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études

étud es
Les
Économie sociale
La solidarité au défi de l’efficacité

Les
Avec aujourd’hui moins de 800 000 actifs, l’agriculture française
produit des quantités de denrées sans commune mesure avec le début
du xxe siècle, où plus de la moitié de la population active travaillait la terre. Ces
formidables gains de productivité ont été rendus possibles par la forte moder-
nisation technique, économique et sociale de la production. Les pouvoirs publics,
français puis communautaires, en lien avec des organisations professionnelles
puissantes, ont joué un rôle décisif dans cet élan.

Économie sociale
Mais si le temps des disettes est révolu, le secteur se heurte à de nouveaux
problèmes. Véritable chef d’entreprise, l’agriculteur doit affronter désormais 3e édition
tous les défis d’une économie ouverte. Il doit faire face également aux exigences
croissantes des consommateurs, soucieux de la qualité des aliments comme
de la protection de la nature et de l’environnement.
Cet ouvrage retrace l’évolution historique de l’agriculture ; il fournit des don-
nées actualisées par rapport à la première édition et présente les perspectives La solidarité
qui s’offrent à ce secteur en évolution rapide.

n P
 ierre Daucé a été chercheur INRA (Institut national de la recherche agronomique)
au défi de l’efficacité
et professeur à l’ENESAD (Établissement national d’enseignement supérieur agronomique
de Dijon) et à l’ENSA (École nationale supérieure agronomique) de Rennes.

L es « Études de La Documentation française »


Une collection de référence sur le monde contemporain et ses évolutions : institutions, vie politique,
questions sociales, secteurs économiques, relations internationales. Des ouvrages pour tout lecteur
en quête d’analyses approfondies et objectives.
CMJ
Thierry Jeantet
n T. Jeantet

Préface de François Hollande


CMJN
Économie sociale

Diffusion
Direction de l’information
légale et administrative
La documentation Française
N os 5418-19

Tél. : 01 40 15 70 10
www.ladocumentationfrancaise.fr Prix : 20 €
Imprimé en France
Directeur de la publication :
Bertrand Munch
DF 08119-5418-19
ISSN 1763-6191
3:DANNNB=^ZYV]\: dF

LES ÉTUDES Économie sociale Couv exé..indd 1 26/01/2016 14:10

230 pages environ : 00 mm


Économie sociale
La solidarité au défi
de l’efficacité
Chez le même éditeur/diffuseur
Agriculture et monde agricole
Pierre Daucé, coll. « Les Études de La Documentation française », 2015
Bilan de la vie associative 2012-2014
Haut Conseil à la vie associative, 2015
Les fondations à vocation culturelle
Jérôme Bouët, Jean-François de Canchy, Ministère de la Culture et de la Communication, 2014
Évaluation du pilotage de la politique publique d’économie sociale et solidaire
Julie Bonamy, Marie-Laure Balmes, Jean-François Bénévise, Inspection générale des finances, Inspection générale des
affaires sociales, 2014
http://www.ladocumentationfrancaise.fr/var/storage/rapports-publics/144000121.pdf
Entreprendre autrement : l’économie sociale et solidaire
Patrick Lenancker, Jean-Marc Roirant, coll. « Avis et Rapports du Conseil économique, social et environnemental », 2013
http://www.ladocumentationfrancaise.fr/rapports-publics/134000059/
L’évaluation de l’apport de l’économie sociale et solidaire
Philippe Frémeaux, Ministère délégué chargé de l’économie sociale et solidaire et de la consommation, Ministère de
l’Économie et des Finances, 2013
http://www.ladocumentationfrancaise.fr/rapports-publics/134000782/
Contribuer au financement de l’économie sociale et solidaire : renforcer l’existant, approfondir les parte-
nariats, innover. Rapport d’étape à l’intention du ministre délégué auprès du ministre de l’Économie et des
Finances, chargé de l’économie sociale et solidaire et de la consommation
BPI France, Ministère de l’Économie et des Finances, 2013
http://www.ladocumentationfrancaise.fr/rapports-publics/134000332/
Rapport d’information fait au nom de la commission des affaires économiques par le groupe de travail sur
l’économie sociale et solidaire
Marie-Noëlle Lienemann, coll. « Les Rapports du Sénat », 2012
http://www.ladocumentationfrancaise.fr/rapports-publics/124000387-rapport-d-information-fait-au-nom-de-la-commis-
sion-des-affaires-economiques-par-le
La tutelle administrative exercée sur les fondations et les associations reconnues d’utilité publique
Rémi Duchêne et Xavier Giguet, Ministère de l’Intérieur, de l’Outre-Mer et des Collectivités territoriales, 2011
Mécénat et fondations culturelles. France-Suisse
Ministère de la Culture et de la Communication, 2010
Rapport sur l’économie sociale et solidaire, « L’économie sociale et solidaire, entreprendre autrement pour
la croissance et l’emploi »
Francis Vercamer, Ministère de l’Économie, de l’Industrie et de l’Emploi, 2010
http://www.ladocumentationfrancaise.fr/rapports-publics/104000206/

Du même auteur, chez d’autres éditeurs (sélection)


« L’économie sociale et solidaire, une réponse aux enjeux internationaux »
Directeur de la publication – avec Anne-Marie Wioland Sahabana (coord.), Le Manuscrit, Paris, 2013
« Sociétale démocratie : un nouvel horizon »
Avec Yan de Kerorguen, Lignes de Repère, Gambais, 2012
L’économie sociale, une alternative au capitalisme
Economica, Paris, 2008
« Capital patient, les réponses de l’économie sociale »
Futuribles, no 344, septembre 2008
L’économie sociale européenne ou la tentation de la démocratie en toutes choses
CIEM (Coopérative d’information et d’édition mutualiste), Paris, 1999
L’économie sociale en action. Faits, enjeux, options. Rapport au Comité consultatif de l’économie sociale
CIEM, Paris, 1995
« L’économie sociale dans le contexte français »
Revue des études coopératives, mutualistes et associatives (RECMA), no 256, Paris, 1995
Démocratie directe, démocratie moderne
Coll. « Vivre demain », Entente, Paris, 1991
L’économie sociale, une alternative planétaire. Mondialiser au profit de tous
Avec Jean-Philippe Poulnot (coord.) (Les Rencontres du Mont-Blanc), coll. « Dossier pour un débat », Éditions Charles
Léopold Mayer, Paris, 2007
« Des croissances »
Francis Bourin, Paris, 2014
À Céline, Adrien, Claire et Claire L.
En hommage à Michel Rocard, qui fut le premier ministre d’État
à avoir en charge l’économie sociale (mai 1981-mars 1983)

Économie
sociale
La solidarité au
défi de l’efficacité
3e édition

Thierry Jeantet
Préface de François Hollande,
Président de la République

La Documentation française, 2016


Remerciements
De l’auteur à M. François Hollande, Président de la République, pour sa préface.
Ainsi que Michel Rocard pour ses préfaces des deux éditions précédentes.
Cet ouvrage a été réalisé avec la coopération active de :
Célia Firmin, docteur en économie
Tatiana Sachs, maître de conférences à l’Université Paris-Ouest Nanterre – La Défense (Institut de
recherche juridique sur l’entreprise et les relations professionnelles)
Et enrichi par les contributions de :
Anaïs Amazit, cheffe de projets, Barefoot International College
Roger Belot, président de la Chambre française de l’économie sociale et solidaire
Michel Capron, Professeur émérite des universités en sciences de gestion, Université Pa-
ris VIII – Saint-Denis, Institut de recherche en gestion (Université Paris-Est)
Jean-Louis Cabrespines, président du CNCRES
Laure Chareyre, présidente de la CRESS Rhône-Alpes
Alain Cordesse, ancien président de l’UDES
Catherine Coupet, présidente-directrice générale du groupe Up
Jean-François Draperi, directeur du Centre d’économie sociale Travail et société (CESTES) au
Conservatoire national des arts et métiers (Cnam) et rédacteur en chef de la Revue internationale
de l’économie sociale (Recma)
Thierry Guillois, avocat
Sabine Louët, rédactrice en chef de EuroScientist
Gilles Mirambeau, virologiste, UPMC Sorbonne (Paris) & IDIBAPS (Barcelone), membre du comité de
rédaction de EuroScientist
Jean-Marc Roirant, secrétaire général de la Ligue de l’enseignement, ancien président de l’inter-
groupe Économie sociale et solidaire du Conseil économique, social et environnemental
Sarah Toumi, entrepreneuse de l’ESS, fondatrice d’Acacias for All et Dream en Tunisie
Luc Van Dyck, conseiller principal en matière de politique de recherche, EuroScience
L’auteur remercie Mmes Chantal Bonfill et Martine Peissik pour leurs décryptage et leur relecture
approfondie du manuscrit.

Et les personnes qui, au cours des trois éditions successives de cet ouvrage, ont effectué une re-
cherche, écrit une contribution ou facilité une actualisation :
Mmes Hélène Croce, Laura Ortiz-Rouzé, Elsa Peskine, Marie Koehl, MM. Yannick Brabançon, Jean-
Claude Detilleux, Laurent Gros, Jean Lapeyre, John Monks et enfin Sandrine Brun-Bertoli pour sa
relecture lors de la première édition.

Collection dirigée par Pierre-Alain Greciano


Conception graphique : Service de création graphique du département de l’édition
Illustration de couverture : © scusi – Fotolia. com
© Direction de l’information légale et administrative, Paris, 2016
ISSN 1763-6191
Les opinions exprimées dans cet ouvrage n’engagent que leurs auteurs.

« Aux termes du Code de la propriété intellectuelle, toute reproduction ou représentation, intégrale ou partielle
de la présente publication, faite par quelque procédé que ce soit (reprographie, microfilmage, scannérisation,
numérisation…) sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite et consti-
tue une contrefaçon sanctionnée par les articles L. 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
Il est rappelé également que l’usage abusif et collectif de la photocopie met en danger l’équilibre économique
des circuits du livre. »
S ommaire

Préface. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 9
(François Hollande)

1. Des racines profondes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 11


Des inspirations plurielles, sources d’expériences convergentes. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 12
La « recherche-action », de l’associationnisme aux coopératives et mutuelles . . . . . . . . . . . . . . . 18

2. Familles et cousinages . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 25
Les principes et les réalités. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 25
Les chemins de la reconnaissance . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 34

3. Des formes et statuts variables . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 53


Le quintette français. Vers un droit de l’économie sociale et solidaire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 53
Innovations et enjeux . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 96

4. Des contributions spécifiques à la production de biens


et de services . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 105
Photographie d’ensemble. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 105
Une approche sectorielle de l’économie sociale. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 115
Élargissement à une perspective européenne et internationale. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 135
De nouveaux financements : publics, participatifs. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 138

5. Des relations originales avec les acteurs publics et privés. . . . . . . . . . . . . 141


1980-1990 : l’État reconnaît l’économie sociale. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 141
Pouvoirs publics et associations : un partenariat spécifique et encadré . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 150
Partenariats collectivités territoriales/économie sociale : un élan confirmé. . . . . . . . . . . . . . . . 153
L’économie sociale et les mouvements syndicaux . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 159

6. D’une approche sociale à une approche sociétale,


mesurable et valorisable. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 169
Évaluation de l’ensemble de l’ESS. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 170
L’évaluation, encore maître mot de la démarche . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 177
Bilan, notation, labellisation… Quelle cohérence entre ces différents instruments ?. . . . . . . . . 181
7. Défis et nouvelles dynamiques. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 185
Être acteur du changement de croissance . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 185
Changer de dimension. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 194
Populariser l’ESS. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 199
Accélérer la transition financière . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 206
Internationaliser l’ESS. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 207

Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 215

Annexes
1. Guide des fédérations et instances de représentation françaises . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 217
2. Guide des fédérations et instances de représentation européennes. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 222
3. Guide des fédérations et instances de représentation internationales. . . . . . . . . . . . . . . . . . 223
4. Bibliographie. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 224
5. Liste des sigles. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 238
6. Liste des cartes, figures, tableaux et encadrés. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 243
❮  7

L’auteur, Thierry Jeantet


Actuellement
Président du Forum international des dirigeants de l’économie sociale et
solidaire(Rencontres du Mont-Blanc)
Administrateur de La Mondiale (mutuelle d’assurance vie) et de la SGAM
AG2R La Mondiale ; vice-président du conseil de surveillance de Mutavie
(groupe MACIF) ; vice-président du conseil de surveillance de la mutuelle
d’assurance polonaise TUW ; administrateur de la coopérative d’assu-
rance grecque Syneteristikí ; membre des conseils d'administration de la
Fondation Macif et de la Fondation d’AG2R La Mondiale.

Précédemment
Professionnellement, il a été secrétaire général de la banque et du réseau
du Crédit coopératif, puis d’octobre 1981 à juin 1985, adjoint du délégué
interministériel chargé de l’économie sociale. II a été ensuite chargé par le
Premier ministre, Laurent Fabius, d’un rapport sur la modernisation de
la France par l’économie sociale. De mai 1986 à octobre 1992, il a exercé
les fonctions de secrétaire général du Groupement des sociétés d’assu-
rance à caractère mutuel (GSCAM, devenu en 1989 GEMA). D’octobre
1992 à juin 2015, il a occupé le poste de directeur général d’un grou-
pement européen d’intérêt économique, Euresa, outil de coopération
opérationnel rassemblant quatorze mutuelles et coopératives d’assurance
européennes (notamment : Unipolsai/italie, Macif, Maif, Mamut/France,
P&V/Belgique, Devk/Allemagne, LB/Danemark, Lagun Aro/Espagne…)
et une mutuelle marocaine (Mamda-Mcma).
Il a publié, outre les titres signalés en page 2 du présent ouvrage :
La modernisation de la France par l’économie sociale
Economica, Paris, 1986
L’individu collectif
Syros, Paris, 1983
L’économie sociale
Avec Roger Verdier, coll. « Tiers Secteur », Coopérative d’information et d’édition mutua-
liste, Paris, 1982
Matignon, c’est extra ! Mémoires de Gilles Porantet, chef de cabinet du Premier ministre en 1982
Avec Michel Porta, Encre, Paris, 1981
La révolution conviviale
Avec Michel Porta et Jean-René Siegfried, coll. « Antidotes », Entente, Paris, 1979
L’économie sociale européenne
CIEM, Paris, 1999
L’économie sociale face au xxie siècle, rapport au Comité consultatif de l’économie sociale,
Secrétariat d’État à l’économie solidaire/La Documentation française, Paris, 2002
❮  9

P réface
L’économie sociale et solidaire a une longue histoire. Elle est née d’une volonté
de femmes et d’hommes qui ont voulu prendre leur destin en main en pleine
révolution industrielle. Ce choix audacieux d’associer solidarité entre les salariés
ou les consommateurs et efficacité économique est devenu un enjeu majeur
dans une période de mutations technologiques et sociales. La lutte contre le
changement climatique en renforce aussi la pertinence.
Les coopératives, mutuelles, associations, fondations, entreprises sociales pour-
suivent ce même but, prouvant sur tous les continents que la mise en œuvre des
valeurs auxquelles elles sont attachées – la démocratie, la juste répartition des
excédents, l’utilité sociale et environnementale – apporte des réponses concrètes.
C’est pourquoi j’ai, avec le gouvernement, voulu doter l’économie sociale et
solidaire, pour la première fois, d’un cadre législatif, avec la loi du 31 juillet
2014. C’est aussi pourquoi nous avons prévu la création d’une dotation de
500 millions d’euros au sein de la Banque publique d’investissement et permis
l’entrée des employeurs du secteur dans les instances de dialogue social.
Ce secteur, il est en mouvement en s’élargissant à de nouvelles formes d’entre-
prises, en abritant des start-up à caractère social, en procédant à des regroupe-
ments de coopératives ou mutuelles, en régionalisant ses dispositifs, en s’inter-
nationalisant, en prenant en compte de nouvelles données liées à l’économie
circulaire ou encore à la « silver economy ».
L’ouvrage de Thierry Jeantet le souligne avec justesse et éclaire ses caractéris-
tiques, son importance économique, son impact social, ses modes d’organi-
sation, ses relations avec les pouvoirs publics. Il alerte sur ce qui reste à entre-
prendre pour impliquer plus largement l’économie sociale et solidaire dans
les différents agendas de solutions destinées à juguler la crise économique
comme la crise climatique. Il souligne aussi sa contribution originale à la
transformation des modes de production et de développement, sa capacité
d’inclure les citoyens sur les plans de la santé, de l’habitat, de la formation,
de la culture ou du sport.
Les enjeux sont français, européens, mais aussi internationaux. En effet, de
plus en plus d’États prennent conscience de l’apport innovant de l’économie
sociale et solidaire en faveur d’un développement plus humain. Cet ouvrage
ne cache ni les potentialités et légitimes ambitions de l’économie sociale et
solidaire, ni le chemin qui lui reste à parcourir. Il contribue, à sa façon, à
ouvrir une nouvelle page d’une histoire déjà riche.

François Hollande
Président de la République
❮  11

❯ Chapitre 1
Des racines profondes
Les coopératives, les mutuelles, les associations et les fondations concernent,
en France, plus de la moitié de la population, emploient plus de 2 millions
de personnes et représentent une valeur ajoutée de 100 milliards d'euros
(plus de 10 % du produit intérieur brut). En tant que groupements de
personnes, ces organisations constituent un ensemble appelé, historique-
ment, « économie sociale » et, depuis quelques années, « économie sociale
et solidaire » (ESS). Disposant de leurs propres statuts, présentes dans la
plupart des secteurs d’activité économique, sociales, culturelles, sportives…,
elles entretiennent des relations partenariales multiples. Cette économie
sociale, qui se veut démocratique, équitable et solidaire, et qui tente de
répondre, en Europe et dans le reste du monde, aux besoins des consom-
mateurs, des salariés et des citoyens, a des racines profondes et multiples.
Celles-ci plongent dans un passé lointain où les hommes et les femmes
pratiquaient l’entraide localement ou dans leur milieu professionnel :
entraide villageoise ou sur des chantiers (comme ceux des cathédrales) ;
entraide à l’occasion des principales périodes d’activité agricole (travaux
accomplis en commun) ; solidarité face à des catastrophes naturelles, à la
maladie des hommes comme du bétail ; communautés et corporatismes
nés de la pratique d’un même métier. Les compagnonnages pré-associatifs,
issus d’une volonté d’entraide sociale, en constituent un exemple. Déjà au
xve siècle, si ce n’est avant, germent les principes et les premières formes de
ce qui deviendra, beaucoup plus tard, l’économie sociale. Les individus et
les familles cherchent déjà à se lier face aux incertitudes climatiques ou aux
risques d’accidents, à s’organiser pour supporter une charge de travail et
réguler des relations nées de l’exercice d’un métier. Ainsi, peu à peu, ruraux
et urbains ont inventé des modes de solidarité, de secours, de répartition
des risques surtout, de « résistance » aussi.
Ces micro-groupements ont marqué très tôt l’histoire de la France ; tantôt
encouragés par les Églises et le pouvoir, tantôt tenus à distance quand ils
prenaient trop leur indépendance ou devenaient sources d’idées ou de
comportements trop différents. La loi Le Chapelier (14-17 juin 1791),
qui interdisait les corporations et visait confréries et compagnonnages
d’Ancien Régime, n’a été qu’une parenthèse le long d’un chemin mouve-
menté : celui de l’économie sociale.
12  ❯ ÉCONOMIE SOCIALE - LA SOLIDARITÉ AU DÉFI DE L’EFFICACITÉ

Des inspirations plurielles,


sources d’expériences convergentes
Les communautés, les confréries, les corporations et les compagnonnages
constituent ce qu’Henri Desroche 1 appelle les sources « préhistoriques »
de l’économie sociale. Dès le xiiie siècle, ces organisations poursuivent
des objectifs de promotion humaine et de solidarité et préfigurent déjà
les formes contemporaines de l’économie sociale. Le compagnonnage, par
exemple, permet, au sein d’un même corps de métier et, plus tard, au sein
de groupements pluridisciplinaires, la mutualisation de moyens au service
du développement personnel et professionnel de ses membres, via la for-
mation, l’initiation et l’assistance matérielle. Mais c’est au xixe siècle, avec
la révolution industrielle, que l’économie sociale trouve véritablement ses
racines. De nombreux penseurs d’inspirations idéologiques diverses sou-
lignent alors l’importance de la question sociale et la nécessité de lutter
contre les effets néfastes du capitalisme naissant.

Les « facteurs déclenchants »


La Révolution de 1789 et la loi Le Chapelier interdisant les « coalitions
ouvrières » marquent le début de nouvelles formes de résistance. Malgré
les interdictions, des ouvriers organisent leurs activités économiques dès
le début du xixe siècle à travers des sociétés de secours mutuel, des sociétés
de prévoyance ou encore, dès 1830, des associations de production. Cette
clandestinité perdurera jusqu’en 1884, avec l’abrogation de la loi, le réta-
blissement de la liberté d’association et des syndicats ouvriers, et leur
accession à la scène sociale. Mais le véritable facteur déclenchant sera la
révolution industrielle (commencée vers 1840), marquant le passage d’une
société agricole à une société de production mécanisée de biens non ali-
mentaires, essentiellement fondée sur le charbon, le développement des
chemins de fer et l’industrie lourde. Dans les campagnes, le développe-
ment des machines agricoles engendre un surplus de main-d’œuvre, la
mise au chômage de nombreux paysans et leur migration vers les villes.
L’insuffisance des salaires contraint femmes et enfants à travailler dans des
conditions d’extrême pénibilité, pour des revenus équivalant respectivement
à la moitié et au quart de celui des hommes. L’impossibilité pour la classe
ouvrière de se constituer une épargne, d’accéder au crédit et l’absence de
toute protection sociale entraînent une précarisation des conditions de vie.
Les premières voix contestataires s’élèvent alors, remettant en cause la place

1 . Henri Desroche, Histoires d’économies sociales. D’un tiers état aux tiers secteurs, 1971-1991, Syros/
Centre des jeunes dirigeants et acteurs de l’économie sociale (CJDES), Paris, 1991.
Des racines profondes  ❮  13

centrale accordée à l’économie au détriment de l’humain. De nouvelles


doctrines voient le jour, visant à permettre aux « victimes » du capitalisme
naissant (ouvriers et paysans) d’accéder à des conditions d’existence et de
travail « supportables ». L’économie sociale est ainsi née d’une volonté de
réduire ces inégalités, voire, pour certains, de jeter les bases d’une société
différente, au sein de laquelle les individus seraient aussi égaux que possible.

Les principaux « ressorts »


Quelles que soient les appartenances politiques ou religieuses, il est pos-
sible d’identifier les principaux ressorts qui président à l’ensemble des
discours et doctrines développés par les différents penseurs et théoriciens
de l’économie sociale :
– un souci permanent de mettre l’Homme au cœur des préoccupations pour
qu’il s’épanouisse, pour le préserver des dangers (maladie, accident, chô-
mage…) et des dérives (liées à l’ignorance, voire à l’amoralisme), mais aussi
– et peut-être surtout – pour lui éviter tout isolement. Très tôt, les com-
pagnons et les corporations ont sociabilisé leurs membres en les intégrant
dans un ensemble, en évitant donc qu’ils soient « dehors » ;
– la convivialité : cet objectif, central, demeurera jusqu’à nos jours. Les
membres, quelle que soit l’organisation, doivent se sentir proches les uns
des autres, sans barrière. Les fêtes, les débats sont des facteurs d’intégration ;
– la solidarité, très vite mise en œuvre entre paysans assurant ensemble
une récolte, artisans s’organisant dans le cadre d’une commande, villageois
faisant face à un péril. Il s’agit de faire front commun dans un but éco-
nomique (pouvoir assurer collectivement un travail) ou social (assistance
mutuelle), souvent en réunissant ces deux objectifs ;
– la recherche de l’harmonie : soit localement, soit de façon utopique et
universelle. Cette notion, qui apparaîtra désuète à certaines périodes, est
pourtant restée très présente, avec des variantes et des ambiguïtés : recherche
d’une égalité sociale et culturelle autant qu’économique entre les individus,
ou simplement d’une « paix sociale » ;
– l’émancipation, au sens de la capacité d’agir par soi-même sans subir les
contraintes des pouvoirs, notamment économiques. L’individu est appelé
à prendre confiance en lui, à se responsabiliser, à se former pour être en
capacité d’agir. Pour l’économie sociale, il n’y a jamais de domaine réservé
à des « sachants ». Tout individu, surtout associé à d’autres, peut intervenir
dans tous les champs de l’activité humaine ;
– la résistance face à l’oppression d’origine économique, mais aussi poli-
tique, face aux grands propriétaires féodaux, puis au capitalisme indus-
triel ou financier, comme face à des régimes politiques jugés autoritaires.
Il s’agit d’une résistance dynamique visant à prendre en main sa destinée
et à s’organiser en conséquence, socialement et économiquement, autant
que syndicalement et politiquement.
14  ❯ ÉCONOMIE SOCIALE - LA SOLIDARITÉ AU DÉFI DE L’EFFICACITÉ

Les courants précurseurs de 1848 à 1900


Entre 1848, date symbole d’une révolution et surtout du « démarrage »
des associations ouvrières, et 1900, avec la confirmation du concept par
Charles Gide 2 à l’occasion de l’Exposition universelle, l’économie sociale
prend formes et racines. Au cours de cette période, un vaste mouvement
d’idées sociales se développe en France, et plus largement en Europe, se
nourrissant d’influences diverses, qu’elles soient politiques ou religieuses.

