais partie, auront pour tâche de cartographier les lieux
enténébrés de l’Harmonde, de les mettre à jour, ainsi que d’enquêter sur des sites connaissant
de nombreuses conjurations. Nous inciterons ainsi les conjurateurs et leurs groupuscules à
s’installer dans ces lieux, qui rendent la conjuration plus aisée et les démons plus forts, ou à
convertir d’autres endroits pour que l’influence de la Ténèbre ne reste pas confinée à ces seules
zones.
Les Noctologues se spécialiseront dans l’étude de la faune et de la flore transformées par la
Ténèbre, à l’élevage, l’utilisation et la dissémination de ces créatures. Ils seront affiliés au
seigneur Vapula.
Les Enginneurs seront sous la responsabilité du seigneur Belphégor, et auront pour tâche le
transfert des savoir-faire abyssaux à la surface de l’Harmonde. Le Ténébrœil, les prothèses
mécaniques de Belphégor, mais aussi les griffons de Vapula doivent impérativement montrer
aux mortels que les Abysses leur seront profitables. L’objectif est bien sûr d’infiltrer les
marchés des royaumes à un tel point que le jour où l’origine de ces savoirs sera découverte, les
hommes et les saisonins l’acceptent comme allant de soi.
Les Advocatus Diaboli mis à contribution nous transmettront toutes leurs recherches et leurs
notes, de façon à établir un panorama de la conjuration, des personnalités sous l’influence des
A d’en
USnous soient
Hauts Diables. Ils continueront à être les yeux et les oreilles des Abysses dans le monde
haut de façon à ce que même les agissements du plus insignifiant des conjurateurs
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immédiatement connus et inscrits dans notre grand plan.
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Les Sombreguides, enfin, seront la pierre angulaire de ce projet E J: Aleur mission sera A
d’accompagner, guider et encadrer des compagnies entières O
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pratique le savoir contenu dans les Cahiers noirs. Ils
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constaté cela pour toutes les Abysses.
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Certains Hauts Diables
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T A le secret absolu entourant sa préparation – et tenteront par tous les moyens d’y
eu l’écho – malgré
mettre unE terme : la protection de ce savoir deviendra vite primordiale. Nos maîtres cherchent
actuellement un endroit dans les Abysses ou ailleurs qui conviendrait à leur conservation : les
sites retenus comprennent, entre autres, la strate interdite se trouvant pour le moment sous le
golfe d’Ébène ou le domaine privé d’Haagenti, si jamais ce dernier accepte de se joindre à
nous.
Mes amis, chers collègues, nous sommes au commencement d’une ère nouvelle, une ère qui
a débuté avec l’apparition de la Treizième Heure. Aujourd’hui je vous le dis : le futur de
l’Harmonde, ce sont les Abysses !

SAUREZ-VOUS RESISTER A VOS PROPRES


ARMES ?
La cour des Abysses
Extraits du journal de Komo Bolreï, grand couturier de la cour du prince de Shushan
Mangelune

Premier jour
J’ai décidé en ce jour sombre de commencer la rédaction d’un journal : la situation dans laquelle je me trouve est en
effet des plus invraisemblables ! Songez un peu : moi, Komo Bolreï, le plus grand Créateur des sublimes Communes
princières, moi qui fus félicité par l’Empereur des Douze Cieux lui-même, j’ai été victime de quelque gâte-tissus
jaloux qui m’a fait enlever par une créature monstrueuse ! J’ai été arraché à ma terre natale et expédié dans les tréfonds
des Abysses comme le premier conjurateur venu et me voilà forcé de plier devant la brutalité d’un démon immonde et
prétentieux du nom de Gloiramère. Qui aurait pu croire qu’une bête aussi stupide pourrait oser prétendre m’utiliser
comme on use d’un artisan du commun ?
Enfin… J’ai bon espoir que ce journal m’offre quelque chance de salut. En attendant de trouver une occasion de le
faire parvenir au dehors, je vais m’employer à décrire aussi fidèlement que possible mon calvaire. Qui sait ? Peut-être
pourrai-je persuader mon geôlier que mes talents exceptionnels ne sauraient être confinés dans les ombres. Ce monstre
étant des plus impressionnants, j’ai toutefois choisi pour l’heure la ruse plutôt que l’affrontement. Voici ma situation :
mon immense réputation étant parvenue à ses oreilles, Gloiramère pense avoir trouvé en moi le moyen de s’illustrer aux
yeux de la cour des Abysses, lieu où les seigneurs d’en-dessous décident du destin des communs. Il m’a, entre autres
choses absurdes, parlé d’une nouvelle mode qu’il était nécessaire de contrer, quelque chose à base de morceaux de démons
ou je ne sais quelle folie… Voyant là un moyen de préserver ma vie quelques jours de plus, j’ai accepté son offre, non
sans lui avoir fait remarquer combien il était rare que l’artiste anobli par le grand Prince des Sept Palais en personne
se laisse aller à ce genre de bontés.
Je compte bien mettre à profit le peu de liberté qui m’est accordé pour trouver un moyen de faire gagner la surface
à ce journal. Ce message s’adresse donc à vous, honnête homme de lumière : vous devez à tout prix porter cet ouvrage
aux plus hautes autorités de votre royaume ! Nul doute qu’une substantielle récompense vous sera accordée pour votre
participation au plus important sauvetage de ce siècle !

Deuxième jour
Je n’ai pas encore été présenté à la cour de la Salle Métallique – le grand palais des ombres – ni n’ai pu visiter les
Abysses. Gloiramère a absolument voulu m’expliquer quelques détails concernant la civilisation démoniaque. Il s’est
avéré bien entendu que je n’avais rien à apprendre d’utile d’une aussi frustre société, mais la politesse m’incitait à écouter
d’une oreille distraite toutes ces absurdités. Nous avons principalement devisé sur l’étiquette, cette loi sociale qui régit
la cour abyssale avec sévérité. Reprise sans imagination de nos propres lois célestes, elle est à la fois le moyen et le but
: seuls les démons les plus purs – j’ignore les raisons de ce terme – sont à même d’en retenir toutes les nuances et seuls
les plus versés dans son art peuvent obtenir les faveurs des puissants.
Toutes les phrases, tous les gestes, toutes les personnes doivent être régis par elle. Être civilisé, c’est faire correspondre
à une situation donnée une attitude unique et absolue. Les démons semblent admirer notre civilisation et croire qu’en
poussant nos coutumes à leur paroxysme, il leur sera possible de dépasser le modèle et de devenir l’exemple à suivre.
Louable effort si ces bêtes étaient à même d’un tel exploit ! Il se trouve hélas que, tel l’enfant maladroit imitant son
père, le démon se contente de reproduire sans comprendre les gestes soigneusement élaborés par des générations de nobles
princéens. Gloiramère devisait avec fierté sur la soi-disante perfection qu’atteignait la cour des Abysses, pérorant sur
les gestuelles, les lois, les coutumes sans jamais pouvoir en expliquer les fondements ! Il ignorait tout bonnement que la
révérence traditionnelle – main gauche pliée dans le dos, main droite balayant le sol d’un geste large et tenant un chapeau
à plume de paon dressée – se devait d’être pratiquée suivant une courbe caractéristique en raison du très honorable décret
du prince Yoma, maître reconnu des sciences des Sept Vents et de l’Équilibre du Corps Harmonieux !
De surcroît, en dépit de tout ce qu’ils nous doivent, ces créatures jalouses nous détestent ! Nous leurs sommes
inférieurs, comme si la violence dont ils sont capables les plaçait au sommet de toutes les espèces ! Ils me rappellent à
moi ces oiseaux colorés qu’on rapporte de l’Enclave, à la fois stupides et capables néanmoins d’imiter comme par magie
la voix humaine…
L’étiquette définit près d’une centaine de charges officielles et prestigieuses. L’une des plus honorables semble être
celle de Conservateur des Révérences. Ces démons sont les juges des crimes commis à la Cour – lèse-diable, faute de
maintien, honnêteté choquante, port de vêtements de couleur supérieure – les occasions ne manquent pas. Ce sont également
des scribes scrupuleux qui notent et consignent les décisions des Hauts Diables et les modifications de l’étiquette. Ils se
doivent en effet d’en connaître les moindres détails ; sa complexité est cependant telle que les gardiens passent souvent des
jours à ergoter avant de rendre le moindre verdict, et il arrive fréquemment que la délibération dégénère en combat sanglant.
Selon Gloiramère, les démons carmins sont les plus à même de remplir ces fonctions, en raison de qualités particulières
telles qu’une très grande connaissance des royaumes crépusculaires et de leurs coutumes, de leur mémoire infaillible mais
également, dirais-je, de leur immense vanité – ceci n’étant qu’une déduction tirée des manières de mon hôte qui se trouve
– un tel hasard ne saurait être ignoré – être carmin également…

Les créatures des Abysses ne peuvent mourir mais renaissent, semble-t-il, privées de toute mémoire. Or un courtisan
amnésique tend à oublier l’étiquette et se voit rapidement relégué en bas de l’échelle. Ceux qui s’accrochent à leurs avantages
s’efforcent donc de ne pas être conjurés, ou tout du moins de ne pas prendre de risques en signant leurs connivences. Il
peuvent également avoir recours à l’échange de faveurs : ceux qui le veulent sont conjurés à leur place et exécutent pour
eux les tâches demandées. Aussi n’ai-je même pas été enlevé par Gloiramère – le pauvre était bien trop intimidé par la
garde que m’avait offerte le sultan de la légendaire Ramsalah – mais par l’un de ses fidèles briguant une bonne place à la
cour. Aucun démon n’osant avouer sa peur de la mort, tous arborent un certain mépris pour la conjuration et surtout pour
les tâches violentes qu’ils jugent indignes de leur statut. Il est donc extrêmement risqué de conjurer un membre de la cour
pour une mission mettant en jeu sa vie. À moins de jouer sur la vanité excessive de certains…

Il semblerait enfin qu’une partie de la population abyssale, rejetant toute influence humaine, s’efforce de se maintenir
hors de la cour qu’elle juge décadente et grotesque. À écouter Gloiramère, on jurerait que ces monstres ne sont que des
barbares avides de violence et de sang. Ce seraient ces créatures qui empêcheraient les démons de pouvoir vivre parmi les
hommes : leur aspect, leurs mœurs écœurantes pleines de sacrifices et de banquets de chair seraient même à l’origine du
bannissement des êtres ténébreux sous terre. Je pense que courtisans et sauvages – c’est ainsi que je les appellerai – se
détestent cordialement et croient suivre la voie authentique tracée par leurs maîtres. Les seuls capables de se souvenir des
premiers jours se moquent sans doute bien de ces querelles éthiques.

Quatrième… cinquième ? jour.


Toutes les choses qui m’étaient naturelles se sont changées en caricatures monstrueuses… Je ne peux pas vous décrire
les lieux cauchemardesques que j’ai dû traverser avant d’arriver à la Salle Métallique. Démons de toutes formes, de toutes
informes plutôt, tant la notion de silhouette plus que d’apparence semble prédominer là-bas, émergeant à demi formés
depuis les ombres ; bacchanales infernales sans commun rapport avec les gravures liturges, grossières entités de graisse
obscure vomissant leurs membres sur de pourrissantes carcasses, cadavres exorbités, le corps parcouru de milliers de vies
– de non-vies – grouillantes et fouissantes…
À l’opposé de ces terres d’hallucinations, la Salle Métallique est le lieu des horreurs que masque la Raison. Plus
de silhouettes, les démons se révèlent ici dans leur « grandeur » dépravée. C’est à cet instant, je crois, que les derniers
lambeaux de confiance m’ont quitté ; j’avais encore en tête les fastes de notre cour, les jeunes nobles parés de soies et de
pierreries, les raffinements distingués des dames, l’ironie mordante des favoris, et toutes ces règles auxquelles se prêtent
avec grand soin nos pairs, ces lois qui séparent roturiers et seigneurs, civilisés et sauvages du levant, autant de souvenirs balayés
d’un seul revers par la monstruosité. Une assemblée de créatures grotesques engoncées dans de la soie, ricanant, flattant d’une
voix aigrelette, rampant face à leurs maîtres terribles. Au centre se tenait la Bête dans toute sa splendeur, l’Animal
qui est en chacun, gigantesque et puissante, désespoir de violence, gardien impassible de cette diabolique cour
des miracles. Tous tournant autour du trône de fer, cathédrale froide s’élevant jusqu’aux cieux…
Elle ? Il ? Pardonnez-moi, je divague et j’écorche. Cette chose n’avait pas un sexe mais plusieurs, en changeant sans cesse
sous mes yeux, rentrant, sortant, encore et à jamais. Les démons n’ont pas à proprement parler de genre : parfois hommes, parfois
femmes mais souvent les deux à la fois, variant au rythme
des conjurations. Vous devez connaître l’importance
des joutes verbales dans nos royaumes, les hommes
cherchant dans les règles à séduire les dames… Ici
tout démon doit choisir un sexe et s’y tenir, qu’importent
les organes qu’il possède. Les « mâles » doivent séduire
les « femelles », en leur offrant des présents, en mettant
hors d’état les autres prétendants… J’ai vu des
succubes jouer le rôle de galants et des monstres virils
tomber en pâmoison ! Je dois vous parler
de leurs tenues, tout cela est tellement ridicule. Les « hommes
» pensent qu’il faut être sévère et droit : ils portent des grands
manteaux sur des chemises bien trop étroites, déchirées
sous la pression de ces torses grotesques, mais aussi des bas
de soie incapables de contenir leurs
jambes difformes, tout cela dans des matières aussi précieuses que de
la soie d’araignée lunaire, prête à se rompre sous la pression
des poils, des carapaces ou de je-ne-sais-quelle excroissance
! Tout ce blanc, tout cet argent, tout ce rouge tachés de noir,
de marron hideux, de sang ou d’excréments ! Les « femelles »
portent de grands paniers encombrants qui les obligent à se
dandiner, et s’écrasent la « poitrine » avec des corsets
étouffants avant de coller sur leurs têtes monstrueuses
de grosses perruques poudrées. Plus la matière est fragile,
plus elle plaît : j’ai vu un véritable défilé de dentelle
de pierre et de broderie organique. Il faut que tout geste un peu
ample risque de déchirer l’ensemble, et tous ainsi semblent si figés, si
ridiculement gênés ! Les humains savent lorsque la surcharge menace ;
les démons eux n’ont aucun sens de la mesure ! Les
traînes font des lieues, les perruques – arrachées à d’authentiques crânes –s’empilent jusqu’au plafond dans un équilibre
brinquebalant et les courtisans utilisent des tissus si bien traités qu’ils en deviennent plus rigides que le métal et que leurs
porteurs écrasés finissent immanquablement par en mourir ! Ce ne sont que des faces grimaçantes,
des horreurs ankylosées et raides, des monstres hideux serrés dans de la soie
sombre. Tous mimant nos gestes
et nos beautés, les broyant de leurs sabots et de leurs pinces, déchirant ce qu’il y a de noble en une sarabande ignoble et
dégueulasse… Répugnante… Les mots m’échappent. La bile ravage ma gorge enflammée. Gloiramère va venir réclamer
son dû. Je ne peux rien faire.

Journal, jour… quelle importance ?
Je dois fuir… Partir… J’ai essayé, je le jure.
J’ai tout fait. Pitié, trouvez ce journal je vous en prie, ce n’est pas un témoignage, c’est un appel à l’aide. Un démon sur le point
veut se débarrasser de moi.
d’être conjuré a accepté de le prendre. J’ai payé très cher. Je n’ai rien pu faire, Gloiramère
Les hommes ne peuvent pas les aider, tout cela est bien trop… inhumain. Des colliers d’entrailles, des greffes
démoniaques, la peur et la folie… Je veux partir. J’ai peur. Je veux vivre !!!!
Vapula, prince griffon
Extrait des pièces à conviction présentées à la Bête dans le cadre de l’enquête sur les rumeurs
d’expérimentation mettant en jeu la semence de ses enfants.
Thabanne

Chers sages,

Il est manifeste que cette abomination issue de la famille Doucétoile a trouvé refuge
aux Abysses. Ses folles expérimentations ont attiré l’attention d’une sombre puissance, de
celles qui gouvernent les Abysses démoniaques. Un parrain, un mécène, comme le veut
l’usage chez les plus dépravés des conjurateurs. Un prince des monstruosités et des folles
expérimentations, que l’on nomme, par noire vénération ou franche dérision, le prince de
la perfection, seigneur des griffons.
Vapula.
Je ne peux réprimer un frisson en écrivant ce nom. Pour vous, il n’est sans doute
qu’un Haut-Diable parmi d’autres, l’une des incarnations de la perversion des Abysses.
Certains éléments suggèrent pourtant que ce monstre est l’un des plus intimes – et des
plus anciens – ennemis du Printemps.
L’une de ses créatures, un démon à la peau d’un bleu de nuit, aux ailes d’une
infinité de losanges entrelacés, a tenté d’une voix vibrante de me décrire le génie inventif
de ce mécène des arts de la vie. Les arts de la vie ? Deux pathétiques plaisanteries :
un art ? Plutôt une folie torturée. La vie ? Une parodie d’existence, misérable
caricature de la création de la Dame.
Le domaine de Vapula est celui des créatures altérées par la Ténèbre. Ses serviteurs
arborent fièrement des membres surnuméraires qui semblent surgir d’une masse difforme
mêlant traits animaux et humains – ou saisonins. Lui-même serait un géant à la
peau d’ébène moiré de sanguine, dont l’apparence varie au fil de ses mues. Sa
dernière incarnation est celle de la beauté ténébreuse, quand la précédente fut celle
de l’horreur suintante. Il me fut décrit comme une masse anthropoïde et démesurée, à
la tête difforme, présentant une bouche couverte de tentacules et des yeux énormes et
globuleux. Il serait désormais un géant au visage d’une perfection impossible, à la beauté
sculpturale d’un éphèbe carme. Ses deux ailes ornées de plumes d’un rouge sang presque
noir, il marcherait, nu et asexué, au milieu d’une cour de créatures difformes qui ne
rêvent que de passer entre les mains du monstrueux griffeur, seul capable de leur faire
tendre vers la nouvelle beauté du Haut-Diable.
L’on prétend que chaque difformité qui orne le corps d’un ténébreux est l’un de ses
présents. L’on prétend également, ici sur le marché de l’Outrerive, que le prince et
sa cour ont entamé, depuis des siècles, un parcours initiatique, jalonné de multiples
transformations physiques, censé mener vers une perfection abyssale. Au fil de cette quête
sont nées la plupart des ténébreuses créatures qui parfois hantent nos bois et nos forêts,
alors que s’étendent les ombres. Vapula ne donne pas la vie. Il ne la prend pas non
plus. Il la transforme, il la modèle avec perversité et passion pour la faire correspondre
à sa vision corrompue qu’il pense idéale. Il est le modeleur de l’Ombre. L’on prétend
que de ses mains, il sculpte l’ombre et transforme par conséquent le corps de l’animal ou
du mortel.
Nul ne fait mystère de la nature de Vapula. De ses goûts et de ses aspirations,
tout du moins. Car ce qu’il fut avant d’être un Haut-Diable, nul ne le sait. Mes
recoupements, cependant, sont formels… Le prince griffon est bien l’une des pires
créatures des Abysses, et ses horreurs pervertissent depuis des siècles l’œuvre des Dames.
Il est le parrain des animaux maudits, et il semble que les griffons des roches soient
l’une de ses expériences avortées. Les malsuinteux sont ses enfants, arbres pervertis par la
semence des satyres ténébreux. Il parraine les expériences démentes de fous comme Estim
Doucétoile, fusions impies de la chair, de la sève et de la Ténèbre, fruits et racines
pervertis d’esprits malades. Mes nuits sont toujours hantées de ce que nous découvrîmes
dans son laboratoire…
Mais il y a pire. Le parrain des jardiniers fous semble être celui qui fournit autrefois
à l’Ombre le cadeau empoisonné qui devait, avec la trahison de Farfa, sonner le glas
du Primarbre : les chloronstres ! Oui, j’en suis certain ! Les chloronstres sont bien les
créations de Vapula. C’est de sa perversion que naquirent la folie et la souffrance de
ces créatures innocemment offertes par l’Ombre à notre Dame.

Balaën Pâlécorce, capitaine de la Garde verte de Hautoyance

12 nymphe 1433
Hé hé hé… Le bras azurin griffé hier au vicomte lui a réservé quelques surprises. Il ne voulait pas d’un opalin, et s’estimait assez malin pour
dominer un azurin. Ce fat prétentieux… Je pouffe à la seule pensée du résultat : son bras prend l’initiative de traduire en gestes obscènes
ses pensées les plus secrètes !

14 nymphe 1433
Cet intrigant a monté l’ambassade janrénienne contre moi. Il a excité la foule et quelques imbéciles sont venus lancer des pierres contre
mes fenêtres. Mais il ne sera pas dit que les manigances d’un mécréant feront reculer le progrès. Abyme sait bien ce qu’elle me doit. Ne
viennent-ils pas de l’Harmonde entier, puissants et miséreux, mages et barons, me quémander le miracle qui leur rendrait, qui la vue, qui une
main perdue lors d’une bataille, qui l’usage de ses jambes ?

16 harpie 1433
J’ai sous-estimé ce vicomte. Les juges d’acier deviennent trop pressants, je dois fuir. Comment veulent-ils que j’exerce mon commerce, s’ils
se mettent à me priver de ma matière première ? Comment, sans mes chers organes frais, serai-je en mesure de conjurer mes prothèses
opalines – ou azurines, imbécile de Janrénien ? Pourtant, je ne choisissais ma matière première que dans la lie de la cité des ombres. Qui
eût cru que la noblesse d’acier se souciait des miséreux des Trabouliennes ? Bref. Mon assistant me propose de le rejoindre aux Abysses
où notre science trouve apparemment de nouvelles applications. Maître Ikstrsh, celui qui griffe : je l’ai nommé d’après la douce mélodie de la
scie sur les os et d’après l’art de Vapula, Haut-Diable des griffons et grand spécialiste de la manipulation des chairs mortes ou vivantes.
Il a trouvé un nouvel usage à mon art, et les opalins ne sont plus conjurés pour remplacer les organes pourris d’une bande de privilégiés
indignes, mais utilisés comme prothèses ténébreuses pour les démons soucieux d’évoluer…
18 harpie 1433
Les Abysses, enfin… Nombre de conjurateurs pestent contre l’incapacité notoire des démons – en dehors des diablotins – à apprendre
quoi que ce soit. Ils sont en effet tout bonnement incapables de progresser. Il ne s’agit pas là de stupidité, mais d’une étrange tournure
d’esprit qui me reste incompréhensible.
Un démon peut s’entraîner autant qu’il le désire, compulser les plus savants grimoires, il est incapable de profiter le moins du monde du
fruit de ses efforts. Cela frise le ridicule lorsque l’on sait que les démons de savoir les plus talentueux voient leurs connaissances deve-
nir obsolètes alors qu’évolue le monde de la surface ou des Abysses. Ils restent évidemment des puits de science sur les mystères des
temps passés, mais ils ne seront d’aucune utilité pour saisir les finesses des royaumes crépusculaires d’aujourd’hui. Pour les conjura-
teurs, cette faiblesse peut être insensible si leurs rencontres successives avec un démon du troisième cercle, ou des cercles supérieurs,
restent proches. Pour un Déchu comme moi, qui fréquente l’engeance de l’Ombre depuis cinq décennies, les conseils de mes sombres
amis les plus anciens ont un doux parfum de rance… Bien entendu, c’est là un constat qu’il vaut mieux ne pas formuler ouvertement
devant un vermillon.
Je me suis souvent demandé comment ces anciennes créatures faisaient pour s’adapter aux challenges des temps modernes. Évidem-
ment, leur formidable intellect pallie l’ancienneté de leur science. Mais quand même. Imaginez que même les plus doués des carmins ne
parviennent pas à saisir les nuances d’une langue issue d’un royaume plus jeune qu’eux ! Seuls les obsidiens, semble-t-il, sont capables
d’évoluer… mais leur mépris pour les mortels est tel qu’ils s’y refusent, tout bonnement ! Cette incapacité à s’adapter risque évidem-
ment de leur coûter l’intérêt des conjurateurs, et de leur rendre la surface inaccessible. Les démons ont donc trouvé une solution fort
ingénieuse, par Vapula !

19 harpie 1433
L’atelier de maître Ikstrsh est caché dans les sombres recoins perdus entre l’Outrerive et le domaine de notre parrain. Ce safran
possède un talent caché pour une science en plein essor, un art qu’il développe grâce à mon enthousiaste participation. Pensez que je
suis indispensable à l’une des plus ingénieuses révolutions abyssales. Grâce à nous, une ère de confort et de progrès s’ouvre pour les
Abysses !
Griffé derrière l’orbite d’un vermillon, le cerveau d’un opalin spécialisé dans le droit urguemand lui confère une partie de ses connais-
sances. Suturée sous son oreille gauche, la moitié droite de la cervelle d’un saphirin courtisan offrira à son nouveau porteur ses talents
pour la diplomatie et l’éloquence, son art de l’étiquette et des finesses du langage. Plus puissant le démon prélevé, plus important le
gain pour le démon griffé. C’est ainsi que nous nommons les bénéficiaires de notre art, en hommage à notre parrain, Vapula.
Bien entendu, il faut parvenir à persuader le donneur, ce qui ne demande qu’un peu de violence dans le cas d’un opalin… Je tremble
par anticipation en imaginant la demande formulée la semaine dernière par un ambré désireux de s’approprier le savoir d’un vermillon…
Quelle expérience prometteuse ! La difficulté sera, bien entendu, d’obtenir la matière première, mais nous avons de puissants pro-
tecteurs, et bien peu osent se dresser contre le progrès que nous incarnons : chacun espère un jour profiter de notre talent !
Je me demande simplement si un démon inférieur sera capable de plier à sa volonté un sombre fragment d’un démon qui est son égal,
ou pire, son supérieur. L’expérience du bras azurin me semble indicatrice des problèmes à venir. Nous avons déjà observé la mauvaise
volonté des membres surnuméraires. Certains azurins ont parfois quelques difficultés à plier les cerveaux opalins à leurs désirs, c’est
pourquoi nous n’enfermons pas les cervelles griffées sous une plaque osseuse : il faut pouvoir les écraser un peu pour en extraire le suc
lorsqu’elles sont récalcitrantes…
Le griffage va bien au-delà de ces simples fragments de savoir. Nous avons réussi à améliorer les capacités physiques et mentales des
démons en usant d’opalins et d’azurins spécialement conjurés pour l’occasion ; ma spécialité. Le talent de maître Ikstrsh, lui, est unique
: s’il est comme moi et nos serviteurs opalins spécialisés capable de réaliser la délicate chirurgie qui consiste à prélever puis à griffer,
seul son talent permet le succès de l’opération. J’ai appris que certains safrans avaient essayé de nous concurrencer sur notre propre
terrain. Un échec cuisant, et jubilatoire.
27 harpie 1433
Je reviens d’Abyme. J’y ai conjuré l’une de nos plus grandes réussites, un opalin filiforme dont l’organisme, griffé sous la peau d’un
ambré, offre des capacités de transfert de la volonté aux membres tout à fait stupéfiantes. Sa dextérité comme sa rapidité s’en
sont trouvées grandement accrues.

12 troll 1434
Le griffage prend une ampleur politique : nous offrons enfin aux démons le moyen de dépasser leurs limites pour prendre le dessus
sur leurs rivaux, ou tout simplement profiter plus pleinement de l’existence. Oserai-je vous citer cet incube désormais doté de quatre
vits et de trois vagins – il désirait explorer toutes les nuances du plaisir charnel ?

15 troll 1434
Les conjurateurs me demandent désormais comment conjurer des démons améliorés par nos soins. Il est impossible, à moins de con-
naître son nom, de choisir un tel démon. Mais je sais que certains ont désormais la confiance des conjurateurs et que leurs séjours à
la surface se font de plus en plus nombreux. Voilà qui augure bellement pour les années à venir…
Et puis, certaines conjurations réservent du coup une sacrée surprise à l’heureux conjurateur… qui devra en assumer la contrepartie
dans sa connivence.

2 centaure 1434
Les démons détruits à la surface renaissent sans leurs griffons. Et leurs griffons renaissent, libres et entiers… Depuis que cette
nouvelle circule dans les Abysses, j’ai appris que les accidents se multiplient pour les démons griffés invoqués à la surface. Mais
peut-on parler d’accident lorsqu’une paire de crocs ou d’ailes supplémentaires refuse de coopérer dans une situation critique ?

21 phénix 1435
Un Advocatus Diaboli représentant les intérêts de stupides démons de deuxième cercle a fait part d’une plainte à la Bête : notre
œuvre créerait des distorsions déloyales de la concurrence. Sommes-nous responsables de ceux qui refusent notre talent ? De toute
façon, Vapula nous protège, et je sens bien que les Hauts-Diables n’ont pas envie de voir notre art disparaître, car certains nous
incluent désormais dans leurs intrigues tortueuses.

5 hydre 1442
Nous avons lancé une nouvelle mode ! Des succubes arborent désormais avec fierté des « bijoux » constitués de fragments d’opalins
et de saphirins. Plusieurs courants se dégagent : la tendance tribale, griffes et crocs en pendeloques émergeant des oreilles, en
pendentif ou en diadème. La tendance keshite, voiles en ailes opalines et perles d’yeux. Le courant boucanier, anneaux et bandeaux…
Une vraie manne !

15 nymphe 1454
Ma peau parcheminée en frémit encore d’excitation. Notre succès dépasse nos espoirs les plus fous. Imaginez qu’un Haut-Diable est
venu nous rendre visite afin d’évoquer quelques difficultés qui mettent à mal ses protégées depuis des millénaires… Une connivence
injuste, qui bafoue son honneur et sa fierté, mais nous avons imaginé des solutions. En utilisant les matrices de ses filles, prélevées
puis cultivées et correctement renforcées d’armatures opalines et de fluides ténébreux, il serait sans doute possible de créer des
mères à nos geôliers…
Ceci explique la protection discrète qu’il m’avait semblé deviner dans ses actes et ceux de sa sœur…
Vermalryn, du sang et des encres !
Extraits du journal d’Ashram El-Kadir, étudiant en démonologie. Année 1450
Fred 2

6e jour de la nymphe

Voici trois mois que je suis avec opiniâtreté les enseignements de dame Ambre, et j’avoue
aujourd’hui que sa santé m’inquiète. Chaque nuit je sens gémir sa Flamme, et ses visions
cauchemardesques semblent ne jamais lui laisser de répit. Souvent elle se réveille en hurlant ;
j’accours alors pour lui tenir la main et l’apaiser.
Déjà je me suis pris d’affection pour cette vieille femme. Elle est si douce avec moi. Elle seule
réussit à atténuer ma nostalgie.
Les dunes d’or et les vents brûlants me manquent cruellement… La bibliothèque de Greynaëlia
n’est pourtant pas une prison. Les Modéhens sont accueillants, et j’apprécie la beauté des Arbres-
rois. Leur calme me rappelle à la sagesse du désert. Mais mon âme aspire à le retrouver.
Monsieur Anselme, qui m’a accueilli dans sa librairie avec bonté, est attentionné, mais nos cœurs
sont différents. Je soupçonne ne devoir son amabilité qu’à l’argent que lui envoie mon père.
Heureusement Ambre est là. La petite chambre que nous partageons a contribué à nous
rapprocher et finalement je pense apprendre tout autant de nos discussions nocturnes, à la lueur de
nos diablotins, que des cours qu’elle dispense dans la journée.
Elle m’a confié que demain j’en saurai plus sur le Grand Alchimiste.

