EDITO

Très chers Inspirés et Eminences Grises

Je fus très honoré lorsque Lionna vint me trouver pour me demander d’être le rédacteur en chef de ce
sixième numéro. Etant très occupé comme vous vous en doutez, je mis un peu de temps à boucler cet opus
qui me tient à cœur. Il me fut délicieux de corrompre cette chère Lionna, déjà bien noire de ténèbre. Mais ne
vous inquiétez pas, l’Ombre la protège…
Par contre, je vous laisse seul juge de l’état d’esprit d’Alraune, de Songe, Nonène et Dudric. Les pauvres
auteurs, je les ai fait entré dans les plus perfides des lieux, rencontrer mes Damnés et pantins les plus méri-
tants et, comble de gratitude, je me suis même permis de leur faire visiter ma caravane.
Bref, mes aimés lecteurs, je vous invite à votre tour à baguenauder de page en page ce nouveau numéro, qui,
j’en suis sur, vous éclairera sur La vérité !

Le Masque

CRÉDITS
Rédacteur en chef Correcteurs

Fabien Dannepond Jérôme Isnard, Géraldire Caillens, Lionel Jeannerat, David «Mon
Le Masque Commandant»Maitrot

Rédacteurs Maquette

Alraune Ambrelune, Fabien Dannepond, Lionel Jeannerat, Fabien Dannepond

Marc De Boni, Joel Demenjoud, David «Mon Commandant»Maitrot, Vincent Gaufreteau
Jérôme Isnard
Webmestre
Couverture et Logo
Fabien Dannepond
Maud Chalmel Jordan Cau

Illustrations intérieures

Maud Chalmel, Vincent Gauffreteau,

Correcteur en chef

Stéphanie Isnard

Agone est un jeu de rôles de Mathieu Gaborit et Stéphane Marsan – Tous droits réservés
Est-il besoin de préciser que les textes et illustrations publiés dans ce fanzine sont la propriété de leurs auteurs ? Toute reproduction ou
diffusion à titre gratuit ou onéreux est interdite.

Le Souffre-Jour : http://www.souffre-jour.com
Contact : lionna38@yahoo.fr

1
Trombinoscope
Alraune Ambrelune : Satyre Janrénien (vive le pays
aux demoiselles !) beau parleur, mégalo et cartographe.
Grâce à la Geste, il tisse au fil des chemins les chroniques
d’un Harmonde qu’il foule des sabots en tout sens.
Son tempérament séducteur l’a conduit à épouser une
certaine farfumaine du nom de Lionna Ambrelune
(on fait moins le malin maintenant), qu’il quitte
régulièrement pour reprendre la route... et revenir à
chaque fois. EG fondu, Agonien amoureux, ce jeu l’a
rendu fou à force de prouver qu’il ressemblait tant
aux symboles quotidiens : « Y a des correspondances
partout !! ». Ses joueurs se préparent à l’interner...
Fabien Dannepond alias Lionna Ambrelune :
Princesse voleuse des bas-fonds de Lorgol, farfumaine
conjuratrice toute de cuir vêtue, la griffante Lionna
fut élevée par des succubes aux moeurs des plus
contestables et cache un sombre passé dont certains
murmurent qu’il se serait déroulé aux Abysses... Son
tempérament tenace (râleur ?) l’a conduite à épouser
un certain satyre, connu de tous sous le nom d’Alraune
Ambrelune. Fabien, quant à lui, est devenu le rédac’
chef du Souffre-jour pour exercer son sacerdoce envers
les Muses....et fouetter ses auteurs aux prises avec les
dead-lines.
Maud Chalmel alias Groseille : Illustratrice du
royaume crépusculaire mais aussi petite graphiste
débordée. Fée noire muée ogresse - changement radical,
soit. - engrossée qui plus est, aurait tendance à péter les
plombs et à s’enflammer violement sous les “ça urge”
- que vous aussi, amis saisonins, devez connaître - d’un
certain rédac-en-chef dont elle taira le nom...
Dinello, alias Marc de Boni : Au crépuscule des âges
crépusculaires, la taxidermie entre autres arts, a atteint
des sommets. Le très vieux Dinello est l’un des chefs-
d’œuvre qu’elle laissa. L’œil inaverti et le nez soupe-au-
lait y verront un cadavre daté, mais le légiste attentif
remarquera la faible activité de son cœur branlant. Et
alors ? Lénine aussi était hémiplégique... Auteur de
«Guide du routard 1425 : Le tour d’Abyme en fauteuil
roulant».
Joel Domenjoud alias Songe : Orphelin de ses inspirés,
aspirés par les méandres du temps, il noie son dépit
dans l’encre du Souffre-Jour. Sous cette couverture il
ourdit une puissante oeuvre de Geste qui devrait lier à
lui d’innombrables ouailles ad vitam eternam. D’ailleurs
cette quête l’obsède tant qu’il en oublie parfois même
les délais de ses travaux d’écriture ...
Vincent Gaufreteau alias Tibéon : Ce lutin fort
agréable reste tout même plein de lubies. A ces heures
perdues, il lui prend de dessiner ou encore d’écrire, ou
de composer, de jouer de la guitare pour enfin se rendre
compte qu’il doit faire son illustration pour le fanzine.
Le but pour lui, c’est d’y penser avant le coup de fouet
de Lionna.... Particularités de ce lutin: des cicatrices!
Jérôme Isnard, alias Blanchécrin : Flanqué d’un pi-
toyable diablotin, ce minotaure marseillais prend plaisir
à noyer ses Inspirés dans de complexes intrigues. Quand
on sait qu’il est surnommé Zgueg, qu’il est vétérinaire
et qu’il se spécialise dans la reproduction, on se dit qu’il
reste un espoir pour les minotaures : vivent les vaches !
En plus il tient la bourse du Souffre-Jour…

Lionel Jeannerat, alias Nonène : Éminence Grise,

éclipsiste et harmoniste de la Geste, il rédige des
cahiers gris sur les contrées hostiles de la République
mercenaire. Dans le civil, il est une des preuves vivantes
de l’internationalité d’Agone, en vivant dans un ancien
pays mercenaire, la Suisse. Étudiant en histoire et
géographie terrienne, il se ressource dans les récits et
paysages d’Harmonde.

David Maitrot, alias Dudric des Hautes-Fontaines. Ce

chevalier-troubadour urguemand, lorsqu’il ne court pas
après les voleurs, se fait conteur au coin du feu pour
parler à son fils des légendes des Vosges. Il aime sa
famille, sa forêt, et les loups qu’il voudrait bien y voir
revenir.

2
Table des Matières
La Perfidie
les sentiers de la corruption
Les domaines souillées

Des Masquards
Des perfides
Les drachmes
Les frères du rictus
Les premiers
L’Art du Semblant
La Famille du Clavecin
La Chair des Damnés
Les gitans

Au delà du drame
La caravane noire
Les costumes du Masque

Scénario
La cinquième saison

3
Chers Agoniens,

Je voulais profiter de cette tribune pour vous remercier. Vous tous qui avez accepté de sillonner l’Harmonde, de l’interpréter et de vous
en emparer pour le faire vivre, je veux vous tirer mon chapeau.

Passeur de monde, j’ai travaillé sur la majorité des supports qui accordent une place à l’imaginaire. Romans, cinéma, jeux vidéos et
j’en passe, tous m’ont accordé des petites joies et de grandes peines. Mais il faut bien admettre la vérité, aucun de ceux-là ne peut égaler
les émotions incarnées par le jeu de rôle.
J’aime surtout le rôliste, j’aime sa folie et sa différence. Nous sommes de doux dingues égarés dans la réalité et c’est cet égarement,
précisément, qui nous rend si sensibles aux continents inexplorés.
Celui de l’Harmonde aura eu et a sans doute encore vos faveurs si vous lisez ces lignes. Je suis profondément et sincèrement heureux à
l’idée que vous ayez eu la curiosité de le découvrir. Car tout est là, dans cette curiosité insatiable, cette volonté de dépasser les poncifs,
de s’emparer des nouveaux mondes avec la ferveur des traducteurs. Vous traduisez, mes amis et, par là même, vous créez, bien sûr.
Certains, et je partage ce regard, disent qu’on est ce qu’on fait. A ce titre, nous qui faisons des univers, nous sommes ces univers. «
Nous ne sommes pas un, nous sommes mille », voilà la vérité. Nous sommes tous ces mondes qui s’interprètent à travers le jeu de rôle.
Avec notre naïveté, notre histoire, nos émotions.
La vie, en fin de compte, est au cœur du sujet. Le jeu de rôle, c’est un imaginaire actif, un imaginaire en mouvement. Beauté fatale du
jeu de rôle… Ancré dans la vie et parfois si loin de la réalité. J’aime cette ambivalence du fond du cœur. Elle constitue une frontière
intangible avec la création qui doit demeurer une préoccupation fondamentale.

Aujourd’hui, je ne joue plus mais je n’ai pas dit mon dernier mot. J’ai deux petits garçons à qui je compte bien enseigner les vertus du
jeu de rôle, dont je veux voir les yeux s’agrandir lorsque je leur décrirai la charge d’un minotaure ou le regard attendri d’une fée noire.
En dédicace, il m’arrive régulièrement de citer Louis II de Bavière dont une phrase m’a marqué à vie, voilà fort longtemps : « Il n’est
pas besoin que cela soit, le rêver suffit. »
Rêvons, chers Agoniens, ne cessons jamais de rêver pour que cette folie créative propre au jeu de rôle soit plus vivace que jamais. Rêvons
en chair et en os, autour de la table, rêvons encore au fil de nuits interminables et chaleureuses, de rencontres et d’histoires sans fin.

J’ai le sentiment de parler comme un vieux dinosaure. Ce n’est pas tout à fait faux mais il y a en moi une conviction viscérale du bien-
fondé du jeu de rôle. Agone a été une expérience formidable. Même si rien n’était parfait, ce jeu a livré une vision concrète de la Fantasy
telle que je la conçois. Une Fantasy qui se ménage des espaces, des « ombres et des silences » où le joueur se faufile pour semer ses idées
et ses envies. Une Fantasy qui, sans se renier, se cherche d’autres sentiers pour entretenir nos flammes.

Je vous dois beaucoup. Je vous dois d’y avoir cru, je vous dois d’avoir levé vos flammes dans la nuit et de les avoir nourri.

Souvenons-nous de l’origine grecque du mot « agon » qui signifie « lutte, compétition, combat. » Mon père me l’a révélée bien après la
sortie des romans et du jeu de rôle et je veux bien admettre que ce n’est pas un hasard.
Nous sommes des lutteurs, des combattants de l’imaginaire.
Alors, haut les rêves, mes amis.
Haut les rêves.

Mathieu Gaborit

4
 la perfidie
Rien ne lui résiste, la fleur de la noblesse débauchée de Lorgol
s’arrache ses bons offices et vendrait terres et mères pour
se voir gratifier d’une de ses apparitions dans les salons
orgiaques qui essaiment les Hauts Quartiers. Lui, Lunerai
le petit parfumeur de brigands sans raffinement, avait
gravi patiemment les marches des bas quartiers comme
alchimiste, avait enjambé celles des quartiers marchands
en droguant les bourgeoises ennuyées par l’absence de leurs
maris, puis avait atteint sa consécration en glissant dans le
lit des chevaliers de la cour les créatures sulfureuses de son
maître aux mille visages.

Non, décidément, rien ne lui résistait plus, sauf ce maudit

reflet de médiocre parfumeur qui le poursuivait de miroir
en miroir, et refusait de le rejoindre dans la noble destinée

Les sentiers de la qui était la sienne. Durant des années il s’était détourné de
son image, rongé par une honte pathétique et celle-ci était
restée figée dans le dernier souvenir qu’elle avait conservé
de lui. Mais aujourd’hui il se sentait prêt à l’affronter et
se réjouissait intérieurement du grand œuvre qu’il allait

corruption accomplir sur le chemin de la corruption.

D’un geste brusque, il arracha sa tenture qui masquait le

miroir et dévisagea l’homme qui lui faisait face, maigrelet
dans sa mise d’artisan, le cheveu en bataille et le regard
chargé de mépris curieux.

Je sens ta rancœur transpirer à travers cette paroi de

Le seul moyen de se délivrer d’une tentation, c’est d’y céder.
Résistez et votre âme se rend malade à force de languir de ce
qu’elle s’interdit.
tain qui nous sépare. Tu m’en veux de t’avoir laissé dans
l’ignorance de tous les pas glorieux qui me séparent
du souvenir que tu reflètes. Mais ce n’était que pour
t’épargner les sacrifices que j’ai dû consentir pour accéder
au pouvoir que je détiens aujourd’hui. Je viens t’aider à
me rejoindre en t’épargnant mon long cheminement. Je
vais te conter tout ce que tu brûles d’envie de connaître
et de t’approprier.

Oscar Wilde – Le portrait de Dorian Gray

L’essence de la Perfidie
Tu te demandes quelle est cette empreinte qui a redessiné
mes traits, qui farde mon corps et mon âme, imprègne
chacun de mes gestes et semble s’emparer de tout ce
qu’elle effleure ? Tu voudrais connaître la nature du
pouvoir qui plie chacun à mes souhaits et me fait régner
sur les puissants et les brigands ?

La flétrissure
Il n’y a pas de pouvoir secret, juste une fêlure dans la
perfection du monde tel que l’ont conçu ses prétentieuses
génitrices. Tout ne trouve pas sa place, comme leurs

5

serviteurs veulent le laisser croire. Tout doit la conquérir
et la forger à l’image de ses aspirations. Car en restant
là où elle est, chaque chose s’érode avec le temps et se
disloque, si elle ne se nourrit pas avec la vie de ce qui
l’entoure.
Le chat dévore la souris pour nourrir ses chairs qui sinon
s’amolliraient. De même, une moitié de l’Harmonde
dévore l’autre pour survivre et se fortifier. Il n’en va pas
différemment dans les sociétés. Le prince qui désire que
sa forteresse touche le ciel fera mourir des centaines
d’âmes à l’ouvrage pour nourrir son faste. Quelle œuvre
est-ce là ? Perfection ou infamie ? Chaque infime chose
de cet univers contient sa propre déchéance et tente
de s’en détourner en dévorant ce qui l’entoure et qui
pourrait l’en distraire. Mais l’Harmonde est condamné à
se flétrir invariablement pour renaître encore et encore,
telle la jeune plante qui se nourrit de l’engrais de ses
mères mortes. Une fois qu’on en a pris conscience, on
peut soit s’évertuer à lutter contre cette lente flétrissure
avec des baumes de jouvence, des palais dorés, les peaux
tendres et douces de jeunes courtisanes, et nier ainsi
l’issue fatale ; ou bien on peut s’offrir à elle, s’emplir de
ses promesses en lui faisant les plus belles concessions.
C’est là l’essence de ce pouvoir qu’on me prête : il n’y a
rien que je ne voudrais pas voir ou faire dépérir ! Car celui
qui offre à l’Harmonde le déclin de chaque parcelle de
son âme, corps et esprit peut exiger en échange la place
qu’il désire, celle que le Semblant lui a aménagée dans
les fêlures du monde. Mon pouvoir est de saisir dans
chaque chose ce qui la ferait flétrir et l’y pousser, afin
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qu’elle nourrisse ma propre déchéance et me rapproche
de l’absolution du Semblant.
La rancœur se muait doucement en curiosité tandis que
le reflet se laissait pénétrer de cette nouvelle réalité et de
ses implications.
L’encre du drame
Tu te demandes qui est ce Semblant que j’évoque et en
quoi le pouvoir de flétrir me lie à lui ?
Il est le maître aux mille visages, celui que les Muses ont
engendré en le privant de place à leur côté, en le voulant
comme l’ultime aboutissement de leur œuvre sans lui
en laisser le choix. Enfant de la vanité et du caprice, il
a su déceler l’imperfection de l’œuvre des Muses et l’a
véritablement accouchée, pour qu’elle prenne vie et
forme, puis s’accomplisse. Les Muses avaient donné
naissance à un décor figé, il lui a insufflé la vie en décelant
l’essence de celle-ci : l’imperfection !
L’Harmonde, tel que le conçurent les Muses, était
immaculé et le Semblant y déposa l’écriture de son
drame, l’histoire des Royaumes crépusculaires.
Mon pouvoir corrupteur est l’encre de ce Dame. Je suis
l’un de ceux auxquels il confie sa plume pour rédiger
l’ouvrage de l’Harmonde. À chaque fois que je révèle à
une chose ou à un être la flétrissure qui l’habite, un peu
d’encre vient abreuver la plume du Semblant et tracer un
lendemain.
La conscience du Semblant
Tu dois te dire qu’une plume qui prend conscience de
cette liberté pourrait très bien suivre ses désirs sans
qu’ils soient ceux du Semblant.
Mais il a fait davantage que déceler la fêlure dans la
perfection, il s’y est identifié, se l’est appropriée jusqu’à
en être l’incarnation. Il est l’imperfection par excellence,
l’accident de la nature, le vice caché de l’outil, la
malformation du nouveau-né, le conflit larvé, l’humain
vulnérable et belliqueux.
La corruption ne fait que révéler ce qui déchoit et s’éveille
à la conscience du Semblant. En précipitant la déchéance,
je restitue à mon mentor ce qui lui appartient. En
échange, il m’offre un plus grand rôle dans son Drame.
Je suis ses sens et son bras, et tout ce que mon regard
dévoile à sa conscience et que mon bras reconduit à lui, il
m’en confie la garde et le soin. Je suis le libre interprète
de sa vision.
Germes de corruption
Pour accoucher une chose ou un être de la corruption
qui l’habite, il faut savoir la déceler et par conséquent
connaître ce qui l’a fait naître.
La blessure originelle
Les Muses ont déposé en chacune de leurs créations
la certitude qu’elle est parfaite, un mensonge tenace
que leurs servants désignent comme l’Harmonie. Tant
qu’elles en sont persuadées, leurs créatures s’aveuglent
et se complaisent dans une vision idéalisée et magnifiée
d’elles-mêmes et de leur environnement artificiel. Mais
au fond d’elles, il y a cette blessure, une plaie d’abord
imperceptible, qui s’approfondit ensuite avec le temps.
Leur conscience ne cesse de leur démontrer l’existence de
l’imperfection dans tant de choses, sans qu’aucune cause
ni raison ne semble le justifier. L’enfant qui naît difforme
est une agression à l’Harmonie, ils essaient de se le
dissimuler mais leurs cœurs ne peuvent pas l’admettre.
Et la plaie s’ouvre, saigne un peu plus à chaque illusion
qui se fane. Chaque être porte en lui la blessure originelle,
la douleur de l’enfantement, la conscience brutale de sa
vulnérabilité face à un monde inconnu. Ces premières
impressions effrayantes implantent déjà les germes de
la corruption. Chaque déception, chaque frustration
viendra l’enraciner plus encore. Les blessures de l’enfance
sont les plus pures, celles qui creusent leur sillon le plus
profondément vers la conscience de l’imperfection. Le
jour venu, ces âmes fêlées et gercées ne demanderont
qu’à être soulagées par la corruption, puis à être
accompagnées et encouragées dans leur flétrissure.
Lunerai sentait l’ébranlement de son reflet, ses certitudes
qui volaient en éclat et ouvraient toutes les portes à la
vulnérabilité et à la corruption. Un sourire de satisfaction
accompagna cette pensée fugitive.
Où le Semblant passe …
Parfois l’imperfection affleure comme la roche nue,
s’imposant à ce qui l’entoure de façon irréfutable. Elle
s’étend alors comme une tache d’encre, imprégnant ce
qui la touche jusqu’à se l’approprier. De tels endroits sont
marqués par le Semblant, soit qu’il les ait éveillés à son
passage, soit que l’un de ses serviteurs les ait imprégnés
patiemment de l’encre du Drame.
Ainsi les domaines corrompus (cf. Les domaines souillés,
p. 11) sont ces demeures où l’imperfection a élu domicile
et où chaque être ou chose qui s’attarde ne peut que se
rendre à l’évidence de la corruption, et se laisser gagner
par elle.
Le Semblant et ses serviteurs zélés (cf. Les Premiers,
p. 23), dont j’ai l’honneur d’être, se sont voués à la
corruption et l’exhalent à chacun de leurs souffles. Ceux
qui nous rencontrent s’effrayent de notre existence, leurs
esprits s’indignent de cet affront à l’Harmonie à laquelle
ils étaient conditionnés. Ébranlés dans leurs certitudes,
ils s’effondrent en eux-mêmes et y trouvent le reflet de
notre déclin. Déchus de leurs illusions, ils s’acheminent
alors naturellement vers l’imperfection qui est la leur,
qui est la nôtre.
La rupture, le point où l’âme candide résiste
inconsciemment avant de se laisser aller à l’idée qu’elle
s’est trompée et que seule la voie du Semblant semble
offrir une issue. Le reflet luttait intérieurement, pris
entre l’intuition d’être victime d’une manipulation et le
sentiment de découvrir en lui-même la vérité de tous ces
mots. À ce stade-là, la tentation restait l’arme décisive du
Masquard pour faire pencher la balance.
Tentations
Je te disais que, contrairement à ce que l’Harmonie
voudrait laisser croire, chaque chose et être ne possédait
pas sa place dans l’Harmonde. Chacun le ressent
inconsciemment lorsqu’il doit défendre son pain contre
les avidités du voisinage et qu’il doit prendre les armes
pour que son royaume conserve ses frontières. Rien n’est
acquis !
Le géant domine le ciel tel un piton rocheux mais ne
peut rien saisir entre ses doigts qui ne soit massif sans le
briser, tandis que la fée noire est à la merci du moindre
souffle d’air qui pourrait la briser tel un fétu de paille. Le
lutin s’épanouit à la forêt et se flétrit à la ville à l’inverse
de son cousin le farfadet. Les saisonins sont emplis de
ces contradictions que les Muses dissimulent derrière
une fausse Harmonie et illusion de perfection. Lorsque
le Dramaturge a donné naissance aux hommes, il les a
voulus libres de se déterminer et non pas attachés à un
cadre aussi figé que semblent l’être les saisonins.
Grâce à la corruption, les saisonins découvrent que ce
cadre que leur ont imposé leurs Dames et les Muses n’est
pas une fatalité ni une destinée et qu’il existe des sentiers
de traverse vers des possibilités insoupçonnées.
Par ailleurs, les Muses ont parsemé l’Harmonde de
sanctuaires dans lesquels elles confinent les connaissances
accumulées de l’Histoire, sous la garde de Merveilles et
Excellences jalouses de leur butin. Ce savoir entassé et
destiné à armer les meilleurs de leurs champions, est
dérobé à l’ensemble des êtres qui ne demanderaient
qu’à s’en nourrir. Les Muses choisissent leurs rois et
condamnent les autres à rester leurs serfs ignorants.
Elles influent arbitrairement sur l’Histoire, mauvaises
joueuses face au Drame qu’elles tentent de s’approprier.
Offrir au serf la possibilité de devenir roi et au roi de
s’inscrire de façon illustre dans l’histoire de son royaume,
en s’affranchissant de tous les scrupules superflus de la
7
moralité, c’est là le secret de la corruption ! Nourrir les
envies véritables des êtres, leur offrir le pouvoir sans
bride dont les Muses les ont privés à leur naissance,
afin qu’ils accomplissent les destinées qu’ils chérissent,
est la noble voie du Semblant. La corruption restaure
la combativité instinctive sans laquelle il n’y a qu’une
parodie de vie, elle donne le courage de s’affranchir
des limites arbitraires de l’Harmonie et de s’arroger le
pouvoir de forger l’histoire. Les servants de l’Harmonie
parlent de trahison, de félonie en me désignant mais
je n’ai fait qu’écouter mes aspirations profondes, leur
donner plein pouvoir pour m’accomplir sans limites, et
je jouis aujourd’hui d’une satisfaction que ma misérable
condition d’artisan ne m’aurait jamais offerte. Il n’y a
pas pire traîtrise que celle qu’on commet à l’égard de soi-
même en n’écoutant pas tous ses désirs.
Vois-tu, je n’ai pas cessé d’être artisan, seulement je suis
devenu l’artisan de tous les désirs les plus insensés des
autres. J’ai atteint une consécration de ma vocation grâce
au pouvoir que j’ai conquis en me donnant les moyens
de réaliser mes aspirations. L’altruisme sans pouvoir
n’est rien d’autre qu’une bonne conscience hypocrite
et impuissante, c’est le mensonge de l’Harmonie. Le
Semblant offre à chacun d’écrire un rôle à sa mesure,
je ne fais que révéler aux autres cette opportunité et les
aider à la saisir.
La tentation ! Elle se coulait dans le creuset de l’espoir et
l’emplissait entièrement. Le regard du reflet, éteint par la
frustration de toutes ces années où il était incertain de
ce qu’il reflétait, venait de s’allumer d’une étincelle. Sa
conscience venait de s’éveiller au grand œuvre du Masque
comme toutes celles que Lunerai prenait sous son aile.
8
Chemin de la corruption
En toi s’ouvre le champ immense des possibilités qu’offre
la corruption, mais dans ton âme réside la Flamme des
Muses qui s’offusque qu’on l’étouffe avec un foyer plus
ardent. Ce qui est passé semble assuré alors que rien ne
permet d’affirmer ce qui nous attend devant. Savoir ce
qu’on possède fait craindre de le perdre car on ne peut
avoir la certitude de ce qu’on peut gagne ; on veut être
certain que le gain compense ce qu’on est obligé de
céder. Tu me regardes et tu te dis que toutes ces années
à me détourner de toi devaient cacher de terribles
sacrifices. Je vais être sincère et te décrire le chemin
que j’ai parcouru. Je te l’ai épargné afin que tu puisses
me rejoindre aujourd’hui, tel que je suis, sans suivre ce
sentier hasardeux où mes craintes et mes préjugés ont
retardé mon accomplissement.
Itinéraire d’un damné
Lorsque mon maître a pris conscience des mensonges
des Muses, il s’est opposé à elles, a combattu leur
vision idéalisée de l’Harmonde en devenant le paria,
le Vagabond. De la même façon, si l’on veut accéder à
la liberté sans entraves, il faut accepter de quitter la
demeure de sa naissance et s’affranchir de tous les liens
affectifs illusoires que l’existence prétend nous avoir
offerts pour nous accompagner sur son chemin.
Je suis né d’une famille d’artisans sans envergure
dont j’ai hérité l’échoppe lorsque mère et père furent
assassinés par des petits détrousseurs, à mes seize ans. La
blessure était d’autant plus ancrée que j’étais impuissant
à y répondre : je n’étais qu’un petit artisan sans pouvoir
ni influence. Toute ma conscience souffrante me criait
l’injustice de mon existence. Mon corps s’usait de tant
d’aigreur, amaigri, recroquevillé sur sa souffrance, privé
de sommeil par le désir incessant de revanche. J’étais
prédisposé à la corruption…
Miséreux et misérable, je vendis mes services aux
canailles qui enduisaient leurs flèches de mes poisons
et s’offraient l’oubli de mes mauvaises herbes qui
détruisent l’esprit. Un jour, on me paya en drachmes, la
monnaie noire qui corrompt. Dès lors je fus obsédé par
cet argent que je ne savais comment utiliser. La curiosité
éveilla ma conscience, anima ma vie éteinte et me poussa
à rechercher ceux que je pourrais payer avec cet argent. Je
découvris les marchands maudits qui vendent des objets
de pouvoir, des plaisirs défendus dans les ruelles oubliées.
Avec chaque pièce, j’achetais des drogues puissantes que
je revendais chèrement aux bourgeoises alanguies. Puis
j’échangeais cet argent contre de nouvelles drachmes afin
d’entretenir mon nouveau commerce. J’ouvris une autre
échoppe, plus discrète, dans les quartiers marchands et
je m’offris d’autres services des boutiquiers maudits :
des créatures perverses et délicieuses, des secrets dérobés
qui offraient le pouvoir sur ceux à qui ils avaient été
arrachés... Mon désir de revanche m’affranchissait des
limites, rendait possible l’inacceptable. J’étais le serviteur
de la tentation…
Mais chaque pouvoir a son prix dans un monde où
Janus a voulu un équilibre arbitraire. Défier l’Harmonie,
c’est subir sa sanction. Les unions avec des créatures
perverties distillaient l’imperfection dans mes veines.
Chaque plaisir me valait des mutations innommables :
je dégageais les odeurs des semences de la dépravation,
mon corps se déformait, se rendant capable de prouesses
physiques hors normes. Mes yeux injectés par les drogues
qui m’offraient une vie sans sommeil, mes mains rongées
par les produits nocifs que je maniais, mon visage agité
de la nervosité d’une constante exaltation, me donnaient
un aspect terrifiant. Mais je vivais pleinement, enfin !
Ce n’est pas la laideur qui m’empêchait de goûter aux
charmes de fascinantes créatures, ce n’est pas mon aura
malsaine qui m’empêchait d’entretenir de passionnantes
conversations dans les établissements où officiaient
les marchands maudits. Pourtant il restait en moi la
répulsion de mon image, le regret de sentiments tels que
l’amour. Je n’étais plus vraiment certain de savoir qui
j’étais. J’étais la proie de l’indécision…
Cette indécision est l’ultime barrière entre l’être
harmonieux et sa consécration au côté du Vagabond, sur
le sentier de la corruption. Celui qui voit des limites ne
peut les dépasser. Pourtant elles ne sont qu’une résistance
de l’esprit, une barrière fictive que la raison crée pour
s’empêcher de jouir de la liberté. Lorsque ces limites
apparaissent, on ne peut les abolir que si on s’aperçoit que
quelqu’un se tient de l’autre côté et que par conséquent
il est possible de le rejoindre. Les servants du Semblant
se tiennent derrière les barrières et les font disparaître
en appelant à eux ceux qui hésitent à les franchir. Le
Vagabond a amené un de ses puissants serviteurs sur
ma route. Dissimulé à la cour du Premier Baron, il m’a
aperçu dans son sillage et m’a encouragé à le rejoindre.
J’ai alors revendu mes drogues aux nobles, acheté les
créatures de mes nuits pour qu’elles emplissent celles des
puissants en manque de sensations. Il m’a montré que
l’horreur fascinait les foules devant l’échafaud, que les
transgressions attisaient les désirs des puissants comme
des faibles et qu’en répondant aux tentations des uns et
des autres, je les tenais à ma merci, serviles et corvéables.
Ma déchéance trouvait sa juste compensation. J’étais la
jouissance…
La jouissance restaure l’estime de soi lorsqu’elle se
nourrit de pouvoir. Ne reste que la rancœur envers les
joies simples et candides et les sentiments niais des
inconscients. La beauté est exécrable et éborgne le laid,
elle se fane dès qu’on tente de s’en emparer avec des mains
avides. Souiller la vertu de jeunes vierges, défigurer des
visages taillés dans la grâce, ne soulage pas de la blessure
originelle qui vous fait jalouser ces chanceux de naissance.
Je jouissais de la vie mais il restait encore en moi cette
blessure purulente qui hantait mes rêves d’apparitions
moralisatrices, telles que mes parents défunts déçus de
mon destin. Mon guide me montra alors l’essence créative
de la corruption, celle que le Vagabond avait ouvragée
pour créer l’homme à son image, créature errante mais
dotée du libre arbitre. Je devais forger les imperfections
du monde pour en tirer les meilleures compensations.
Dès lors je devins le semencier de la corruption, son
bras et ses yeux. J’accouchais tant d’imperfections que
l’Harmonde devait me céder leurs compensations, afin
d’obéir à son ridicule équilibre. Je pouvais modifier mes
traits à l’envi, me rendre invisible, emprunter les ombres,
répandre les maladies et bien d’autres pouvoirs insensés.
Car le secret le plus terrible des Muses est que si chaque
beauté exige d’avoir une imperfection, inversement
chaque imperfection implique que quelque chose naisse
pour l’atténuer. Je suis tellement imprégné de malheur,
tellement imbibé d’imperfection et de corruption que
l’Harmonde, dans sa bonté intrinsèque m’accorde le prix
que je demande en échange de ma volontaire déchéance.
Aujourd’hui tu me vois avec un visage séduisant, un corps
avenant, insaisissable et fascinant, car j’ai obtenu le prix
de toutes mes souffrances : devenir celui que je jalousais
autrefois, celui qui a tout ce qu’il désirait et conquiert
tout ce qu’il désire pour demain. Tout ce que je touche
m’appartient et cède à mon infinie corruption. Je suis la
consécration…
Au fur et à mesure que la compréhension avait fait son
chemin dans l’esprit du Reflet, ses traits s’étaient modelés
imperceptiblement pour refléter ceux de Lunerai. Il
acceptait sa nouvelle destinée et apprenait à en apprécier
les privilèges.
Les visages de la Perfidie
Les Muses ont créé le décor de l’Harmonde : Nuance
l’a coloré, Cysèle lui a donné du volume, Orphèle y a
ajouté l’écho et Stance lui a offert le pouvoir d’évoluer.
Ensemble elles ont disposé les acteurs principaux ; il ne
manquait plus que le Dramaturge pour écrire l’Histoire.
Lorsqu’elles l’ont appelé à elles, le Dramaturge s’identifia
9
au décor, distribua les rôles, et écrivit son Drame.
Lorsqu’il souhaita le représenter, les Muses, trop fières,
voulurent préserver leur écrin et refusèrent de le confier
aux aléas d’une œuvre magistrale mais fantaisiste. La
scène se scinda et les acteurs s’affrontèrent, entre ceux
qui louaient la prudence conservatrice des Muses, et
ceux qui désiraient écrire l’originalité et l’imprévisibilité
du Drame. Le conflit naissant, le Drame pouvait
commencer !
Dès lors, les Muses et leur cerbère, Janus, s’efforcèrent
d’effacer l’encre du Drame, armant leurs pions de
buvards, comme s’il suffisait de recouvrir ou d’assécher
la corruption pour nier son existence et restaurer
l’insipide Harmonie. Face à ces âmes arides et dénuées de
fantaisie, saboteuses du Drame, une compagnie colorée,
en perpétuelle expansion, veillait à l’exécution de chaque
nouvel acte que leur confiait le grand Dramaturge. Je vais
te présenter ceux qui la composent.
Devançant les acteurs, colportant le Drame avant qu’il
n’écrive son nouvel acte, les hérauts du Semblant
annoncent et préparent sa venue. Pantins grimaçants,
créatures d’Effroi, marchands maudits, ils sèment le
doute, engendrent les rumeurs, distillent la peur et
déposent quelques gouttes de l’encre du Drame sur les
lieux de sa prochaine représentation.
Ces germes discrets prendront racine, croîtront
patiemment puis fleuriront par eux-mêmes, ou seront
déterrés par l’un des acteurs du Semblant. Jeunes pousses
de la corruption, ils tenteront d’abord avec la maladresse
de l’inexpérience, de tisser des intrigues, de susciter les
conflits et attiser les ressentiments, pour investir ensuite
pleinement leur rôle d’agents corrupteurs. Ce sont tous
ces seconds rôles qui peuplent la scène de l’Harmonde
et offrent au Drame la richesse de composition de ses
scènes. De la malice à la félonie, ils s’aguerrissent au jeu
de la perfidie pour s’acheminer, pour les meilleurs d’entre
eux, vers les premiers rôles qu’offre le Dramaturge.
Les esthètes de la corruption hissent celle-ci à une
dimension artistique et s’approprient le Drame avec
un talent unique. Ils sont quelques poignées dissimulés
derrières des centaines de masques. Qu’ils soient des
seigneurs déchus ou de hauts mages damnés, ils siègent
aux assemblées des puissants de l’Harmonde et sont les
principaux acteurs du Drame. Imprégnés d’une profonde
corruption et dotés des bienfaits qui leur ont été accordés
en échange, ils modèlent l’histoire selon leur intuition et
commandent aux troupes du Semblant.
Mais que seraient les acteurs sans le décor ? Il faut une
ambiance au Drame pour qu’il puisse prendre toute sa
10
dimension dramatique. Lorsque l’acteur principal entre
en scène, nous avons vu que l’Harmonie des Muses se
flétrit et que chaque pierre, mur, rongeur, humain,
saisonin dévoile son imperfection aux autres spectateurs.
L’environnement frissonne et revêt le voile de l’Éclipse.
Derrière ce prodige se dissimulent les accessoiristes, qui
œuvrent invisiblement à l’ultime perfection du Drame.
Les artisans de la nuit forgent et assemblent les armes
et artefacts maudits, façonnent les masques de chair,
cousent les habits changeants des acteurs. Les copistes
rédigent leurs textes en lettres sanguines tandis que
les messagers de la caravane noire les leur soufflent sur
scène lorsqu’ils s’en égarent. Les harmonistes pervertis
peignent, sculptent et temporisent le décor du Drame et
le clavecin commande aux marionnettes.
Le regard du reflet luisait, enflammé par son imagination.
Cette vue d’ensemble de la scène du Drame lui ouvrait le
champ infini des possibilités. À présent, il ne manquait
plus qu’un élément pour parfaire l’œuvre de corruption.
Lunerai jubilait intérieurement tandis que son reflet
arborait à présent un visage plus charismatique que
celui qu’il était parvenu à composer lui-même. Cette
corruption fulgurante ne s’était pas encombrée d’une
lente déchéance auparavant. Il était parvenu à créer
un double parfait de lui-même comme le lui avait
recommandé son maître. Il ne restait plus qu’à briser le
miroir pour libérer celui qui allait siéger aux instances
éminentes et tromper les habiles limiers de l’Escarboucle,
tandis que lui tirerait les ficelles dans l’ombre. Le leurre
est l’Ultime Perfection car il suffit qu’on le croie pour
qu’il prenne consistance, de même que la Flamboyance
a créé l’illusion de l’absolue perfection et l’Éclipse crée
celle de l’absolue imperfection.