Les origines religieuses et laïques


Les premières solidarités ont été souvent encouragées, parfois même por-
tées, par les Églises. Au Moyen Âge, les systèmes initiaux d’assistance et de
charité sont d’inspiration religieuse. Les corporations ou confréries ont leur
« saint patron » et leurs membres assistent à des offices religieux communs.
Des associations mutuellistes, puis des mutuelles, seront d’abord un habil-
lage d’anciennes organisations de bienfaisance ou d’entraide religieuses et
seront présidées par des curés ou soutenues par un patronat d’inspiration
chrétienne. Les approches charitables de l’économiste Armand de Melun,
plus directement sociales de Frédéric Le Play, ont contribué à alimenter
l’économie sociale à partir d’une conception catholique « protectrice » des
travailleurs. De son côté, l’École de Nîmes est fondée par des protestants
avec Édouard de Boyve, bien que Charles Gide, lui aussi protestant, soit
partisan de la « neutralité ». Les courants chrétiens ont ainsi joué un rôle
important dans l’émergence de l’économie sociale, dans sa version urbaine
comme dans sa version rurale.
Indiscutablement laïque, l’approche de Robert Owen est fondée sur la capa-
cité des hommes à s’organiser pour tenter d’atteindre le bonheur. Pierre-
Joseph Proudhon, s’il ne rejette pas le principe divin, considère la morale
comme la clef de voûte de l’édifice économique. La poussée coopérative
et mutualiste des années « 1848 » est d’essence essentiellement laïque. Il
en est de même du solidarisme (forme de positivisme lié au scientisme)
d’Émile Durkheim et Léon Bourgeois, ainsi que des théories de Louis
Blanc ou d’Étienne Cabet.
D’autres auteurs se situent hors de ces courants, tel Charles Gide, mais
aussi des libéraux, y compris Hermann Schulze-Delitzsch en Allemagne
ou Luigi Luzzatti en Italie, qui sont avant tout des « réalisateurs » : ils
appliquent leurs théories sociales libérales de façon indépendante, sans
référence aucune à une religion.

2 . Les principaux ouvrages de Charles Gide ont fait l’objet d’une réédition chez L’Harmattan, sous
la responsabilité du chercheur Marc Pénin et d’un comité coordonné par André Chomel et pré-
sidé d’abord par Jacques Moreau, puis par l’auteur du présent ouvrage.
Des racines profondes  ❮  15

Les sources politiques


L’économie sociale se nourrit aussi d’idées et de projets politiques de sources
diverses.
•  Le libéralisme : avec Charles Dunoyer, en France (qui publie un Nouveau
traité d’économie sociale en 1830), John Stuart Mill au Royaume-Uni (qui
conçoit les associations de travailleurs comme un moyen d’obtenir une
meilleure répartition des richesses créées par l’entreprise), Léon Walras
en France (pour qui l’association populaire est productrice de richesse
sociale), H. Schulze-Delitzsch en Allemagne (créateur d’un crédit popu-
laire). D’autres libéraux ne voient dans l’association ou la coopération qu’un
point de passage vers un capitalisme raisonnable (Paul Leroy-Beaulieu
en France). D’autres encore voient dans l’association le chemin condui-
sant à la « participation » (la participation aux bénéfices ne supposant pas
obligatoirement l’abandon du statut d’entreprise traditionnelle mais son
aménagement), avec l’idée d’obtenir la paix sociale, de stabiliser la main-
d’œuvre autant que d’introduire un peu plus de justice dans la répartition
des revenus. Au-delà des hésitations de certains, soucieux de corriger les
excès du capitalisme mais inquiets de sa possible remise en cause, les libé-
raux ont contribué à donner de véritables assises à l’économie sociale, en
favorisant le passage des actions de charité et de patronage au soutien à des
sociétés de secours mutuel. Parce qu’ils voulaient sans doute plus encore
donner aux ouvriers une sorte d’« autonomie », ils ont particulièrement
appuyé la naissance de coopératives de consommation et, plus nettement
encore, de coopératives de crédit.
•  Le radicalisme : avec notamment L. Bourgeois, qui estime que l’asso-
ciation et la mutualité sont des formes républicaines d’activité humaine
fondées sur le principe clé de solidarité. Parallèlement à l’École « neutre »
de Nîmes et au coopératisme de Charles Gide, il va jeter les bases de
l’économie sociale, relayé dans le monde agricole par le ministre radical
Albert Viger (loi sur les assurances mutuelles agricoles de 1900) 3. Plus tard,
Édouard Herriot soutient les coopératives de production à Lyon. Les radi-
caux défendent ainsi un modèle lié, selon eux, à la notion de République,
au sein de laquelle l’économie sociale doit jouer un rôle régulateur et aussi
protecteur ; où les individus sont appelés à s’organiser eux-mêmes, à valo-
riser leurs talents, à faire preuve en commun de leur sens des responsabi-
lités, une plus forte répartition des richesses devant provenir de ces libres
initiatives collectives et non pas seulement de l’État.

3 . Voir Pierre Daucé, Agriculture et monde agricole, 2e édition, coll. « Les Études de la Documentation
française », Paris, 2015.
16  ❯ ÉCONOMIE SOCIALE - LA SOLIDARITÉ AU DÉFI DE L’EFFICACITÉ

•  Le socialisme : avec Robert Owen, Claude-Henri de Saint-Simon


et Philippe Buchez, à la fois concepteurs et réalisateurs, qui ont inspiré
des lignées d’auteurs des mondes coopératif, mutualiste et associatif (les
Équitables Pionniers de Rochdale, l’Association des bijoutiers en doré ou,
plus tard, la Verrerie ouvrière d’Albi). Ces courants inspirent les milieux
ouvriers qui créent des associations, puis des coopératives ouvrières de
production dans les milieux de l’imprimerie, des tailleurs de pierre, des
tourneurs, des chapeliers (années 1830-1848 et suivantes). Ils suscitent
aussi des réflexions et des initiatives qui donneront naissance à des coo-
pératives de consommation afin de rendre accessibles le pain, la viande,
les vêtements, par une politique de maîtrise des prix.
•  Le communisme : avec É. Cabet, « le plus illustre représentant du com-
munisme français » 4, promoteur, pourrait-on dire, d’un consumérisme par
la base, à la fois théoricien et expérimentateur. Il défend une vision très
communautaire de l’économie sociale.

Les pères fondateurs du début du xixe siècle


En réponse à l’industrialisation de la société, des mouvements de solida-
rité s’amorcent donc dès le début du xixe siècle, fondés sur un faisceau
de pensées plus ou moins concurrentes et plus ou moins entrecroisées.
Les thèses développées par les pères fondateurs dans leurs différents écrits
constituent le cadre normatif et idéologique qui servira de support aux
bâtisseurs de l’économie sociale pour expérimenter les premières pratiques
communautaires.
•  Robert Owen (1771-1858, Royaume-Uni) : il a jeté les bases de la
« coopération communautaire » (avec la notion de village d’intérêt com-
munautaire) et a mis en valeur l’intérêt économique des circuits courts
(suppression des intermédiaires, ce qui sera, bien plus tard, une clé du
succès des mutuelles d’assurance en Europe, en France en particulier). Il a
œuvré au sein d’une entreprise textile traditionnelle (située à New Lanark,
en Écosse) puis, aux États-Unis, avec la communauté New Harmony, dans
l’Indiana, fondée sur le rejet du profit économique et de la propriété privée
des moyens de production et qui fonctionnait grâce à des bons de travail
servant d’unité monétaire. Cette tentative se révélera un échec.
•  Claude-Henri de Saint-Simon (1760-1825, France) : aristocrate et
inspirateur des socialistes, il met en avant la vertu de l’Homme au travail
et présente l’association comme un moyen de socialisation des citoyens.
En opposition au libéralisme, il est le promoteur de l’industrialisme, dont
« l’objet direct et unique est de procurer la plus grande somme de bien-être

4 . André Gueslin, L’invention de l’économie sociale. Le xixe siècle français, Economica, Paris, 1987.
Des racines profondes  ❮  17

possible à la classe laborieuse et productrice », ce qu’il nomme le bonheur


social. Géré comme une entreprise, l’État joue alors un rôle de coordina-
tion et de redistribution.
•  Charles Fourier (1772-1837, France) : inspirateur du solidarisme, il
défend l’idée que l’Homme, naturellement bon, est corrompu par la civi-
lisation. Sa réflexion porte sur les conditions qu’il est nécessaire de recréer
pour permettre la réalisation du bonheur social et l’épanouissement de
l’Homme. Il revendique une société qui s’auto-organise grâce au dévelop-
pement des associations, des mutuelles et de phalanstères (regroupement des
producteurs au sein de communautés de vie où la répartition des biens se
fait selon le travail, le capital et le talent). Il rejette l’intervention de l’État,
dont il n’attend rien. Ses idées seront notamment mises en application par
Jean-Baptiste Godin au sein de son familistère.
•  Pierre-Joseph Proudhon (1809-1865, France) : père du mutualisme, son
modèle est fondé sur une société où les membres se garantissent mutuelle-
ment service pour service, crédit pour crédit, et dans laquelle la monnaie
est supprimée au profit de « bons de circulation ». Plaidant pour une éco-
nomie sociale comme « économie d’autodétermination » 5, il met en valeur
la notion de double qualité : l’individu est reconnu comme consomma-
teur et producteur, commanditaire et commandité, acheteur et vendeur,
salariant et salarié. Contrairement à Saint-Simon, il a une approche non
gouvernementale de l’économie. Ses idées accompagneront la montée
en puissance du mouvement associationniste dans la seconde moitié du
xixe siècle.
•  Frédéric Le Play (1806-1882, France) : c’est le penseur catholique de
l’économie sociale, conçue comme une sorte de compromis tentant de
concilier communauté, propriété et patronage. C’est, lui aussi, un défen-
seur des sociétés de secours mutuel et des associations ouvrières. Il prône
une hiérarchie de l’obéissance aux « chefs naturels » et a inspiré le patronat
social, incitant les grands patrons à prendre en compte les besoins sociaux de
leurs ouvriers, tant par charité que pour fixer une main-d’œuvre qualifiée.
•  Louis Blanc (1811-1882, France) : l’histoire des sociétés est, selon lui,
dominée par trois principes : l’autorité, vaincue en 1789 ; l’individualisme,
qui lui a succédé ; la fraternité. Cette dernière doit guider l’évolution de
l’économie afin de faire disparaître la concurrence sauvage née de l’indus-
trialisation et inhérente au capitalisme. Il soutient l’idée que l’État doit
organiser le travail au sein d’associations ouvrières de production, qu’il
nomme ateliers sociaux.

5 . V. H. Desroche, Histoires d’économies sociales. D’un tiers état aux tiers secteurs, 1971-1991, op. cit.
18  ❯ ÉCONOMIE SOCIALE - LA SOLIDARITÉ AU DÉFI DE L’EFFICACITÉ

•  Charles Gide (1847-1932, France) : penseur de la « république coopé-


rative », au cœur de laquelle il place la coopérative de consommation, il
a voulu dépasser l’approche entrepreneuriale de la coopération et faire de
l’économie sociale une alternative. S’il n’était ni libéral ni socialiste, c’est
parce qu’il tentait de dessiner une « troisième voie » et il a effectivement
joué un rôle déterminant dans la reconnaissance institutionnelle de l’éco-
nomie sociale.
Ces penseurs dessinent les premiers contours de l’économie sociale. Quelles
que soient leurs divergences (notamment quant au rôle de l’État), ces doc-
trines ont en commun la recherche du bonheur, l’épanouissement de la
personne humaine et la maîtrise de l’économie au bénéfice de l’Homme.
Ils esquissent d’ores et déjà les socles de l’économie sociale en devenir
(démocratie interne, juste prix, double qualité). Mais ce sont les multiples
tentatives et expériences menées sur le terrain qui permettront la formali-
sation de ces concepts en règles et en principes de fonctionnement.

La « recherche-action », de l’associationnisme
aux coopératives et mutuelles
Conjointement à l’élaboration des différentes doctrines, l’économie sociale
trouve son origine dans de multiples réalisations à l’échelle locale, ayant
toutes en commun la volonté de replacer la dignité humaine au cœur du
système de production et de distribution, ce qu’H. Desroche nomme le
passage des « utopies écrites » à des « utopies pratiquées » 6. Les divers mou-
vements et expériences ont peu à peu forgé l’économie sociale contempo-
raine, dont la force et la pérennité proviennent de la pluralité des idées, de
la diversité des réalisations, et en même temps, et surtout, de la concordance
qui s’y manifeste : des points de convergence, de confluences s’en dégagent.
Symbole du développement par « recherche-action », l’association est le
creuset permanent de l’économie sociale. Ainsi, les associations ouvrières
de production ont donné naissance aux sociétés coopératives de produc-
tion (SCOP), les associations mutuelles à des mutuelles d’assurance… La
loi de 1901 est le fruit d’une très longue histoire et d’une multiplicité de
réalisations « pré-associatives ».

6 . H. Desroche, Le projet coopératif, Éditions ouvrières, Paris, 1976.


Des racines profondes  ❮  19

Les expériences coopératives


Naissance des coopératives agricoles
L’un des plus anciens exemples remonte au xiiie siècle, avec les fruitières
du Jura et de Franche-Comté, premières expériences coopératives de col-
lecte et de transformation de produits laitiers. En 1882, à Hjelling, des
paysans danois, contraints de renoncer à la culture des céréales à cause
de la concurrence des blés américains, fondent une coopérative laitière,
dont découlent en grande partie les coopératives agricoles modernes. En
France, les syndicats agricoles se développent au cours des années 1880
et constituent des « syndicats boutiques », futures coopératives agricoles.
La première coopérative laitière voit le jour vers 1890.

Les coopératives ouvrières de production


Les bâtisseurs des premières associations ouvrières de production sont
directement influencés par les écrits de Saint-Simon et de Ch. Fourier. Ils
mettent en application l’idée selon laquelle les salariés doivent participer
au capital de l’entreprise.
•  Jean-Baptiste Godin (1817-1888, France). Reprenant le projet de
phalanstère de Charles Fourier, il crée un système de caisses de secours
profitant au personnel et surtout il construit, quelques années plus tard, le
familistère de Guise (Aisne), destiné à assurer le confort des salariés dans un
esprit communautaire (logement, mais aussi services collectifs de loisirs et
d’éducation, mutuelle de santé et système de retraite). Si cette expérience
porte en elle les prémices des futures coopératives de production, elle ne
peut pour autant être assimilée, selon Ch. Gide, à une véritable « répu-
blique ouvrière », car elle n’est, sous certains aspects, « ni socialiste ni très
démocratique » (maintien d’une forme de hiérarchie entre les travailleurs
et élection à vie du directeur). En 1880, l’entreprise sera transformée en
coopérative ouvrière de production.
•  Philippe Buchez (1796-1865). Disciple de Saint-Simon, il se consacre
à l’activité pratique et fonde un journal, L’Atelier, qui paraîtra jusqu’en
1850. Il y développe un plan de réforme de la société fondé sur l’associa-
tion ouvrière. Les coopératives de production, formées sur la base d’un
capital inaliénable et indissoluble, doivent selon lui, en se propageant,
permettre de rassembler un « capital ouvrier » sur lequel la classe laborieuse
pourra s’appuyer.
Cette rénovation de la société par l’associationnisme a trouvé son applica-
tion directe à travers la création, en 1834, de l’Association chrétienne des
ouvriers bijoutiers en doré. Les statuts précisaient alors que « l’association
dans le travail est le véritable moyen d’affranchir les classes salariées en fai-
sant disparaître l’hostilité qui existe aujourd’hui entre les chefs d’industrie
20  ❯ ÉCONOMIE SOCIALE - LA SOLIDARITÉ AU DÉFI DE L’EFFICACITÉ

et les ouvriers ». Plus tard seront créées la Compagnie des travailleurs unis
ou encore la célèbre Verrerie ouvrière d’Albi (avec le soutien de Jean Jaurès),
démontrant ainsi la capacité d’auto-organisation du mouvement ouvrier.

Les coopératives de consommation


•  Les « Équitables Pionniers de Rochdale » (1844, Angleterre) : menée à
l’initiative d’un groupe d’ouvriers tisserands, cette expérience est à l’origine
des coopératives de consommation (fondées sur le groupement d’achats
de produits de première nécessité) et fait aujourd’hui référence comme
modèle de réussite durable de coopération multifonction. Pour lutter contre
des conditions de vie difficiles, le manque de protection des consomma-
teurs et la falsification régulière des aliments par certains commerçants,
les Équitables Pionniers créent une coopérative de denrées alimentaires
afin de fournir aux ouvriers des biens à des prix raisonnables. Ils orga-
nisent par la suite un système d’aide mutuelle à l’amélioration des condi-
tions familiales et sociales à travers l’achat ou la construction de maisons
pour les membres, des magasins de gros, une banque ainsi qu’une société
d’assurance. Si l’œuvre des Équitables Pionniers ne peut être considérée
comme la première expérience de la coopération, elle devient rapidement
un modèle de gestion d’une société coopérative. Pour la première fois,
l’idéal social recherché par les différents penseurs est retranscrit au travers
de règles rigoureuses, prémices des principes à partir desquels se dévelop-
pera ensuite l’économie sociale.
•  L’École de Nîmes (fin du xixe) : s’inspirant de l’expérience de Rochdale,
Ch. Gide proclame la souveraineté des consommateurs et soutient, avec
É. de Boyve, les premières coopératives de consommation en France, selon
les principes de la démocratie participative et de la vente à prix coûtant. En
1885 est créée la Fédération française des coopératives de consommation.

Les coopératives de crédit


•  Friedrich Wilhelm Raiffeisen (1818-1888, Allemagne) : en 1864,
à Heddesdorf, en Rhénanie, le bourgmestre Raiffeisen crée la première
société coopérative de crédit mutuel pour libérer les paysans de l’usure. Il
s’agit d’offrir aux banques prêteuses des cautions mutuelles, de sorte que
les plus démunis, c’est-à-dire ceux qui n’ont pas de patrimoine à offrir en
garantie, puissent malgré tout accéder au crédit. Par ses réalisations suc-
cessives, Raiffeisen a précisé bien des aspects et des mécanismes de l’éco-
nomie sociale à travers la constitution de fonds de réserves inaliénables
(aujourd’hui qualifiées d’« impartageables »), l’interdiction de distribuer des
dividendes, la gratuité des fonctions d’administrateur, ainsi que l’impor-
tance d’une circonscription restreinte sur le plan géographique (relation
entre la coopérative et la localité). Ces expériences seront étendues après
1870 dans l’Alsace-Lorraine annexée et elles inspireront Louis Durand
Des racines profondes  ❮  21

(1859-1916), un catholique conservateur, qui créera, en 1893, des caisses


rurales et ouvrières sur le même modèle, le futur Crédit mutuel.
•  Hermann Schulze-Delitzsch (1808-1895, Allemagne) est à l’origine
de la création des Banques populaires, fondées sur un système assez diffé-
rent de celui de Raiffeisen : rémunération du capital social, possibilité de
distribuer des dividendes, rémunération des fonctions d’administrateur et
prêts à court terme. Il jettera les bases d’une véritable législation coopéra-
tive en Allemagne. H. Schulze-Delitzsch inspirera directement L. Luzzatti
(1841-1927), qui développera ce modèle en Italie. Ils sont les inventeurs
en Europe du Crédit populaire.

Les expériences mutualistes


La mutualité contemporaine est l’héritière d’une multiplicité de réali-
sations remontant aux années 1790. Dès cette période, on relève une
cinquantaine de sociétés de secours mutuel, créées par des compagnons,
des cercles ouvriers, ou encore des patrons soucieux d’obtenir une paix
sociale. Elles sont au cœur de l’histoire, soutenues ou tenues à distance par
l’État, tantôt facteurs de résistance, tantôt d’insertion, d’où les propos de
Léopold Mabilleau, premier président de la FNMF (Fédération nationale
de la mutualité française, 1902) : « Jusqu’à présent, disons-le, il y a eu des
sociétés mutuelles, il n’y a pas eu de mutualité ». Il aura fallu son énergie
et celle de ses collègues, Jean Barberet et Émile Cheysson, encouragés par
Léon Bourgeois, pour passer des expériences mutualistes multiples à une
mutualité effective 7.

L’influence des courants de pensée sur le développement


de l’économie sociale contemporaine
Économie sociale fouriériste versus économie sociale gidienne
Ch. Fourier et Ch. Gide développent deux conceptions de l’économie
sociale, l’une fondée sur le refus de la propriété collective, l’autre sur la
prééminence des consommateurs. À l’image de Saint-Simon et plus tard
de J.-B. Godin, Ch. Fourier prône la nécessaire participation des sala-
riés au capital de l’entreprise. Les associations ouvrières de production,
à travers leur devise « travail, capital, talent », constituent pour lui la voie
majeure de développement de l’économie sociale. Ch. Gide se situe exac-
tement à l’opposé dans l’histoire de la pensée coopérative française. Partant
du postulat que « tout individu est coopérateur », il proclame dans son

7 . V. A. Gueslin, L’invention de l’économie sociale. Le xixe siècle français, op. cit.


22  ❯ ÉCONOMIE SOCIALE - LA SOLIDARITÉ AU DÉFI DE L’EFFICACITÉ

programme de « république coopérative » la souveraineté du consom-


mateur. Selon Jean-François Draperi, le « débat entre ces deux courants
animera les principaux débats au sein du monde coopératif à la fin du
xixe siècle, et la victoire du second sur le premier en conditionnera le
développement futur » 8. Mais celle-ci n’est que temporaire car la popu-
lation dominante cesse ensuite d’être une population de consommateurs
associés. Selon Georges Fauquet 9, il n’est alors plus question de « coopé-
ratiser l’économie », mais la coopération est présentée comme un secteur
économique au même titre que le secteur capitaliste ou le secteur public.
Plus globalement, cette opposition entre coopératives de production et
de consommation expliquera leur développement cloisonné et sectoriel,
ne se reconnaissant que tardivement comme sous-ensembles d’un système
socio-économique commun : l’économie sociale.

Économie sociale walrasienne versus économie sociale gidienne


Jusqu’à la fin du xixe siècle, l’économie sociale est présentée comme une
nouvelle façon de faire de l’économie politique, en intégrant des problèmes
sociaux occultés jusqu’alors et rendus prépondérants suite à la révolution
industrielle. L. Walras présente une architecture de l’économie politique
selon un triptyque : l’économie « pure », qui s’attache à la définition et à
l’identification des lois naturelles ; l’économie appliquée (principalement
à la production) ; l’économie sociale (plutôt pour la répartition). Ch. Gide
prône une économie sociale comme économie de la solidarité. Il reconnaît
l’existence d’une complémentarité entre l’économie politique et l’économie
sociale 10, et donne à la coopération un rôle de « transformation sociale ».
Pour L. Walras 11, au contraire, les sociétés coopératives n’ont aucun rôle de
transformation sociale. Elles ne relèvent pas de l’économie sociale comme
élément de répartition de la richesse sociale, mais appartiennent à la sphère
de l’économie politique en tant qu’élément du système de production (au
même titre que les entreprises agricoles, industrielles et commerciales).
Walras liait l’économie sociale à la recherche d’une meilleure « répartition
de la richesse sociale » 12 ; affirmant : « C’est à l’économie sociale de nous
dire, au nom de la justice, avec quelles ressources l’homme pourvoira à la
satisfaction des besoins individuels ou collectifs ».