7e jour de la nymphe

Vermalryn… Quel homme fascinant ce devait être ! Ambre m’a appris que ce Haut Diable fut
longtemps disciple du Maître du Semblant. Mais ce Félon ne jurait que par son noble artisanat :
la fabrique et la manipulation des encres. Pour lui le meilleur moyen de servir son suzerain. C’est
notamment grâce à ses dons de tatoueur que naquirent les passeurs de chair.
Souvent l’Ennemi lui parlait de sa maîtresse, la Grande Mère des Abysses (Je n’ose écrire son
vrai nom, car on dit dans ma tribu qu’il attire le mauvais œil).
Il écouta, avec attention, et bientôt l’artiste fut obnubilé par la perfection de cette humeur douée
d’émotion, le sang de la Dame aux Démons : la Ténèbre. À tel point que cette fascination passait
parfois avant sa dévotion pour son maître. Ambre m’a assuré qu’il lui fallait être animé d’une
volonté et d’un courage sans borne pour se permettre de délaisser le Prince des Mensonges.
Puisse Mahomadj me prêter un jour un tel courage !
L’inconstance de Vermalryn devait lui coûter une punition exemplaire ; mais son talent, sa dévotion
et les services rendus à son maître lui valurent d’être affranchi de ses devoirs et exilé dans les
entrailles du monde. D’après Ambre, cet emprisonnement fut pour lui une délivrance. La Dame des
Abysses le laissa étudier à sa guise son royaume tapissé de Ténèbre, émue et intriguée par cet
homme qui cherchait à comprendre ses violentes émotions et sa mémoire torturée. Apparemment, Elle
lui permettait même de gagner la surface dès qu’il en émettait le souhait.
Ambre m’a déconseillé d’exposer sa théorie en présence d’autres conjurateurs : elle est persuadée
que c’est avec l’aide de la Dame noire, et après de longues études sur la Ténèbre et les démons,
que Vermalryn créa la première fiole d’encre de conjuration. Il établissait ainsi les fondements de
ce qui allait devenir l’art que j’apprends avec persévérance, et plaisir.
Pour ces deux être tourmentés, offrir la surface aux démons grâce à la conjuration était le
meilleur moyen de faire comprendre les sentiments et les motivations de leur mère aux habitants de
l’Harmonde.
Vermalryn pensait également qu’en leur donnant un tel pouvoir, hommes et saisonins seraient
reconnaissants ; il était persuadé qu’ils apprendraient à vivre en harmonie avec ce monde
abyssal qui lui était devenu si cher.
Mon tendre professeur semblait aussi désolé que je le suis désormais en constatant ce qu’il
en est de nos jours, et chacun admet que ces utopiques pensées n’ont trouvé d’écrin que dans la
Cité des Ombres.
Je m’interroge ici quant aux propos de dame
Ambre concernant les liens entre les
démons et la Sombre Éternelle. On
m’avait affirmé jusqu’alors qu’ils possédaient une
9e jour de la nymphe véritable indépendance vis-à-vis d’Elle…

Hier soir, Ambre était fiévreuse, et semblait particulièrement éprouvée en me contant – à ma


demande – la suite de l’histoire. Elle ne veut pas me confier ses craintes mais je perçois en
elle une terrible souffrance… et autre chose, quelque chose qui me paraît bien plus effrayant.
Demain je parlerai à monsieur Anselme.
Tout en mâchant un morceau d’opiale pour calmer sa fièvre, elle m’expliqua que Vermalryn
devint l’un des favoris de l’Éternelle ténébreuse, et qu’il fut parmi les plus meurtris lorsqu’Elle
s’éclipsa sans mot dire, Janus seul sait où. Malgré son affliction, celui qui était désormais
le Haut Diable des Encres continua son grand œuvre en construisant l’un des plus précieux
bâtiments des Abysses : le Dispositif, niché dans la morne plaine d’Outrerive, tout près
du grand marché démoniaque. C’est à l’intérieur de cet édifice que les encres sont conçues.
Ambre m’a certifié avoir visité l’atelier du Haut Diable. Bien que ses propos m’aient semblé
extravagants, je confie de mémoire à mon cher journal ce qu’elle a bien voulu dévoiler :
Ce que certains nomment la Machine est une immense tour de verre opaque entourée de brumes
et d’un vacarme infernal. Ses cinq étages sont entièrement occupés par une machinerie des
plus complexes, rythmée par une horloge folle. Les fûts de stockage y disputent la place aux
chaudrons chauffés à blanc par d’immenses fours, eux-mêmes refroidis à intervalles réguliers
via de gigantesques tuyauteries, parcourues par de pauvres esclaves capturés en surface : des
élémentäs hivernaux. L’une des premières chaînes de fabrication est tenue par le Broyeur de
Teintes, un impressionnant démon griffé qui se charge de malaxer et d’uniformiser vernis
et pigments. On y voit ensuite des silos mélangeurs, dans lesquels sont brassés tous les
ingrédients grâce à d’énormes pales de mortœil, des alambics de distillation auréolés de vapeurs
de mornaëlin nauséabondes, et bien sûr, pour finir, les chevalets de torture qui arrachent aux
opalins leur précieux sang.
Il m’a semblé qu’Ambre me cachait certaines choses au sujet du Dispositif. Mais pourquoi ?
Ne suis-je pas devenu son ami, son confident ? J’espère que mon intuition est erronée.
Ce soir, Keshe me manque comme jamais…

17e jour de la nymphe

Je ne sais que penser… Mon mentor est soit en train de sombrer dans la folie, soit détenteur
d’un pouvoir que je souhaite ne jamais posséder, fussent tous les chameaux de l’Empire dans
mon ribat !
Ambre m’a avoué posséder le don d’onirium. Elle affirme pouvoir parcourir en rêve les strates
du temps et voyager au cœur d’événements des époques anciennes. Selon elle, elle aurait même
accès à des choses qui n’ont pas encore eu lieu ! Les Cinq Poètes me foudroient si je me
trompe, mais j’ai bien peur que le Sheï-Than ne se soit emparé d’elle !
30e jour de la nymphe

Monsieur Anselme est parti depuis plusieurs jours, pour affaires.


Les cauchemars d’Ambre se sont intensifiés. Elle parle désormais tout au long de ses nuits sans
fin. Je me méfie de ces paroles ensommeillées soufflées dans des râles plaintifs, mais ne peux
m’empêcher de m’interroger sur leur éventuelle véracité.
Cette nuit elle marmonnait des choses sur une alliance secrète entre les élus du Prisme et
Vermalryn. Elle a également bredouillé que le Haut Diable ajoutait désormais aux ingrédients de
ses encres une infime quantité de son propre sang ! Cela dans le but de distiller progressivement
son influence, imperceptiblement, dans l’âme des conjurateurs et des démons invoqués.
Par les Prophètes, ma plume tremble à l’idée que cela puisse être réel ! La volonté du Haut
Diable s’insinuerait-elle en moi à chacune de mes conjurations ?

12e jour de la dryade

Les quatre vents m’en sont témoin : que cette histoire soit vraie ou pas n’y changera rien,
je ne resterai pas ici un jour de plus ! Si triste et décevante soit ma décision, je tiens à
ma vie… et à ma Flamme.
Alors que mes yeux fixaient la pleine lune, les feulements de cette pauvre femme
s’accentuaient, et je perçus nettement ces quelques mots, entrecoupés de borborygmes
malsains :
« Non ! Cela ne se peut ! Costume ! Le Sanctuaire ! Grand Corrupteur ! Vermalryn… un
passeur de chair !? »
Toujours à répéter âneries et lieux communs ! Ne garderas-tu de tes cinq années
d’apprentissage que cette écœurante obséquiosité ? Quand comprendras-tu que ce besoin et
cette facilité d’apprentissage caractérisant les habitants de l’Harmonde ne sont dus qu’à leur
conscience de leur statut de mortel ! Encore une fois, pense par toi-même ! Crois-tu que le
grand Yah Pong ressent encore la même soif de savoir que lorsqu’il n’était qu’un de ces êtres
éphémères ?
Laisse-moi te conter la légende d’Urghiik’harrt l’incarnat. Tu connais les pouvoirs de ces
démons Inutile de te rappeler les sanctions que tu encourrais si tu les divulguais.
Urghiik’harrt avait connu de multiples expériences, investi bien des êtres au cours de sa
longue existence. Même les saisonins ne présentaient plus d’attrait pour lui. Son sens de
l’humour quelque peu particulier l’avait conduit à remplir ses missions les plus dangereuses
incarné en fée noire… pour corser un peu les choses.
Lassé des combats, il avait mis à profit sa dernière connivence pour se lancer dans les
affaires, incarné en farfadet. Illégales bien sûr ! Croyais-tu qu’il allait fonder une Société
Abyssale à Responsabilité Limitée ? Plusieurs années après, à la tête d’un empire du crime, il
fut tué par un lutin, acrobate assassin selon moi. Ironiquement, ses successeurs assirent leur
influence et devinrent… les voltigeurs !
Émergeant de son hôte, Urghiik’harrt sut dompter sa soif de vengeance. Il prit la fuite et
pista son agresseur jusqu’à son repaire. Puis il déroba une racine de son frère de sève, la
remplaçant par un double de Ténèbre… Non, idiot, cette similitude des termes n’est pas fortuite !
De retour aux Abysses, il la cultiva et prit soin de préserver son lien ténébreux avec l’arbre
dont elle était issue, pour que toute manipulation de cette pousse se répercute, via son arbre, sur
l’infortuné…
C’est ainsi que l’art du bonsaï fut inventé par un démon. Alors, les crois-tu toujours incapables
d’apprendre ?

Le croirais-tu ? Les démons n’utilisent pas de monnaie ! Il n’y a pas d’argent abyssal ! Pour les plus stupides, c’est-
à-dire les démons des deux premiers cercles, l’or n’a pas plus de valeur que celle que nous lui accordons, et encore.
Ils ne comprennent rien aux notions d’offre et de demande, et je ne te parle même pas des subtilités de la bribe.
Pourtant, ces créatures ont un sens exacerbé de la propriété. Ils comprennent la notion de troc, mais généralement, ce
qu’un démon veut, il le prend. S’il est assez fort pour le garder, ou assez malin, ou assez discret. Et s’il n’est rien de
tout cela, comme la plupart des opalins, il subit.
De même, si un démon veut obtenir un service d’un autre, le plus simple est de le frapper assez fort pour qu’il le
fasse. Ou, si c’est impossible, de lui offrir un service équivalent. Ce système simpliste régit tous les échanges abyssaux.
Tous ! Évidemment, les démons des cercles supérieurs peuvent posséder des biens ou des obligations à la surface, et ils
les utiliseront généralement dans leurs échanges avec les mortels, parfois même avec leurs pairs. C’est idiot, mais j’ai
l’impression que les démons n’utilisent notre système monétaire que pour prouver qu’ils nous sont supérieurs dans ce
domaine comme dans tous les autres. D’ailleurs, n’espère pas sortir gagnant d’un marchandage avec un ambré… et
n’essaye pas ce genre de négoce avec les démons des cercles supérieurs. Obéis-leur.
La seule exception concerne le marché d’Outrerive : là, liqueurs d’obscure, fungus d’andropèle, griffons, sueur de cauchemars
et autres encres se négocient à prix d’or auprès des boutiquiers opalins, sous l’attentive autorité de l’alchimiste… Je ne
comprends cependant pas ce que le maître du marché peut bien faire de tout cet or. Les démons qui lui fournissent ces
ténébreuses productions abyssales refuseront de toute façon tout paiement en monnaie crépusculaire…
Le requiem de
l’Ombre Fred le Farfelin et Thabanne
Éminence,
L’incessante ronde des complots qui agite les Abysses prend depuis peu un tour nouveau.
La Bête est… étrange. Absente : si elle trône toujours dans la Salle Métallique, rien ne semble plus pouvoir la faire réagir.
Immobile, les naseaux frémissants, elle semble attendre.
Le Grimacier a disparu. Son nocturium s’effondre, ses démons s’estompent. Est-il… mort ? Des Inspirés de plus en plus nombreux
s’aventurent prudemment dans les sombres cavernes abyssales. On leur aurait volé leur âme !
Les Abysses tremblent sur leurs fondations. Votre compagnie saura-t-elle comprendre le cataclysme qui semble nous guetter ?

du mystère. Sauront-ils collaborer et naviguer dans les


intrigues démoniaques, alors que les Abysses sombrent
dans le chaos ? Certains Hauts Diables ont disparu, la
Bête est inerte, les Abysses sont « envahies » d’Inspirés
et de Félons à la recherche de leur âme. Alliances et

Premières notes
trahisons se succèdent et si les pistes et les indices se
multiplient, nul ne semble réellement comprendre le
Drame qui frappe les Abysses.
Dans la deuxième partie, La Chute de Develorn,
Haagenti, tout en feignant d’organiser la « résistance »
depuis Iskaneraysh, s’arrange pour faire converger les
soupçons vers le dernier rempart qui fait obstacle à son
œuvre : Develorn, le Haut Diable des Schizophrènes.
Poussé dans ses derniers retranchements, isolé, mis
en cause par des rumeurs malveillantes, ce dernier
Le Requiem de l’Ombre est un Drame ambitieux qui réagit maladroitement et semble trahir les Abysses en
a pour objectif de plonger vos Inspirés dans l’une des attaquant celui qui, seul, paraît capable d’endiguer
plus grandes crises jamais traversées par les Abysses. la menace : Haagenti. Seuls des agents extérieurs aux
Ceux-ci devraient avoir une Flamme bien trempée et Abysses, tels que les Inspirés, s’ils sont soutenus par les
des talents de diplomates affirmés ; une expérience Hauts Diables, ont une chance d’abattre le Fou…
certaine des subtilités de l’Accord et de la démonologie La chute de Develorn consacre l’Assomption
serait également bienvenue. d’Haagenti ! Lui qui ne pouvait piéger le Haut Diable
Haagenti, Haut Diable de Cristal et accordé du des Schizophrènes grâce à son art peut désormais
hautbois, travaille depuis des millénaires à son achever sa symphonie et s’emparer des Hauts Diables
assomption : devenir un Éternel, l’Éternel des Abysses… restants. Réalisant leur erreur, vos Inspirés sauront-ils
Grâce à une symphonie – la forme la plus puissante de se cacher d’Haagenti qui veut désormais se débarrasser
l’Accord –, le Requiem de l’Ombre, capable de rassembler de pions devenus gênants ? Parviendront-ils à soulever
les fragments épars de l’Esprit et de l’Âme de l’Ombre les derniers habitants des Abysses, à organiser la
disséminés entre les Hauts Diables (cf. L’ultime vérité résistance et à négocier, ou à vaincre celui qui pourrait
p. 4-5). devenir un Éternel ? L’avenir des Abysses réside entre
Pour ce faire, il a besoin d’un orchestre d’Inspirés. leurs mains et entre celles de leurs potentiels alliés…
Dans le prélude, Le Piégeur d’âmes – qu’il vous faudra
placer au cours d’un Drame précédent – vos Inspirés D’intrigues machiavéliques en enquêtes périlleuses,
font une curieuse rencontre qui établit un lien avec d’alliances contre-nature en complots de basse
Haagenti. politique, votre compagnie part à la découverte d’un
Dans la première partie, Des Flammes dans les Abysses, univers sombre et baroque où les règles qui régissent les
Haagenti vole l’Âme de nombreux Inspirés. Comme royaumes crépusculaires sont subtilement détournées,
nombre de leurs pairs, les Inspirés de votre compagnie un non-royaume abyssal dont ils pourront peut-être
se dirigent vers les Abysses où semble résider la clef déterminer le destin.

59
Trois œuvres pour les L’Accord ténébreux

gouverner tous Haagenti créa donc L’Accord ténébreux, capable de


prendre l’empreinte de l’Âme d’un mortel dans les rets
du hautbois, à la condition expresse que celui-ci soit
déjà contaminé par la Ténèbre. Il nécessite la présence
auprès des Inspirés d’un être ténébreux inféodé à
Lorsque le Haut Diable de Cristal conçut le Requiem
Haagenti : démon, Advocatus Diaboli et autres déchus
de l’Ombre, il chercha simultanément un moyen de
portant la marque du Haut Diable de Cristal. Grâce au
s’attacher la fidélité de suffisamment d’accordés pour
lien qui l’unit à son vassal, Haagenti use de quelques
l’interpréter. Hélas, il semblait bien que son plan ne
notes camouflées au sein d’une quelconque mélodie
pourrait aboutir : ces harmonistes sont devenus si
pour établir un pont vers l’Âme de l’Inspiré. Pour y
rares que même s’ils étaient tous rassemblés, leurs
être sensible, le mortel doit avoir été préalablement
Flammes ne suffiraient pas à donner son envol à la
contaminé par la Ténèbre : un seul point de Ténèbre
symphonie. Se plongeant dans les arcanes flamboyants
suffit.
de l’Inspiration, Haagenti comprit que la part des
Muses qui habite chaque Flamme est la source du
pouvoir des harmonistes. Les arts magiques en eux- Le Collet des âmes
mêmes ne sont qu’un vecteur permettant d’exploiter
ce lien intime entre la Flamme et l’Harmonde. En L’interprétation du Collet des âmes permet à Haagenti
conséquence, Haagenti décida d’utiliser doublement de remonter le fil de l’Âme d’un mortel lié par L’Accord
les accordés : ils interpréteraient sa symphonie et ténébreux, puis de voler cette Âme et de l’emprisonner
feraient le lien entre leurs Flammes et celles d’autres sous la forme d’un ectoplasme en tout point semblable
Inspirés. Restait à piéger les Flammes… Manipuler à la victime. Cette Œuvre d’une rare puissance mène les
l’essence des Éternels n’est pas à la portée d’un Haut victimes de l’Accord ténébreux sur le terrain de l’esprit
Diable, fût-il le plus puissant d’entre eux. Seuls Janus et d’un Haut Diable. Là, il n’est nulle place pour une lutte
le Masque peuvent accorder ce pouvoir à leurs agents, équitable et vos Inspirés ne pourront que subir ce qu’il
et prendre le contrôle de l’un de ceux-ci n’aurait pas leur semblera n’être qu’un cauchemar particulièrement
manqué d’attirer trop tôt l’attention de l’un ou l’autre éprouvant (cf. p. 64).
de ces Éternels.

Accord et hautbois
Une théorie de l’Accord
Les scènes harmoniques qui prennent place dans les notes de Mélodène ou dans l’esprit ravagé d’Eyhidiaze (cf. Les
Chroniques des Crépusculaires) impliquent que l’Esprit et l’Âme – difficilement distinguables dans ce cadre – sont
une mélodie, qui peut être altérée par l’Accord. En usant de son art, l’accordé s’immisce dans cette mélodie et
conceptualise la scène sous la forme d’un lieu avec ses acteurs, sa géographie – aussi changeante que la mémoire – et
ses lois – aussi imprévisibles que les émotions.
Puisque les Hauts Diables sont les fragments épars de la personnalité de l’Ombre – son âme brisée, en quelque
sorte – les Abysses peuvent être comprises comme la scène harmonique née de sa profonde souffrance, l’écho de la
partie la plus structurée de son Esprit (cf. L’Ultime Vérité p. 4-5). La mer de Ténèbre, elle, est l’océan de possible
incarnant les pulsions et instincts de l’Ombre… son inconscient, enfoui au plus profond des ténombres.
Chacun des Hauts Diables incarne une facette, nuancée par sa propre personnalité, de l’âme de l’Ombre. Des éclats
d’âme dissonants, perdus dans leurs luttes intestines, incapables de fonctionner harmonieusement.

Le hautbois
La famille du hautbois n’a jamais compté qu’un seul membre : Haagenti. Celui-ci a créé un Accord lié à la complexe
mélodie née de l’Ombre. Cet art recèle un potentiel inimaginable dont Haagenti perfectionne chaque subtilité depuis
des siècles : ses mélodies explorent la part de Ténèbre de tout être contaminé. Il est ainsi capable d’altérer les
souvenirs ou les émotions des ténébreux et des démons – il a déjà prouvé son extraordinaire puissance en effaçant de
la mémoire de tous les démons le souvenir de la Romance… Ses Œuvres sont susceptibles de manipuler la partition
primordiale de l’Esprit et de l’Âme de l’Ombre, et pourquoi pas la trame des Abysses elles-mêmes !

60
Resister a l’accord tenebreux du XIII, etc.) : les Abysses sont un gigantesque panier de
crabes où les complots s’entremêlent. Établissez toutes
Haagenti n’est pas un accordé ordinaire et seul un les passerelles qui vous sembleront logiques entre
Inspiré particulièrement doué (8 en Accord) pourra les personnages proposés et des acteurs de votre cru,
espérer détecter la manipulation harmonique. Il lui prévoyez des complices, des traîtres, des informateurs
faudra pour cela réussir un jet de PER + Accord contre qui peuvent lier les diverses factions dans de complexes
DIFF 25 + Noirceur. Ce jet, Éminence, devra être intrigues à tiroir sur la base de celles proposées.
réalisé sans alerter le joueur… mais en cas de réussite, Chaque acteur, au-delà de ses actes personnels, peut
il sentira une migraine enfler comme le chant d’un cor être manipulé, soutenu ou combattu par un autre
de chasse. N’hésitez pas à user de telles métaphores protagoniste dans le cadre d’une machination plus
pour laisser le joueur imaginer le pire. large. Développez les Hauts Diables, ou des démons
puissants, que vous avez envie d’impliquer et mettez-

Quelques conseils vous à leur place : de quelles informations disposent-


ils ? Lesquelles chercheront-ils à acquérir ? Comment
réagiront-ils ? Comment peuvent-ils exploiter
chaque situation pour nuire à un ennemi ou tirer un
Des aides de jeu quelconque profit personnel ?

Éminence, chacun des articles de ce Souffre-jour a été • Notamment, tenez compte du vécu de vos Inspirés :
conçu comme une aide de jeu. D’ailleurs, aucune ne ont-ils par le passé fait échouer les plans d’un Haut
peut être tenue pour vraie : toutes sont subordonnées Diable ou d’un démon des plus hauts cercles ? Ont-
à la crédibilité de leur auteur. Cependant, des Inspirés ils au contraire servi ses intérêts ? Conclu une alliance
particulièrement efficaces dans leurs enquêtes avec l’un de ses serviteurs ? Les joueurs apprécieront
devraient pouvoir obtenir les informations qu’ils que de tels éléments trouvent un écho, même mineur,
contiennent, voire des copies des pages elles-mêmes. dans leurs aventures aux Abysses. Peut-être certaines
Sachez distiller ce savoir pour entretenir leur curiosité, quêtes personnelles de vos Inspirés pourront-elles
les perdre sur de fausses pistes ou les guider vers la également progresser considérablement à l’occasion
vérité… de cette visite aux Abysses. S’ils espèrent trouver en
profondeur des réponses à certaines questions, même
sans rapport avec ce Drame, pensez à développer les
Inspiration éléments nécessaires.
La présentation des Abysses (cf. pp. 6-16) peut fournir • Préparez un maximum de seconds rôles : les Abysses
une base à vos descriptions. D’autres sources peuvent doivent grouiller de démons, et cette foule est bigarrée,
vous offrir un matériau solide (cf. Abyme – le roman disparate, mais compose une société foisonnante.
et le supplément –, La Mécanique des ombres et L’Art Faites-vous de petites fiches pour décrire quelques
de la conjuration). L’ambiance grotesque et terrifiante, démons, avec le minimum d’informations qui vous
horrifique et paranoïaque qui règne dans les Abysses permettront d’improviser efficacement : un nom bien
doit imprégner vos joueurs : il ne s’agit pas de leur « abyssal », son cercle, son allégeance à un Haut Diable,
présenter un royaume humain aux étranges coutumes ses principaux talents et activités, une particularité
mais un univers vraiment différent, où tous les physique bien identifiable, etc. N’hésitez pas lâcher la
standards de l’humanité sont subtilement détournés bride à votre imagination, à créer des êtres improbables
par des démons qui croient reproduire les royaumes et bizarres, vos joueurs doivent être déconcertés par
crépusculaires mais ne peuvent en saisir ni le sens, ni les créatures qu’ils rencontrent : mieux vaut mettre
l’essence. en scène des démons ridicules ou aberrants mais
nombreux que des personnages logiques et détaillés
Préparations mais trop rares, surtout pour des seconds rôles vite
disparus.
Éminence, ce Drame est une vaste épopée qui ne
saurait prendre toute son ampleur sans une certaine • Entraînez-vous à prononcer les noms
préparation. La place nous manque pour développer imprononçables de ces créatures abyssales : vous ne
toute la matière nécessaire à rendre les Abysses assez devez pas balbutier en les mentionnant car les habitants
vivantes pour servir de décor à ce Drame. Néanmoins des Abysses, eux, les prononcent avec aisance. Et tant
nous espérons que ces quelques conseils vous aideront mieux si vos joueurs, pour leur part, s’y perdent,
à préparer une mise en scène digne des Abysses. confondent les personnages, butent sur les noms au
risque de vexer l’interlocuteur, etc. Leur acclimatation
• N’hésitez pas à étoffer les intrigues que nous vous n’en paraîtra que plus réelle s’ils s’habituent peu à peu
proposons ici et là (la révolte des succubes, la réaction à côtoyer ces êtres fondamentalement « étrangers » –

61
mais vous-même devez vous sentir immédiatement à ne pourront imaginer un seul instant qu’un mortel
l’aise dans cet environnement. puisse tenter de les berner ; et la méconnaissance des
usages de la surface et de la subtilité des intrigants
Interprétation humains.
N’oubliez pas, Éminence, que les Abysses et
Éminence, vos Inspirés vont rencontrer au cours de
l’Harmonde sont deux univers complètement
ce Drame nombre de personnages d’une puissance
étrangers. Faites le ressentir dans chaque conversation,
inouïe. N’oubliez pas, en les interprétant, les rapports
chaque réaction. Nos repères n’ont plus cours aux
de rang et de force qui doivent guider leur attitude.
Abysses, les règles qui guident les rapports entre
Qu’ils soient barons ou censeurs, les Inspirés, aux
mortels sont ici caduques. Plus troublante, la parodie
Abysses, ne sont que des étrangers – en position de
de vie mortelle adoptée par la plupart des démons
faiblesse qui plus est. Nul ne les traitera comme des
suggère de grandes similitudes que vient trop souvent
pairs, encore moins comme des supérieurs – sauf,
démentir une réaction aberrante. Les habitants
peut-être, les opalins. N’importe quel gardien gueule
des Abysses sont imprévisibles, c’est ce qui devrait,
ou sable, n’importe quel démon du quatrième
finalement, faire craindre à chaque instant aux Inspirés
cercle devrait être capable de les balayer.
un faux-pas fatal.
Les relations, dans les Abysses, sont
principalement basées sur les
rapports de force et la réputation.
Toute la subtilité réside dans
la manipulation, mais, s’ils Gérer la corruption
ne comprennent pas les
sociétés crépusculaires, Éminence, les mortels ne
les habitants des foulent pas impunément
Abysses n’en sont pas le sol des Abysses. Ce
pour autant stupides. non-royaume est la
Simplement un peu Ténèbre. Évidemment,
plus naïfs, un peu plus vos Inspirés risquent
faciles à circonvenir que donc d’être rapidement
les mères carmes ou les contaminés, peut-être
avocats urguemands. même submergés…
Les Hauts Diables, L’application stricte
cependant, ne doivent des règles proposées
pas être pris à la légère. dans AGONE (cf. p. 250)
Les obsidiens sont presque est, dans le cadre de cette
des dieux. Leurs seigneurs, eux, épopée, irréaliste.
incarnent toute la puissance et l’horreur Nous vous conseillons plutôt
des Abysses. D’un simple regard, ils figent d’appliquer la règle suivante,
les démons et possèdent une influence majeure sur la dont l’objectif est de simuler le gain
Ténèbre elle-même. Il est illusoire de prétendre défaire de Ténèbre en fonction du temps passé
par la force l’un des maîtres des Abysses, fût-il le plus dans les Abysses. Chaque semaine, les
faible d’entre eux. Quant à les manipuler, c’est un jeu Inspirés gagneront 5 + 1d10 (F) – VOL – Noirceur
délicat et surtout extrêmement dangereux qui peut points de Ténèbre. De plus, toute rencontre
offrir des bénéfices incalculables… ou une mort lente exceptionnelle – Haut Diable, obsidien, scène
et douloureuse. Soignez vos descriptions, Éminence. particulièrement horrifique – devrait être l’occasion
Faites ressentir à chaque instant la puissance, la d’un jet d’Effroi selon les règles classiques.
menace qui sourd de ces incarnations du cauchemar. Comment vous n’aurez pas manqué de le remarquer,
Chaque respiration de Salmac est une menace de mort. Éminence, vos Inspirés vont rapidement devenir
Chaque geste de Haghério la promesse de supplices ténébreux… C’est bien simple, ils deviennent peu à
éternels. Chaque sourire de Thazi suggère d’indicibles peu des éléments de l’Ombre, d’infimes parts de la
souffrances. Le danger est permanent, la mort peut les mélodie discordante de sa personnalité !
frapper à chaque instant. Les Hauts Diables ne peuvent
être comparés aux mortels. Ils leur sont supérieurs
en tout. Les Inspirés n’ont que deux avantages :
l’arrogance sans limite de certains Hauts Diables, qui

62
Pour interpréter son Requiem de l’Ombre, Haagenti
a besoin d’un orchestre de plusieurs centaines
d’Inspirés. Anticipant leurs réticences, il envoie ses
agents sur l’Harmonde afin de piéger l’Âme du plus
grand nombre possible, qu’ils soient harmonistes ou

Prélude : non.

Les événements décrits dans ce prélude doivent


prendre place plusieurs semaines ou plusieurs mois
avant le début de la symphonie. Le mieux, Éminence,

Les piégeurs d’âmes serait de glisser cette rencontre dans l’un de vos
Drames et de laisser votre compagnie oublier…

L’Accord ténébreux
La rencontre avec l’un des agents d’Haagenti chargé de propager L’Accord ténébreux pourrait prendre l’une
des formes présentées ci-dessous. N’hésitez pas, Éminence, à les décliner à votre convenance. L’essentiel est
qu’un tel événement paraisse incongru, surprenant, mais guère alarmant.

La connivence du mélomane
Lors d’une conjuration, le démon exige une étrange contrepartie. Un opalin
pourrait demander à entendre les Inspirés chanter en chœur – de préférence
une chanson paillarde, on est opalin ou on ne l’est pas ! Un saphirin
voudra, lui, qu’on l’écoute chanter – et que le public lui fasse un
triomphe ! – ou qu’on l’amène assister à un opéra ou à un concert,
pendant lequel il ne cessera de fredonner. Un ambré exigera de
prendre des cours de musique auprès d’un maître réputé, et le
faire avec les Inspirés – ou prendre des cours avec eux s’ils ont eux-
mêmes ce statut !

Advocatus en musique
Alors qu’ils font enregistrer une connivence chez un Advocatus
Diaboli, celui-ci adopte un comportement étrange : il se met
à leur répondre en chanson, donnant un tour surréaliste à
l’entretien. Visiblement gêné, il essaie de mettre un terme
rapide aux formalités.

Le démon-orchestre
Au détour d’une ruelle abymoise ou à la cour d’un prince
mélomane, les Inspirés rencontrent un étrange démon-
orchestre : doté d’une multitude de bras, sphincters,
soufflets, claviers et autres excroissances tubulaires, d’une
tresse de crin entre deux griffes venant frotter ses cordes vocales
à nu, il interprète une sombre musique aux accents discordants.
Étrangement, il semble suivre les Inspirés des yeux…

L’ombre musicale
D’une ombre étrange se dégage une musique d’ambiance parfaitement
accordée à ce que font alors les Inspirés. Cuivres et cymbales s’ils
combattent, staccato feutré alors qu’ils se glissent d’ombre en ombre,
accords de mandoline si l’un d’eux fait du charme, etc.
Il est impossible de trouver la source de cette musique, et celle-ci semble
se déplacer dans les ombres s’ils la poursuivent, en égrenant des notes
espiègles et moqueuses…
63
pantins de Hautbois
Éminence, nous vous proposons avec cette série d’encarts d’exploiter un ressort dramatique qui pourra faire avancer
l’enquête des Inspirés – sans cela probablement frustrante car peu fructueuse – mais aussi permettre à Haagenti de
mieux les manipuler ! Vous pouvez les ignorer : les moments forts du Drame peuvent s’enchaîner sans qu’il soit
impératif d’introduire cet élément. Convenablement utilisé toutefois, il vous permettra d’offrir à vos joueurs un
surcroît d’émotions fortes : exultation lorsqu’ils s’aviseront que la découverte de cet élément leur offre un avantage
inespéré puis amertume – peut-être admiration ? – lorsqu’ils comprendront que Haagenti l’a retourné contre eux afin
de leur faire jouer un rôle de dupes dans sa stratégie. Les Inspirés sauront-ils en tirer malgré tout bénéfice au cours
du dernier acte du Drame ?