Les domaines
souillés
C’est un honneur pour moi de faire à cette éminente assemblée
l’exposé de mon humble expérience : celle de longues années
de lutte contre le Semblant. Je ne vous cacherai pas mon
sentiment de victoire sur l’Ennemi pour ne pas lui avoir
cédé cette connaissance accumulée au cours d’une vie passée
à le côtoyer, parfois de bien trop près. J’espère que ce savoir,
qui m’a préservé bien des fois, vous sera aussi précieux et
riche d’enseignements pour les luttes futures.
Exposé de Syprien d’Ocrelune devant le Collège Magister
de l’Escarboucle
La perfidie dans le fruit
…
Paradoxalement, c’est lorsque la Perfidie est à l’état
de germe dans un domaine qu’elle représente le plus
important danger et s’avère la plus difficile à débusquer.
Dans ces prémisses, elle se sait vulnérable et se cache
instinctivement de tout ce qui pourrait la menacer :
elle est subtile, d’apparence anodine ou invisible. Un
jour elle frappera violemment celui qui ne l’aura pas
démasquée, et vous ne pourrez jamais la percevoir si
vous n’en connaissez pas les sources et symptômes les
plus révélateurs.
Mais d’où naît le mal ?
Les âmes candides s’étonnent toujours de l’enracinement
profond du mal lorsque celui-ci se révèle au grand jour.
L’imagination empreinte d’Harmonie ne parvient pas à
saisir l’ignoble nature de la Perfidie sans en être éraflée,
même les plus puissants d’entre nous ne sont pas à
l’abri. Chaque disciple de l’Escarboucle m’a un jour
demandé l’origine du mal, le puits maudit à combler
pour terrasser sa semence malfaisante : nous portons
en nous des abîmes de doutes, de peurs, d’émotions
néfastes où l’Ennemi puise son eau saumâtre. La Perfidie
a son origine partout et nulle part, selon que nous lui
donnons ou non le pouvoir de s’éveiller et s’imposer.
L’usure du temps, des cœurs et des empires sont autant
de terres fertiles pour les semenciers du Semblant. Je
développerai trois exemples pour vous montrer et vous
expliquer combien la Perfidie peut prendre de visages.
Le Drak Livân est un avant poste fortifié relativement
isolé du reste des Communes princières, à la frontière
avec la Lyphane. Là vivent près d’un millier d’âmes sous
l’égide d’un noble institué par ordination princière,
jouissant d’une grande autonomie et de tout pouvoir
sur son fortin. Celui-ci se morfond et nourrit une
profonde rancœur à l’égard de la cour qui l’a exilé loin
de la civilisation qu’il chérit. Au cours des années son
amertume s’est muée en colère, sa colère en cruauté et il
fait désormais subir à ses administrés une tyrannie des
plus sanguinaires. Clairement ici, la corruption naît du
pouvoir dénaturé.
Le Sérail du Arshalam a la chance incomparable de se
situer au croisement de trois grands axes commerciaux
au cœur du désert de Keshe, et son oasis à la végétation
luxuriante abrite de petits bassins naturels délicieux.
Ces dernières années, il s’est fortement agrandi et les
voyageurs éreintés se ruinent pour jouir des innombrables
plaisirs offerts par le lieu : commerces insolites, plaisirs
sensuels, drogues, font la richesse des résidents du
Sérail. Or, là où nulle loi ne règne, viennent tôt ou tard
s’échouer les marchands de misère, les brigands en cavale,
les âmes en peine et les jouisseurs invétérés. Toute cette
faune hétérogène disloque le tissu social existant pour
lui substituer un environnement où tout est vendable.
11
Enchevêtrés dans la vie normale de l’oasis, les racines et
les points névralgiques de la corruption sont difficiles à
discerner.
Enfin, je ne manquais jamais lors de mes voyages de
visiter le seigneur de Bourg Vignères, petit domaine
viticole perché dans les montagnes enserrant la Janrénie,
afin de partager sa table conviviale. Sage et parcimonieux,
conforté à la tête de son domaine malgré la Grande
Révolte, il avait décidé que la gestion de son domaine
reviendrait à sa fille aînée et non à son neveu, héritier
selon le droit séculaire antérieur. Le déshérité nourrit une
rancœur maladive, alimentée encore par le minuscule
pécule lui restant après versement des charges aux
loges. Rarement visible, taciturne et solitaire, il occupe
l’essentiel de ses journées en contrebandes pour nourrir
les siens. Je le connaissais de loin et ne soupçonnais rien
de ce que je vous conterai ci-après.
Symptômes de corruption naissante
Rien n’est anodin, rien n’est inutile ou banal pour un
disciple de l’Escarboucle. Tout doit être observé, examiné
et analysé dans le détail. La rigueur et l’expérience
pointeront les signes infimes de la Perfidie germant
dans un domaine. Ca ne commence pas toujours par
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un crime ou un drame, mais plutôt par un regard, un
geste, une émotion fugace sur un visage. Les serviteurs
de la Perfidie ne portent pas forcément de stigmate
physique et les fêlures de l’esprit, que l’on vous enseigne,
se déterminent bien avant d’être reconnaissables. A vous
d’ouvrir vos sens à ce qui vous entoure, d’en abstraire vos
préjugés, de vous garder des jugements hâtifs et de tout
ce qui pourrait vous tromper. Ainsi le tyran est parfois le
pantin, non le Masquard. Et le fiel de chaque pantin peut
contaminer de nouvelles victimes.
Pour concrétiser cette idée, soulignons dans nos exemples
les indices qui auraient pu vous alerter avant qu’il ne soit
trop tard.
Dans notre fortin princier, vous vous devez de remarquer
la crainte que la population a de la garde, les humiliations
quotidiennes des hommes, les visages usés des femmes
malmenées et le silence des enfants qui mûrissent trop
vite dans cette atmosphère de terreur. Vous devez être
frappés par le mutisme éloquent des gens et les rues
désertées. Ce ne sont pas là des signes de corruption
réelle mais une excellente prédisposition, un terreau
fertile à son implantation.
Dans notre sérail, les marchands corrompus se fondent
dans le commerce ambiant sans s’exposer. Tous les
symptômes d’une perfidie latente et omniprésente
sont sous vos yeux, mais les acteurs de ce drame se
protègeront mutuellement. Prenez-garde : vous êtes un
étranger dans leur antre, chacun de vos actes peut vous
trahir et déchaîner contre vous une violente répression.
Ici vous n’avez le droit que d’être puissant et sûr de vous :
observez avec intransigeance ce ballet, ne vous laissez pas
distraire, disloquez le tissu malsain et découvrez en les
véritables orchestrateurs.
Les sentiments humains sont des fils que la vie tisse,
et le moindre accroc peut effilocher la trame sociale
de l’ouvrage. A trop attendre, les dégâts deviendront
irréparables. Dans le domaine viticole, l’attention
constante et la prudence vous seront utiles. Les indices
sont discrets : le neveu rudoie peut-être une de ses
compagnes, quelque rumeur parle d’individus campant
dans les clairières du domaine et malmenant les curieux.
Les rumeurs sont les messagères de la corruption, elles
la devancent et trahissent sa présence pourvu qu’on leur
prête l’oreille : écoutez sans les croire, et remontez à leur
source. Dans chaque fausse vérité il y a une peur, un
doute que la Perfidie a pu faire naître et qui est germe
de corruption.
le point de non-retour
Si vous n’avez pu ou su prévenir la corruption, voyons à
présent comment elle s’accapare et asservit chaque once
de ce qu’elle touche.
Révoltes, complots, crimes, discorde et désordre éclosent
et submergent peu à peu les domaines qui finiront
ravagés. Même si la corruption rencontre des résistances,
elle poursuit son avancée, car la lutte contre ce chaos
galopant fait oublier la guerre séculaire entre vertu et
perfidie, et les prétentions les plus nobles s’accommodent
alors parfois d’actes impardonnables … A ce stade,
vous vous devez de priver l’Ennemi de ses sources de
corruption. Ceux qui ont échoué ne sont plus là pour en
témoigner.
Une égratignure au cheval favori du maître de Drak Livân
et le palefrenier est condamné à mort, le maître d’armes
écartelé pour refus d’obtempérer, et une partie de la
garnison se rebelle tandis que la partie restante lève les
armes contre ses pairs sous la menace d’un sort funeste.
Le noble réussit à diviser pour mieux régner en instillant
à son petit peuple la méfiance, la rancœur, l’effroi, la
haine. Et pour venger l’affront de la révolte, ses exactions
deviennent quotidiennes : droit de cuissage, mutilations,
exécutions sommaires. La communauté du fortin ainsi
disloquée et écrasée devient un terreau fertile pour le
Semblant. Pourtant, si la révolte avait fait capituler le
noble, les évènements suivants auraient sans doute pris
un tour plus clément.
Les villes s’étendent et diluent tout ce qu’elles accueillent.
Une oasis, isolée au cœur du désert, concentre les
populations qui s’y installent dans un vase clos. Au sein de
sérail du Arshalam avec le temps, la corruption s’amplifie
jusqu’à saturer l’oasis : le lieu de plaisir est devenu le
carrefour de la contrebande, de trafics inavouables, de
loisirs sulfureux et ses luxurieux chapiteaux dissimulent
à tous les manigances des grands corrupteurs. Bien sûr
la transition s’accompagne de nombreux règlements
de compte et autres guerres secrètes de pouvoirs, mais
vous n’observez pas de point de rupture flagrant comme
à Drak Livân. Le basculement des âmes est progressif et
collectif, d’une société suivant des règles et des limites
à un groupe où chacun dicte et applique ses propres
lois. Le degré de corruption détermine enfin la nouvelle
hiérarchie : moins un être a de scrupules, meilleur est
son potentiel de nuisance et plus efficacement il impose
son autorité par la terreur. Derrière cette évolution se
cachent toujours les agents du Vagabond : identifiez-les
et empêchez-les de nuire, vous priverez le grand chantier
de ses architectes.
La perte de Bourg Vignères reste une grande douleur
personnelle tant je m’en veux de n’avoir perçu les signes
précurseurs de la catastrophe. Je ne découvrais qu’après
le décès de mon ami la connivence entre son neveu et des
mercenaires pour renverser son héritière. Seulement ces
contrebandiers étaient drakoniens, agents du Semblant
à l’affût d’une opportunité, et ils assassinèrent leur
commanditaire et sa famille afin de s’emparer du domaine.
Prenant la place de leurs victimes, ces drakoniens se sont
fondus au décor pour œuvrer aux desseins du Masque
depuis leur nouvelle place forte.
Les places fortes
Laissez-moi vous conter enfin ce qu’il advient des
domaines qui tombent sous la coupe du Semblant et de
sa Perfidie. Intervenir à ce stade revient à payer dans nos
rangs chaque coup infligé à l’Ennemi : souvenez-vous
de la Mère des Souffles (v. …) et vous saurez combien
le combat contre les places fortes de la corruption est
destructeur. Et si nous ne pouvons vaincre ces places,
nous ne devons rien leur céder sous peine de basculer
dans le camp adverse.
Les hôtes du Semblant
Le fortin princier écrasé sous le joug de son tyran est
tombé comme un fruit mûr entre les mains attrayantes du
Semblant et dans la déchéance. La Perfidie se présenta au
noble et lui offrit perspectives occultes inespérées « dont
pas même le Prince ne jouissait », en échange de la libre
circulation des caravanes maudites et du commerce de
leurs sombres artefacts. La Perfidie étendit son emprise
jusqu’à l’arrivée inattendue de sanguinaires guerriers
lyphaniens : le Prince dut intervenir. Les envahisseurs
furent écrasé, le noble félon décapité, sa communauté
réduite en esclavage et son fortin nettoyé par le feu.
Le hasard porta un coup inattendu à la corruption dans
13
Drak Livân mais c’est l’Escarboucle qui oeuvre depuis
des années pour assainir les autres villages visités par les
caravanes corrompues. N’hésitez pas à solliciter ces alliés
ignorants mais puissants lorsque vous ne pouvez plus
agir vous-même.
Les maisons de la Perfidie
Le Sérail d’Ashalam est aujourd’hui une demeure
imprenable où le Vagabond peut ourdir ses plans en
toute quiétude. Depuis quelques années nous tentons
d’asphyxier le commerce qui transite par l’oasis en le
détournant vers des Sérails dont nous favorisons le
développement. Nous tendons des embuscades sur ses
routes et nous faisons courir des rumeurs sur la nature
maudite du lieu. Mais nous n’avons pas d’allié et de forces
assez puissants, ni de membre absolument incorruptible
pour porter la lutte au sein du Sérail sans subir des
dommages irréparables. Dans les maisons de la Perfidie,
nos adversaires disposent toujours d’un avantage que
nous ne possèderont jamais dans les nôtres.
N’oubliez jamais qu’infiltrer l’Ennemi revient à sacrifier
de nos forces vives pour conquérir des avantages
stratégiques. Gardez bien à l’esprit qu’Il peut déposer ses
14
semences en nous et que nous n’avons aucune prise sur
l’irrémédiable corruption.
Les escales du Masque
Finalement je découvris la vérité sur Bourg Vignères. Lors
d’un repas chez mon ami, les visages contrefaits d’une
dizaine de drakoniens ne trompèrent ni mon expérience
de mage de l’Escarboucle ni les connaissances acquises si
près de l’Ennemi. Je donnais le change puis passais des
mois à espionner les activités des usurpateurs et de leurs
visiteurs. Le domaine, transformé en escale de contrebande,
de missionnés et autres messagers, employait désormais
ses ressources pour l’Ennemi. Il était un exemple de
domaine dont la corruption demeure invisible aux yeux
même de sa population pour les besoins logistiques de
l’Ennemi. Grâce à ma filature patiente, l’Escarboucle
réussit à mettre fin aux agissements des conspirateurs, à
quelques réseaux transitant par le domaine et à expurger
en partie plusieurs villes environnantes.
Malgré cette victoire indéniable, n’oubliez jamais que
l’Ennemi dispose de ressources innombrables dont nous
ignorons tout et qui peuvent se dissimuler jusque sous
nos yeux.
Songe
 Des Masquards
Des perfides
Mon cher ami et merveilleux adversaire,
Quel magnifique drame vous m’avez permis de mettre
en scène ! L’intensité de votre indignation, votre
détermination à tout risquer pour me vaincre, voilà
l’essence des plus belles tragédies ! Soyez assuré de ma
gratitude, et permettez-moi de vous remercier en vous
offrant un peu de ce savoir qui vous a jusqu’ici fait
défaut.
Vous ne pourrez pas me comprendre sans savoir qui je
sers. A vos yeux le Masque est le mensonge et le mal.
Voilà qui est bien simpliste, à peine digne d’une vulgaire
propagande.
Il est la Muse du Théâtre. Et tout est dit.
Le mensonge ? Bien sûr, car une pièce qui ne ferait que
répéter le réel ne montrerait aucune créativité, et serait
indigne d’une Muse.
Le mal ? Comme si l’Art devait se plier aux exigences
capricieuses et éphémères d’une dangereuse censure ! Le
Drame est une pièce faite pour enflammer les passions,
pour marier l’intensité, la subtilité et l’élégance, pour
atteindre à chaque instant au sublime et au grandiose !
Pas pour glorifier une quelconque doctrine morale.
Il n’est pas question d’éthique, mais de Beauté. Seules
les tragédies, avec leurs dilemmes impossibles, leurs
trahisons, leurs amours s’achevant dans les larmes et la
haine, leur sang versé, peuvent nous bouleverser au point
de nous marquer à jamais. Vous m’accorderez qu’elles
font des pièces bien plus belles que les comédies, qui
ne sont que distractions vite oubliées, ou ces insipides
contes moraux que l’on sert aux enfants.
Sur cette immense scène qu’est l’Harmonde, nul
n’échappe au regard du Masque.
Votre Conseil des Décans a rédigé plusieurs études sur les
différents acteurs du Drame. Par souci de simplicité je vais
me référer à leur nomenclature, malgré les connotations
péjoratives de certains termes.
Sachez d’abord que tout ce qui vit sur l’Harmonde
participe au Drame. Sans exception.
Des porteurs de Flamme je ne parlerai pas, n’en étant pas
un moi-même je serais mal placé pour le faire (Voir les
Premiers, p23). Mais les autres...Vos tentatives pour nous
expliquer, nous classer comme des insectes piqués dans
une collection de naturaliste amateur sont distrayantes.
Sommes-nous une société secrète aux ramifications
infiniment subtiles étendues à travers la totalité de
l’Harmonde et dirigée par le Masque en personne ? Non.
Oui. Parfois. Nous jouons ce rôle de comploteurs si telle
est la volonté du Metteur en Scène.
Sommes-nous des malades, contaminés par une
insidieuse corruption qui se propage comme une lèpre ?
Si le Masque le veut, nous aurons ce visage.
Sommes-nous les avatars multiples d’une conscience
cosmique malveillante, ou les adorateurs fous d’une
divinité blasphématoire venue d’âges oubliés ? Pourquoi
pas, si la Cinquième Muse le décide.
Sommes-nous les convives magnifiques et cruels d’un
immense bal costumé décadent, habits de soie et rideaux
de velours, aristocrates impitoyables pour qui les autres
habitants de l’Harmonde doivent devenir des esclaves
sensuelles et soumises ou des bouffons grotesques et
serviles ? Si le Semblant le souhaite, je ne m’en plaindrai
pas !
Nous pouvons tout être, car nous ne sommes rien. Nous
jouons les rôles que le Masque nous attribue.
Voilà la seule et unique réalité. Nous sommes dans une
pièce de théâtre, et nous servons la Muse de cet art
magnifique en participant à chaque instant à la création
de son Oeuvre. Nous en sommes les matériaux, les outils,
les instruments et la musique. Nous sommes nous-
mêmes le Drame.
15
Ceci dit, il faut admettre que nous tendons à nous
spécialiser au fil du temps. Comme des acteurs plus à
l’aise pour interpréter certains rôles. Et si le Masque
choisit parfois de nous utiliser à contre-emploi, ce n’est
pas non plus très fréquent. Et puis, comme tout art le
Théâtre a ses règles, son harmonie. Il est question de
liberté créative et de beauté, pas d’un chaos informe
(Voir aussi le Livre de Base, pages 271 à 273).
La distinction la plus importante aux yeux du Metteur en
Scène est la suivante.
Il y a d’abord les Dupes (0 à 10 points de Perfidie), la
masse ignorante que nous piégeons et manipulons dans
nos intrigues. Figurants à l’arrière-plan de la scène, choeur
des anonymes et des foules, ils n’ont pas conscience
de participer à une pièce de théâtre et appartiennent
presque au décor. Victimes. Pions.
Il y a les Accessoires (10 à 100 points de Perfidie), dont
le Semblant érode lentement le libre-arbitre jusqu’à ce
qu’ils ne soient que des automates entre ses mains. Ils
répètent sans cesse des comportements stéréotypés, ne
vivent que de multiples variations d’un scénario unique
qu’ils sont chargés de servir.
Parmi eux on trouve ceux que vous appelez les Pantins
Grimaçants. De parfaits agents d’infiltration. Au
quotidien, leur comportement est parfaitement
normal. Leur Perfidie est indécelable, ils ne savent pas
que le Drame existe, ne sont pas plus maléfiques que
n’importe quel autre habitant de l’Harmonde, et je suis
sûr que beaucoup vous sembleraient infiniment plus
sympathiques et vertueux qu’une majorité d’Inspirés.
Mais qu’un Damné ou un Félon fasse appel à eux, et
tout change ! Ils sont comme possédés, pris d’une
terrifiante crise de folie. Leurs visages se figent dans des
expressions caricaturales, leurs gestes sont saccadés, leurs
comportements stéréotypés à l’extrême dans la violence.
Enfin, leur docilité compense ce manque de finesse et les
rend bien utiles. Sans oublier que, sitôt la crise passée, ils
retrouvent leur personnalité d’origine et oublient tout ce
qu’ils ont fait sous l’influence du Semblant.
Et les Marionnettes ! Voilà ce à quoi pensent en
général nos ennemis lorsqu’ils parlent des Perfides. Les
Marionnettes forment l’écrasante majorité des agents
du Semblant. Elles savent qu’elles servent une entité à la
puissance titanesque et qui dépasse leur compréhension,
mais ignorent la véritable nature du Masque. Ambitieux
sans scrupules qui croient avoir conclu une alliance avec le
Mal, fanatiques religieux qui s’imaginent guidés par une
divinité leur donnant le droit d’imposer leurs dogmes...
Ils se croient libres, sentent que la Perfidie les rend plus
forts, plus habiles, plus rusés, plus séduisants... La vérité
est que le Semblant les sculpte par petites touches pour
les adapter au mieux à leur rôle et les y emprisonner. Une
Marionnette choisie pour être un guerrier sera peut-être
le meilleur guerrier de l’Harmonde, mais sera rapidement
incapable d’être autre chose. Sera même incapable de
désirer être autre chose. Les Marionnettes sont guidées
par leurs obsessions, leurs habitudes, et toutes sortes de
petits comportements automatiques qu’elles ne peuvent
16
s’empêcher d’accomplir sans y penser, et qui sont les
marques de leurs rôles. Leurs sentiments et leurs émotions
sont artificiels, et malgré l’habileté qu’elles peuvent avoir
à manipuler les autres, toute véritable empathie leur est
impossible. Je vous l’avais dit. De parfaits Perfides.
Sans oublier toute la cohorte des monstres et autres
créatures étranges que sont les Noirâtres, Putrides,
Dénudées... Une force de frappe intéressante, et surtout
un moyen de tromper nos adversaires. Pendant que ces
êtres vous poussent à assimiler le Masque à une entité
de putréfaction et de terreur, vous oubliez que l’indicible
horreur n’est que l’un des nombreux rôles qu’il peut
interpréter. Il sait tout aussi bien jouer le comploteur aux
intrigues impénétrables, le séducteur infiniment suave,
ou la victime tragique et noble de mères injustes et d’un
Harmonde cruel...
Il y a enfin les Comédiens (10 à 100 points de Perfidie),
dont j’ai le privilège de faire partie. Tous ceux à qui le
Masque laisse la liberté de choisir comment ils veulent
interpréter leurs rôles, une fois qu’il les leur a attribués.
Les Maliciés, manipulateurs, espions, intrigants. Je les
aime beaucoup. Ce sont eux qui donnent de nous l’image
d’une vaste société secrète aux ambitions politiques.
Comme si un dramaturge allait réellement vouloir régner
sur les royaumes factices dont ses pièces racontent les
histoires ! Mais ne les dédaignez pas. Comme tous les
Comédiens, les Maliciés sont des artistes. Des virtuoses
de l’intrigue tortueuse, des maîtres des relations entre
les individus et de leurs réactions. Même s’ils n’ont que
rarement la possibilité de créer des Drames, ils sont
indispensables à leur bonne exécution. Ils préparent
l’entrée en scène des principaux protagonistes, ils
entretiennent la tension dramatique nécessaire, et veillent
à ce que des intrigues secondaires médiocres ne viennent
pas nuire au bon déroulement de la trame principale. Si
le Drame était une mélodie de clavecin, le Masque serait
le compositeur, les Accessoires seraient l’instrument, les
Maliciés les luthiers et les Félons les musiciens.
Les Félons, justement. Comme moi. L’élite de la troupe
des acteurs du Drame, j’ose le dire avec fierté. Nous
savons que le Masque est la Muse du Théâtre. Nous
savons que son but n’est pas de gouverner l’Harmonde
– honnêtement, s’il en avait envie il en prendrait le
contrôle en quelques jours – ni de le détruire, mais
de le magnifier et d’en faire, avec ses habitants, une
Oeuvre d’une irréprochable beauté. Vous la jugez cruelle,
grimaçante et grinçante ? Question de goût. Nous qui
avons prouvé notre dévouement, notre loyauté et notre
talent, nous avons le privilège de créer des Drames, certes
bien modestes en comparaison de ceux du Metteur en
Scène, mais indépendants. Ils sont les offrandes que
nous déposons à ses pieds, et nous sommes les artistes
de l’art de la Cinquième Muse. Contrairement aux idées
reçues, on peut devenir un Félon dès son premier contact
avec le Semblant. Tout est une question de potentiel et
de compétences (En termes techniques, un Perfide doté
de seulement 10 points de Perfidie peut très bien être un
Félon, si le Masque l’en juge digne).
Ce classement est-il rigide ? En général, oui. Et de toute
façon, la perte du libre-arbitre est irréversible. Un
Accessoire ne deviendra jamais un Comédien. Par contre,
un Comédien trop souvent décevant peut se voir retirer
toute capacité d’initiative et devenir un simple Accessoire.
Sans oublier qu’un Accessoire peut jouer le rôle d’un
Comédien et croire en être un, et qu’un Comédien peut
faire semblant de n’être qu’un Accessoire...
Vous vous interrogez sans doute aussi sur les pouvoirs
« surnaturels » dont nous disposons. Tout dépend une
fois encore de ce que le Masque attend de nous. Il nous
octroie ces dons pour nous aider à jouer au mieux les rôles
qu’il nous attribue, et peut à son gré nous les reprendre.
Oh, il y a bien sûr des généralités, des habitudes comme
d’attribuer la Mascarade aux Maliciés et la Mort Lente
aux Putrides. Mais la Muse du Théâtre aime surprendre
son public. Attendez-vous à l’inattendu.