8 . Jean-François Draperi, « L’utopie à l’œuvre : l’ACI a cent ans, regard sur une histoire mémorable »,
RECMA, no 258, 1995.
9 . Georges Fauquet, « Le secteur coopératif. Essai sur la place de l’Homme dans les institutions coo-
pératives et sur la place de celles-ci dans l’économie », Revue des études coopératives, no 54, 1935
(cité dans RECMA, nos 275-276, 2000).
10 . Ch. Gide, Quatre écoles d’économie sociale, Fischbacher, Paris, 1890 et Économie sociale, Sirey, Paris,
1905.
11 . Léon Walras, Études d’économie sociale : théorie de la répartition de la richesse sociale, Economica,
Paris, 1990 (1re éd. Lausanne/Paris, 1896).
12 . L. Walras, Éléments d’économie politique pure ou théorie de la richesse sociale, Economica, Paris,
1988 (1re éd. Lausanne, 1897).
Figure 1.
Naissance des différentes formes et organisations de l'économie sociale : représentation schématique

Sources anglo-saxonnes Sources françaises Sources germaniques et italiennes

Robert Owen, Fourier, Blanc, Proudhon, Buchez, Raiffeisen


William King Saint-Simon Schulze

Rochdale Associations ouvrières


de production (1848) Institutions de crédit
(1844)

« Nébuleuse primitive » L. Luzzatti


Banco Popolare
(1860)

Édouard de Boyve Coopération de


Syndicalisme Rayneri, De Besse
Charles Gide production Mutualité Association
(1884) Banques populaires
École de Nîmes (1884) (1882)
(1884)

Coopération Mutualité agricole


Coopératives de agricole (1893) (1894) L. Durand
consommation (1884)
Caisses rurales
(1893)
Banque coopérative des Crédit agricole Code de la mutualité
associations ouvrières de (1894) (1898)
production (1893)
Des racines profondes 

Crédit mutuel

Loi 1901
Banques populaires
1921
❮  23
24  ❯ ÉCONOMIE SOCIALE - LA SOLIDARITÉ AU DÉFI DE L’EFFICACITÉ

En cette fin du xixe siècle, le mouvement coopératif et mutualiste est donc


déjà bien amorcé. Le mouvement associatif, véritable creuset originel, ne
tarde pas à se faire reconnaître avec la loi sur les associations à but non
lucratif de 1901. Dès lors s’ouvre une période d’institutionnalisation de
l’économie sociale. La formalisation des principes communs à l’ensemble
de ses organisations ouvrira la voie du rapprochement des différents cou-
rants ainsi que de leur reconnaissance par la puissance publique.
Aux origines de l’économie sociale, il n’y a donc pas d’emblée une série de
principes qui auraient été préétablis ; ils ont été forgés progressivement,
venant confirmer ou traduire des démarches pratiques autant que synthé-
tiser des doctrines, des proclamations. Les structures de l’économie sociale
sont nées de cette volonté, commune à l’ensemble des penseurs et bâtis-
seurs, d’apporter des réponses nouvelles en expérimentant, sur le terrain,
de nouveaux modes d’organisation de l’activité humaine, démontrant par
là même la possibilité d’« entreprendre autrement ». Ce thème a été lar-
gement repris lors de la « réémergence » de l’économie sociale en France,
dans les années 1970 sous l’impulsion du Comité national de liaison des
activités mutualistes, coopératives et associatives (CNLAMCA) (et aussi
dans les publications de la Lettre de l’économie sociale et de la RECMA),
et par Michel Rocard, le premier des ministres en charge de l’économie
sociale (1981), qui avait sous sa responsabilité la toute nouvelle Délégation
interministérielle à l’économie sociale, dont le premier délégué a été Pierre
Roussel. Dans les années 2010, la capacité d’« entreprendre autrement » est
devenue un marqueur de l’économie sociale et solidaire, amenant l’ESS à
« s’élargir » encore tout récemment.
❮  25

❯ Chapitre 2
Familles et cousinages
En 2000, l’économie sociale fêtait son siècle d’existence avec un numéro
spécial de la Revue internationale de l’économie sociale (RECMA) 1. Elle aurait
pu également célébrer, à cette occasion, les trente ans de sa renaissance, dans
la mesure où elle n’a retrouvé (et réaffirmé) son identité que récemment.
À cette période, ses propres membres se livraient à un jeu de miroirs, fai-
sant le constat de références à des sources communes et de l’application,
au sein des coopératives, mutuelles et associations, de principes également
communs. La lente construction de leur comité de liaison (le CNLAMCA)
a démontré combien cette mise en perspective avait été oubliée. Ce réap-
prentissage a conduit les composantes de l’économie sociale à échanger,
à se consulter et ainsi, peu à peu, à se faire entendre, puis reconnaître.
Dans le même temps, des groupes et des partis politiques entamaient eux-
mêmes une réflexion sur la recherche d’alternatives nouvelles, en réponse
aux défis sociaux et à la fragilisation de l’État-Providence. Si les années
1970 furent celles de l’auto-reconnaissance, les années 1980 furent celles
de la reconnaissance institutionnelle (Délégation interministérielle, loi de
1983…). Les années 1990 marquèrent l’ouverture de l’économie sociale
sur l’Europe, notamment à travers les premières conférences européennes
de l’économie sociale. Durant toutes ces années, l’économie sociale a été
amenée à remettre en valeur ses principes, en s’appuyant sur ses expériences
et statuts, afin d’affirmer son identité et de faciliter son identification. Elle
a pu en obtenir confirmation lors des débats au Sénat et à l’Assemblée
nationale à l’occasion de l’examen du projet de loi sur l’économie sociale
et solidaire déposé en juillet 2013.

Les principes et les réalités


Les composantes de l’économie sociale ont en partage les mêmes prin-
cipes, constituent ensemble une sorte d’entité « objectivée » 2, se revendi-
quant comme l’« incarnation » exclusive de principes et d’objectifs qu’elle
s’est elle-même fixés.

1 . « Un siècle d’économie sociale », RECMA, nos 275-276 (numéro spécial), avril 2000.
2 . Michel Garrabé, Laurent Bastide et Catherine Fas, « Identité de l’économie sociale et de l’éco-
nomie solidaire », RECMA, no 280, 2001.
26  ❯ ÉCONOMIE SOCIALE - LA SOLIDARITÉ AU DÉFI DE L’EFFICACITÉ

Des principes hérités des xixe et xxe siècles


À partir des différentes sources de l’économie sociale évoquées au chapitre
précédent se dégagent, peu à peu, une série de principes qui ont permis
son identification. Ces critères sont les suivants.
•  La libre initiative collective : les coopératives, les mutuelles et les asso-
ciations sont fondées par des ouvriers, des agriculteurs, des consommateurs,
des employeurs parfois, des citoyens simplement, faisant le choix, librement
consenti, de s’associer. Il s’agit donc d’une démarche choisie. C’est le cas, à
l’origine, des Équitables Pionniers de Rochdale, fondateurs des premières
coopératives de consommation, comme des ouvriers, des cordonniers,
des tailleurs de pierre ou des boulangers au sein des associations ouvrières
d’inspiration buchezienne ou catholique. Les organisations de l’économie
sociale sont ainsi le fruit d’initiatives très diverses : celles d’agriculteurs (coo-
pératives et mutuelles agricoles) ; celles d’instituteurs (mutuelle d’assurance
MAIF) ; ou encore, à notre époque, des motards (Mutuelle des motards) ;
des syndicalistes (groupe SCOP Chèque Déjeuner)…
•  La démocratie : faire ensemble suppose assez naturellement de le faire
sur un pied d’égalité. Au sein des personnes morales d’économie sociale,
la notion de pouvoir est déconnectée de la propriété d’un capital. Ainsi,
quel que soit son apport, chaque membre possède une seule et unique
voix, contrairement aux sociétés par actions, dans lesquelles une voix est
attribuée à chaque action. S’il fait parfois l’objet d’aménagements, voire de
compromis (comme dans le cas de certaines unions et fédérations), ce prin-
cipe est un élément fondateur des entreprises d’économie sociale. Certains
auteurs 3 ont retranscrit cette règle en utilisant l’expression d’« associations
de personnes » ou encore de « groupements de personnes ».
•  La juste répartition des excédents : associations, coopératives et
mutuelles n’ont pas de but lucratif. Toutefois, il ne leur est pas interdit de
dégager des excédents, ne serait-ce que pour assurer la pérennité de leur
existence et leur développement. Mais ce qui caractérise les personnes
morales de l’économie sociale, c’est l’utilisation qu’elles font de ces excé-
dents. En effet, elles ne lient pas la répartition de profits à la détention de
fonds propres. Cette règle est absolue dans le cas des associations et des
mutuelles ; elle est relative dans le cas des coopératives, lesquelles autorisent
la rémunération des parts de capital dans la limite d’un plafond. Cependant,
si toute répartition est interdite dans le cas des associations, les mutuelles
d’assurance, quant à elles, peuvent être amenées à pratiquer une ristourne
quand elles estiment que les primes ou cotisations d’une année ont été, en
quelque sorte, trop élevées. De même, les coopératives de consommation

3 . Georges Fauquet, « Le secteur coopératif. Essai sur la place de l’Homme dans les institutions coo-
pératives et sur la place de celles-ci dans l’économie », op. cit.
Familles et cousinages  ❮  27

peuvent, elles aussi, pratiquer la ristourne. Le principe de « juste réparti-


tion des excédents » conditionne le management de l’économie sociale.
•  L’indivisibilité totale ou partielle des fonds propres : de plus en plus
d’associations sont amenées à développer des activités économiques pour
servir leur finalité, qui demeure, elle, non lucrative. Elles ont alors besoin de
quelques fonds propres. Ces derniers sont, bien entendu, impartageables.
Il en est de même pour les mutuelles, quel que soit leur champ d’action.
Le cas des coopératives est sensiblement différent puisque leurs membres
(salariés, entrepreneurs individuels, consommateurs…) détiennent chacun
au moins une part du capital. Toutefois, les coopératives se rapprochent des
deux autres formes d’économie sociale, en ce qu’elles doivent constituer
des réserves impartageables. Cette règle, toujours réaffirmée par l’Alliance
coopérative internationale, ne conduit pas pour autant à une forme de
« collectivisme ». Les associés, sociétaires ou coopérateurs déterminent libre-
ment, on l’a vu, leur adhésion à l’une ou l’autre de ces personnes morales.
L’application de ce quatrième principe a donné, avant l’heure, une dimen-
sion « durable » aux entreprises de l’économie sociale. Leur rythme de fonc-
tionnement et de vie se distingue de celui des entreprises traditionnelles,
qui peuvent faire l’objet d’opérations d’achat et de revente rapides. C’est
un principe clef repris dans la loi française du 31 juillet 2014 relative à
l’économie sociale et solidaire, après de vifs débats.
•  La solidarité : plus encore qu’un principe, c’est un fondement originel de
l’économie sociale, qui explique aussi bien les actions des premières confré-
ries que des fonds de solidarité mutualistes ou des associations d’insertion
aujourd’hui. Ce terme a été redéfini par les mouvements phares de l’éco-
logie et du militantisme solidaire, ces vingt dernières années, en particulier
en France ; d’où le terme « social et solidaire » attaché à celui d’économie.
Cette solidarité est aussi bien interne, entre les membres, qu’externe, soit
par destination, soit par l’ouverture à de nouveaux membres, par l’inter-
coopération, l’essaimage ou encore la création de dispositifs et d’outils
juridiques permettant de dépasser le cercle des membres.
•  La promotion de l’individu : ce principe, concomitant au principe
de solidarité, est celui du respect et de l’épanouissement de l’individu ou
de la cellule (familiale, sociale, civique). L’appartenance à une coopéra-
tive, une mutuelle, une association doit être une voie d’accès à la dignité,
à la responsabilité et à la satisfaction des aspirations de la personne, que
ce soit par la formation, par l’accès à l’habitat, à la santé ou encore à la
culture « au-delà du nécessaire ». On retrouve derrière ce principe l’idée
d’harmonie sociale et civique et de promotion de l’individu en lui évitant
l’isolement et, autant que faire se peut, le poids des inégalités, ainsi qu’en
facilitant son insertion dans la société en tant qu’acteur, que producteur
ou consommateur, apporteur d’idées autant que de temps, et certainement
et dans tous les cas en qualité de citoyen. La notion de respect, qui y est
incluse, s’élargira progressivement à celle de respect des environnements,
28  ❯ ÉCONOMIE SOCIALE - LA SOLIDARITÉ AU DÉFI DE L’EFFICACITÉ

ce qui explique les connexions entre l’économie sociale et les mouvements


environnementalistes.
•  L’indépendance vis-à-vis de l’État ou de toute collectivité publique :
ce principe a revêtu une grande importance dans les pays d’Europe cen-
trale et orientale, où il ne suffisait pas d’affirmer la liberté de créer une
personne morale, du type coopératif par exemple, mais où il fallait garantir
qu’elle ne soit pas une « excroissance » de l’État. Ce principe a été rappelé
en France lors du centenaire de la loi de 1901, pour mettre un terme à la
création d’associations accusées de n’être qu’un prolongement commode
pour des administrations cherchant à échapper à leurs propres rigidités ou
lourdeurs. Pour Claude Vienney 4, à partir du moment où l’État a reconnu
que les coopératives étaient capables d’atteindre, avec plus d’efficacité que
la puissance publique, des objectifs spécifiques, propres à certains secteurs
d’activité, elles sont parvenues à acquérir une identité propre.
Les coopératives, mutuelles et associations sont donc d’abord fondées sur
un « couple personnes/projet ». Caractérisé par une dimension d’utilité
collective ou sociale, le projet est conduit de façon démocratique sur une
base égalitaire par un collectif d’individus librement associés. Sa dura-
bilité est assurée par le caractère totalement ou partiellement indivisible
des fonds propres, chacun recevant une juste contrepartie de ses apports,
que ce soit sous forme de salaire, de ristourne ou même de rémunération
limitée du capital. Ces principes consacrent la primauté de l’Homme sur
l’économie et confèrent à l’économie sociale sa dimension sociétale. Ch.
Gide disait à ce propos : « Une coopérative qui ne serait qu’une entreprise
serait une mauvaise entreprise » 5. Héritière d’une histoire, comptable des
principes auxquels elle se réfère, l’économie sociale doit néanmoins faire
la preuve de leur application effective au sein de ses diverses organisations.

La réalité de ces principes au xxie siècle


L’économie sociale peut d’abord et avant tout être victime de ses succès :
une entreprise coopérative ou mutualiste, une grande association regrou-
pant 100 000 ou un million de personnes, voire, dans certains cas, plusieurs
millions, n’est-elle pas condamnée à se dénaturer, à se « dé-démocratiser » ?
L’économie sociale a été, au xixe siècle, largement inventée, mise en œuvre
par des rassemblements relativement modestes d’ouvriers, de consom-
mateurs, de phalanstériens, de citoyens solidaires attachés souvent à une
commune, un quartier. Mais, depuis plus de deux siècles maintenant,
elle a pris de l’ampleur, et la dimension des banques coopératives, des
mutuelles de prévoyance ou d’assurance, ainsi que de certaines associations,

4 . Claude Vienney, L’économie sociale, coll. « Repères », La Découverte, Paris, 1994.
5 . Thierry Jeantet et Roger Verdier, L’économie sociale, CIEM, Paris, 1982.
Familles et cousinages  ❮  29

a totalement changé 6. Dès lors, comment les organisations de l’économie


sociale peuvent-elles, dans un tel contexte, préserver et faire vivre leurs
principes dans leur gestion et leur fonctionnement au quotidien ? De tout
temps, l’économie sociale a su innover, et continue de le faire 7, pour ima-
giner des solutions et des outils adaptés à la gestion de ses organisations,
dans le respect de ses spécificités.

Maintenir une proximité avec le local,


en dépit de leur taille parfois importante
Afin de conserver ou parfois de réinitialiser un fonctionnement démocra-
tique, les entreprises d’économie sociale ont été conduites soit à adopter
une organisation en réseau ou en pyramide, s’appuyant sur des entités
locales, départementales ou régionales ou à caractère professionnel (c’est
notamment le cas pour des mutuelles de prévoyance) ; soit à organiser
des déconcentrations en développant des systèmes de délégations dépar-
tementales ou régionales (c’est le cas pour des mutuelles de prévoyance ou
d’assurance) ou en créant des « régions » (comme la mutuelle d’assurance
MACIF 8, qui s’est structurée en régions à partir de 1987). Il s’agit, dans
tous les cas, de rapprocher la coopérative, la mutuelle, l’association de ses
propres sociétaires afin de faciliter leur implication.

Préserver et faire vivre la démocratie en leur sein


La réussite économique de certaines organisations a conduit ces dernières
à embaucher des salariés en plus grand nombre, que ce soient des techni-
ciens, des experts ou encore des dirigeants, dont le poids face à celui des
élus a pu paraître excessif, risquant de remettre en cause leur fonctionne-
ment démocratique. Face à ce risque réel, les entreprises d’économie sociale
ont adopté des mesures complémentaires, parmi lesquelles la formation
des élus, afin d’améliorer leurs compétences et donc de conforter leur rôle
de décideurs. L’implication de ceux-ci peut en effet être forte ; ils peuvent
se voir attribuer un rôle précis (comme dans le cas de la MAIF) ou être
intégrés dans les processus de prospective – voire de planification – de
l’entreprise aux côtés des salariés (le conseil d’administration demeurant
le lieu final du choix des stratégies). Si le danger de « technocratisation »
est évident, il ne reste pas sans réponse.

6 . V. chapitre 4.
7 . V. notamment les défis en matière de gouvernance (chapitre 7).
8 . Jacques Vandier, Jean Dupont, Pierre Juvin et alii, « La régionalisation en marche », in Histoire de
la MACIF, MACIF, Niort, 2001.
30  ❯ ÉCONOMIE SOCIALE - LA SOLIDARITÉ AU DÉFI DE L’EFFICACITÉ

❚❚ « Nos valeurs nous engagent »

❚❚  Des engagements communs, des réponses plurielles


En juillet  2002, sept grandes sociétés d’assurance membres d’EURESA  (1) ont
réaffirmé leurs valeurs communes dans un document intitulé « Nos valeurs nous
engagent », dans lequel elles s’engagent à faire vivre les principes mutualistes à
tous les niveaux de leurs organisations (dans la conception de leurs contrats, dans
leur fonctionnement ou dans leurs relations avec leurs assurés, sociétaires et parte-
naires). Roger Belot, président d’EURESA, explique ainsi : « En tant que membres du
même réseau, nous avons souhaité franchir, au travers de cet engagement commun,
un pas supplémentaire et renforcer le sens que chacun d’entre nous donne à nos
activités, dans nos pays respectifs, et plus généralement en Europe ».
Au cours de la conférence de presse donnée à cette occasion, plusieurs exemples
concrets sont ainsi cités, tels que la création d’un observatoire de la vie mutualiste à la
MAIF, mais aussi la création d’un fonds des salariés qui apporte un soutien économique
aux employés traversant des périodes difficiles (LB Group, Danemark) ; l’ouverture d’un
call-center multilingue et une communication d’informations dans la langue d’origine
pour favoriser l’intégration des populations immigrantes (Folksam, Suède) ; la mise en
œuvre d’un projet de lutte contre l’exclusion des jeunes au sein de la Fondation P & V
(Belgique) ou encore la publication d’un Bilan sociétal© dès 1994 à UNIPOL (Italie).

(1) EURESA est un groupement européen d’intérêt économique (GEIE) d’assurance d’économie
sociale.
Source : extraits de l’intervention de Roger Belot, alors président d’EURESA, Paris,
2 juillet 2002 (conférence de presse).

Lutter contre les risques de banalisation


La réussite économique – toujours – et l’insertion dans des marchés concur-
rentiels – de plus en plus – peuvent aussi amener une entreprise d’éco-
nomie sociale à banaliser sa gestion de gré ou de force, les règles du marché
pouvant s’imposer au détriment des principes. Cet autre danger n’est pas
niable. Là encore, les dirigeants de l’économie sociale ont imaginé de
nouvelles applications des principes de base, afin de tenir compte à la fois
des influences de la libéralisation du marché, de l’européanisation et de
la mondialisation : par exemple en actualisant la notion de fonds propres
totalement ou partiellement impartageables, en franchissant certaines
frontières en termes de propriété du capital (loi du 13 juillet 1992 rela-
tive à la modernisation des entreprises coopératives) ou en utilisant des
outils ou véhicules financiers « tiers ». Les débats, voire les affrontements
autour des deux notions d’« économie sociale » et d’« entreprises sociales »,
ont souligné les risques d’une dilution de la première et ont conduit le
législateur français, en 2014, à mettre sous condition l’appartenance de
la seconde à celle-ci.
Familles et cousinages  ❮  31

Décliner ces principes dans l’ensemble des départements et services


Fondement de leur identité, les principes de l’économie sociale guident
la politique et la stratégie des mutuelles et des coopératives. En cohérence
avec les valeurs de solidarité, de confiance et d’efficacité, ces dernières
sont attentives à l’expression de cette identité à tous les échelons de leur
organisation, par exemple dans le cadre d’une politique d’achat respon-
sable, en privilégiant les partenaires fortement engagés en matière sociale
et en favorisant les solutions s’inscrivant dans le développement durable ;
dans le cadre de la gestion de leurs ressources humaines, par des mesures
d’intégration de personnes souffrant de handicap, par la lutte contre les
discriminations ; dans le cadre de leur politique financière, à travers le
développement de produits financiers respectueux des critères d’investis-
sement socialement responsable, etc.
Si les entreprises d’économie sociale ont dû adapter leur mode de gouver-
nance et de gestion, elles ont également dû créer des outils et instruments
financiers conformes à leurs principes et respectueux de leurs spécificités.

Financer le développement dans le respect des principes


Les entreprises d’économie sociale, comme d’autres formes d’entreprise,
sont confrontées à la nécessité de renforcer leurs fonds propres. Elles ont
souvent pu le faire de façon progressive sans que la question de leur taille
ne les mette en difficulté et, donc, sans mettre en péril leurs principes fon-
dateurs. On constate que des mutuelles d’assurance, des banques coopé-
ratives ou de grands ensembles associatifs se sont construits, pendant de
nombreuses années, sans modifier pour l’essentiel leur comportement, étant
à même d’accumuler des fonds propres à partir des excédents dégagés au
fil des années. Mais d’autres organisations, particulièrement dans les sec-
teurs industriels, agroalimentaires ou de distribution, ont été confrontées
à des besoins forts de fonds propres, exigeant des réponses rapides. Cela a
été le cas de nombreuses sociétés coopératives de production ou agricoles,
mais aussi, récemment, de banques coopératives.

Les outils spécifiques et la législation


Dans les années 1980, l’économie sociale a fait adopter par le législateur
ou a créé des outils adaptés à ses spécificités. La loi du 3 janvier 1983 sur
le développement des investissements et la protection de l’épargne a créé le
« titre participatif » pouvant être émis par les sociétés anonymes coopératives
(et aussi par les sociétés nationalisées), ultérieurement par les mutuelles
de prévoyance et de santé et, enfin, par les sociétés d’assurance mutuelles
et les caisses d’assurance mutuelles agricoles. Un titre « cousin », le titre
associatif, a été créé pour les associations par la loi du 11 juillet 1985 ; son
« attractivité » a été améliorée par la loi sur l’économie sociale et solidaire
32  ❯ ÉCONOMIE SOCIALE - LA SOLIDARITÉ AU DÉFI DE L’EFFICACITÉ

du 31 juillet 2014 (art. 70). Ces titres sont des instruments financiers assi-
milés à des quasi-fonds propres, sans droit de vote, dont la rémunération
comporte une partie variable et une partie fixe et dont la durée ne peut
être inférieure à sept ans. La législation ne leur ayant pas prévu une place
suffisante dans les fonds communs de placement (FCP) et les sociétés
d’investissement à capital variable (SICAV), l’émission et la diffusion de
ces titres ont été relativement limitées. Leur coût est par ailleurs discuté.
Les certificats coopératifs, créés par une loi de 1987 et étendus aux diffé-
rentes formes de coopératives par la loi de 1992, comme les parts à avan-
tages particuliers, sont, de leur côté, assez peu utilisés.
L’Institut de développement de l’économie sociale (IDES) avait été créé
en 1983 pour apporter des fonds propres aux entreprises de l’économie
sociale, justement grâce à l’utilisation du titre participatif, l’État et diffé-
rentes entreprises de l’économie sociale ayant participé à sa fondation.
Au 30 juin 2014, l’IDES avait permis la création ou le soutien de 11 000
emplois pour un montant investi de 31 millions d’euros.
En 1998, il a rejoint ESFIN Gestion, qui a pour partenaires la CDC,
la BPI, le Crédit coopératif, le groupe BPCE, la MACIF, la MAIF, la
MATMUT, la Fédération nationale de la mutualité française, la GMF, la
CGSCOP, France Active, la SOCOREC, COOP Fr, COOP de France,
la FCA, la FNCC, l’ORCAB, la FFCGA, le CNEI, l’UNEA, l’UNICER
et la Région Île-de-France. L’ensemble ainsi constitué a atteint 70 millions
d’euros d’investissements dans 450 secteurs en 2014.
En 1992, le législateur a ouvert aux coopératives une nouvelle possibilité :
l’appel à des investisseurs extérieurs dans des conditions qui étaient jusque-
là étroitement réservées aux SCOP. Les coopératives peuvent ainsi avoir
des associés dont la participation maximum dans le capital social doit être
fixée par les statuts et qui ne peuvent détenir plus de 35 % des droits de
vote (49 % lorsqu’il s’agit d’autres coopératives). Ces modifications ont été
considérées comme une sorte de révolution, provoquant quelques réactions
d’inquiétude. Cette loi a également autorisé les coopératives à incorporer,
dans certaines conditions, des réserves au capital afin d’augmenter la valeur
des parts, les rendant ainsi plus attractives 9.
Depuis la loi sur l’économie sociale et solidaire du 31 juillet 2014 (art.
54), les mutuelles et institutions paritaires peuvent émettre des « certifi-
cats mutualistes » sans droit de vote auprès de leurs sociétaires ou assurés
ou d’autres sociétés d’assurance mutuelles ou de SGAM, de mutuelles et
unions.