Des agents irréprochables


Pour mener à bien son projet mégalomane, Haagenti a besoin d’agents nombreux et fidèles. Les piégeurs d’âme ne
sont que les premiers auxquels les Inspirés seront confrontés. Si tous ces agents étaient des démons clairement affiliés
au Haut Diable de Cristal, il est bien évident que ses manigances seraient découvertes bien trop tôt. C’est pourquoi
Haagenti s’est servi de son art pour suborner plusieurs créatures de ses pairs : grâce au hautbois, il a implanté
dans l’esprit de chacun certaines compulsions. Les victimes ignorent totalement que ces injonctions irrépressibles
leur sont imposées, et pour curieux que puissent être ces désirs soudains, s’y soustraire ne leur vient même pas à
l’esprit. Même scruté par magie, leur esprit ne révèlera rien de plus : elles font seulement ce qu’elles pensent juste
et nécessaire. Elles vaquent à leurs occupations habituelles jusqu’à ce qu’elles soient confrontées à un événement
déclencheur, et accomplissent alors les ordres d’Haagenti sans même se sentir manipulées.

Les stigmates de cristal


Malgré tout son talent, Haagenti n’a pas pu éviter de laisser une empreinte, même dérisoire, sur ces créatures
manipulées – si les Inspirés sont perspicaces et ingénieux, cet infime détail pourrait pourtant causer sa défaite !
En effet, le conditionnement de l’esprit de ces victimes s’accompagne d’effets secondaires si minimes qu’ils
passeront inaperçus la plupart du temps. Néanmoins, toutes les créatures qui agissent sur les injonctions camouflées
d’Haagenti ont acquis ces trois caractéristiques :

• Le corps des démons, d’une part, et des diablotins, jumeaux démoniaques, etc. dans le cas de serviteurs mortels
de Haagenti, d’autre part, est affublé d’un bec d’oiseau et/ou deux ouïes de poisson. Bien qu’elle suive la logique
décalée qui gouverne l’inconscient et les rêves, il s’agit d’une réminiscence de l’univers des instruments de musique
– bec de flûte et ouïes de violon – mais il est peu probable que quiconque fasse le lien avec le hautbois, qui n’a pas
de bec mais une anche.

• Lorsqu’ils agissent selon les volontés d’Haagenti, leur voix se fait basse et chuintante à la fois – un mortel
reproduirait vaguement cet effet en soufflant par le nez tout en parlant, un effet insolite mais léger. C’est peut-
être l’écho du souffle d’Haagenti dans son hautbois qui se manifeste ainsi… mais qui le comprendra avant d’avoir
démasqué le coupable ?

• Ils ont tendance à hocher la tête constamment ou à se déhancher d’un pied sur l’autre. Ces mouvements à peine
esquissés n’ont rien d’une danse, ils sont bien trop mécaniques : ils s’apparentent plutôt aux gestes des marionnettes
du Masque. En réalité ces agents ignorent que l’Accord les conditionne, mais une part d’eux-mêmes réagit à son
rythme lancinant…

Éminence, prenez soin de mentionner ces stigmates dans votre description des piégeurs d’âme, mais ne les faites
pas spécialement ressortir parmi le lot de bizarreries propres à chaque créature ténébreuse : les démons ont tant
d’autres organes étranges et les ténébreux de Peines autrement plus remarquables ! Plus tard, ne les mentionnez pas
systématiquement chez les agents d’Haagenti éventuellement rencontrés : les Inspirés ne les repèreront pas à chaque
fois – à moins qu’ils ne les recherchent explicitement. Ce n’est qu’après plusieurs confrontations, en recoupant
précisément leurs informations, en les croisant avec les souvenirs d’autres Inspirés, en se remémorant l’aspect des
piégeurs d’âme, qu’ils finiront – peut-être – par s’apercevoir que ces trois caractéristiques sont la marque de celui
qui leur a volé leur âme ! Plus vous retarderez cette prise de conscience, plus elle fera l’effet d’une révélation aux
yeux de vos joueurs.

64
Première partie :
Des Flammes dans les Abysses
L’Âme et l’Esprit de tout être vivant sont mélodies, simples de déchirement, alors que les Inspirés sombrent dans
ritournelles ou complexes symphonies : chaque pensée est un un néant opaque pour se réveiller, à l’aube, trempés de
accord, chaque souvenir un air, triste ou entraînant, rapide ou sueur et épuisés.
lancinant. Dans ces paysages musicaux, échos des personnalités,
les accordés construisent leur œuvre de subtils accords et
contrepoints avec l’Âme et l’Esprit visités. Pensez qu’il ne suffit
Sans Âme ?
à ces artistes magiciens que de quelques notes pour modifier la
Vos Inspirés comprendront immédiatement que
musique qui fait de vous un être unique…
le cauchemar qui les a frappés n’était pas anodin. La
Stelinien de Melonditas
faiblesse qui les touche au réveil et qui les poursuit
Année 21 du règne d’Erckman IV
quelques jours en est un indice frappant, mais surtout,
tous ont vécu les mêmes scènes et se rappellent avoir

Premier mouvement : vu leurs compagnons dans le rêve.


Plus subtil, mais plus inquiétant peut-être, les artistes

Le Collet des âmes se sentent… fatigués. Aucun n’a l’inspiration, aucun ne


se sent à cœur de sculpter ou de peindre. D’ailleurs,
les quelques tentatives faites en ce sens se révèleront
décevantes.
Les Inspirés ont perdu leur esprit créatif, leur charme,
Le vol des Âmes leur envie, leur allant. Ils ne sont plus que l’ombre
d’eux-mêmes, ternes et désabusés… Pourtant, ils
Éminence, vos Inspirés préalablement marqués par possèdent toujours leur Flamme – l’utilisation d’un
L’Accord ténébreux vaquent probablement aux tâches pouvoir de Flamme pourra le leur confirmer.
quotidiennes de la gestion d’un domaine, à moins
qu’ils ne fourbissent leurs armes ou jouissent au
contraire d’un repos bien mérité. Hallucinations
C’est pendant leur sommeil qu’un cauchemar à nul
autre pareil les frappe : si leurs proches s’inquiètent Si les Inspirés ont perdu leur Âme, ils n’en conservent
de les voir s’agiter dans leur sommeil, nul ne pourra pas moins un lien avec elle – d’ailleurs, sans ce lien,
pourtant les réveiller, même en usant de moyens Haagenti ne pourrait utiliser la puissance des Flammes.
magiques. En conséquence, les Inspirés ressentiront par
Les Inspirés sont dans une cité ténébreuse aux angles moments les échos distants du Requiem de l’Ombre et
improbables, évoquant peut-être pour certains d’entre de la prison où sont retenues les Âmes.
eux les étranges quartiers métalliques des minotaures. Victimes impuissantes
Les perspectives sont faussées par le délire onirique,
la cité semble démesurée. Sont-ils des nains dans une Dans ce cauchemar, vos Inspirés sont dénués de
cité de géants de ténèbres ? Autour d’eux, des formes tout pouvoir : ils ne peuvent agir. Prenez soin de
humanoïdes aux contours monstrueux se déplacent décrire un visage ou l’autre afin de leur permettre de
dans un flou incertain. Leurs mouvements sont soit reconnaître d’autres victimes lorsqu’ils enquêteront
d’une désespérante lenteur, soit d’une terrifiante sur la malédiction qui les frappe, soignez l’ambiance
vélocité. Il se dégage de ces scènes d’ombres chinoises et surtout, insistez sur le caractère onirique de la
une impression d’indicible menace… Curieusement, chose : les joueurs n’aiment pas se sentir impuissants
d’autres mortels semblent égarés dans ces rues d’un ou contraints… Malgré tout, ils doivent vivre la
autre âge. Leurs visages sont marqués par la défiance scène comme un cauchemar, et la contrainte est une
et la souffrance. Il y a là des humains comme des composante naturelle des cauchemars.
saisonins, de tout âge et origine. Ce sont, Éminence,
d’autres Inspirés – ou félons ! – piégés par Haagenti.
En termes techniques
Vos Inspirés reconnaîtront-ils un vieil allié, ou un Techniquement, les Inspirés dont l’Âme a été volée
ennemi ? perdront d’abord leur aspect d’Âme, clair comme
Une présence oppressante les écrase, et il leur faudra sombre. Pire encore, ils verront leurs caractéristiques
lever les yeux pour comprendre ce que sont ces étranges d’Âme diminuer progressivement, au rythme d’un
fils ectoplasmiques qui semblent naître de leurs corps point par semaine pour chacune, alternativement. Le
pour se perdre dans les cieux… Nombre d’autres temps presse !
filaments quittent ainsi la cité, telle une fantomatique Éminence, ne révélez pas au réveil des Inspirés
toile d’araignée tressée par une immense main griffue. la perte qu’ils ont subie, attendez plutôt le premier
Tous naissent d’un autre mortel avec lequel il est jet impliquant l’Âme pour leur expliquer en termes
malheureusement impossible de communiquer. techniques le malaise qu’ils ressentent depuis leur
Le cauchemar prend fin avec une intense sensation cauchemar.

66
Ainsi, des hallucinations frapperont parfois les Cauchemars et visions
Inspirés. Celles-ci sont liées aux scènes dont sont Chercheront-ils à explorer leurs souvenirs à l’aide de
témoins leurs âmes ectoplasmiques retenues par le l’Accord, afin de comprendre leur cauchemar ? Dans ce
Haut Diable. N’hésitez donc pas à décrire des fragments cas, Éminence, n’hésitez pas à le leur faire revivre avec
de scènes du Théâtre des Âmes : visages d’autres plus de détails encore. Aucune explication, cependant,
ectoplasmes, rideaux, lourde décoration baroque aux ne surgira. Les Inspirés pourront choisir de centrer leurs
allures démoniaques, etc. (cf. p. 63). Par contre, évitez recherches sur la cité ténébreuse aux airs de quartier
de donner quelque élément que ce soit concernant la métallique – encore faudrait-il en connaître un pour
musique, cela risquerait d’orienter bien trop vite vos faire le rapprochement. Un minotaure, lui, pensera
Inspirés vers l’Accord, et donc Haagenti : la scène se probablement à la Salle Métallique ou à Iskaneraysh,
déroule dans un silence irréel. même si les perspectives sont faussées. De même, de
De plus, les Âmes seront fortement sollicitées à solides connaissances en Démonologie permettront
chaque fois que Haagenti achèvera un mouvement de d’obtenir des informations plus ou moins précises sur
son Requiem de l’Ombre. Chacun correspond en effet le sujet. Sachez, Éminence, distiller les informations
à la disparition d’un Haut Diable, et il faut toute la proposées dans le document du Souffre-jour consacré
puissance des Flammes pour soutenir l’interprétation à Iskaneraysh (cf. p. 14-15). Peut-être seront-ils assez
magistrale de la complexe mélodie, capable d’altérer diligents pour obtenir le document lui-même ? Une
l’Âme de l’Ombre ! Les derniers instants des anciens conjuration bien choisie pourrait certainement les
maîtres des Abysses résonneront dans l’esprit des guider.
Inspirés, aussi ceux-ci assisteront-ils à des fragments Quant aux visions éparses du Théâtre des Âmes,
de scènes harmoniques de l’Œuvre de Haagenti, un même les érudits les plus instruits en matière
rêve éveillé qui frappera simultanément tous les abyssale avoueront leur ignorance : ce qu’ils ont vu
mortels dont l’Âme a été piégée. Ces hallucinations, se situe vraisemblablement aux Abysses, certes, mais
évidemment, ne devraient pas être interprétées par les personne ne reconnaît précisément le lieu que leurs
joueurs comme telles, mais comme des événements hallucinations leur ont fait entrevoir.
réels auxquels leurs Âmes sont mêlées, de près ou de
loin.
Éminence, ces visions leur permettront d’assister aux la chute du grimacier
instants cruciaux de la plus grave crise qui ait jamais
frappé les Abysses : la chute des Hauts Diables ! La L’écho du premier mouvement du Requiem de
première sera celle du Grimacier (cf. encart). l’Ombre frappe les Inspirés alors qu’ils tentent de
Au sortir de chacune de ces visions, les Inspirés se comprendre leur cauchemar ou, peut-être, enquêtent
sentiront fatigués, comme vidés de leur substance. sur les Abysses. Aucun signe précurseur n’annonce la
Pendant les douze heures qui suivent chacune de ces vision. Pour les éventuels témoins, les Inspirés semblent
hallucinations, ils subiront un malus de -5 à tous les tomber en catatonie.
jets impliquant l’Âme ou la Flamme. Dans une salle immense aux allures de cathédrale,
chaque Inspiré assiste séparément à une scène
identique : contrairement à ce qui s’est produit lors
En quête de soi du cauchemar, ils sont seuls… Dans ce temple liturge
dévoyé, d’innombrables marionnettes pendent et
Les Inspirés finiront probablement par comprendre s’agitent aux balcons qui surplombent la nef. Leurs
qu’on leur a volé leurs Âmes, et qu’elles sont retenues traits torturés s’accordent aux sanglots de milliers de
prisonnières dans les Abysses. Cela semble d’ailleurs lié clochettes. C’est au centre du chœur qu’une marionnette
à la mort du Grimacier – s’ils arrivent à l’identifier. Mais de sombre bouffon aux traits déformés convulse au
réaliseront-ils immédiatement les implications d’un tel rythme d’une inaudible sarabande. Pourtant, aucun fil
événement ? Peut-être feront-ils le rapprochement avec ne l’emprisonne ! Diables en boîte, costumes chamarrés
l’étrange rencontre du prélude ? et autres accessoires de bouffon jonchent le sol balayé
Comprendront-ils que cette menace concerne tous par ce qui semble bien être un démon frénétique, une
les Inspirés de l’Harmonde ? Même les Félons et atroce caricature d’amuseur de cour. Ses mouvements
autres Masquards en sont victimes ! Voilà de quoi les se font de plus en plus violents alors que la Ténèbre
plonger dans des abîmes de perplexité, et les pousser à s’écoule et explose en chapelets de rires sardoniques.
rechercher l’ennemi ailleurs… dans les Abysses ? Dans une ultime pantomime de grimaces terrifiées, le
De nombreuses pistes pourront être explorées par bouffon explose en gerbes noires alors que résonne
vos Inspirés. Éminence, les lignes qui suivent n’ont l’écho solitaire d’un grelot. Immédiatement, les fils
pas pour vocation de vous fournir toutes les réponses des marionnettes qui hantent la cathédrale se rompent
aux questions qu’ils pourront se poser. Nous vous et la scène sombre dans le chaos. Des myriades de
proposons seulement quelques éléments mais seuls la diablotins surgissent alors en hurlant et se massacrent
logique et le sens de l’improvisation vous permettront mutuellement, secoués de rires et de sanglots stridents.
de mettre en scène ce Drame qui laisse la part belle à
l’imagination des joueurs…

67
La griffe Cryptogramme et chacun suspecte ses ennemis
La sombre griffe entraperçue dans les cieux personnels d’être la cause de son problème. Rares sont
d’Iskaneraysh n’est que l’interprétation visuelle de ceux qui s’aperçoivent que leur situation n’est pas
l’Œuvre d’Haagenti. Aucune information sérieuse ne isolée. Ceux-là pourront confirmer aux Inspirés que
saurait guider les Inspirés dans cette direction. De le drame qui est en train de se nouer dépasse de loin
multiples interprétations pourraient cependant être les intrigues et les conflits quotidiens mais ils n’auront
imaginées… que peu d’autres informations à offrir. Ils pourront
Le Masque devrait immédiatement apparaître comme néanmoins ouvrir les portes des bibliothèques et des
le suspect idéal : l’image de la toile évoque celle des archives du Cryptogramme, voire aider les Inspirés à y
fils de marionnette, mais découvrir que les agents du effectuer des recherches.
Masque sont eux aussi victimes de cette malédiction
devrait permettre d’invalider cette hypothèse – cela L’érudition
ne devrait pas être facile et sans doute les Inspirés Les Inspirés ont peut-être accès à une ou plusieurs
s’en rendront-ils compte bien plus tard, lorsqu’ils bibliothèques, des contacts avec de nombreux érudits,
arpenteront déjà les Abysses. ou une bonne connaissance personnelle de l’Histoire.
S’ils connaissent l’existence d’Arachnia, et enquêtent Qu’ils mobilisent leur propre savoir (Histoire et
à son sujet – auprès des farfadets conjurateurs ? – légendes DIFF 20 au moins) ou qu’ils écument les
ils trouveront probablement des explications qui bibliothèques à la recherche d’un indice qui leur
n’apporteront guère d’éléments ni pour l’accuser ni permettrait de comprendre leur état, ils pourront
pour la disculper. Ils auront par contre gagné de bons glaner quelques informations :
contacts lorsqu’ils s’intéresseront aux Abysses en Plusieurs mages et artistes ont été victimes par le
général. passé de symptômes semblables aux leurs, les plus
célèbres étant le peintre Almnestre Menestrad vers
D’autres Inspirés ? 1200 ou l’obscurantiste Baruck d’Avernuis il y a
Voudront-ils contacter d’autres Inspirés afin de de cela quelques décennies (cf. p. 71). Il s’agit tout
comprendre la malédiction qui les frappe, à moins simplement, Éminence, des malheureux Inspirés dont
qu’ils ne les rencontrent au hasard de leur enquête Haagenti se servit pour mettre au point et tester ses
– et reconnaissent d’autres personnages de leur Œuvres. Ces artistes ont vu leur sens créatif se tarir
cauchemar ? Le Collet des âmes a rempli son office et rapidement, ils ont vite perdu goût à la vie et certains
Haagenti dispose désormais de l’Âme de nombre d’entre ont cru pouvoir retrouver l’inspiration dans des paradis
eux. Certains peuvent être connus de votre compagnie : artificiels. La plupart ont exploité leurs cauchemars
retrouveront-ils Corébande ou un membre du Conseil pour produire d’ultimes œuvres, toutes marquées par
des Décans ? Éminence, n’hésitez pas à puiser dans le les horreurs de la Ténèbre et des démons mais guère
passé de vos Inspirés et dans l’ensemble de la gamme plus convaincantes d’un point de vue artistique. Tous
Agone : ce Drame concerne toute l’Inspiration, et tout finirent misérablement mais plusieurs affirmèrent
mortel disposant d’une Flamme est susceptible d’avoir vouloir descendre aux Abysses, persuadés d’y découvrir
été piégé par Haagenti. Cependant, aucun n’aura la solution à leur problème…
d’explication toute prête, mais plusieurs seront peut-
être déjà sur la piste des Abysses et prêts à se rendre
dans les profondeurs de l’Harmonde.
Gagner les Abysses
Voilà une gageure pour les Inspirés les moins au fait
La magie des lois qui gouvernent cet univers étrange, censé se
Les Inspirés tenteront certainement de comprendre trouver dans les profondeurs de l’Harmonde. Encore
ce qui leur est arrivé grâce aux Arts magiques ou à une fois, la conjuration d’un démon permettrait
l’Emprise. Là encore, peu de réponses. Leur Flamme est sans doute d’aplanir la plupart des difficultés, même
toujours présente, bien qu’elle semble amputée. Visiter si le prix de la connivence peut être élevé et piéger les
leur esprit par l’Accord donne une étrange sensation Inspirés dans les méandres des intrigues abyssales : les
de vide : toute vie semble avoir déserté leur paysage Hauts Diables sauront utiliser leurs serviteurs pour
mental balayé par les arpèges du souvenir. s’attacher les services d’agents aussi efficaces. On
S’ils s’adressent au Cryptogramme-Magicien, ils peut imaginer que des démons de Savoir connaissent
devront surmonter de nombreuses réticences avant de l’emplacement d’un portail temporaire (cf. p. 8).
comprendre que des mages de cette institution sont Évidemment, la voie royale reste Abyme et ses
eux aussi touchés. Non seulement ceux-ci – qu’ils se Passeurs noirs qui, curieusement, ne feront aucune
sachent Inspirés ou non – sont peu enclins à reconnaître difficulté pour emmener les Inspirés aux Abysses. On
qu’ils sont affaiblis, mais la plupart d’entre eux font prétend que leur embarcadère n’apparaît qu’à certaines
manifestement fausse route : ils ne parviennent personnes et qu’eux-mêmes choisissent leurs passagers
pas à voir plus loin que les intrigues internes au selon d’obscurs critères. Mieux vaut ne pas les vexer.

68
Éminence, si vos Inspirés choisissent cette voie, laissera instaurer un climat d’angoisse plus diffuse,
n’hésitez pas à vous plonger dans la lecture du roman plus insidieuse, ponctuée d’espoirs finalement déçus
de Mathieu Gaborit et dans les suppléments Abyme et, et d’initiatives malheureuses de la part de tous ceux
éventuellement, La Mécanique des ombres, pour offrir qui tenteront de résoudre la crise, mais plus sûrement
à vos Inspirés une visite digne de la plus belle ville des encore de tirer profit de la situation.
royaumes crépusculaires. Abyme elle-même peut se
révéler un terrain fertile pour une première enquête… La disparition du Grimacier, pour intrigante qu’elle
N’hésitez pas à broder en vous basant sur le début soit, ne bouleversera pas encore les Abysses. La plupart
du second mouvement, et à développer des intrigues des habitants tiennent ce Haut Diable pour quantité
parallèles à la mesure de la Cité des Ombres. négligeable et ne sont pas loin d’imaginer qu’il ne s’agit
que d’une nouvelle facétie du bouffon. Le petit peuple

Deuxième mouvement : des Abysses se moque des rescapés de son nocturium


et certains maltraitent avec joie ces démons privés de
protecteur. Seuls les plus perspicaces s’inquiètent de

À la découverte ce qui ressemble trop à la mort d’un Haut Diable et


saisissent ce que cela comporte de menaces pour tous.

des Abysses Lorsque Haborym disparaît à son tour, on comprend


mieux la gravité de la situation : non seulement le cas du
Grimacier n’est plus isolé mais un être aussi puissant
que le Haut Diable des Incendies peut être touché lui
Plus qu’une véritable intrigue, ce mouvement, aussi ! C’est la stupeur et une attente quelque peu
Éminence, est l’occasion de planter le décor du Drame, anxieuse qui prévaut tout d’abord.
et son évolution. Les Inspirés sont désormais aux Le mystérieux Yggdrasil n’est pas un Haut Diable de
Abysses et ne devraient plus les quitter avant d’avoir premier plan, mais sa disparition confirme ce que tous
récupéré leurs Âmes… Une fois le premier choc passé, craignaient : les Hauts Diables sont victimes les uns
il sera temps de nouer des alliances et de mener après les autres d’un mystérieux appel. On murmure
l’enquête, ce qui sera l’objet du troisième mouvement. bientôt que tous ressentent cette agression de leur
esprit. Les Hauts Diables résistent, mais pour combien
Nous nous attacherons ici à décrire les factions de temps encore ?
que pourront rencontrer vos Inspirés, des pistes Tandis que Moloch s’avère être la victime suivante,
d’interprétation et d’interactions, ainsi qu’une la terreur commence réellement à s’installer. On
chronologie qui vous permettra de faire évoluer les s’inquiète du peu de réactions de la Bête avant
Abysses au fil du Requiem de l’Ombre. d’apprendre qu’elle-même semble frappée d’une
stupeur surnaturelle. En outre, on constate que
les cauchemars (cf. p. 40-41 et Le Bestiaire p. 66)
La chute des Hauts Diables commencent à pulluler : les Hauts Diables eux-mêmes
ont peur ! C’est un aveu terrible qui n’est pas de nature
Éminence, lors de ce Drame, vous devrez faire sentir à à rassurer le peuple des Abysses…
vos Inspirés que la situation se dégrade progressivement. Avec la fin de Vermalryn vient l’angoisse de se
Ce qui ne semblait qu’une affaire personnelle s’avère retrouver isolé, voire piégé : sans les encres pour
bientôt être une crise majeure qui menace de ravager permettre la conjuration et tandis que les gardiens
les Abysses. Tout au long de l’enquête, il vous faudra protègent toujours les portails, comment s’échapper
mettre en scène la vie quotidienne des Abysses dans de la chausse-trappe mortelle que sont devenues les
un climat de révolution et de terreur qui ne fait Abysses ? S’agirait-il d’un siège ? Certains démons
qu’empirer à mesure que Haagenti s’empare de l’âme se rebellent et se réfugient dans les nocturiums
de ses semblables. abandonnés des victimes précédentes, à partir desquels
La chronologie que nous vous proposons ci-dessous a plusieurs rescapés, libérés du joug de la hiérarchie, se
pour objet de vous aider à mettre en scène ce crescendo. livrent au brigandage.
Elle ne comporte aucune date : il vous revient de C’est à peu près à ce moment que Vapula succombe
rythmer la disparition des Hauts Diables en fonction, à son tour et que les Hauts Diables réagissent
d’une part, du temps que vous consacrerez à l’enquête officiellement : tous ont commencé à mener leur
des Inspirés et à leur implication dans des intrigues enquête et affirment leur détermination face à la crise
parallèles, d’autre part, de votre mise en scène de que traversent les Abysses. Mais les luttes intestines
l’anarchie qui s’instaure progressivement aux Abysses. refont vite surface. L’idée que le responsable de la
Des disparitions très fréquentes vous permettront situation est l’un d’eux qui a enfin trouvé le moyen de
d’intensifier le sentiment de catastrophe et d’urgence, se débarrasser de ses frères s’impose rapidement. Reste
et de faire régner aux Abysses une véritable panique. à trouver le, ou les, coupables… Un climat de suspicion
Une dégradation plus lente de la situation vous généralisée s’instaure. Seul Haagenti déclare se retirer
à Iskaneraysh pour vouer son art à la protection

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spirituelle des Hauts Diables. qu’ils pourront apporter aux Inspirés sera dès lors bien
La disparition d’Ambucias passe inaperçue : nul ne se dérisoire. Les Abysses ne sont plus qu’un maelström
préoccupe vraiment de ce Haut Diable de second plan de Ténèbre dans lequel surnagent les rares nocturiums
mais les plus avertis – Jaranapale, Hécate – pressentent encore valides ; seule Iskaneraysh, devenue le fief
un piège du Haut Diable des Illusions, une disparition d’Haagenti et le refuge du peuple des Abysses ravagées,
orchestrée pour détourner l’attention de ses gardera une certaine cohérence et vos Inspirés se
agissements. Ou l’influence d’une entité qui craignait retrouveront seuls pour y affronter le Haut Diable de
l’esprit perçant du maître des complots ? Haagenti, Cristal à la veille de son assomption…
en réalité, venait de découvrir la subtilité de ce Haut
Diable sous-estimé, et le danger qu’il représentait…
Lorsque Thazi disparaît, les démons réalisent que
Les gardiens
l’autorité des Hauts Diables pourrait vaciller. Ou tout
du moins que les lois qui les assignent à résidence Si la chute du Grimacier est rapidement connue du
dans les profondeurs ne sont plus aussi inébranlables plus grand nombre, celle de la Bête sera étouffée le
qu’autrefois. Les tentatives d’évasion se multiplient. On plus longtemps possible par les Hauts Diables. Ceux-
s’aperçoit que les gardiens sont débordés, d’autant que ci ont l’habitude des longues absences du maître de
l’état de la Bête les prive d’une autorité incontestable : la Salle Métallique et ne se formalisent donc pas de
des intrigues et des luttes de pouvoir internes divisent son silence. Lorsque Haborym tombe, cependant, il
ses minotaures. De son côté, l’obsidien XIII (cf. L’Art de n’est plus temps de méditer et l’un des Hauts Diables
la conjuration p. 18) s’est convaincu qu’il revenait à son les plus courageux – Haagenti lui-même – ose tenter
organisation d’assurer la discipline parmi les démons : de le réveiller. En vain. Rien ne filtre hors de la Salle
l’état de la société abyssale pourrait les pousser à se Métallique, les maîtres des gardiens comme les
faire renégats. Il rappelle ses agents en surface et Hauts Diables pressentant la panique que pourrait
s’improvise en police des Abysses, entrant de fait en
concurrence avec celle des gardiens. Son initiative, Visions
toute pragmatique, fait cependant naître de nouvelles
rumeurs : les obsidiens ne seraient-ils pas responsables Chaque disparition d’un Haut Diable s’accompagne
de la situation ? Ils auraient organisé la chute des Hauts d’une crise d’hallucination des Inspirés. Éminence,
Diables pour prendre leur place… N’ont-ils pas déjà fait basez-vous sur l’exemple du Grimacier, sur les
disparaître Iskanera dans les temps anciens ? caractéristiques de chaque nocturium et chaque Haut
Tandis que les rumeurs accusatrices circulent, Diable dans ce Souffre-Jour pour leur décrire ces
que des démons rebelles tentent de s’enfuir ou de visions :
briser l’autorité des Hauts Diables, voire d’organiser Lorsque Haborym disparaît, ils voient son domaine
d’improbables coups d’État, que les gardiens se trembler et gémir comme sous l’effet d’un séisme
déchirent en luttes intestines et que les démons des avant-coureur d’une éruption volcanique. Le Haut
plus hauts cercles cherchent à se substituer aux Hauts Diable, sur son trône, est enveloppé d’épaisses fumées
Diables et à imposer leurs lois, non sans lutter les uns avant de tomber en cendres. Les flammes privées de
contre les autres, que des alliances se font et se défont, leur maître s’élancent à l’assaut du nocturium qui reste
que les factions adverses s’invectivent ou s’affrontent… la proie d’incendies incontrôlables.
bref, tandis que l’anarchie s’empare des Abysses, Le nocturium végétal d’Yggdrasil est frappé de
Arachnia, Haghério, Alhaë et Jaranapale sont les pourriture, une ignoble odeur d’humus en décomposition
victimes suivantes du Requiem de l’Ombre. s’y répand et le corps du Haut Diable lui-même tombe
en putréfaction à une vitesse effroyable, comme un
C’est à l’issue de cette période que vous devriez vous arbre mort rongé de parasites.
arranger, Éminence, pour que la chute de Develorn La fin de Moloch est marquée par un flot de larmes :
s’impose d’elle-même. La mélodie d’Haagenti ne son nocturium secoué de pleurs se liquéfie littéralement.
parviendra plus à briser les Hauts Diables survivants Les couleurs des encres de Vermalryn se mêlent en
tant que le plus dément d’entre eux n’aura pas une explosion psychédélique de teintes et de nuances
succombé, car la nature paradoxalement structurante avant de se résoudre en concrétions visqueuses d’un
de Develorn protège la cohésion des Abysses. Mais le brunâtre écœurant. Le nocturium de Thazi se délite en
Haut Diable de Cristal saura bien s’y prendre – grâce grouillements reptiliens, celui de Jaranapale tombe en
aux Inspirés – pour briser ce dernier rempart… poussière et les terres d’Alhaë en fragments de miroirs
Aussitôt que Develorn aura succombé, il sera vite aux reflets aberrants…
évident que s’employer à sa chute était une erreur : elle Et ainsi de suite ; dans tous les cas, on peut comprendre
s’accompagnera de la disparition de plusieurs Hauts que la matière même du nocturium retourne plus ou
Diables parmi les survivants – Verazia, Pan, Hécate, moins rapidement à l’état de Ténèbre pure. Beaucoup
Alastor, Salmac, Belphégor et Catharss. Qu’importe de démons périront ou perdront la raison, les survivants
alors, Éminence, la fréquence à laquelle vous déciderez trouveront des cachettes précaires ou s’enfuiront loin
de la disparition des derniers Hauts Diables : l’aide de leur domaine en déchéance.