Une dernière précision. Malgré mon apparente défaite je

Les drachmes
n’ai aucune animosité envers vous, bien au contraire. Peu
importait qui remporterait la victoire, puisque tout ceci
n’était que théâtre. Seule comptait l’élégance de notre
affrontement, et j’en ai retiré une immense satisfaction.
Néanmoins, la vengeance est un thème idéal pour un
drame grandiose. Si j’ai séduit votre épouse et déposé
cette lettre sur les cadavres encore chauds de vos enfants,
c’est donc uniquement par souci esthétique.
Bien à vous, dans l’attente impatiente de jouer le
prochain acte.

Rougelune, le 3ème jour de la dryade 1452.

Cher camarade,

Vous trouverez dans le coffre accompagnant cette missive

les précieuses drachmes que vous m’avez demandé : utilisez
les avec sagesse afin d’enrichir votre drame et de divertir
notre Maître. Et puisque vous n’avez jamais recouru à ces
accessoires, je me permets de vous transmettre quelques clés
à leur bonne utilisation.

Tout d’abord, apprenez que les drachmes étaient des pièces

comme les autres avant de servir le Drame. Vous constaterez
qu’elles gardent leur forme, poids et alliage d’origine
et reconnaîtrez des drachmes-pistoles, des drachmes-
aiglons, des drachmes-sous et j’en passe. Malgré cela, vous
différencierez sans problème vos drachmes des numéraires
plus usuels : leur mystérieux reflet faisant parfois apparaître
un inidentifiable profil – un avatar de notre Maître sans
doute – ajouté à ce sentiment étrange que la drachme est
unique, plus précieuse que les autres. Fascinant, n’est-ce
pas ?

Vous vous demandez sans doute d’où provient cette

particularité. Sans dévoiler les secrets de mon trafic, je
prends la liberté de vous révéler le cycle de la drachme. Ce
savoir vous permettra de mieux appréhender l’utilisation

Dudric

17
subtile et hautement corruptrice de votre commande.
Comme je l’ai dit précédemment, les drachmes sont des pièces
ordinaires dont le destin a basculé sous l’emprise de notre
Maître. Tout commence par une utilisation non-conforme
à la prétendue bonne morale : la corruption, le recel,
l’extorsion, le chantage ou encore l’exploitation s’avèrent
de précieuses pratiques pour la préparation de drachmes de
qualité.
Il s’agit ensuite de confier à un numismide ce qui n’est encore
– malgré son grand potentiel – que de la vile monnaie. Les
numismides sont des ogres passionnés par l’argent au point
de n’être plus que l’ombre de leur décan. Créatures flasques
et se tenant cachées de la lumière de Diurne, ils vivent pour
leur trésor. Tels des pères aimants, ils les nomment, leur
parlent, les chérissent. Peut-être les prendrez-vous pour des
fous perdus par leur avarice ? Et vous aurez probablement
raison : mais leurs efforts ne restent jamais vains. Peu à
peu, sous leurs caresses et leurs compliments, les pièces
s’éveillent et prennent conscience de leur nature corruptrice.
Fortes de leur nouvelle individualité, elles se distinguent
alors de leurs congénères et deviennent des drachmes.
Il suffit enfin d’acheter à prix d’or ces puissantes pièces à
leurs pères cupides. Quelle ironie, n’est-ce pas, de constater
que c’est un amour aveugle qui donne naissance aux
drachmes et qui pousse à leur abandon.
Les antiques drachmes
D’après certaines rumeurs circulant chez les
numismates de l’Harmonde, des pièces rassemblant
les caractéristiques des drachmes de manière bien
plus marquée auraient survécu à une destruction
systématique au début de la Flamboyance. Le
fameux reflet y serait relief et la puissance de la
pièce rendrait fou son possesseur. De là à penser
que le Masque a lui-même créé la monnaie
Vous saisissez sans doute à présent la particularité des
pièces en votre possession et la raison pour laquelle leur
valeur marchande double, triple ou même quintuple.
Ternes et Inspirés mal informés attribuent le sentiment
qu’ils ressentent à la vue et au contact de la drachme à
l’Eclat ou à l’ancienneté, alors qu’il provient uniquement
de sa conscience corruptrice. La grande valeur conférée
aux drachmes cultive leur individualité et c’est pour cette
raison que je vous conseille grandement de les distiller à des
personnes dans le besoin. L’importance vitale de l’unique
pièce d’un mendiant dépassera toujours celle de la bourse
pleine d’un riche marchand keshite. Ainsi retarderez-vous la
fatidique échéance, cher ami, où la drachme s’use, ou plutôt
sombre dans l’oubli. Après avoir colporté sa perfidie lors d’un
grand nombre de transactions, elle rentre dans l’anonymat
de la masse monétaire et disparaît pour redevenir la vile
monnaie qu’elle avait été. Peut-être servira-t-elle de nouveau
à acheter une drachme à un numismide, nourrissant et
réintégrant ainsi le cycle…
18
Les numismides
Corruption : 5 + 1d10 (+5 pour les ogres) DIFF 20
Les numismides sont les caricatures inverses des
ogres : les muscles atrophiés et le teint blême,
ils se terrent dans leur sombre salle au trésor. De
ce dernier provient toute la puissance et l’unique
faiblesse du numismide. A l’image de l’ogresse
enceinte, il entre en furie lorsque sa précieuse “
progéniture ” - et par extension lui-même – est en
danger. Il fait preuve alors d’une force surhumaine
malgré son physique et encaisse sans broncher
toute blessure, quelle qu’en soit l’origine. Le seul
moyen de le faire disparaître est de voler son trésor,
ce qui est extrêmement difficile sans affronter son
courroux (cf. La Sentence de l’Aube, p.157).
Vous comprenez à présent que l’unique moyen qui s’offre
à nos ennemis pour détruire notre or noir est de s’exposer
eux-mêmes à la perfidie en le dépensant. Fondre la drachme
altère son apparence mais pas son caractère corrupteur. Elle
devient une nouvelle valeur d’échange voilà tout. Enterrer
ou cacher la drachme ne fait que repousser la prochaine
transaction. Il est difficile d’oublier que l’on possède de l’or
maudit des numismides.
Vous en savez désormais suffisamment long sur le sujet et je
souhaite plein succès à vos drames.
Cordialement,
M. F. C
La corruption
Les règles de corruption d’AGONE sont modifiées
de la manière suivante :
En cas de tentative d’entrée en contact avec l’esprit
de la drachme, à l’aide de la Cyse ou d’un autre
pouvoir, l’Inspiré gagne 1d10 de perfidie s’il échoue
à un jet de VOL DIFF 15.
Autrement, la drachme corrompt uniquement pour
chaque dépense (achat, don, etc.), sans jet de VOL
possible, selon la valeur des drachmes déboursées
de la manière suivante : 1d10 (+1 par tranche de
100 po).
La corruption par les drachmes fait parfois
apparaître la peine perfide Avarice et le bienfait
Sens matériel. L’Avarice ronge le perfide en lui
faisant oublier la valeur des êtres vivants au profit
de la valeur matérielle ; par conséquent il préfèrera
sacrifier des vies si le gain est à la clé (+1 Esprit
noir). En contre partie, il acquiert un Sens matériel
aiguisé lui permettant d’évaluer à la pièce d’or
près toute marchandise. Ces présents du Masque
signifient souvent pour un ogre le début d’une lente
transformation vers la numismidie.
La valeur des drachmes dépend de la valeur des
monnaies d’origine. Les banquiers keshites les
plus corrompus estiment la valeur de la drachme au
double des pièces normales.
Nonène
 Sur la Voie de la chair
Vous en doutez mais j’étais moi aussi un Inspiré par
le passé, un Harmoniste de la Cyse et du Décorum. Je
tentais d’approcher les Muses en créant et modifiant la
vie. Je cherchais à toucher du doigt la perfection de leur
création, et les méthodes harmoniques traditionnelles
me révélèrent vite leur insuffisance. Tremblez-vous ?
Mon histoire est-elle si semblable à la votre ? Vous n’avez
aucune crainte à avoir, j’en suis la preuve. Ne remettez
pas en question vos expériences de la Voie de la chair car
je vous affirme qu’elle est l’unique clef de notre quête.
Ne rejetez pas non plus la jouissance que vous ressentez
à tailler et maquiller le corps pour le soumettre à votre
volonté. Notre matière première, vous en conviendrez,

Les frères du est bien plus noble que le marbre glacial ou la fragile
toile. Un ami m’a soufflé que vous aviez donné vie
à votre dernière création. Bravo maestro ! Très peu
y parviennent. Malheureusement, votre réussite fut
éphémère… Quelle tristesse ! Je rencontrai le même

Rictus problème à mes débuts. Quelle déchirure lorsque mes

œuvres redevenaient des viandes inertes et puantes. Puis,
comme vous ce soir, la confrérie du Rictus m’approcha, et
ses membres m’acceptèrent comme frère. Ils m’apprirent
des techniques que je n’avais jamais envisagées et me
guidèrent sur des chemins que je me refusais à suivre
– ma fierté d’Inspiré m’aveuglait.
C’est ainsi que j’accédai à l’ultime perfection de notre
Art. Je suis à présent l’un des Artisans de la Nuit.
N’ayez pas peur cher camarade, je ne suis pas dangereux.
Du moins pas… pour vous. Vous ne le savez pas encore mais
nous sommes semblables, vous et moi, et peut-être que nous
serons un jour frères.
Les Artisans de la Nuit
La curiosité et le désir se lisent sur chacun de vos traits,
mais chaque ride à vos yeux trahit autant de réserve.
Vous voulez en savoir plus sur la confrérie du Rictus – ne
niez pas, je lis sur les visages aussi sûrement que dans le
plus soigné des grimoires. Vous vous étonnez de n’avoir
eu vent plus tôt de notre existence. Rien de surprenant à
cela ! Les frères du Rictus se comptent sur les doigts de
la main, une élite très fermée – vous saisissez à présent
l’honneur que nous vous faisons ce soir. De plus, notre vie
est dévouée à notre art et nous ne sortons que rarement
de nos ateliers, si ce n’est pour remettre nos œuvres à des
commanditaires dûment recommandés.
Nos voyages sont d’une discrétion à toute épreuve.
Notre costume d’ombre et de brume, que vous pouvez
admirer sur mes épaules, nous permet d’apparaître en de
nombreux points de l’Harmonde selon notre bon vouloir.
Ce privilège nous permet d’assurer nos services dans les
lieux les plus reculés des Royaumes Crépusculaires. Un
ancien pacte entre notre fraternité et les Abysses est à
l’origine de ce pouvoir envié, les échanges avec notre très
estimé frère Vapula se révélant extrêmement fructueux…

19

Face à face
Tu te demandes encore quel est notre rôle et en quoi
consiste notre sacerdoce. Et bien rassure toi, notre
bienveillant Maître s’amuse de notre recherche esthétique.
N’est-il pas lui-même l’Ultime Perfection ? N’est-il pas
finalement l’aboutissement de notre quête ? Nous avons
tout loisir de poursuivre notre œuvre créatrice jusqu’à
Ses limites.
Malgré tout, une lourde tâche nous est confiée : la
confection des masques. Nous œuvrons dans les coulisses
du Drame pour que les acteurs puissent interpréter
pleinement leur rôle. De puissants disciples du Semblant
ont recours à nos services, comme les Carnavaliers qui
doivent cacher les traces visibles de leur corruption, ou
encore les Sinistres faciès (cf. Le Cénacle des Immortels,
site du Souffre-Jour) qui remplacent l’être qu’ils jalousent.
D’autres, mis en déroute par des Inspirés, adoptent une
nouvelle identité pour brouiller leurs pistes et préparer
leur grand retour sur scène.
Notre art est indispensable au Drame, cher ami, et la
confection des masques en est la discipline reine. La
beauté et la complexité du visage sont des défis constants
à notre génie et je serais fier de vous transmettre notre
savoir. Venez, suivez-moi, car vos rides se sont estompées,
et votre sourire me dit que plus rien ne vous retient.
20
Les masques du Rictus
Un masque du Rictus est une œuvre de Cyse cor-
rompue par la Voie de la chair. Copie conforme
du visage d’un habitant de l’Harmonde, il est gé-
néralement utilisé loin de son original car il lui est
intimement lié. Ainsi, toute modification sur le vis-
age d’origine s’applique également au masque et si
l’original vient à se mirer au plus profond des yeux
malsains de sa copie, le masque se racornirait aus-
sitôt.
Le porteur bénéficie de ce lien, accédant à toutes
les connaissances de l’original et adoptant à volo-
nté toutes ses manières pour que l’illusion soit par-
faite.
Les Carnavaliers
Voilà de nombreuses années que j’enquête sur l’alcoolisme
et ses liens supposés avec le Semblant. Je voyageai de
taverne en taverne, de bals populaires en carnavals
et autres fêtes populaires. Je participai à nombre de
beuveries et moult kermesses pour arriver aux quelques
conclusions que voici.
La fée carnaval
Ce fut au carnaval de Ville-Tanis que j’observai mon
premier Carnavalier. Cet homme profitait de l’ébriété
et de l’euphorie générales pour invoquer de curieuses
créatures. Réminiscences de l’esprit et des liqueurs
ambiants, ces élémentäs d’alcool ou fées Carnaval
s’insinuent dans l’organisme du fêtard à la faveur de la
frénétique consommation des spiritueux. La fée Carnaval
amplifie la gaieté et lève les tabous du consommateur,
avec toutes les conséquences, positives comme délétères,
que cela suppose.
Ainsi, les noceurs se soumettent le temps d’une nuit de
fête à la perfide influence du Carnavalier qui s’amuse
à mettre en scène leur débauche. Il semblerait que ces
petites farces burlesques, qui se terminent parfois
d’horrible façon, amusent beaucoup le Masque. De
plus, les situations gênantes et les secrets divulgués à ces
occasions sont autant d’amorces à des Drames de plus
grande envergure. Il ne faut donc pas sous-estimer les
conséquences corruptrices de ce que l’on pourrait croire
d’innocentes beuveries. L’alcool n’excuse pas tous les
excès, et surtout pas ceux de la fée Carnaval…
Carnavalisme
Bien entendu, le passage de la fée Carnaval laisse de
profonds ravages chez les possédés qui sont alors atteints
de ce que les érudits nomment carnavalisme. Souvent
évoqué par les médecins, ce phénomène mal connu L’Adieu à la chair
m’a souvent été décrit, mais n’a dans la plupart des cas La nature et l’origine des Carnavaliers me furent difficiles
ni explication, ni traitement. Les symptômes mêlent à percer et certains éléments m’échappent encore. C’est
ceux de la dépendance alcoolique et de l’addiction aux un livre vivant de la bibliothèque opaline abymoise qui
élémentäs. Cherchant à renouveler la grisante expérience me fournit certains détails concernant le pouvoir des
de la fée Carnaval, les victimes de ce mal sombrent dans masques et costumes du Carnavalier. Ces informations
l’ivresse et la débauche. Des initiatives désespérées ont ont noirci ma Flamme mais je pense qu’elles sont
été proposées pour aider ces malheureux, comme celles capitales pour notre Lutte.
du père Alphonse Magnon le Vert de l’hospice Saint- Il est très difficile de reconnaître un Carnavalier dans
Imélion, qui tente vainement de les désintoxiquer. La une foule de fêtards tant son costume et son masque
plupart de ses patients finissent néanmoins dans les – son visage ? – passent invariablement inaperçus. Le
geôles ou sur les échafauds pour mauvaises mœurs, Carnavalier change instantanément d’apparence selon les
troubles de l’ordre public et autres faits plus graves, besoins. Jovial compagnon dans une taverne mercerine,
toujours liés à la débauche et à la chair. il devient un distingué convive dans une réception
ophidienne. Il n’est pas le boute-en-train des festivités
qui, alcool aidant, parle plus fort que les autres ; c’est
plutôt le sympathique inconnu qui met en confiance
l’assemblée, qui trouve toujours le mot juste pour retenir
La fEe Carnaval le fêtard pour un dernier verre. Mais il est surtout celui
qui est à l’origine de la meilleure idée pour terminer la
PUI : 30 fête en beauté.
Rareté : 20
Localisation : Lieux et moments frénétiques et
fortement arrosés
Les règles d’utilisation de la fée Carnaval sont
celles de l’élémentalisme du Souffre-Jour 1, p. 45-
52 (dont l’accoutumance). L’unique spécificité de
la fée Carnaval est qu’on l’invoque plus facilement
dans les lieux bondés que dans les lieux discrets.
La fée Carnaval est intimement liée aux Carnava-
liers qui sont ses uniques invocateurs. Apparais-
sant dans des récipients remplis de boissons spi-
ritueuses, la fée Carnaval a les mêmes propriétés
que l’alcool : consistance, goût, inflammabilité. Sa
forme s’adapte quant à elle à l’ambiance du lieu où
elle est invoquée.
L’alcool étant un liquide de décomposition, la
fée Carnaval appartient aux élémentäs d’eau de
l’Automne. Certains prétendent qu’il s’agirait du
souvenir de la bacchanale qui rassembla la Dame et
le Semblant avant l’Eclipse, d’autres pensent qu’il
s’agirait de l’ivresse de l’Automne avant de con-
clure son irréparable alliance avec le Masque.
La consommation de l’élémentä provoque une ir-
résistible envie de danser et chanter comme les
feuilles et les sifflements du vent d’automne. Une
indicible euphorie s’empare du consommateur qui
perd toute pudeur et tout maintien. Il est alors aisé-
ment manipulable.
En termes techniques, la VOL du consommateur est
divisée par 2 et il est possible de lui dicter subtile-
ment ses actes par un jet de CHA + Intrigue contre
le score de VOL de la victime. La victime gagne
également 1d10 points de Perfidie. Le consomma-
teur bénéficie tout de même de +2 en Baratin et
Étiquette : pilier de bar.

