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Consultation publique ouverte par le Livre vert relatif aux actions envisageables en vue de la création d’un droit européen

des contrats.
Alain Ghozi - Raymonde Vatinet
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Consultation publique ouverte par le Livre vert relatif aux actions envisageables en vue
de la création d’un droit européen des contrats.

Contribution présentée par :

Alain Ghozi (aghozi@wanadoo.fr)


et Raymonde Vatinet (rvatinet@orange.fr)
Professeurs à l’Université Panthéon-Assas (Paris2)

La Commission nous consulte sur l’opportunité de l’élaboration de ce qui serait


un code civil européen. Les signataires de la présente réponse sont d’avis qu’il n’y
a pas lieu à créer un Code civil européen - pas plus que tout autre « instrument dit
optionnel», car on sait d’expérience qu’il n’est qu’un outil obligatoire en devenir -

Un argument de pur droit suffit à condamner toute initiative en ce sens : il tient


dans les prescriptions de la Charte des droits fondamentaux, en particulier de son
Préambule. L’initiative des autorités européennes mérite cependant qu’on aille
plus loin : il convient de s’attarder sur le principe même de la consultation avant
de répondre à la question sur le fond.

1° - Préambule de la Charte des droits fondamentaux

Alinéa 3 « L'Union contribue à la préservation et au développement de ces


valeurs communes dans le respect de la diversité des cultures et des traditions des
peuples de l'Europe, ainsi que de l'identité nationale des États membres……… »,
disposition reprise formellement à l’article 22 de la Charte.

Le Code civil participe de la culture du peuple français d’une manière


essentielle, comme il en est des codes des autres peuples constitutifs de l’Europe.
La France - Etat-nation, dans sa définition socio-politique - trouve dans son code
les signes et symboles de l’adhésion de la population aux valeurs qui la fédèrent.
Ainsi Jean Carbonnier a-t-il pu y voir la constitution civile de la France. Issu des
coutumes qui exprimaient jadis les points de consensus de la société, le code civil
détermine, désormais, par les décisions de la représentation nationale, les facteurs
du lien social, partant la manière de vivre ensemble.

Le Code civil participe directement de l’identité de la nation française. Être


français a-t-on pu écrire, c’est se reconnaître dans les valeurs portées par le Code
civil, en particulier celles de l’égalité, de la laïcité, de la conception de la famille
et des relations entre ses membres en particulier ; celles de la langue, véritable
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instrument d’unification culturelle par laquelle se transmet l’adhésion à ces


valeurs ; celles de la conception de l’engagement obligatoire et de sa sanction.
Seuls par conséquent les représentants de la nation française sont compétents pour
le modifier.

On pourrait s’en tenir à cet argument pour contester dans son fondement
juridique toute initiative tendant à créer un code civil européen destiné à
remplacer, d’une manière ou d’une autre, le Code civil qu’un peuple de l’Europe
s’est donné ou à en détruire la cohérence par des adjonctions inappropriées. Il
faut cependant prolonger la réponse en évoquant l’initiative et le problème de
fond

2° - Sur le principe même de la consultation

L’initiative, dont la courtoisie doit être saluée, a de quoi surprendre, pour de


multiples raisons dont l’énoncé suffit à donner la mesure du désamour dont
l’Europe est l’objet.

Déjà, lors d’une précédente consultation, nombre des réponses ont insisté sur
l’inutilité de pareille entreprise. Pourquoi donc y revenir sans cesse ? Serait-ce
l’aveu du dépit éprouvé par ceux qui auraient souhaité une autre réponse ? Ou
s’agirait-il de légitimer a posteriori l’élaboration d’un code confiée à un groupe
de travail qui s’est employé à exclure de ses membres tous ceux qui étaient
susceptibles de proposer d’autres conceptions que les siennes ? On ne se laissera
pas abuser par ces réunions de juristes souvent auto-désignés, singulièrement
préférés à d’autres pourtant fortement investis dans des réflexions de cet ordre,
pour la seule raison de leur faveur ostensiblement affichée pour le projet sur
lequel porte l’actuelle consultation et que l’on présente abusivement comme une
entreprise ouverte. En réalité, on le sait, tout est déjà fait ; le code existe déjà,
effectivement : ses rédacteurs, aidés financièrement par les autorités compétentes,
sont connus ; leur talent tient dans leur aptitude à porter des idées qui semblent
correspondre à celles des autorités en place, à moins qu’ils ne les leur imposent en
laissant à croire qu’elles correspondent à un sentiment largement partagés ? Mais
les codes, les vrais, ne se décrètent pas ; ils expriment une légitimité sociale dans
laquelle ils puisent leur autorité.