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représenter son absence si la crise se confirmait. des Abysses. Il a discrètement pris contact avec des
Les gardiens, dans un premier temps, conservent démons influents – dont toute une faction de démons
donc leur position et leur rôle. Ils font preuve d’une d’Haborym, très tôt « libérés » par sa disparition, qui
neutralité méfiante envers les Inspirés, sauf envers les vivent assez mal l’idée que leur maître ait pu succomber
minotaures renégats et leurs compagnons, qui seront dans les premiers… – pour leur proposer une alliance et
l’objet du mépris le plus glacial – voire serviront de tenter bientôt un coup d’État en bonne et due forme.
cibles pour l’entraînement d’un groupe d’azurs… Pour l’instant, il rassemble des partisans mais il sera
Au-delà de la foule des gardiens anonymes se bientôt à la tête d’une petite armée hétéroclite non
profilent quelques personnalités plus marquantes qui négligeable. Il pourrait même proposer aux Inspirés
pourraient bien constituer des alliés majeurs – ou des de les rejoindre. Seront-ils assez subtils, diplomates et
ennemis redoutables. beaux parleurs pour le manipuler et tirer profit de cette
force de frappe afin de l’utiliser, par exemple, à la fin
Karklantos est un sable des plus puissants. du Drame pour désorganiser la cité d’Iskaneraysh aux
Véritable dictateur, il dirige la forteresse du Gouffre mains d’Haagenti ?
de Sangténèbre – vaste dédale de galeries courant
dans les profondeurs de l’Harmonde et aboutissant à Miktemhm est un illuminé. Gueule, gardien de la
un portail majeur perdu dans les monts Drakoniens, Salle Métallique, il a totalement perdu l’esprit en
un lieu maudit évité même par les plus inconscients découvrant la léthargie de la Bête. Il s’est autoproclamé
des automnins. Cette forteresse est perdue dans les prophète de l’Apocalypse et déclare à qui veut
méandres du Moloch-an-Arion, un lieu si inhospitalier l’entendre que les Abysses sont en train de s’effondrer,
que les démons eux-mêmes n’osent s’y rendre : une abandonnées par Noxe, à cause de la faiblesse de ses
mise à l’écart pour ce général qui a su s’attirer de dirigeants et de la dilution de la Ténèbre dans le sang des
solides haines par sa cruauté et son intransigeance. De gardiens : trop de renégats ont fui vers la surface, trop
nombreux gardiens se tourneront néanmoins vers lui de minotaures maigrichons – renégats en puissance,
pour diriger l’ensemble des troupes à la place de la Bête. trop « clairs » – sont nés ces dernières années et la
Sur ses instructions, les plus importants de ceux qui le dispersion et l’affaiblissement de ses enfants a causé la
soutiennent plaident pour que Karklantos soit nommé chute de la Bête. Les discours de Miktemhm dépendent
« Régent des Gardiens » et qu’on lui reconnaisse tout beaucoup de l’humeur du moment : parfois il pousse
pouvoir sur les minotaures, voire les Abysses entières. tous les habitants de Abysses à fuir vers la surface,
Il est clair pour la plupart que si la Bête venait à parfois il prône l’extermination des démons au service
mourir, Karklantos revendiquerait son trône dans la des Hauts Diables disparus, disqualifiés par le destin,
Salle Métallique, et nombreux sont ceux qui pensent parfois il suggère un suicide collectif, parfois il propose
que reconnaître ce tyran sanguinaire comme dirigeant un sacrifice de gardiens pour libérer l’Onyxium de leurs
absolu est une situation préférable à l’anarchie, sans cornes et sauver l’Ombre, etc. En tous cas il contribue
compter ceux qui aspirent avec conviction à le voir grandement à l’hystérie collective et à l’anarchie qui
imposer sa loi de fer… règnent aux Abysses. Facilement manipulable, on peut
le pousser à utiliser ses fidèles dans n’importe quelle
Sankteklamm est, pour ainsi dire, le bras droit de entreprise qui s’accorderait à ses visions apocalyptiques
la Bête. C’est lui le responsable de la mise à l’écart et mystiques du moment.
de Karklantos auquel il ne reconnaît que ses talents
de soldat, tout en méprisant sa cruauté et son
Karklantos est donc le champion des minotaures les
emportement. Ce sable jouit d’une image de gardien
plus veules et de toute une troupe d’azurs emportés
intègre, rigoureux mais pondéré. Il ne supporte pas les
par l’ivresse de leur puissance et de leur jeunesse.
élans de cruauté gratuite de Karklantos et la perspective
Sankteklamm a les faveurs de la vieille garde et possède
de devoir lui obéir lui est insupportable. Il sera le chef
en conséquence une influence majeure, qui s’effritera
de file du courant des optimistes qui attendent avec
peu à peu avec l’espoir de voir la Bête se réveiller.
espoir le réveil de la Bête. D’ici là, les gardiens doivent,
Les plus jeunes risquent de se lasser rapidement
selon lui, rester à leur place et poursuivre leur travail
de ce vieillard « sénile » et attentiste… Akteromhm
sans outrepasser leurs droits.
rassemblera rapidement autour de lui un groupe
d’ambitieux et de comploteurs afin de prendre le
Akteromhm est l’un des gardiens de la Salle
pouvoir tant par la manipulation que par la force.
Métallique. Ce gueule est devenu aigri et querelleur
Miktemhm dispose de l’attention d’un certain nombre
depuis un combat malheureux qui l’a laissé manchot.
de démons et de gardiens totalement désemparés, il
Depuis que la Bête a sombré dans l’hébétude,
Akteromhm nourrit des rêves de revanche et de
pouvoir. Il sera peut-être celui qui révèlera la faiblesse
de la Bête aux Abysses pour profiter de l’anarchie
ambiante et prendre le pouvoir par la force – celle des
gardiens, seule capable de mettre au pas les peuples

71
suffirait de l’accomplissement de l’une de ses « visions l’enthousiasme « naïf et dangereux » de Sserizia et aux
» pour que sa secte se transforme en une véritable espoirs de Thazi et Verazia.
armée…
La Gorgone est l’un des membres respectés du
Les succubes sixième cercle (cf. p. 94). Confiante dans sa suprématie
physique et morale sur les succubes, elle a cependant
Les succubes constituent une mine d’alliées inespérée : anticipé leur révolte et compte bien profiter de ce chaos
vouées au plaisir des puissants, elles en savent bien pour prendre définitivement la place de Thazi « une
plus qu’ils ne l’imaginent sur les intrigues, les alliances fois que les choses seront rentrées dans l’ordre ». Elle va
et les complots qui façonnent depuis des millénaires donc favoriser la révolte afin de mettre à jour la traîtrise
l’histoire des Abysses. Gagner la confiance de succubes des Hauts Diables et la révéler à la Bête. C’est un jeu
est l’un des meilleurs moyens de comprendre les dangereux que joue l’obsidienne : si un grain de sable
relations entre les Hauts Diables et d’en apprendre plus imprévu venait perturber ses prévisions, elle pourrait
sur leurs véritables relations. tout perdre… À moins qu’à l’inverse, les Inspirés
Les succubes vont rapidement, avec l’aide de Verazia et choisissent de se ranger aux côtés de la Gorgone afin
de Thazi, tenter de se libérer de la Gorgone (cf. encart). de s’attirer sa bienveillance, celle du sixième cercle et
Privée de l’appui des gardiens et de la Bête, celle-ci n’est des minotaures. Un choix sans doute cruel mais bien
plus qu’un obsidien isolé, haï de tous et de toutes. plus réaliste pour qui va tenter de soulever Iskaneraysh
L’aide des Inspirés, cependant, sera-t-elle décisive contre le Haut Diable de Cristal !
pour l’avènement des succubes ? Une telle alliance
leur offrirait le soutien de deux Hauts Diables, dont Anassienzia est une succube hautaine et raffinée,
la Maîtresse des Souvenirs qui saura peut-être trouver qui séduit pourtant par son audace et ses manières
dans leur mémoire l’événement qui les lie aux Abysses : entreprenantes. Amie de Sserizia – qui admire sa
la rencontre avec le piégeur d’âmes qui les marqua liberté d’esprit – elle est avant tout la favorite de
de l’Accord ténébreux. Peut-être saura-t-elle même Salmac : le Haut Diable de la Guerre lui a permis
identifier son allégeance – à n’en pas douter, Éminence, d’échapper à la maternité et elle lui est toute dévouée.
celle d’un Haut Diable quelconque, mais manipulé C’est pourquoi elle l’a informé des projets de révolte.
par Haagenti. Pourra-t-elle les aiguiller sur la piste de Salmac a immédiatement compris le parti qu’il pouvait
cette créature ? Sa capacité à explorer les souvenirs des en tirer : Anassienzia est pour l’heure chargée d’aider
démons lui permettrait en effet de remonter sa piste la rébellion – grâce à sa propre indépendance – tout en
ou de dénouer quelques écheveaux d’intrigues… Bien l’espionnant pour le compte de Salmac. Celui-ci tient
qu’elle ne puisse surpasser le pouvoir de Haagenti. prêtes plusieurs phalanges de ses démons : lorsque
Sserizia est l’une des nombreuses nièces de Verazia. La revolte des succubes
Elle fut l’une des compagnes de Szeriya lors de ses
Thazi et Verazia ne peuvent se permettre de mettre
explorations abyssales et garda de cette époque une
simplement un terme au règne de terreur de la Gorgone.
haine prononcée pour toute forme d’emprisonnement
Les gardiens ont toute confiance dans la geôlière et se
et de coercition. Enjôleuse et manipulatrice, quoiqu’un
retourneraient contre les deux Hauts Diables si ceux-
peu naïve, elle va tenter de rallier ses sœurs contre la
ci s’avéraient avoir rompu la connivence qui lie Thazi
Gorgone, mais ne pourra les convaincre d’agir : la peur
à ses pairs. Toute révolte venue des succubes elles-
de l’obsidienne est simplement trop profondément
mêmes risquerait également de se terminer dans un bain
ancrée dans le cœur de chaque succube. Désespérée et
de sang et de Ténèbre. Il faudrait une aide extérieure
prête à tout, elle offrira n’importe quoi aux Inspirés
pour venir à bout de l’obsidienne, mais quel fou oserait
pour leur aide.
se dresser devant une telle créature ? À moins que les
Inspirés ne parviennent à gagner le soutien d’au moins
Malcsztaëe est une jeune succube brisée par les
un autre Haut Diable – Belphégor, tout entiché de son
Abysses. Trop fragile, trop sensible, elle est devenue au
idée d’un décan de la nuit, est sans doute le mieux
fil des mois l’esclave « volontaire » des minotaures et de
placé pour tenir ce rôle – ou d’un groupe d’obsidiens,
leur terrible alliée, la Gorgone. Nulle influence magique
il est illusoire de prétendre aider les succubes… La
ni torture là-dedans : la succube s’est simplement pliée
meilleure chance des Inspirés réside sans doute dans
à la loi du plus fort et a intégré une logique perverse
les tensions qui fragilisent le sixième cercle, ou dans
d’acceptation et de soumission, position confortable
la manipulation fructueuse des gardiens : un groupe
invoquant à la fois les notions de « devoir » et de
de sables et de gueules serait capable d’abattre la
« réalisme ». Construits et argumentés, ses discours
Gorgone avec l’aide des Inspirés. Akteromhm, avec ses
appellent à la raison et offrent un refuge aux succubes
troupes, semble le candidat idéal, surtout si on lui offre
terrorisées. Elle est l’un des freins les plus pervers à
l’occasion d’affaiblir Karklantos en provoquant l’échec
des manigances de Salmac allié à ce Gardien

72
la révolte éclatera, ils imposeront leur aide pour la artistique. Ses œuvres, désormais abstraites, suscitent
mater. Grâce aux informations d’Anassienzia, Salmac une grande émotion et même si la plupart des démons
compte jouer les sauveurs providentiels, mais une fois y sont insensibles, ils jouent à les apprécier. Durant leur
l’ordre rétabli ses démons s’octroieront sans vergogne enquête, les Inspirés pourraient apprendre l’existence
la tâche de « seconder » la Gorgone. L’objectif du Haut de cette âme d’artiste et s’ils ont découvert en surface
Diable reste raisonnable : il ne compte pas s’emparer l’un de ses autoportraits, ils seront capables d’identifier
totalement des succubes mais seulement occuper le l’ectoplasme. Vermalryn pourrait bien devenir alors
terrain. Thazi et Verazia – menacées de dénonciation – très suspect à leurs yeux, d’autant plus qu’il n’a guère
tout autant que la Gorgone – accusée d’incompétence – d’explication à fournir : il a obtenu cet artiste fantôme
seront alors forcées d’accepter de partager leur pouvoir par hasard, il ignore tout de lui et ne le considère
sur les succubes. guère mieux qu’un jouet anodin. C’est en vain que les
En temps normal, les gardiens auraient rétabli Inspirés tenteront de communiquer avec Almnestre :
l’équilibre et remis les troupes de Salmac à leur place. il est mutique, égaré, amnésique… Cette âme est bel
Mais la situation actuelle est propice à la réussite de et bien brisée, seulement capable de ressentir des
son coup de force. Salmac va tenter de s’assurer le émotions et de les transcrire en œuvres picturales – un
soutien de Karklantos : en échange de la promesse peintre Inspiré assez doué pourra deviner à la vue de
d’obtenir les services des meilleures mères pour ses ses tableaux que c’est surtout la terreur et le chagrin
partisans et du soutien de Salmac en cas de prise de qui le hantent…
pouvoir sur les gardiens, le sable pourrait accepter Bref, la découverte d’Almnestre restera frustrante
d’entériner officiellement le rôle des troupes du Haut mais aussi inquiétante : est-ce là tout ce qui attend
Diable comme geôliers des succubes. leurs Âmes piégées aux Abysses ?
Qu’ils soutiennent les rebelles pour complaire à Thazi
et Verazia ou qu’ils aident la Gorgone pour s’attirer De tous les téméraires qui descendirent aux
ses bonnes grâces, les Inspirés impliqués dans l’affaire Abysses, Baruck d’Avernuis fut le seul à revenir. Né
devront rapidement démasquer Anassienzia s’ils ne en 1365, Baruck était un Inspiré prometteur : mage
veulent pas que Salmac soit le seul vrai vainqueur… obscurantiste, accordé de la flûte et adepte de la Geste,
il est surtout connu des artistes comme un poète
baroque de grand talent : même si la moitié de ses
Les cobayes œuvres sont supposées apocryphes, elles sont toujours
éditées dans les grandes cités de l’Harmonde. Aux yeux
Ces pauvres victimes des essais de Haagenti pourraient
des ternes, Baruck passe presque pour un personnage
fournir des indices primordiaux dans leur enquête…
de fiction tant sa vie fut tumultueuse, mais des Inspirés
voire des alliés de premier ordre. Les Inspirés sauront-
pourront reconnaître en lui un champion des Muses :
ils découvrir leur existence et comprendre le mal qui les
tour à tour capitaine d’une compagnie de mercenaires
frappa des années avant Le Collet des âmes ?
keshites, chasseur de Vestiges, connétable d’un baron
urguemand, conseiller d’une noble carme, et même
Sybilisse Delisciente, poétesse et claveciniste au
bibliothécaire à Sombreçonge, on peut lire entre les
front tatoué d’une ombre de soleil – terme héraldique
lignes de sa biographie qu’il combattit le Masque
désignant un soleil noir –, fut une séductrice cruelle
sur tous les fronts… jusqu’à ce jour de l’an 1407 où
que les mécènes enamourés se disputaient, jusqu’à ce
tout son génie artistique le quitta. Comme d’autres
qu’elle perde tout son talent en 1346 et disparaisse,
victimes avant lui, il chercha la solution directement
après quelques mois d’errances, de la surface de
dans les Abysses. Tenu pour mort, il reparut pourtant
l’Harmonde (cf. p. 95).
en 1412. Il informa ses amis qu’il avait « sauvé son
âme » et son art. Ses proches le trouvèrent pourtant
Almnestre Menestrad était un peintre renommé
tellement changé qu’il passa pour un imposteur aux
qui vécut au début du treizième siècle. Ses tableaux
yeux de certains. Des lecteurs bien informés peuvent
témoignent d’une prédilection pour le vert et prennent
comprendre au récit des exactions qui suivirent son
volontiers des distances avec le réalisme figuratif. Il
retour que Baruck était profondément marqué par la
mourut peu après sa descente aux Abysses. Rescapée
Ténèbre – scarifications, insomnies, déviances sexuelles.
du nocturium d’Haagenti, son âme en peine est
Son dernier recueil de poèmes, publié à Ranne, fut mis
aujourd’hui entre les mains de Vermalryn : l’un de ses
à l’index en Province liturgique, et la réprobation de
démons la découvrit autrefois et l’offrit à son maître.
ses orgies barbares le força bientôt à l’exil. Il disparut
Informé de l’événement, Haagenti laissa faire car ce qui
en 1425 mais des enquêteurs consciencieux pourront
reste d’Almnestre n’est pas en mesure de lui nuire. Son
trouver mention d’un Advocatus Diaboli qui officia
âme semble privée de mémoire et la peinture est son
en Abyme après 1428 sous le nom de « Baruques
seul langage, le seul objet de ses pensées. L’ectoplasme,
l’Avernois ». Simple coïncidence ?
entre deux périodes d’apathie, s’adonne à la peinture.
En réalité, le destin de Baruck d’Avernuis le mena
Il est indéniable qu’il dispose de tout son talent
dans les rangs du Haut Diable de Cristal… mais cela, les

73
Inspirés ne pourront probablement le découvrir qu’à Organisations), Bors de Gard, Sorgue ou Sophonyse (cf.
Iskaneraysh, dans la troisième partie de ce Drame. Dramatis Personae)…
Les Inspirés Félons et Masquards
Éminence, vos Inspirés sont loin d’être les seuls Les Inspirés ne sont pas les seules victimes du Collet
à arpenter les Abysses. Nombre de compagnies ou des âmes. Toute Flamme intéresse le Haut Diable de
d’Inspirés solitaires mènent leur propre enquête, créant Cristal, et Déchus, Félons inspirés et Masquards ne
une myriade de possibilités pour enrichir ce Drame. sont pas épargnés. Il faudra sans doute un curieux
Outre les personnages proposés ici, nous vous invitons hasard, ou une enquête bien menée – peut-être en
à faire intervenir ceux qui auraient pu croiser la route auront-ils l’intuition ? – pour le découvrir.
de vos Inspirés lors de Drames antérieurs. N’hésitez pas Éminence, ces personnages sont les ennemis
non plus à user et abuser des personnages présentés traditionnels de l’Inspiration. Leur existence entière se
au fil de la gamme Agone : Corébande, Malevergne (cf. voue au service de leur Maître, même s’ils se déchirent
Le Violon de l’automne), Magnence de Kercyan (cf. Les en luttes intestines. Lorsqu’ils réaliseront qu’ils ne
sont pas les seules victimes, les serviteurs du Semblant
pantins de hautbois tenteront de découvrir la force capable de piéger ainsi
Un dénominateur commun les serviteurs des Muses comme ceux du Semblant.
En dialoguant avec les autres Inspirés, les joueurs Les hypothèses sont multiples – Janus, le Masque lui-
pourront découvrir qu’ils ont tous été victimes d’un même, l’Ombre, Noxe, un Haut Diable…
piégeur d’âmes à un moment ou un autre – voire que Leur réflexe commun sera de se faire passer pour de
toutes ces créatures étaient porteuses des trois stigmates simples Inspirés, et de manipuler ces derniers sans
de cristal. Il leur faudra faire preuve de rigueur dans forcément gâcher leur potentiel. Ils les utiliseront s’ils
leurs questionnements ou d’une intuition particulière le peuvent mais éviteront de les envoyer dans des pièges
pour obtenir cette information : l’événement a en effet mortels – la lutte contre l’Inspiration passe après leur
été oublié par la plupart des victimes, s’il n’est pas sécurité !
tout bonnement passé inaperçu. Peut-être les Inspirés Comment réagiront vos Inspirés en découvrant leur
ne s’en inquiéteront-ils qu’assez tardivement, pour présence aux Abysses ? Une trêve, voire même une
confirmer un soupçon sur les particularités de leurs alliance, sera-t-elle déclarée ? Les faux-accords offrent
véritables ennemis. l’une des meilleures chances de vaincre le Requiem de

Le consei l des decans


Les nobles et purs membres du Conseil des Décans n’ont pas été plus épargnés que votre compagnie, Éminence.
Bien qu’ils soient censés ne jamais prendre part à l’action – pour se préserver de la corruption – la réalité des
royaumes crépusculaires les rattrape, et Haagenti a pris certains d’entre eux au piège du Collet des âmes.
La soudaineté de la crise, cependant, les prend de court et ce n’est que deux semaines après le cauchemar que le
conseil parvient à se réunir dans une tour oubliée du Quartier des Hasards, en Abyme.
Las, Ipsoum le Matois et Kaolin Skaledur, sigiles farfadet et nain, se sont déjà précipités tête baissée dans les
Abysses en craignant une nouvelle traîtrise d’Agone (cf. les nouvelles des suppléments). Comme de nombreux
Inspirés, ils vont mener leur propre enquête sans chercher à faire valoir leur autorité. Ils iront tout d’abord rendre
visite à Maspalio, pensant qu’il est lié à la mort du Grimacier. Il leur sera très difficile d’obtenir un discours cohérent
du Génie qui semble avoir été traumatisé par la disparition du bouffon : paranoïaque à l’extrême, le farfadet s’est
retranché dans le Sanctuaire des Abysses (cf. p. 78) et agresse tous ses visiteurs. L’ancien Prince Voleur n’est plus
que l’ombre de lui-même et la visite des deux sigiles, inquiets et soupçonneux, ne fera rien pour arranger les choses.
Ceux-ci vont d’ailleurs partir à la recherche d’un accordé pour explorer la mémoire du Génie… Une tentative vouée
à l’échec et basée sur de mauvaises hypothèses, mais qui devrait les occuper jusqu’à ce qu’ils se rendent compte que
le Drame dépasse de loin le Génie.
Éséothyle, Squalmis, Virgilène Lapoigne et le nouveau sigile minotaure, Dédale Thésinos, décident rapidement
de se rendre eux-mêmes aux Abysses. S’ils en veulent à Skaledur et Ipsoum pour leur précipitation et leur tendance
à œuvrer en solitaire, ils leur font néanmoins confiance et reconnaissent leur connaissance supérieure des Abysses.
S’ils désirent les retrouver, ils vont cependant rapidement tenter de fédérer les Inspirés disséminés en Outrerive. Leur
quête risque de se heurter à l’incrédulité et à la méfiance de beaucoup d’Inspirés, mais il est probable que certains se
rangent sous leur bannière, que ce soit par confiance ou en désespoir de cause. N’hésitez pas, Éminence, à les utiliser
pour guider vos Inspirés ou les réorienter s’ils se perdent dans un Drame trop ouvert.
Les autres sigiles, à l’inverse, prônent la modération et l’envoi d’une compagnie d’Inspirés sur place. Horwace et
Ophéline notamment comptent bien enquêter depuis Abyme. Dame Algyria, elle, préfère se reposer sur l’expérience
de Myriade, sa sœur ténébreuse, et celle de sa saranae Dedascazë. Leur enquête se focalisera sur le rôle nébuleux de
Hécate dans le cycle de l’Effroi. Quant à Malicène, il n’est plus lui-même depuis la trahison d’Agone et les autres
sigiles pensent à le remplacer… mais il n’est plus temps !

74
l’Ombre, mais les Inspirés ne le réaliseront que très succès croissant. Vos Inspirés le rencontreront-ils aux
tard… Trop tard ? côtés d’un Haut Diable, le conseillant comme s’il était
son élève ? Ou entendront-ils parler de ce personnage
Vlastev Trepanov est une sommité parmi les mystérieux qui rend visite aux maîtres des Abysses en
musiciens de l’Harmonde. Directeur du prestigieux se comportant comme leur seigneur ? Verront-ils en lui
conservatoire de Tslana, un haut lieu de la création l’instigateur du vol des Âmes, ou de la chute des Hauts
musicale reconnu à travers tout l’Harmonde, il ne se Diables ? S’allieront-ils à Ambucias ou à Salmac pour
produit qu’à la cour des plus hauts princes des onze se débarrasser de cette incarnation de la Menace, au
royaumes. Passée la surprise, voire la fierté de le risque de provoquer l’ire du Masque ? Ou réaliseront-
rencontrer en personne, les Inspirés risquent d’être ils qu’il est, comme eux, une victime ?
quelque peu déconfits, sinon effrayés : ils finiront
bien par découvrir que ce charismatique princéen, Falaciène de Sombreçonge est une farfadine
aristocrate décadent, musicien de génie et célèbre éclipsiste dont la Flamme succomba récemment à
intrigant est un Félon ! la corruption. Espionne, manipulatrice, elle sert le
Imbu de sa personne et sûr de son talent comme Semblant dans l’ombre, et si elle ignore tout des Arts
de son pouvoir, mais furieux de se découvrir privé de magiques et du Faux Accord, elle est persuadée que
son âme d’artiste, Trepanov a gagné les Abysses sur les Masquards sont plus efficaces pour organiser les
le pied de guerre, en s’entourant de plusieurs gardes Drames que pour les résoudre. C’est pourquoi elle
du corps, disciples et serviteurs. Il a bien vite établi compte davantage sur les Inspirés que sur ses pairs pour
son quartier général dans le nocturium pourrissant dénouer la crise. Dotée d’un esprit retors mais ouvert,
d’Yggdrasil, avec la ferme intention de traiter d’égal à elle se proposera tacitement comme entremetteuse
égal avec les Hauts Diables. Il devra sans doute mettre entre les Félons et les Inspirés. Elle a bien conscience
rapidement de l’eau dans son vin en découvrant que la que si ces derniers semblent trop proches d’elle,
situation est moins simple que prévu, mais se gardera toutefois, elle sera discréditée aux yeux de ses pairs,
bien d’avouer son désarroi. Au contraire, passée une c’est pourquoi elle s’emploiera à railler et humilier les
période de flottement, il s’adaptera aisément à la Inspirés tout en cherchant à les séduire et les soutenir.
société abyssale – il signera une connivence pour faire Les Inspirés comprendront-ils ses motivations derrière
installer un clavecin démoniaque dans son nouveau son jeu ambigu et sauront-ils subir avec une humilité
fief, par exemple – et s’imposera peu à peu comme stratégique les brimades de Falaciène pour tirer parti
l’une des personnalités les plus marquantes parmi les de sa médiation ?
victimes du vol des âmes.

Guillaume de Moughende est l’arrière grand-oncle


de l’actuel baron Phénicène (cf. Dramatis Personae p.
14). Le complot qu’il ourdit avec quatre autres barons peri peties
félons resta dans les mémoires comme l’une des Voici un échantillon de la folie qui frappe les Abysses,
crises les plus sévères traversées par Urguemand. Déjà Éminence. N’hésitez pas à l’utiliser pour plonger
gangrené par la Perfidie, il tenta de renverser son frère, concrètement votre compagnie dans ce chaos !
baron de Moughende, et de placer l’un de ses alliés à la Un céruléen, Infiltré nocturne, prend contact avec
tête du royaume en faisant éclater une série de scandales vos Inspirés. Il sait qu’ils mènent l’enquête à la fois sur
pour déstabiliser les barons, déclenchant par la même la perte de leurs propres âmes et sur la disparition des
occasion trois guerres en Urguemand. C’est Erdhence Hauts Diables. Or il a des informations à leur vendre :
de Rochronde, le père d’Agone, qui dénoua le complot d’après lui, des démons qui ont de façon très frappante
et sauva le pays en livrant au Premier Baron la tête des une ressemblance physique avec les Inspirés sont
« Cinq Félons ». Guillaume de Moughende, malgré retenus prisonniers dans un fortin de gardiens, très bien
toutes les apparences, survécut. Il devint un Colporteur protégé et dont l’entrée est interdite à tout démon. Il
de Noirceur (cf. AGONE p. 274) et l’une des principales se propose, avec quelques amis et contre rémunération,
menaces pour les Inspirés urguemands. Lorsqu’il fut, lui de les aider à s’emparer de ce fortin pour mettre à jour
aussi, victime du Collet des âmes, il gagna rapidement ses secrets et pour libérer les démons emprisonnés.
Abyme pour s’enfoncer dans les profondeurs abyssales. Les Inspirés sauront-ils comprendre, avant de se
Son apparence sans équivoque lui interdit de se faire lancer dans un assaut aventureux, que ce démon tente
passer pour un Inspiré. Qu’importe ! C’est par la force de se servir d’eux ? Le céruléen, en effet – peut-être
qu’il plie ses alliés et plusieurs démons et Félons se poussé par quelqu’un d’autre ? – est simplement l’allié
sont rangés sous sa bannière nécrosée. Guillaume de d’autres démons rebelles, lesquels ont été capturés par
Moughende va tenter de soumettre les Hauts Diables des gardiens au cours de tentatives d’évasion, coups de
à sa volonté en jouant de son autorité et de la menace force, etc. Il espère manipuler ces crédules étrangers un
du Semblant. En effet, l’ancien noble urguemand peu perdus – mais apparemment puissants, et surtout
semble inspiré par le Masque lui-même. Son port royal indépendants – que sont les Inspirés pour organiser
lui confère une aura d’autorité exceptionnelle et sa l’évasion de ses amis.
maîtrise de la rhétorique et des intrigues lui assure un

75
Troisième mouvement  : conjurateurs à la Ténèbre ne suffira pas à faire oublier
que la plupart d’entre eux ont toujours considéré
l’Ombre et ses enfants comme des ennemis…

Enquête dans N’oubliez pas non plus que chaque disparition sera
l’occasion de faire vivre une vision appropriée à vos

les Abysses Inspirés, sur le modèle de celle du Grimacier (cf. p. 65).