21
Ce pouvoir caméléonesque du Carnavalier est une œuvre
des frères du Rictus. Le Masque choisit ses disciples parmi
ses sbires les plus corrompus. Les futurs Carnavaliers
subissent d’horribles outrages physiques en relation
avec leur corruption. Leur rôle n’étant pas d’effrayer ou
d’inquiéter, bien au contraire, le Semblant offre à ses
Carnavaliers les services de ses précieux Artisans de la
Nuit. Ces derniers harmonisent les visages boursouflés
de perfidie en superposant plusieurs masques de chair
dont ils ont le secret. Ainsi les Carnavaliers redeviennent
beaux et avenants et peuvent adopter la personnalité de
l’un ou l’autre de leurs masques à volonté.
Corollaire de ce don fantastique, il existe une forme
particulière de schizophrénie connue des seuls
Carnavaliers. L’Adieu à la chair est le nom donné par les
frères du Rictus à ce phénomène lié à la multiplication des
22
visages : un oubli de l’identité première, une confusion
des émotions et un délaissement partiel de l’intégrité
physique, au service de la débauche et des excès.
J’écris ici tout ce que je sais sur le sujet. Cela peut
paraître bien maigre, mais ces quelques informations
sont le travail d’une vie. La Perfidie s’est insinuée en moi
durant ces investigations. Les savoirs interdits et les fées
Carnaval pourraient bien avoir raison de ma Flamme.
A présent, il est temps pour moi de cesser la Lutte, de
prendre ma retraite à Saint-Imélion, auprès de Magnon.
Que les Muses m’accordent la force de résister aux attraits
carnavalesques…Bien à vous, membres des Décans,
Acrebar d’Ardemine

Les premiers
Je suis l’Hoch Drakeners Angus de Larrérah, né en -
1456 de votre calendrier, lors de ce que vous nommez la
Flamboyance. Je suis immortel.
Ecoutez mon histoire, petits Inspirés, que cela vous plaise
ou non.
Général de l’armée de mon Uradel , posté dans l’ouest de
l’Empire d’Armgarde, je défendais alors les fortifications
de la cité d’Hurkland, aujourd’hui disparue. Les armées
venant de l’Est tenaient le siège depuis plus d’un an.
Nous attendions les renforts depuis six mois… Seul
l’honneur de combattre pour mes terres et mes gens me
tenait encore debout. Mais je cédais du terrain devant la
peur et l’affliction de mes hommes. Leur courage, un roc
que je croyais inébranlable, s’effritait en tas de sable avec
le temps, doucement.
Je m’en souviens comme hier. Un calme rare et mal
apprécié, régnait sur ma citadelle. Le chambellan m’avait
annoncé la visite d’un mendiant. Il déclarait avoir
traversé les lignes ennemies pour m’apporter de grandes
nouvelles, et demandait asile en échange de ses dires.
Grand et mince, encapuchonné, puant ses jours à ne pas
se laver et à côtoyer la fange, la stupeur me saisi quand je
découvrit sous sa crasse, un visage à la beauté sans pareil.
Sans autre présentation, il prit nonchalamment place sur
le fauteuil qui faisait face à mon bureau, et m’annonça
d’un ton goguenard, qu’il détenait la solution pour
mettre fin au siège d’Hurkland. Comment osait-il me
parler ainsi, à moi, l’Hoch Drakeners ? Partagé entre rire
et colère, je lui offrais à boire, curieux de voir jusqu’où
irait son audace, avant que je le livre aux bourreaux.
Pourtant, cette nuit-là changea mon existence à jamais.
Nous conversâmes jusqu’au petit jour. Et je pleurais… oh
oui, je pleurais, moi, « Angus le cruel », Général d’Uradel.
Par ses mots, je découvrais le monde comme un enfant,
sous un angle nouveau. Ce n’est qu’au matin qu’il me
révéla enfin le moyen de vaincre mes assiégeants.
Nul ne compris pourquoi, dés le lendemain, je le fis laver et
vêtir, avant de renvoyer mes officiers et de suspendre mes
aides de camps. Je m’enfermais alors avec lui, en laissant
la citadelle aux mains de mes suppléants. Des semaines
s’écoulèrent. Cloîtré dans mon étude, j’apprenais les
secrets d’un Harmonde dont je ne soupçonnais pas
l’existence et je découvrais, jour après jour, des facettes
de moi-même qui m’étaient encore inconnues. À son
contact, je perdais mes forces, mais en retrouvais de
nouvelles. Bien loin des soucis qui habitaient ma vie il y
a encore quelque temps, je ne fis pas de plan de bataille
et n’organisa aucune stratégie de défense. Le moral de
mes hommes baissa aussi vite que leur sois disante
discipline.
Et puis vint ce jour…
Au terme de mon absence, les premières fortifications
d’Hurkland étaient aux mains de mes ennemis. Mes
orgueilleux officiers ne pouvaient pas l’accepter. Le plus
gradé d’entre eux fit alors irruption dans mon étude. Il
venait de supprimer les gardes que j’avais posté à la porte,
avec ordre de ne laisser entrer personne. Il m’exhorta
de congédier cette « plaie de mendiant insipide qui
me rongeait l’esprit » depuis tant de semaines. Je tuais
cet officier sur-le-champ pour punir son insolence. Je
posais ensuite mes yeux sur ce qui restait de ma cité :
les ruines fumantes de la première enceinte et les cris
de mes hommes qui défendaient la seconde. Imbéciles…
L’étranger m’avait apporté la solution, leurs sacrifices
étaient vains. Je savais ce que je devais faire maintenant.
Le soir même, vingt trois coudées plus bas, à l’aplomb de
ma fenêtre, mon corps s’écrasa sur le sol pavé de la cour.
Je ne sais plus combien de temps je passais ensuite à
errer dans le noir, mais la voie du mendiant me ramena
à la vie. Levé de ma tombe, je revins damné, le corps
défait et l’âme brisée. Mais un pouvoir comme jamais je
ne l’avais imaginé m’habitait maintenant. Je n’étais plus
animé que d’une seule volonté : la Sienne. Il m’apprit
comment souffler la vie de mes ennemis, en éteignant
leurs Flammes. C’est depuis ce jour, que j’arpente
l’Harmonde au service de ce mendiant que je connais
bien aujourd’hui.
La fin de mon histoire est simple et tragique. Après
mon décès, Hurkland fut sur le point de tomber. Me
voyant revenu de la mort, mes hommes reprirent un
espoir suffisant pour ne pas s’effrayer du prodige. Je
leur déclarais revenir pour leur apporter la victoire. Cela
leur suffit et ils n’eurent ensuite qu’à écouter avec effroi
les cris de douleur de nos ennemis auxquels j’éteignais
la Flamme et la vie. Toutes les nuits furent les mêmes
pendant près de cinq jours. Tous moururent de mes
mains, l’un après l’autre. À mon retour, mes hommes
virent avec horreur la puissance qui m’habitait, et ce que
23
risquaient ceux qui dressaient contre moi. Ceux qui ne
voulurent pas me suivre subirent le même sort que les
assiégeants.
J’offris Hurkland au Vagabond, ainsi que les Flammes
de tous mes sujets. D’autres, comme moi, naquirent à
travers l’Harmonde et mouchèrent les étincelles des
Muses pour rendre l’Homme à son créateur. Mais nous
n’étions que trop peu et, souvent, mes semblables
tombaient. Persécutés, il nous fallu bien vite nous cacher.
Nos pouvoirs nous permettaient de tenir des escouades
en échec, mais l’objectif n’était pas de détruire les
enfants du Vagabond. Il nous fallait trouver le moyen de
supprimer leur Flamme qui, malgré nos efforts, passait
irrémédiablement des corps des défunts à ceux des
nouveaux nés. C’est ainsi que je suivis les pas de mon
maître et que je devins le mendiant, moi aussi. Je suis
maintenant un homme sans présent, ni passé, ni future.
Je suis Son ombre. Tel un peintre, j’ai dessiné, touche
après touche, le tableau de mon maître, sur la toile des
Muses.
Et puis vint l’Eclipse…
Peu après, je fis la rencontre du comte de Frimaspre
que je croyais figurer parmi mes semblables. Je me
trompais lourdement : il n’était pas un moucheur, mais
un colporteur de noirceur. Le damné d’une nouvelle
génération qui allait marquer la fin de mon rôle. C’est
en chevauchant avec lui, que je compris que nous avions
gagné. Les Flammes, d’elles-même, s’écrasaient sur le
Voile de l’Automne. Il était inutile de poursuivre leur
24
chasse. Le Vagabond préférait aujourd’hui jouer avec
les dernières, comme le chat joue avec la sourie sur le
point de mourir. Les colporteurs avaient pour mission
de corrompre, là où la nôtre était de détruire… Alors quel
était mon rôle maintenant ?
La réponse était devant moi : le comte de Frimaspre.
La nouvelle création de celui que l’on nommait « le
Masque » à présent, tenait entre ses mains le pinceau qui
servirait, à peindre le nouveau tableau de son Drame, sur
mon propre croquis. Mon œuvre était achevée. Mais à
quoi servirais-je dans l’avenir ?
Je ne suis aujourd’hui qu’un accessoire de théâtre
oublié, rangé dans une malle que l’on ressortirait peut-
être un jour, si les Muses reprenaient le dessus. Si elles
y parvenaient, alors seulement j’aurais une chance
de renaître… Il y a quelques jours, Figaros de Karabras
est venu me présenter la Critique (1). Son mouvement
dissident est ce qu’il me faut pour voir revenir ma
gloire passée. Je n’ai pas hésité. Et si je viens vous voir
aujourd’hui, méprisables Inspirés, c’est par ce que vous
allez m’aider à retrouver le rôle que l’on m’a volé. Je
saurais attirer de nouveau le regard de mon maître, si le
Centresprit retrouve toute sa puissance…
(1) cf La Chaire des Damnés p.32 et l’avènement
de la Critique p.34
Lionna

L’ Art du Semblant
Monseigneur,
J’ai appris que notre maître vous a accordé une audience
et vous recevra bientôt dans la Caravane Noire, sans doute
pour vous féliciter pour votre dernier drame. Un honneur
mérité. La vendetta sanglante née du suicide de ces deux
amants est bel et bien un chef d’oeuvre.
Si j’ose vous écrire, c’est pour vous supplier de transmettre
ma requête au Vagabond. Je vous en conjure, Monseigneur,
convainquez-le de nous laisser montrer à nos ennemis ce que
sont réellement les Harmonistes du Semblant ! Mes espions
auprès du Conseil des Décans m’ont transmis certaines des
prétendues « études » que rédigent les esclaves de Janus,
et je tremble d’indignation et de colère à la lecture de tels
blasphèmes.
Selon les Sigiles, les Arts mis au service du Semblant sont
des « Arts Pervertis », et la description de leur potentiel
n’est qu’une liste de mauvais sorts dignes des sorciers
déments qu’on trouve dans les contes pour enfants, ou les
superstitions campagnardes. On ne parle que de victimes
hideusement déformées, d’objets rongés par la pourriture et
de créatures malsaines et monstrueuses.
Evidemment, tout cela est vrai. Mais ce n’est qu’un aspect
des choses, un des nombreux visages de la Mascarade.
Evidemment, il y a une puissance évocatrice indéniable
dans cette incarnation des peurs ataviques des habitants de
l’Harmonde, cette manifestation tangible de leurs terreurs
inconscientes. C’est d’ailleurs une force que nous aurions
tort de négliger, à la fois utile et sombrement magnifique.
Mais nous y réduire est ridicule. Nous cantonner à la
putréfaction et au grotesque grimaçant... En somme, nos
ennemis ne voient en nous que le déclin destructeur de
l’Automne et les caricatures cruelles des Abysses.
Et j’ai peur, Monseigneur, qu’à force de jouer ce rôle pour
les tromper nous finissions par nous y complaire et en être
prisonniers. Déjà, trop de jeunes Harmonistes du Semblant
se méprennent totalement sur l’Eternel qu’ils servent.
Même eux finissent par oublier que l’Ombre et l’Automne
ne sont que des pantins de notre maître, et que le Masque ne
se résume pas à cette alliance même si elle l’aide à jouer un
de ses nombreux rôles. Il est ce qu’il décide d’être, il est son
propre rôle et tous les rôles qu’il interprète, parfaitement et
merveilleusement en harmonie avec les drames qu’il choisit
de mettre en scène. Il est la Muse du Théâtre !
Et c’est le théâtre qui unifie et transcende nos Arts, qui les
élève à leur véritable dimension, qui leur donne un but.
Il est intolérable que certains des nôtres l’oublient, il est
inacceptable que nos ennemis continuent à l’ignorer.
A l’image du clavecin, l’Accord est l’orchestre du Semblant.
C’est dans l’union avec la Symphonie du Drame, dans ce
mariage glorieux de mélodies qui s’entremêlent, qu’il trouve
sa profondeur. Il est l’indispensable accompagnement aux
pièces que nous montons. Il permet aux acteurs de ressentir
les émotions des personnages qu’ils incarnent, de se fondre
en elles jusqu’à ce qu’elles remplacent les leurs. Grâce à
l’Accord, les acteurs s’effacent devant leurs rôles, se laissent
posséder par eux et transporter par l’atmosphère des drames
qu’ils jouent. C’est ainsi qu’ils sont dirigés, c’est ainsi que la
mise en scène atteint au sublime.
Le Décorum ne se résume évidemment pas à l’Automne,
même si le pourrissement inéluctable de toute chose
possède sa propre beauté, tour à tour mélancolique et
sinistre. Le véritable Décorum suppose de comprendre que
l’Harmonde n’est qu’un décor, de vivre à chaque instant
cette compréhension dans le regard que l’on porte sur les
choses. Il est la nécessité de redessiner l’Harmonde en
fonction des besoins du Drame, la volonté d’utiliser les
Saisons dans toute l’ampleur de leur symbolique sans autre
considération que d’harmoniser l’ambiance d’un lieu aux
intrigues qui s’y nouent.
La Cyse n’est pas que la corruption ou la Voie de la Chair. Elle
est la fabrication exaltante des accessoires de la grande pièce
de théâtre. Elle est leur minutieuse adaptation aux exigences
du scénario du Drame et surtout à ses critères d’élégance
impitoyables. Elle est la patiente semaille de graines de
tragédie qui germeront et prospéreront lorsqu’une victime
inconsciente s’en saisira, elle est le prix à payer pour des
pouvoirs interdits, la tentation d’un trésor empoisonné...
Et la Geste ! La majestueuse déclamation des tirades, le
rythme des dialogues pareil à celui d’un duel ou d’une
danse ! C’est le Temps qui ralentit pour que l’on savoure
chaque battement de coeur de ces instants où tout bascule,
qui s’accélère pour se concentrer sur l’essentiel, qui se tord et
se noue pour tisser une intrigue où les secrets ne se révèlent
qu’au moment le plus opportun sans être prisonniers d’une
banale chronologie.
Monseigneur, nous pouvons être fiers de ce que nous sommes
et de la bouleversante beauté que nous servons. Non, en
réalité nous le devons. Nous le devons à l’Harmonde. Nous
25
le devons à nos Arts. Nous le devons au Drame. Et nous le
devons au Masque.
Bien sûr, je comprends la nécessité de conserver certains
secrets par devers nous dans la lutte qui nous oppose à
Janus. Mais n’est-il pas temps de nous révéler ? Les rares
Inspirés qui ne nous ont pas rejoints sont faibles et fragiles.
Ils sont pris dans la tourmente du Drame, ils s’enfoncent
dans les rôles que le Masque leur assigne alors même qu’ils
croient le combattre. Nous avons gagné, Monseigneur ! Ne
devrions-nous pas nous dévoiler et prouver à nos ennemis
toute l’ampleur de leur ignorance ? Ne devrions-nous pas,
en un ultime geste de triomphe, leur montrer la véritable
beauté du Drame ?
Bien respectueusement.
La fin et les moyens
Eminence,
En dernier ressort c’est à vous de décider des règles
morales que doivent suivre vos Inspirés pour ne pas
succomber au Masque.
Il nous semble toutefois pouvoir affirmer que chaque
fois qu’ils utilisent les Arts en négligeant de prendre
en compte les aspirations légitimes et les besoins de
leurs cibles, ils font le jeu du Semblant.
Employer massivement le Décorum de l’Eté pour
combattre un Démon sans se préoccuper de la
sécheresse qui menace d’en résulter et de détruire
une forêt magnifique, ou d’affamer un village par
manque de récoltes, n’est digne que de serviteurs de
la Mascarade.
Si, par exemple, vos Inspirés découvrent qu’un
village de leur Domaine est harcelé par des brigands
et qu’ils utilisent le Tambour pour donner à ses
habitants le courage de combattre, ils font l’oeuvre
des Muses.
Si, au contraire, ils tendent un piège à un Damné
pour l’attirer dans ce même village, et utilisent le
Tambour pour transformer les villageois en chair
à canon et submerger leur ennemi sous le nombre
avant de l’achever, ils se comportent exactement
comme le Masque lui-même et ne servent que lui.
Ils auront alors bien mérité, à votre convenance, un
gain de Perfidie.
Veillez toutefois à ne pas tomber dans des caricatures
regrettables, où la rigidité d’une prétendue vertu
n’est qu’un carcan aveugle aux nuances de la
réalité, ou au contraire à confondre pragmatisme et
cynisme. De telles visions de l’Harmonde seraient
par trop factices. Théâtrales, et pourtant indignes du
tragédien qu’est le Masque.
La fin justifie-t-elle les moyens ? Y a-t-il une bonne
et une mauvaise réponse à un dilemme lorsque des
sacrifices deviennent inévitables ? Vous seule êtes
juge, Eminence.
26
Mon cher ami,
Je partage en grande partie votre indignation devant
les calomnies absurdes de nos adversaires. Ils ont,
néanmoins, touché du doigt une vérité que vous omettez
de mentionner. La vision particulière que nous avons
de l’Harmonde – la scène d’un théâtre – nous ouvre des
possibilités bien concrètes puisqu’elle nous délivre de
l’essentiel des contraintes qu’ils s’imposent.
Pensez par exemple au faux-accord (Voir l’addenda au
présent Souffre-Jour) et à la destruction de l’esprit qu’il
permet. Pensez à nos tableaux-mondes, à ces univers où
l’influence de l’Automne se fait permanente et colore
la Mascarade, où des bals masqués somptueux dansent
d’étranges farandoles au milieu de palais envahis de
ronces pourrissantes. Souvenez-vous des livres de chair et
des frères du rictus. Des duos d’Harmonistes de la Geste
dont les dialogues récités créent des boucles temporelles
condamnant leurs cibles à revivre sans cesse la même
tragique journée.
Sur l’essentiel, ceci dit, j’admets que vous avez raison.
L’influence du Semblant ne réside pas tant dans la
technique de l’Art que dans son esprit, dans ses buts et
dans son esthétique. A ce titre, leur ignorance nous livre
bien souvent ces Inspirés qui croient nous combattre.
Sous prétexte qu’ils pratiquent des Arts « purs », ils
s’exonèrent de toute réflexion morale sur l’usage qu’ils
en font. Mon propos n’est pas de vous infliger une
longue tirade sur les liens entre l’esthétique de l’art
et l’éthique, ni le sens des responsabilités qui devrait
accompagner l’exécution des Oeuvres d’Arts Magiques.
Mais gardez à l’esprit que chaque fois que nos prétendus
ennemis utilisent leurs pouvoirs sans considération
pour les aspirations propres de leurs cibles, chaque fois
qu’ils traitent l’Harmonde et ses habitants comme le
décor et les pions d’un scénario où tout est permis pour
nous vaincre, ils renforcent l’emprise du Drame sur les
Royaumes. Et se livrent à l’étreinte de la Perfidie.
Je dois néanmoins, mon ami, vous détromper sur un
point important.
Dans la guerre qui nous oppose à Janus et à ses agents, et
qui n’est en définitive rien d’autre que la mise en scène
d’une tragédie épique, nous avons certes l’avantage mais
pas encore la victoire. Nous devons donc être prudents,
et préserver nos secrets.
A aucun prix les Harmonistes qui nous affrontent ne
doivent découvrir leur véritable pouvoir. Car la beauté
qu’ils peuvent créer est capable par sa seule existence de
déchirer la trame du Drame. Lorsque des gens vibrent
d’une émotion sincère à l’écoute d’une symphonie,
lorsque la beauté d’un poème les bouleverse, lorsqu’ils
s’émerveillent devant une statue ou se surprennent à
des rêveries féériques en contemplant un tableau, ils
ressentent une communion authentique et profonde
avec l’héritage des Muses. Comme lorsqu’ils pleurent
de joie en découvrant la splendeur d’un paysage révélé à
l’horizon ou se plongent en riant dans l’éclat aux infinies
nuances et les parfums d’une forêt. Dans ces instants là
ils ressentent quelque chose de vrai, quelque chose qui
n’a rien de théâtral, et ils nous échappent.
C’est un danger auquel il nous faut rester vigilants.
J’ai néanmoins transmis votre requête à notre maître, et il
a été sensible à votre loyauté et à votre sincère admiration
pour son oeuvre. De son propre aveu, un Eternel devrait
depuis longtemps être indifférent aux compliments de
simples mortels comme vous et moi, et pourtant ! Le
Masque est un artiste, et il ne peut pas nier qu’il est
important pour lui de plaire à son public. Même s’il doit
répondre par la négative à votre demande et continuer
à nous imposer le secret, ils vous remercie et espère
que vous considérerez la Morgane qui vous porte cette
missive comme une récompense, et un encouragement
à persévérer.
Dans l’hypothèse improbable où vous choisiriez malgré
tout de révéler à nos ennemis ce que sont vraiment les
Arts du Semblant, vous découvrirez bien vite que ses
talents ne se limitent pas aux prouesses d’une courtisane,
et qu’elle est un tortionnaire accompli. La famille du
Bien à vous, en vous souhaitant des drames foisonnants
d’élégance, de passion, de larmes et de sang.
Clavecin

Eminence,
C’est un immense plaisir de vous recevoir. Vous êtes
surprise que je vous connaisse ? Allons, vous n’espériez
pas que le pâle anonymat du Souffre-Jour resterait
éternellement inviolable ! Je vous en prie ne luttez
pas contre vos liens, vous risqueriez de vous blesser. Je
vous promets de vous détacher. Je veux juste que vous
m’écoutiez, et qu’ensuite vous écoutiez ma musique.
La musique... Le plus beau, le plus grand des arts des
Muses, celui qui porte leur nom ! Celui qui s’empare
de nos âmes et de nos esprits, nous transporte, nous
bouleverse, nous exalte...
Je suis un serviteur des Muses. Bien plus que vous,
d’ailleurs. Vous ne me croyez pas ? Alors réfléchissez !
L’Harmonde est une oeuvre d’art : seuls des artistes
peuvent le comprendre et l’aimer. Et qui serait digne de
tous les guider pour donner à l’Harmonde la perfection
à laquelle il aspire, à laquelle il a droit ? Qui, sinon une
Muse ? La dernière d’entre Elles, la seule encore en vie.
Vous servez Janus qui n’est qu’un administrateur
tatillon et procédurier dont les Sentences contraignent
l’Harmonde et l’emprisonnent. Vos Inspirés nourrissent
leurs Arts avec les souvenirs déliquescents des Muses
disparues. Nous sommes les disciples d’une Muse bien
vivante, dont la puissance habite nos créations !
Nous sommes la famille du Clavecin.

Dudric

27
Échos profanes origines et notre chute mais aujourd’hui, je suis fier du
(Eminence, par souci de clarté nous appellerons travail accompli.
Clavecinistes les Inspirés – aujourd’hui les Damnés
– de la famille du Clavecin, et clavecinistes les Ternes qui
jouent de cet instrument).
Histoire
Peu se souviennent de ce que fut notre Art après la
Quelques accords sur ces touches d’ivoire, quelques
renaissance de l’Accord. Là où le cistre joue sur la mémoire,
frémissements de ces cordes de cuivre, et je plie à la
la flûte sur la volonté, la harpe sur les sentiments, nous
volonté de mon maître l’esprit du plus déterminé
étions les maîtres des fantasmes et des rêveries. Les
des hommes. Pourtant les rumeurs sur l’Harmonde
artistes du désir et de l’espoir. Nous pouvions, le temps
racontent que le clavecin est le plus inoffensif des
d’une mélodie, rendre presque réelles toutes ces scènes
instruments de musique. De l’Urguemand aux Terres
imaginaires dans lesquelles il est si bon, parfois, de se
veuves, toute jeune fille de bonne famille a un jour pris
projeter.
des leçons de clavecin auprès de professeurs mondains
Croyez-moi, même le plus puissant est désarmé lorsque,
qui le qualifie d’instrument subtil et noble, parfaite école
pour quelques instants, nous lui permettons de vivre
de concentration et de discipline. Il est un objet coûteux,
son rêve le plus secret... Nous étions admirés pour notre
aussi, et dès lors raffiné aux yeux de la bourgeoisie et de
habileté, courtisés pour l’enivrante consolation de notre
la noblesse.
musique ; nous étions craints pour notre capacité à
Nous portons les stigmates de la plus terrible malédiction
refuser nos faveurs comme à créer des fantasmes parfaits
de l’Histoire : nous paraissons des musiciens de cour
desquels l’esprit refuse de revenir. Et nous étions les
inoffensifs, et cette illusion nous sert à merveille ! Parmi
ambassadeurs de l’Inspiration auprès des puissants de
tous ces enfants prenant des cours de clavecin, nous
l’Harmonde.
recrutons les futurs maîtres de notre Art.
Ceci dit, l’ignorance de l’immense majorité des
Mais notre destin changea au sixième siècle après
clavecinistes sur la véritable nature de notre instrument
l’Eclipse, de la main de Marsyane.
est fondamentale et nous y veillons : nous tenons ces
Elle était la plus talentueuse d’entre nous, compositrice
Ternes à l’écart de l’influence de la Perfidie et ils nous
éblouissante et sans égal. Au nom d’Orphèle, elle passa sa
protègent de leur innocence. Les conservatoires de Ranne
vie à combattre la cinquième Muse et pourtant lui offrit
et de Teschi par exemple, sont les meilleures écoles de
le clavecin. Marsyane voulait apporter à l’Harmonde la
clavecin qui soient. Tout l’Harmonde vient assister à leurs
véritable harmonie, faire résonner une musique d’une
récitals, elles attirent les plus talentueux des luthiers, et
telle magnificence que nul, pas même le plus corrompu
nous en sommes presque absents. Nous les protégeons et
des Perfides, ne pourrait résister à son influence. Elle
les observons avec attention mais nous ne les influençons
savait que l’Harmonde baigne dans les échos de la voix
que très rarement.
d’Orphèle mais pensait que la musique de l’harmonie
A quoi bon, d’ailleurs ? Nous n’avons jamais été aussi
ne devait pas s’offrir mais s’imposer. Et puisque la Muse
populaires. En Janrénie, le clavecin est le symbole d’une
jadis n’avait pas créé une telle musique, Marsyane le
société de délicatesse et de douceur. Les Communes
ferait en son nom.
princières admirent nos talents de courtisans. Les
Pour accomplir son œuvre, elle jeta son dévolu sur les
mercerins respectent la complexité technique de notre art
montagnes boisées de l’Oréliade, domaine qui abritait
et le travail auquel il faut s’astreindre pour le maîtriser ;
une Perfection à l’acoustique sans pareille, lieu de
le clavecin incarne pour eux les précieux moments de
splendeur où les cygnelines s’arrêtaient chaque année
paix entre deux batailles. La Province liturgique adore
pour chanter (cf. Souffre-Jour n°1). Marsyane devint la
nos harmoniques, sublimes odes à Saint-Neuvêne. Et
conseillère et la maîtresse du seigneur, puis la souveraine
les Terres veuves, Eminence, notre paradis ! La culture
du domaine où elle s’installa avec ses disciples. Elle
ophidienne, belle et cruelle, est soeur de la nôtre. Et
décida d’imposer le silence à l’Oréliade pour que seule sa
il nous est facile de recruter des médusins de talent,
musique influence et guide les esprits des habitants : elle
auxquels le Grand Compositeur offre les opportunités
interdit de jouer d’autres morceaux que ceux composés
que le matriarcat leur refuse.
par elle, fit réduire au silence les Elémentäs d’Orphèle,
Certes, la situation n’est pas partout aussi idyllique. La
abattre les arbres dans lesquels soufflait le vent. Elle
Marche modéhenne et les lutins préfèrent en général
ordonna de figer les ruisseaux pour faire taire leurs
la simplicité pastorale de la viole. Les boucaniers
murmures et elle fit massacrer les oiseaux. Il est heureux
s’encombrent rarement d’instruments de musique, même
que son disciple Acalanthe ait pris conscience de sa folie.
si je connais un capitaine qui s’enorgueillit de posséder
Il partageait ses rêves mais avait compris que seule une
un antique clavecin de corail. Lyphane et les Parages nous
Muse était capable de composer la musique parfaite
ignorent presque totalement. Quant à l’Urguemand...
dont l’Harmonde avait besoin. Au prix de coûteux efforts
Agone de Rochronde a incité ses barons à interdire notre
il rencontra et supplia le Masque de composer l’ultime
instrument et nous a contraint à la clandestinité. Mais
symphonie : quelle joie fut la sienne quand Il lui révéla
depuis sa disparition, ses rivaux relèvent la tête et nous
qu’elle existait déjà depuis des millénaires !
accueillent à leurs cours avec une générosité inégalée.
Imaginez, Eminence ! Le lever de rideau primordial !
Le luxe, l’élégance et la beauté : voilà mon masque,
L’immense théâtre de l’Harmonde est achevé. Le Jour et
Eminence. Il a fallu du temps pour faire oublier nos
la Nuit scandent leur ballet, c’est le commencement du