Autrement dit, cette consultation n’est qu’un leurre. Elle est là pour laisser à
croire aux ignorants qu’il y aurait un grand projet à réaliser, un de plus, à même
de fédérer par le rêve ceux, de plus en nombreux, qui sont désenchantés par les
orientations retenues par les instances européennes depuis un certain temps déjà.
Il suffit de considérer la situation actuelle de l’Europe: elle se trouve aux mains
d’économistes qui croient trouver dans le mythe d’un marché, nécessairement
rendu uniforme par et pour les seuls besoins d’une concurrence débridée, la
réponse à toutes les questions sur lesquelles les peuples butent. Telle n’était
pourtant pas la finalité que les pères de l’Europe lui avaient assignée : il fallait
prolonger le succès de la communauté du charbon et de l’acier (Ceca) par de
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nouvelles solidarités créées par la libre circulation des personnes et des biens.
Pour preuve de ces dérives successives, les glissements du marché commun vers
un marché unique, qui lui-même est progressivement dilué dans le marché
mondialisé, sous l’autorité apparente de l’OMC et sous l’autorité réelle de la
concurrence par le moins disant social. Les personnes, les « citoyens européens »,
ne sont plus que des agents de production, constitutifs de la variable d’ajustement
de la rentabilité du capital à court terme !

Comment donc imaginer un code et un seul pour régir la vie civile de tant de
peuples aux cultures différentes ? Une telle entreprise supposerait que toutes les
relations de vie privée, du couple à la famille, du contrat aux successions, soient
asservies à pareille disqualification de la personne en un agent économique ; et les
relations devraient être subordonnées à ce que commande la conception de la
concurrence en vogue. Ces économistes eussent–ils réussi qu’on aurait pu
s’attarder à cette conception de la vie sociale ! Or, ils vont d’échec en échec, avec
pour seule solution la fuite en avant. Ainsi en dernier lieu «Vers un Acte pour le
Marché unique – Pour une économie sociale de marché hautement compétitive –
50 propositions pour mieux travailler, entreprendre et échanger ensemble » .
Abstraction faîte de la majuscule qui espère grandir le marché unique, quel
programme ! Que de bons et beaux sentiments! Que de rêves!

Il n’y a pas lieu d’aller plus loin dans l’asservissement à une concurrence qu’on
masque par le cosmétique des bons sentiments. Il n’y a pas lieu d’élaborer un
code civil pour tous dans le fol espoir de légitimer, pour les sauver, les excès de
la jurisprudence de la Cour de Strasbourg. La proclamation de droits subjectifs
exacerbés demeurera pure incantation tant que l’homme sera réduit à sa seule
qualité d’agent économique ayant pour fonction d’alimenter la circulation des
instruments monétaires.

Les autorités européennes ne sont pas candides. Chaque fois qu’un besoin réel
d’harmonisation, voire d’uniformité, se présente à elles, elles interviennent sans
trop s’encombrer des avis des uns et des autres : ainsi des multiples interventions
en matière de transport, pour ne retenir qu’un exemple parmi tant d’autres. Elles
imaginent même pouvoir endiguer les effets des tempêtes de neige sur les
aéroports ! Elles savent aussi transformer tout agent économique en un
consommateur chaque fois qu’elles souhaitent élargir leur champ de compétence.
Du même coup, elles pervertissent, à des fins économiques, les finalités
théoriquement assignées aux règles de droit. L’exemple du droit de la
consommation est, à cet égard, significatif : il faut bien comprendre que, dans leur
conception, le droit de la consommation ne sert qu’à standardiser les droits du
client pour permettre au professionnel de prévoir la durée et l’étendue de sa
garantie. Or, comme la tradition romaine nous l’a enseigné, le professionnel n’est
vertueux qu’autant qu’il ne peut pas contrôler, à l’avance, les comportements de
ses clients. Ici, un abîme sépare les orientations exclusivement mercantiles du
législateur européen, de l’ambition moralisatrice ou à tout le moins
prophylactique d’un Code. Au reste, le programme déjà signalé « Vers un Acte
pour le Marché unique -Pour une économie sociale de marché hautement
compétitive- 50 propositions pour mieux travailler, entreprendre et échanger
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ensemble» n’envisage, au titre des 50 propositions, que la création d’un


« environnement juridique et fiscal favorable aux entreprises » (point 1.5 et les
propositions 19 et s). Un Code civil ne saurait être réduit à cette ambition !