Qu’adviendra-t-il si les peuples des Abysses se rendent
compte qu’à chaque disparition, les Inspirés tombent
en catatonie ? Pire, qu’ils vivent les derniers instants
Les Inspirés, Éminence, ne pourront survivre aux des Hauts Diables !
Abysses sans composer avec ses habitants. Conflits Les plus « primaires », ou les plus paranoïaques
d’intérêts, paranoïa ou simple hostilité vont plonger risquent fort de réagir violemment en suspectant un
votre compagnie au cœur des intrigues démoniaques ; complot de l’Inspiration. L’idée d’une conquête fait
combien de temps leur faudra-t-il pour réaliser son chemin et de nombreux démons commencent à se
qu’ils vont avoir besoin d’alliés ? Les divers groupes comporter en milices. Si ce n’est déjà fait, il devient
d’influences présentés dans le second mouvement urgent pour les Inspirés de s’assurer le soutien de
offrent déjà un panel varié qui doit vous permettre protecteurs puissants, démons des plus hauts cercles ou
d’amener vos Inspirés à réaliser qu’ils n’arriveront à Hauts Diables en personne, s’ils souhaitent pouvoir se
rien seuls. Ils vont probablement chercher à établir déplacer sans être en butte à d’incessantes agressions…
des alliances avec d’autres victimes du Collet des
âmes, mais cela ne pourra suffire. Seuls les démons, Taramtramtaram le Tambour, Celui qui enrôle est
les peuples de l’ombre et leurs maîtres possèdent les un safran. Particulièrement borné, mais baratineur
clefs de cet univers intrinsèquement étranger. Voici hors pair, il a monté des opalins contre les Inspirés en
quelques exemples de réactions accompagnées de clamant que ces intrus étaient responsables de la mort
développements possibles… des Hauts Diables et excité les esprits des démons les
plus stupides et vindicatifs contre eux. Une petite bande
d’opalins menés par un azurin va donc se jeter sur les
Peurs et conf lits Inspirés dans le but de les lyncher. Il n’y a aucun moyen
de les calmer, les arguments diplomatiques n’auront
Les peuples des Abysses comme leurs maîtres vont aucun effet, les Inspirés n’auront guère d’autre choix
rapidement découvrir que les Inspirés arpentent que de faire un massacre parmi ces opalins fanatisés.
leurs terres. La relation ambiguë qui lie les Inspirés S’ils capturent le Tambour, toutefois, et menacent de le
livrer à un Haut Diable ou un obsidien qui les protège
La revanche des conjures officiellement, ils pourront obtenir de lui la promesse
de bien des services… Il ne sera qu’un piètre agent, peu
Éminence, vos Inspirés sont peut-être conjurateurs ?
soucieux de les aider sous une telle contrainte, mais
Cette visite aux Abysses peut alors les amener à
ferait pour cette raison un excellent pion pour une
retrouver certains démons qu’ils ont invoqués par le
mission-suicide.
passé. N’abusez pas de ces rencontres – statistiquement
assez improbables tout de même – mais ne vous
privez pas de mettre en scène quelques retrouvailles Voler des Âmes ?
cocasses… ou dramatiques ! En effet, des Inspirés
conjurateurs se sont peut-être servis de démons comme Certains, parmi les plus subtils, chercheront sans
des outils, vivants et bien pratiques mais peu dignes doute à comprendre le lien entre la disparition des
d’attentions particulières. Or le rapport de force est premiers Hauts Diables et le vol des Âmes. Pour autant,
aujourd’hui inversé : les démons sont à l’aise dans cet les pouvoirs ténébreux n’offriront pas plus de réponses
environnement qui déroute sans doute les Inspirés. Les que l’Emprise ou les Arts magiques. Que peut-on
retrouvant dans ce contexte, comment leurs anciens bien faire d’une Âme ? Ces fragments humains étant
serviteurs – libres cette fois de toute connivence – les parfaitement inutiles, la mode des pactes est passée.
considéreront-ils ? On se souvient pourtant que Belphégor avait tenté
Peut-être les Inspirés regretteront-ils amèrement autrefois de créer des créatures de métal et de Ténèbre
d’avoir maltraité ou humilié un démon désormais contrôlées par un cerveau humain. On se rappelle
capable de se venger ! Même d’humbles opalins sont aussi qu’Yggdrasil avait fait des expériences mêlant
en mesure d’empoisonner l’existence des Inspirés… Sève, Ténèbre et Âmes mortelles. Alastor lui-même
À l’inverse, si des conjurateurs ont particulièrement n’avait-il pas envisagé la création d’une prison d’un
bien traité certains démons invoqués, ils pourraient genre nouveau, où l’on torturerait les âmes humaines
se découvrir ici-bas des amis inespérés – ou du moins désincarnées, devenues immortelles ?
quelques guides bien disposés. Ambucias, Haut Diable des Illusions, pressent

76
l’influence complexe et retorse de l’un de ses pairs dans supérieure qui les manipule. Et Catharss s’imagine bien
la crise qui frappe les Abysses. Il est persuadé que l’on retourner la puissance de ces « victimes » contre celui
tente de détourner l’attention du véritable Drame et qui veut renverser les Abysses – qu’il soit un Éternel ou
va donc chercher à en savoir plus sur ces mystérieux une simple instance de mortels. Il va donc approcher
Inspirés qui prétendent qu’on leur a volé leur Âme. les Inspirés sous l’identité d’un simple carmin afin de
Pour lui, la mort du Grimacier et celle d’Haborym ne mieux comprendre les raisons de leur présence aux
sont que poudre aux yeux, des manœuvres organisées Abysses – comme beaucoup de créatures démoniaques,
par une tierce partie ou par le Bouffon lui-même Catharss est assez naïf et s’imagine volontiers retors
– Haborym serait bien incapable d’une telle subtilité et machiavélique : il n’imagine simplement pas
mais le Grimacier a fait ses preuves lors de la Romance –, qu’un mortel puisse percer à jour un Haut Diable.
dans le but de détourner l’attention des Hauts Diables. La rencontre, Éminence, devrait être terrifiante :
Pour dissimuler l’arrivée des Inspirés ? S’il s’agit bien chaque mot de Catharss porte le poids d’une menace
d’une conquête organisée par leurs instances – peu indicible ; ses sourires malsains glaceraient d’Effroi
probable – ou par une autre force, qui les manipule ? le plus endurci des bourreaux liturges : Catharss est
Janus ? Le Masque ? Ou bien est-ce seulement pour ne l’incarnation de la souffrance, de la douleur, de la part
pas attirer l’attention sur l’étrange malédiction qui les « démoniaque » cachée en chaque mortel (cf. p. 35).
frappe ? Et cette créature qui se prétend « simple » carmin
Le Haut Diable des Illusions va donc approcher ordonne aux Inspirés, sous couverts de politesses, de
les Inspirés et recueillir leurs témoignages, les s’allier à lui pour « résister », « renverser celui qui les
recouper avec ses sources d’informations abyssales manipule », « sauver les Abysses »… Avant de s’oublier
et les déclarations de ses frères, mener une enquête et d’offrir sa protection lors de leurs enquêtes… Des
perspicace qui le mènera sans doute très près de la Inspirés assez perspicaces devraient pouvoir mettre à
vérité… avant sa disparition orchestrée dans l’urgence jour le Haut Diable et tenter de le manipuler – un jeu
par Haagenti menacé. Il peut constituer un allié de dangereux mais ô combien gratifiant, surtout s’ils sont
premier choix pour les Inspirés mais il est probable assez fins pour réussir. Un brin de flatterie, beaucoup
qu’il ne leur offrira son aide que si ceux-ci lui rendent la de soumission, et les Inspirés pourraient gagner un
pareille : les envoyer dérober un document à Jaranapale allié de poids… tout en craignant à chaque instant que
– l’occasion pour vos Inspirés de tomber sur ses notes celui-ci réalise l’entourloupe et se retourne contre eux !
concernant Ambucias (cf. p. 24) – ou sur d’autres
documents stratégiques ; les charger d’étudier par
l’Accord l’esprit de la Bête ; ou d’autres tâches à l’utilité
Fascinés ?
moins évidente mais certainement primordiales pour
Le peuple des Abysses est fasciné par les sociétés de la
l’agenda complexe du Haut Diable.
surface de l’Harmonde, au point d’en copier les usages
– sans comprendre qu’il se livre ainsi à une pathétique
Des alliés ? caricature. Certains habitants, sans jamais l’avouer,
verront l’arrivée de si nombreux Inspirés d’un assez bon
D’autres, enfin, chercheront à gagner les faveurs œil : enfin la surface s’intéresse à leurs profondeurs !
de vos Inspirés – on ne sait jamais. Qu’ils soient les Aussi nombre de démons accueilleront-ils ces visiteurs
instigateurs de la crise ou simples pions, leur puissance avec plus de curiosité que d’hostilité. Des sentiments
est loin d’être négligeable… Il serait sans doute amusant bienveillants et rassurants… en apparence ! Les Inspirés
– ou terrifiant – de voir un obsidien ou un Haut Diable comprendront vite que l’on attend d’eux non pas
contacter secrètement les Inspirés pour leur proposer qu’ils témoignent de la vérité de l’Harmonde mais
une alliance dans laquelle il n’a rien à gagner… plutôt qu’ils cautionnent les interprétations faussées
et souvent contradictoires de chacun. Ils risquent de
C’est Catharss, Haut Diable des Craintes et des se retrouver impliqués dans des situations absurdes,
Douleurs, qui fera ainsi le premier pas vers les forcés de participer à d’effroyables mascarades…
Inspirés. Le Haut Diable a rapidement réalisé que la mais détromper sans précautions ces créatures qui se
disparition du Grimacier signait le début d’une crise veulent cordiales peut s’avérer extrêmement dangereux
sans précédent : le Bouffon pouvait être pitoyable et : rien n’est pire qu’un dévot déçu par l’objet de son
pathétique, il n’en était pas moins un Haut Diable, et adoration !
sa disparition sonne trop comme un essai… Quant aux
Inspirés, ils incarnent tout ce que redoute Catharss : C’est apparemment animé par ce genre de
ceux-ci ont toujours réussi à faire échouer ses plans sentiments que Pan approchera les Inspirés – surtout
les plus machiavéliques pour propager la souffrance si leur compagnie comporte un satyre. Si les premiers
sur l’Harmonde… Des némésis, des persécuteurs, contacts par démons interposés sont encourageants,
l’antithèse du pouvoir des Abysses. Le Haut Diable est il leur réservera un accueil presque chaleureux –
certain que ceux-ci sont en fait les pions d’une puissance ambassadeurs de la surface et hôtes du célèbre Haut

77
Diable des Incubes. Il leur promettra sa protection, Le premier réflexe des gardiens et des Hauts
le secours de ses fidèles, sa connaissance de la société Diables, lors de la chute de Haborym, a été de faire
abyssale, etc. en échange d’une allégeance en bonne évacuer la Salle Métallique et de maintenir le secret.
et due forme : que les Inspirés se reconnaissent les Progressivement, les gardiens vont décider de monter
vassaux de Pan et ils seront ici chez eux ! une supercherie : ils vont faire courir le bruit que la
Pan saura rendre sa proposition séduisante, Éminence. Bête lutte contre la menace qui fait vaciller les Abysses,
S’ils acceptent le marché, il leur ouvrira les portes de ce pour quoi elle reste si absente. Les démons vont
son nocturium et ses démons pourront répondre à donc petit à petit réintégrer les lieux et reprendre leurs
bien des questions sur la vie quotidienne des Abysses. habitudes, quoique les Hauts Diables se montrent
Ils entraîneront surtout les Inspirés dans de fastueuses rarement… Lorsque leurs frères tombés deviendront
orgies – si licencieuses qu’elles sont source d’Effroi trop nombreux – à vous de juger, Éminence, de
autant que de plaisir… Mais il sera rapidement évident l’opportunité de ce moment – les Hauts Diables se
que le Haut Diable des Incubes espère seulement faire rassembleront dans la Salle Métallique pour tenir
d’eux des Ténébreux à son service et ne souhaite pas les conseil et tenter de concerter leurs efforts. Selon le
aider davantage à résoudre la crise. moment auquel vos Inspirés décideront de se rendre
En réalité Pan mettra beaucoup de temps à réaliser dans ce haut lieu des Abysses, ils pourront y trouver ou
l’ampleur de la menace qui pèse sur tous les Hauts non les Hauts Diables et leurs lieutenants… À vous de
Diables : selon lui, ceux qui ont succombé à l’appel – choisir ce qui conviendra le mieux à votre Drame et à
auquel lui-même résiste jusqu’à présent – n’étaient l’attitude choisie par vos Inspirés – se plonger dans les
que des faibles dont la disparition est plutôt une bonne intrigues des Hauts Diables, enquêter en solitaire, etc.
chose. Les Hauts Diables dignes de ce nom finiront bien
par trouver le coupable et le châtier ! Ses soupçons se Le siege de la salle metallique
porteront sur Belphégor puis sur Hécate : il enverra Lors de la chute de Haborym et de l’effondrement
quelques démons en quête de preuves, persuadé que de son nocturium, ses démons désemparés vont
le coupable cessera ses exactions aussitôt qu’il sera rapidement se fédérer autour de Séphyros, le sénéchal
découvert. D’autant qu’il ne saurait mettre réellement des volcans. Ce puissant vermillon dirige depuis des
en péril des Hauts Diables aussi puissants que Haagenti, siècles une armée de pyromanes dont l’objectif est la
Verazia, Alastor… Encore moins Pan ! destruction par le feu des Abysses et de l’Harmonde.
Quant à la quête des Inspirés… Une âme ? Quel Discrètement orientés par d’autres Hauts Diables,
intérêt ? Que ces mortels s’en passent ! S’il tente ils consacrent leurs efforts à l’érection de montagnes
d’enrôler les Inspirés parmi ses serviteurs, c’est qu’ils de feu chargées de noyer les cités humaines sous un
sont pour lui un ornement original à son nocturium : déluge de lave et de cendres. Leur principale tactique
des animaux de compagnie qui rappelleront à tous que est la recherche et la corruption d’Excellences ou de
Pan est un prince ! Il est l’un des rares Hauts Diables Merveilles liées au feu…
à arpenter parfois l’Harmonde et il entend signifier à La réaction du sénéchal à la disparition d’Haborym
tous que les mortels de la surface se soumettent à lui ! sera extrêmement rapide, et brutale : seul un Haut
Éminence, l’allégeance à Pan pourrait être profitable Diable peut avoir fait disparaître l’un de ses pairs, les
pour « s’acclimater » aux Abysses, mais elle se révélera Hauts Diables vont donc payer. Séphyros va lancer son
vite limitée voire encombrante. Pan et les démons de sa armée sur la Salle Métallique ! Et avec cette armée, une
fratrie – voire les Gardiens et les autres Hauts Diables – salamandre et un dragon corrompus…
n’apprécieront guère de voir les Inspirés sortir du Une horde de démons furieux va assiéger les Hauts
rang après un tel accord : s’ils ne prennent pas assez Diables. Nombre d’entre eux se sont réfugiés dans
de précautions, ils passeront pour renégats et seront leurs nocturiums pour résister au Requiem de l’Ombre
partout traités comme tels ! ou enquêter. Cette péripétie, Éminence, peut constituer
une scène d’action épique dans le déroulement de votre
La Bête Drame, un moyen d’impliquer immédiatement les
Inspirés dans une lutte titanesque à laquelle ils peuvent
La Bête est ailleurs. Son corps titanesque trône dans prendre part aux côtés des démons… dans un camp
la Salle Métallique, mais son regard est absent. Elle comme dans l’autre !
respire, régulièrement, mais aucun mot, aucune magie L’assaut des démons de Haborym, selon toute
ne semble capable de la faire réagir. C’est presque une probabilité, échouera. Même une horde pyromane ne
veillée mortuaire qui la protège, dirigée par le sable peut renverser les gardiens et le ou les Hauts Diables
Sankteklamm. Aux côtés des gardiens, quelques rares qui choisiront de se mouiller dans la défense de la Salle
Hauts Diables, comme Moloch ou Haghério, attendent Métallique. Ce serait d’ailleurs une bonne occasion de
un signe. La Salle Métallique n’est plus qu’un palais de montrer aux Inspirés la puissance d’un Salmac ou d’un
poutrelles et de piliers d’aciers désert. De loin en loin, Moloch… Et s’ils ont participé à la défense, une bonne
un brasero perce les ténèbres. occasion de pénétrer dans la Salle Métallique pour
« rencontrer » la Bête.

78
: on crut à de l’autodérision, une façon grandiloquente
de s’exhiber en Haut Diable de pacotille. En tout cas
personne ne semblait en mesure de le renseigner sur ce
qui fait l’essence d’un Haut Diable.

Interlude : Et puis, assez soudainement, il cessa de s’intéresser


au problème mais fit preuve d’une vive gaîté, comme
soulagé de toute préoccupation. Aurait-il trouvé la
réponse qu’il cherchait ? Nul ne le sait car c’est peu
après ce changement de comportement que son

Révélations nocturium s’effondra.


Dans ces conditions, faut-il imaginer que le Grimacier
découvrit un secret interdit qui causa sa perte ? Ou
que ce secret lui permit de mettre en scène sa propre

abyssales
disparition avant d’éliminer un à un ses frères ? La
question mérite sans doute quelques investigations
plus poussées, en explorant le nocturium en ruine du
Grimacier, par exemple.

Si les Inspirés explorent le nocturium du Grimacier,


ils s’apercevront qu’ils sont loin d’être les premiers
Vos Inspirés, Éminence, vont probablement chercher à visiter ces ruines : des pillards sans scrupules l’ont
à en savoir plus sur les Abysses, et notamment, sur ses littéralement mis à sac, plus encore que les autres
fondements « cosmologiques ». Deux textes peuvent domaines de Hauts Diables disparus. Est-ce seulement
nourrir leur réflexion et leurs tentatives de comprendre parce qu’il fut le premier à s’effondrer ? À moins que
la nature exacte de la crise abyssale. quelqu’un n’ait devancé les Inspirés : un jet réussi de
Le premier, Génèse, orne le plafond des Abysses dans PER + Fouille contre une difficulté de 25 fera penser
les confins de l’Outrerive. Il est très simple d’y accéder, au désordre systématique résultant d’un cambriolage.
puisqu’il s’offre aux regards de tous… Quant à sa Il n’y a plus rien d’important à trouver ici, et les
véracité, malheureusement, elle reste pour le moins Inspirés n’auront d’autre recours que de rechercher ces
douteuse… Ce que vos Inspirés ne soupçonneront démons assurant le recel des biens découverts dans les
probablement pas. N’hésitez pas, Éminence, à leur faire
lire les pages 9 à 15 de l’Art de la conjuration. La verite
Le deuxième, Ultime vérité ?, est une lettre adressée par
C’est bien d’avoir découvert la vérité sur la nature des
un conjurateur à Maspalio – le prix d’une connivence,
Hauts Diables qui a valu au Grimacier le triste privilège
qui prétend offrir une vérité définitive sur la nature des
d’être la première victime d’Haagenti. En effet, outre
Abysses et des Hauts Diables (cf. p. 4-5). Celle que nous
les questions qu’il posait lui-même, le Grimacier avait
avons choisie dans le cadre du Souffre-Jour.
également chargé ses serviteurs de se renseigner. C’est
ainsi qu’en recherchant le Diable, le « vrai » maître des
L’ultime vérité ? Abysses, Maspalio finit par obtenir la lettre révélant
l’Ultime Vérité. Il la remit au Grimacier qui comprit
L’enquête des Inspirés devrait les mener à demander qu’en devenant Haut Diable, il incarnait une facette
pourquoi le Grimacier fut la première victime. Parce de l’âme multiforme de l’Ombre, un aspect de son
qu’il était le plus faible et que sa disparition passerait esprit que nul autre n’aurait pu assumer : le grotesque
presque inaperçue ? Possible, mais peu probable et le pathétique, l’horreur qui couve sous l’humour,
puisque le fier Haborym le suivit de peu… Alors ? la cruauté sous la dérision… Le Grimacier se sentit
revivre, non seulement rassuré sur sa légitimité mais
À force de questions, les Inspirés pourront aussi immensément fier d’être le dépositaire d’un si
reconstituer les activités du Grimacier quelque temps grand secret, visiblement ignoré même des autres Hauts
avant sa disparition. Il semble qu’une question Diables !
préoccupait le bouffon des Abysses : d’où tenait-il son Mais Haagenti tenait le bouffon à l’œil, peu désireux
statut de Haut Diable ? Ancien conjurateur porté sur le de voir découverte la vérité que lui-même avait mis
burlesque, il fut tout simplement condamné à résider si longtemps à deviner, fondement du Requiem de
aux Abysses. Or sitôt installé, tous le reconnurent l’Ombre à présent achevé. Lorsqu’il comprit que le
comme Haut Diable. Lui-même était sûr de son statut Grimacier ne tiendrait pas longtemps sa langue, le
mais se demandait seulement ce qu’il avait fait pour le Haut Diable de Cristal décida de mettre ses projets à
« mériter ». Le Grimacier se montra un temps obsédé exécution sans plus attendre… Sa première victime
par ce mystère même si personne ne le prit au sérieux était toute désignée…

79
nocturiums abandonnés. Un véritable marché parallèle fouine et du cochon truffier. Ses compétences font
s’est en effet organisé entre pilleurs, receleurs, démons de lui un spécialiste de la fouille et du chapardage. Il
orphelins tentant de rassembler les biens de leur a tenté de faire monter les enchères en affirmant que
défunt maître, etc. Cette situation peut d’ailleurs être ses documents recelaient de « grands secrets » mais
un prétexte à des intrigues parallèles ou à des drames chacun sait qu’il a déjà vendu ses meilleures trouvailles.
futurs : qui sait quels objets maudits, quelles reliques Fouineux s’est fait discret ces derniers temps, mais des
ou créatures oubliées qui n’auraient jamais dû quitter Inspirés persévérants pourront mettre la main sur lui :
les nocturiums se retrouvent à présent en circulation ? l’azurin, aux abois, se sait pourchassé et se terre. Si
vos Inspirés négligent cette piste, Éminence, il est fort
C’est ainsi qu’ils entendront parler de Fouineur probable que Fouineux s’adressera directement à eux –
Consciencieux, dit Fouineux, un azurin qui prétendait moins pour tenter de leur vendre quoi que ce soit que
disposer de documents issus du nocturium du pour obtenir à tout prix leur protection : il est terrifié
Grimacier. Touchant, car pathétique, son faciès de et ne doit qu’à sa petite taille d’avoir échappé jusqu’à
lutin jovial est affublé d’un groin hypertrophié, ses présent à ses agresseurs.
pattes préhensibles sont dotées de six doigts griffus,
il semble tenir tout à la fois du caméléon, de la Lorsque les Inspirés rencontrent enfin Fouineux, c’est
pour découvrir aussitôt le bien-fondé de ses craintes :
Pantins de hautbois plusieurs démons surgissent violemment et s’attaquent
à tout le groupe entourant l’azurin. Ces démons sont
Une révélation de redoutables tueurs, des brutes sans finesse qui ne
Éminence, la confrontation avec les exécuteurs négocient pas. Durant le combat, il semblera évident
envoyés par Haagenti est une bonne occasion pour les que leur but premier est d’éliminer l’azurin, même
Inspirés de découvrir que certaines créatures hostiles s’ils ne font guère de détail concernant ceux qui leur
sont marquées par les stigmates de cristal. C’est le barreraient la route.
cas de ces démons tueurs comme des piégeurs d’âme. Éminence, vous devrez soigneusement doser la
N’hésitez pas, si nécessaire, à donner ici un coup de puissance de ces démons en fonction de celle de vos
pouce à vos joueurs en mentionnant ce détail à chaque Inspirés : le combat doit être vraiment dangereux et les
confrontation… jusqu’à ce qu’ils le remarquent et adversaires redoutables. L’objectif est que les joueurs
se souviennent que les piégeurs d’âme portaient s’aperçoivent que l’agression est disproportionnée :
également ces stigmates. Au pire, multipliez les jets sans leur aide, Fouineux n’avait aucune chance
d’INT + PER et indiquez leur en cas de réussite que d’en réchapper et celui qui a lancé ces démons à ses
leurs personnages sont intrigués par ces caractéristiques trousses ne voulait prendre aucun risque ! Si de tels
qui leur rappellent quelque chose… mais le fait d’avoir tueurs ont été utilisés contre un azurin insignifiant,
à effectuer le jet suffira peut-être à leur signifier qu’il y c’est sans doute qu’il n’est pas si anodin aux yeux du
a bien quelque chose d’important à remarquer ! Vous commanditaire…
n’aurez plus qu’à répondre à leurs questions. Quels que soient les moyens mis en œuvre pour faire
Après tant de temps perdu à explorer des fausses parler les démons tueurs éventuellement capturés,
pistes, à échafauder des hypothèses invérifiables, à se les Inspirés ne tireront d’eux aucune explication : ces
faire manipuler par des Hauts Diables qui se servent démons appartiennent à différents Hauts Diables mais
d’eux pour nuire à leurs propres adversaires, à se ne savent pas vraiment pourquoi ils cherchent à tuer
perdre dans des intrigues parallèles finalement sans Fouineux.
rapport avec leur problème personnel, bref après tant Ce dernier ne pourra révéler que le peu qu’il sait
de déconvenues désespérantes, cette découverte doit mais ne comprend pas pourquoi on cherche ainsi à
être perçue par les joueurs comme une réelle victoire !
Ou tout du moins comme l’espérance de tenir enfin une
piste prometteuse : en effet, dès lors qu’ils ont identifié Maspalio
les stigmates qui les trahissent, ils disposent d’un Les Inspirés identifieront peut-être le destinataire de la
moyen de déceler les agents de leur véritable ennemi, lettre, qui n’est autre que Maspalio, et devineront qu’il
celui qui leur a volé leur Âme… C’est peu mais ce est en danger lui aussi. Les démons assassins manipulés
n’est pas rien ! Grâce à cette information, ils peuvent par Haagenti se contentent pour l’heure d’observer le
espérer faire le tri entre des péripéties secondaires et farfadet, retranché à l’ombre de son souffre-jour. Ils
les entreprises de cet adversaire, voire se croire ainsi en cherchent à déterminer comment s’emparer d’une telle
mesure de bientôt le démasquer… place forte. Le Génie pressent la menace et se barricade
Éminence, laissez vos joueurs savourer leur avantage mais il pourrait se laisser convaincre d’ouvrir sa porte
mais n’hésitez pas non plus à jouer avec la paranoïa à des Inspirés s’ils lui parlent de cette lettre : lui-même
qui devrait alors les saisir : ils risquent de se mettre à se doute que sa découverte est liée à la disparition du
chercher partout des démons porteurs des désormais Grimacier. Si les Inspirés lui paraissent à la hauteur de
fameux stigmates ! Or nombre de démons pourtant la situation, il acceptera de les aider par ses conseils
innocents sont pourvus d’un bec ou d’ouïes, ou d’une voire de les laisser faire de ce Sanctuaire le leur et de
voix chuintante… participer à son Éveil ! (cf. Les Cahiers gris p. 12)

80
l’éliminer : il a pillé le nocturium du Grimacier, certes, mais n’en a tiré que de menues
babioles vite écoulées. Le seul objet d’apparence précieuse était un coffret solidement scellé
dérobé au cœur même du nocturium mais Fouineux en fut déçu : il ne contenait qu’un bout
de parchemin, une lettre inachevée et incompréhensible. Il tenta néanmoins de fourguer ce
document : il y est question de secrets ultimes – de quoi intéresser des démons de Jaranapale,
peut-être ? Mais à peine Fouineux avait-il fait savoir qu’il
entendait céder cette lettre que ces démons tueurs
surgissaient ! Il s’enfuit, pour ne plus connaître de
répit. L’azurin ne voudra plus se séparer des
Inspirés qui l’ont sauvé et leur cèdera
de bon cœur la lettre.

Les Inspirés feraient bien


de rester sur leurs gardes :
d’autres démons semblables
aux premiers risquent
fort de tenter de les
éliminer eux aussi.
S’ils survivent
à quelques
assauts et
sur t out
s’ils

sauvent le
sanctuaire de
Maspalio, Haagenti
comprendra son erreur : en
cherchant à éliminer avec tant
d’application les dépositaires de
l’Ultime Vérité, il ne fait que mettre
en lumière un secret qui sinon serait
peut-être passé inaperçu dans le
flot des rumeurs… À cause de cet
empressement, précisément, les
Inspirés en viendront peut-être à
comprendre que la nature des
Abysses, telle que ce texte
la présente, est au cœur
des bouleversements
actuels ?
Il me semble, quant à moi, que notre personnalité résulte
de l’affrontement de deux principes à la fois contradictoires et
complémentaires. L’un pourrait être nommé Esprit, Raison,

Deuxième partie : ou Ordre : principe de logique, de calcul, de réflexion savante


et mathématique, il nous élève au-dessus des animaux et des
saisonins – qui, on le sait bien, sont gouvernés par leurs passions
et ne constituent au mieux que des excroissances de leurs Mères.
L’autre pourrait se désigner sous le terme d’Âme, Passion, Folie,

la chute de ou encore Chaos. Ce principe est la force de l’imagination,


de l’intuition, de la déviation qui fait le génie. Au-delà de
l’opposition, ces principes résultent en une suprême sublimation
: notre personnalité, inventive et réfléchie, imaginative et
méthodique.

Develorn Réflexions sur la nature de l’humanité


Les dires de R.O. des Cartes
Il faut espérer, Éminence, que vos Inspirés ont réalisé Les décans de la nuit
que leur problème n’est qu’un élément d’une crise qui C’est l’une des premières rumeurs qui parcourra les
les dépasse complètement… en apparence. Nombre de Abysses – la rivalité est en effet ancienne, et les mortels
leurs pairs sont les victimes de la même perte qu’eux, ne sont pas les seuls champions du racisme : nombre
et les Abysses risquent à tout instant de basculer dans de démons n’hésiteront pas à accuser les saisonins des
le chaos. Quel est le lien entre ces deux crises ? Abysses. La révolte des succubes n’est-elle d’ailleurs pas
Leur enquête, qui piétine probablement, devrait une preuve de leur volonté de prendre le contrôle de
les mener à s’intéresser aux Hauts Diables et à leur la terre des démons ? Les êtres de Ténèbre nourrissent
disparition… d’autant que des visions les frappent à la depuis des millénaires un très fort ressentiment
mort de chacun d’entre eux ! à l’égard des gardiens, ces mortels qui osent faire
Cette partie, Éminence, a pour objectifs de leur faire régner leur loi sur un monde qui ne leur appartient
découvrir peu à peu l’écheveau d’intrigues qui lie les pas. Par ailleurs, tout prétexte est bon pour prendre
Hauts Diables, et de les lancer sur la piste du coupable l’ascendant sur les succubes et profiter de leur relative
désigné : Develorn, Haut Diable des Schizophrènes. faiblesse. Quant aux nains de la nuit, leur influence est
Seront-ils assez fous pour tuer l’un des maîtres des décidément bien trop importante : leurs œuvres sont
Abysses ? trop souvent préférées à celles des enfants de la mer
N’hésitez pas à entremêler les éléments ici présentés de Ténèbre.
avec les intrigues de la partie précédente : ce découpage La plus insidieuse – et la plus crédible – de ces
formel n’est qu’un moyen pour vous guider dans un rumeurs concerne une mystérieuse roche qui aurait
abyssal chaos… vu la création des décans de l’Hiver. Il s’agit, Éminence,
de la roche des origines, dont Belphégor espère tirer le

Premier mouvement  : ferment d’une nouvelle génération de saisonins, affiliés


à Noxe plutôt qu’aux Dames (cf. Dramatis Personae

Sur la piste p. 90). Le Haut Diable aurait soutenu une expédition


dans les Parages destinée à s’emparer de la précieuse
roche. Tout cela est vrai, bien que le Haut Diable des

du Schizophrène Inventeurs n’en dispose pas encore, l’expédition


n’ayant – pour l’instant – pas abouti. Les Âmes des
Inspirés auraient été capturées grâce à un piège créé par

Éminence, la rumeur enfle et gonfle aux Abysses. Le schizophrene


Chaque faction, chaque Haut Diable y va de ses enquêtes
Éminence, le plan du Haut Diable de Cristal suit
et de ses théories – aucune n’est concordante, et encore
son cours mais, s’il fut facile de neutraliser la Bête,
moins cohérente. D’autant que chacun a un mobile… à
Develorn pose un problème au maître du hautbois :
part les victimes ! Et encore, qui ne soupçonnerait pas
il ne peut comprendre et isoler la mélodie spirituelle
une disparition mise en scène ?
du Schizophrène, car celle-ci change à chaque saute
En tout cas, rares sont ceux qui proposent une
d’humeur de Develorn. Or ce Haut Diable, méprisé
solution ou entreprennent quelque chose. Si XIII, ou les
et sous-estimé, est l’une des clefs de la structure des
gardiens, semblent prêts à tenter de prendre le pouvoir
Abysses. Si la Bête est le principe structurant qui
« pour rétablir l’ordre », ceux-ci n’ont pour autant
permet à la personnalité de l’Ombre de garder une
aucune proposition réellement convaincante.
cohésion malgré son éclatement en fragments – les
Dans ce mouvement, les Inspirés seront amenés à
Hauts Diables – Develorn est l’incarnation de la vie
rejeter nombre de fausses pistes pour conclure à la
primale, de l’énergie vitale, la folie qui se tapit au creux
culpabilité du Fou des Abysses : Develorn, Haut Diable
de l’esprit de l’Éternelle.
des Schizophrènes.
Il est facile de piéger un esprit aussi formel et prévisible
que celui de la Bête : Haagenti a enfermé sa conscience
Rumeurs dans une boucle mentale que répète, à l’infini, le Haut
Diable prisonnier. Choisissant d’user de méthode pour
Ce chapitre a pour objectif de vous fournir rumeurs se sortir de ce piège, le père des minotaures s’enferre
et fausses pistes destinées à embrouiller les Inspirés… dans une prison à sa démesure : son propre esprit.
Chacune d’entre elles représente une opportunité Pour chacune des solutions qu’elle imagine, la part de
scénaristique et, à défaut de faire éclater la vérité, l’Esprit de la Bête contrôlée par le Requiem de l’Ombre
pourrait offrir nombre d’alliés et d’ennemis aux trouve la parade appropriée…
Inspirés. Develorn, par contre, échappe à toutes les tentatives
de Haagenti. Pour l’abattre, il va donc lui falloir
manipuler des agents capables de tuer un Haut Diable
d’une manière « conventionnelle »… Des Inspirés ?