28
Drame, l’entrée sur scène des premiers acteurs, la création
des hommes. Et là ! La musique joue ses premières mesures.
Depuis, la symphonie assure l’harmonie de la mise en
scène du Drame, tour à tour majestueuse et subtile,
délicate et triomphale (cf. Souffre-Jour n°1), composée
par le Masque lui-même. Elle est inaudible hélas, pour
les acteurs sourds aux conseils du Dramaturge. Sourds
parce que nous ne savons pas écouter, parce que nous
sommes corrompus par l’influence des autres Eternels :
s’ils essayent, les saisonins entendront la voix de leur
Dame, les conjurateurs le ressac des marées de Ténèbre,
les Inspirés le crépitement obsédant de leur Flamme et
les Ternes humains les derniers chants d’Orphèle et non
la symphonie du Drame. Le clavecin nous libère de ces
bruits parasites en nous faisant partager son exil : de sa
malédiction, nous avons fait une arme… Mais je vais trop
vite.
La cinquième Muse montra à Acalanthe les orgues
didascaliques et lui fit écouter quelques mesures de
sa symphonie. Il murmura ses conseils à l’oreille du
Claveciniste et l’envoya rejoindre Marsyane.
Les orgues didascaliques
A la lisière de l’Harmonde, là où s’arrête l’oeuvre
des Muses, des poèmes dessinent des falaises
immenses et la matière se fait poussière scintillante
qui danse au chant des cascades de couleurs.
C’est là que le Masque a installé les titanesques
orgues didascaliques qui font retentir la symphonie
du Drame. Des automates de cuivre aux rouages
d’or et d’argent jouent sans fin sur des claviers
d’ivoire les mélodies inscrites sur de longues
partitions de verre. Des tuyaux plus vastes que des
arbres-rois libèrent les voix que le Semblant vola
jadis aux premières Merveilles. Les réminiscences
de grands compositeurs forment des orchestres de
marionnettes aux fils d’airain.
Personne ne surveille ces orgues : ils n’apparaissent
sur aucune carte, dans aucun Tableau-monde et leur
musique corromprait totalement quiconque s’en
approcherait.
Acalanthe suggéra à sa maîtresse d’utiliser une cygneline
liée à la Perfection de l’Oréliade pour parfaire son emprise
sur le domaine et Marsyane l’écouta.
Elle manipula un élève idéaliste dont les mélodies
séduisirent une cygneline, guerrière aux ailes blanches
ayant jadis affronté le Masque lui-même. La Merveille
maudite succomba à sa passion, ne laissant que l’oeuf qui
donnerait naissance à sa réincarnation. Marsyane s’en
empara et le couva de sa musique, pour lier à jamais son
oeuvre au domaine de l’Oréliade. Elle croyait triompher,
elle courait à sa perte : Acalanthe l’avait dénoncé au
conseil des Décans. L’assemblée des saisonins avait usé
de son influence pour obtenir l’aide d’Armgarde et une
armée s’abattit sur l’Oréliade. Marsyane sacrifia ses
troupes afin de ralentir l’armée ennemie et se plongea
dans son ultime rituel. Elle déploya toute l’ampleur de
sa symphonie pour la lier à la future Merveille mais
celle-ci repoussa la musique déformée à l’extrême par
l’orgueil et la folie. Alors Marsyane défia la cygneline :
leur affrontement blessa irrémédiablement la Merveille
qui choisit de ne plus exister et d’anéantir la Perfection
dans son trépas.
En conséquence se produisit une chose unique : amputé
de l’Oréliade, l’Harmonde hurla de souffrance et de rage.
Il pleura la disparition de la Merveille qui s’était battue
pour lui à l’aube des temps. Il rejeta et maudit la magie du
clavecin, dont les oeuvres ne lui évoqueraient désormais
que la douleur, l’amertume et la trahison. Lorsque nous
jouons, nous mêlons le pouvoir de nos Flammes aux
sonorités du clavecin et nous subissons ce rejet spirituel.
Éloignés de l’Harmonde, nous sommes libérés de ses
influences... sauf une : celle qui règne dans les coulisses
de la création, celle du Masque. En jouant du clavecin je
n’entends plus ma Flamme, un saisonin devient sourd
à sa Dame, et nous pouvons enfin nous abandonner à
l’incomparable symphonie du Drame.
Les PJs et le clavecin
Eminence, si vos joueurs s’essayent à l’instrument
maudit, eux aussi seront soumis à l’influence de
la symphonie du Drame. Pour simuler cet effet,
nous vous proposons la règle suivante : si le seuil
de l’oeuvre interprétée est supérieur au score de
Perfidie du musicien, il gagne automatiquement 1
point de Perfidie par tour de mesure.
De plus, la symphonie du Drame est la musique la
plus envoûtante qui soit. Tout Inspiré ou Damné
jouant du clavecin subit donc automatiquement les
effets de l’oeuvre : Echo symphonique.
L’Art magique
Le jour où disparut l’Oréliade, notre Art a été changé à
jamais. Rejetés par l’Harmonde, recueillis par la cinquième
Muse, nous ne nous contentons plus des fantasmes et des
rêves éveillés. Nous sommes les musiciens du Masque,
et il nous a donné tout pouvoir sur les esprits de ses
seules créations. Je devine le sourire sous votre bâillon,
Eminence. Mais avez-vous compris à quel point cette
notion de lien avec le Semblant est vaste ? Tout individu
contaminé par ce que vous appelez la Perfidie est soumis
à notre musique. Mais le Masque a aussi créé Noxe, la
Ténèbre, les hommes et utilisé manteau de l’Automne.
Vous pensez peut-être que les Clavecinistes sont tous des
Inspirés qui rejoignent ensuite le Grand Compositeur ?
Quelle naïveté ! Si tel était le cas, notre famille se serait
éteinte depuis longtemps. Les Accordés sont minoritaires :
la plupart du temps, nous recrutons des Ternes que nous
choisissons pour leur talent au clavecin, leur intelligence
et leur force de volonté. Nous leurs révélons la véritable
nature de l’Harmonde et du Drame, et nous testons
leur détermination et leur loyauté. Ceux qui échouent
meurent. Notre musique anéantit l’esprit des traîtres
29
et les condamnent aux asiles d’aliénés. Mais ceux qui se
montrent dignes de notre initiation sont accueillis dans
notre famille par le Vagabond lui-même.

Les pouvoirs du clavecin

Eminence, voici quelques exemples d’oeuvres de clavecin, vous en trouverez d’autres en addenda au présent
article sur le site du Souffre-Jour, pour remplacer celles du Livre de Base.

Pantomime
Seuil : 10
Portée/zone d’effet : à vue / une cible
Durée : 1 heure
Mesure : 1 tour
Le Claveciniste exacerbe l’une des peines d’Ame de la cible, la poussant à forcer ce trait de caractère à son
paroxysme. Il existe une version plus puissante de cette œuvre (Seuil 15) permettant d’insuffler une peine
d’Ame à quiconque, au choix du Claveciniste, pendant toute la durée de l’œuvre. Cette version ne donne
pas de point d’Ame noire.

Odieuse félicité
Seuil : 15
Portée/zone d’effet : regard / une cible
Durée : cf. Description
Mesure : 5 tours
Le Claveciniste fait vivre à la cible son fantasme le plus cher, son désir le plus précieux, mais le déforme
au point de le rendre écoeurant. La cible fait un jet de Vol contre une Diff 20. En cas de succès, elle reste
prostrée pendant une journée, incapable d’agir, ressassant ses désillusions, et confrontée à tant d’absurde
laideur gagne 5 points de Perfidie. En cas d’échec, la cible tente par tous les moyens de se suicider le plus
rapidement possible.et ce pendant MR négative heure.

Danse des pantins

Seuil : 20
Portée/zone d’effet : à vue / 1 cible
Durée : le temps du morceau
Mesure : 5 tours
Par sa musique insidieuse et envoûtante, le Claveciniste prend le contrôle d’un Ternes, et en fait un pantin
parfaitement docile qui accomplit la volonté du Claveciniste, quelle qu’elle soit (Y compris tuer un être cher
ou se suicider pourvus que ce soit physique et uniquement physique) tant qu’ils restent à vue. Dès que le
musicien arrête de jouer, les effets de l’oeuvre prennent fin et ses victimes ne savent pas que le Claveciniste
est responsable de ce qui vient de leur arriver.

Echo symphonique
Seuil : 25
Portée/zone d’effet : regard/une cible
Durée : permanente
Mesure : 5 tours
Le Claveciniste interprète un extrait de la symphonie du Drame, et confronte sa cible à l’inégalable grandeur
de cette mélodie. La cible doit faire un jet de Vol contre une Diff de 25. En cas d’échec, fascinée, elle subit
un malus de -2 à toutes ses actions ayant un autre but que de la réentendre. Cette oeuvre à bien sur pour but
de créer des perfides et de forcer les Inspirés à devenir des Damnés.
Il n’y a que trois façons de se libérer de cette obsession et du malus associé :
�Rencontrer un Orphèlin et écouter sa musique ;
�Entendre le chant d’une Excellence ou d’une Merveille non corrompue ;
�Gagner 10 points de Perfidie.

30
Le Drame savons si peu à son sujet malgré tous nos efforts : a-t-
Je suppose que vous réfléchissez déjà au moyen de nous elle existé seulement ? Est-ce une mélodie en errance ?
infiltrer. Vous avez fort peu de chances d’y parvenir. S’est-elle cristallisée ? S’est-elle incarnée ? Comment la
Nous-mêmes sommes des maîtres en la matière, sans trouver, comment la reconnaître ? Et si cette voix n’a
me vanter. Il faut dire qu’un clavecin est un instrument jamais existé, notre devoir serait de la créer : instrument
encombrant, fragile, presque impossible à transporter aux notes parfaites et aux mélodies harmonieuses. La
seul. Par nécessité nous avons développé nos talents de tâche est immense, mais tôt ou tard l’un d’entre nous
manipulateurs, constitué des réseaux de serviteurs et de parviendra au bout de la Quête. Par notre offrande, le
complices, appris à faire venir nos cibles jusqu’à nous, Masque atteindra la plénitude et son pouvoir sera sans
plutôt que d’aller vers elles, ce qui était déjà de mise du limite, à jamais. Car telle est notre destinée, Eminence !
temps où nous servions Janus. Je me demande même si Achever le rituel de l’ultime Perfection.
notre habitude des intrigues n’a pas séduit puis convaincu
le Vagabond de nous recueillir après notre exil. Mais l’heure tourne et je n’ai que trop parlé. Seule la
Il ne vous laisserait pas nous nuire : nous avons beaucoup musique vous ouvrira les yeux. Alors vous comprendrez,
d’importance à ses yeux et nul ne peut le tromper, Lui ! et vous serez des nôtres si vous en êtes digne. Sinon, la
folie vous emportera. Vous êtes prête ? Ecoutez...
Comme tous les Damnés, nous participons à de multiples
drames, huis-clos ou vastes épopées, que dirigent le
Grand Compositeur. Mais la cinquième Muse a confié à
la famille du Clavecin seule deux grandes missions.
La première est de faire entendre aux les habitants
de l’Harmonde la symphonie du Drame afin qu’elle
puisse les guider et les... inspirer, si j’ose dire. Certains
d’entre nous, érudits, philosophes, illuminés, explorent
donc toutes les voies pour rendre l’Harmonde et ses
habitants plus réceptifs à la musique du Semblant :
conjuration d’orchestres de démons jouant des extraits
de la symphonie, corruption de lutins qui déforment
les arbres afin que vent souffle dans leurs branches la
même mélodie, infiltration de l’Equerre pour que le
moindre château conçu et construit soit une vaste caisse
de résonance à la solde du Semblant. Nous veillons en
parallèle à détruire les sources, réelles et potentielles, des
bruits disgracieux qui troublent la perfection voulue par
le Grand Compositeur : les Accordés des autres familles,
les musiciens Ternes talentueux, les phénomènes
naturels aux sons enchanteurs, et surtout les Elémentäs
d’Orphèle, nos ennemis séculaires. Puissent ces notes
ignobles disparaître à jamais !

Il est temps maintenant de vous révéler notre véritable

but, Eminence. Notre seconde mission, la plus secrète et
la plus exaltante...
Pensez au Vagabond tel qu’il est vraiment : une puissance
créatrice et l’oeuvre la plus aboutie des quatre Muses
originelles. Cysèle lui a donné le plus beau des visages et
l’allure indomptable d’un prince des légendes. Nuance a
semé dans sa chevelure les plus riches reflets de sa palette,
du blé pâle à l’or le plus sombre. Stance lui a donné l’art
des mots et du temps, nul n’est plus persuasif que Lui.
Pourquoi Orphèle lui a-t-elle refusé ce dont elle était
capable ? Il est un compositeur de génie et un excellent
musicien mais sa voix, la plus intime des mélodies, n’est
qu’un grincement affreux (cf. le Livre de Base p.265). La
Muse craignait-elle d’être éclipsée par sa créature ? Les
coeurs romantiques pensent que le Masque est né avec
une voix merveilleuse mais qu’Orphèle, jalouse, la lui
repris.
Voilà, Eminence, la véritable raison d’être de la famille
du Clavecin : la quête de la voix du Masque. Nous en

31

La Chaire Des
Damnés
Éminences,
Plusieurs événements advenus à la suite de la sentence
de l’Aube (cf. l’épopée éponyme) méritent d’être portés à
votre connaissance. L’accession de saisonins de l’Automne
au Conseil des Décans a provoqué un bouleversement
sans précédent des rapports de force au sein des troupes
du Vagabond (cf. Le Violon de l’Automne, p.109).
32
Au lendemain de l’Eclipse, le Vagabond victorieux était
au faîte de sa puissance. Les Muses neutralisées, il ne
restait à l’Éternel qu’à porter le coup final aux Inspirés
déclinants pour qu’advienne le règne des hommes. Ses
alliées, l’Ombre et la Dame de l’Automne, qu’il croyait
acquises à sa cause, devaient lui assurer une domination
sans partage. Mais la Dame trahit en préférant le sommeil
à l’abandon de ses enfants qu’elle laissa dans l’ignorance
de son destin. Le Masque en profita pour confier à ceux
des automnins qui embrassaient la Perfidie, le soin de
fonder une organisation plus secrète encore que le
Conseil des Décans et destinée à manipuler dans l’ombre
les saisonins des trois décans perdus : la Chaire des
Damnés (cf. Le Violon de l’Automne, p.111). Après des
siècles de conspiration, l’organisation forte d’un réseau
tentaculaire d’aristocrates corrompus, gouvernés par neuf
seigneurs, avait outrepassé ses fonctions premières : elle
était une armée inégalée de serviteurs d’élite s’opposant
aux Inspirés et tissant une toile perfide à l’échelle de
l’Harmonde. Malheureusement pour la cinquième
Muse, le premier de ses servants et son représentant à
la Chaire des Damnés, Figaro de Karabras (cf. Le Violon
de l’Automne, p.113) n’entendait pas laisser prospérer les
rivaux potentiels, mascards de talent, que la Chaire avait
fait émerger. Il commença par faire disparaître, lors du
siège de la Mer des Souffles, Matin de Guerre le Maestre-
molosse, responsable de la chasse nocturne, en charge
de la corruption et de l’extinction des Flammes. Petit à
petit, ses rivaux subirent le même sort, tant et si bien que
Figaro de Karabras devint seul maître des hommes. Mais
sa trahison dépassa ses espoirs et amorça le déclin de la
Chaire (cf. Le Violon de l’Automne, p.113).
La Perfidie a subi bien des échecs. L’Ombre et la Dame de
l’Automne sont absentes de la Chaire. Les représentants
de l’Automne, déçus, révoltés et menés par la Haute
Damnée pixie Onderage Tournebrume, ont subtilisé
des sceaux des saisons, sapant ainsi l’autorité des autres
Hauts Damnés et ôtant à la Chaire sa raison d’être
première. Le déclin de l’aristocratie de la Perfidie était
attendue mais la traîtrise du conseiller de la Chaire (cf.
Le Violon de l’Automne, p.113) a précipité les évènements.
Karabras, garant en échec de la cohésion de la Chaire, se
sent abandonné par son Maître et sa fascination pour
l’Éternel s’étiole…
Le Masque a négligé une Chaire des Damnés délabrée,
plus occupée à ses complots qu’à la structuration de la
Perfidie. Ses apparitions trop rares ont achevé de miner
sa main mise et l’antique conspiration de la Chaire,
qui semble avoir volé en éclat, menace désormais de se
retourner contre son créateur… Des rumeurs parlent
d’un mouvement émergent au sein même de la Perfidie :
la Critique.
La Fronde Les Barbons

Répugnante expression de la Critique, le cœur de

la confrérie des Barbons se compose de satyres
Onderage malpropres et décadents. Vêtus de frusques
Après le départ fracassant de la représentante pixie d’aristocrates souillées, les Barbons se pâment sur les
Onderage Tournebrume, les doutes ont gagné les Hauts
routes de l’Harmonde aux bras de catins aux attributs
Damnés automnins. Fondatrice de la conspiration de
l’Invisible Couronne (cf. Le Violon de l’Automne, p.109), difformes et hypertrophiés, en vociférant avec une
elle a entrepris de ramener sur l’Harmonde le roi de haleine à faner les arbres, leur dégoût des bourgeois
l’Automne, adversaire farouche du Masque, et de mettre et des grands propriétaires. Parodiant l’errance des
un terme tardif à la guerre des Décans. plaisirs chère aux satyres, ces mécréants prennent
Onderage a découvert le suicide de sa Dame et la grand soin de bafouer les règles de l’Armance, et
supercherie du Semblant à l’égard de sa saison. Animée contribuent à entretenir la mauvaise réputation
par la colère, elle a remué ciel et terre jusqu’à retrouver
qui afflige leur décan. Considérés à tort comme
le mausolée du grand général d’Armitance Granrole,
dernière enveloppe physique connue du roi de l’Automne de pauvres erres en fin de perdition, les Barbons
dont elle espère obtenir une revanche pour les siens. s’assurent des rentes généreuses par le commerce
Onderage travaille désormais à un moyen d’attirer de l’alraune, une mandragore provoquant chez le
l’esprit errant de l’Éternel (cf. Le Violon de l’Automne, profane une hystérie sexuelle grâce à laquelle il
p.109-110) à l’aide des douze sceaux des Décans que obtient la satisfaction libidinale que lui interdit
détenaient à l’origine la Chaire et considérés comme une apparence repoussante. Leur connaissance des
inertes individuellement.
sociétés mendiantes leur a permis l’exploitation
La Voix dans les Saules aurait convaincu les Hauts Damnés
de lui céder leur sceaux et en possèderait huit au total. méticuleuse des réseaux de charité dans les divers
Le Masque est manifestement sur le point de perdre un royaumes rencontrés au gré de leurs tribulations. Les
instrument essentiel à son emprise sur les enfants de bordels les plus sordides sont leurs escales favorites,
l’Automne. leurs lieux de réunion et de regroupement. Histrions
d’un genre nouveau, ils emploient le malefoutre
Squelkuus pour contaminer les filles de joie et faire d’elles des
A la recherche des sceaux perdus, la Haute Damnée propagatrices de la Perfidie.
pixie aurait séjourné sur l’île de l’Automne et découvert
la sépulture de la Dame de l’Automne qui contenait
étonnamment trois autres dames ! Elle fit part de sa
découverte aux seigneurs perfides, apprenant ainsi au
Le choix de l’Automne
Figaro de Karabras, conscient des agissements d’Onderage,
Haut Damné Squelkuus Tourmae la raison du silence et
refuse de se résigner au délitement de la Chaire des
le choix de sa Dame (cf. Le Violon de l’Automne, p.111). La
Damnés. Le Maestre-chat, qui possède en secret les quatre
position du drakonien est précaire au sein de la Chaire
autres sceaux des Saisons, entend rallier les automnins
qui le soupçonne, à tort, d’avoir contribué à la défection
à sa propre révolte, qu’il présente comme un nouveau
des siens suite à l’affaire de la Sentence de l’Aube (cf.
versant de la Perfidie et nomme la Critique. Il leur donne
l’épopée éponyme) ; son peuple passé sous l’influence
ainsi l’opportunité de rester sous une tutelle certes
d’une autre Dame lui a repris sa confiance et enfin ses
perfide, mais différente, et donc de servir en parallèle le
appels sans réponse aux Éternels ont mué son désespoir
roi de l’Automne et relancer une guerre des Décans à leur
en colère.
avantage. En effet si les automnins s’affranchissaient du
Humilié par l’instrumentalisation que lui et les
Masque totalement, Janus pourraient les contraindre à
siens subissent, Squelkuus compte rallier Onderage
rejoindre l’île d’Automne …
Tournebrume, reprendre son rang aux cotés du roi de
Enfin, ils pourraient rejoindre le Conseil des Décans et
l’Automne et venger l’affront subi.
accepter une nouvelle Dame (cf. La Sentence de l’Aube). Le
mépris éternel que vouent les Hauts Damnés à l’œuvre des
Murmure Muses et aux autres saisonins, rend plus qu’improbable
Murmure (cf. Le Violon de l’Automne, p.118), Haute cette dernière solution.
Damnée morgane, n’aurait plus siégé à la Chaire depuis la
disparition du Monarque des jonquilles. Bien qu’informée
des découvertes de la pixie, elle se morfond de chagrin et
de colère à l’encontre du Masque, auquel elle reproche de
n’avoir pas tenu la promesse de faire renaître son amant.
Obsédée par son échec et son désespoir, elle a délaissé les
affaires de la Chaire et rallié la cause d’Onderage plus par
dépit, dans l’attente d’une vengeance.

33
La Critique l’Harmonde. Des décennies de délaissement et une
propension compulsive à la trahison ont considérablement
relativisé son admiration pour le Masque, qu’il compare
volontiers à ses mères les Muses. S’il considère toujours
la Perfidie comme une œuvre de perfection, il fustige
Le réveil du marquis de Karabras la faiblesse des Éternels. En refondant la Chaire des
Connu sous les traits débonnaires du satrape princéen Damnés, il espère transformer la Critique en fer de lance
de Karabras, le vrai Figaro est en réalité un chat noir d’une nouvelle Perfidie.
marqué d’une tâche blanche au poitrail (cf. Le Violon de Tirant leçon des erreurs de son Maître, le Maestre-
l’Automne, p.113). L’inoffensif félin manipule l’aristocrate chat compte perfectionner l’œuvre du Semblant, poser
qui depuis quelques années, a tout perdu de sa bonhomie une pierre manquante dans le théâtre des créateurs de
légendaire. l’Harmonde et proposer une nouvelle façon de répandre
une Perfidie émancipée des caprices de son créateur.
Si elle ne le surprend pas, la décomposition de la Chaire
des Damnés embarrasse Figaro de Karabras (cf. Le Violon
de l’Automne, p.113). Il a échoué dans sa mission et son
La forme
La rébellion des Hauts Damnés de l’Automne précipite
statut de favori est plus que menacé, mais il rechigne à
les plans du satrape de Karabras et sa seule chance
l’admettre et depuis sa première trahison lors du siège
reste de la détourner à son avantage. Le conseiller tente
de la Mère des Souffles, il intrigue pour se protéger. Les
de maintenir la cohésion de la Chaire des Damnés : il
sceaux des Saisons en sa possession sont désormais une
propose aux automnins perfides de renouveler les sièges
monnaie de change avec les Hauts Damnés automnins,
inoccupés et de rendre un siège aux hommes afin que
qui cherchent à réunir les douze artefacts. Ces reliques
tous les pions de la corruption y soient représentés. Il
permettent aussi à Figaro de s’arroger la fidélité de
offre en retour la contribution de ses quatre sceaux des
saisonins perfides tels que les satyres de la confrérie
Saisons au projet de La Voix dans les Saules.
des Barbons, les ogres travestis de la fratrie d’Aigrelette,
La renaissance du roi de l’Automne occuperait et
les nains de la Grimace et bien d’autres encore.. Il se
affaiblirait suffisamment le Masque pour laisser à Figaro
constitue une garde que la Critique charge de semer le
l’opportunité de prendre les hommes en main, privant
trouble et d’éveiller les consciences populaires assoupies
ainsi le Semblant de la plupart de ses troupes. Le seigneur
de par l’Harmonde, afin de déstructurer les rapports de
des chats manipule depuis de nombreuses années déjà
pouvoir qui assurent au Masque sa domination sur les
les réseaux d’aristocrates perfides hérités du Limier, pour
sociétés humaines.
rallier des partisans, et l’on ignore encore l’étendue de
Figaro impute l’effondrement de la Chaire des Damnés
son rôle dans l’émergence des Maginaires (cf. Souffre
aux Éternels dont les sièges sont restés vacants, y compris
Jour n.4 : La Maraude). D’autre part, la réunion des
et surtout au Masque dont il portait régulièrement la
douze sceaux au sein de la Chaire renforce sa légitimité
parole. Les échecs successifs des entreprises du Semblant
pour liguer les factions saisonines perfides acquises à la
l’ont amené à développer sa propre voie, la Critique,
Critique.
qui incarne dans son essence, les imperfections de

34
Une créature s’est présentée au Maestre-chat pour
réclamer le quatrième siège de la Chaire laissé vacant,
traditionnellement dévolu à l’interlocuteur des
monarques humains, en échange de son allégeance à
Figaro. Il se prétend seigneur de tous les hommes, le
premier des gitans façonnés par le Masque ; peut-être
n’est-il qu’un éclaireur, Figaro y voit la première bête
du troupeau dont il est le berger, un outil précieux. Il l’a
présenté aux Hauts Damnés sous le nom de « l’Anonyme »
(cf. Le Violon de l’Automne, p.110) mais gardé pour lui
ses recherches personnelles selon lesquelles cet individu
serait en mesure de conférer un pouvoir aux sceaux des
Saisons …
L’Anonyme
Nul ne sait réellement qui se cache sous la capuche de
cette créature solitaire et coutumière des cimetières,
cherchant auprès des âmes en peine le souvenir de
son propre nom. Affublé d’un crâne chauve, son
visage est entièrement lisse à l’exception d’une
bouche dépourvue de lèvre qui lui déchire le bas de
la face ; ses mains s’étirent en six doigts longs et
crochus.
Il raconte à qui veut l’entendre qu’il est le premier
des gitans, un prototype tombé en disgrâce et oublié
par son créateur. Il se prétend roi des hommes et
c’est l’une des hypothèses retenues pour expliquer
son influence sur les antiques sceaux des Saisons,
ces artefacts créés par Janus afin de symboliser
l’unité des douze Décans et perdus au gré des affres
de l’Histoire. L’Anonyme est parvenu à récupérer
l’un d’entre eux et semble capable d’en tirer un
pouvoir jusqu’alors inconnu. Réunis entre ses mains
flasques, les sceaux pourraient assujettir la volonté
des rois des Saisons...
Bien que pétri de Perfidie, l’Anonyme appelle à
l’émancipation des humains. L’émergence de la
Critique a fait sortir la créature de sa retraite : il
s’est manifesté auprès de Figaro de Karabras afin
de reprendre la place qu’il estime sienne dans la
hiérarchie de la Perfidie.
Les Maginaires et l’Anonyme seraient en contact
depuis longtemps. La créature maîtrise les arcanes de la
divination gitane comme nulle autre et ses prédictions
désigneraient les enfants qui doivent secrètement quitter
la caravane pour rejoindre les disciples d’Andélyse
Affrelune (cf. Souffre Jour n.4 : La Maraude). L’Anonyme,
hostile aux saisonins, exige que le siège du Limier soit
offert aux Maginaires et entretiendrait des pourparlers
en ce sens. Ces derniers y gagneraient un atout décisif
dans leur lutte pour isoler le Masque de ses troupes
perfides. Enfin secrètement, il souhaiterait obtenir
vengeance pour le Haut Damné disparu aux cotés Matin
de Guerre lors de la destruction de la Mer des Souffles
(cf. Le Violon de l’Automne, p.112).
La fratrie d’Aigrelette
On raconte qu’en des temps anciens, l’ogresse
Aigrelette régissait un puissant clan d’ogres
guerriers. Matrone autoritaire et exclusive, elle
haïssait les autres femmes de son clan et mourut
en mettant au monde des triplés chétifs. Les frères
furent élevés comme des esclaves par les ogresses
du clan ; sujets de moqueries, d’humiliations et de
brimades. L’art du combat ne leur fut pas transmis
et ils furent habillés en servantes pour signifier leur
rang. Les trois ogres nourrirent un ressentiment
à l’égard de la gente féminine, tout en adorant
secrètement leur mère disparue et finirent par
concevoir un amour incestueux. Alors ils se vêtirent
en femmes exubérantes et grotesques pour railler à
leur tour, les canons de la virilité.
Rapidement ils devinrent une curiosité pour
nombre de seigneurs et malandrins aux mœurs
jugés contre nature. Homosexuels flamboyants,
la fratrie s’emploie désormais à prendre sous sa
protection tout ceux qui souffrent de leur sexualité
différente et asseoit sa puissance sur un solide
réseau d’amants de toutes espèces. Adeptes de la
castration des ennemis, les trois frères et leur bande
s’emploient à ridiculiser ce que leur esprit malade
considère comme les marques viriles du pouvoir
et à en abattre les manifestations : les hautes tours,
les lourdes épées, les seigneurs au torse bombé sont
leur cibles favorites.
La confusion règne pour l’heure et les délibérations se
poursuivent. Les Hauts Damnés se sont accordés, lors de
leur dernière réunion convoquée en Abyme par Figaro,
afin de laisser trois sièges symboliques à l’Ombre, au
Masque et à l’Automne, par respect, discrétion, et pour
ne pas attirer le courroux d’un Éternel.
Le Masque reste invisible et chaque Haut Damné craint
secrètement son retour. La Voix dans les Saules aurait
soumis l’hypothèse de contacter l’Inspiration, vivement
contestée par le reste de l’assemblée. Le Maître du
Semblant n’aurait pas vu venir cette menace, ou du
moins le laisse t-il penser. La question demeure de savoir
s’il entendra la critique, ou si son orgueil divin la balayera
d’un revers de plume...
35