9 . David Hiez, « Les instruments de fonds propres des coopératives », RECMA, no 295, 2005. V. aussi
Enea Mazzoli & Stefano Zamagni (a cura di), Verso una nuova teoria economica della cooperazione,
II Mulino, Bologne, 2005.
Familles et cousinages  ❮  33

Des adaptations pragmatiques


D’autres solutions, plus ou moins conformes aux principes de départ et
n’impliquant pas l’adoption de nouvelles législations, ont été expérimentées.
Elles ont soulevé parfois craintes et critiques, notamment au sujet de l’utili-
sation de véhicules financiers ou holdings à forme traditionnelle, ou encore
de la constitution de groupes ayant, à leur tête, une holding (mutuelle ou
coopérative) mère et des filiales souvent sous forme de sociétés anonymes.
Cette dernière solution est un modèle couramment appliqué, aussi bien
dans le monde mutualiste (par exemple, par la mutuelle d’assurance des
artisans et professions libérales, la MAAF, qui avait « descendu », lors d’une
période de changement de stratégie, une partie de son portefeuille dom-
mages dans une société anonyme), que dans le monde coopératif, dans
le cadre, par exemple, de diversifications (la coopérative mère créant des
filiales). Le risque de banalisation est réel, en particulier lorsque le nombre
des clients des filiales sociétés anonymes dépasse celui des sociétaires de la
société mutuelle ou coopérative mère. Trop souvent, alors, l’activité propre
de celle-ci se réduit, les partenariats capitalistiques des filiales se complexi-
fient et la société mère a du mal à conserver sa spécificité. Ou bien encore,
lorsque le nombre de salariés des filiales anonymes dépasse celui de la coo-
pérative mère (c’est le cas du groupe coopératif espagnol Mondragón 10, qui
en a subi les conséquences négatives ces dernières années). L’utilisation de
filiales SA n’est pas forcément un choix : elle tient largement à l’absence
d’un statut spécifique de filiale d’économie sociale. La panoplie juridique
de l’économie sociale reste incomplète sur ce point essentiel ; un vrai droit
des groupes reste à établir.
Plusieurs « ensembles » coopératifs ou mutualistes ont été conduits à acheter
ou créer des sociétés anonymes leur servant d’outils d’alimentation en fonds
propres. Cette démarche est sujette à des interrogations face auxquelles
leurs dirigeants ont formulé des réponses. Quelques exemples méritent
d’être examinés.
•  « Premier groupe bancaire français », le Crédit agricole a fait l’objet d’une
réorganisation en 2015, les caisses régionales ayant estimé que la Caisse de
crédit agricole société anonyme (la CASA) s’était fortement éloignée de ses
bases mutualistes à la suite de son introduction en Bourse et d’acquisitions
multiples (Crédit lyonnais, Sofinco…). La perte de 6,47 milliards d’euros
en 2012 avait déclenché critiques internes et volonté de « recentrage »,
exprimées via la Fédération nationale du Crédit agricole.
• Groupama a traversé une crise d’un type un peu similaire. Des prises de
participations multiples (Société générale, Veolia Environnement, Eiffage),

10 . Selon les propos de Mikel Lezamiz, directeur de diffusion de la coopérative Mondragón, à l’occa-
sion de la Conférence européenne de l’économie sociale, Strasbourg, 21 novembre 2008.
34  ❯ ÉCONOMIE SOCIALE - LA SOLIDARITÉ AU DÉFI DE L’EFFICACITÉ

des acquisitions nombreuses à l’étranger (Italie, Espagne, Grèce, Roumanie,


Turquie…) ont conduit à un éloignement du modèle mutualiste et à des
pertes significatives (1,8 milliard d’euros au 31 décembre 2011) ; en 2014
et 2015, une politique de cession de certains actifs, de maîtrise des coûts
et plus globalement de « recentrage » a permis au Groupe de retrouver des
résultats positifs.
• Le groupe Banque populaire : cet ensemble coopératif s’est doté d’un
outil « à dimension capitalistique », Natexis Banques populaires, devenu
en 2006 Natixis après sa fusion avec Ixis, la banque d’investissement de la
Caisse des dépôts et consignations (rachetée en 2004 à l’État par la Caisse
nationale des caisses d’épargne – CNCE). Cotée en Bourse, Natixis est
la filiale commune des groupes Caisse d’épargne et Banque populaire,
qui détiennent chacun plus de 34 % de son capital. Cette création n’a
pas été « neutre » : accusant une perte de 2,8 milliards d’euros en 2008,
Natixis a démontré, en pleine crise financière, les risques encourus par
des banques coopératives qui choisissent d’entrer sur le terrain capita-
listique, ne serait-ce que par le biais de filiales. Elles s’exposent alors aux
mêmes « coups durs » que les banques traditionnelles. La banalisation,
même partielle, est un élément de fragilisation, ce qui rend d’autant plus
nécessaire l’élaboration d’outils financiers à la fois modernes et adaptés
aux principes coopératifs.
•  Le cas particulier de groupes d’économie sociale achetant un concurrent
« traditionnel » quasiment de la même dimension soulève le même type de
question. Les privatisations du CIC, repris par le Crédit mutuel (1998),
et du GAN (1998), repris par Groupama, ont été considérées comme une
reconnaissance de la pugnacité et de l’efficacité de ces groupes, l’un coopé-
ratif, l’autre mutualiste. En même temps, le risque d’un affaiblissement de
leur identité a été mis en avant. La réponse qu’ils apportent est, en résumé,
la suivante : ces achats correspondent à une volonté de détenir, au sein du
groupe, un ensemble complémentaire permettant d’accroître sa taille, de
rechercher des synergies et des économies, d’acquérir une connaissance
d’autres modes de gestion. Le GAN et le CIC ne sont donc, selon leurs
dirigeants, pas plus destinés à changer de nature que Groupama ou le
Crédit mutuel ne le sont à être moins mutualistes. Par différentes voies se
constituent donc des groupes à structures mixtes.

Les chemins de la reconnaissance


Ces principes et ces réalités étant rappelés, il faut noter que le terme même
d’« économie sociale » a été parfois discuté. Il recouvre en effet, à l’image
de l’économie privée « traditionnelle », une réalité hétérogène. Dans une
approche statutaire, l’économie sociale a été longtemps caractérisée par
Familles et cousinages  ❮  35

les quatre formes juridiques que sont les coopératives, les mutuelles, les
associations et les fondations. Cependant, le critère juridique ne peut
constituer le seul dénominateur commun aux différentes organisations
de l’économie sociale. En effet, définir celle-ci sur une base statutaire
reviendrait à caractériser l’économie privée traditionnelle au travers de ses
propres formes d’entreprise, à savoir les sociétés anonymes, les sociétés à
responsabilité limitée, etc. L’approche sectorielle ne permet pas non plus
de résoudre cette difficulté, car, comme le souligne le Comité économique
et social européen (CESE) 11, « l’économie sociale est très diversifiée et se
retrouve dans tous les secteurs de la vie économique ». De dimension aussi
bien locale qu’internationale, elle peut encore moins se définir dans une
approche « territoriale ». Ainsi, pendant longtemps, s’est posée la question
du dénominateur commun à des réalités multiples.

Une approche plurielle de l’économie sociale contemporaine


Pour préciser les contours de l’économie sociale contemporaine, d’autres
appellations faisant référence à l’économie sociale ont été utilisées en
l’englobant, la recoupant, en s’opposant à elle aussi parfois. Un examen
de ces différentes définitions permet de préciser encore ce qu’est, ou n’est
pas, l’économie sociale.

Le tiers secteur
Cette dénomination a d’abord été mise en valeur, en 1979, par Jacques
Delors, alors professeur associé à l’Université Paris-Dauphine. Il préconisait
la création d’un secteur distinct de l’économie de marché traditionnelle et
du secteur public, qui puisse « couvrir aussi bien des activités économiques
[…], dans des conditions proches de l’artisanat actuel ou des coopératives,
que des activités sociales entendues au sens large. […] Ces nouvelles unités
de production seraient de petite taille et se retrouveraient dans un univers
largement décentralisé. Elles seraient créées par des groupes de base qui
souhaiteraient expérimenter de nouvelles formes de travail en commun et
combler des vides en matière de besoins quantitatifs et qualitatifs à satis-
faire » 12. Faisant surtout référence au statut coopératif, J. Delors conçoit
donc le tiers secteur comme un champ expérimental pour inventer de
nouvelles formes d’entreprise, de type démocratique, en réponse à des
besoins non satisfaits par le secteur public ou privé.
Jeremy Rifkin, président de la Foundation on Economic Trends, se livre à
une approche sensiblement différente. Il existe selon lui, aux États-Unis
comme en Europe, une vie après le marché. Il analyse cette « troisième

11 . Comité économique et social européen, Économie sociale et marché unique, avis, mars 2000.
12 . Jacques Delors, Le temps des initiatives, coll. « Échanges et projets », Albin Michel, Paris, 1983.
36  ❯ ÉCONOMIE SOCIALE - LA SOLIDARITÉ AU DÉFI DE L’EFFICACITÉ

force puissante » comme un « royaume aux dénominations et caractéris-


tiques diverses (indépendant, bénévole, coopératif, mutualiste, solidaire,
associatif, distributif, social…), dans lequel les accords fiduciaires cèdent
le pas aux liens communautaires ». « Le tiers secteur […] recouvre quantité
de services sociaux et médicaux, d’activités d’enseignement et de recherche,
artistiques, religieuses et militantes » 13. Visant essentiellement le secteur
associatif, il plaide pour une « redistribution maximale des gains du secteur
marchand vers le tiers secteur, afin de renforcer et approfondir les liens
de solidarité et de proximité et les infrastructures locales ». « Antidote au
matérialisme », le tiers secteur jouerait ainsi un rôle régulateur ou compen-
sateur des effets du secteur privé productif, complétant le rôle de l’État.
Contrairement à J. Delors, il n’en fait donc pas un secteur qui serait, au
moins partiellement, situé dans le secteur associatif marchand (bien qu’il
fasse aussi référence à la définition française de l’économie sociale).
Dans un ouvrage paru en 1996, Édith Archambault 14 s’inscrit dans une
perspective proche de celle de Jeremy Rifkin. Se fondant sur le fait que les
excédents éventuels sont toujours réinvestis au sein des associations, alors
que les coopératives et mutuelles peuvent les « distribuer à leurs membres
ou à leurs clients sous forme de remise de prix ou de réduction sur les
cotisations ultérieures », elle introduit une partition au sein de l’économie
sociale, en retranchant mutuelles et coopératives du champ du « tiers sec-
teur ». Ainsi, cette notion s’est trouvée associée à celle de non-profit sector 15,
séparant associations et fondations des mutuelles et coopératives. Il faut
donc se garder d’un raccourci trop rapide entre l’économie sociale et le
tiers secteur.
Dans un rapport au ministre de l’Emploi et de la Solidarité 16, Alain Lipietz
n’opposait pas, quant à lui, le tiers secteur aux autres secteurs, mais parlait
d’un « mixte de marchand et de public, qui trouve sa justification dans la
spécificité de ses activités », ayant vocation d’« utilité sociale et écologique »,
voire culturelle, territoriale, et un caractère « communautaire » ; il appar-
tient « entièrement à l’économie solidaire » et recouvre « une partie de l’éco-
nomie sociale ». Son financement peut être mixte, combinant ressources
privées et publiques. Il était proposé que le tiers secteur soit identifié par
un « label d’économie sociale et solidaire », ouvrant droit à une « grille de
singularités réglementaires et fiscales » et pouvant être attribué y compris
à des entreprises à statut traditionnel, dès lors que celles-ci respecteraient
le cahier des charges pour ce qui est des buts poursuivis. Le gouvernement
de l’époque n’a finalement pas donné suite à cette idée.

13 . Jeremy Rifkin, La fin du travail, La Découverte, Paris, nouvelle édition 2005.
14 . Édith Archambault, Le secteur sans but lucratif. Associations et fondations en France, Economica,
Paris, 1996.
15 . Dont la définition a notamment été donnée par la Fondation Johns-Hopkins.
16 . Alain Lipietz, Pour le tiers secteur. L’économie sociale et solidaire : pourquoi, comment, La Découverte/
La Documentation française, Paris, 2001.
Familles et cousinages  ❮  37

Considérant le tiers secteur comme une sorte de « troisième voie » entre le


public et le privé, J. Delors avait mis en avant la démocratie, l’innovation
et le social. J. Rifkin en fait plutôt un contrepoids au secteur marchand,
qui le finance par des transferts, et A. Lipietz une voie de sortie du « for-
disme » permettant aux individus de satisfaire leurs besoins en étant plus
autonomes et, en même temps, plus solidaires. Le tiers secteur apparaît
donc comme une notion riche et évolutive, « pris entre les deux autres »
(pour reprendre une expression de Dominique Méda 17). Par extension, il
est commodément considéré comme englobant l’ensemble des structures
hors les entreprises patrimoniales et les entreprises publiques, incluant
non seulement l’économie sociale mais aussi les comités d’entreprise, les
institutions de retraite, voire les collectivités locales.

L’économie quaternaire
Par « économie quaternaire », il faut entendre, selon le sociologue Roger
Sue 18, « une grande partie de l’économie associative, fondée sur les échanges
mutuels de services et la réciprocité, sur la formation et l’information, sur
le lien social et la socialisation ». Il choisit cette expression pour désigner un
« nouvel âge de l’économie », succédant à ceux de l’agriculture (primaire), de
l’industrie (secondaire) et des services collectifs privés et publics (tertiaire).
Face au « travail marchandisé » et à la « marchandisation », source d’aliénation
de l’individu, l’alternative est que la « communauté des citoyens s’empare de
cette production qui les concerne intimement, oriente et contrôle les grandes
industries qui en sont les supports ». Dans des domaines comme ceux de la
santé, du lien social, des services sociaux de proximité ou de la formation,
« chacun doit être impliqué, […] tour à tour bénéficiaire et acteur… » 19.
L’économie quaternaire se situe ainsi, selon R. Sue, aux antipodes d’un tiers
secteur, qu’il considère comme une « fausse sortie » dont la généralisation et
l’institutionnalisation seraient « socialement inacceptables », mais aussi « éco-
nomiquement injustifiables ». Il propose de « rendre le marché au marché »
et donc d’avoir, d’abord, un secteur marchand d’entreprises en reportant,
du coup, les aides et subventions à ces dernières vers le secteur quaternaire,
en « activant » parallèlement les dépenses sociales, en « finançant l’activité
plutôt que l’inactivité ». Bénéficiant des apports de bénévoles et de volon-
taires 20, le secteur quaternaire assurerait ainsi la production de « nouvelles
richesses », y compris en remettant en activité des chômeurs. Il serait animé
par des associations dont l’« utilité économique et sociale » serait reconnue par

17 . Dominique Méda, « Risques et limites du tiers secteur » et Roger Sue, « Du tiers secteur à l’éco-
nomie quaternaire », Transversales, no 57, mai-juin 1999.
18 . Roger Sue (en collab.), Vers une économie plurielle : un travail, une activité, un revenu pour tous,
coll. « Alternatives économiques », Syros, Paris, 1997 et Roger Sue, La richesse des hommes : vers
l’économie quaternaire, Odile Jacob, Paris, 1997.
19 . Dominique Méda, « Risques et limites du tiers secteur », op. cit.
20 . Sur la différence entre la notion de bénévole et de volontaire, cf. chapitre 3, p. 79-80.
38  ❯ ÉCONOMIE SOCIALE - LA SOLIDARITÉ AU DÉFI DE L’EFFICACITÉ

un système de label leur donnant accès au système financier redistributif et


permettant aux bénévoles de bénéficier de droits sociaux et de percevoir des
indemnités. La loi de juillet 2014, élargissant le périmètre de l’ESS, reprend
en partie ces préoccupations.

L’économie solidaire
L’économie solidaire recouvre des démarches très diverses qui ne se laissent
pas enfermer dans une définition unique, ni même un statut particulier. Ce
terme a été progressivement défini par des économistes et des sociologues
comme désignant des initiatives qui reposent sur l’implication des usagers et
combinent des ressources marchandes, non marchandes (dons et subventions)
et non monétaires (bénévolat). Elle a « deux dimensions constitutives » 21 :
la démocratisation de l’économie et la mise en place d’espaces publics de
proximité. Appelée à « atténuer les effets dévastateurs pour la démocratie
d’une marchandisation et d’une abstraction des relations sociales », l’action
de l’économie solidaire est facilitée par le « passage à une société de services,
en particulier en s’appuyant sur des formes plurielles de travail ». Elle doit
constituer une « tentative d’articulation inédite entre économie marchande,
non marchande et non monétaire », sur la base de ressources « hybrides » :
« ressources marchandes obtenues par le produit des ventes, […] ressources
non marchandes émanant de la redistribution, […] ressources non moné-
taires issues de contributions volontaires » 22. Un autre aspect est l’association
entre diverses parties prenantes (usagers, travailleurs, producteurs, consomma-
teurs…). Finalement, cette économie solidaire renouerait avec l’« être associatif »
et met « au cœur du passage à l’action économique la notion de solidarité ».
L’économie solidaire a d’abord été définie, dans les années 1990 en France,
comme l’économie sociale pure et dure. Pour Jean-Louis Laville 23, elle « réin-
troduit des problématiques à l’origine de l’économie sociale : celle de la com-
binaison des formes de travail et d’économie, celle de la contribution à un
débat pluraliste sur les institutions pertinentes de la démocratie ». Le rôle
historique des structures de l’économie sociale était en effet d’être des « fer-
ments de démocratisation » de la société civile, d’étendre et de protéger les
espaces de liberté, de recréer des formes de solidarité à travers des activités
nécessaires à certains groupes sociaux mais délaissées par les secteurs public et
privé. Mais l’économie sociale a un peu perdu de son identité en se trouvant
quelque peu instrumentalisée par le marché, notamment avec la mise en place
de l’État-Providence. À la fin des années 1990, un véritable rapprochement
s’est effectué entre ces deux notions. Constatant que, « hormis dans l’État
et l’entreprise », l’argent est dans les caisses de l’économie sociale, A. Lipietz

21 . Jean-Louis Laville (dir.), L’économie solidaire, une perspective internationale, Pluriel, Paris, 2013
(1re édition Desclée De Brouwer, Paris, 1994).
22 . Jean-Louis Laville, « Vers une économie sociale et solidaire ? », RECMA, no 281, juillet 2001.
23 . In Traverses, no 107, mars 1996.
Familles et cousinages  ❮  39

interprète ce rapprochement comme un « mariage de raison ». Jean-François


Draperi souligne que la « solidarité est depuis toujours au cœur de l’économie
sociale » et que, de son côté, l’économie solidaire ne peut être réduite à « une
politique publique » 24. Pour Christophe Fourel 25, un « processus de renou-
vellement constant a toujours marqué l’histoire de l’économie sociale et lui a
permis de se régénérer ». Pour lui, l’économie solidaire cherche à « promouvoir
des activités répondant aux nouvelles attentes sociales des populations tout
en revivifiant les valeurs pionnières de ses origines ». C’est bien en cela qu’il
y a filiation, l’économie solidaire apparaissant comme une économie sociale
« émergente » donc avec une dimension prioritaire de solidarité.

L’entrepreneuriat social
Les entreprises sociales se définissent, en France et dans le reste de l’Eu-
rope 26, comme des entreprises réunissant trois caractéristiques : une plu-
ralité de finalités, une diversité de parties prenantes (bénévoles, salariés,
entrepreneurs, collectivités publiques…) et de ressources (entre le marché,
la réciprocité et le soutien public). Elles constituent en elles-mêmes un
ensemble se rapprochant tantôt du monde associatif (lorsque l’accent
est mis sur la poursuite de l’intérêt général), tantôt du monde coopératif
(lorsqu’il est mis sur l’activité proprement économique). Leurs « engage-
ments » priment sur leur statut ; peu importerait celui-ci. Elles rappellent
ainsi ce que fut la démarche des « entreprises participatives » dans les années
1970/1980. Ou encore le discours de Henry Ford II sur le « contrat entre
l’entreprise et la société » 27. Aujourd’hui, dit Hugues Sibille, « l’entrepre-
neuriat social s’installe » « dans le paysage français » 28.
La Commission européenne, notamment lors d’un forum réunissant 2 000
« entrepreneurs sociaux » à Strasbourg les 16 et 17 janvier 2014, a donné
un coup de pouce à cette notion, en indiquant dans la déclaration finale
les « caractéristiques communes à ces entreprises » 29, à savoir :
 « – des revenus provenant d’activités économiques,
–  un objectif social ou sociétal d’intérêt commun qui est la raison d’être
de leur activité économique. Il se traduit souvent par un haut niveau
d’innovation sociale.

24 . RECMA, numéro spécial « Économie sociale et/ou solidaire ? », no 281, juillet 2001 (notamment).
25 . Christophe Fourel (dir.), La nouvelle économie sociale : efficacité, solidarité, démocratie, coll.
« Alternatives économiques », Syros, Paris, 2001.
26 . Étude de la professeure Marthe Nyssens, présentée lors du séminaire européen de réflexion de la
Confédération espagnole d’entreprises de l’économie sociale (CEPES), Barcelone, 2005 ; Jean-
François Draperi, Les entreprises sociales, Fondation du Crédit coopératif, Paris, 2005 ; Tarik Ghezali
et Hugues Sibille, Démocratiser l’économie, Grasset, Paris, 2010.
27 . Harvard, 1969, cité dans Thomas Donaldson, Corporations and Morality, Prentice-Hall, Englewood
(N. J.), 1982.
28 . « Entrepreneuriat social, phase deux ? », Le Labo de l’ESS, http://www.lelabo-ess.org/, 19 janvier
2015.
29 . http//ec.europa.eu/social-entrepreneurs.
40  ❯ ÉCONOMIE SOCIALE - LA SOLIDARITÉ AU DÉFI DE L’EFFICACITÉ

Leurs bénéfices sont principalement réinvestis dans la réalisation de cet


objectif social.
Leur mode d’organisation, leur système de propriété reflètent leur mis-
sion, s’appuyant sur une gouvernance démocratique ou sur des principes
participatifs, ou qui visent à la justice sociale ».
Ces caractéristiques de bonne volonté vont incontestablement dans le
sens de l’ESS, mais sans référence à des règles précises et encore moins à
des statuts.
L’entreprise sociale, quel que soit son statut, aurait pour principale qualité
d’associer prise de risque économique et innovation sociale 30. La définition
donnée par l’OCDE n’en est pas très éloignée 31.
La loi française de 2014 sur l’économie sociale et solidaire, lors des débats
à l’Assemblée nationale et au Sénat, a fait l’objet de controverses à ce sujet
(autour des articles 1 et 2). Une « synthèse » a été trouvée, conduisant les
entreprises commerciales reconnues comme faisant partie de l’ESS à pour-
suivre un but « autre que le seul partage des bénéfices », en particulier à
exercer « une gouvernance démocratique, définie et organisée par les sta-
tuts, prévoyant l’information et la participation… des associés, des salariés
et des parties prenantes… », à rechercher une « utilité sociale » et à consti-
tuer des réserves « impartageables [qui] ne peuvent pas être distribuées ».

L’entreprise collective
Cette notion ressurgit régulièrement sur le plan international 32. Selon
Louis Favreau, l’entreprise collective repose sur l’équilibre entre les fina-
lités sociales et économiques des acteurs qui s’associent pour entreprendre
autrement ; des structures et des règles démocratiques ; des structures col-
lectives à caractère entrepreneurial. Elle est depuis toujours étroitement liée
à celle d’économie sociale et elle est d’ailleurs généralement incluse dans la
définition de l’économie sociale. En tout cas, elle la recoupe largement 33.

L’économie sociale de marché


Le terme de Soziale Marktwirtschaft, c’est-à-dire d’« économie sociale
de marché », a été réactualisé depuis son insertion dans le projet de
Constitution européenne, en 2004. Cette référence n’a pas été modifiée
par le traité de Lisbonne, signé le 13 décembre 2007, et elle figure donc,

30 . Cf. Jacques Dufourny, « L’émergence du concept d’entreprise sociale », dans Reflets et Perspectives
de la vie économique, 2004/3, tome XLIII, Éditions De Boeck, Louvain-la-Neuve.
31 . Synthèse sur l’entrepreneuriat social, OCDE/Commission européenne, 2013.
32 . Louis Favreau, Gérald Larose, Abdou Salam Fall (dir.), Altermondialisation, économie et coopéra-
tion internationale, Presses de l’Université du Québec, Québec/Karthala, Paris, 2004.
33 . Louis Favreau, Entreprises collectives, PUQ, Québec, 2008 ; Thierry Jeantet et Jean-Dominique
Antoni, Libre entreprise collective, Association pour la libre entreprise collective, Paris, 1977.
Familles et cousinages  ❮  41

aujourd’hui encore, dans la définition des objectifs de l’Union européenne 34


(art. I. 3, alinéa 3) : « L’Union œuvre pour le développement durable de
l’Europe, fondé sur la croissance économique équilibrée et sur la stabilité
des prix, une économie sociale de marché hautement compétitive, qui tend
au plein emploi et au progrès social… ». Cette notion, inventée par Franz
Oppenheimer (1864-1943) et rendue célèbre, dans les années 1960, par
Ludwig Erhard, alors ministre de l’Économie de la République fédérale
d’Allemagne de 1949 à 1963, repose sur cinq principes : la propriété domi-
nante est la propriété privée ; l’ordre monétaire et financier doit reposer
sur la stabilité monétaire et des prix ; la concurrence ne doit être ni sau-
vage, ni destructive, ni livrée aux monopoles ou oligopoles ; l’ordre social
repose sur l’État et les Régions (les Länder) ; la cogestion, enfin, doit être
assurée avec le dialogue social ainsi que la concertation entre entrepreneurs
et salariés 35. Cette politique vise donc à établir un équilibre entre les règles
du marché et la protection sociale des individus en tant que travailleurs et
citoyens. Appliquée en RFA, puis dans l’Allemagne réunifiée par des gou-
vernements de sensibilités différentes, cette notion rappelle aussi la concep-
tion suédoise des relations entre l’État, les entreprises et les syndicats. Elle
revient au cœur des débats en France avec le « Pacte de responsabilité et
de solidarité » 36, qui pourrait en être une nouvelle application. L’économie
sociale et solidaire ayant la possibilité d’en devenir un vecteur significatif.
Ces principes croisent, débordent, nourrissent ceux de l’économie sociale
et l’obligent à revoir son positionnement. Elles ne sont plus les seules. La
Green Economy, économie qui, selon le Programme des Nations Unies pour
l’environnement, « entraîne une amélioration du bien-être humain et de
l’équité sociale tout en réduisant de manière significative les risques envi-
ronnementaux et la pénurie des ressources », est depuis plusieurs années
une notion concurrente et un aiguillon de l’ESS.
Mais d’autres acceptions viennent aujourd’hui éclairer et bousculer le
concept d’ESS, extensive pour l’une, exigeante pour l’autre.