83
des nains de la nuit et fées noires abymoises – certains d’ores et déjà redoutable !
démons jureront les avoir vues parcourir Abyme avec Plus inquiétant, certains supposent qu’Hécate aurait
leur étrange dispositif. Une déformation de la vérité, trouvé le moyen de garder pour elle l’Effroi qu’elle
Éminence, car si cette cage existe bien, elle est vouée à redistribue normalement aux Hauts Diables, et que la
la capture des mémoires de fées noires (cf. La Sentence privation serait la cause de la mort des Hauts Diables !
de l’aube p. 127). L’utilité de ces Âmes ? C’est simple :
elles sont nécessaires pour éveiller le pouvoir de la
roche des origines…
Cristallisation de rancœurs
Haagenti sait bien qu’il ne doit pas paraître suspect
en étant trop innocent. Il lui faut déjà un prétexte pour
Agone se retirer à Iskaneraysh. Pour détourner l’attention, il
Les preuves sont ténues, et les pistes ont été va l’attirer à lui !
savamment brouillées, mais une chose est certaine Le Haut Diable de Cristal n’a-t-il pas déjà démontré
: un vaste complot a tenté de mettre un mortel sur sa puissance et sa soif de pouvoir en réclamant des
le trône des Abysses. À moins que celui-ci n’ait été fragments des nocturiums de ses pairs en paiement
qu’un instrument entre les mains d’une puissance de ses services exceptionnels d’accordé ? N’a-t-il
supérieure ? Éminence, n’hésitez pas à puiser dans pas prouvé qu’il était capable d’affecter la mémoire
les nouvelles distillées au fil des suppléments Agone des démons en leur faisant oublier le souvenir de la
(http://www.souffre-jour.com) le ferment d’une Romance – Éminence, cette information devrait être
rumeur crédible et alléchante. Les sigiles, les Hauts très difficile à obtenir : seules les succubes, protégées
Diables et Maspalio lui-même ne pourront que par Verazia, et les Hauts Diables sont au courant. En
corroborer l’existence d’une vaste conspiration menée réalité, personne ne l’aime : il est l’un des premiers,
par l’ancien Premier Baron à l’encontre des Abysses arrogant et supérieur, et tellement puissant. Certains
et de l’Inspiration. Vos Inspirés se lanceront-ils sur la murmurent qu’il aurait conclu un pacte avec le Masque
piste des Advocatus Diaboli assassinés, recueilleront-ils pour obtenir le pouvoir de voler les Âmes des Inspirés.
des fragments de connivences ambiguës ? De fait, et hormis la Bête, il est le premier des Hauts
Diables, c’est indéniable, bien qu’aucun d’entre eux
La maîtresse de l’Effroi ne le reconnaîtra facilement. Comme Develorn, qui lui
On s’est aperçu que l’écurie infernale d’Hécate aussi n’est pas loin de faire l’unanimité contre lui, il en
s’était rapidement étoffée : la peur des Hauts Diables est peu pour défendre Haagenti, sinon à contrecœur.
devient tangible et donne naissance à de nombreux
cauchemars, ce qui ne cesse d’inquiéter les démons qui La piste du Fou
voient là un signe de faiblesse terrifiant de la part de Voici la rumeur, Éminence, que votre compagnie
leurs maîtres tout-puissants. Certains la soupçonnent sera amenée à explorer tout au long de cette partie.
d’avoir voulu causer le climat de terreur actuel dans Prenez garde, cependant, à ne pas lui donner plus
le but de peupler ses écuries de ces cauchemars en d’importance que les autres, tout du moins au début :
surnombre. De fait, elle se constitue ainsi une armée cela aurait l’air suspect !
N’hésitez pas à fournir des fragments de document
De l’art des rumeurs sur Develorn si vos Inspirés font des efforts particuliers
pour enquêter sur ce Haut Diable (cf. p. 36). Ses pairs
Éminence, prenez garde à ne pas offrir les rumeurs n’hésiteront pas à les aider si ceux-ci offrent des
telles quelles aux Inspirés : fournissez-leur des hypothèses solides : ils se méfient du Schizophrène
fragments provenant de sources variées. Laissez- depuis des temps immémoriaux, décelant
les enquêter pour en savoir plus, fantasmer, déduire, inconsciemment dans sa folie assumée un reflet de leur
comprendre : ils croiront plus volontiers à ces vérités propre démence… Quant au Haut Diable lui-même,
nébuleuses s’ils les cherchent, plutôt que s’ils les les Inspirés ne pourront jamais le rencontrer avant la
obtiennent directement. Quant aux sources… nous ne confrontation du troisième mouvement : insaisissable
les préciserons généralement pas car tel est le propre et indéfinissable, on ne va pas à sa rencontre : c’est lui
d’une rumeur : ne pas avoir d’origine identifiable. Si qui vient à vous. Et avec le chaos ambiant, Develorn
vos Inspirés tentent de remonter une chaîne, n’hésitez s’est terré dans son nocturium…
pas à les conduire de démon en démon : c’est l’occasion Parmi les rumeurs qui l’accusent, il en est une qui
de rencontrer nombre de personnages cocasses ou fait de lui un dévoreur d’esprit – Develorn ne signifie-
terrifiants, mais toujours dérangeants. Quant à la source t-il pas Dévoreur dans l’antique langue des Parages ? Il
originelle, si elle est unique – ce qui n’est pas évident piègerait ainsi les personnalités de ses victimes pour
– a-t-elle vraiment de l’importance ? Si vos Inspirés nourrir son être : de nouvelles facettes pour sa folie.
font preuve de beaucoup de persévérance et d’intuition, Cela fait des siècles qu’il opère ainsi, et nombreux sont
offrez-leur un « coupable » qui sera un puissant rival ceux qui supposent qu’en ayant réussi à dévorer les
de la cible de cette calomnie, un obsidien par exemple. Âmes des Inspirés, il est devenu assez puissant pour

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s’en prendre à ses pairs. Il pourra également fournir nombre d’hypothèses
En outre, vos Inspirés pourront peut-être remarquer et de documents sur ses pairs, étayant les soupçons
que parmi les premiers Hauts Diables à disparaître, pesant sur Develorn ou Ambucias. Tous ces services,
Haborym, Moloch et Vermalryn sont de ceux qui évidemment, auront un prix, à payer de préférence
ont toujours montré le plus d’hostilité et de mépris sous forme d’informations.
à l’encontre de Develorn. Quant à la Bête, elle était
son antithèse. Le Grimacier ? Un test. Yggdrasil ? Une Haagenti
diversion… Haagenti va encore se faire remarquer en se retirant
Certains, enfin, ne manqueront pas de relever un en terrain neutre, afin de trouver une solution à la
mobile évident : Develorn veut depuis toujours se crise. Une attitude vilipendée par ses pairs qui espèrent
venger de ceux qui firent de lui un triste fou, les cependant le voir réussir. Pour eux, Haagenti est un
déclins et leurs successeurs les Hauts Diables. Si Alhaë peu le grand frère, jalousé et secrètement admiré. Si
et Haagenti furent épargnés jusqu’à présent, c’est soit quelqu’un doit trouver une solution, ce ne peut sans
parce que Develorn les craint trop, soit parce qu’il ne doute être que lui.
veut pas attirer l’attention… D’ailleurs, Yggdrasil était Les Inspirés chercheront probablement à le rencontrer
un déclin, non ? afin de mieux le jauger, et comprendre exactement
ce qu’il trame. Un Haut Diable accordé, maîtrisant
un instrument inconnu, devrait être suffisamment
Sauver les Abysses intrigant pour les motiver. Il faudra cependant passer
des hordes de serviteurs obséquieux et bornés,
Certains Hauts Diables vont bien sûr clamer à tous les de sénéchaux et secrétaires, gardes et concubines
vents qu’ils ont la situation bien en main. Proposer une protectrices pour approcher le Haut Diable. « Silence,
solution plus ou moins réfléchie, et retomber dans leur le Maître travaille. » « Vous ne pouvez le déranger,
quotidien : les rivalités et les luttes intestines. Deux, comprenez-vous ? » « Le Maître de Cristal travaille à
pourtant, vont sortir du lot : Jaranapale et Haagenti. son Grand Œuvre, sauver les Abysses. » « Il est notre
dernier espoir. Il est surmené, vous ne pouvez pas
Les recherches de Jaranapale être assez impudents pour vouloir le distraire ? »
Le Haut Diable des Archivistes va bien entendu se D’antichambres en salles d’attente, si les Inspirés
tourner vers ses incommensurables ressources et se montrent suffisamment obstinés et courtois, ils
y chercher la trace de l’ennemi. Il doit bien y avoir, pourront espérer se frayer un chemin jusqu’au Haut
quelque part, l’explication à la crise qui frappe les Diable de Cristal. Celui-ci se révèlera sous la forme d’un
Abysses. Le Haut Diable n’est pas naïf : il sait qu’il aura démon de cinq mètres de haut, entouré d’instruments
besoin d’alliés et ne fait pas confiance à ses pairs. Il et de partitions griffonnées. Ses ailes de cuir noir,
possède cependant d’innombrables agents, notamment rehaussées d’une résille argentée pulsant au rythme
les Advocatus Diaboli et les Clercs obscurs. Ceux qui lui de sa voix musicale, appuient son élégance négligée. Le
doivent des faveurs se comptent par légions, et, parmi Haut Diable soigne son apparence d’artiste.
eux, nombre d’Inspirés qui errent aujourd’hui dans Le cristal… le titre du Haut Diable trouve toute sa
les Abysses. Bref, Jaranapale détient des informations signification dans le silence immanent qui entoure
chacune de ses phrases, dans la clarté de sa voix et
capitales, encore faut-il le persuader de les partager –
de sa musique, l’incarnation de sa pureté. Là où ses
ou les lui voler.
pairs peuvent être effrayants ou grotesques, imposants
L’ancien Clerc obscur sera ainsi capable de trouver
ou démoniaques, Haagenti est… majestueux. Un
la trace des cobayes de Haagenti, ces Inspirés qui
ange en enfer. Il écoutera avec attention les Inspirés,
subirent autrefois les prémices du Collet des âmes (cf.
mais ne se laissera jamais interrompre ou contredire.
p. 71). Orientera-t-il la compagnie vers ces sources Un silence glacial suivrait immédiatement une telle
d’informations majeures ? incongruité, un silence chargé d’une indicible menace.
Pantins de hautbois Haagenti n’est pas sympathique, et ne cherche pas
à l’être. Il n’acceptera d’aborder la crise abyssale que
Si ce sont bien des agents de Haagenti – porteurs de ses si les Inspirés ont des informations ou des réflexions
stigmates – qui ont d’abord lancé les accusations contre pertinentes. Il pourrait livrer quelques explications
Develorn, elles se répandent très vite indépendamment sur son art, mais seulement à des harmonistes, de
parmi les autres habitants des Abysses. Lorsqu’elles préférence accordés. Le hautbois, expliquera-t-il, est un
arriveront aux oreilles des Inspirés – Haagenti y veillera art à la croisée du cistre, de la flûte et de ce que fut
– ce ne sera nullement de la bouche d’un agent repérable autrefois le clavecin, l’art de comprendre les pulsions
mais au contraire de celle d’une créature d’apparence et de toucher à l’inconscient, aux souvenirs oubliés, à
« innocente ». Même si un porteur de stigmates se fait la mémoire profonde. Si on lui demande d’où vient son
par hasard, ici ou là, le relais des rumeurs, ce sera parmi art, il étudiera l’importun d’un œil glacial. « Certaines
tant d’autres que rien ne permettra jamais aux Inspirés réponses ne sont pas pour les mortels », éludera-t-il
d’établir avec certitude que c’est leur ennemi personnel peut-être si les Inspirés se sont montrés suffisamment
qui accuse Develorn. intéressants. Enfin, il leur expliquera éventuellement

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qu’il va tenter de sonder l’inconscient des démons, Ils choisiront plutôt d’aiguiller les Inspirés. N’oubliez
notamment de ceux dont les maîtres ont disparu, afin d’ailleurs pas que d’autres Inspirés, et peut-être même
de comprendre l’origine de la crise. des Félons, participent aussi à ce dernier conclave, et
S’ils lui demandent s’il a déjà une idée du coupable, il vaut mieux convaincre plusieurs compagnies pour
Haagenti parlera éventuellement, et à demi-mots, de espérer qu’une puisse réussir dans cette quête. Qui
Develorn et d’Ambucias. Le premier, auquel la folie mieux que des agents indépendants, issus d’un autre
confère une place très spéciale dans les Abysses – est-il monde, pourrait s’introduire dans le nocturium d’un
vraiment un Haut Diable, ou quelque chose d’autre ? – Haut Diable ? Car, oui, Develorn pourrait bien être
le second, car il s’agit d’un esprit particulièrement tué… Un aveu de faiblesse difficile pour les anciens
brillant et retors… maîtres de la Salle Métallique.
À force d’hésitations et de sous-entendus, Verazia

Deuxième mouvement : pourra expliquer aux Inspirés qu’elle connaît le moyen,


un savoir glané dans les souvenirs de certains obsidiens

La fin de l’enquête d’Alhaë et Haagenti, qui sont parmi les rares Hauts
Diables aussi anciens que Develorn. Il est un noyau aux
personnalités fragmentées du Schizophrène, un point
central qui assure la cohésion de son esprit malade
Alors que les pistes suivies par les Inspirés perdront : au cœur de son nocturium se trouve un reflet de la
peu à peu toute crédibilité, alors que le rythme de la Bête, symbole d’ordre dans le chaos. Il « suffit » de le
disparition des Hauts Diables s’accélère, les Abysses détruire pour détruire Develorn.
entrent dans une phase frénétique. La panique Mais… et si Hécate avait raison ?
règne, la confusion aussi : il y a des batailles, des
scènes d’hystérie collective, de suicides en masse, des Le traître révélé
tentatives pathétiques de coups d’État de la part de
XIII, d’un autre obsidien ou de gardiens, etc. Cette scène, Éminence, pourrait s’avérer superflue :
vos Inspirés sont peut-être convaincus de la félonie
Le coupable idéal de Develorn voire déjà en route pour son nocturium.
Néanmoins, Haagenti compte sur ce stratagème pour
Les suspects disparaissent les uns après les autres, vaincre les dernières réticences.
alors que demeure la piste de Develorn, toujours
reclus dans son nocturium… La plupart des Hauts Le conclave s’est séparé sans prendre de décision
Diables survivants sont maintenant convaincus de sa catégorique. Nombre de Hauts Diables espèrent que les
culpabilité, pointant du doigt la puissance infernale Inspirés feront d’eux-mêmes le choix qui s’impose, mais
que doit recevoir le Haut Diable au vu de la folie qui des scrupules subsistent dans certaines consciences.
s’est emparée des Abysses. Ces scènes inouïes ne Toutefois, Haagenti marque secrètement des points car
portent-elles d’ailleurs pas sa marque ? le débat qui agite les Abysses se résume désormais à
Seul Haagenti ne se manifeste pas : il a déjà fait savoir cette seule question : faut-il en finir avec Develorn ?
ses conclusions, et tente de calmer les Abysses, avec des Plus ou moins rapidement, selon votre chronologie
succès marginaux par moments – il parvient parfois à (cf. p. 67-68) les Hauts Diables cessent de disparaître.
tempérer une émeute ou une rébellion. Bientôt, ils ne ressentent même plus l’appel lancinant
Hécate est désormais seule à défendre encore le qui était devenu leur quotidien depuis des semaines !
Schizophrène, prétendant qu’il est la clef de la structure C’est presque l’euphorie qui saisit la Salle Métallique
des Abysses, que le supprimer libèrerait une quantité où se réunissent des Hauts Diables soulagés mais
démesurée d’Effroi que nul ne serait capable de perplexes. Haagenti annonce qu’il a réussi à protéger
canaliser. Une assertion pour le moins douteuse quand leur esprit, qu’ils n’ont plus à craindre de le voir «
ses pairs la soupçonnent de profiter largement de la dévoré » – sans porter d’accusation directe, il choisira
situation… D’autant qu’elle se révèle incapable de dire bien ses mots… Hécate propose de juger le coupable
où va désormais l’Effroi orphelin, celui qui correspond avec clémence s’il se dénonce et renonce à ses visées
aux Hauts Diables disparus… Elle ne parviendrait pas destructrices.
à identifier celui qui le reçoit. Certains pensent qu’elle Develorn surgit alors de nulle part. Son apparence
ment, d’autres qu’elle ne peut le savoir simplement change à chaque instant en un maelström de chairs
parce qu’il provient de Develorn, qui par définition composites et putréfiées, de visages, de membres, de
ne peut être identifié. En réalité, c’est le Requiem de griffes ou d’ailes. Tous s’attendent à le voir avouer sa
l’Ombre qui se nourrit de cet Effroi et l’offre à Haagenti. défaite. Au contraire, il hurle à l’assistance abasourdie :
Si les Hauts Diables semblent donc d’accord, ils « C’est Haagenti ! » Le Schizophrène est hors de lui,
ne parviennent cependant pas à s’accorder sur un confus, exalté et, loin de faire amende honorable, il
compromis pour se débarrasser du Fou. En fait, aucun accuse le Haut Diable de Cristal d’être l’instigateur de
d’eux n’a envie de s’aliéner celui qui va sans doute toute la crise. Ses arguments sont pourtant limités :
devenir le maître des Abysses… « Il faut me croire ! Haagenti a avoué ! Les traîtres sont
partout, ne les écoutez pas ! Écoutez-moi : Haagenti est

86
coupable ! » tout pouvoir sur Iskaneraysh afin de coordonner la
Les Hauts Diables, consternés, assistent en silence au résistance et ses agents l’administreront désormais
réquisitoire absurde d’un Develorn hystérique. S’agit- ; une sortie de Salmac en personne repoussera pour
il d’une tentative, vaine et pathétique, de détourner un temps l’agresseur mais n’offrira qu’un répit. Un
les soupçons ou plus simplement d’un délire éperdu nombre toujours croissant de démons orphelins rejoint
– preuve de la folie qui dicte les actes diablicides du les troupes de Develorn dont on dit qu’il a terrassé
Schizophrène ? leurs maîtres ; une délégation tentera de convaincre
Totalement discrédité par sa diatribe sans queue ni Hécate de faire intervenir ses cauchemars – peut-être
tête, Develorn se retire – non sans supplier ses frères de les Inspirés y participeront-ils ? – mais même si sa
réfléchir et de se ranger à ses côtés : il est encore temps. cavalerie arrive à temps, elle ne suffira pas à renverser
Des mots que tous interprètent comme une menace… le rapport de force… Combien de temps Iskaneraysh
tiendra-t-elle ? Contre toute attente, Develorn semble
en mesure de l’emporter ! Les habitants de la cité se
La guerre des Abysses tourneront sans doute vers les Inspirés : ne peuvent-ils
donc rien faire pour abattre le Fou ?
L’euphorie aura été de courte durée. Develorn lance
rapidement ses hordes démoniaques sur Iskaneraysh
N’hésitez pas, Éminence, à soumettre vos joueurs
avec l’intention d’en découdre avec Haagenti et ses
à des descriptions qui leur soulèveront le cœur !
« complices ». Il dirige depuis son nocturium une
L’Effroi qu’ils subissent ne tardera pas à les corrompre
armée démente de démons protéiformes, incarnation
totalement s’ils ne font rien pour mettre fin au
de sa folie, contre les défenses de la cité abyssale,
conflit. Et s’ils rechignent encore à choisir leur camp,
bientôt assiégée malgré le renfort de Salmac et des
les pantins de hautbois infiltrés parmi les troupes de
Inspirés volontaires.
Develorn (cf. encart) devraient finir de les convaincre :
Éminence, si vos Inspirés ont vécu l’anarchie
la seule issue consiste à s’infiltrer jusqu’au cœur du
qui s’emparait des Abysses comme une situation
nocturium de Develorn pour le détruire.
éprouvante, elle n’était pourtant rien face au tumulte
infernal qui règne à présent : c’est la guerre ! Un conflit
dantesque à la démesure des Abysses. Les démons des Pantins de hautbois
deux camps s’adonnent à des exactions inhumaines, Haagenti ne se pardonne pas d’avoir permis
les forces impliquées sont constituées de monstres aux Inspirés d’identifier ses agents et de deviner
épouvantables qu’aucun acte de barbarie ne rebute… l’importance de l’Ultime Vérité, mais il met rapidement
Au contraire, la cruauté la plus sauvage est de mise, au point une contre-attaque. D’une menace envers ses
les démons se livrant à une innommable surenchère plans, il se forge un atout en faisant passer ses agents
dans l’horreur, dans le vain but d’impressionner pour des serviteurs de Develorn, quitte à en sacrifier
l’adversaire ! un grand nombre Il place ainsi plusieurs d’entre eux
La guerre connaîtra quelques revirements mais les – dûment marqués des stigmates de cristal – parmi les
légions de Develorn paraîtront les plus odieuses… troupes de Develorn lancées à l’assaut d’Iskaneraysh.
et les plus efficaces ! Les assiégés résisteront de leur Ces créatures ont pour mission – inconsciente – de
mieux : Haagenti obtiendra – comme il l’espérait – se laisser finalement capturer, de préférence par les
Inspirés eux-mêmes qui auront reconnu la signature de
Mani pulations leur ennemi. Soumis à un quelconque interrogatoire,
Éminence, c’est bel et bien Haagenti qui a poussé ces démons « avoueront » en toute bonne foi être au
Develorn à la faute. L’un des émissaires du Haut Diable service de Develorn et « révéleront » que les soupçons
de Cristal – peut-être les Inspirés retrouveront-ils ce qui pèsent sur le Haut Diable des Schizophrènes sont
démon au cours du troisième acte ? – lui a porté un justifiés : d’après eux, celui-ci ambitionne bel et bien de
message : sans rien révéler de ses moyens, Haagenti détruire ses frères à l’aide des âmes dévorées.
s’avoue responsable de la disparition des Hauts Diables. Trop heureux d’exploiter leur avantage, les Inspirés
Il prétend que la majorité des survivants, désormais se persuaderont certainement qu’ils ont enfin réussi
ralliés à sa cause, réclame la mort du Schizophrène. à démasquer le responsable tant du vol de leur Âme
Haagenti, futur maître des Abysses, est disposé à que des disparitions des Hauts Diables : le Drame
l’épargner s’il accepte de devenir son esclave… toucherait-il à sa fin ? C’est sans doute avec la certitude
Comme autrefois, comme lorsqu’ils étaient de libres et d’agir en sauveurs qu’ils se lanceront alors à l’assaut du
purs déclins. nocturium de Develorn ! Leur déconvenue n’en sera que
C’est plus qu’un Haut Diable tel que Develorn ne plus amère lorsqu’ils découvriront que l’élimination de
peut accepter ! Enragé, le Schizophrène réagit ainsi que ce Haut Diable était une erreur tragique. Souhaitons
Haagenti l’avait calculé : il sort de sa réserve pour le au moins que les Inspirés seront beaux joueurs et
dénoncer, mais faute de preuves et de la moindre once reconnaîtront qu’ils ont été manipulés avec talent…
de diplomatie, il ne parvient qu’à faire la démonstration vraisemblablement par celui, précisément, qu’accusait
de sa folie furieuse… Develorn : Haagenti.

87
Troisième mouvement : de leurs personnages. Offrez-leur des conversations
avec des démons sages et antiques qui leur expliqueront
à quel point ils ont été manipulés – par le Conseil des

Les méandres de la folie Décans, par les Muses, par les Hauts Diables. Suggérez-
leur que leur expédition ici n’est que le fruit des
manipulations complexes d’un Haut Diable – Haagenti
par exemple. Expliquez-leur le mensonge de l’existence
En s’enfonçant dans les méandres du nocturium de d’Agone (cf. Dramatis Personae p. 2). Rencontreront-
Develorn, votre compagnie va affronter l’esprit d’un ils un déclin qui leur confirmera que leurs vies ne
Haut Diable, un être dont la nature même le place sont que de tristes pantomimes soumises aux délires
au-delà de la compréhension des mortels, et, qui plus d’Éternelles dominatrices et mesquines ? Jouez sur
est, un Haut Diable qui passe pour aliéné même aux les sentiments, les émotions, faites-les douter de tout.
yeux des habitants des Abysses. C’est une plongée en N’oubliez pas que dans le mensonge, la meilleure arme
enfer qui attend les Inspirés, une épreuve qui se doit est la vérité : n’hésitez donc pas à leur offrir la clef de
d’être douloureuse et traumatisante. Pour simplifier, quelques mystères de l’Harmonde, les explications
la schizophrénie se manifeste par des hallucinations jamais obtenues sur un Drame passé – de toute façon,
et délires, la perception de voix, la certitude de subir ils ne sauront jamais s’il s’agit ou pas de la vérité.
l’influence de volontés extérieures, etc. Nous vous
proposons un voyage en trois étapes au cœur de la Laissez vos Inspirés errer, puis chercher une logique,
folie, mais, Éminence, n’hésitez pas à ajuster cette une « énigme » à résoudre pour sortir de ce labyrinthe.
expérience à vos propres aspirations et à votre groupe Confrontez-les à des démons farfelus et grotesques, qui
de joueurs… prendront peut-être l’apparence de personnages déjà
rencontrés par votre compagnie. Alternez les ambiances :
L’empire du Schizophrène féerie hors de propos, sombres souterrains où rôde une
menace lancinante – quitte à offrir quelques frayeurs
Trouver l’entrée du nocturium de Develorn ne posera en distillant une saine crainte grâce à des créatures à
guère de difficulté aux Inspirés. Il suffit d’employer peine aperçues, excroissances chitineuses et cliquetis
un outrepont pour plonger en ce royaume, sur les insectoïdes – salles de bal pleines de danseurs qui ne
notes d’un carillon discordant – une fausse mélodie semblent pas percevoir les Inspirés, visions glorieuses
tintinnabulante qui semble couvrir les chuchotements de quatre femmes à l’impossible perfection, de scènes
d’une voix angoissée et menaçante. mythologiques : faites s’entrechoquer les ambiances,
Ce cauchemar commence par une porte torturée suivez les hypothèses de vos Inspirés pour mieux les
aux bas-reliefs mouvants. Une porte solitaire dans le annihiler.
néant. Celle-ci s’ouvre sur un palais démesuré, et, pour
tout dire, infini. Les salons, antichambres, couloirs et L’idéal est qu’ils cherchent une logique dans la folie,
escaliers se succèdent dans un chaos désordonné dans une solution, une sortie. Cette phase du Drame est
lequel les Inspirés pourraient errer pour le reste de leur peut-être l’occasion de réfléchir à tête reposée à tout
existence ; laissez libre cours à votre imagination en ce qu’ils ont appris depuis des semaines. Donnez-leur
décrivant les lieux, qui ne sont soumis à aucune règle l’impression de glaner quelques succès, pour mieux les
logique. Styles architecturaux, pièces incompatibles se décevoir. Ils doivent petit à petit se sentir prisonniers,
succèdent et s’entremêlent dans un dédale désordonné frustrés, impuissants : ils le sont. Gardez à l’esprit qu’il
hanté par les errements d’un Haut Diable. Les lois s’agit là de la folie de Develorn, et que les Inspirés ne
physiques de l’Harmonde, d’ailleurs, ne s’y appliquent peuvent rien faire. Mais ne le leur faites pas ressentir
sans doute pas partout de la même manière. Trichez trop brutalement, ou trop clairement. Ils doivent finir
sur le temps, sur la gravité, sur des choses aussi par le comprendre eux-mêmes. C’est lorsqu’ils seront
fondamentales que le trajet d’un point à un autre : passés par une phase de « lutte » pour finalement
les Inspirés doivent avoir l’impression qu’ils ne sont reconnaître la folie de Develorn, et leur propre
pas maîtres de leurs mouvements. Si l’un d’entre eux impuissance, qu’ils pourront quitter le palais infini.
se propose d’asséner un coup d’épée à un danseur de
grelots et de dentelles, décrivez-le simplement en train Le triste fou
de s’asseoir ou de réaliser une toute autre action, pas
forcément en opposition complète avec celle qu’il avait Les Inspirés quitteront, probablement abattus
entreprise. et frustrés, le palais infini. La seconde partie du
cauchemar a pour objectif de leur faire ressentir la
Décrivez des hallucinations, sonores et auditives souffrance de Develorn, incarnation malgré lui de la
– prenez, ne serait-ce qu’un instant, le contrôle des folie : un esprit torturé qui connaît sa malédiction, qui
Inspirés, pour leur faire faire une action délirante, sait pertinemment quel rôle il joue dans les Abysses
paranoïaque ou dangereuse. Transformez l’apparence mais qui ne peut le renier, attaché à sa nature comme

88
un pendu à sa corde. Les Inspirés doivent désormais etc.
s’imprégner de sa souffrance, de sa maladie, chercher Les Inspirés assisteront ainsi, incrédules, à ces
peut-être une explication, pour ne trouver qu’une jeux d’enfants sans aucune limite ni morale. Ils
solution. À sa manière, Develorn veut être compris, peuvent intervenir quand ils le souhaitent, attirant
ne pas être seulement pris pour un fou, sans aucune immédiatement l’attention de ces gamins, qui
considération pour ce que cela implique : c’est se prénomment Noxe, Haagenti, Vitrance, Alhaë,
tellement simple, tellement rapide de se contenter Yggdrasil, Develorn… et autant d’autres qu’il vous
de « Haut Diable des Schizophrènes », de s’arrêter à plaira. Des enfants possédant un pouvoir démesuré
l’étiquette sans contempler ce qui se cache derrière. sur la réalité, comme l’apprendront rapidement vos
Une fois qu’il aura obtenu cette empathie de la part des Inspirés en jouant un peu avec eux – ils n’auront pas
Inspirés, Develorn le choix, de toute
pourra s’en aller, manière.
s ’ a b a n d o n n e r,
et mourir. Vos En effet, Alhaë
Inspirés penseront va rapidement
peut-être avoir tué proposer de jouer
un Haut Diable ? à la création de
Ils n’auraient pu l’Harmonde.
y parvenir s’il ne Haagenti assigne
s’était offert à eux, les rôles : lui et
mais… chut, ils ses frères et sœurs
n’ont pas besoin de seront les Muses et
le savoir. leurs Excellences.
Sauf Develorn, qui
La scène prend sera le Masque,
place dans une et les Inspirés,
clairière, la nuit. Il ses lieutenants.
n’y a pas de lune. C’est Noxe qui
Sur une espèce de joue les Muses –
dolmen, une jeune celle-ci se divise
fille aux yeux noirs, en quatre entités
immenses, au teint indépendantes.
blafard, contemple Alhaë transforme
d’un air morne une alors ses frères et
théorie d’animaux sœurs : Yggdrasil
improbables devient une hydre,
occupés à reproduire Haagenti un
de manière dragon, Vitrance,
caricaturale le cycle un phénix. Le jeu
naturel : le loup est simple : la forêt,
attrape le lapin, le c’est l’Harmonde.
dévore avidement, Le Masque doit
puis s’intéresse à la louve qu’il entreprend de violer. trouver, avec ses lieutenants, les Excellences cachées
Celle-ci s’éloigne et meurt rapidement de vieillesse, et les convaincre de le rejoindre. Tous les enfants se
des vers dévorent sa carcasse, ses os s’effritent, des disséminent dans la forêt… Aux Inspirés, qui jouent le
fleurs poussent… pour être avalées par une vache. rôle de masquards, de les trouver. Develorn leur jette
Tous ces acteurs du cycle de la vie disparaissent quand un regard angoissé, empli d’espérance et à la fois un
quatre enfants surgissent des fourrés. L’un d’eux est brin euphorique : il est le jeune homme à l’ineffable
un garçonnet frêle, au teint maladif, qui se jette en beauté ! Il tente d’organiser la quête, et profite de ses
trépignant sur une fillette brune, lui assène des coups premières prérogatives de chef.
de pieds et lui tire les cheveux avant de lui fracasser Mettez en scène la rencontre des masquards
la tête avec une pierre. Celle-ci ne s’en porte pas plus avec une Excellence qu’ils devront convaincre de
mal. rejoindre le camp de leur chef, en leur expliquant
« C’est parce que c’est ton rôle ! combien les Muses ont été injustes avec lui, combien
– J’en ai marre de faire la louve ! il est gentil, etc. N’hésitez pas à offrir quelques
– Mais c’est ton rôle ! informations cosmologiques biaisées aux joueurs, de
– Mais c’est toujours Vitrance qui en profite, en plus la bouche de Develorn lui-même – si vous ne l’avez
il me mord en même temps ! » fait précédemment dans le palais infini. Bref, faites
endosser aux Inspirés le rôle de sergents recruteurs