Les gitans
Bohémiens, gens du voyage, romanichels, mannush… les
noms des voyageurs sont innombrables. Sur l’Harmonde,
on les appelle les gitans. Fils ambigus du Masque, parfois
rebelles, parfois fidèles, Ternes, Perfides, Enchanteurs ou
Maginaires, ils sillonnent les royaumes au nom de leur
seul véritable maître : la liberté.
Nos ancêtres
Les premiers hommes
Éminence, l’origine des gitans est intimement liée au
Masque et leur culture, profondément imprégnée par
sa vision. Mais contrairement à une croyance répandue
parmi les Inspirés, les gitans ne sont pas tous au service
du Masque (cf. Souffre-jour n°4, La Saltimbance, encadré,
p.40).
Quand les Muses envoyèrent le Masque sur l’Harmonde
pour qu’il appose la touche ultime à leur œuvre, il ouvrit
les yeux sur Bokkor (Cf. Atlas de Bokkor, www.souffre-
jour.com). Après la naissance de Noxe et de Diurne, il y
revint pour créer ses premiers pions chargés de colporter
sa vision de l’Harmonde et de l’art. Parce qu’il avait
apporté la notion de changement à l’œuvre des Muses,
celles-ci le prirent en horreur, reniant jusqu’à leur lien de
filiation et ainsi naquirent les prémices d’une rancœur et
36
d’une lutte encore d’actualité.
Le Masque s’appliqua à donner à ses premiers enfants,
nés sur Bokkor, les atouts d’une espèce qui écrirait plus
tard le destin de l’Harmonde. Ils étaient doués d’une
intelligence complexe et raffinée, et leur civilisation
connut une évolution fulgurante. En un siècle à peine,
ils colonisèrent les alentours de Bokkor, atteignant une
maîtrise scientifique de leur environnement qui dépassait
de loin celle des humains actuels. Ils fondèrent alors dans
l’actuel désert de Wuhan leur première cité, à l’image de
leur génie : Albandisse (Cf. Les Automnins, p.114), la cité
de marbre blanc.
Elidéanne et Albandisse.
L’opulence avant-gardiste d’Albandisse apprit aux
humains l’insouciance et leur fit oublier leur origine.
Certains remirent en question leur parenté avec le
Masque et se tournèrent vers les Muses, accusant leurs
frères d’extrémisme quand ils parlèrent de trahison :
une scission vit le jour parmi les hommes et la violence
éclata sous les yeux amusés du Masque. Ses défenseurs,
minoritaires, furent bannis d’Albandisse.
Ils se donnèrent le nom de kalecki, ce qui signifie «
véritable », et retournèrent à Bokkor, leur berceau.
Ils bâtirent un lieu encore plus fabuleux que la cité de
marbre blanc : Elidéanne, la ville suspendue où ils
s’enfermèrent en faisant le vœu de ne se reproduire
qu’entre eux pour préserver la pureté originelle de
leur sang. Ils s’érigèrent contre la mentalité oublieuse
d’Albandisse et se proclamèrent les héritiers spirituels du
Masque. En Elidéanne naquit le théâtre et les premiers
principes de la dramaturgie à des fins religieuses. Les
kaleckis pratiquaient (et pratiquent encore) la scène
comme on pratique la prière, pour rendre hommage
à leur père créateur. Le monde y était une scène sur
laquelle les hommes donnaient la représentation de leur
existence pour attirer le regard du Masque. La plupart du
temps, selon de nombreux textes retrouvés sur les ruines
de Bokkor, ces spectacles avaient pour objet la genèse de
l’Harmonde, revue et corrigée. On y faisait mention de «
l’Artmonde » (terme encore employé aujourd’hui par les
gitans), du Masque sous le joug des Muses (appelées les
« Vieilles » ou « les quatre Ruses ») et de son rôle dans la
création de chaque chose : de sa colère serait né le feu, de
sa peine serait née l’eau, de ses soupirs de solitude, l’air,
et de ses mains, la terre. Les pièces éclipsent les Muses
et octroient la création de l’Harmonde au Semblant, un
esclave rebelle qui réussit à s’affranchir de la tyrannie de
ses maîtresses pour mener le combat de sa reconnaissance
légitime.
La sentence d’ignorance
Les pièces racontent l’âge d’or d’Elidéanne et le
rayonnement de son culte. Leur excellence en matière
de sciences et de physique, permit aux kaleckis de
découvrir comment capturer les éléments et les énergies
de l’Harmonde pour les détourner à leur avantage. Des
« canons tremblepic », des « cornes à cyclones », des
« larmes incendiaires » et une foule d’autres inventions
meurtrières qui sembleraient aujourd’hui parfaitement
anachroniques, virent le jour à cette époque. Elidéanne
se préparait à mettre un terme à l’existence d’Albandisse
et ses traitres, puis à imposer la parole du Masque à
l’Harmonde par la force. Parallèlement, l’humanité
commençait à empiéter sur le territoire des Excellences et
des Merveilles déclenchant de nombreux affrontements,
parfois provoqués par les créations des Muses, parfois
motivés par le dogme élidéen prônant l’élimination de
l’engeance des Vieilles. C’est de cette époque que trolls,
dragons ou sirènes tirent leur réputation de dangerosité
auprès du commun des mortels.
Les kaleckis rapportent comment alors, les quatre Ruses
prises de panique face aux progrès fulgurants des humains
et jalouses de leur génie, s’unirent de nouveau pour
donner naissance à Janus le tyran. Créé pour que jamais
le Masque ne puisse récupérer l’œuvre façonnée pour ses
mères, sa première sentence fut énoncée pour mettre un
terme au pouvoir d’Elidéanne et plonger les humains
dans l’oubli de leurs origines sacrées. La tradition orale
gitane rapporte que Janus se serait emparé de la science
et du savoir kaleckis pour les enfermer dans l’esprit d’une
Excellence, créée à l’occasion et lui servant de monture :
le Sphinx (Cf. Atlas de Bokkor, www.souffre-jour.com).
Elidéanne déclina aussi vite qu’elle était apparue et
l’humanité régressa sans même s’en rendre compte.
Janus enferma les merveilles kaleckie dans une caverne
inaccessible sous la surveillance d’un titan, fit de Bokkor
sa demeure (Cf. Atlas de Bokkor, www.souffre-jour.com)
et une terre sauvage gardée par les Wyverns, dans l’espoir
que jamais l’humain n’y retrouverait la trace des temps
élidéens. Encouragée par ses soins, Albandisse devint la
seule capitale de l’empire des hommes.
Les kaleckis laissèrent derrière eux les ruines de Bokkor-
la-vieille, Larsha et Kokarri (Cf. Livre de base, p.39-40 et
Atlas de Bokkor, www.souffre-jour.com) et partirent en
exil. Puisque les Vieilles leur refusaient le droit de fonder
un royaume sur la terre de leur père, ils feraient de
l’Harmonde tout entier leur pays et n’auraient de repos
que le jour où le Masque en aurait repris le contrôle pour
leur rendre leur passé prestigieux. Ainsi naquirent les
premiers gitans nomades.
L’exode éternel
Le terme « gitan » est le dernier mot de l’âge élidéen
à être encore employé. Il signifie à la fois « errant » et
« retour ». Il est certainement le plus ancien mot encore
utilisé, ne s’applique qu’aux hommes et se prononce de
la même façon dans toutes les langues.
Au fil des années, le nombre des kaleckis en exode se
réduisit à un simple clan. Rebutés par l’inconfort et les
dangers d’une vie d’errance, beaucoup quittaient les
rangs des fils du Masque pour rejoindre Albandisse, ou les
nouveaux royaumes naissants. Les gitans commencèrent
à douter et des voix murmurèrent que le Vagabond les
avait abandonnés. C’est alors que naquirent les Dames
des saisons.
La tradition gitane considère les Dames comme une
création des Muses et les saisonins comme des tentatives
maladroites de copier la perfection des enfants du Masque.
Aux yeux des gitans, la moins pathétique était sans
conteste la Dame de l’Automne, qui fit de ses morganes
un chef d’œuvre qui égalait presque celui du Semblant.
Leur histoire, leur rencontre avec la population décadente
d’Albandisse et la façon dont elles s’emparèrent de la cité
pour en faire leur fief, est connue de tous les gitans (Cf.
Les Automnins, p.115-116 et Souffre jour n°2, p.71), à une
nuance près : les kaleckis estiment que c’est le Semblant
qui guida les automnines pour punir l’hérésie de la cité
de marbre en l’effaçant des cartes et de l’histoire. La
population qui fuyait la cité, souffrant de sa réputation
sulfureuse, ne trouva pas le refuge escompté chez les
autres humains de l’Harmonde. Elle se tourna alors vers
le clan kalecki et regrettant son passé, lui demanda son
aide pour apprendre la vie du voyage. Ainsi, le peuple
gitan s’agrandit et s’organisa en kumpanii, caravanes de
gitans issus d’un même clan ; les plus grandes caravanes
s’organisèrent en familles appelées cazas et dirigées par
un ancien nommé le dencki.
La puissance d’une kumpania se mesure au faste de ses
roulottes et au nombre de ses cazas. Les kaleckis sont
aujourd’hui le clan le plus puissant de la nation gitane.
Au service du Drame
La guerre des Décans éclata et ses conséquences sur
l’Harmonde ne firent que renforcer le mépris des gitans
pour les saisonins, qu’ils considéraient déjà comme
des êtres inférieurs. Durant cette période, les humains
prospérèrent et des empires se bâtirent en marge des
combats. Les gitans développèrent leur identité, leurs
coutumes et une langue commune, l’argot des chemins,
dérivé de l’élidéen et jamais l’influence des kaleckis
sur les autres clans ne fut aussi grande. Les kumpanii
gagnèrent aux yeux des humains leur réputation de
baladins et de jongleurs surdoués, et même les puissants,
friands de leurs tours et de leurs pièces de théâtre, les
accueillaient à bras ouverts. Le théâtre fut ainsi un moyen
efficace pour répandre la parole des « véritables » : loin
de l’attention de Janus, tourné vers le conflit des saisons,
ils éduquèrent les foules humaines à la moquerie et au
rejet des quatre Vieilles.
Quand l’Automne impliquât les hommes dans la
guerre des Décans (Cf. Les automnins, p.26), le Masque
s’adressa aux gitans par le biais des kaleckis. Il leur fit
découvrir les avantages illimités de la Perfidie et les
gratifia de récompenses pour leur fidélité. Il souligna la
puissance des empires humains, jalousés par les saisons,
et déclara qu’il était temps que l’humanité s’empare de
cet Harmonde qui lui revenait de droit ! Bientôt, une
guerre contre les quatre Vieilles débuterait pour ouvrir
l’âge éternel du règne incontesté des hommes.
Le Masque offrit au meilleur membre de chaque
kumpania maints Bienfaits pour qu’ils accomplissent
sa volonté. Ces humains prirent le nom de Rois liges et
devinrent les premiers véritables Masquards de l’histoire.
Envoyés dans chaque région de l’Harmonde, ils devaient
annoncer la venue d’une nouvelle ère. Les gitans qui ne
prêtaient pas allégeance aux Rois liges devaient combattre
pour leur survie et de cette époque date leur réputation
sulfureuse de voyants et de tueurs chevronnés.
37
Après avoir fait de Noxe, l’Ombre (Cf. Livre de base, p.13),
le Masque présenta à ses enfants leurs nouveaux frères,
les démons. Pour les faire accepter malgré leur apparence
effrayante, il choisit encore une fois des kaleckis qu’il
éleva en mahrimés, les ancêtres des conjurateurs actuels.
Les mahrimés savaient contrôler des divisions de démons
de cercles inférieurs et subissaient les revers de la Ténèbre
comme la plupart des mortels. Quelques Merveilles et
Excellences corrompues, de rares saisonins et une partie
des Maestres animaux (Cf. Souffre-Jour n°1, p.13)
rejoignirent les troupes de la Perfidie et la légendaire
Guerre des Eternels (Cf. Livre de base, p.14) débuta.
La fin des Rois liges
L’Harmonde fut violemment secoué par le conflit et des
continents entiers disparurent sous les flots, les Flammes
et la rage des Eternels déchaînées. Nul n’en sorti
indemne. Diurne rejoignit les Muses pour s’opposer à
l’Ombre, et lança ses Lueurs sur le champ de bataille. A la
façon des futures Flammes d’Inspirés, celles-ci pouvaient
investir et posséder temporairement l’âme des humains
pour les pousser à combattre le Masque, ravivant ainsi
la vieille querelle qui opposait Elidéanne et Albandisse.
La tradition orale kalecki retient cet événement comme
déclencheur de la guerre, mais sur ce point les avis
divergent selon les camps.
Les Rois liges et leurs kumpanii furent chargés d’infiltrer
et espionner l’ennemi, de traquer et d’exécuter les
traîtres. De nombreuses victoires furent obtenues grâce
à leur efficacité et leurs ruses. Durant cette période,
les gitans furent plus unis que jamais et devinrent des
héros auprès des humains ralliés au Masque. Mais alors
que la victoire semblait proche, les Muses jouèrent leur
dernière carte et trahirent Diurne (preuve ultime de leur
lâcheté aux yeux des gitans) pour accomplir le rituel de
l’Inspiration (Cf. Livre de base, p.14). Elles donnèrent
naissance au Centresprit et aux Flammes qui retirèrent
les humains de l’influence de leur père. Le Masque et
l’Ombre perdirent la guerre et furent bannis, le premier
sur l’île de l’Automne, la seconde aux tréfonds des
Abysses. Ce fut alors l’âge de la Flamboyance (Cf. Livre de
base, p.15) Tous les hommes y étaient inspirés exceptés
le peuple des kumpanii : les Rois liges s’étaient unis et
sacrifiés pour empêcher l’Inspiration des gitans. Au
début, les kaleckis prirent cela comme une victoire, un
moyen qui leur permettrait de continuer le combat. Ils se
trompaient lourdement...
Privés des Rois liges, les gitans au fil du temps remirent
leur foi en question. Sans Flamme au sein d’une ère
où la plupart des humains en portaient une, ils furent
associés aux franges marginales et pauvres de la société.
Les clans issus d’Albandisse regrettèrent alors la décision
des Rois liges et remirent en question la légitimité morale
des kaleckis, les accusant de les avoir entraînés à leur
suite dans un aveuglement fanatique. La guerre perdue
et le Masque exilé, leur parole n’avait plus lieu d’être :
les gitans se divisèrent et seuls les kaleckis restèrent
fidèles au Maître du Semblant. Une tentative désespérée
de renverser le plus puissant des empires flamboyants,
Moden’Hen, eut vainement lieu et donna naissance à la
38
révolution avortée des Arlequins (Cf. Souffre-jour n°4,
p 53 et Les organisations, p.61-63).
Ce fut un âge de peines et de tristesse pour les
héritiers d’Elidéanne. Leur kumpania se réduisit aux
dizaines de cazas actuelles et leur réputation se ternit
irrémédiablement aux yeux de leurs semblables. Les
générations se succédèrent durant trois mille ans et la
mémoire collective oublia l’origine bokkori des gitans.
Quand une tribu fuyant le Feu des Origines (Cf. Livre de
base, p. 21) se réfugia sur Bokkor et découvrit les ruines
de la civilisation d’Elidéanne, personne ne fit le lien et
la ville rebâtie fut nommée Bokkor-la-jeune. Cependant,
les denckis kaleckis continuèrent d’annoncer le retour du
Vagabond en exil. Et ce jour arriva…
De l’Eclipse à nos jours
Dans la culture gitane, l’Eclipse (Cf. Livre de base, p.15)
est un jour de grâce où tous les humains de l’Harmonde
redevinrent égaux face au Masque. Celui-ci revint de l’île
de l’Automne avec la caravane noire et reprit aussitôt
contact avec le clan kalecki au sein duquel naquit la
première Terne née après l’Eclipse : Andélise Affrelune
(Cf. Souffre jour n°4, p.39-41). Cette célèbre gitane est
devenue depuis le symbole du retour des gens du voyage
sur le devant de la scène. En remerciement de leur
fidélité, les kaleckis furent désignés pour accompagner la
caravane noire et servir au plus près le Masque qui ne fut
cependant pas affecté de la trahison des autres kumpanii,
reconnaissant là son propre goût pour l’indépendance et
la liberté.
Aidé par les actions répétées du clan kalecki contre
l’Inspiration, le Masque s’appliqua à semer le préjugé
sur la nature perfide des gitans auprès des Inspirés. En
réaction, ces derniers, persuadés de tenir là l’avant-garde
de la caravane noire, levèrent les armes et semèrent
la méfiance dans le cœur de tous les gitans. A ce jour
pourtant, ils ne sont pas décidés à se soumettre à nouveau
complètement au Masque.
Les gitans face aux Inspires
Éminence, l’opinion des gitans qui n’appartiennent
pas au clan kalecki (autrement dit la majorité) sur le
conseil des Décans et les Inspirés, est décrite dans
l’encadré « Les Gitans » (Cf. Souffre jour n°4, p.40
et www.souffre-jour.com). il est conseillé de lire
également l’article « La Saltimbance » auquel cet
encadré fait directement écho.
Malgré la division qui se répète depuis le temps
d’Albandisse et résume à elle seule la place ambiguë
de l’humanité au sein des intrigues des Eternels, les
gitans d’aujourd’hui ont de nombreux points communs.
Membres du clan kalecki ou pas, tous se respectent,
n’affichant au pire, qu’un mépris cordial vis-à-vis de ceux
qu’ils contestent. Les kaleckis sont craints et respectés,
en échange de quoi un autre clan ne sera jamais impliqué
de force dans un drame du Masque. Ce qui ne signifie pas
qu’il ne devra pas en subir les effets secondaires…
En plus d’une langue et d’un goût commun pour la
liberté, le spectacle et le voyage, tous les gitans sont des
étrangers où qu’ils voyagent. Le nomadisme leur permet
de proposer des marchandises exotiques partout où ils
passent, ce qui déplait aux keshites. La pauvreté guette
souvent les kumpanii, ce qui peut pousser ses membres
à voler pour survivre ou à se servir de drachmes, que
des kaleckis usuriers tiennent à disposition de ceux
qui seraient tentés de les rejoindre. Seules les festivités
annuelles d’un endroit leur permettent de s’intégrer
momentanément à une communauté. Il arrive
alors parfois qu’on les accueille à bras ouverts mais
qu’advienne une catastrophe et ils seront certainement
accusés : épidémies, vols ou mauvaises récoltes, les
gitans ont toujours eu bon dos aux yeux des méfiantes
populations sédentaires, et encore une fois, le Vagabond
y veille, espérant ainsi pousser les kumpanii non perfides
à mendier sa protection. Il existe aussi quelques traits
physiques vaguement communs au peuple gitan, que
l’on retrouve tout particulièrement chez les kaleckis.
Cheveux longs, raides, noirs et vigoureux, noués sous un
foulard, peau souvent mate, traits anguleux, regard fier
et perçant, vêtements colorés… un œil exercé sera capable
de déterminer la kumpania du gitan selon les nuances
du style adopté.
Les gens du voyage et les saisonins sont restés distants
(exception faite des automnins alliés aux kaleckis),
bien que le dernier millénaire ait rapproché des gitans
certains décans comme celui des farfadets, des satyres,
ou des géants, abolissant parfois la barrière des préjugés
hérités de leur culture.
La magie gitane
Généralités
Aucun kalecki ne porte de Flamme. Leur magie est
d’origine perfide (Cf. La caravane noire.) ou corrompue,
quelqu’en soit la forme d’origine (emprise, conjuration…)
et dans toutes les kumpanii, la magie est réservée aux
denckis.
Emprise
En dehors du clan de la caravane noire, les gitans
pratiquent principalement et discrètement l’éclipsisme.
Les études nécessaires à la manipulation des Danseurs
coûtant très cher, les kumpanii abritent volontiers
des mages renégats pratiquant l’Emprise illégalement
avec des gemmes de contrebande et des Danseurs non
répertoriés.
Le clan kalecki pratique plus volontiers l’obscurantisme
et l’Entrave (Cf. Souffre-jour n°5, p.65).
Inspiration
Éminence, selon votre choix, il peut arriver de croiser
un très rare gitan Inspiré (les idées reçues ont toujours
rendu le conseil des Décans récalcitrant à l’idée
d’inspirer les premiers enfants du Masque…) ; plus
étonnant encore, le trouver au sein d’une kumpania.
L’inspiration est culturellement vue comme une maladie,
une déviance contagieuse. Une Flamme pourrait selon
les mêmes croyances, s’embraser et consumer son hôte
dans d’innommables souffrances. Aussi l’Inspiré nommé
madyanwa, autrement-dit le « possédé », est-il rejeté
aussitôt découvert. Parfois les kaleckis le recueillent, ravis
de mettre la main sur un Inspiré qu’ils prendront soin
de corrompre pour infiltrer les serviteurs des Muses.
Bien qu’ils soient interdits de résidence à la caravane
noire, ces madyanwas sont suivis de près et soutenus
financièrement dans leur errance, pour accomplir au
mieux leurs missions.
Les deux arts magiques les plus couramment employés par
les gitans Inspirés sont l’Accord et la Cyse (Voie du tissu).
Sur la douzaine de madyanwas qui vivraient aujourd’hui,
un seul pratiquerait la Geste. Mystérieux personnage à
moitié légendaire, il se prétendrait le premier des gitans,
se ferait appeler l’Anonyme et entretiendrait des relations
privilégiées avec la chaire des Damnés (Cf. La chaire des
Damnés.p 32).
Conjuration
Chez les gitans n’appartenant pas au clan kalecki, la
conjuration à bas niveau est fréquente mais progresser
au-delà du premier cercle est rare : les gitans, épris de
liberté, se méfient de l’Ombre et déplorent l’aliénation
qu’entraine la conjuration. Les opalins servent
principalement aux tâches ingrates de la caravane et
suffisent largement. Parfois, un membre de clan est
autorisé à progresser et devient le conjurateur « officiel »
de la kumpania. Il est nommé mahrimé, à l’image des
premiers conjurateurs gitans de la Guerre des Eternels.
S’il va trop loin dans son exploration de la Ténèbre
et risque de devenir un pantin des Hauts Diables, sa
kumpania le met à mort sans hésiter. Trois ou quatre
kumpanii, méprisées des autres, font exception ; elles
sont secrètement dirigées par des maginaires noires et
composées de désenchanteurs (Addenda au Souffre-jour
n°4, « Le ricanement des ombres », www.souffre-jour.com).
Chez les kaleckis, il en va tout autrement. La conjuration à
haut niveau est réservée à une caza composée uniquement
de mahrimés : les Ethori-cazas. Ces conjurateurs
redoutables disposent d’une variante de l’avantage
« Favori » (Cf. L’art de la Conjuration, p.27) s’appliquant à
tous les Hauts Diables favorables au Masque. Les kaleckis
étant les gitans les plus proches du Vagabond, et grâce à
son alliance avec l’Ombre, les Ethori-cazas disposent
39
 Jouer un gitan Inspire ? traces du Saltimbanque » et « Le ricanement des
Ombres » (permettant de jouer les désenchanteurs et les
Éminence, l’Inspiration n’aime pas les gitans. maginaires noirs). Ces addendas sont disponibles en libre
Cependant, tous les détails permettant d’incarner un téléchargement sur notre site : www.souffre-jour.com.
Inspiré d’origine gitane, se trouvent dans le premier
addenda au Souffre jour n°4 : « Sur les traces du
Saltimbanque » (p.17). Vous pouvez le télécharger
gratuitement sur notre site : www.souffre-jour.
com, section : Fanzine/ Les numéros/ La maraude/
Addendas.

A ces notes doivent être ajoutées les suivantes :

- Tout personnage gitan commence le jeu avec le
défaut « Etranger », qui ne sera pas comptabilisé
dans ses points de Charge, ainsi qu’avec le défaut
d’âme « Victime des préjugés » (comptabilisé),
disponible dans le même addenda.
- Grâce à une éducation particulière, le gitan a
toujours été au fait de la nature magique et perfide
de l’Harmonde. Il débute donc le jeu avec un score
d’Harmonie (spé : Masque) à 5 et un score en
zoologie (spé : Masque) à 3.
- Bénéficiant de la compassion du Masque, un gitan
ignore automatiquement la première peine perfide
contractée, quelqu’en soit la nature.
Toutes les autres règles de création d’un Inspiré
humain s’appliquent. Nous vous invitons à prendre
connaissance du drame présenté dans ce Souffre-
jour et qui traite de ce point.

de larges facilités de paiement pour leurs connivences et

celles des deux premiers cercles ne leur coûtent souvent
rien. Les autres cazas du clan kalecki n’hésitent pas à faire
appel à ces puissants conjurateurs pour atteindre leurs
buts.
Emerveille et Fantasmagorie
Ces deux magies sont un pouvoir typiquement gitan,
réservé à ceux qui choisissent la voie du spectacle sans
parfois avoir opté pour celle du Masque. N’importe qui
peut pratiquer l’Emerveille et devenir enchanteur. La
Fantasmagorie est par contre réservée à une élite de cent
gitans, cachant leur identité aux yeux des autres kumpanii
et surtout des kaleckis. Ces mystérieux forains, parfois
maîtres de cirque, s’appellent entre eux les maginaires et
ont reçu le don d’une force à la fois similaire et opposée
à la Flamme : le Souffle. Grâce à lui, ils pratiquent le
cinquième art magique, créé par Maëzel avant qu’il ne
devienne le Masque : la Fantasmagorie. Les maginaires
emploient souvent des Enchanteurs qu’ils forment à leur
mentalité et leur vision très particulière, et contestable,
de la cosmologie de l’Harmonde.
Toutes les informations relatives à l’histoire des
enchanteurs et des maginaires, ainsi que les règles
nécessaires pour les jouer, pratiquer leur magie et
gérer un cirque, sont dans le Souffre-jour n°4, article :
« La Saltimbance », et ses deux addendas : « Sur les
Jouer un gitan Inspire ?
Éminence, dans le cadre du drame « Eclat de Sang »,
les gitans non kaleckis ont sensiblement changé
de comportement. Les chevaliers mandalores se
rappellent très bien de ces peuples errants et sans
Flamme, dont certains servaient le Masque pendant
la Flamboyance. À l’heure du retour d’Artémise,
nombre de kumpanii ont été exterminées par ces
Inspirés venus du passé et beaucoup de gitans ne se
sont pas remis de cette aventure.
Persuadés qu’il s’agit là d’une manigance de
l’Inspiration, la plupart ont décidé qu’il est l’heure
de la vengeance, même si cela signifie rejoindre
la cause kalecki, collaborer avec les automnins,
conjurer autant de démons que nécessaire et même
prêter main forte aux Masquards et autres de
Félons.
Le Masque sera fier que ses serviteurs déchus
se réveillent enfin en se hissant au-dessus de la
médiocrité où ils stagnent depuis la Flamboyance.