L’économie collaborative ou économie du partage


Elle se caractérise par une organisation en réseau, des biens, des espaces,
des outils, mais aussi des savoirs… Rachel Botsman 37 distingue quatre
catégories : la consommation collaborative (covoiturage, auto-partage,
habitat collectif, coworking…) ; la production collaborative (Fab Labs,

34 . Traité sur l’Union européenne et traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, Bruxelles,
30 avril 2008.
35 . Gérard Schneilin, Henri Ménudier et Jean-Paul Cahn, L’Allemagne et la construction de l’Europe :
1949-1963, coll. « Questions de civilisation », Éditions du Temps, Nantes, 2000.
36 . « Le Pacte de responsabilité et solidarité, c’est pour les entreprises, pour les ménages », www.gou-
vernement.fr/pacte-responsabilité-solidarite
37 . Rachel Botsman, The Sharing Economy Lacks A Shared Definition, novembre 2013, http:/fr.slideshare.
net/collablab/shared-def-pptf
42  ❯ ÉCONOMIE SOCIALE - LA SOLIDARITÉ AU DÉFI DE L’EFFICACITÉ

Maker Spaces, Do it yourself…) ; la connaissance collaborative (open data,


open education…) ; le cofinancement ou financement participatif.
L’économie collaborative ou de partage plonge des racines dans l’économie
sociale, ne serait-ce que la désintermédiation chère à beaucoup d’entre-
prises d’ESS, notamment les coopératives d’habitants, les coopératives de
travailleurs indépendants, associations de partage de véhicules, coopératives
de partage de moyens, micro-banques coopératives, réseaux d’échanges de
savoir-faire, monnaies alternatives, …. Mais elle prend des formes neuves
et extensives (crowdfunding, coworking…).
L’internet favorise le développement et la popularisation de cette forme
d’économie. Elle ne se confond pas avec celle de l’économie sociale et soli-
daire, dans la mesure où l’organisation de ces collaborations peut reposer
sur des entreprises purement lucratives, qui ont trouvé là un nouveau
champ d’activité marchande. Mais une nouvelle page s’ouvre, de fait, pour
l’économie sociale. Soit par le caractère associatif de ces activités collabo-
ratives (exemple : les AMAP) ou coopératif (Coopérative La Louve) ou de
type mutualiste avec les open source, soit par les alliances entre entreprises
d’économie sociale et solidaire déjà présentes sur divers champs d’acti-
vité et des start-up collaboratives (la MAIF assure BlaBlaCar, participe au
capital de Koolicar et a un partenariat avec OuiShare ; la MACIF assure
Deways ; MMA assure LivUp et Tripndrive…). Les contrats collectifs de
santé soutenus par des communes sont aussi assimilés à de l’économie col-
laborative. Le marché de la création artistique n’est pas en reste (cf. Smart
Agence, « coopérative d’accompagnement et de gestion de projets créatifs »).
La cohérence d’objectifs et de valeurs explique le large partage de projets
entre ESS et économie collaborative. La gestion d’un système collaboratif,
par contre, est ou n’est pas partie prenante de l’ESS. Des partenariats
peuvent conduire à une mixité ESS/privé traditionnel.

L’économie des biens communs


Les « BC », biens communs, correspondent à des ressources ou à un patri-
moine collectif indispensable à la vie et aux activités humaines, voire aux
qualités sociétales. Sont souvent cités l’air, l’eau, le capital bio-éthique,
l’énergie… Mais selon Benjamin Coriat 38, un « Commun » n’existe que
sous une triple exigence : « ressource commune et partagée… mode d’accès
à la ressource et règles de son partage… mode de gouvernance de la res-
source » (respect des droits et obligations des insiders… et outsiders…) ». Il
n’y a pas de « bien commun sans action collective ». Un point clef est celui

38 . Benjamin Coriat, Qu’est-ce qu’un commun ?, Attac, no 5, hiver 2015. Cf. Jean Gadrey, « Des biens
publics aux biens communs », blog du 24 avril 2012, Alternatives économiques et Le retour des com-
muns : la crise de l’idéologie propriétaire, sous la direction de Benjamin Coriat, LLL/Les Liens qui
libèrent, Paris, 2015.
Familles et cousinages  ❮  43

du droit de propriété : « Le Commun est à la fois une forme de résistance


et une solution alternative à la représentation et à la pratique des droits de
propriété entendus comme droits exclusifs du détenteur du droit ». C’est
cette question et celle de la gouvernance qui retiennent le plus l’attention
du point de vue de l’ESS.
La propriété, au sens de l’ESS, est à bien des égards « commune » (entièrement
ou partiellement impartageable). Elle est définie relativement à un ensemble
de sociétaires, coopérateurs ou mutualistes alors que, dans le cas de l’éco-
nomie des biens communs, elle est ouverte (cas, par exemple, de l’eau). Les
logiciels libres, les semences libres ou même les « Wiki wiki » sont à la croisée
de l’ESS et de l’économie des biens communs, car, si les utilisateurs/concep-
teurs/reproducteurs sont définis, leur nombre est à tout moment modifiable.
C’est une économie sociale et solidaire sans frontière 39, avec une propriété
collective ouverte à des populations variables mais discernables.
La gouvernance suggère une seconde jonction entre économie des biens
communs et économie sociale et solidaire. À qui, en effet, confier la gou-
vernance de biens communs, sinon à des collectivités publiques ou à des
entités économiques sans but lucratif, donc appartenant à l’ESS ?
« BC » et ESS sont à la croisée de ce que Benjamin Coriat dénomme
« la recherche de formes alternatives de production, de coopération et
d’échanges ».
La notion d’ESS est également percutée par trois autres notions innovantes,
facteur potentiel de développement et mutations (économie circulaire,
économie numérique, silver economy).

L’économie circulaire
C’est une nouvelle économie de la réparation, mais aussi de la régénération.
En un certain sens, elle rejoint les origines mêmes de l’ESS, qui a toujours
été, pour partie, une économie de la réparation et de la réintégration. Mais,
bien sûr, les champs sont différents. L’économie circulaire est un « système
où les choses sont faites pour être refaites » 40, selon la navigatrice Ellen
MacArthur ; l’économie sociale est un système qui permet notamment à
des femmes et des hommes d’être socialement réintégrés, d’être à nouveau
acteurs de leur vie. Au-delà de ce rapprochement, les objectifs annexes de
l’économie circulaire sont nombreux. Différents auteurs en relèvent sept :
la réparation, le réemploi, la réutilisation, le recyclage, qui sont les plus
« anciens », mais aussi l’économie de la fonctionnalité, l’éco-conception,

39 . En détournant ainsi une expression utilisée par Jacques Moreau. Cf. Pour une économie sociale sans
rivages, hommage à Jacques Moreau, L’Harmattan, Paris, 2005.
40 . Citée par le think tank « Pour la solidarité » dans L’économie circulaire : changement complet de para-
digme économique ?, avant-propos de Denis Stockkink, note d’analyse, novembre 2014, Bruxelles.
Cf. aussi www.ellenmacarthurfoundation.org.
44  ❯ ÉCONOMIE SOCIALE - LA SOLIDARITÉ AU DÉFI DE L’EFFICACITÉ

l’écologie industrielle, qui sont les plus innovants. Les frontières entre
les différents aspects de cette économie n’étant pas imperméables, l’ESS
est un acteur significatif, mais pas unique, de cette économie (avec, par
exemple : API’UP, association de reyclage dans le domaine du meuble,
l’association Les Ateliers du Bocage, qui recycle du matériel informatique
et téléphonique…) 41.

L’économie numérique
Selon l’Observatoire du numérique 42, il s’agit d’une notion « difficile à
définir ». L’INSEE l’assimile aux technologies de l’information et de la
communication (TIC), la numérisation en étant la caractéristique. Le péri-
mètre est sans cesse élargi à plus de producteurs et utilisateurs. C’est en tous
les cas un type d’« économie en expansion », qui comprend les entreprises
productrices de TIC (informatique, télécommunication, électronique…),
les entreprises intégratrices de TIC (e-commerce, services en ligne…),
les particuliers utilisateurs (individus, ménages, réseaux sociaux…), qui
peuvent être aussi des co-producteurs.
L’ESS est concernée par ce phénomène dans la mesure où il peut lui per-
mettre de donner plus d’ampleur à ses initiatives, d’en accélérer les effets.
L’Association internationale du logiciel libre (AI2L) 43, née lors d’un forum
des Rencontres du Mont-Blanc en 2008, résulte de ce croisement ESS/
économie numérique. Un appel à projets du Gouvernement en direction
de l’ESS, en janvier 2013, dans le cadre des « investissements d’avenir »,
portait sur le champ du numérique.

La silver economy
L’économie du vieillissement recoupe naturellement le champ d’action
traditionnel de l’ESS relatif à l’accompagnement et l’aide aux personnes
âgées. L’allongement de la durée de la vie, la modification de l’organisa-
tion des familles et plus largement des cellules sociales, ouvrent de nou-
velles perspectives économiques à tous les acteurs et donc, en particulier,
à ceux de l’ESS. Il s’agit d’offrir de nouvelles solutions – socialement et
technologiquement innovantes – aux nouveaux besoins des personnes
âgées. Associations, fondations, mutuelles de santé et d’assurance, banques
coopératives… sont d’ores et déjà impliquées dans ce qui est considéré
comme une filière transversale.

41 . Cf. Association des Régions de France et Avise, Économie circulaire et innovation sociale, septembre
2014, études de cas.
42 . Organisme créé par arrêté du ministère des Finances du 23 novembre 2011, site http://www.
observatoire-du-numerique.fr/.
43 . www.ai2l.org.
Familles et cousinages  ❮  45

Ainsi donc, les six notions gravitant autour ou intégrant celle de l’éco-
nomie sociale (le tiers secteur, l’économie quaternaire, l’économie solidaire,
l’entrepreneuriat social, l’entrepreneuriat collectif, l’économie sociale de
marché) sont elles-mêmes doublées ou rappelées à l’ordre par l’économie
collaborative ou du partage, l’économie des biens communs ; celles d’éco-
nomie circulaire, d’économie numérique et la silver economy, apparaissant
autant comme des stimulants que comme des menaces (au cas où elles
seraient insuffisamment prises en compte).

La définition : un long chemin


Troublée par ces notions, l’économie sociale a dû se faire connaître d’elle-
même. Dans la première définition donnée par Ch. Gide en 1900 44,
celui-ci définit en effet l’économie sociale comme un ensemble constitué
de trois piliers : l’association, l’État (services publics) et le patronage (ins-
titution de bienfaisance du patronat). Mais la définition contemporaine
donnée à l’économie sociale a d’abord découlé de la voie « statutaire » (loi
de 1867 permettant la constitution d’entreprises coopératives ; loi de 1893
sur les coopératives agricoles ; Code de la mutualité en 1898 ; loi sur les
assurances mutuelles agricoles en 1900 ; loi de 1901 sur les associations ;
loi de 1915 sur les SCOP ; ou encore, plus tard, loi Ramadier de 1947 sur
les coopératives, révisée en 1992). Or, de ce traitement législatif différencié
pour chaque famille de l’économie sociale (coopératives, mutuelles, asso-
ciations, fondations) est né un développement cloisonné et morcelé, les
personnes morales d’économie sociale restant, pendant une longue période,
relativement éparpillées. L’économie sociale a mis du temps à trouver son
unité en Europe, y compris en France après la Seconde Guerre mondiale,
chaque mouvement évoluant de son côté. Les statuts juridiques introdui-
sant une séparation entre les différentes familles, les études se focalisent
alors sur l’« analyse de sous-ensembles fragmentés » 45. Centrées sur une
« logique d’adaptation fonctionnelle », les différentes entités juridiques de
l’économie sociale « s’éloignent les unes des autres » 46.
Le terme même d’« économie sociale » a été un long moment oublié. Il aura
fallu attendre les années 1970, en France, pour que des acteurs des coo-
pératives, mutuelles et associations créent un premier « comité de liaison »
(futur Comité national de liaison des activités mutualistes, coopératives
et associatives – CNLAMCA, puis CEGES en 2001), pour que, peu à
peu, le terme revienne au grand jour. Ainsi, en 1977, le professeur et cher-
cheur Henri Desroche a présenté au CNLAMCA un Rapport de synthèse

44 . Charles Gide, Rapport sur le Palais de l’économie sociale, Exposition universelle, Paris, 1900.
45 . Claude Vienney, L’économie sociale, op. cit.
46 . Jean-Louis Laville, Une troisième voie pour le travail, Desclée De Brouwer, Paris, 1999.
46  ❯ ÉCONOMIE SOCIALE - LA SOLIDARITÉ AU DÉFI DE L’EFFICACITÉ

ou quelques hypothèses pour une entreprise d’économie sociale et, plus tard,
des Histoires d’économies sociales 47. Grâce à Jean-Louis Girodot, une Lettre
de l’économie sociale 48 commence à paraître à cette période. Bien qu’elles
se soient antérieurement identifiées par des statuts juridiques, des activités
économiques et des compositions sociales différentes, les organisations
tendent dès lors à se reconnaître entre elles comme constituant un même
ensemble spécifique et se solidarisent pour faire reconnaître leurs caractères
communs par les pouvoirs publics. Ce n’est toutefois qu’à la fin de l’année
1981 que l’expression « économie sociale » entre par voie réglementaire dans
le droit français, à l’initiative de Michel Rocard, alors ministre du Plan et
de l’Aménagement du territoire et chargé de l’économie sociale, comme
« l’ensemble constitué des coopératives, des mutuelles et des associations »,
par le décret du 15 octobre 1981, créant la Délégation à l’économie sociale.
L’expression est ensuite consacrée par le législateur, pour la première fois,
par la loi de 1983 (v. chapitre 3). L’économie sociale et solidaire est incluse
dans le programme 49 du futur Président de la République française François
Hollande qui, une fois élu, veille à ce que dans le premier gouvernement
soit nommé un ministre délégué à l’économie sociale et solidaire 50, Benoît
Hamon, ce dernier ayant la charge de préparer la loi sur l’ESS. Des secré-
taires d’État lui succèdent (Mmes Valérie Fourneyron, puis Carole Delga,
puis Martine Pinville) avec des portefeuilles comprenant l’ESS.
La Commission européenne l’avait également reconnue au début des années
1980, en l’incluant dans le champ d’action de la DG XXIII (devenue
Direction générale entreprises) puis, dans les années 19909, en consacrant
un Comité consultatif européen des coopératives, mutuelles, associations et
fondations, devenu en 2000 Conférence européenne permanente des coo-
pératives, mutualités, associations et fondations (CEP-CMAF), à laquelle
s’est substituée en 2008 l’organisation (non institutionnelle) Social Economy
Europe. La Commission paraît aujourd’hui tentée de la marginaliser ou
au moins de la noyer dans d’autres approches.
S’étant reconnue elle-même, l’économie sociale, devenue ESS, est peu à
peu arrivée à se faire reconnaître dans un nombre croissant de pays euro-
péens et dans le monde. Elle est portée par la recherche d’un « nouvel
âge de l’économie » 51 réclamé, de façon plus large, par des économistes
aussi différents que Joseph Stiglitz, Jeremy Rifkin, Thomas Piketty, James
Galbraith, dont certains font d’ailleurs référence dans leurs ouvrages, à
l’économie sociale ou au tiers secteur. Des ministres ou secrétaires d’État

47 . Henri Desroche, Histoires d’économies sociales. D’un tiers état aux tiers secteurs, 1971-1991, op. cit.
48 . La Lettre de l’économie sociale, dont il est le concepteur-fondateur.
49 . Cf. archive du Pôle ESS de la Campagne de François Hollande.
50 . Puis à l’ESS et à la Consommation.
51 . Titre de l’article d’Antoine Reverchon dans le supplément du Monde « Cultures et Idées », no 21843
du samedi 11 avril 2015.
Familles et cousinages  ❮  47

sont nommés ou des agences ad hoc (comme au Portugal), plus tôt même
qu’en France, sont créées. Des lois 52 sont votées avant même la France,
comme au Portugal, en Espagne ou encore au Mexique, en Équateur, au
Québec, aux Philippines… ; des décrets sont adoptés, comme en Corée du
Sud ; des projets de loi sont en cours de préparation au Maroc, au Brésil,
au Cameroun…
Il lui reste encore souvent soit à trouver le chemin de son unité (comme
en Allemagne, où elle est puissante, mais peu organisée en tant que telle),
soit à se défendre pour éviter d’être banalisée (comme à plusieurs reprises
au Japon, où les gouvernements conservateurs voulaient obliger les grandes
coopératives à abandonner leur statut), soit à trouver des chemins de la
reconnaissance à l’aune de ce qui a pu se passer ailleurs.

Tour d’horizon des différentes définitions officielles


Sur le plan international : la TFSSE (UN Inter-Agency Task Force on Social
and Solidarity Economy, Groupe de travail inter-agence des Nations Unies
sur l’ESS, la définit ainsi : « L’ESS comprend habituellement diverses formes
de coopératives, de mutuelles et d’associations d’assurance maladie, certaines
formes de fondations et d’ONG de services, des groupes de microfinance
ou de finance solidaire, des groupes d’entraide, des organisations commu-
nautaires ainsi que de nouvelles formes d’entreprises sociales produisant
des biens et services qui visent à répondre aux besoins insatisfaits en se
servant des ressources non utilisées, en pratiquant l’approvisionnement
collectif et en gérant des ressources communes. L’ESS inclut également des
organisations du commerce équitable et des associations de travailleurs de
l’économie informelle. Les domaines de l’ESS se sont récemment élargis
afin d’accueillir des formes de partage accessibles à travers les nouvelles
ressources et technologies digitales telles que le covoiturage ou le finan-
cement participatif. »
Au niveau européen, Social Economy Europe liste, dans sa déclaration de
2002 53, sept caractéristiques : la primauté de la personne et de l’objectif
social sur le capital ; l’adhésion volontaire et ouverte ; le contrôle démo-
cratique par les membres ; la conjonction des intérêts des membres usa-
gers et de l’intérêt général ; la défense et la mise en œuvre des principes de
solidarité et de responsabilité ; l’autonomie de gestion et l’indépendance
vis-à-vis des pouvoirs publics ; l’utilisation de l’essentiel des excédents au
service du développement durable, des membres et de l’intérêt général.
C’est en s’appuyant sur cette définition que Social Economy Europe, en mai

52 . Cf. Peter Utting, Nadine Van Dijk, Marie-Adélaïde Matheï, Social and Solidarity Economy: Is There
a New Economy in the Making?, Occasional Paper 10, Potential and Limits of Social and Solidarity
Economy, UNRISD, Genève, août 2014.
53 . CEP-CMAF, Déclaration finale commune des organisations européennes de l’économie sociale,
20 juin 2002.
48  ❯ ÉCONOMIE SOCIALE - LA SOLIDARITÉ AU DÉFI DE L’EFFICACITÉ

2014, a émis le regret auprès de la Commission européenne d’avoir vu


l’ESS rangée dans une Unité B2 appelée « Clusters, Social Entrepreneurship ».
Pour le Comité économique et social européen (CESE), le manque de
visibilité institutionnelle de l’économie sociale est imputable pour partie
à l’absence d’une définition claire et rigoureuse de ce concept et de son
champ d’application qui puisse être reprise par les systèmes de comptabi-
lité nationale. Face à ce constat, le CESE propose la définition suivante :
« Ensemble des entreprises privées avec une structure formelle, dotées d’une
autonomie de décision et jouissant d’une liberté d’adhésion, créées pour
satisfaire aux besoins de leurs membres à travers le marché en produisant
des biens ou en fournissant des services d’assurance ou de financement, dès
lors que les décisions et toute répartition des bénéfices ou excédents entre
les membres ne sont pas directement liées au capital ou aux cotisations de
chaque membre, chacun d’entre eux disposant d’un vote et tous les évé-
nements ayant lieu par le biais de processus décisionnels démocratiques
et participatifs. L’économie sociale regroupe aussi les entités privées avec
une structure formelle qui, dotées d’une autonomie de décision et jouis-
sant d’une liberté d’adhésion, proposent des services non marchands aux
ménages et dont les excédents, le cas échéant, ne peuvent être une source
de revenus pour les agents économiques qui les créent, les contrôlent ou
les financent » 54.
Cette approche paraît moins précise, mais cohérente avec les critères de
délimitation de l’économie sociale établis, dès juin 1980, par les acteurs
français, réunis au sein du Comité national de liaison des activités mutua-
listes, coopératives et associatives (CNLAMCA), dans une Charte de
l’économie sociale, dont une nouvelle version a été publiée en 1995 55. Issu
du CNLAMCA, le Conseil des entreprises, employeurs et groupements
de l’économie sociale (CEGES) s’est appuyé ensuite sur ce document de
référence, qui stipule notamment que ce sont des « entreprises qui vivent
dans l’économie de marché. Mais ce sont des entreprises différentes car,
nées d’une volonté de solidarité au service de l’Homme, elles privilégient
le service rendu par rapport au profit dégagé et intègrent dans la vie éco-
nomique la dimension sociale ». Selon cette charte, l’économie sociale
répond à différents besoins de l’Homme en lui permettant « d’acquérir des
biens et des services au moindre coût et de la meilleure qualité, d’exercer
son métier de façon autonome, de s’associer à d’autres pour gérer démo-
cratiquement son entreprise… ». Elle concrétise aussi différents types de
solidarité : « entre les sociétaires », mais aussi « solidarité professionnelle

54 . L’économie sociale dans l’Union européenne, rapport d’information no CESE/COMM/05 /2005


élaboré pour le Comité économique et social européen (CESE) par le Centre international de
recherches et d’information sur l’économie publique, sociale et coopérative (CIRIEC), 2007.
55 . Charte de l’économie sociale, Déclaration du Comité national de liaison des activités mutualistes,
coopératives et associatives, 10 mai 1995.
Familles et cousinages  ❮  49

ou sociale […] régionale […] au niveau de la nation […] et internatio-


nale ». Nées d’une libre initiative collective, ces entreprises appliquent
la règle démocratique « un homme = une voix » ; leur éthique implique
le souci de la qualité du service, de la transparence, de la gestion et de la
prise en compte équitable des relations avec les salariés. Le CEGES avait
présenté par ailleurs l’économie sociale comme une « garantie de la liberté
d’entreprendre », un facteur de « développement durable », un moyen de
« protection contre les mouvements spéculatifs », une source « de parte-
nariat et de développement de la démocratie économique, d’initiatives
équitables et solidaires », un moyen aussi d’introduire de la « plus-value
sociale et environnementale ». La Chambre française de l’ESS s’en tient
aujourd’hui à la définition contenue dans la loi du 31 juillet 2014, qui
a ouvert la porte, sous condition, aux entreprises sociales, mais aussi aux
entreprises d’insertion autres que celles à statut coopératif ou associatif.