89
du Masque. Develorn compte sur eux. S’ils rechignent,

Interlude :
faites-leur ressentir la menace sourde qui émane des
déclins : les Inspirés n’ont pas le choix. Offrez-leur de
grandes discussions cosmologiques, ou, s’ils préfèrent,
faites-leur dompter une Excellence par le combat.
La lutte doit être difficile, mais ils devraient pouvoir

L’enfer selon
vaincre. Petit à petit, Develorn et ses acolytes vont
rassembler une armée d’Excellences corrompues avant
de se présenter devant Noxe/Les Muses. Develorn
exulte : pour une fois, il gagne ! Il défie les Muses, leur
explique comme elles ont été méchantes, puis ordonne
à ses Excellences de les abattre. Ces dernières, soudain,
ricanent : « On faisait semblant ! »
Avant de se jeter sur Develorn pour le mettre en
pièces.
Haagenti
Les Inspirés pourront le retrouver, un peu plus tard,
sanglotant dans un fourré. La victoire des Inspirés fait immédiatement cesser
l’assaut sur Iskaneraysh – en réalité, il s’est arrêté
lorsqu’ils ont rencontré Develorn dans ses cauchemars.
Au bout de la folie Elle a surtout offert les Abysses au Haut Diable de
Cristal. Dès la disparition de Develorn, il a dirigé
Les Inspirés sont désormais seuls dans la clairière avec les derniers mouvements de sa symphonie et piégé
Develorn, qui sanglote. Qui leur raconte que « c’est les Hauts Diables survivants. Au moment où votre
toujours comme ça », que « c’est pas juste ». Puis qui compagnie ressurgit dans la plaine d’Outrerive, ils
explose soudain d’un rire dément, sadique, avant de ne sont plus que quelques-uns à tenter de résister à
tomber en catatonie. Pour se relever, et, d’une voix l’appel du maître… et ils ne pourront être d’aucun
perverse : « de toute façon je les tuerai tous ». Avant secours aux Inspirés.
de fondre de nouveau en sanglots. « Je les tuerai, je les Le dernier obstacle à l’assomption de Haagenti réside
tuerai, je les tuerai ! » à la surface : il lui faudra diriger les trois derniers
La scène bascule, les Inspirés sont dans un reflet de la mouvements de son requiem, les plus complexes, pour
Salle Métallique. Déserte. Seule, sur son trône, la Bête piéger les Hauts Diables exilés – Silith (cf. Souffre-jour 2
dort. Elle semble plus petite que dans leurs souvenirs, p. 70), Yah Pong (cf. Les Organisations p. 99) et Vitrance
et, dans son sommeil, elle tressaute. Des fragments de (cf. Les Automnins p. 115), celui qui offrira le plus de
phrases s’échappent de ses lèvres. Les échos lointains résistance à Haagenti.
d’une bataille aux portes d’Iskaneraysh. Les Inspirés
n’ont plus qu’à accomplir la besogne qui les a menés
ici. L’erreur
Lorsqu’ils approchent, la Bête ouvre les yeux : « Faites-
le. Je n’en peux plus. Délivrez-moi ! » Sa voix est celle Les Inspirés vont probablement très rapidement
de l’enfant de la clairière, du gosse brimé fondant en réaliser leur erreur : la Salle Métallique s’est effondrée
larmes. Contraste. Puis la Bête se jette sur les Inspirés, avec la mort de Develorn, enterrant la Bête sous des
pour un combat titanesque dont ils ne devraient sortir centaines de tonnes de pierre et d’acier. La plaine
vainqueurs que de justesse… Ajustez les caractéristiques d’Outrerive elle-même s’est transformée (voir ci-
de la Bête/Develorn en conséquence, soyez évocateur dessous).
– il est probable que les Inspirés soient plus guidés Les démons ont sombré dans la démence la plus
par la pitié que par la haine ou l’envie de retrouver complète – des cultes se forment autour des rares
leurs Âmes… et tant mieux. C’est une mise à mort, obsidiens d’Outrerive, des combats sanglants éclatent
une miséricordieuse euthanasie qu’ils accomplissent partout, certains choisissent même de se jeter aux pieds
aujourd’hui. des Inspirés pour implorer leur protection, à moins
qu’ils n’essayent de les massacrer. Pour simplifier, tous
Lorsque la Bête choit, son corps se superpose à les démons des deux premiers cercles sont devenus
celui de l’enfant Develorn. Des myriades d’âmes, fous. Ils se suicident en masse dans le Teneritas, errent
de personnalités diffuses explosent en tous sens sans réaction parmi les étals abandonnés du marché,
depuis son corps inanimé. Des cris de souffrance, de ou restent prostrés au sol.
délivrance, des pleurs, des hurlements, des rires. La Les démons du troisième cercle, eux, essayent de
Salle Métallique s’effondre et lorsqu’ils se précipitent se rassembler en fratries orphelines ou recherchent,
dehors, les Inspirés découvrent qu’ils sont revenus plus souvent encore, la protection de démons plus
dans la plaine d’Outrerive – la vraie ? puissants. Quant aux démons des deux derniers
cercles, ils semblent rarissimes ici…
Quelque chose a changé.

90
Apparemment, Hécate avait raison. Tuer Develorn a Renforcement du lien
précipité la crise, d’autant qu’il n’y a plus ici aucun Haut
Diable. Les démons interrogés, lorsqu’ils sont capables Les Abysses découvertes par les Inspirés à leur sortie
de répondre, assurent avoir perdu leurs maîtres. de la Salle Métallique ne sont pas encore arrivées à
Certaines rumeurs circulent sur la chute maturité. Pour l’instant, Haagenti n’a pas le contrôle
d’Iskaneraysh, emportée par les légions démentes – du non-royaume mais la Ténèbre se remodèle selon sa
selon elles, la mort de Haagenti a laissé toute latitude personnalité. Petit à petit, des signes de plus en plus
au Schizophrène pour prendre le contrôle des Abysses. évidents vont trahir son emprise.
De sombres cristaux commencent à apparaître
Éminence, laissez vos Inspirés proposer les hypothèses un peu partout. Jaillissant de toutes les parois des
les plus folles, laissez-leur le temps de découvrir Abysses, pouvant atteindre plusieurs mètres de haut,
l’étendue de leur erreur en les confrontant aux démons ils se déclinent selon tout le prisme abyssal, et au-delà.
survivants et aux Abysses remodelées. N’introduisez Des démons du prisme naissent parfois de ces
pas trop vite les détails proposés ci-dessous, afin de cristaux. Les Inspirés y assisteront peut-être : parfois,
préserver ce moment angoissant où ils chercheront à le démon s’extrait simplement du cristal. Parfois, c’est
comprendre l’étendue exacte de leur bourde… un fragment du cristal lui-même qui prend « vie ». On
raconte même que certains explosent pour accoucher
L’enfer selon Haagenti des plus puissants.

La Ténèbre répond à l’appel de son nouveau maître Des cités obscures naissent désormais en Outrerive
– Haagenti est, de fait, presque devenu un Éternel – ou le long du Teneritas – curieusement, les démons
et les Abysses se remodèlent pour s’adapter à sa n’emploient plus le terme abyssal de Moloch-an-
personnalité : n’oubliez pas, Éminence, que les Abysses Arion. Ces villes d’obsidienne rappelleront aux Inspirés
ne sont pas un lieu physique au sens strict du terme, les anciennes cités armgarites, les Vestiges comme la
mais l’Âme et l’Esprit de l’Ombre. Or Haagenti devient, citadelle de Ranne ou les Mille Tours. Ces cités désertes
d’une certaine manière, l’Ombre elle-même. où s’engouffre un vent venu de nulle part semblent…
La chute de Develorn a consacré la fin du chaos attendre. Seule une musique, écho lointain d’un
abyssal – du moins du chaos physique. La plaine orchestre – le bruit de vent dans les ruelles de pierre
d’Outrerive devient progressivement circulaire, les noire ? – perturbe leur calme sépulcral. Aucun démon
reliefs s’aplanissent et, surtout, le Moloch-an-Arion des Abysses n’ose s’y aventurer, mais des enfants du
n’a plus de source. Il naît désormais d’un lac circulaire prisme y naissent, comme ailleurs.
situé au centre de la nouvelle plaine. Au centre du lac
trône une zone encore protégée de l’influence du Haut
Diable : l’île du Sanctuaire des Abysses, où sont réfugiés Les demons du prisme
Maspalio et certains Inspirés – peut-être même des
Ces nouveaux démons naissent petit à petit en écho
membres du Conseil des Décans. Le souffre-jour les
à la personnalité bourgeonnante du nouveau maître
protège…
des Abysses. Leurs couleurs débordent du prisme
Dans une zone éloignée, périphérique, les décombres
abyssal classique puisque des démons verts, oranges,
de l’ancien palais de la Bête finissent de disparaître.
violets sont parfois rencontrés près de cristaux
L’horloge abyssale subsiste encore… et elle fonctionne
d’émeraude ou d’améthyste. Encore fragiles et peu
à nouveau ! Ses cliquetis sont encore mal assurés,
cohérents, ils semblent doués d’intelligence mais
mais l’ordre infusé par la personnalité structurée de
se révèlent imprévisibles et incompréhensibles : ils
Haagenti commence à redonner une cohérence au non-
communiquent entre eux en produisant des vibrations
royaume. Quant aux outreponts, ils se sont effondrés.
dont les harmoniques atteignent parfois la complexité
Le fleuve abyssal coule désormais en droite ligne sur
de véritables symphonies. Ils effraient les démons des
des centaines de lieues en direction d’Iskaneraysh. Les
Abysses qui n’hésitent pas à créer de véritables cultes
cavernes du mornaëlin et leurs mille détours ne sont
autour des plus imposants – cultes dont les démons du
plus qu’un souvenir. D’ailleurs, si le lichen subsiste
prisme n’ont cure – ou qui, au contraire, se jettent sur
encore, il n’y a plus de Dispositif pour en assurer
eux pour les détruire.
la transformation en encre. Et de toute façon, la
Il suffit d’ailleurs de peu de choses pour les « tuer » :
conjuration est devenue impossible…
des coups assez violents les font voler en éclat, mais ils
ne se préoccupent absolument pas de ces attaques. Pour
Une importante migration démoniaque commence :
tout dire, les démons du prisme réagissent comme s’ils
quel que soit le vainqueur à Iskaneraysh, les démons
n’avaient aucune conscience des démons « classiques ».
ont compris qu’il était le maître et vont rechercher sa
Par contre, ils remarquent les Inspirés. Des accordés
protection. Le voyage des Inspirés vers la cité abyssale
audacieux pourraient même parvenir à communiquer
passera inaperçu et ils ne seront que des pèlerins dans
avec eux, obtenant des bribes de réactions, émotions
une foule incohérente, parfois prise de folie suicidaire
brutes sur une sensibilité à fleur de peau. Peut-être
ou de fièvre religieuse…
parviendront-ils même à en contrôler certains ?

91
Le lac où se mirait la Nuit mélancolique
Sa psyché tant intime aux reflets ombrageux
S’est brisée. La rage des éclats tyranniques
S’épuise lors en lice, hutins et orageux.

Troisième partie : (…)


Ton âme se déprend en vol sous l’horizon.
En dévoration s’abolissent les tesselles,
Effacées des éons quand vibre l’oraison,
Pour composer le corps d’une Nuit Éternelle.

l’Assomption de


Extrait de Noires visions
in Les Prophéties chromatiques (1158)
par Thanandres l’Abscons (1118 – 1161)

Haagenti Haagenti est, de fait, presque le maître des Abysses.


Bientôt, il sera un Éternel… Ce n’est plus qu’une
question de jours, le temps de s’emparer des derniers
fragments de l’Ombre pour entamer le final du
Requiem, qui consacrera la fusion de son Esprit, de
l’Âme de l’Ombre remodelée et du Corps éternel, la
Ténèbre.
Premier mouvement : une priorité, ses serviteurs pourraient pourtant vite
décider d’augmenter les moyens nécessaires à leur
capture ou, de préférence, à leur mort. Pour lui, ses

Iskaneraysh, capitale de assassins devraient suffire à régler le problème, mais


il faut espérer que les serviteurs de Haagenti devront

cristal faire preuve d’un peu plus de persévérance pour les


éliminer.
Voici, Éminence, une liste de mesures que prendront
progressivement les serviteurs du Haut Diable pour
La cité est désormais le fief de Haagenti. Sous prétexte s’assurer de la mort des Inspirés. Selon leur discrétion
de s’y isoler du reste des Abysses pour contrer la crise et leurs actions, n’hésitez pas à faire évoluer la chasse
qu’il a lui-même déclenchée, le Haut Diable de Cristal de manière drastique. Pour ses serviteurs, plaire au
a pu diriger sa symphonie et piéger les derniers Hauts nouveau maître des Abysses est une priorité vitale où
Diables. Au cours des deux premiers mouvements de se disputent zèle et empressement.
cette dernière partie, Haagenti se consacrera à la chute
de Silith, Yah Pong et Vitrance. Ce n’est qu’au cours du Les assassins
troisième mouvement qu’il entamera, en dirigeant lui- Ce groupe sera envoyé à la poursuite des Inspirés dès
même l’orchestre, la conclusion du Requiem de l’Ombre. leur sortie de la Salle Métallique. Ils pourront donc les
Il n’accordera en conséquence que peu d’attention prendre en chasse dans leur périple vers Iskaneraysh
aux actes des Inspirés mais il laissera toute latitude mais c’est probablement dans la cité abyssale qu’ils
à ses subordonnés les plus compétents pour gérer la auront le plus de chances de les trouver.
capitale de cristal. De toute façon, il ne craint plus les Le chef du groupe est un carmin, Sectal, l’Ombre
Inspirés, puisqu’il a envoyé ses assassins, et il sait que Nocturne. Conjuré depuis des siècles pour des missions
les quelques difficultés provoquées par les démons d’espionnage, d’infiltration ou d’assassinat, nulle place
rebelles seront bien vite un souvenir… Haagenti ne forte, nul secret ne lui aurait jamais résisté. On raconte
se fait aucune illusion sur la lâcheté des démons, qu’il sut s’infiltrer dans la chambre d’Erckman XIX
même ceux du cinquième cercle. Plus encore, exalté le jour de sa mort, voler un manuscrit de l’Invisible
par la puissance infinie de la Ténèbre, le Haut Diable Demeure et même espionner les archives des Acrobates
de Cristal perd toute prudence… ce qui constituera la Assassins. Au sein des Abysses, Haagenti l’a toujours
meilleure chance des Inspirés. employé – avec plus ou moins de succès – à espionner
ses pairs. D’un orgueil sans égal, il ne pèche que par
Si la configuration physique d’Iskaneraysh a peu son excès de confiance et sa tendance à préférer le style
changé – tout au plus quelques sombres cristaux à l’efficacité.
apparaissant ici et là, sans compter les stigmates de Ses deux agents favoris sont les Lames Jumelles,
l’offensive démente de Develorn – les rapports de force Celles qui Dissèquent les Ombres, deux ambrés
ont été complètement bouleversés. Iskaneraysh était jumeaux qui n’assassinent jamais leur proie sans leur
une ville indépendante gouvernée, officiellement, par serviteur favori, l’ombre musicale (cf. p. 61). Hautains
les démons du quatrième cercle, et, secrètement, par et dédaigneux, ils prétendent assassiner avec style et
un conclave d’obsidiens, le sixième cercle (cf. p. 94). méprisent ceux qu’ils nomment les spadassins, c’est-à-
Aujourd’hui, tous ont compris qui était le nouveau dire tous les combattants, indignes selon eux de porter
maître et la quasi-totalité des démons se résigne à cette une arme puisqu’ils ne peuvent en saisir la subtile
prise de pouvoir. De toute façon, cela va-t-il réellement perfection.
changer quelque chose pour les masses opalines ? Cela
rendra-t-il les azurins et saphirins moins arrogants ? Si ce groupe est vaincu par les Inspirés, les serviteurs
Les carmins et vermillons vont-ils cesser pour autant
leurs complots et leurs luttes intestines ?
Les autres eternels
Fugitifs Éminence, Janus et le Masque vont-ils laisser un
Haut Diable assassiner impunément une Éternelle
pour prendre sa place ? À moins que vous ne désiriez
Les Inspirés devraient rapidement chercher à
mettre en scène des agents informés de ces puissances,
comprendre exactement quel rôle joue Haagenti dans
nous considérerons que tous deux ont trop longtemps
tout cela. S’ils ont le culot de se présenter devant son
cherché la marque de leur adversaire respectif dans la
palais, Éminence, ses démons se jetteront sur eux pour
crise abyssale. Surtout, aucun n’a compris l’ampleur du
les massacrer…
danger… jusqu’à ce qu’il soit trop tard ! Les Abysses
Les Inspirés doivent rapidement réaliser que le Haut
sont désormais isolées de l’Harmonde et le resteront
Diable de Cristal veut leur tête : il n’a plus besoin
jusqu’au dénouement de ce Drame.
de ces agents efficaces et gênants. S’ils ne sont pas

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de Haagenti enverront rapidement deux groupes Inspiré fit face avec héroïsme : il survécut à son voyage
similaires ou plus puissants – à vous, Éminence, aux Abysses et devina en outre que le Haut Diable de
d’adapter le danger à votre compagnie. Mais ne le Cristal était responsable du vol de son âme. Baruck
rendez jamais risible : les Inspirés doivent comprendre le défia. Au terme d’un duel d’Accord, le Haut Diable
qu’ils sont en perpétuel danger de mort. choisit, au lieu de détruire ce brillant accordé, d’en
faire son premier lieutenant dans la mise en œuvre de
La mise à prix son assomption. C’est un fidèle vassal du Haut Diable
Les Inspirés, s’ils deviennent gênants, entendront de Cristal qui regagna la surface en 1412. Il devint
rapidement des crieurs opalins clairement affublés rapidement Advocatus Diaboli et Abyme lui offrit un
des stigmates de cristal claironner sur toutes les places havre où officier en toute discrétion. Lorsque Haagenti
d’Iskaneraysh l’avis de recherche les concernant. Moult orchestra les premières notes de son avènement, il
récompenses, dont la reconnaissance de Haagenti rappela aussitôt à lui son plus fidèle serviteur.
n’est pas la moindre, attiseront l’envie et le zèle des Aujourd’hui âgé de plus de 85 ans, le corps de Baruck,
habitants d’Iskaneraysh. À partir de ce moment, les soutenu par la Ténèbre, est toujours aussi vaillant. Il a
Inspirés ne devraient plus pouvoir faire confiance à pour mission de désorganiser les Abysses, qu’il s’agisse
quelque démon ou saisonin de l’ombre que ce soit. de propager les rumeurs accusant Develorn, d’ordonner
Le côté positif de cette situation catastrophique, c’est l’exécution d’opposants trop clairvoyants, ou encore de
que les ennemis de Haagenti se mettront eux aussi à détourner les soupçons loin du Haut Diable de Cristal.
la recherche des Inspirés, pour s’allier avec eux – et Baruck reste un Inspiré et, si les victimes des Œuvres
les trahir si les choses devenaient trop dangereuses, d’Haagenti s’avéraient trop perspicaces, il se mêlerait
bien entendu. Évidemment, les Inspirés pourront-ils facilement à elles pour tenter d’orienter leur enquête.
accorder leur confiance à un démon qui cherche peut- Dans le cas contraire, il restera dans l’ombre jusqu’à
être à les piéger ? Cette mesure devrait faire naître dans la chute de Develorn et il ne prendra ouvertement
votre compagnie une paranoïa sans bornes, Éminence. les rênes du pouvoir en Iskaneraysh que lorsque la
Sachez donc leur faire comprendre la dure condition victoire de Haagenti semblera acquise. Quoi qu’il en
d’ennemi public n°1 et de fugitif perdu dans un univers soit, le corps de Baruck pourra se révéler un adversaire
hostile… redoutable, bretteur hors pair et obscurantiste efficace.
Haagenti lui a en outre délégué son autorité sur de
nombreux démons soumis par le Hautbois. Baruck
Les serviteurs de cristal souffre pourtant d’une faiblesse : il ne peut plus
À Iskaneraysh, les Inspirés sont susceptibles recourir personnellement à l’Accord car son Âme est
d’exploiter leur connaissance des stigmates de cristal à présent totalement dissociée de son corps. En effet,
qui trahissent les agents de Haagenti, désormais celle-ci est toujours prisonnière du Haut Diable et,
clairement désigné comme le responsable du drame. sous forme d’ectoplasme, elle joue un rôle de première
En effet, de nombreux démons ainsi marqués jouissent importance dans le Requiem de l’Ombre : elle est le chef
à présent de statuts et de responsabilités importantes d’orchestre qui dirige la fusion de tous les accordés du
dans la cité. Certains servent directement le Haut Théâtre des Âmes.
Diable ou protègent ses quartiers, d’autres dirigent ses Si les Inspirés parviennent au cours du troisième acte
milices ou, plus discrètement, assurent sa propagande. à détruire le corps ou l’âme de Baruck, voire les deux,
Ils sont surtout les seuls, avec Baruck d’Avernuis et il est certain qu’ils mettront Haagenti en difficulté et
Haagenti lui-même, à savoir se rendre dans le Théâtre qu’ils l’auront suffisamment impressionné pour qu’il
des Âmes… daigne au moins les écouter, s’ils souhaitent entamer
Ces créatures ne sont plus des pantins chargés d’une des négociations. Néanmoins la mort de son lieutenant
unique et simple tâche, comme l’étaient les piégeurs ne suffira pas à ruiner son Œuvre. Les Inspirés
d’âme : ils disposent de plus grandes connaissances s’assureront plus sûrement la victoire s’ils parviennent
sur les ressources de Haagenti dans la cité puisqu’ils à pousser Baruck à trahir son maître. L’entreprise
ont pour mission de gérer certaines d’entre elles. peut paraître utopique mais elle n’est en réalité pas
Les Inspirés, qu’ils les prennent en filature ou qu’ils irréalisable : au fond de lui, Baruck n’accepte pas de
les fassent parler, pourraient s’infiltrer secrètement voir son Âme ainsi soumise mais il faudra de solides
jusqu’au Théâtre des Âmes. À moins qu’ils n’obtiennent arguments pour le convaincre. À tout prendre, Baruck
d’eux des informations d’ordre plutôt logistique qui reste plus facile à impressionner que le Haut Diable de
les aideront à exploiter au mieux un soulèvement Cristal…
d’Iskaneraysh ? L’ennemi semble victorieux mais il
a cessé de se dissimuler. Les Inspirés sauront-ils tirer Irmarryl est un ancien féal de Jaranapale qui aurait
profit du seul avantage qui leur reste ? récemment refait surface. On raconte qu’il aurait
distrait son maître à un moment critique et, partant,
Baruck d’Avernuis fut la première victime d’une précipité sa chute. En récompense, Haagenti lui aurait
version vraiment efficace du Collet des âmes. L’audacieux remis un mystérieux cristal, greffé sur sa jambe droite

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et lui aurait confié la charge de Grand Chambellan tentent d’imposer leur loi sur leur environnement
des Sept Cristaux… Il possède une connaissance immédiat. Ces gardiens haïssent le responsable de la
encyclopédique de l’histoire des démons d’Iskaneraysh mort de la Bête – espérons que les Inspirés ne soient
– sa spécialité en tant qu’archiviste de Jaranapale – pas assez stupides pour expliquer leur rôle dans cette
et prévoit ainsi avec beaucoup d’acuité les intentions catastrophe – et pourraient fournir une force de frappe
de ses adversaires. Il se sert également de ce savoir non négligeable s’ils proposent à leurs leaders un plan
pour faire chanter les plus puissants, se concentrant d’action réaliste.
notamment sur les lieutenants du sixième cercle. Cet
opportuniste badin et méprisant sera sans doute Si les Inspirés se sont impliqués dans la révolte des
l’un des adversaires les plus redoutables des Inspirés succubes (cf. p. 71) ou décident de le faire maintenant,
dans leur enquête à Iskaneraysh, ses manipulations ils pourraient gagner des alliés puissants – et autant
aboutissant trop souvent à l’échec de rencontres d’ennemis – tant parmi les gardiens que les succubes
secrètes ou d’alliances fragiles. ou le sixième cercle lui-même.

Orafùdèln d’Erdebrise, Advocatus Diaboli inféodé Les nains de la nuit sont désemparés. La mort
au défunt Salmac, a prêté allégeance à Haagenti. de Belphégor les a pris de court mais a eu un effet
Sorbalinia, sa jumelle de ténèbre, aurait harangué la inattendu en libérant le Ténébrarque. Les fils de la
foule sur la grande place d’Iskaneraysh pour dénoncer marionnette se sont rompus et le pantin manipulé
cette félonie, avant de disparaître mystérieusement. revient progressivement à la raison sous l’œil attentif
de sa fille, qui a compris l’opportunité magnifique qui
Son Excellence Endollin Myrtradis, Primat de s’offre aux nains de la nuit. Halberk peut redevenir
Ville-Tanis, ambassadeur plénipotentiaire liturge le roi digne de sa légende et conduire le peuple nain
récemment convoyé en Outrerive sur convocation des vers un nouvel âge d’or sous l’égide ténébreuse.
Clercs obscurs, aurait tenté de contacter Haagenti. À Sombrefonte, les complots s’effacent devant la
Bloqué au sein des Abysses suite aux récents troubles personnalité renaissante du roi des nains.
en compagnie de sa garde personnelle, il aurait tenté de Les nains de la nuit ont compris que la crise traversée
négocier sa libération contre l’index de Saint Neuvêne par les Abysses allait marquer un tournant capital pour
lui-même, relique en possession de sa famille depuis des l’avenir de leur décan. Déjà, les partisans de l’allégeance
lustres. Cet orateur expert sait parfaitement manipuler à Haagenti s’opposent aux indépendantistes, conduits
une foule et, passée une période d’adaptation, se par la Nœrggitswinn et son père. Les Inspirés sauront-
révèlera un maître ès fanatisation démoniaque. La ils faire pencher la balance, ou, tout du moins, s’allier
ferveur religieuse des azurins et saphirins devrait glacer aux nains pour accomplir leurs propres objectifs ?
d’effroi les Inspirés les plus aguerris : comment des
démons peuvent-ils adhérer à un discours qui fait de Les serviteurs du Masque seront désormais des alliés
Haagenti le fils de Saint Neuvêne, comment peuvent-ils cruciaux… si les Inspirés ne s’en sont pas faits des
être assez stupides pour devenir les sectateurs d’une ennemis mortels. La maîtrise du Faux-Accord comme
caricature de la foi liturge ? l’étendue de leurs connaissances sera un atout non
négligeable pour contrer le Haut Diable de Cristal. En
tous cas, nombre d’entre eux ont survécu à la chute
Alliés ou ennemis ? de Develorn, et, comme les Inspirés, poursuivent leur
propre enquête à Iskaneraysh. Certains Félons ou
Dans cette nouvelle société, les gardiens survivants Masquards, voire certains Inspirés, choisissent de se
n’ont plus d’autre légitimité que leur force et leur soumettre volontairement au Haut Diable. Quoi qu’il
organisation – quoique celle-ci soit bien affaiblie par en soit, ces personnages pourraient aider les Inspirés
la mort des sables qui gardaient la Salle Métallique. à comprendre exactement ce que trame Haagenti
Tous regrettent amèrement la Bête mais certains ont en remettant en perspective ce qu’ils ont découvert
déjà choisi de se soumettre à Haagenti. Désormais – l’orchestre, l’Ultime Vérité, la nature de l’Accord –
marqués par les stigmates de cristal – leur voix s’est avec la métamorphose des Abysses. Comprendre que
altérée pour rappeler celle du basson – ils gardent le le Haut Diable ambitionne de devenir un Éternel à la
palais de Haagenti et, beaucoup plus discrètement, le place de l’Ombre.
Théâtre des Âmes.
Un groupe important de minotaures a pris le contrôle,
avec l’aide de la Gorgone, de la prison des succubes.
Ils se soumettent, en apparence, à son autorité,
mais il est probable qu’elle soit bientôt exécutée par
les sables. D’autres gardiens ont fortifié certaines
demeures d’Iskaneraysh et établi de véritables corps
de garde. Certains se contentent de survivre, d’autres

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Le sixième cercle engageant les royaumes de l’Harmonde pour des
siècles, des contrats commerciaux exclusifs avec les
Cette société secrète d’obsidiens date des premiers seigneurs des Communes ou les plus importantes
âges de la Ténèbre, lorsque les plus puissants des familles keshites, et des millénaires d’alliances avec
démons s’unirent pour faire tomber la traîtresse les forces militaires, politiques et religieuses de
Iskanera (cf. p. 14). L’Ombre récompensa ces fidèles l’Harmonde. Des primats de la Province liturgique
en leur offrant un territoire – presque – vierge de aux capitaines mercerins, en passant par les barons
l’influence des Hauts Diables… urguemands ou la noblesse déchue janrénienne, toutes
Depuis des millénaires, les obsidiens gouvernent la les puissances sont liées au sixième cercle par un nœud
cité dans l’ombre et amassent un pouvoir matériel et de connivences, de services, de pressions ou de menaces
politique considérables. Des connivences qui courent entrelacés. Même les archontes de l’Invisible Demeure
sur des générations, des alliances politiques secrètes lui sont redevables… La toute puissante guilde des
mages n’aurait pas survécu aux chasses du premier âge
Le sixieme cercle sans de ténébreuses alliances, et le temps n’a en rien
altéré ce souvenir. Haghério lui-même aurait été l’un de
Le sixième cercle compte dix membres, dix obsidiens
ces archontes, devenu Haut Diable par leur médiation !
presque aussi anciens que la Ténèbre elle-même. La
Loin des feux de la Salle Métallique, ces maîtres de la
Gorgone est la plus connue d’entre eux, même si son
Ténèbre ont conservé à travers les âges de l’Harmonde
appartenance à cette organisastion se perd dans les
un objectif inaltéré : laisser les Hauts Diables jouer
rumeurs de la prison des succubes et dans les légendes
les bouffons devant la Bête et se gargariser de leurs
urbaines d’Iskaneraysh.
connivences impériales, pour prendre le contrôle
politique et commercial d’Iskaneraysh et des relations
Aktrol’lh est un obsidien désincarné. Fuligineuse
entre les Abysses et l’Harmonde. Cela ne signifie pas
vapeur dans laquelle brûlent trois rubis ardents, ce
que ces obsidiens travaillent de concert sans comploter
démon peut fractionner son essence et se trouver ainsi
entre eux, au contraire. Simplement, ils savent faire
en plusieurs endroits au même moment. Il est capable
passer ces rivalités après les intérêts du sixième cercle.
de contrôler le corps des démons ou des mortels qui
Ces éons de suprématie, un Haut Diable ambitieux
l’inhalent, mais ces derniers montrent rapidement des
voudrait les compromettre en leur volant le contrôle
signes évidents de corruption alors que leur organisme
d’Iskaneraysh et, pire encore, en remettant en cause
dégénère sous l’influence de la Ténèbre. Les légendes
l’existence même des Abysses… leur propre existence.
prétendent qu’Aktrol’lh est à l’origine de la fondation
Les obsidiens ne sont pas stupides : ils ont deviné
des Terres veuves – les méduses sont, pour lui, des êtres
que les démons du prisme ne pouvaient, à terme, que
supérieurement doués dans l’art de l’intrigue et de la
signifier leur propre fin.
politique et il aime les soumettre à diverses crises pour
contempler leur capacité d’adaptation.
Le sixième cercle se sait incapable de vaincre, à lui
seul, Haagenti. S’il a autrefois renversé un Haut Diable,
Sarcklrft est l’un des démons les plus recherchés
ce n’est que parce que la Bête lui donna le coup de
des Abysses : il joue un double jeu en facilitant les
grâce. Les obsidiens doivent très vite trouver ce que
négociations commerciales entre les Hauts Diables
trame Haagenti, et, surtout, comment le stopper – sans
et les royaumes crépusculaires – même si parfois il
jamais attirer son attention !
n’apparaît qu’au travers d’agents « indépendants » – et
Leurs agents parcourent les rues d’Iskaneraysh mais
en rançonnant les convois qu’il affrète lui-même.
leur loyauté comme leur crédibilité sont mises à mal
par les pouvoirs sans limite du Haut Diable de Cristal
K’aas’terelh tente depuis des millénaires de saper
sur la mémoire et la volonté des démons. Ils finiront
le pouvoir de la Bête et, surtout, des gardiens. Il hait
cependant par entendre parler du Théâtre des Âmes…
ces saisonins qui prétendent faire régner l’ordre dans
le non-royaume des démons et profite de la moindre
occasion pour les discréditer et leur faire subir de
graves revers. Il serait à l’origine du plan de Thazi
pour manipuler les « fils de la Bête » (cf. La Sentence
de l’aube p. 161), et, surtout, ses milices assurent
une alternative très efficace aux minotaures dans les
missions d’escorte, d’assassinat et autres opérations
plus ou moins officielles. Il soutient régulièrement les
dissidents dans leurs rangs et ses manigances leur ont
déjà causé la perte de plusieurs forteresses majeures. Il
soutient également Thazi et Verazia dans leur croisade
pour libérer les succubes de l’emprise des gardiens.