40
 Au delà du Drame
Ames vagabondes
Les enfants de la Perfidie
« Vous autres appelez ça perfidie, aigris et envieux...
Moi j’appelle ça : le génie ! Et si la Perfidie était
un royaume, la caravane noire en serait l’étendard.
Parcourant les routes, elle résume tous les principes
de mon Maître : voyage, changement, drame, secret,
spectacle ! La caravane noire est une mosaïque des plus
fervents fidèles du Masque, notre guide. Certains des
plus puissants masquards et des centaines de fidèles

La caravane noire accompagnent et servent mon Maître jusqu’à la mort,

dans un dévouement et une loyauté sans failles, pour le
remercier des bienfaits qu’il nous offre.

Les gitans de mon clan, les Kaleckis, sont les plus

nombreux de la caravane. Tous sont issus de la prime
ethnie humaine de l’Harmonde (cf. Souffre-jour n°4, p.39
et L’Atlas de Bokkor sur www.souffre-jour.com). Leurs
ancêtres fondèrent Albandisse (cf. Les Automnins, p.114 et
Souffre-jour n°2, p.71) ainsi que la civilisation qui laissa
derrière elle les ruines des cités de Bokkor. Mon clan est
connu et redouté par tous les autres et si la plupart des
gitans refusent de nous servir, ils nous respectent et ne se
mêlent jamais de nos affaires.
Depuis un temps lointain que nous appelons l’Exode
éternelle, le clan Kalecki est divisé en plus d’une dizaine
de familles, nommées cazas, qui portent le nom du
gitan qui les a fondées. Le chef de chaque caza est le
Eminents membres du conseil,
dencki ; tous ces meneurs se réunissent en un conseil
qui administre notre clan. Les bienfaits offerts par le
Voici la retranscription de l’interrogatoire. Sa voix éraillée
Masque permettent aux denckis de détecter la naissance
ressemblait à une pointe frottée sur une plaque de métal. Je
spontanée d’un drame parmi les Ternes, de façon à en
parvenais à peine à comprendre ses mots. Il semblait cultivé
contacter l’auteur et l’inciter à nous rejoindre ; ils savent
et s’amusait parfois à me parler avec emphase, malgré la
également traduire les fièvres, lire les rires et les soupirs
pression d’une dague sur sa gorge. Ce récit est à prendre avec
de regret, entendre les secrets murmurés à plusieurs
prudence : nous connaissons le plaisir qu’ont les suppôts du
kilomètres, renifler la jalousie, l’envie et la vengeance
Semblant à abuser du mensonge…
comme des odeurs amères ou encore voir le mensonge
telle une lueur éclatante. Ces pouvoirs sont à leur manière
des dérivés du Bienfait funeste sapience. Nos chefs font
ainsi figure de recruteurs, de mages et d’oracles.
Chaque famille de mon clan est spécialisée dans une
activité qu’aucune autre n’a pas le droit de pratiquer. On
distingue par exemple les Ladro-cazas spécialisés dans le
vol, l’enlèvement et l’espionnage ; les Zingaro-cazas (cf.
La sentence de l’aube, p.72), baladins et saltimbanques ;
les Lubzena-cazas, éclaireurs, pisteurs et chasseurs ; les
sombres Arishkïn-cazas, assassins redoutés de tous…
La plupart des familles pratiquent l’égalité des sexes,
exception faite des Ladro et les Arishkïn qui s’affrontent

41
depuis toujours de provocations ponctuelles en
vendettas. Chez les premiers, les femmes dominent et
tiennent les hommes en esclavage pour accomplir les
tâches du quotidien ; chez les seconds les femmes sont
des reproductrices, battues à la naissance d’une fille et
écartées à la naissance d’un garçon destiné dès le premier
jour à devenir un tueur redoutable.
La hiérarchie des cazas au sein de la caravane varie en
fonction de leur mérite dans la lutte contre les Muses
et des bienfaits que leur accorde mon Maître. Dès
l’adolescence nous devenons des maliciés (cf. Livre de
base, p.272) et les meilleurs d’entre nous seront promus
denckis. Les meilleurs denckis espèrent devenir félons. Et
bien que nous utilisions la magie, aucun d’entre nous ne
porte de Flamme.
Enfin, le Masque désigne un gitan, le « Cocher », pour
représenter l’ensemble du clan pendant une durée de son
choix. Créature tordue et cruelle, son humanité n’est plus
qu’un souvenir et nous le craignons tous. Son devoir est
de diriger la caravane en l’absence de mon Maître. Son
pouvoir connaît peu de limites, même les plus dangereux
masquards lui obéissent. Nous nous souvenons tous de
la sulfureuse Andélise Affrelune (cf. Souffre-jour n°4, p.39
à 41) qui a eu l’honneur d’être Cocher durant plusieurs
siècles.
Les alliés de la corruption
Beaucoup de morganes accompagnent nos errances. La
plupart, très jeunes, séjournent temporairement parmi
nous. Lorsqu’elles épousent notre cause, nous leur
apprenons les secrets du mensonge et de la manipulation
pour garantir leur survie sur l’Harmonde et servir les
desseins du Semblant. Il leur est interdit de séduire
quiconque au sein de la caravane et une roulotte leur est
réservée. Le Masque invite parfois une de ces splendides
créatures pour une nuit : certaines n’en sortent pas
vivantes et les rumeurs vont bon train sur ce qu’elles
vivent à ses côtés.
Quelques rares morganes demeurent pourtant avec
nous.
La mystérieuse Liseuse est une très vieille automnine,
appelée aussi « la lectrice des chagrins », responsable
des renseignements que ses sœurs corrompues récoltent
pour mon Maître.
Chalence est une morgane vivant sous sa forme
masculine. Sorcière-reflet corrompue et pratiquante
surdouée de l’Antélumie, elle dirige la petite fabrique de
miroirs corrompus de la caravane. Elle seule connaît l’art
d’enchanter un miroir qui, une fois brisé, permettra à
nos fidèles de parler entre eux à travers chacun de ses
éclats et sur le simple appel d’un prénom. Elle ne peut
s’éloigner d’un miroir plus de quelques heures, sous
peine de disparaître et de rejoindre le pays sans teint,
où sa tête fut mise à prix pour avoir volé et corrompu
les secrets de la magie des reflets. Sa loyauté envers le
Semblant est garantie en échange de sa protection.
Lancine est chargée de l’éducation de nos jeunes recrues.
Telle une matrone, elle sélectionne les meilleures pour
alimenter le réseau de Liseuse. Eprise de mon Maître,
42
vexée de n’avoir jamais été invitée auprès de Lui et
jalouse du rôle de la lectrice des chagrins, elle espère à
la fois s’attirer les faveurs du Maître et prendre la place
de Liseuse en influençant le Masque par le biais des
morganes qu’elle lui offre.
Liseuse, Chalence et Lancine sont les têtes pensantes des
architectes de la Perdition, société secrète chargée de retirer
le cœur de glace des jeunes recrues et de le remplacer par
un miroir parfait pour les protéger des haruspices (cf. Les
Automnins, p.137). Ce rituel horriblement douloureux
marque l’allégeance des jeunes morganes à la Perfidie et
la fin de leur séjour dans la caravane. Elles laissent leur
cœur à Liseuse comme symbole de leur dévotion. Les
architectes de la Perdition travaillent à l’avènement d’un
âge d’or, où la pratique du drame révèlera à l’humanité
sa nature profonde.
Les drakoniens sont très rares parmi nous, leur caractère
communautaire et leur culture se mariant mal avec la
mixité des espèces de la caravane et la vie du voyage. Leur
rôle dans le Drame est en première ligne, sur le terrain.
Il en existe pourtant un, surnommé le souffleur, dont
personne sauf mon Maître, ne connaît l’identité. Espion
hors pair, peut-être le plus dangereux de son décan, il
est d’une fidélité inébranlable à l’égard du Masque et
sa maîtrise de l’outrancelage (cf. Le violon de l’automne,
p.123) lui permet toutes les métamorphoses. Sous
forme humaine, le souffleur s’est intégré aux gitans
Kalecki et surveille les éventuels abus du Cocher pour
le compte du Semblant. La seule mention de son nom
effraye les membres de la caravane, qui se soupçonnent
régulièrement d’être le drakonien dissimulé.
Aux alentours de la caravane, les pixies sont bien moins
nombreux qu’autrefois : les prêches de la Voix dans les
saules (cf. Le violon de l’automne, p.111) pour ramener son
décan sur la voie de l’automne et son rejet de la Chaire
des damnés ont provoqué leur exil. Cette perte n’a pas
encore altéré les rangs des pixies au sein du Drame mais
le Masque voit d’un très mauvais œil cette désertion. Des
gitans de l’Arichkïn ont été envoyés à leurs trousses et la
Voix dans les saules est activement recherchée. Certaines
rumeurs prétendent que des pixies pourchassées seraient
allées trouver refuge auprès d’Inspirés.
Les derniers à vivre avec la caravane sont donc gardés
sous haute surveillance et leur rôle de messager a pour
l’instant été suspendu.
Le sillage de la perversion
Les sentinelles acharnées de la caravane se nomment
Noirâtres. Ces créatures vivent comme des bêtes, se
querellent sans cesse, dorment aux alentours des
roulottes, se déplacent en vagues déferlantes et se
nourrissent de proies qu’elles attaquent en chemin ou
de leurs congénères les plus faibles. Pour notre défense,
une élite de Moucheurs est désignée par mon Maître :
les Chaosiards. Ils montent des chauves-souris à pendus
(cf. Bestiaire, p.89) et sont prêts à donner leur vie pour
défendre la caravane. Ces cavaliers vivent en marge, à
la façon d’une petite aristocratie, et une roulotte leur
est dévolue. Accompagnés parfois de bêtes à vent (cf.
Bestiaire, p.88) pour repérer les Flammes, ils surveillent
les cieux et commandent aux essaims de scarabées-flèche
(cf. Bestiaire, p.96) qui précèdent toujours leurs
attaques.
Un groupe de nains du pestemétal, composé à parts
égales de membres de leurs quatre familles (cf. Bestiaire,
p.79), équipe en armes de pestemétal nos plus valeureux
perfides, qu’un bienfait protège des effets secondaires.
Ces nains vivent et travaillent dans et pour l’atelier de
Chalence. En plus des basses besognes de la caravane,
des putrides (cf. Livre de base, p.272) sont chargés de leur
fournir les victimes nécessaires à leur Art. Ils complotent
depuis longtemps pour s’affranchir de l’autorité de
Chalence et tentent, sans succès, de lui arracher le secret
de l’enchantement des miroirs. N’y parvenant pas, ils
développent des objets de pestemétal obtenus à partir
d’une même âme et capables de communiquer entre
eux. Malheureusement, les distances d’efficacité sont
loin de couvrir l’Harmonde, à l’image des miroirs de la
morgane.
Et puis, restent les autres, petite foule hétéroclite ayant
rejoint la caravane dans l’espoir d’une audience ou pour
vivre au plus près du Masque. Perfides en tous genres,
félons de tous bords, hystrions, nains de la grimace,
numismides, mages de l’entrave (cf. Souffre-jour n°5,
p.65 à 70), tisseurs de cauchemars, créatures corrompues,
tous ne sont que des prétendants vivant au crochet de
la caravane et tolérés par mon Maître. Les gitans les
comparent en revanche à des parasites et les rixes entre
les deux groupes sont monnaie courante. Ces courtisans
se considèrent trop souvent supérieurs à nous autres
et affichent un mépris ostentatoire. Paradoxalement,
n’ayant pas de roulotte, la plupart vivent dans des
conditions précaires, formant une cour pouilleuse et
blême de silhouettes tordues par la Perfidie.
L’épicentre du Drame
Les intrigues qui forgent les royaumes de l’Harmonde
partent et arrivent chaque jour dans les entrailles de
la caravane noire grâce aux réseaux d’informations
que le brillant esprit de mon Maître a mis en place.
Vos domestiques, vos administrations, vos milices, vos
armées, vos marchands, vos penseurs… tous, sont infiltrés
par nos agents, nos espions dont seul le Masque connaît
la liste complète. Et nous n’avons de cesse de parcourir
l’Harmonde pour récolter leurs informations et les
détourner au profit du Drame. Vos misérables éminences
grises, que vous croyez omniscientes, font bien pâle figure
face au savoir accumulé dans nos roulottes. Nos moyens
sont innombrables et il n’est pas un désir, un mensonge,
un projet qui échappe à nos oreilles : vous n’avez plus
aucun secret pour nous.
Les rats sont nos premiers informateurs. Une race
dominante de ces rongeurs, créée par mon Maître,
devance depuis toujours la caravane dans ses haltes :
nos rats se mêlent alors à leurs semblables, infiltrent
les foyers humains, espionnent leur quotidien, fouillent
leurs détritus et épient leurs messes basses. Beaucoup
des gitans de la caravane savent communiquer avec eux
et s’en servent comme éclaireurs. Leur morsure transmet
la Perfidie dans une moindre mesure, mais l’attaque de
tout un groupe peut la propager comme une peste…
Une façon comme une autre de donner naissance à de
nouveaux pantins grimaçants.
Nos agents principaux sont déjà sur place quand nous
arrivons, installés dans vos vies ridicules. Les chats sont
chargés de surveiller les humains pour lesquels mon Maître
a prévu de grands rôles : les nobles s’enorgueillissent d’en
posséder de rares, les érudits affectionnent leur présence
paisible dans les bibliothèques et les laboratoires... Gérés
à l’échelle de l’Harmonde par le rusé Figaro de Karabras
(cf. Le violon de l’automne, p.113), ils sont régulièrement
de passage à la caravane et nous font leur rapport sur
demande. Quant à leurs querelles incessantes avec les
rats, elles naissent de la profonde concurrence qui existe
entre eux pour s’attirer la préférence de mon Maître.
Moins connus sont les « voleurs de larmes » qui hantent
les cours de vos royaumes décadents. De belle apparence,
courtisans de la noblesse, ils sont poudrés, consensuels,
hypocrites et démagogues. Ils se plaisent à écouter pleurer
sur leur épaule les femmes trahies par les puissants de ce
monde. Toujours prompts à tendre leur mouchoir, ils y
récoltent de précieuses larmes pour les remettre à nos
contacts de passage. Liseuse déchiffre le contenu de ces
larmes pour en apprendre toujours plus sur les intrigues
qui se nouent dans les cours. Il n’est pas rare que les
voleurs de larmes soient ses amants asservis et la vieille
morgane en possède aujourd’hui des milliers.
Enfin, l’alliance avec l’Ombre nous offre le concours de
conjurateurs perfides capables d’interroger les morts ou
d’invoquer des démons espionnant pour nous depuis les
ténèbres.
Seule l’invisible Demeure du Cryptogramme nous résiste
encore (cf. Souffre-jour n°5, p.66, p.40 à 55 et Errata du
Sj5 sur www.souffre-jour.com) mais mon Maître veille à
ce que la situation se retourne bientôt en sa faveur.
43
Le palais d’itinérance poste d’où il dirige à grands coups de fouets de brume,
les dix Cauchemars (cf. Bestiaire, p.66) d’une taille
incroyable nécessaires pour tracter la roulotte du grand
Théatre.

Viennent enfin les dizaines de roulottes appartenant aux

Corps (cf. Illustration, Livre de base, p.153) cazas, les carrosses et les chariots de fortune des courtisans
Le noyau de la caravane noire est composé de cinq
perfides, ainsi que les charrettes de ravitaillement et de
impressionnantes roulottes qui ne se séparent jamais.
matériel propre à chacun.
Quatre à six chevaux robustes sont nécessaires pour
tracter la plus petite d’entre elles.
Dans son ensemble, la caravane noire est un interminable
La bringuebalante, roulotte de l’entracte, est celle des
cortège de roulottes s’étirant sur les routes aux abords
Chaosiards. Posée sur six roues et haute de deux étages,
desquelles pourrit la flore et fuit la faune. Mais la
elle est surmontée de petites nacelles où se trouvent leur
totalité de la caravane se divise toute l’année en sous-
monture. Les corps de leurs victimes y sont pendus en
groupes, souvent constitués par une même caza, servant
signe d’avertissement aux inconscients qui oseraient
de leurres pour brouiller nos déplacements ou chargés
approcher.
d’accomplir des missions spécifiques. Le noyau reste
généralement composé de sept roulottes principales : les
La roulotte des vocalises est la plus petite. Derrière
cinq indissociables et celles de deux cazas ayant l’honneur
ses parois d’acier couvertes de chaînes et de barbelés,
d’escorter le cœur de la caravane. Ces deux roulottes
s’étouffent les cris et les plaintes des prisonniers du
sont relayées à chaque nouvelle saison par celle d’autres
Drame. La plupart des putrides y servent de geôliers et
familles.
de bourreaux appliqués.
Infatigables, nous voyageons sans interruption sur
Dans la roulotte des coulisses se trouve l’atelier de
l’Harmonde sans parfois faire de halte pendant plusieurs
Chalence et des nains de pestemétal. Ces derniers
jours. Une fois l’an seulement, en automne, nous nous
prennent soin en permanence du foyer de malbraise,
réunissons dans un nouveau lieu perfide pour renouveler
un feu corrompu qui brûle sans consumer, obtenu en
notre allégeance au grand Maître du Semblant.
raffinant la colère des victimes capturées pour fabriquer
le pestemétal. Hérissée de petites tours aux toits pointus
et de cheminées crachant une fumée noire qui encrasse
ses parois, la roulotte des coulisses sert à l’intendance
générale de notre caravane.

La roulotte des comédiennes est celle des morganes.

Elle contraste par ses décorations en bois précieux,
ouvragées d’arabesques et bas-reliefs de femmes et de
sirènes alanguies. Il y règne une atmosphère de voiles,
de miroirs, de murmures et de sanglots chuchotés. Une
coupole où vit Liseuse, surplombe le second étage où se
trouvent les spacieux appartements privés de Chalence
et de Lancine. Le premier étage est réservé aux dortoirs
des jeunes morganes et le rez-de-chaussée abrite les
pièces communes. Depuis quelques temps une rumeur
circule : la roulotte abriterait de rares vivianes perfides
(cf. Souffre-jour n°1, p.12 et Addenda du Sj1 - Codex des
Vivianes - sur www.souffre-jour.com), mais personne Attelages
n’a encore pu le vérifier. Alors que la roulotte du Semblant serait tirée par
des Cauchemars, une légende gitane prétend que
La roulotte du grand Théatre, celle du Masque, est la les animaux qui tractent les autres principaux
plus imposante de toutes. Ses dimensions incroyables en
bâtiments de la caravane sont des descendants
font un palais mobile dont chacune des huit roues fait
directs du maestre-cheval, appartenant à l’antique
deux fois la taille d’un homme. Sa structure impossible
et baroque est couverte de balcons, de tourelles, de race des Bayards. Leur taille impressionnante et
passages suspendus, de fenêtres en ogive et de vitraux. Ce leur force assureraient la grande mobilité de la
labyrinthe architectural est orné de milliers de masques caravane. Ces nobles chevaux seraient otages de la
grimaçants à la vraisemblance troublante et jalonné de Perfidie : le seigneur Equidé les aurait livrés contre
multiples entrées, dissimulées sous de lourds rideaux de la promesse qu’aucun mal ne leur serait fait. Ses
théâtre. Le sommet de la roulotte est piqué de toits effilés premiers-nés revinrent à la caravane et les autres
et dominé par un étrange clocher où sonne le glas. Les furent « domestiqués » par les hommes.
appartements du Cocher se trouvent à l’avant, près du

44
45
Esprit
Il est facile d’imaginer l’intérieur de la plupart des
roulottes, mais celle du Masque reste un mystère. Des
rumeurs, principalement relayées par les morganes,
ont tissé un mythe dont nul ne sait séparer la vérité du
mensonge. Le Cocher lui-même ne peut accéder qu’à la
partie de la roulotte lui étant réservée.
Cet intérieur serait un labyrinthe infini de couloirs étroits
aux proportions verticales, de panneaux coulissants,
de chatières secrètes et de pièces impossibles en regard
des dimensions extérieures. Il serait géré par d’étranges
serviteurs en livrée, arborant des masques grotesques
et s’exprimant dans un langage désuet. Des fils de
marionnettes les reliraient à un plafond lointain, perdu
dans une obscurité vertigineuse et retirer leur masque
reviendrait à leur arracher le visage. On peut se perdre
et ne jamais retrouver son chemin, promené par les jeux
sadiques des serviteurs. La roulotte serait parcourue de
chuchotements inquiétants, plongée dans la pénombre,
baignée de lointains morceaux de clavecin, tendue de
draps de velours incarnats, de tentures étouffantes
et de tapis surchargés. Ouvrir une porte dans un sens
mènerait à un endroit toujours différent quand on
l’ouvre dans l’autre, selon le nombre de coups frappés
dessus … et entrer sans frapper mènerait à la mort. On
parle d’endroits légendaires : le salon des reflets, où
mon Maître recevrait ses rares invités ; le grand Théâtre
d’où il influencerait les pions de ses drames ; la chambre
des cartes contenant nos itinéraires ; la bibliothèque
hurlante, composée de livres vivants millénaires (cf. Livre
de base, p.277)… On prétend qu’une pièce mènerait aux
Abysses, par un passage aménagé dans le nocturium
d’un Haut Diable dissident. Dans les étages, la sensation
de présences invisibles serait oppressante à cause d’un
millier d’objets d’art corrompu, de miroirs brisés, de
marionnettes inquiétantes, de masques somptueux
et de costumes raffinés. Dispersées dans ce labyrinthe,
se trouveraient les douze cellules des passeurs de chair
(cf. Livre de base, p.266), pauvres créatures aux origines
humaines et aux corps tatoués, servant de portail à
mon Maître pour rejoindre en personne les royaumes
de l’Harmonde. Dans les profondeurs de la roulotte
se trouverait le puit des Flammes, prison de l’héritage
arraché à nombre d’Inspirés exposé en trophée.
Enfin, inaccessibles, se trouveraient « les loges », les
légendaires quartiers où le Masque résiderait parfois
sous sa forme brute, celle qu’Andélise Affrelune appelait
Maezël (cf. Souffre-jour n°4, p.40) et que personne d’autre
qu’elle ne connait. Même à nous, ses plus fidèles enfants,
mon Maître nous honore de sa présence seulement
sous les traits d’un humain à la beauté ineffable et aux
cheveux de jais. Nous appelons ce costume « le roi des
hommes ».
46
Âme
Les contes kaleckis situent l’apparition de la caravane
noire au moment de l’Eclipse. Nul ne connaît l’identité de
son génial architecte, mais la roulotte du grand Théâtre
aurait été inspirée par Maldemeure (cf. www.souffre-
jour.com et Le violon de l’automne, p.98), le refuge où
vécut le Masque durant trois mille ans, exilé sur l’île de
l’Automne. C’est là-bas que les cinq roulottes principales
auraient été construites, ralliées ensuite par celles des
gitans.
L’histoire de la caravane traverse les trois âges, parfois
en même temps dans plusieurs endroits. Son dernier
passage répertorié remonte en Urguemand, lors de
l’invasion janrénienne : Orchal, obscurantiste résistant,
aurait volé la caravane à une troupe de comédiens pour
se cacher de l’ennemi et traverser le royaume assiégé en
compagnie d’Agone de Rocheronde (cf. Les chroniques
des crépusculaires de M. Gaborit). Quelle naïveté
de croire que ces quelques roulottes ne furent pas
intentionnellement « prêtées » par mon Maître, pour
approcher au plus près Pénombre et Agone. (cf. Dramatis
personae, p.2 à 5).
Quand le Masque est présent, le pouvoir de la caravane est
immense et la perfidie qu’elle dégage a raison du moindre
mortel qui approche de son cœur. Nous autres résidents
sommes partiellement protégés par ses bienfaits. Le
Masque déplace la caravane noire et les roulottes kalecki
sur l’Harmonde depuis la chambre des cartes, à la façon
de pions sur une table. Il en déguise l’apparence à loisir,
la rend visible aux personnes de son choix et seuls des
yeux perfides peuvent l’apercevoir sans qu’Il l’ait décidé.
Grâce au passage ouvert sur les Abysses, Il peut éclipser
les roulottes à tout moment. Mais rechignant à signaler
nos mouvements à l’Ombre, Il préfère voyager par ce qui
relie tous ses drames et n’appartient qu’à Lui : la Trame.
Mon Maître prépare notre trajet depuis la salle des cartes
et nous fait traverser un univers figé, hors de l’espace ou
du temps, confus et bruyant de mille voix pour nous
faire réapparaître où mène la Trame, aux quatre coins de
l’Harmonde.
En son absence, la magie morganine et le Cocher, notre
guide sur les routes des royaumes, nous protègent. Des
morganes précédent à cheval nos roulottes et étendent un
voile luminescent sous lequel disparaît la caravane noire
(cf. Livre de base, p.281). Si la distance à parcourir est
trop importante ou si le temps manque, le Cocher utilise
un artefact perverti, reçu lors de sa nomination et qu’il
transmettra à son successeur : la mappemonde hantée (cf.
Livre de base, p.275). Celle-ci indique et permettrait de
voyager d’un lieu perfide à un autre. Un autre exemplaire
de cet artefact, destiné à induire les mortels en erreur sur
la forme de l’Harmonde (cf. Dramatis personae, p.102 à
105), aurait été perdu voilà quelques siècles en Province
lithurgique ; nous le recherchons activement, craignant
que des Inspirés le découvrent et s’en servent.
Ces révélations vous étonnent ? Vous croyez maintenant
détenir un secret ? Vous me faites pitié… Vous n’avez rien
appris que Mon Maître n’ait voulu que vous sachiez.
Vous payerez bientôt le prix des mystères que je vous ai
révélé ! »
Le prisonnier s’est ensuite jeté sur le garde dans une furie
sanguinaire, tentant de le tuer … avec ses dents. J’ai pu
l’abattre avant qu’il ne lui ôte la vie. Bien à vous.
Thiaré d’Herbeline
LA TRAME
Eminence, la Trame n’est pas un monde parallèle,
comme les Abysses ou le pays sans teint. C’est une
forme de voyage, un moyen de déplacement que seul
le Masque et ceux qu’il désigne peuvent emprunter.
Il doit pour cela utiliser toute sa puissance, atteinte
sous la forme brute qu’il n’adopte qu’au plus profond
de sa roulotte. Le Masque déplace ainsi sa caravane
à travers le Drame, c’est-à-dire selon l’ordre subtil
et secret dont ses actes s’enchaînent. La roulotte
apparaît dans un décor choisi de Lui pour entrer
en scène au moment prévu par l’intrigue. C’est
souvent loin de ces lieux de « représentation » que
la caravane noire se prépare, n’empruntant la Trame
qu’à l’instant propice.
L’action des Inspirés perturbe les chemins de la Trame,
obligeant le Masque à les retracer constamment
depuis sa chambre des cartes. Le déclencheur du
voyage est souvent lié à l’action, une réplique, un
coup de théâtre prévu par le Masque, qui ouvre un
passage par la Trame, permettant à la caravane de
se déplacer sur l’Harmonde en un battement de cil.
Ce moyen de transport est méconnu des profanes et
son existence reste un des secrets les mieux gardés
de la caravane.
47
 Le jeu de la Perfidie

Eminence : tous les empereurs ont un sceptre, le Masque possède le célèbre jeu de tarot qu’Il créa pendant
son long exil sur l’île de l’Automne.
Une légende prétend que gagner à ce jeu permettrait de purifier la Perfidie, une autre raconte que le Vaga-
bond déplacerait grâce à lui sa caravane par la Trame. En disposant ses lames selon un tirage complexe
associant influences impliquées et symbolique des cartes, Il retrace les actes de ses drames et lit le trajet
futur. Alors doit subvenir l’événement ouvrant la Trame et en posant la dernière carte, mon Maître y lance
sa caravane. Elle réapparaît enfin à l’endroit où se déroulera la suite du drame choisi.
Le Masque seul peut utiliser le pouvoir de son tarot. Chaque carte lui est liée et il sait d’instinct où elle se
trouve à tout moment. Chaque illustration comporte une silhouette discrètement fondue dans le décor et
ambigüe, le représentant. Il peut s’y incarner à volonté et voir ce qui se trouve face à la carte concernée.
A ce titre, chaque carte referme le sort de Décorum perverti « Capture » (cf. Livre de base, p.277) que le
Masque peut déclencher à tout instant à portée du regard.