L’épilogue : une définition actualisée


Libre initiative, démocratie, émancipation, solidarité, équité, propriété
collective, respect des environnements, sont des termes étroitement liés à
ceux d’« économie sociale ».
L’économie sociale, par essence solidaire, est un ensemble, un mouvement,
défini par des objectifs et des principes communs. Elle se développe dans
tous les secteurs d’activité : marchands, monétaires ou non monétaires.
Elle ne connaît pas de frontières.
•  L’économie sociale est caractérisée par :
– la « libre initiative » de personnes qui se réunissent autour d’un « projet ».
Elles ne le font donc pas en priorité autour d’un capital et peuvent combiner
leurs propres apports avec ceux de partenaires ou contractants personnes
physiques comme personnes morales privées ou publiques ;
–  les personnes physiques ont une « double qualité » de membre et salarié
ou membre et consommateur ou de membre et acteur bénévole ou volon-
taire. À laquelle peut s’ajouter celle de concepteur/créateur ;
– « la propriété est collective », appartenant à l’ensemble défini des
membres de façon totalement ou partiellement impartageable. Elle peut
être appelée « commune » lorsqu’elle correspond à un ensemble ouvert de
personnes ;
–  les richesses créées, les excédents, sont « partagés » de façon « équitable » :
par exemple entre producteurs, distributeurs ou consommateurs.
Elle revêt plusieurs types de statuts qui ne sont que des « traductions »
de ces principes, objectifs : coopératives, mutuelles, associations, fon-
dations, ou encore, dans les pays anglo-saxons, charities, ou ceux des
organisations communautaires ou populaires, par exemple en Amérique
latine. Les entreprises commerciales, en adoptant ses principes, donc des
50  ❯ ÉCONOMIE SOCIALE - LA SOLIDARITÉ AU DÉFI DE L’EFFICACITÉ

conditions précises, se sont désormais glissées dans cet ensemble sous le


vocable d’« entreprises sociales ».
Tantôt l’économie sociale fait, comme en France, l’objet de textes légis-
latifs et réglementaires, tantôt elle répond à un droit contractuel comme
dans plusieurs pays anglo-saxons ou bien même elle est à la frontière de
l’informel. 56

❚❚ L’économie sociale et solidaire : cinq courants


L’économie sociale et solidaire est le terme qui s’est imposé au cours des dernières
années pour désigner un ensemble de mouvements qui ambitionnent de développer
une économie au service de la société. On peut distinguer cinq principaux courants.
Le courant historique, le plus ancien, est celui de l’économie sociale au sens strict.
Née au début du xixe siècle, l’économie sociale a connu un développement contrasté
au xxe siècle. Après la Seconde Guerre mondiale, nombre des entreprises qui se
reconnaissaient dans son projet se sont largement banalisées. Initié dès les années
1970, un mouvement de réexamen des pratiques, des règles, des principes et des
valeurs de référence aboutit aujourd’hui à l’émergence de nouvelles formes d’actions
coopératives, associatives et mutualistes. Le renouveau de la participation sociétaire
dans de nombreuses coopératives et mutuelles, y compris de grande taille, l’essor
des coopératives d’activité et d’emploi, la création du statut de sociétés coopératives
d’intérêt collectif témoignent de ce renouveau. Comme école de pensée, l’économie
sociale a mis en évidence que la double qualité des membres constitue le principe
transversal aux entreprises non capitalistes. On entend par ce terme le fait que les
membres (ou sociétaires ou encore associés) élisant démocratiquement les admi-
nistrateurs sont également les bénéficiaires (ou les actifs) de la production ou du
service rendu par l’entreprise.
Seconde conception, l’économie alternative prend son essor dans les années 1970.
La majorité des initiatives fondées au cours des décennies suivantes se réfèrent à
une alternative qui remet en question l’ensemble des institutions sociales et éco-
nomiques, essentiellement l’entreprise classique et son organisation, le marché et
l’État. L’économie alternative s’est enrichie dans un second temps des pensées sur
la décroissance, de « la sobriété heureuse » et de la critique de la consommation de
masse. Elle embrasse simultanément la question sociale et la question écologique,
proposant un modèle de développement non capitaliste. L’utopie est revendiquée
comme force motrice du changement.
Troisième conception, l’économie solidaire désigne, à partir des années 1980, un
ensemble d’activités de services présentant un caractère d’utilité collective, mais
pour lesquelles les conditions de solvabilisation ne sont pas réunies. L’économie
solidaire se présente ainsi comme servant l’intérêt général, complémentairement à

56 . Sandra Mayrink Veiga, Daniel Rech et Francisco Whitaker, Associações: Como constituir sociedades
civis sem fins lucrativos, Federação de orgãos para assistência social e educacional (FASE), Rio de
Janeiro, 2001.
Familles et cousinages  ❮  51

l’État, dont elle constitue également un aiguillon. Elle puise ses ressources à la fois
dans les solidarités entre des groupes sociaux, dans la redistribution de la richesse
publique et dans le marché.
Quatrième courant, les entreprises sociales se superposent en partie à la fois à l’éco-
nomie sociale et à l’entrepreneuriat social. Ce courant de pensée, animé par Jacques
Defourny et son équipe au sein d’Emes (Émergence de l’entreprise sociale) depuis
le début des années 1990, s’est constitué à partir de l’identification de nouvelles
associations et coopératives en Europe qui ont pour particularité de réaliser une
action sociale. Les entreprises sociales contribuent au renouvellement des réponses
apportées aux problèmes du logement, de l’insertion professionnelle, de l’action en
direction des personnes handicapées, de développement du lien social, etc.
Dernier-né des courants de l’économie sociale et solidaire, l’entrepreneuriat social a
une toute autre histoire. Il émane en effet des fondations des multinationales améri-
caines. La venture philanthropy, ou philanthropie à risques, ambitionne de servir des
besoins sociétaux (sociaux et environnementaux) par l’entrepreneuriat. Sa particula-
rité est de conjuguer la rentabilité économique et la poursuite d’une finalité sociale.
L’entrepreneuriat social est soutenu par les fondations des très grandes entreprises
et par les multinationales elles-mêmes. À travers ces partenariats, celles-ci ambi-
tionnent de contribuer à réparer les impacts sociaux et environnementaux que leur
propre développement ne cesse d’accroître, tout en ouvrant de nouveaux marchés
grâce aux innovations sociales produites par les entrepreneurs sociaux.
L’économie sociale, l’économie alternative, l’économie solidaire, les entreprises
sociales et l’entrepreneuriat social, partagent des questionnements proches dont
les plus récurrents sont (1) celui qui porte sur la participation (ou la démocratie), (2)
celui de la destination des excédents (dont la question de la rémunération des parts
sociales ou du capital) et (3) celui du sens de l’action (du projet). Le premier angle
paraît le plus essentiel, dans la mesure où il est le seul à pouvoir distinguer l’écono-
mie sociale et solidaire des autres types d’économie. Fondamentalement, c’est la
possibilité de la participation démocratique à la prise de décision, particulièrement le
pouvoir en assemblée générale exprimé sous la forme « une personne = une voix »,
qui spécifie cette économie. En cela, l’économie sociale et solidaire tente de réaliser
au sein de l’économie le projet que la République poursuit dans la sphère politique.

Jean-François Draperi
Directeur du Centre d’économie sociale Travail et société (CESTES) au Conservatoire national
des arts et métiers (Cnam) et rédacteur en chef de la Revue internationale de l’économie
sociale (RECMA).
Contact : draperi@cnam.fr ou gestionnaire@cnam.fr

Travaux de l’auteur prolongeant ce texte


Comprendre l’économie sociale, Dunod, Paris, 2e éd. 2014.
L’économie sociale et solidaire : une réponse à la crise ?, Dunod, Paris, 2011.
La république coopérative, Larcier, Bruxelles, 2012.
❮  53

❯ Chapitre 3
Des formes et statuts variables

Le quintette français.
Vers un droit de l’économie sociale et solidaire
Après une longue attente, de plusieurs années, une riche période de débats
et de consultations a précédé le vote de la loi sur l’économie sociale et soli-
daire en juillet 2014 1.

❚❚ L’avis du Conseil économique, social et environnemental


(CESE), adopté le 22 janvier 2013, intitulé
Entreprendre autrement : l’économie sociale et solidaire
En octobre 2012, le Premier ministre, Jean-Marc Ayrault, saisit le CESE, à la demande
du ministre délégué chargé de l’ESS, Benoît Hamon, d’un avis contribuant à la prépa-
ration du futur texte de loi sur l’ESS. La demande porte sur trois points (courrier du
Premier ministre, 11 octobre 2012, au président du CESE) :
–  une synthèse des propositions existantes du CESE sur l’ESS ;
–  une réflexion sur la reprise des entreprises par leurs salariés ;
–  la politique de développement local de l’ESS.
À cette fin, le CESE a nommé une commission temporaire et désigné comme rap-
porteurs Patrick Lenancker, du groupe de la coopération et président de la CGSCOP,
et moi-même, Jean-Marc Roirant, secrétaire général de la Ligue de l’enseignement,
membre du groupe des associations.
Nous avons auditionné 38 personnes, dans les séances de travail de la commission
temporaire et dans le cadre d’entretiens privés.

1 . Francis Vercamer, député du Nord, Rapport sur l’économie sociale et solidaire, parlementaire en mis-
sion, Fabrice Pothier, rapporteur adjoint, avril 2010 ; Pour une loi cadre et de programmation de
l’ESS. Les dix propositions de François Hollande pour l’ESS (archives du pôle ESS et communiqué
du candidat du 2 mars 2012) ; Rapport du groupe de travail sénatorial sur l’économie sociale et soli-
daire présenté par Mme Marie-Noëlle Lienemann le 25 juillet 2012 ; Patrick Lenancker et Jean-
Marc Roirant, Entreprendre autrement, l’économie sociale et solidaire, rapport du CESE, 18 janvier
2013 ; Rapport n° 1891 d’Yves Blein au nom de la Commission des affaires économiques de l’As-
semblée nationale enregistré le 17 avril 2014 ; Rapport n° 84 de Marc Daunis, commission des
affaires économiques du Sénat, 26 juin 2013, et texte de la commission n° 85, 16 octobre 2013.
54  ❯ ÉCONOMIE SOCIALE - LA SOLIDARITÉ AU DÉFI DE L’EFFICACITÉ

La commission temporaire décide d’élargir sa réflexion à la définition et au périmètre


de l’ESS. En effet, comme le précise le texte de l’avis, si la définition de l’écono-
mie sociale a paru « évidente » pendant longtemps, l’arrivée de nouveaux acteurs se
réclamant de ses principes est venue perturber la définition qui cantonnait l’écono-
mie sociale aux seules associations, coopératives et mutuelles.
En ce sens, en proposant une nouvelle approche, le CESE s’adapte aux réalités, mais
il a cherché à inscrire cette ouverture dans une démarche maîtrisée pour éviter les
confusions et les faux-semblants.
Ainsi, il rappelle que « l’ESS est une forme d’organisation d’activités humaines, fon-
dée sur la solidarité collective et la démocratie. » Le CESE affirme que l’ESS concerne
toutes les activités humaines, licites bien sûr, et ne se limite pas à une finalité sociale
en direction des populations les plus défavorisées. Cette approche se démarque
complètement de la définition de la Commission européenne de l’entreprise sociale.
La définition du CESE englobe celle-ci, avec plus de rigueur dans les critères, mais
ne s’y limite pas.
Le CESE affirme que les entreprises de l’ESS sont définies d’abord (et donc pas
seulement) par leurs statuts et il inclut dans celles-ci non seulement les associations,
coopératives et mutuelles, mais aussi les fondations, ce qui tranche un débat latent
sur cette question.
Mais le CESE va plus loin en prenant en compte les évolutions des vingt dernières
années : des acteurs, nouveaux ou anciens, de l’ESS ont choisi d’agir au sein de
sociétés commerciales, comme l’insertion par l’activité économique ou le commerce
équitable, d’autres mettent en avant la citoyenneté économique pour « favoriser des
relations économiques plus équilibrées et mieux régulées » et parlent alors d’écono-
mie solidaire.
Le CESE entérine ces évolutions (contribuant ainsi à pacifier le secteur et mettant
un coup d’arrêt à la querelle montante ces dernières années des anciens et des
modernes…) et réaffirme les valeurs et principes qui s’appliquent à toutes les entre-
prises de l’ESS, quel que soit leur statut juridique :
–– il s’agit d’entreprises de personnes fondées sur un projet collectif et une propriété
collective, à charge pour les sociétés commerciales se réclamant de l’ESS d’adapter
leurs statuts dans ce sens, comme pour les points suivants ;
–– la solidarité entre les membres ;
–– la gouvernance démocratique ;
–– l’impartageabilité de la propriété collective ;
–– l’indépendance vis-à-vis des pouvoirs publics ;
–– une non-lucrativité ou une lucrativité strictement encadrée et limitée.
Ces propositions vont fortement influencer le texte de loi, qui les reprendra très
largement. L’avis se prononce aussi contre la création d’un label « ESS » (pour un
secteur déjà largement doté, voire saturé, d’agréments divers, d’habilitations en tous
genres et de différents dispositifs de contrôle…) et recommande plutôt la générali-
sation de processus de transparence du type « Bilan sociétal » ou généralisation de
la révision coopérative. Cela deviendra le guide d’amélioration des bonnes pratiques
dans le texte de loi, pour les uns, et la généralisation de la révision, mais pour les
seules coopératives.
L’avis du CESE fait des propositions au gouvernement sur la reprise d’entreprises,
pas seulement en difficulté, mais aussi et surtout saines, par leurs salariés, sous
forme de SCOP, notamment dans le cas de transmission de l’entreprise par son
Des formes et statuts variables  ❮  55

propriétaire : droit d’information préalable, droit de reprise préférentiel, accompagne-


ment des projets de reprise, statut transitoire de SCOP d’amorçage, financement
spécifique par la BPI, utilisation de l’épargne salariale. Le gouvernement ne retiendra
qu’une partie de ces recommandations compte tenu des pressions hostiles sur le
sujet du patronat français, en particulier de l’artisanat. Plusieurs « détricotages » de
la loi ont été tentés par la suite dans le cadre d’autres projets législatifs, avec plus
ou moins de succès…
Concernant le développement local de l’ESS, le CESE fait plusieurs préconisations :
–– reconnaître, renforcer, simplifier et harmoniser le rôle des chambres régionales de
l’ESS (CRESS), en les centrant sur trois missions : soutenir le développement écono-
mique local de l’ESS, assurer des actions de promotion de l’ESS et de sensibilisation,
production de données statistiques… ;
–– par contre, le CESE n’est pas favorable à la transformation des CRESS en chambres
consulaires, encore moins de voir confier à l’outil de coordination des CRESS (le
CNCRES) un rôle de représentation politique au niveau national et européen, qui doit
plutôt être confié à une « Chambre française de l’ESS » librement constituée par ses
acteurs nationaux ;
–– le CESE recommande la présence des CRESS dans tous les CESER, dans le collège
des représentants de la vie collective ;
–– ces évolutions des CRESS doivent s’accompagner de la reconnaissance des syndi-
cats d’employeurs de l’ESS et du rôle premier des têtes de réseau, y compris au
niveau régional ;
–– le CESE incite les pouvoirs publics à encourager l’élaboration de schémas régionaux
de développement de l’ESS qui s’intégreraient dans les différents contrats de plan et
schémas régionaux existants ;
–– enfin, le CESE insiste sur la question récurrente du financement de l’ESS et sur la
nécessité de trouver des solutions stables et pérennes, notamment sur la sécurisation
juridique des subventions versées par les collectivités territoriales aux associations.
Un avis court (43 pages), mais concret, qui a été pris en compte dans l’élaboration
du projet de loi.

Jean-Marc Roirant, secrétaire général de la Ligue de l’enseignement, président de l’intergroupe


« ESS » du CESE (2010-2015).

Sans conteste, la loi n° 2014-856 du 31 juillet 2014 marque la reconnais-


sance juridique de l’économie sociale et solidaire. Du reste, cette loi débute
par une définition de l’économie sociale et solidaire. Selon le législateur,
il s’agit « d’un mode d’entreprendre et de développement économique
adapté à tous les domaines de l’activité humaine auquel adhèrent des
personnes morales de droit privé qui remplissent les conditions cumula-
tives suivantes » :
–  poursuivre un but autre que le seul partage des bénéfices. Ceux-ci doivent
être majoritairement consacrés à l’objectif de maintien ou de développement
de l’activité de l’entreprise (art. 1, I, 3°, a). Pour les sociétés commerciales,
56  ❯ ÉCONOMIE SOCIALE - LA SOLIDARITÉ AU DÉFI DE L’EFFICACITÉ

cette contrainte permet de limiter la spéculation sur le capital et les parts


sociales et de certifier ainsi la finalité sociale de l’entreprise 2 ;
–  assurer une gouvernance démocratique, prévoyant l’information et la
participation des associés, des salariés et des parties prenantes aux réalisa-
tions de l’entreprise, l’expression n’étant pas seulement liée à leur apport en
capital. Ceci consacre la notion d’un mode d’entreprendre démocratique ;
–  avoir une gestion orientée vers le développement de l’activité.
La réunion de ces conditions marque l’identité des entités qui composent
l’économie sociale et solidaire. Cet effort de définition, dont le mérite est
d’expliciter l’ADN de l’économie sociale et solidaire, s’est accompagné de
la mise en place ou du renforcement d’institutions qui confèrent à celle-
ci une véritable identité institutionnelle. Parmi ces institutions doit être
mentionné le Conseil supérieur de l’économie sociale et solidaire. Créé en
2010, il est chargé d’assurer la concertation avec les pouvoirs publics sur
des thématiques qui touchent à l’économie sociale et solidaire. La loi du
31 juillet 2014 l’érige en véritable organe de promotion et d’orientation des
évolutions de l’économie sociale et solidaire. D’autres structures contribuent
également à la représentation de l’ESS, à l’instar de la Chambre française
de l’économie sociale et solidaire, ou encore des chambres régionales de
l’économie sociale et solidaire. Toutes ces instances concourent à donner
une identité et une dynamique communes aux personnes morales de l’ESS,
jusqu’à faire apparaître un droit de l’économie sociale et solidaire. Car, à
travers l’adoption d’une définition unifiante et le renforcement d’instances
collectives d’organisation et de régulation de celle-ci, il s’agit bien de faire
émerger ce qui constitue l’unité des personnes morales de l’ESS.
Toutefois, cette recherche d’unité, voire de transversalité, ne saurait gommer
la spécificité de chaque type de personne morale de l’ESS. Traditionnellement,
quatre types de personnes morales constituent les traductions statutaires des
principes de l’économie sociale : les sociétés coopératives, les mutuelles, les
associations et les fondations. Grâce à la loi du 31 juillet 2014, le quartette
est devenu quintette. En font dorénavant partie des sociétés commerciales
devant répondre à des règles démontrant leur appartenance à l’ESS. Elles
sont appelées généralement « entreprises sociales ».
L’ensemble de ces statuts et de ces dispositifs peuvent être utilisés, suivant
leurs projets, par des individus en tant que salariés (sociétés coopératives
de production) ou en tant que consommateurs usagers (coopératives de
consommation, mutuelles d’assurance, mutuelles de santé, associations)
ou par des entrepreneurs (coopératives agricoles, de pêche, d’artisans,
de commerçants détaillants). Ces statuts d’économie sociale permettent

2 . V. Le guide « Ce que la loi ESS change pour vous », spéc. p. 4. : http ://mouves. org/Mouves2015/wp-
content/uploads/2014/09/Ce-que-la-loi-ESS-change-pour-vous-CNEI-Mouves-septembre-2014.
pdf.
Des formes et statuts variables  ❮  57

donc aussi bien à des personnes physiques qu’à des personnes morales de
se grouper. Les fondations elles-mêmes peuvent être créées par des per-
sonnes physiques et/ou morales suivant le statut choisi. Au-delà de ces
grandes catégories, certains statuts « dérivés » autorisent soit le groupement
d’acteurs, personnes physiques ou morales, de natures différentes (exemple
des sociétés coopératives d’intérêt collectif), soit le groupement de diffé-
rents types de personnes morales d’économie sociale (exemple des unions
d’économie sociale). L’économie sociale offre donc une large palette de
possibilités statutaires.
Il n’existe pas, pour autant, un Code de l’économie sociale, ces statuts étant
définis par une série de textes de lois et de réglementations, eux-mêmes
insérés dans différents codes (Code civil, Code de commerce, Code de la
mutualité, Code des assurances, Code rural et de la pêche maritime…).
Si certains statuts sont originaux (ceux des associations, des mutuelles ou
des coopératives agricoles), d’autres sont liés au Code de commerce (ceux
des SCOP, ou encore des coopératives d’entrepreneurs non salariés). La loi
historique de 1983 a créé, en tous les cas, un trait d’union entre ceux-ci.

L’entreprise de l’économie sociale et solidaire


Sources juridiques
Une des innovations majeures de la loi du 31 juillet 2014 réside dans la
reconnaissance légale d’une nouvelle catégorie d’entreprise, l’« entreprise
de l’économie sociale et solidaire ». Contrairement aux coopératives, l’en-
treprise sociale ne se distingue pas par ses statuts. Ainsi, en reconnaissant
l’entreprise sociale, la loi du 31 juillet 2014 consacre une définition dite
inclusive des entreprises de l’économie sociale et solidaire, rassemblant les
acteurs – il faut y insister – indépendamment de leurs statuts, autour de
principes fondamentaux. C’est ainsi que des « sociétés commerciales » – ce
sont les termes de la loi – peuvent désormais appartenir à l’ESS. Encore
faut-il que leur fonctionnement satisfasse un certain nombre de condi-
tions. Soulignons qu’un tel élargissement peut également être observé aux
États-Unis, où se développent les benefit corporations 3.

Les principes juridiques fondateurs


Pour être considérée comme une entreprise sociale, une société commer-
ciale doit, en sus des conditions d’appartenance à l’économie sociale et soli-
daire, rechercher une « utilité sociale », notion définie par la loi elle-même

3 . Bruno Dondero, « Vers la société-association ? », Bulletin Joly Sociétés, Paris, 1er janvier 2012, p. 1.
58  ❯ ÉCONOMIE SOCIALE - LA SOLIDARITÉ AU DÉFI DE L’EFFICACITÉ

(art. 2). Cette notion d’utilité sociale se trouve caractérisée si une des trois
conditions se trouve réunie :
–  l’objet de la société est d’apporter un soutien social ou sanitaire à des
personnes en situation de fragilité ;
–  l’objectif de l’entreprise est de lutter contre les exclusions et les inégalités
ou de contribuer à l’éducation et à la citoyenneté ;
–  l’entreprise concourt au développement durable, à la transition éner-
gétique ou à la solidarité internationale, sous réserve que son activité soit
liée à l’un des objectifs précédemment mentionnés.

Le régime juridique
Aux côtés des principes fondateurs applicables aux différentes structures,
le législateur a posé d’autres conditions pour les sociétés commerciales.
L’article 1er de la loi de 2014 ajoute les règles de gestion suivantes :
–  le prélèvement d’une fraction, définie par arrêté, au moins égale à 20 %
des bénéfices de l’exercice, affecté à la constitution d’une réserve statutaire
obligatoire, appelée « fonds de développement ». La réserve obligatoire est
impartageable et ne peut pas être distribuée ;
–  le prélèvement d’une fraction, définie par arrêté, au moins égale à 50 % des
bénéfices de l’exercice, affecté au report bénéficiaire ainsi qu’aux réserves obli-
gatoires. Les bénéfices sont diminués, le cas échéant, des pertes antérieures ;
–  l’interdiction pour la société commerciale d’amortir le capital ou de
procéder à sa réduction lorsque ce n’est pas motivé par des pertes, sauf si
cette opération assure la continuité de son activité.
Un décret en date du 13 juillet 2015 (D. 2015-858) est venu préciser les
mentions que doivent contenir les statuts des sociétés qui font publique-
ment état de leur qualité d’entreprise de l’économie sociale et solidaire :
« 1° Une définition de l’objet social de la société répondant à titre principal
à l’une au moins des trois conditions mentionnées à l’article 2 de la loi du
31 juillet 2014 précitée ;
2° Les stipulations relatives à la composition, au fonctionnement et aux
pouvoirs des organes de la société pour assurer sa gouvernance démocra-
tique, et notamment l’information et la participation des associés, dont
l’expression n’est pas seulement liée à leur apport en capital ou au montant
de leur participation, des salariés et des parties prenantes aux réalisations
de l’entreprise ;
3° L’affectation majoritaire des bénéfices à l’objectif de maintien ou de
développement de l’activité de la société ;
4° Le caractère impartageable et non distribuable des réserves obligatoires
constituées ;
5° La mise en œuvre des principes de gestion définis au c du 2° du II de
l’article 1er de la loi du 31 juillet 2014 précitée. »
Des formes et statuts variables  ❮  59

Si elles remplissent de telles conditions, les sociétés commerciales pourront


faire publiquement état de leur qualité d’entreprise de l’économie sociale
et solidaire. En définitive, elles seront immatriculées au registre du com-
merce et des sociétés avec la mention de cette qualité. Conformément
à ce que prévoit la loi ESS, chaque chambre régionale de l’économie
sociale et solidaire met à jour et publie, selon une fréquence au moins
annuelle, la liste des entreprises de l’économie sociale et solidaire dont le
siège social ou l’un des établissements est situé dans le ressort territorial
de cette chambre régionale. Pour être inscrit sur cette liste, les entreprises
de l’économie sociale et solidaire doivent faire parvenir certains éléments
mentionnés à l’article R. 123-222 du Code de commerce (les nom, nom
d’usage, prénoms, adresse légale, date et lieu de naissance des personnes
physiques ainsi que leur éventuelle cessation d’activité ; les raison ou déno-
mination sociale, sigle le cas échéant, forme juridique, qualité d’entreprise
de l’économie sociale et solidaire, numéro au répertoire national des asso-
ciations le cas échéant et siège social des personnes morales de droit privé).
Il est remarquable que, selon l’article 2 du décret du 22 décembre 2015
(D. 2015-1732), la transmission de documents qui peuvent paraître cru-
ciaux n’est pas obligatoire (la copie certifiée conforme des statuts en vigueur
et le récépissé de dépôt ; la copie de la déclaration en préfecture ; l’extrait
du registre du commerce et de sociétés ; le bilan, le compte de résultat et
l’annexe relatifs au dernier exercice comptable comprenant le cas échéant
les comptes consolidés).
Grâce à cette inclusion ainsi conditionnée, une société commerciale peut
en effet avoir accès à des financements spécifiques avantageux, notam-
ment par la Banque publique d’investissement. De plus, sous conditions,
les EESS à forte utilité sociale pourront bénéficier d’un agrément ESUS
(entreprises solidaires d’utilité sociale).

L’agrément « entreprise solidaire d’utilité sociale » (ESUS)


Défini à l’article L. 3332-17-1 du Code du travail, l’agrément « entre-
prise solidaire » est l’un des dispositifs qui concourt au développement
des entreprises de l’ESS.
L’article 11 de la loi du 31 juillet 2014 est venu le modifier. L’agrément
« entreprise solidaire » devient l’agrément « entreprise solidaire d’utilité
sociale » (ESUS). Comme l’ancien, l’agrément actuel ouvre droit à des
avantages fiscaux et à l’accès à un quota d’au moins 5 % et d’au plus 10 %
de l’encours des fonds d’épargne.
L’article L. 3332-17-1 II du Code du travail énonce les différents bénéfi-
ciaires de l’agrément. Tout d’abord, seules peuvent prétendre à l’agrément
les entreprises qui relèvent de l’article 1er de la loi du 31 juillet 2014, à savoir
les entreprises de l’économie sociale et solidaire. Ensuite, certains organismes
en bénéficient de plein droit. Il s’agit des structures conventionnées avec
60  ❯ ÉCONOMIE SOCIALE - LA SOLIDARITÉ AU DÉFI DE L’EFFICACITÉ

l’État pour leur utilité sociale (service de l’aide sociale à l’enfance, associa-
tions intermédiaires, centres d’hébergement et de réinsertion sociale, etc.).
Enfin, les autres entreprises doivent remplir des conditions cumulatives 4 :
–  l’entreprise doit poursuivre comme objectif principal la recherche d’uti-
lité sociale ;
–  la charge induite par son objectif d’utilité sociale doit avoir un impact
significatif sur le compte de résultat ou la rentabilité financière de l’entre-
prise ;
–  la rémunération des salariés et des dirigeants est limitée : les cinq salaires
les plus élevés ne dépassent pas sept fois le SMIC ou le salaire minimum
de branche et le salaire le plus élevé n’excède pas dix fois le SMIC ou le
salaire minimum de branche ;
–  les titres de capital des entreprises ne sont pas admis aux négociations
sur un marché réglementé.
En définitive, l’agrément n’est pas donné à toutes les structures apparte-
nant à l’ESS. Il permet d’identifier les entreprises de l’ESS qui, en raison
de leur forte utilité sociale, pourraient bénéficier de certains dispositifs de
soutien, comme l’épargne solidaire.
Les entreprises qui bénéficient, à la date d’entrée en vigueur de la loi du
31 juillet 2014, de l’ancien agrément « entreprise solidaire » sont réputées
bénéficier du nouvel agrément ESUS pour la durée restante de validité de
l’agrément lorsque celle-ci dépasse deux ans, ou pour deux ans si celle-ci
est inférieure (loi n° 2014-856, art. 97).