Ces observations désabusées, qui renforcent notre conviction de l’inutilité d’un


code civil européen, doivent être complétées par des remarques tenant à la nature
d’un Code civil, à plus forte raison s’il doit être européen.

3°- Sur l’impossible code civil européen

Un Code civil exprime des valeurs communes à tous, dans tous les domaines
de la vie civile. Ces valeurs sont forgées par l’histoire des peuples. Elles sont le
ferment d’un consensus sur lequel le corps social se retrouve. Le plus souvent, ces
valeurs se sont exprimées à travers des usages ou des coutumes avant d’être
consacrées par la loi. C’est ainsi, une fois encore, que les codes se font ; ils ne se
décrètent pas ! C’est dire que le projet de construire un code civil à l’échelle de
l’Europe est une entreprise parfaitement artificielle, conçue à l’initiative de
quelques professeurs en quête de notoriété (et de moyens financiers), indifférents
aux besoins réels du corps social.

Avant de légiférer, il faudrait commencer par identifier les points de consensus.


Or les différences sont plus profondes que l’idéologie européenne ne voudrait le
laisser à croire. D’ailleurs, les entreprises l’ont fort bien compris, qui conduisent
des «stratégies marketing » différentes selon les pays.

Imagine-t-on sérieusement qu’il y ait accord sur la définition de la famille, des


relations entre ses membres, sur la manière de réunir les biens et les transférer ?
Est-on certain que la population, dans une proportion suffisante, adhère à
l’hypertrophie des droits subjectifs alors que la vie sociale impose des compromis
à tous ? On apprécierait une réflexion approfondie sur la définition de la famille
au sens de l’article 53 de la Charte des droits fondamentaux...

Voudrait-on limiter l’entreprise à la seule matière des contrats, qu’on n’y


parviendrait qu’au prix d’une dissimulation des obstacles qui ne manqueront pas
de surgir : la manière de contracter dépend des valeurs qui déterminent le
sentiment de l’obligatoire ; en ombre portée, la sanction de l’inexécution, de sa
définition au régime des poursuites, diffèrent suivant les mêmes valeurs. Faut-il,
pour s’en convaincre, rappeler les raisons profondes qui ont conduit à ce que les
droit allemand et français, par exemple, se soient séparés si profondément à ce
propos : «dies interpellat pro homine » ou «dies non interpellat .. » ?

On pourrait multiplier les exemples : ainsi de la cause de l’obligation, que


d’aucuns affirment sans utilité au point de vouloir imposer sa suppression pour
mieux servir leur propre idéologie, tandis qu’ils en abusent en se référant à
l’enrichissement sans cause, alors surtout que nombre de pays constitutifs de
l’Union font de ce concept l’instrument de la moralisation des engagements. Au
nom de quoi la morale des uns doit-elle l’emporter sur celle des autres ? Laissons
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chacun se référer à l’outil de moralisation conforme à ses propres valeurs.

Autre illustration : il n’est pas possible d’appréhender la matière contractuelle


sans prendre parti sur le droit des biens : leur définition et leur histoire. Objet de
l’obligation, assiette de la sûreté et de l’impôt, le bien, par sa définition et par sa
structure, conditionne les opérations juridiques qui portent sur lui. Là encore,
vouloir faire silence sur ces difficultés en imposant un régime juridique uniforme,
par voie d’autorité, ne peut que déplacer les difficultés : comment concilier une
règle imposée pour la seule satisfaction d’un objectif conjoncturel avec un corps
de règles qui ne procèdent pas de la même inspiration ? Au nom de la prétendue
efficacité juridique, instrumentalisée à des fins économiques, on ne fait que
multiplier des sources de litiges qui sont autant de freins. D’ailleurs, les autorités
communautaires sont sans doute conscientes de ces difficultés puisqu’elles tentent
de les surmonter par un recours élargi aux modes alternatifs de règlement des
litiges. Quel aveu !

Occulter des débats de cet ordre procède de l’argument d’autorité de celui qui
entend imposer sa volonté unificatrice envers et contre tous, en piétinant les
cultures juridiques nationales, en ignorant les besoins sociaux réels, en méprisant
les différences...

Pourtant le génie de l’Europe tient dans sa profonde diversité.

Puisque la concurrence envahit tous les domaines de la vie sociale, que les
autorités européennes, cohérentes avec leur dogme, veuillent bien maintenir
la concurrence des modèles juridiques, et respecter l’identité nationale des
Etats qui la constituent dans le respect de la Charte des droits fondamentaux.

Paris, le 21 janvier 2011

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