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Deuxième mouvement : rumeurs, cette secte mystérieuse rendrait hommage
à un Haut Diable défunt, Iskanera, dont le cadavre
constituerait les fondations de la cité abyssale et dont

la piste de cristal l’âme dormirait depuis des éons en attendant son


réveil. Un Haut Diable titanesque que l’Ombre aurait
assassiné de peur d’être renversée ! Les rituels du culte
mettent en jeu de fantastiques quantités de Ténèbre
La longue quête des Âmes arrive désormais dans sa brute au cours d’obscures cérémonies destinées à
phase finale. La situation n’a jamais été aussi pressante réveiller celle que l’on nomme parfois l’Ancienne.
et si les Inspirés ont désormais certainement compris Cette secte de fanatiques existe bel et bien et pourrait
que Haagenti est le responsable de la crise abyssale constituer un appui non négligeable pour les Inspirés
comme du vol de leurs Âmes, il leur faut maintenant s’ils parvenaient à approcher son maître, à comprendre
découvrir comment il a réussi à détruire ses pairs, quel son dogme et surtout à le convaincre que la victoire du
est le rôle de leurs Âmes dans tout cela, et quels sont Haut Diable de Cristal signifierait la mort d’Iskanera…
ses objectifs exacts… pour enfin comprendre comment Une conclusion qu’il vaudrait mieux noyer dans un
le contrer ou, tout du moins, sauver leurs vies et leurs jargon mystique pour éviter de susciter l’ire de Neuven.
Âmes.
Il est certain que le Haut Diable les craint puisqu’il La fée d’Iskaneraysh
a pris la peine d’envoyer contre eux ses assassins, Tasminydyha, Dévouée Gardienne des Sombres Pierres,
puis de mobiliser les démons dans une chasse sans est une fée noire incarnée (cf. L’Art de la conjuration
merci. Tout n’est donc pas perdu… Mais l’enquête sera p. 41-43) depuis plus de cent cinquante ans. Cette
certainement complexe, d’autant que leur statut de incarnat passionnée d’architecture en vint à choisir une
fugitifs les place dans une situation désespérée. fée noire en raison de leur empathie particulière avec la
Les enjeux sont épiques : au-delà de leur propre mémoire des pierres. Lors du rituel de possession, la
survie, c’est l’avenir de l’Inspiration qui se joue aux Flamme exceptionnellement puissante de la fée noire
Abysses. Si votre compagnie échoue, les centaines lui permit de subsister au sein de la nouvelle entité, qui
d’Inspirés pris au piège du Collet des âmes seront perdus ne gagne pas de Ténèbre chaque décan, contrairement
pour l’Harmonde, laissant le champ libre au Masque aux autres incarnés. Les pouvoirs de saisonin de son
alors que celui-ci n’est même pas intervenu dans hôte sont les seules compétences occultes de l’incarnée,
les manigances du Haut Diable de Cristal. En outre, qui dispose néanmoins de solides appuis au sein des
Haagenti semble capable de remodeler les Abysses… Si cercles occultes de la ville. Elle semble s’être donné la
vos Inspirés sont peu sensibles à l’avenir des démons, mission de protéger cette dernière et, ancienne féale de
que va signifier ce bouleversement cosmologique pour Develorn, entend bien lutter contre celui qu’elle estime
l’Harmonde ? responsable de son sort… Sans parler des cristaux,
qu’elle considère comme une inacceptable violation de
Légendes urbaines sa ville.

Outre les rumeurs circulant autour du Dôme des Hybliss, l’ombre de soleil
Affres et du Labyrinthe (cf. ci-dessous), Iskaneraysh Éminence, lorsque vos Inspirés en sauront
possède, comme toutes les grandes cités, son lot suffisamment sur les projets d’Haagenti – mais pas
de légendes et mystères qui font le quotidien des avant : elle dévoilerait trop de choses ! –, vous pourrez
conversations de tavernes. Des légendes urbaines mettre en scène cette péripétie qui a surtout pour but
qui pourraient orienter les Inspirés vers certains des de leur rendre un score d’ART décent en prévision de
sombres pouvoirs d’Iskaneraysh. la confrontation finale – à condition qu’ils exploitent
convenablement cette piste.
Le sixième cercle
Il existerait dans les Abysses une famille de démons, Lors de leur enquête en surface (cf. p. 71), les Inspirés
le sixième cercle, qui contrôlerait secrètement ont peut-être appris l’existence de Sybilisse Delisciente
Iskaneraysh et les obsidiens. La Gorgone serait l’un parmi les victimes d’un vol d’âme. Cette poétesse et
des serviteurs de ces créatures… On murmure que ces claveciniste est peut-être la seule à avoir jamais tenu
démons seraient les frères et sœurs cadets de l’Ombre. Haagenti en échec : grâce au Faux-Accord, elle parvint
Certains prétendent que leur peau est d’un vert si en effet à dénouer le Collet des âmes qui retenait son
sombre qu’on ne le distingue de l’obsidien qu’à la âme prisonnière. Hélas, elle succomba sous les coups
lueur des feux follets. des gardiens en tentant de regagner la surface avec
un renégat. Altérée par les Œuvres de Haagenti, elle
La malédiction d’Iskanera survécut pourtant sous la forme d’une âme en peine
Neuven, le primat des ténèbres, est un carmin qui exceptionnelle (cf. Le Bestiaire p. 64) : elle conserva sa
dirigerait le culte de l’arachnide ténébreuse. Selon les Flamme noire. Depuis, elle hante Iskaneraysh sous sa

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forme désincarnée. Le palais de cristal
Les habitants de la cité ténébreuse, en effet, parlent
d’une créature fantomatique arborant sur le front un Le palais de cristal est l’une des plus majestueuses
astre de Ténèbre. Certains, rarement, l’ont entrevue. On constructions d’Iskaneraysh. Autrefois connu sous le
dit qu’elle adresse d’incompréhensibles lamentations nom de Dôme des Affres, il s’étend au pied de l’un
versifiées aux citadins isolés. S’agit-il de l’âme de la cité des piliers qui soutiennent la voûte de l’extraordinaire
abyssale ? De l’Ombre elle-même ? L’opinion la plus caverne abyssale. Rehaussé de centaines de tourelles
répandue fait d’elle un embryon de Haut Diable qui ne dont chacune abrite un fragile carillon à la délicate
parvient pas à se concrétiser : Hybliss, Haut Diable des mécanique – rouages et contrepoids, ou opalins et
Morts. Toute une mythologie s’est créée autour de cette instruments de torture – il est la source d’autant de
hypothétique entité, certains démons rebelles allant mélodies complexes et dissonantes dont l’harmonie
jusqu’à se réclamer de sa fratrie. Née du dernier souffle constitue l’ambiance sonore quotidienne de ce quartier
d’Iskanera (cf. p. 14-15) et de la terreur qu’inspira sa d’Iskaneraysh… Une « symphonie » qui ferait écho
mort, elle aurait dû prendre sa place mais Arachnia lui aux humeurs du seigneur du Dôme, actuellement le
a en quelque sorte soustrait son héritage, l’empêchant Haut Diable de Cristal. Depuis la chute de Develorn,
d’accéder à son statut légitime. les sombres cristaux se sont développés au pied des
Seul Haagenti connaît la vérité sur Sybilisse. Il la tourelles et des colonnes, sur le dôme, dans les ogives,
recherche activement : même si elle ignore qui lui vola les escaliers et les caves du palais, signifiant sans
son âme, elle sait que l’Accord en était l’instrument. ambiguïté l’emprise de Haagenti.
Baruck d’Avernuis la hait : n’a-t-elle pas réussi à se Ses serviteurs prétendent qu’il se repose dans son
dérober au Haut Diable dont lui-même est aujourd’hui palais et prépare l’avènement d’un nouvel âge de
l’esclave ? Si elle leur échappe jusqu’à présent, c’est Ténèbre – âge de gloire et de puissance où les frêles
avant tout grâce à sa nature désincarnée et aux mortels deviendront enfin les serviteurs des démons,
Œuvres de Geste qui masquent son esprit. Mais les et les royaumes crépusculaires le terrain de jeux de la
choses pourraient changer : Sybilisse est intriguée par sombre horde. Pourtant, le Haut Diable ne quitte plus
tous ces mortels apparus dans la cité et des Inspirés sa loge du Théâtre des Âmes où il participe aux derniers
entreprenants mais patients – elle reste craintive et accords du Requiem de l’Ombre.
prudente – parviendront peut-être à la rencontrer. Si Une foule de démons se masse sur le parvis du Dôme,
la prise de contact se passe en douceur, ils pourront attendant en silence ou dans un vacarme immense
découvrir un être nostalgique jusqu’à la démence : une manifestation, un signe, un indice de l’avenir des
elle rejoue constamment son passé et s’adresse à son Abysses. Une foule craintive et soumise, prête à tout
interlocuteur comme s’il était une vieille connaissance. pour plaire au Haut Diable de Cristal… mais une foule
Elle perçoit très clairement la réalité mais elle agit versatile que quelques harangueurs doués pourraient
comme si elle la refusait, préférant mettre en scène retourner contre Haagenti.
ses souvenirs. Si les Inspirés entrent dans son jeu et
interprètent correctement les rôles qu’elle semble
leur attribuer, ils pourraient lui faire raconter son Le Théâtre des Âmes
histoire. Mieux encore, elle jouera peut-être pour eux
l’Œuvre de Faux-Accord qui lui rendit son Âme, mais Le Théâtre des Âmes est l’ancien opéra d’Iskaneraysh.
il faudra lui fournir un clavecin. En termes techniques, Situé dans l’anneau médian, il occupe les profondeurs
Éminence, les Inspirés récupèrent un certain nombre d’une halle baroque, le Labyrinthe. Cet immense
(à votre convenance) de leurs points perdus de CRÉ et complexe abrite un dédale de boutiques, tavernes,
CHA à chaque réussite de l’Œuvre de Sybilisse – mais maisons closes et autres fumeries sur une dizaine
gagnent autant de points de Perfidie… de niveaux entremêlés de passerelles, traboules,
Lorsqu’ils auront recouvré l’intégralité de leurs placettes et jardins ténébreux. Les plus hautes galeries
caractéristiques, leur Âme leur sera théoriquement sont des splendeurs de miroirs et vitraux, ornées de
rendue et la ponction hebdomadaire cessera. Toutefois multiples statues à la gloire des plus célèbres démons
Sybilisse n’aura pas le temps d’accomplir sa tâche d’Iskaneraysh.
jusqu’au bout : ses rencontres avec les Inspirés n’auront L’Opéra du Labyrinthe était autrefois un haut
pas échappé à Baruck et ses séides. Or l’âme en peine lieu de la cité obscure. Déserté depuis des siècles en
doit s’incarner pour jouer du clavecin… Une agression faveur du Palais des Agonies, situé dans le deuxième
stratégiquement menée leur permettra à coup sûr cercle, il a été oublié des safrans et des ambrés du
d’abattre Sybilisse, laissant seulement aux Inspirés quartier. Son entrée principale a été transformée
l’opportunité de la venger. en fumerie, la plus huppée de la Halle. Tenue par
Au moins auront-ils appris que le Faux-Accord peut Troenank et Sylvérhyo, respectivement nain de la nuit
être une solution pour contrer l’orchestre d’Haagenti… et incube, le Capitule permet de goûter aux charmes
entremêlés des élémentäs (cf. Souffre-jour 1 p. 43) et
de l’alraûne (cf. Le Codex des satyres p. 27). La décadence

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« soigneusement étudiée » des lieux, calquée sur les Trouver le Théâtres des Âmes sera difficile : pour les
palais d’Abbadrah, est un cauchemar rococo de soies, guider, les Inspirés n’ont que les visions succinctes des
coussins, dorures et lustres de cristal où les notables ectoplasmes, des lourdes tentures rouges et dorures,
de la cité s’abandonnent aux élémentäs pervertis… lustres et sièges tendus de brocards. Des centaines
un type de drogue formellement déconseillé aux d’instruments, des costumes de tous les royaumes, des
mortels. Les démons comme les propriétaires des hommes, des femmes et des saisonins de tous âges,
lieux ignorent complètement l’opéra dissimulé au fin une foule silencieuse et concentrée sur les directives
fond du Capitule. Même les accords les plus violents du chef d’orchestre… l’âme ectoplasmique de Baruck
du Requiem de l’Ombre sont considérés comme de d’Avernuis, que les Inspirés auront peut-être identifié.
simples effets d’ambiance voire des hallucinations nées La description des lieux n’évoquera rien aux démons
des drogues ténébreuses. Évidemment, de nombreux des deux premiers cercles. Seuls quelques safrans se
pantins de hautbois surveillent les lieux et les Inspirés y rappellent les fastes de l’ancien opéra, mais les démons
seront probablement immédiatement reconnus… Mais des quatrième et cinquième cercles, eux, reconnaîtront
s’ils sont prudents et attentifs, ils pourront remarquer très facilement l’Opéra du Labyrinthe, et sauront même
sans difficulté l’anormale fréquence des stigmates de indiquer aux Inspirés les accès existants… si ceux-ci ont
cristal dans le personnel de la fumerie. quelque chose à leur offrir. Les Inspirés pourraient
aussi rechercher Baruck d’Avernuis et le prendre en
Les rares agents de Haagenti à se rendre régulièrement filature jusqu’au Théâtre des Âmes – un jeu dangereux
au Théâtres des Âmes utilisent une entrée dissimulée car Baruck est toujours sur ses gardes et ne rejoint que
au niveau supérieur, qui communique avec ce qui était rarement son Âme prisonnière.
autrefois les coulisses de l’opéra. Celle-ci se trouve au Faire parler les serviteurs de Haagenti, ou fouiller leur
fond d’un dédale de passages dangereux, abandonnés mémoire à l’aide de l’Accord pourrait s’avérer payant
aux araignées sombres et aux céruléens. La lie du mais très risqué ! Le Haut Diable risque de détecter
Labyrinthe est évidemment marquée des stigmates de l’accordé et balayer son esprit de quelques notes…
cristal : Haagenti les laisse à leurs sombres occupations Environ dix jours après la chute de Develorn, les
tant qu’ils n’interfèrent pas avec l’agenda de ses sombres cristaux commenceront à devenir très
propres serviteurs, et notamment Baruck d’Avernuis. nombreux dans la Halle, et notamment autour du
Capitule ou dans les ruelles qui serpentent au-dessus
de l’ancien opéra… un dernier indice pour guider les
Inspirés vers Haagenti.
Troisième mouvement : pourraient poursuivre l’œuvre de l’âme en peine, s’ils
étaient présents lorsqu’elle l’a commencée, mais le
feront-ils pour les Inspirés ? De plus, cette solution

Requiem égoïste ne sauverait pas l’Inspiration…


Les Inspirés pourraient également choisir de négocier
avec Haagenti, ou d’essayer la force… Dans les deux cas,
il va falloir une menace capable de faire plier un Haut
Éminence, vos Inspirés sont désormais au bout du Diable, presque un Éternel !
chemin. Ils doivent avoir compris, au moins dans les
grandes lignes, le rôle de Haagenti dans ce drame, et S’échapper des Abysses n’a aucun sens si les Inspirés
surtout ses objectifs. Quelle a été la place de leurs n’ont pas récupéré leurs Âmes. Au cas où le Faux-Accord
Âmes, où elles se trouvent, et, peut-être, comment les aurait suffi, il sera impossible aux Inspirés de quitter
libérer. le non-royaume par des moyens classiques : la nature
Plusieurs voies s’offrent à eux, et ce mouvement a des Abysses est altérée par Haagenti et les liens avec
pour objectif de vous offrir une « boîte à outils » afin de l’Harmonde ont été rompus. Seul un Tableau-monde
gérer les actions de vos Inspirés, mais certainement pas pourrait encore fonctionner, et s’il y en a quelques-uns
une trame linéaire. Vos Inspirés ont l’avenir des Abysses à Iskaneraysh, les Inspirés en ignorent tout. L’autre
entre les mains, et ce final demandera beaucoup de méthode serait d’attendre l’assomption de Haagenti et
préparation pour s’adapter aux multiples alliances et la mise en place de liens stables avec la surface pour
inimitiés que votre compagnie a certainement nouées repartir… mais que seront devenues les Abysses d’ici
lors de ses aventures. là ?

Des objectifs Empêcher Haagenti de devenir un Éternel… Oui,


mais pourquoi ? Si cet objectif découle de la libération
La libération des Âmes devrait être une priorité des Âmes, pourquoi pas, mais les Inspirés pourraient
depuis que les Inspirés sont entrés dans les Abysses vouloir revenir à la situation antérieure pour des raisons
– notamment à cause de la perte progressive de qui leur appartiennent – fidélité à l’Ombre, alliance
Créativité et de Charisme. avec de puissants démons, etc. – ou simplement pour
Les Inspirés pourraient y parvenir grâce à Sybilisse, « se venger » du Haut Diable qui les a manipulés. La
mais les serviteurs de Haagenti tenteront par tous motivation des Inspirés sur ce point est primordiale,
les moyens de les en empêcher. Des faux-accords puisqu’elle conditionnera la course de leurs actions et
l’avenir des Abysses…
Le chant du cygne Prendre le contrôle du Requiem de l’Ombre : voilà
Le Requiem de l’Ombre sera peut-être l’apothéose un objectif ambitieux, dont peu d’Inspirés pourraient
de la carrière de vos Inspirés. Défaire Haagenti, rêver… à moins que quelqu’un ne le leur suggère. Un
transformer les Abysses, devenir un Éternel, autant de Masquard ? En plus d’empêcher Haagenti de parvenir
perspectives fascinantes qui pourraient offrir un final de à ses fins, cela offrirait des possibilités inouïes aux
toute beauté à de nombreuses aventures. audacieux. Devenir des Éternels ? Faire renaître Noxe ?
Cependant, la fin de ce Drame pourrait aussi être C’est sans doute aussi le seul moyen par lequel les
le chant du cygne de l’Inspiration. Considérez bien Inspirés pourraient se purger de toute la Ténèbre
toutes les possibilités qui s’offrent à vous – une défaite accumulée durant ce Drame – puisqu’ils se retrouveront
totale, à ce stade du Drame, n’est pas à écarter. Elle est capables de manipuler la Ténèbre des Abysses grâce à la
d’ailleurs la conclusion la plus probable de ce Requiem, symphonie.
mais comment la vivront vos joueurs ? Une fin tragique
et héroïque peut être un souvenir inoubliable si elle est
méritée. Par contre, si vos joueurs ont l’impression de
La marche des Inspirés
faire face à une menace insurmontable, ils sortiront
Votre compagnie ne pourra, seule, offrir une
probablement frustrés de cette épopée… Un écueil à
opposition crédible au Haut Diable de Cristal.
éviter absolument. L’idéal est de trouver l’équilibre
Fédérer les Inspirés, et pourquoi pas les Félons et
entre crédibilité de l’opposition – vous ne pouvez
Masquards, pourrait offrir la puissance nécessaire à la
leur offrir Haagenti sur un plateau – et possibilités
déstabilisation du Requiem de l’Ombre. Mais comment
de victoire. Celle-ci doit être presque inaccessible, et
retrouver les Inspirés, comment distinguer ceux qui se
la défaite doit sanctionner toute erreur majeure. La
sont vendus au Haut Diable des résistants, comment
stupidité ne pardonnera pas, vos joueurs doivent avoir
approcher les ennemis de toujours, comment les faire
conscience des enjeux et des conséquences des actes
accepter aux autres Inspirés ? Toutes ces difficultés
des Inspirés.
devraient coûter des jours de négociations et de réunions

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secrètes ponctués de violence. Le coup de théâtre Ce n’est qu’en constatant l’échec de l’Accord que
sanglant d’une trahison, d’un refuge secret découvert Haagenti acceptera d’écouter les Inspirés. Pesez
par les pantins de cristal ; l’émotion d’un conseil de soigneusement leurs arguments en les considérant du
guerre, d’une alliance improbable face à un ennemi point de vue d’un Haut Diable qui a presque abouti
insurpassable (pensez au conseil d’Adelguêne dans les au terme de millénaires d’intrigues – devenir un
Chroniques des Crépusculaires) ; les responsabilités des Éternel peut pousser à la mégalomanie aveugle, mais
chefs de guerre : autant d’éléments très porteurs pour il est probable qu’une très bonne argumentation,
un final inoubliable… appuyée de menaces crédibles, devrait permettre de
Il faut aussi définir les moyens mis en œuvre : trouver un compromis : libérer les Âmes des Inspirés
utilisation de l’Accord pour lutter avec Haagenti sur et les renvoyer à la surface n’est pas un prix à payer si
son propre terrain, assaut militaire du Théâtre des élevé pour devenir un Éternel. Quant à s’assurer de la
Âmes, ou, plus probablement, la coordination des deux sincérité de Haagenti…
? Tout est possible, mais le manque de préparation Le Haut Diable de Cristal – même sérieusement
devra être fatal… menacé – se révèlera un diplomate retors. Il fera
valoir que son œuvre n’est rien d’autre que le rêve de
nombreux Inspirés : le retour de Noxe – à travers lui,
Le soulèvement des démons certes, mais n’a-t-il pas « guéri » l’âme de l’Ombre
en rassemblant les fragments de son âme ? C’était la
Le sixième cercle a compris la menace qui pèse
seule solution, et lui-même ne sacrifie-t-il pas ce qu’il
sur les Abysses et, surtout, sur les démons, mais les
fut au bénéfice de l’Éternel de l’Ombre ? Il proposera
masses démoniaques n’arrivent tout simplement pas
également de nombreux avantages à ceux qui choisiront
à concevoir la fin du monde… Pour la grande majorité
de se rallier à cet Éternel. Il tentera sans doute de briser
de la population d’Iskaneraysh, la prise de pouvoir de
l’alliance contre-nature des Inspirés et des Félons, avec
Haagenti – qui n’est même pas encore évidente pour
un atout de poids : si l’Ombre n’est plus ce qu’elle fut,
tous – n’est qu’un coup de théâtre dans une lutte qui
son alliance avec le Masque est nulle et non avenue…
les dépasse et ne les concerne pas.
Mais on pourra peut-être négocier de nouveaux
Soulever les démons et les saisonins des Abysses
accords ? S’ils se laissent entraîner sur ce terrain-là,
demandera beaucoup de talent aux Inspirés mais
Inspirés et Masquards risquent fort de se déchirer.
permettra de faire peser une menace crédible sur
la conclusion du Requiem de l’Ombre. Appuyés – ou
utilisés ? – par une dizaine d’obsidiens, une centaine Bataille ?
de carmins et vermillons et des milliers de démons
des cercles inférieurs, les Inspirés pourraient avoir Attaquer le Théâtre des Âmes est une possibilité
l’aplomb de négocier avec Haagenti ou de tenter « simple » et séduisante. Un plan d’attaque construit,
un assaut. Comme fédérer les Inspirés, soulever les de nombreux alliés et une force de frappe appuyée par
démons nécessitera des alliances difficiles avec les des accordés pourraient parvenir à balayer les serviteurs
membres influents de la population abyssale. Les de Haagenti et à ruiner la conclusion du Requiem de
relations établies par vos Inspirés au cours des parties l’Ombre. Reste à affronter le Haut Diable de Cristal
précédentes joueront d’ailleurs un rôle primordial au faîte de sa puissance… Impossible physiquement
dans cette étape : renouer avec un ennemi, trouver un comme sur le plan de l’Accord, à moins que les Inspirés
compromis, faire confiance à un illuminé… Autant de ne parviennent à prendre le contrôle de l’orchestre –
choix cornéliens alors qu’il reste si peu de temps ! une alliance avec Baruck d’Avernuis ? – pour utiliser
sa puissance contre l’Esprit et l’Âme du Haut Diable,
tandis que des sables ou des obsidiens tenteraient de
Négociations ? maîtriser son Corps.
Mais… et si le seul chef d’orchestre expérimenté était
Les Inspirés, appuyés par une force conséquente,
Vlastev Trepanov ?
pourraient décider d’éviter une confrontation directe
avec le Haut Diable de Cristal – avec ou sans l’accord
de leurs alliés, la trahison n’est pas l’apanage des
démons. Évidemment, le premier réflexe de Haagenti,
après avoir envoyé ses serviteurs, sera de tenter de
ABANDON ?
prendre le contrôle des chefs parmi ses ennemis. Éminence, vos Inspirés choisiront peut-être de
Seule une préparation adéquate permettra d’éviter cet devenir des pantins de hautbois… Un sombre avenir
écueil, l’appui de nombreux accordés – dont des faux- dans les Abysses, sous la houlette d’un nouvel Éternel,
accords ? – se révélant alors indispensable. N’hésitez mais offrant de nombreuses possibilités pour l’avenir
pas à mettre en scène une bataille harmonique dans les de la compagnie. Un Éternel nouveau-né aura besoin
couloirs du Labyrinthe ou les coursives du Théâtre des de nombreux serviteurs compétents pour résister au
Âmes, Haagenti renforçant ses positions en manipulant Masque et à Janus… Et qui mieux que des Inspirés
des démons « indépendants » comme les araignées pourrait entreprendre cette lutte ?
sombres ou les céruléens de la halle.

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adversaire ? Janus va-t-il mobiliser les Dames dans sa
guerre en perdition ? Quelle sera la place des survivants
dans ce désastre ?

Épilogue :
Pourtant, si un Éternel de l’Ombre s’est levé, quel qu’il
soit, un enjeu nouveau se dessine pour l’Inspiration :
l’alliance entre l’Ombre et le Masque étant abolie, se
pourrait-il que le nouvel Éternel rejoigne les rangs des
opposants au Semblant ? Faudra-t-il pour cela négocier

l’avenir un nouveau mode de gestion des Flammes, ainsi que ce


fut le cas lors de la fondation du Conseil des Décans ?
Voire offrir l’Inspiration aux peuples des profondeurs ?
Faudra-t-il inventer une nouvelle alchimie entre la
Flamme et la Ténèbre ?

des ombres La mort de Haagenti


Vos Inspirés vont peut-être parvenir à détruire le
Haut Diable de Cristal, ou tout du moins à ruiner son
œuvre. Cela ne signifie pas forcément la renaissance
Le Requiem de l’Ombre peut s’achever de nombreuses des Abysses d’autrefois, c’est même assez improbable : 
manières, mais il devrait laisser une empreinte comment les Inspirés pourraient-ils faire renaître les
indélébile sur l’Harmonde, qui orientera fortement les Hauts Diables disparus ?
Drames à venir. En réalité, tous les dénouements sont L’Ombre ne sortira pas indemne d’une telle crise :
possibles, et dépendent de votre volonté de bouleverser redeviendra-t-elle une Éternelle consciente et active, ou
l’Harmonde et l’imagination de vos joueurs. laissera-t-elle la place à Noxe ?
À moins que les Inspirés ne tentent de détourner le
Requiem de l’Ombre à leur profit en prenant la place de
Un nouvel Éternel Haagenti… et en devenant les facettes d’un Éternel ?
Si les Inspirés ont échoué dans la libération des Âmes,
ou s’ils ont négocié avec Haagenti, le Haut Diable Un mauvais rêve…
devient un Éternel. L’Ombre disparaît à jamais, Noxe
aussi, leur essence dispersée dans la Ténèbre. Éminence, un dénouement à la hauteur de cette
Haagenti est désormais l’Éternel des Ombres. Après épopée vous conduira à bouleverser radicalement la
avoir remodelé les Abysses et la Ténèbre, dispersé les donne entre les Éternels et vous entraînera bien loin
démons de l’ancien temps et renoué avec les royaumes de la gamme officielle. Vous pouvez bien sûr considérer
crépusculaires, il va lui falloir faire sa place parmi les que vos Inspirés sont entrés dans la légende, et repartir
puissances d’un Harmonde dont le destin aura été avec de nouveaux personnages dans un Harmonde
bouleversé : la Ténèbre modifiée a libéré ses séides classique. Vous pouvez également mettre en scène
ténébreux, Advocatus Diaboli, animaux corrompus, un « retour à l’ordre » : si la symphonie d’Haagenti
etc. Abyme subit une crise sans précédent, sa culture n’arrive pas à terme, toute la Ténèbre manipulée par
complètement remise en cause par la disparition l’orchestre est violemment libérée. Après une période
des démons. Les morganes sont désormais libres hors du temps, elle retrouvera la structure qui fut la
de l’influence de Vitrance, la survie des minotaures sienne pendant des siècles : les Abysses telles que les
devient improbable et les succubes ont disparu – sauf Inspirés les ont toujours connues. Les Hauts Diables
celles qui se trouvaient à la surface – etc. et tout le peuple des Abysses reprendront leurs places.
La lutte de vos Inspirés va forcément prendre un À moins qu’ils ne l’aient spécifiquement souhaitée,
tour nouveau dans des royaumes crépusculaires en cette solution sera sans doute amère pour les joueurs :
crise, mais cela va-t-il signifier une avancée pour les profondeurs ne gardent que de vagues souvenirs
l’Inspiration ? fugaces de la crise, comme si les Abysses se réveillaient
d’un cauchemar abominable, mais vite oublié au
matin… Personne ne les traite en héros ! Seuls les félons
La fin de l’Inspiration ? et les autres Inspirés impliqués se souviendront de ces
événements… qui, grâce aux joueurs, ne se sont jamais
Quel que soit le devenir de Haagenti, si vos Inspirés produits !
n’ont libéré que leurs seules Âmes, l’Inspiration ne Quant à Haagenti, il oublie ses rêves de pouvoir
compte désormais plus que quelques Flammes. Le suprême, mais il lui restera une haine incommensurable
Masque a virtuellement gagné… Trouvera-t-il un nouvel à l’encontre des Inspirés…

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