Les sociétés coopératives


Sources juridiques
À la variété des statuts de société coopérative correspond une diversité de
sources juridiques qui régissent aujourd’hui le secteur coopératif. Peuvent
être distingués quatre types de sources.
Tout d’abord, au cœur du dispositif se trouve la loi n° 47-1775 du 10 sep-
tembre 1947 portant statut de la coopération, profondément modifiée par
la loi n° 92-643 du 13 juillet 1992 relative à la modernisation des entre-
prises coopératives et par la loi n° 2014-856 du 31 juillet 2014 relative
à l’économie sociale et solidaire. Ce texte fondateur et central définit les
principes fondamentaux du fonctionnement des sociétés coopératives et a
vocation à s’appliquer lorsqu’il n’existe aucune disposition spéciale, propre
à certains secteurs coopératifs.

4 . L’article 1er du décret du 23 juin 2015 précise de quelle manière doivent être appréciées ces condi-
tions (D. n° 2015-719).
Des formes et statuts variables  ❮  61

Le deuxième corps de règles est précisément un ensemble de lois spé-


cifiques, ou encore particulières, qui régissent les différentes variétés de
sociétés coopératives : les coopératives de consommateurs, les coopératives
de construction et d’habitation, les coopératives de production, les coo-
pératives d’entrepreneurs, ou encore les coopératives de main-d’œuvre et
les coopératives de médecins, etc. 5.
En troisième lieu ont vocation à s’appliquer certaines dispositions du droit
commun des sociétés, car les coopératives ont la nature de société civile ou
commerciale. La loi portant statut de la coopération n’a d’ailleurs pas pré-
cisé la forme juridique que devaient adopter les sociétés coopératives. Aussi,
à défaut de spécifications apportées par les lois particulières, une société
coopérative peut-elle adopter la forme de société civile ou commerciale, à
capital fixe ou variable. Certaines lois spécifiques imposent toutefois une
forme juridique déterminée. L’article 3 de la loi n° 78-763 du 19 juillet
1978 dispose qu’une société coopérative ouvrière de production (SCOP)
est une société à capital variable constituée sous forme de SA ou de SARL.
Conformément à la loi n° 83-657 du 20 juillet 1983, il en va de même
pour les coopératives artisanales, maritimes et de transports. Autre exemple,
plus récent : la loi n° 2001-624 du 17 juillet 2001 précise que « les sociétés
coopératives d’intérêt collectif sont des sociétés anonymes ou des sociétés à
responsabilité limitée à capital variable régies, sous réserve des dispositions
de la présente loi, par le Code de commerce » (art. 19 quinquies de la loi
du 10 septembre 1947 introduit par l’art. 36 de la loi du 17 juillet 2001).
En définitive, les coopératives revêtent des formes juridiques prévues par
le Code de commerce, à l’exception de la coopérative agricole, qui relève
d’un statut sui generis prévu par la loi n° 72-516 du 27 juin 1972. Son
article 3 dispose qu’elle n’est ni une société commerciale, ni une société
civile, mais une « société de personnes » à capital variable. Ainsi la coopé-
rative agricole n’est-elle pas soumise au Code de commerce.
Enfin, on doit évoquer, pour les sociétés coopératives constituées en société
anonyme qui adoptent la variabilité du capital social, le titre III de la loi
du 24 juillet 1867 sur les sociétés commerciales.
L’existence de quatre sources législatives rend délicate la question de leur
combinaison, notamment en cas de dispositions contradictoires. Aussi le
législateur a-t-il organisé et simplifié l’articulation du statut général et des
lois particulières. Selon l’article 2 de la loi du 10 septembre 1947 modifié
par la loi n° 92-643 du 13 juillet 1992, « les coopératives sont régies par [le
statut général] sous réserve des lois particulières à chaque catégorie d’entre
elles ». Ces lois particulières ont donc la primauté sur le statut général.

5 . Pour une liste exhaustive des différents types de coopératives et des lois qui régissent leurs statuts,
voir le Rapport 2007 du Conseil supérieur de la coopération.
62  ❯ ÉCONOMIE SOCIALE - LA SOLIDARITÉ AU DÉFI DE L’EFFICACITÉ

Les dispositions propres au droit coopératif ont la primauté sur les règles
générales du droit des sociétés.

Les principes juridiques fondateurs


L’article 1er de la loi du 10 septembre 1947, largement modifié par la loi
du 31 juillet 2014, donne une définition des sociétés coopératives, au-delà
de la diversité des statuts. La coopérative est définie comme « une société
constituée par plusieurs personnes volontairement réunies en vue de satis-
faire à leurs besoins économiques ou sociaux par leur effort commun et la
mise en place des moyens nécessaires. Elle exerce son activité dans toutes
les branches de l’activité humaine et respecte les principes suivants : une
adhésion volontaire et ouverte à tous, une gouvernance démocratique, la
participation économique de ses membres, la formation desdits membres
et la coopération avec les autres coopératives ». Cette énumération est com-
plétée par la règle « une personne, une voix », limitée aux associés coopéra-
teurs, et par celle de la mise en réserve prioritaire. Cette définition met en
lumière, parmi les principes historiques, les deux principes qui structurent
le fonctionnement des coopératives et permettent de les différencier des
sociétés commerciales dites « capitalistes ».
Le premier est le principe de la double appartenance, selon lequel les
membres de la coopérative ont à la fois la qualité d’associé et d’usager.
Autrement dit, l’associé d’une coopérative, qu’il s’agisse d’une personne
morale ou d’une personne physique, est également le bénéficiaire des
services produits par la société. Ainsi, en même temps qu’il participe à
la constitution du capital, l’associé coopérateur souscrit un engagement
d’activité qui fait de lui le client, le fournisseur ou encore le salarié de celle-
ci. Les déclinaisons de ce principe dans les règles de fonctionnement sont
nombreuses. Traditionnellement, la répartition des (éventuels) excédents
se fait, non pas au prorata des parts détenues, mais en fonction du travail
qui a été fourni. À défaut de répartition des excédents, ceux-ci sont mis en
réserve et ne peuvent faire l’objet d’une attribution individuelle.
Le second principe fondateur est celui de la gestion démocratique.
Conformément à l’article 4 de la loi de 1947, « les associés d’une coopé-
rative disposent de droits égaux dans sa gestion et il ne peut être établi
entre eux de discrimination suivant la date de leur adhésion ». L’égalité
s’accomplit dans la règle un homme = une voix. Chaque associé dispose
donc d’une voix à l’assemblée générale, quel que soit le nombre de parts
qu’il détienne.
Ces deux principes constituent l’ossature du fonctionnement des sociétés
coopératives. Toutefois, le législateur autorise des exceptions dans le but,
notamment, de permettre aux sociétés coopératives d’attirer de nouveaux
investisseurs. La première entorse au principe de double appartenance
réside dans la possibilité d’ouvrir la société coopérative, conformément à
Des formes et statuts variables  ❮  63

ses statuts, à des coopérateurs non associés ou à des associés non coopéra-
teurs. Ces derniers peuvent être admis en tant qu’associés sans qu’ils aient
vocation à recourir au service de la coopérative. Introduite par la loi du
13 juillet 1992, cette possibilité vise à faciliter l’apport de capitaux dans le
secteur coopératif. La loi n° 2014-856 a modifié l’article 3 bis de la loi de
1992 (n° 2014-856, art. 24) : est fixée à 49 % la part maximale du total
des droits de vote détenus par l’ensemble des associés non coopérateurs,
sans que les droits des associés qui ne sont pas des sociétés coopératives
puissent excéder la limite de 35 %. De plus, les statuts peuvent prévoir que
ces associés non coopérateurs ou certaines catégories d’entre eux disposent
ensemble d’un nombre de voix proportionnel au capital qu’ils détiennent.
La seconde entorse au principe de double appartenance réside dans la
faculté d’« émission par la coopérative de parts sociales qui confèrent à leurs
détenteurs des avantages particuliers », ce qui altère le principe d’égalité des
associés. Les statuts de la société coopérative « déterminent les avantages
attachés à ces parts, dans le respect des principes coopératifs ». Afin d’intro-
duire davantage de souplesse dans le fonctionnement de la coopérative,
« les parts à intérêt prioritaire sans droit de vote » sont susceptibles d’être
souscrites ou acquises par des associés non coopérateurs pour attirer des
investisseurs extérieurs. Toujours dans le même sens, la loi du 31 juillet
2014 permet l’ouverture du capital d’une SCOP à des associés extérieurs
– les associés non coopérateurs – pendant une période limitée à sept ans,
en vue de faciliter la reprise ultérieure par les salariés de l’entreprise. Il
s’agit du « dispositif d’amorçage » étudié ci-après.
Par ailleurs, les coopératives peuvent émettre des titres participatifs (cf.
tableau 1).
Symboliquement, la loi du 31 juillet 2014 (art. 24) a modifié l’article 1er
de la loi n° 47-1775 du 10 septembre 1947 pour y regrouper plusieurs
principes coopératifs. Toujours en matière de fonctionnement des coopé-
ratives, le législateur de 2014 a généralisé la « révision coopérative », jusqu’à
présent imposée à certaines coopératives, comme les coopératives artisanales
(loi n° 2014-856, art. 25). Désormais, les sociétés coopératives et leurs
unions dont l’activité dépasse des seuils fixés par décret ont l’obligation
de se soumettre tous les cinq ans à un contrôle par un réviseur agréé. Ce
contrôle est destiné à vérifier la conformité de leur organisation et de leur
fonctionnement aux principes et aux règles de la coopération ainsi qu’à
l’intérêt des adhérents.

Le régime juridique des coopératives


Il existe plusieurs régimes juridiques selon le type de coopérative. Le choix
a été de présenter, dans un tableau synthétique, le régime de quelques
types de sociétés coopératives. Méritent ainsi d’être distinguées les sociétés
coopératives de production (SCOP), les sociétés coopératives d’usagers
64  ❯ ÉCONOMIE SOCIALE - LA SOLIDARITÉ AU DÉFI DE L’EFFICACITÉ

et les sociétés coopératives d’entrepreneurs. À l’intérieur de chacune de


ces grandes familles, il existe plusieurs sortes de sociétés coopératives.
Par exemple, les sociétés coopératives de transport routier ou fluvial, les
sociétés coopératives maritimes, les sociétés coopératives artisanales sont
toutes des coopératives d’entrepreneurs. Leur régime juridique obéit à des
règles communes, mais il se différencie sur certains points. En définitive,
il y a autant de régimes juridiques que de types de coopératives. Un tel
foisonnement exclut toute présentation exhaustive. Aussi, par souci de
clarté, seul un type de société coopérative par famille, celui qui est le plus
communément répandu, est-il présenté. En outre, le régime juridique de
trois autres types de société coopérative, qui revêt une certaine originalité,
est mis à plat : la société coopérative d’intérêt collectif, dont la spécificité
réside dans la mixité de ses membres (entrepreneurs, salariés, usagers ou
bénévoles) ; la coopérative agricole, qui relève d’un régime juridique sui
generis ; enfin, les unions d’économie sociale, qui ont pour objet d’orga-
niser la mise en réseau des sociétés coopératives. À ce panorama s’ajoutent
les banques coopératives, dont le fonctionnement repose sur un arsenal
juridique original et très abondant 6 qui rend ces sociétés difficilement
comparables aux autres coopératives.

6 . À titre d’exemple, depuis 1938, l’organisation et le fonctionnement de la Caisse centrale de crédit
coopératif ont occasionné deux lois et huit interventions du pouvoir réglementaire.
Tableau 1. Tableau comparatif du régime juridique des sociétés coopératives

Société coopérative de Coopérative d’activité Société coopérative Société coopérative Société coopérative Coopérative Unions d’économie
production et d’emploi d’usagers d’entrepreneurs d’intérêt collectif agricole sociale
Coopérative de
Exemple Coopératives artisanales
consommation
Mettre en œuvre des
activités susceptibles de
Vendre aux adhérents
contribuer, directement Gestion des intérêts
Appui à la création des objets de
ou indirectement, au communs des associés et
Les SCOP peuvent et au développement consommation que la « Utilisation en commun
développement des développement de leurs
exercer toutes activités d’activités économiques coopérative achète ou par des agriculteurs de
activités des associés. activités.
professionnelles, dans par des entrepreneurs fabrique elle-même, ou Fourniture de biens et tous moyens propres à
Développer l’exercice en
la limite des restrictions personnes physiques. en s’unissant à d’autres de services d’intérêt faciliter ou à développer
commun des activités Nouvelle union du
imposées aux sociétés Mise en œuvre d’un coopératives. collectif, qui présentent leur activité économique,
Objet (art. 1, loi de 1983). livre III du Code de la
commerciales. accompagnement Distribuer les bénéfices un caractère d’utilité à améliorer ou à
Nouvelle mission mutualité (art. 55 et 56,
SCOP administrée et individualisé des entre les associés ou sociale (art. 19 accroître les résultats
autorisée pour loi de 2014) : création
gérée par les salariés personnes physiques et affecter une partie quinquies, loi de 1947) de cette activité » (art.
les coopératives d’une union pour
qui sont les coopérateurs des services mutualisés de ces derniers à des L. 521-1 du Code rural et
artisanales : mettre en faciliter et développer
(art. 1, loi de 1978). (art. 26-41, loi du œuvres de solidarité de la pêche maritime)
œuvre des politiques des activités sanitaires,
10 sept. 1947, mod.). sociale (art. 1, loi du
commerciales communes sociales et culturelles.
7 mai 1917)
(art. 44, loi du 31 juillet
2014)
Loi no 78-763 du
19 juillet 1978 Loi du 7 mai 1917 Loi no 83-657 du Loi no 2001-624 du
Articles L. 521-1 et s. du
Loi no 47-1775 du Loi du 24 juillet 1867 20 juillet 1983 17 juillet 2001 Loi no 47-1775 du
Code rural et de la pêche
10 septembre 1947 Loi no 47-1775 du Loi no 47-1775 du Loi no 47-1775 du Loi no 47-1775 du 10 septembre 1947
Sources maritime
Loi no 2014-856 du 10 septembre 1947 10 septembre 1947 10 septembre 1947 10 septembre 1947 (notamment art. 19 bis
juridiques Loi no 47-1775 du
31 juillet 2014 Loi no 2014-856 du Loi no 2014-856 du Loi no 2014-856 du Loi no 2014-856 du et s.).
spécifiques 10 septembre 1947
Articles du Code de 31 juillet 2014 31 juillet 2014 31 juillet 2014 31 juillet 2014 Loi no 2014-856 du
Loi no 2014-856 du
commerce relatifs aux Droit commun des Droit commun des Droit commun des 31 juillet 2014
31 juillet 2014
SA et SARL, et à la sociétés sociétés sociétés
variabilité du capital.
Société sui generis,
distincte des sociétés
Société civile (sauf si Société coopérative.
civiles et commerciales.
SA ou SARL à capital la coopérative vend Société commerciale, Société commerciale, Pas de forme imposée :
Personnalité morale
variable (art. 3, loi de SCOP (v. colonne des objets à des SARL ou SA à capital SARL ou SA à capital société en nom
Des formes et statuts variables 

Statut en pleine capacité


1978) ou SAS (art. 31, loi précédente) non-sociétaires) ou variable (art. 3, loi de variable (art. 19 collectif, ou société en
à compter de
du 31 juillet 2014). commerciale (surtout SA) 1983). quinquies loi de 1947) commandite simple ou
l’immatriculation au
à capital variable. SARL ou SA.
registre du commerce et
des sociétés.
❮  65

Porteurs Organisme, personne


Entrepreneurs salariés Entrepreneurs salariés Entrepreneurs salariés,
du Consommateurs associés Associés artisans Associés coopérateurs physique ou morale,
coopératifs. associés d’une CAE. usagers ou bénévoles
projet d’économie sociale.
Société coopérative de Coopérative d’activité Société coopérative Société coopérative Société coopérative Coopérative Unions d’économie
production et d’emploi d’usagers d’entrepreneurs d’intérêt collectif agricole sociale
Multi sociétariat :
salariés de la
coopérative, Sociétés coopératives,
bénéficiaires ; personnes Mutuelles régies par le
physiques souhaitant Code de la mutualité,
Artisans associés,
participer bénévolement Organismes de mutualité
Salariés de l’entreprise. personnes physiques
Consommateurs à l’activité ; collectivités agricole, Sociétés
Investisseurs non ou morales, inscrits au
associés. publiques ; toute d’assurances mutuelles,
salariés (associé répertoire des métiers,
Consommateurs personne physique ou Associations déclarées
Principaux extérieur) (art. 5, loi artisans établis sur le
Entrepreneur-salarié adhérents, qui n’ont morale contribuant Agriculteurs ou forestiers à but non lucratif,
associés de 1978). Ces derniers territoire de l’UE ou
pas souscrit de parts à l’activité de la Personne physique.
peuvent détenir au appartenant à l’EEE (art.
sociales. coopérative (art. 19
maximum 35 % des 6 1°, loi de 1983).
septies, loi de 1947). Au moins 65 % des
droits de vote. Associés non
La SCIC comprend au associés doivent être
coopérateurs (art. 6 4o).
moins trois catégories des personnes morales
d’associés, dont mentionnées ci-dessus
obligatoirement (art 19 bis, loi de 1947).
les salariés et les
bénéficiaires.
Au moins 7 membres,
SARL : de 2 à 100 SARL : 2 à 100 Société civile : SARL : de 2 à 100
sauf pour les
Nombre SA : 7 minimum, SA : 7 minimum, au moins 2. SA : 7 minimum, aucun En fonction de la base
coopératives de mise
d’associés aucun maximum aucun maximum SA : 7 minimum, maximum (art. 7, loi juridique choisie.
en commun de matériel
SAS : 1 minimum SAS : 1 minimum aucun maximum 1983).
agricole (minimum 4).
66  ❯ ÉCONOMIE SOCIALE - LA SOLIDARITÉ AU DÉFI DE L’EFFICACITÉ

En numéraire ou en
nature
En numéraire En numéraire En numéraire Le plafond de
En numéraire En numéraire
Apports ou en nature (art. 6, ou en nature (art.6, ou en nature (art. 11, participation des En numéraire
ou en nature. ou en nature
loi de 1978) loi de 1978) loi de 1983) personnes publiques est
porté à 50 % par la loi de
2014 (art. 33).
Oui
Possibilité pour des
tiers non associés de
souscrire des parts à
Oui Oui Oui Possibilité d’apports Oui
intérêt prioritaire sans
Possibilité pour des Possibilité pour des Possibilité pour des d’associés non- Possibilité pour des
droit de vote (art.11 bis,
Apports de tiers non associés de tiers non associés de tiers non associés de coopérateurs (L. 522- tiers non associés de
loi de 1947)
capitaux Oui souscrire des parts à souscrire des parts à souscrire des parts à 3), à condition que les souscrire des parts à
Dispositif d’amorçage :
extérieurs intérêt prioritaire sans intérêt prioritaire sans intérêt prioritaire sans coopérateurs détiennent intérêt prioritaire sans
est autorisée, dans
droit de vote (art.11 bis, droit de vote (art.11 bis, droit de vote (art.11 bis, la majorité des capitaux droit de vote (art.11 bis,
la limite de 7 ans, la
loi de 1947) loi de 1947) loi de 1947) (art. L. 522-2-1). loi de 1947)
détention de plus de
la moitié du capital
par des associés non
coopérateurs.
Société coopérative de Coopérative d’activité Société coopérative Société coopérative Société coopérative Coopérative Unions d’économie
production et d’emploi d’usagers d’entrepreneurs d’intérêt collectif agricole sociale
Coopérative à forme
Aucune limitation du
SARL : aucun montant civile : pas de capital
SARL : aucun montant SARL : aucun montant capital initial, ni aucun En fonction de la
minimum minimum (sauf si appel
Montant minimum minimum minimum exigé. base juridique choisie
public à l’épargne) SARL : 1 euro.
du capital SA : 18 500 euros. SA : 18 500 euros En cas d’appel public à (SARL : aucun montant
SA : 18 500 euros. Coopérative à forme SA : 18 500 euros.
social SAS : aucun montant (112 500 euros si appel à l’épargne, le minimum minimum ; SA : 18 500
SAS : aucun montant anonyme : 18 500 euros
minimum l’épargne publique). est de 37 000 euros (art. euros)
minimum (sauf si appel public à
L. 523-9)
l’épargne, 112 500 euros)
Limitée aux apports. La
coopérative d’activité et Coopérative à forme Limitée aux apports
d’emploi est responsable civile : illimitée à sauf clause d’extension La responsabilité de
Responsa- des engagements pris proportion des parts de responsabilité, dans chaque coopérateur
En fonction de la base
bilité des Limitée aux apports vis-à-vis des tiers dans dans le capital social. la limite de trois fois Limitée aux apports est limitée au double
juridique choisie.
associés le cadre de l’activité Pour une société à forme le montant des parts du montant des parts
économique développée anonyme : responsabilité sociales détenues (art. souscrites (art. L. 526-1)
par l’entrepreneur salarié limitée aux apports. 13, loi 1983).
associé. 
Un coopérateur = une
voix à l’assemblée Un coopérateur = une
Un coopérateur = une
Un sociétaire = une voix Un sociétaire = une voix générale. voix.
voix
Les investisseurs Les investisseurs Un coopérateur = une Possibilité de répartir Possibilité de pondérer
Droit Cette règle vaut pour
salariés peuvent détenir salariés peuvent détenir voix. les associés selon des les voix en fonction
de vote tous les associés
au maximum 35 % des au maximum 35 % des collèges, disposant alors de l’engagement des
(coopérateurs ou non)
voix voix d’un nombre égal de voix coopérateurs (art.
à l’AG (art. 19 octies de L. 524-4)
la loi de 1947).
Démocratie :
Pouvoir des Possibilité d’avoir
Oui Oui Oui Éventuellement Oui des associés non- Non
salariés
coopérateurs ou
Pouvoir des
Non Non Oui Oui institutions financières ; Oui
usagers maximum de 20 % des
Pouvoir des Oui (dans la limite Oui (dans la limite voix en AG. (art. L. 522-3)
Éventuellement Oui Éventuellement
partenaires indiquée ci-dessus) indiquée ci-dessus)
Les statuts peuvent
attribuer à chaque
Des formes et statuts variables 

associé un nombre
Chaque salarié est Chaque salarié est Droits égaux. Pas de de voix au plus
Organisation porteur de parts sociales porteur de parts sociales discrimination quel que proportionnel
du pouvoir Tout nouvel associé peut Tout nouvel associé peut soit le capital détenu par selon le nombre de
devenir co-entrepreneur. devenir co-entrepreneur. les associés leurs adhérents ou
❮  67

l’importance des affaires


effectuées à l’union
(art. 19 bis, loi 1947).
Société coopérative de Coopérative d’activité Société coopérative Société coopérative Société coopérative Coopérative Unions d’économie
production et d’emploi d’usagers d’entrepreneurs d’intérêt collectif agricole sociale
Délégués nommés et
SARL : gérance SARL : gérance
révocables par l’AG des
SARL : gérance, sous
sociétaires (art. 7, loi du
SA : conseil SA : conseil contrôle d’un conseil de
7 mai 1917). Alternative (art. 524-1).
d’administration d’administration surveillance si plus de SARL : gérance.
Administra- Pour la coopérative à Conseil d’administration
ou directoire sous ou directoire sous 20 associés et moins de
tion forme civile : gérance. élu par l’AG des associés Selon la forme juridique
contrôle d’un conseil de contrôle d’un conseil de 3 gérants (art. 19, loi de SA : CA ou directoire
des groupe- Pour la coopérative à ou Directoire sous choisie
surveillance (art. 16 et surveillance (art. 16 et 1983). sous le contrôle d’un
ments forme anonyme : CA dont contrôle d’un conseil de
1er, loi de 1978). 1er, loi de 1978). SA : CA ou directoire conseil de surveillance.
les membres sont choisis surveillance.
SAS : présidence SAS : présidence sous le contrôle d’un
parmi les associés sous
conseil d’administration conseil d’administration conseil de surveillance.
le contrôle d’un conseil
éventuel éventuel
de surveillance.
Dévolution
de l’actif Oui : œuvre d’intérêt
à l’œuvre Oui Oui Oui Oui Oui général agricole ou Oui
d’intérêt coopérative.
général
Accès aux
marchés Oui Oui Oui Oui Oui (art. L. 551-2)
68  ❯ ÉCONOMIE SOCIALE - LA SOLIDARITÉ AU DÉFI DE L’EFFICACITÉ

publics
Mise en réserve. Mise en réserve ;
Les intérêts aux parts Les intérêts aux parts
Mise en réserve
sociales ne peuvent sociales ne peuvent 15 % minimum affectés
Intérêts aux parts Intérêt aux parts sociales
excéder le total des excéder le total des à la constitution
sociales dans la dans la limite du taux Depuis 1992, les parts
dotations aux réserves, dotations aux réserves, d’un compte spécial
limite du taux moyen moyen de rendement des sociales peuvent recevoir Si les statuts le
ni les sommes allouées ni les sommes allouées indisponible
Affectation de rendement des obligations des sociétés un intérêt limité au taux prévoient, limitation de
aux salariés au prorata aux salariés au prorata Intérêt aux parts sociales
des résultats obligations des sociétés privées (les subventions moyen de rendement des l’intérêt servi aux parts
de leur engagement (min. de leur engagement (min. Ristourne au prorata des
privées. perçues ne peuvent obligations des sociétés sociales.
25 % des résultats). Le 25 % des résultats). Le opérations effectuées
Versement à des œuvres être redistribuées aux privées.
plafond prévu à l’article plafond prévu à l’article par les associés (art. 23,
de solidarité sociale. associés)
14 de la loi de 1947 n’est 14 de la loi de 1947 n’est loi de 1983)
Ristourne
pas applicable (art 33, loi pas applicable (art 33, loi
de 1978). de 1978).
Société coopérative de Coopérative d’activité Société coopérative Société coopérative Société coopérative Coopérative Unions d’économie
production et d’emploi d’usagers d’entrepreneurs d’intérêt collectif agricole sociale
1 5 % affectés à la 15 % affectés à la
réserve légale (loi réserve légale (loi
1947) ; une fraction 1947) ; une fraction
affectée à une réserve affectée à une réserve
15 % minimum affectés
statutaire impartageable statutaire impartageable
à la réserve légale (art.
dite « fonds de dite « fonds de
16 al. 2, loi de 1947) et
développement » (art. 33, développement » (art. 33, 15 % affectés à la
Réserves/ 50 % minimum du solde
loi de 1978). loi de 1978). constitution de la réserve Obligatoires Obligatoires Obligatoires
Provisions versés à une réserve
La loi de 2014 autorise La loi de 2014 autorise légale (loi de 1947)
statutaire impartageable
l’utilisation des réserves l’utilisation des réserves
(art. 19 nonies, loi de
pour racheter les parts pour racheter les parts
1947)
sociales souscrites sociales souscrites
par des associés non par des associés non
coopérateurs (décision coopérateurs (décision
en AG), art. 27 de la loi. en AG), art. 27 de la loi.
Réserves
imparta-
Oui Oui Oui Oui Oui Oui Oui
geables
Capital social.
Capital social. Capital social.
Capital social. Réserves impartageables
Réserves Réserves Capital social.
Réserves (légale et statutaire).
impartageables. impartageables. Réserves
impartageables. Subventions des
Subventions. Subventions. impartageables.
Subventions. collectivités territoriales
Ressources Possibilité d’augmenter Possibilité d’augmenter Possibilité d’augmenter
Possibilité d’augmenter (art. 19 decies, loi de
le capital social en le capital social en le capital social en
le capital social en 1947)
intégrant de nouveaux intégrant de nouveaux intégrant de nouveaux
intégrant de nouveaux Possibilité d’augmenter le
associés (art. 36, loi de associés (art. 36, loi de associés
associés capital social en intégrant
1978) 1978)
de nouveaux associés
Nominatives (art. 21, loi Nominatives (art. 21, loi
de 1978) de 1978)
Nominatives indivisibles
Forme des Possibilité d’émettre des Possibilité d’émettre des
Nominatives (art. 11, loi Nominatives et transmissibles sous
parts parts sociales souscrites parts sociales souscrites Nominatives
du 10 septembre 1947). (art. 11, loi de 1983) conditions.
sociales exclusivement par les exclusivement par les
salariés (art. 35, loi de salariés (art. 35, loi de
1978) 1978)
Titres participatifs (art.
Des formes et statuts variables 

283-6 et 283-7, loi du


Titres
Oui (art.228-36). Oui (art.228-36). Oui (art.228-36). Oui (art.228-36). Oui (art.228-36). 24 juillet 1966)
participatifs
Possibilité d’émettre des
obligations (art. 285)
Certificats Autorisés, sauf Autorisés, sauf Autorisés, sauf Autorisés, sauf Autorisés, sauf Autorisés, sauf Autorisés, sauf
❮  69

coopératifs dispositions particulières dispositions particulières dispositions particulières dispositions particulières dispositions particulières dispositions particulières dispositions particulières
d’investisse- (art.19 et s., (art.19 et s., (art.19 et s., (art.19 et s., (art.19 et s., (art.19 et s., (art.19 et s.,
ment loi no 87-416) loi no 87-416) loi no 87-416) loi no 87-416) loi no 87-416) loi no 87-416) loi no 87-416)
Société coopérative de Coopérative d’activité Société coopérative Société coopérative Société coopérative Coopérative Unions d’économie
production et d’emploi d’usagers d’entrepreneurs d’intérêt collectif agricole sociale
Fiscalité dérogatoire
Non assujettie à la limitée à une
cotisation foncière si Fiscalité dérogatoire : exonération d’IS sur les
50 % au moins du capital exonération de l’impôt opérations effectuées
Possibilité de déduction
appartiennent aux sur les sociétés sauf avec les adhérents,
du résultat fiscal, de la Droit commun (sous
associés salariés. pour les opérations Pas de fiscalité ou avec des tiers
Fiscalité réserve de participation réserve des ristournes
Possibilité de déduction effectuées avec les tiers dérogatoire lorsqu’elles relèvent
et de la provision pour réparties entre associés)
du résultat fiscal, de la non associés (art. 25, loi de la simple gestion de
investissement.
réserve de participation de 1983). trésorerie courante.
et de la provision pour Exonération possible de
investissement. la cotisation foncière des
entreprises.
Art. L. 526-2 : si excédent
de l’actif net sur le
capital social augmenté,
le cas échéant, dans les
conditions définies à
l’article L. 523-1,
a) La fraction de cet actif
net représentative des
réserves indisponibles
est attribuée soit à des
70  ❯ ÉCONOMIE SOCIALE - LA SOLIDARITÉ AU DÉFI DE L’EFFICACITÉ

établissements ou œuvres
Dévolution du boni Dévolution du boni Dévolution du boni Dévolution du boni d’intérêt général agricole
de liquidation soit à de liquidation soit à de liquidation soit à de liquidation soit à Dévolution du boni à avec l’assentiment de
d’autres coopératives, d’autres coopératives, d’autres coopératives, d’autres coopératives, une association, une l’autorité administrative,
Dissolution
soit à des œuvres soit à des œuvres soit à des œuvres soit à des œuvres coopérative ou une des collectivités publiques
d’intérêt général (art. 19 d’intérêt général (art. 19 d’intérêt général (art. 19 d’intérêt général (art. 19 collectivité publique. ou des établissements
loi de 1947). loi de 1947). loi de 1947). loi de 1947). publics donateurs lorsque
cette fraction a résulté
de leurs libéralités, soit
à d’autres coopératives
agricoles ou unions ;
b) Le surplus de cet actif
net peut être réparti entre
les associés coopérateurs
avec l’assentiment de
l’autorité administrative
et suivant les modalités
prévues aux statuts
Des formes et statuts variables  ❮  71

Les mutuelles
Deux types de mutuelles méritent d’être distingués : les mutuelles de santé
et les mutuelles d’assurance. Chacune d’elles est régie par des dispositifs
juridiques spécifiques. Elles ont toutefois en commun leur spécificité
mutualiste, ce qui pourrait justifier l’adoption prochaine d’un corpus
juridique – un code – qui leur serait commun.

Les mutuelles de santé

Les sources juridiques


Elles sont régies par le Code de la mutualité, profondément rénové, d’abord
par une loi du 25 juillet 1985, puis par l’ordonnance du 19 avril 2001.
La loi du 31 juillet 2014 y a également introduit des modifications. Leur
spécificité mutualiste, fondée sur un lien fort avec leurs adhérents, avait
donné à penser qu’elles n’étaient pas concernées par les directives euro-
péennes d’assurance, en particulier la directive 92/96/CEE du Conseil du
10 novembre 1992. Pourtant, un arrêt rendu le 16 décembre 1999 par la
Cour de justice des Communautés européennes a condamné la France pour
manquement à ses obligations. L’application aux mutuelles de certaines
directives européennes de 1992 a ainsi été effectuée par une ordonnance
du 19 avril 2001 et le Code de la mutualité a été révisé en conséquence.

Définition et objet des mutuelles de santé


L’article L. 111-1 du Code de la mutualité définit les mutuelles comme
« des personnes morales de droit privé à but non lucratif ». « Elles mènent,
notamment au moyen des cotisations versées par leurs membres, et dans
l’intérêt de ces derniers et de leurs ayants droit, une action de prévoyance,
de solidarité et d’entraide ». Elles agissent dans le but de contribuer à leur
« développement culturel, moral, intellectuel et physique » et « à l’amélio-
ration de leurs conditions de vie ». Les statuts définissent l’objet social de
la mutuelle (art. L. 111-1). Elle peut avoir pour objet :
–  de réaliser des opérations d’assurance destinées à couvrir les dommages
corporels liés à des accidents ou à la maladie ; réaliser des opérations de
protection juridique et d’assistance aux personnes ; couvrir le risque de
perte de revenus lié au chômage ;
–  d’assurer la prévention des risques de dommages corporels ainsi que la
protection de la maternité, de l’enfance, de la famille, des personnes âgées,
dépendantes et handicapées ;
–  de mettre en œuvre une action sociale ou de gérer des réalisations sani-
taires, sociales ou culturelles. La notion d’action sociale renvoie notamment
à la création et à la gestion directe, par les mutuelles, d’établissements ou
services à caractère sanitaire, médico-social, social ou culturel ;
72  ❯ ÉCONOMIE SOCIALE - LA SOLIDARITÉ AU DÉFI DE L’EFFICACITÉ

–  de participer à la gestion d’un régime légal d’assurance maladie et mater-


nité et d’assurer la gestion d’activités sociales pour le compte de l’État ou
d’autres collectivités publiques.
En application du principe de spécialité, une même mutuelle ne peut à
la fois exercer une activité d’assurance et une activité de prévention des
risques ou de gestionnaire d’œuvres. L’action des mutuelles de santé est une
action sociale, de prévoyance ou de solidarité au profit de leurs membres
ou de leur famille. Cette action vise uniquement la personne humaine et
non les biens. En cela, elles se distinguent des mutuelles d’assurance, régies
par le Code des assurances, ainsi que des organismes d’assurance obliga-
toire, comme les caisses de sécurité sociale, en ce que l’appartenance aux
mutuelles a un caractère facultatif.
La mutuelle est une personne morale de droit privé à but non lucratif.
Les groupements mutualistes ne poursuivent pas la réalisation de béné-
fices : c’est ce qui les distingue essentiellement des sociétés commerciales.
Cela ne signifie pas que des excédents d’exploitation ne peuvent pas être
dégagés. Mais, d’une part, la réalisation d’excédents ne doit pas être systé-
matiquement recherchée ; d’autre part, lorsque des excédents d’exploitation
existent, ils doivent être mis en réserve ou utilisés au profit des adhérents,
notamment pour la création et la gestion d’œuvres sociales. Autrement
dit, ils doivent être réinvestis dans l’œuvre elle-même. Chaque adhérent
est lié à la mutuelle par des relations contractuelles et participe à son fonc-
tionnement par son appartenance à l’assemblée générale.
La loi du 31 juillet 2014 étend la définition des membres honoraires per-
sonnes physiques. Au regard de son article 56, les contributions non finan-
cières pourront également être prises en compte, puisque les mutuelles
peuvent désormais admettre en qualité de membres honoraires les per-
sonnes physiques leur ayant rendu « des services équivalents » à des contri-
butions financières.

Régime juridique
Les mutuelles se constituent par la volonté de personnes physiques réunies
en assemblée générale (art. L. 113-1 C. mut.). C’est cette assemblée géné-
rale qui adopte les statuts de la mutuelle et qui nomme les membres du
premier conseil d’administration. Les statuts sont l’acte dans lequel sont
précisés les droits et obligations des membres de la mutuelle, ainsi que les
principes de fonctionnement de cette dernière.
Les conditions auxquelles est subordonnée l’admission des membres partici-
pants sont déterminées librement par les statuts (article L. 114-1 C. mut.).
L’adhésion à une mutuelle est, le plus souvent, facultative. En revanche,
les statuts peuvent prévoir des conditions d’admission : elles peuvent être
relatives au domicile (une mutuelle peut avoir un champ de recrutement
territorial), à la profession ou encore à l’âge (une mutuelle peut fixer un
Des formes et statuts variables  ❮  73

seuil d’âge au-delà duquel il n’est plus possible d’adhérer). L’ensemble des
adhérents constitue l’assemblée générale. Les mutuelles peuvent consti-
tuer des unions (regroupement de plusieurs mutuelles : L. 111-2) et des
fédérations (regroupement de plusieurs mutuelles ou fédérations en vue
de défendre leurs intérêts : L. 111-5).
La loi du 31 juillet 2014, art. 55, institue une nouvelle union régie par le
livre III du Code de la mutualité ayant pour objet de faciliter et de déve-
lopper, en les coordonnant, des activités sanitaires, sociales et culturelles
(insertion d’un article L. 111-4-3 au Code de la mutualité).
Les mutuelles sont financées par des cotisations. En échange, chaque
membre acquiert un droit aux avantages garantis par la mutuelle. Leur
mode de calcul doit être fixé de manière précise par les statuts. En tout
cas, les mutuelles qui mènent des activités de prévention ou d’action
sociale ou qui gèrent des réalisations sanitaires, sociales ou culturelles ne
peuvent moduler le montant des cotisations qu’en fonction du revenu, de
la durée d’appartenance à la mutuelle, du lieu de résidence, du nombre
d’ayants droit, de l’âge des membres participants (art. L. 112-1 C. mut.).
Les principes mutualistes imposent ainsi l’absence de sélection médicale
et l’absence d’individualisation des cotisations en fonction de l’état de
santé. Les cotisations peuvent alors être fixes comme variables. De même,
les prestations ne peuvent être modulées qu’en fonction des cotisations
payées ou de la situation de famille des intéressés.
Les mutuelles du Code de la mutualité se voient appliquer des règles fiscales
qui leur sont propres. En particulier, elles sont exonérées de la contribu-
tion sociale de solidarité des sociétés. Elles échappent également, en vertu
d’instructions administratives, à la contribution des institutions finan-
cières, qui frappe normalement toutes les entreprises d’assurance. Enfin,
elles sont assujetties à l’impôt sur les sociétés à taux réduit et certains de
leurs revenus (dividendes d’actions, gains en capital) échappent à toute
imposition. Ces règles sont justifiées, selon la Fédération nationale de la
mutualité française (FNMF), par le fait que les mutuelles ne pratiquent
pas de sélection systématique et donc supportent des risques plus étendus
que les assureurs traditionnels.

Les mutuelles d’assurance


Sources juridiques
À la différence des mutuelles de santé, les mutuelles d’assurance sont régies
par le Code des assurances.

Principes fondateurs
Il existe aujourd’hui une forme juridique unique : la société d’assurance
mutuelle. L’article L. 322-26-4 énumère cependant trois formes particulières
74  ❯ ÉCONOMIE SOCIALE - LA SOLIDARITÉ AU DÉFI DE L’EFFICACITÉ

de sociétés d’assurance mutuelle : les sociétés mutuelles d’assurance, les


sociétés à forme tontinière et les sociétés ou caisses d’assurance et de réas-
surance mutuelles agricoles. Ces dernières sont régies par l’article 1235
du Code rural et de la pêche maritime, mais il convient de préciser que
le déclin du marché agricole a conduit les mutuelles agricoles à couvrir
également les risques non agricoles.
La société d’assurance mutuelle est définie dans l’article L. 322-26-1 du
Code des assurances (loi n° 89-1014 du 31 décembre 1989). Ce sont des
sociétés civiles ; elles ont un objet non commercial 7, « sont constituées
pour assurer les risques apportés par leurs sociétaires » et fonctionnent
sans capital social.
Leur principale activité réside souvent dans l’assurance des biens (incendie,
automobile, responsabilité civile…), mais il existe aussi des mutuelles
d’assurance vie. Elles ne peuvent ni créer et gérer des œuvres et services
sociaux, ni mener l’action sociale qui est ouverte à la mutualité. Les sociétés
mutuelles d’assurance fonctionnent selon les mêmes principes que les
mutuelles régies par le Code de la mutualité. Elles se caractérisent par l’ab-
sence de tout but lucratif. En revanche, les excédents de recettes peuvent
être répartis entre les assurés, ce qui n’est pas possible aux mutuelles régies
par le Code de la mutualité. En principe, il est interdit aux groupements
non régis par le Code de la mutualité d’utiliser les appellations « mutuelle »,
« mutualité », « mutualiste » (article L. 112-2 Code mut.). C’est donc par
une exception que cet article dispose que les organismes régis par le Code
des assurances sont autorisés à utiliser, dans leur nom ou raison sociale, le
terme « mutuelle » en l’associant à celui d’« assurance ». On distingue les
sociétés mutuelles d’assurance et les sociétés à forme mutuelle.

Régime juridique
Comme pour les mutuelles de santé, la mutuelle d’assurance se constitue
par la volonté de personnes physiques réunies en assemblée générale. Cette
assemblée générale adopte les statuts de la mutuelle et nomme les membres
du premier conseil d’administration.
De plus, comme pour les mutuelles de santé, l’élargissement de la défi-
nition du membre honoraire par la loi du 31 juillet 2014 s’applique à la
mutuelle d’assurance.
La loi n° 89-1214 du 31 décembre 1989 a simplifié le fonctionnement
des sociétés d’assurance mutuelles. Chacune est administrée par un conseil
d’administration nommé par l’assemblée générale et composé de cinq
membres au moins. Toutefois, les statuts peuvent stipuler qu’elle sera

7 . Leur non-inscription au Registre du commerce et des sociétés a été l’une des exigences du
Groupement des mutuelles d’assurance (GEMA), lors de la réforme du Code des assurances de
1989.
Des formes et statuts variables  ❮  75

administrée par un directoire et un conseil de surveillance. Tout sociétaire


peut directement ou indirectement participer au conseil d’administration.
À cet égard, la loi du 31 décembre 1989 a démocratisé le fonctionnement
des sociétés d’assurance mutuelles : tout sociétaire à jour de cotisation est
désormais éligible au conseil d’administration (article L. 322-26-2 du Code
des assurances). L’éligibilité « censitaire », qui offrait un privilège aux socié-
taires payant les cotisations les plus élevées, est ainsi supprimée. Quant au
mode de désignation des membres du conseil d’administration, la loi pré-
cise qu’un ou plusieurs administrateurs sont élus par le personnel salarié.
Selon l’article 58 de la loi du 31 juillet 2014, le Gouvernement doit remettre
au Parlement un rapport portant sur les conditions d’introduction, dans le
Code des assurances, de dispositions similaires à celles figurant à l’article
L. 114-24 du Code de la mutualité, relatives aux droits et obligations des
administrateurs des sociétés d’assurance mutuelles, salariés du secteur privé
ou agents du secteur public.
Les mutuelles d’assurance disposent des cotisations versées par les adhé-
rents. Elles peuvent également disposer de fonds d’établissement (constitués
par les apports des fondateurs ou résultant d’une émission d’emprunt).
Enfin, elles peuvent emprunter pour financer leur activité. Les excédents
de recettes peuvent être répartis entre les sociétaires dans les conditions
fixées par les statuts, après constitution des réserves et provisions.
Toutes les entreprises d’assurance, qu’elles soient constituées sous forme
de sociétés anonymes ou de sociétés d’assurance mutuelles, sont soumises
aux mêmes règles fiscales. Elles sont assujetties à l’impôt sur les sociétés,
ainsi qu’à la cotisation foncière des entreprises. Elles le sont également à
la contribution sociale des institutions financières, qui frappe les entre-
prises d’assurance, mais à laquelle les mutuelles de santé échappent encore.

Les certificats mutualistes


L’article 54 de la loi du 31 juillet 2014 offre la possibilité aux mutuelles
d’avoir recours à des certificats mutualistes en vue d’alimenter leurs fonds
d’établissement (C. assur., art. L. 322-26-8 et L. 322-26-9). Plus précisé-
ment, ce nouvel instrument financier, auquel font pendant les certificats
paritaires pour les institutions de prévoyance, permet l’augmentation de
leurs fonds propres, dans le respect des principes mutualistes.
L’émission de certificats mutualistes peut être réalisée par des sociétés
d’assurance mutuelles agréées, des caisses d’assurance et de réassurance
mutuelles agricoles agréées et des sociétés de groupe d’assurance mutuelles.
Les certificats mutualistes peuvent être émis auprès de sociétaires, membres
participants ou honoraires ; de sociétaires ou assurés des entreprises appar-
tenant au même groupe d’assurance ; de sociétés d’assurance mutuelles, de
sociétés de groupe d’assurance mutuelles, de mutuelles et d’unions régies
par le livre II du Code de la mutualité.
76  ❯ ÉCONOMIE SOCIALE - LA SOLIDARITÉ AU DÉFI DE L’EFFICACITÉ

Les caractéristiques essentielles de l’émission sont fixées par l’assemblée


générale des sociétaires.
Les certificats mutualistes sont indivisibles et confèrent des droits iden-
tiques à leurs titulaires. À la différence des certificats coopératifs, ils ne
sont pas cessibles : la cession ne peut intervenir que sous forme de rachat
par l’émetteur, lequel pourra les céder à nouveau dans un délai de deux
ans (C. assur., art. L. 322-26-9).
Les certificats mutualistes ne sont remboursables qu’en cas de liquidation
de l’émetteur, à leur valeur nominale, et après désintéressement complet
de tous les créanciers privilégiés. La rémunération des certificats, fixée
annuellement par l’assemblée générale, est variable. Les certificats sont
inscrits par l’émetteur dans un registre sous forme nominative.
Préalablement à la souscription, les acheteurs reçoivent les informations
leur permettant de comprendre la nature des certificats et les risques pos-
sibles de leur investissement.
Le décret n° 2015-204 du 23 février 2015 relatif aux certificats mutua-
listes ou paritaires précise les conditions d’émission et la rémunération
des contrats mutualistes.

Les associations
Sources juridiques
La principale source juridique qui régit la constitution et le fonctionnement
des associations est la loi de 1901, qui a été complétée par un décret d’appli-
cation en date du 16 août 1901. Ce sont les textes fondateurs – auxquels
la loi du 31 juillet 2014 a apporté quelques modifications – du droit des
associations françaises. Mais, au-delà de ces deux textes fondateurs natio-
naux, le droit associatif a pour source fondamentale la Déclaration univer-
selle des droits de l’Homme. Droit fondamental, la liberté d’association
jouit ainsi d’une protection constitutionnelle ; elle ne peut être réglementée
que par le législateur. Au niveau européen, la Convention de sauvegarde
des droits de l’Homme et des libertés fondamentales (art. 11) et la Charte
des droits fondamentaux de l’Union intégrée au traité de Lisbonne érigent
également la liberté d’association au rang de droit fondamental.
À ces textes doivent être ajoutées des règles juridiques éparses qui concernent
quelques points spécifiques, mais néanmoins importants, du droit asso-
ciatif. Ainsi, le Code général des impôts s’applique aux associations dans
de nombreux articles, notamment aux articles 206-1 bis et 261, qui exo-
nèrent les associations respectivement de l’impôt sur les sociétés et de la
taxe sur la valeur ajoutée. Le Code de commerce contient des dispositions
relatives aux associations qui exercent une activité économique. Celles-ci
Des formes et statuts variables  ❮  77

sont soumises à des règles comptables très strictes (art. L. 612-1 et suiv. du
Code de commerce). Le Code général des collectivités territoriales régit
les relations entre les associations et les collectivités qui leur versent des
subventions (art. L. 1611-4), etc.

Principes fondateurs
Selon l’article 1er de la loi du 2 juillet 1901, l’association est « la conven-
tion par laquelle deux ou plusieurs personnes mettent en commun, d’une
façon permanente, leurs connaissances ou leur activité dans un but autre
que de partager des bénéfices. Elle est régie, quant à sa validité, par les
principes généraux du droit applicables aux contrats et obligations ». Cette
définition suggère, à tout le moins, deux principes juridiques fondateurs.
Un premier ensemble de principes de fonctionnement constitue une décli-
naison du principe de liberté d’association. En effet, juridiquement, l’asso-
ciation est un contrat, dit « contrat d’association », dont l’objet et le but
relèvent, au nom de la liberté d’association, du libre choix des fondateurs.
Toutefois, cette liberté est limitée à double titre. Tout d’abord, le but de
l’association doit être « autre que de partager des bénéfices » : par défini-
tion, l’association doit donc être à but non lucratif. À défaut, l’association
peut être requalifiée par un juge en société créée de fait. Ensuite, « toute
association fondée sur une cause ou en vue d’un objet illicite, contraire
aux lois, aux bonnes mœurs, ou qui aurait pour but de porter atteinte à
l’intégrité du territoire national et à la forme républicaine de gouverne-
ment, est nulle et de nul effet » (article 3 de la loi de 1901), et plus large-
ment l’article 1108 du Code civil.
La liberté d’association justifie également que la rédaction des statuts soit
libre et laissée à l’initiative des fondateurs et des membres. Ainsi la consti-
tution d’une association n’est-elle pas soumise à une procédure d’autori-
sation, mais à une simple procédure de déclaration. Le dépôt des statuts
à la préfecture ou à la sous-préfecture n’est pas une condition de validité
du contrat associatif. Il existe donc des associations non déclarées, dont
la constitution n’