Voici comment se répartit le jeu de la Perfidie, ainsi que les correspondances avec un tarot divinatoire réel.

56 lames mineures réparties en quatre familles :

- 10 cartes Eté Feu (cf. Epée)
- 10 cartes Printemps Eau (cf. Coupe)
- 10 cartes Hiver Air (cf. Denier)
- 10 cartes Automne Terre (cf. Bâton)
- 4 cartes (une par famille) figurant les Dames (cf. Reines)
- 4 cartes (une par famille) figurant les Rois des saisons (cf. Rois)
- 4 cartes (une par famille) figurant le Primarbre à différentes saisons (cf. Valets)
- 4 cartes (une par famille) figurant les saisonins* (cf. Cavaliers)

*trois par carte, pour le Printemps est figuré un poucet et non un farfadet

22 lames majeures :
I. L’Inspiré (cf. Le Bateleur)
II. Stance (cf. La Papesse)
III. Nuance (cf. L’Impératrice)
IV. Cysèle (cf. L’Empereur)
V. Orphèle (cf. Le Pape)
VI. Le Génie (cf. L’Amoureux)
VII. La caravane noire (cf. Le Chariot)
VIII. Janus (cf. La Justice)
IX. L’Excellence et la Merveille (cf. L’Hermite)
X. L’horloge d’Abyme (cf. La Roue de Fortune)
XI. Le danseur (cf. La Force)
XII. Le Félon (cf. Le Pendu)
XIII. L’Ombre (cf. La carte sans nom)
XIV. Le théâtre (cf. La Tempérance)
XV. Le démon (cf. Le Diable)
XVI. Maldemeure (cf. La Maison Dieu)
XVII. La Lueur (cf. L’Étoile)
XVIII. Noxe (cf. La Lune)
XIX. Diurne (cf. Le Soleil)
XX. L’Eclipse (cf. Le Jugement)
XXI. L’Harmonde (cf. Le Monde)
Sans numéro. Le Gitan (cf. Le Mat)

48

Les Costumes du
Masque
L’automne est revenue sur l’Harmonde. Elle l’habille d’or
et de pourpre et le parfume d’humus fécond, elle lui fait
revêtir son vêtement de fête pour mieux l’offrir à mon
Maître. Si tu lis ces lignes, c’est que le Vagabond t’a choisi
pour me succéder. C’est bien. Je te donne ma bénédiction,
pour autant qu’elle ait encore la moindre valeur. Cette
phrase te semble amère ? Rassure-toi, je n’ai pas l’intention
de t’infliger la lecture d’un long apitoiement stérile, ni de
chercher des excuses à mon échec. J’ai vécu pendant des
siècles aux côtés de la Cinquième Muse, ma chair a porté
un tableau dessiné de sa main. Comment pourrais-je avoir
des regrets ? Demain, je partirai. Jamais plus je n’entendrai
le craquement du bois de nos roulottes, ni le murmure
régulier de leurs roues au rythme de notre longue route. Le
lent balancement de la Caravane Noire a bercé tant de mes
nuits...
Mon successeur, mon frère, je devine tes questions. Je pense
que tu te doutes que je n’ai pas toutes les réponses.
Pourquoi des costumes ?
Comme tu le sais, notre Maître a choisi de demeurer à
jamais dans les coulisses de l’Harmonde. Dès lors qu’il
apparaît sur scène, il revêt l’un de ses Costumes. Telle
est la loi du Drame, qu’il a lui-même édictée à l’instant
originel où il a choisi de prendre possession de son
théâtre. Seuls quelques rares élus et ceux qui ont le
privilège d’être admis en sa présence dans la Caravane
Noire peuvent le contempler tel qu’il est vraiment. Nous
seuls voyons son envoûtante beauté, sa grâce sensuelle et
sauvage de prédateur impitoyable, son élégance raffinée
de prince de l’Harmonde.
Songe aux pièces de théâtre qu’il t’est arrivé de voir,
mon frère. Si un metteur en scène monte soudain sur
les planches pour rejoindre ses acteurs, les interrompre
et leur donner ses directives, que se passe-t-il ? La pièce
s’arrête. Et même si elle reprend après cette interruption
elle est souillée par cette rupture, l’illusion s’est perdue,
le public a pris ses distances et toute l’émotion, toute la
passion se sont dissipées ! Détestable amateurisme. Ce
qui est normal et nécessaire pendant une répétition – ce
qui se fait dans la Caravane Noire, où le Grand Tragédien
forme et conseille ses meilleurs acteurs – devient grossier
et intolérable lors d’une véritable représentation. S’il veut
intervenir, le dramaturge doit s’intégrer dans sa pièce.
Pour pouvoir apparaître sur la scène il doit incarner un
personnage qui y a sa place, qui est capable d’agir sans
mettre à mal la cohérence et la continuité de l’ensemble.
Ainsi, on ne verra pas le metteur en scène donner des
ordres à l’acteur, mais le personnage joué par le metteur
en scène interagir avec le personnage joué par l’acteur et
l’influencer.
Il n’y a aucune exception à cette règle. Lorsque le Maître
du Semblant apparaît lui-même dans l’Harmonde il
joue en réalité son propre rôle, comme un acteur qui
s’incarnerait lui-même dans une pièce représentant un
moment de sa vie. Toutefois, soucieux de vraisemblance,
il s’investit totalement dans son rôle. Lorsqu’il combattit
ses mères, jadis, c’est donc dans sa chair qu’il fut blessé
et souffrit. Lorsqu’il courtisa la Dame de l’Automne, sa
vulnérabilité et sa nudité étaient authentiques. Lorsqu’il
fut rejeté par Sélène, c’est réellement sa joue qui porta
la marque d’une gifle. Lorsqu’il séduisit sa fille, la petite
Noxe, et la brisa à jamais, c’est son véritable sourire qui
la rendit folle.
49
Douze visages
pour le Drame
La Cinquième Muse a longtemps possédé douze
Costumes. Agone de Rochronde aurait été le treizième si,
il y a quelques décennies, le Costume urguemand n’avait
pas été détruit. J’ai survécu jusqu’ici à sa disparition
mais je suis las de lutter. Le sanctuaire auquel je suis lié
a été arraché à l’influence de notre Maître, nos ennemis
ont brisé l’harmonie qui l’unissait au Drame.
Tu crains de subir un jour le même sort que moi ? Les
risques sont faibles, rassure-toi. Les blasphémateurs
impies qui ont détruit le Costume urguemand l’ont
affronté au coeur même de son refuge. Après leur
odieuse victoire, ils ont souillé ce sanctuaire, aidés par les
séides du Conseil des Décans. Ce tableau que j’étais fier
de porter sur le torse, peint par le Vagabond lui-même
avec une encre qui mêlait son sang et le mien, est devenu
une plaie purulente. Même les caresses des morganes
ne parviennent plus à me distraire de ma douleur. Hier,
mon Maître est venu vers moi. Il a posé sa main sur ma
blessure, et pendant quelques trop brefs instants j’ai
pu oublier ma souffrance et communier pleinement, à
nouveau, à la splendeur de son oeuvre. Le Vagabond m’a
donné le droit de partir, et crois-moi je ferai de ma mort
un Drame dont l’Harmonde se souviendra à jamais !
Mais je m’égare... A l’origine, même déguisé le Maître du Semblant arpentait
Il y a donc un Costume par Royaume, pas un de plus.
l’Harmonde dans son rôle de metteur en scène. Il adaptait
Pourquoi ? Il m’a fallu du temps pour le comprendre.
à ses désirs la scène du Drame, dirigeait le travail de ces
grands éclairagistes et machinistes que sont Diurne et
Sache d’abord que le Vagabond travaille ses rôles avec
un soin extrême. Il les développe patiemment et ne veut Noxe, supervisait la création des décors et de la musique.
pas se disperser. En metteur en scène habile, il refuse de Mais lorsque retentit la première Sentence, lorsque Janus
banaliser ses propres apparitions sur la scène du Drame. instaura les Décans, tout changea. L’Harmonde cessa
Quelques Damnés affirment qu’il serait plus efficace d’être un chaos foisonnant de petits Drames plus ou
pour lui d’être d’avantage présent en personne. Je n’en moins indépendants dans lesquels la Cinquième Muse
suis pas certain, puisque de toute manière il ne peut perfectionnait petit à petit son Art. Le Grand Tragédien
porter ses Costumes que l’un après l’autre, à tour de rôle. comprit qu’il était temps de frapper les trois coups, de
Et plus important encore, l’efficacité n’est pas tout ! Le faire se lever le rideau. Il se retira de la scène, et laissa la
Vagabond n’est pas un conquérant sans élégance, même place à ses acteurs.
s’il peut parfois en endosser le rôle. Il est une Muse, un Les douze Décans avaient figé l’organisation de
artiste. Il est l’incarnation même de l’Art. Ce qui le guide l’Harmonde. Volontairement ou par nécessité, le Drame
avant tout, c’est sa vision de la beauté et du raffinement
se coula dans cette structure et s’adapta à ce rythme. Les
du Drame. Peu importe, au fond, le détail de ce qui se
myriades de petits Drames des origines s’organisèrent,
passe à travers l’Harmonde. Peu importe quel sang coule
se cristallisèrent autour de douze thèmes principaux.
sur le poignard, pourvu que la trahison soit déchirante
et tragique. Peu importe qui, du Conseil des Décans ou De même que l’oeuvre des quatre Muses originelles
de nos alliés, remporte telle ou telle apparente victoire, ne s’exprimerait désormais qu’au rythme des douze
pourvu que l’affrontement soit sublime. Seules comptent heures de la grande Horloge, revêtue de l’un de ces
l’intensité, la passion, la beauté ! douze vêtements que sont les Décans – car nulle part
Quoi qu’il en soit, ce débat est devenu stérile il y a sur l’Harmonde, mon frère, n’existe un lieu qui ne soit
longtemps. pas sous l’influence d’une saison – de même l’oeuvre

50
de la Cinquième Muse aurait douze visages. Douze
Drames principaux autour desquels s’articulerait le
Drame. Et pour chacun d’entre eux le Grand Metteur en
Scène élabora un rôle qui lui permettrait, si nécessaire,
d’intervenir dans sa pièce. Un Costume.
Quel lien, me diras-tu, avec les Royaumes ? C’est qu’ils
sont, en quelque sorte, l’équivalent humain des Décans
saisonins. La réponse des enfants du Semblant aux enfants
de l’Harmonde. Avec l’Eclipse, les humains ont échappé
à la Flamme et retrouvé leur véritable nature d’acteurs.
Intuitivement, ils se sont rassemblés par affinités et
ont donné naissance à des regroupements culturels et
politiques autour des douze principales variations du
Drame. Et les Royaumes ont pris la place des Décans
comme incarnations des heures de l’Horloge d’Abyme.
Même si aujourd’hui certains, comme les Terres Veuves,
sont dominés par des saisonins l’idée même de Royaume
est une invention purement humaine.
Pour créer un Costume supplémentaire, il faudrait
réorganiser les Drames en introduisant dans le Drame un
nouveau thème. Et celui-ci aurait besoin d’une scène à
part entière pour s’épanouir et donner toute sa mesure,
c’est à dire d’un nouveau Royaume.
Le Douzieme Costume
Eminence, il ne vous aura sans doute pas échappé
qu’il est écrit dans le Livre de Base d’Agone
(Pages 265 et 266) que le Masque dispose – avant
la transformation de l’ancien Premier Baron à
Bokkor – de « douze Costumes, un par Royaume
Crépusculaire ». Or, les Royaumes n’étaient à
ce moment-là que onze ! La nature du douzième
Costume est l’un des mystères que même les Damnés
ne sont pas parvenus à percer. Peut-être s’agit-il d’un
Costume Abymois, compte tenu de l’indépendance
et de l’importance de cette ville. Peut-être un
marin oublié parcourant les mers extérieures de
l’Harmonde. Ou un Costume abandonné depuis des
siècles sur l’Ile de l’Automne. Peut-être, aussi, un
reflet dans le Pays Sans-Teint ou une présence dans
un autre Tableau-Monde. Vous seule, Eminence,
pourrez apporter à vos Inspirés la réponse à cette
question.
Le lien entre un Costume et son Royaume n’est pas
physique, mais thématique. Contrairement à ce que
croient les rares Inspirés à avoir conscience de l’existence
des Costumes, ceux-ci peuvent parfaitement quitter les
Royaumes auxquels ils sont associés. Par contre, leurs
actions sont contraintes car où qu’ils soient, ils ne
peuvent agir que pour affermir ou défendre l’emprise
du Grand Dramaturge sur leur Royaume. Les affaires des
autres Royaumes leur sont étrangères et inaccessibles.
A l’image du Vagabond, cette règle est subtile. Si un
Drame concerne plusieurs Royaumes, les Costumes de
chacun d’entre eux peuvent y participer. S’il implique
l’Harmonde en entier, il touche évidemment chacun des
Royaumes qui le composent. Tous les Costumes seront
donc susceptibles d’entrer en scène !
Costumes et Royaumes
Le lien entre un Costume et son Royaume découle à
la fois de la nature de l’Harmonde et des contraintes
que le Masque s’est imposées à lui-même en
définissant les règles esthétiques du Drame. Pour le
rendre plus clair, voici quelques exemples. Agone de
Rochronde est devenu le Costume de Bokkor. Toutes
ses actions doivent donc avoir pour but l’emprise
de la Perfidie sur Bokkor et ses habitants, quel que
soit l’endroit où il se trouve physiquement. Ainsi,
il peut très bien se rendre à Lorgol pour assassiner
un émissaire bokkori venu chercher de l’aide auprès
des Barons pour le renverser. Mais il ne pourra en
aucun cas intervenir dans les querelles de succession
d’Urguemand à moins que celles-ci n’aient
d’importantes conséquences pour Bokkor, ce qui est
tout de même peu probable. Bien entendu, Agone
peut participer à n’importe quel projet du Masque
dont les conséquences toucheront l’Harmonde
entier, puisque par définition elles toucheront en
particulier Bokkor. C’est par exemple le cas du plan
du Maître du Semblant de faire renaître Diurne. Le
cas de Sybelline dans Eclat de Sang est similaire.
Artémise et ses chevaliers Mandalore menaçaient
de prendre le contrôle de la totalité de l’Harmonde.
Pire encore, le Génie faisait courir un danger au
Masque lui-même et risquait de le détruire. Les
conséquences de tels actes auraient bouleversé les
fondements même de l’Harmonde et donc, entre
autres, le Royaume d’origine de Sybelline.
51
Tisser les vêtements du mon frère, tu connaîtras cette sensation exquise de le
sentir te traverser, de sentir sa chair éternelle plonger
à travers le tableau que tu portes pour gagner son
sanctuaire et y revêtir un Costume...

Semblant La transformation d’un Mannequin en Costume est une

oeuvre sublime, un Drame à la mise en scène complexe
et délicate dirigée par les Tisserandes Vénériales. Artistes
Ton existence, mon frère, est la preuve que notre Maître
visionnaires, intrigantes vénéneuses ou guerrières
dispose à nouveau d’un sanctuaire en Urguemand. Sans
magnifiques, elles sont les concubines du Vagabond lui-
doute as-tu pris part à la consécration de ce lieu saint, et
même.
reçu mon héritage en récompense.
Dames de soie à la douceur trompeuse, dames de velours
Il est donc redevenu possible de créer un Costume dans
chatoyantes et dangereuses. Fières et enivrantes dames
ce Royaume trop longtemps abandonné. Car ce n’est
de brocart. Dames de fourrure sauvages et farouches.
que dans un sanctuaire dédié à la Cinquième Muse, lieu
Minces dames de dentelle aux rapières de brume et
infiniment sacré, qu’un simple mortel peut devenir le
d’argent... Bien qu’elles servent le même Maître que toi,
réceptacle du Vagabond.
prend garde, mon frère, à leur beauté changeante !
Tu sais en effet que tous les Costumes furent des
A l’origine elles ne sont que des mortelles au physique
humains avant d’être transformés par notre Maître pour
ingrat, manipulatrices habiles malgré leur apparence
l’accueillir lorsqu’il entre en scène. Enfants du Semblant,
laide ou banale. Le plus souvent, elles ignorent tout du
spécifiquement créés à son image par le Vagabond pour
Vagabond et de son oeuvre jusqu’à ce qu’elles aient le
être les acteurs du Drame, seuls les humains sont assez
privilège de le rencontrer. Il les choisit, et les invite dans la
proches de son essence profonde pour connaître cette
Caravane Noire pour leur offrir l’arme qui leur manque :
transmutation.
la beauté. Il les drape dans les étoffes les plus précieuses
Dès lors que la Cinquième Muse choisit un mortel pour
et les plus douces, leur recouvre la moitié du visage
en faire son Costume, nous donnons à celui-ci le nom
d’un masque de nacre au demi-sourire énigmatique,
de Mannequin. Il doit alors être préparé, lentement,
et les délivre de leur chair imparfaite et grossière. Elles
soigneusement, à accueillir le Vagabond. Car il ne sera
deviennent de fascinantes sylphides, créatures éthérées,
pas une simple marionnette dont on tirerait les ficelles à
vêtements vides dansant au rythme des plus subtiles
distance. Notre Maître porte véritablement ses Costumes,
nuances de la Symphonie du Drame.
entre totalement en eux, Corps, Esprit et Ame. Toi aussi,

LE CYGNE NOIR, LE FONDATEUR DE LA RENEGADE ET LUTH LE LUTIN

Eminence, nous savons que le fondateur de la Renégade, un puissant minotaure, était en réalité le Masque
dans un de ses meilleurs rôles (Les Cahiers Gris II, les Organisations, page 78). C’est sous la forme d’un
cygne noir que le Maître du Semblant affronta et maudit jadis les Cygnelines (Souffre-Jour 1, page 31).
Par ailleurs (Les Atlas) il est dit que le Masque souhaite faire de Luth le Lutin un Costume. Pourtant, nous
affirmons ici que tous les Costumes sont, à l’origine, des humains. Cette contradiction apparente n’en est pas
une.
Celui qui combattit les Cygnelines fut d’abord l’enfant humain d’une Nymphe et d’un homme, avant d’être
transformé en Costume. De tous ceux dont dispose le Maître de la Mascarade, il est par ses origines le plus
proche des Merveilles et des Excellences. Ses dons de changeforme lui ont permis de devenir à volonté un
animal surnaturel et terrible. En contrepoint de la beauté enchanteresse de l’Harmonde, il incarne une féerie
maléfique, représentation mythologique et allégorique d’une puissance malfaisante, terrifiante et pourtant
sombrement magnifique. Le Masque endosse depuis le Costume du Cygne Noir lorsqu’il se veut divinité
faite chair, manifestation tangible de la face obscure du merveilleux, prince rebelle et impitoyable d’une terre
féerique. Eminence, vous ne serez pas surprise d’apprendre que le Cygne Noir est le Costume Modéhen...
Pour pousser les minotaures à s’organiser au sein de la Renégade, le Masque ne joua pas le rôle d’un
minotaure même s’il prit l’apparence de l’un d’eux. Il utilisa simplement ses pouvoirs pour donner à son
Costume l’apparence d’un des fils de la Bête, jouant donc sur la grande scène du Drame le rôle d’un humain
qui se déguisait en minotaure.
Luth le Lutin est un cas différent. Il serait le tout premier non-humain à devenir un Costume. Mais pour
y parvenir, le Masque devra d’abord couper le lien de Luth avec la Dame du Printemps et le rendre
psychologiquement plus proche des humains que des lutins. En faire, en somme, un farfadet...

52
Guidées par la Cinquième Muse, elles parcourent
l’Harmonde à la recherche des plus belles femmes,
humaines ou saisonines, dont elles font leurs proies.
Une Tisserande Vénériale s’infiltre dans les rêves de celle
qu’elle choisit et l’influence, l’attire jusqu’à ce que sa
victime vienne se glisser dans ce qu’elle prend pour le
plus féerique des vêtements. La Tisserande plonge alors
ses fils dans sa chair et prend possession de son corps.
La moitié de visage qui n’est pas couverte par le masque
est ensuite sculptée, lentement, jusqu’à être d’une
splendeur sans défaut, conforme aux désirs de notre
Maître. L’autre moitié reste inchangée et parfaitement
consciente. Si l’occasion t’en est donnée, regarde bien ces
traits tourmentés et impuissants, ces regards bouleversés,
terrifiés ou résignés que l’on entr’aperçoit par les
ouvertures de leurs masques. Ils forment avec les moitiés
de visages si parfaites qu’ils côtoient une harmonie
fascinante, un contrepoint d’une beauté indescriptible, à
l’image du Drame lui-même.
DES VISAGES PARFAITS
Il n’existe pour les Tisserandes Vénériales que quatre
visages possibles, quatre beautés très différentes
les unes des autres mais toutes insurpassables. Et
chaque Tisserande arbore nécessairement l’un de
ces visages, transformant celui de l’hôte qu’elle
parasite jusqu’à ce qu’il soit la copie conforme de
l’un de ces modèles.
Il est une chose que les Damnés ignorent mais
que vous devinez peut-être, Eminence : les quatre
visages que le Masque donne à ses concubines sont
ceux des Muses...
Le plus difficile dans la tâche des Tisserandes Vénériales
est de révéler à l’âme du Mannequin l’incroyable beauté
du Drame, de la préparer à s’y fondre en une totale
harmonie pour laisser la place à celle du Vagabond.
Convaincre, en somme, l’être qui deviendra un Costume
d’accepter cette transfiguration. Car il ne saurait en
cela y avoir de contrainte, sans quoi l’harmonie avec le
Drame serait imparfaite et la transformation échouerait.
L’idée que quelqu’un accepte que son âme soit détruite
te semble incroyable, n’est-ce pas ? Et pourtant, tous les
Costumes sans exception l’ont fait. Certains parce qu’ils
étaient des adorateurs fanatiques de notre Maître, ou
des artistes hallucinés voulant communier à l’absolue
splendeur de l’Oeuvre magistrale qu’est le Drame.
D’autres des martyrs exaltés s’offrant au Vagabond en
échange de la promesse de son aide pour défendre leur
cause. Ou de pathétiques désespérés, épuisés par leurs
vies et avides de sombrer dans l’oubli du néant. Les
Tisserandes Vénériales savent explorer les moindres replis
d’une âme et la caresser, la plier, la griffer, la déchirer
enfin et obtenir qu’au coeur d’un de nos sanctuaires elle
consente à sa propre disparition.
Le rôle des concubines de notre Maître ne s’arrête pas
là. Lorsque le Vagabond choisit d’ôter un Costume il ne
laisse derrière lui qu’un simple vêtement fait de chair
et d’étoffe, avec pour visage un masque de cuir. Ce sont
les Tisserandes qui le recueillent et le ramènent dans
le plus grand secret jusqu’à son sanctuaire, où elles le
veillent sans relâche. Car c’est là et là seulement, dans ces
lieux qui lui ont été consacrés et dont nous portons les
tableaux dans nos chairs, que le Grand Dramaturge peut
revêtir l’un de ses Costumes.
Déchirures
Préservés du vieillissement et des maladies par leur
lien avec le Vagabond, les Costumes n’en sont pas pour
autant invulnérables. Habités par la Cinquième Muse,
ils sont dotés d’une puissance considérable mais limitée
par leur origine. Il est prodigieusement difficile mais
hélas possible de détruire l’un des Costumes de notre
Maître, et d’immondes déicides y sont déjà parvenus.
Heureusement, le Grand Tragédien n’a jamais été
véritablement mis en danger par la mort d’un simple
Costume. Douloureusement blessé, torturé de souffrance
et obligé de panser ses plaies dans la Caravane Noire,
mais pas réellement menacé. Au pire il lui faudra attendre
plusieurs années avant d’être totalement guéri et de
pouvoir à nouveau revêtir l’un de ses Costumes. Mais
que sont quelques brèves années aux yeux d’un Eternel ?
53
Tu as peut-être entendu parler de l’audace d’Artémise, LA MORT D’Un COSTUME
qui piégea totalement le Vagabond dans un Costume.
A ce moment-là, c’est vrai, notre Maître aurait pu être
détruit. Tu trembles ? J’ai moi-même failli céder à la La mort d’un Costume a d’autres conséquences pour
panique à cette époque. Mais ce danger est écarté. Les le Masque qu’une simple blessure, en réalité. En
circonstances étaient particulières, uniques, et ne se choisissant d’agir personnellement sur l’Harmonde,
reproduiront plus. il crée un lien entre la Perfidie qui infecte un
Royaume et le Costume qui lui est associé. La mort
d’un Costume est une déchirure dans la trame de sa
pièce de théâtre cosmique, un instant d’hésitation
VETEMENT DE TENEBRE et de silence dans la Symphonie du Drame, un bref
répit pendant lequel l’Harmonie peut s’épanouir
naturellement. Sur le plan des règles, lorsqu’un
Il existe une rumeur persistante parmi les séides du
Costume est tué plusieurs effets s’appliquent sur
Semblant selon laquelle un des Costumes fut, avant
la totalité du Royaume auquel il était lié, mais
sa transformation, un puissant Conjurateur que
uniquement dans ce Royaume-là.
l’Ombre avait doté d’un jumeau démoniaque. Les
L’affaiblissement de l’emprise du Drame se traduit
spéculations les plus folles courent sur ce Démon et
par la perte d’un point d’Aspect Noir (Dans chaque
sur les conséquences que l’emprise du Masque sur
Aspect) pour tous les Domaines et tous les habitants
son original eut pour lui.
du Royaume (Inspirés ou Ternes, Félons et Damnés
Pour certains il est lui-même devenu un Costume,
compris).
permettant au Grand Dramaturge d’arpenter
La liberté retrouvée de l’Harmonie fait gagner
incognito le domaine de sa sombre fille. Pour
à chaque Génie Fondateur un point de Potentiel
d’autres, transfiguré par l’influence de la Cinquième
d’Eveil.
Muse il s’est élevé dans la hiérarchie des Abysses
Si le coup fatal est porté au Costume par un
jusqu’au rang de Haut-Diable.
Inspiré, le Masque est réellement blessé et doit,
avant de pouvoir à nouveau endosser un Costume,
demeurer dans la Caravane Noire autant d’années
que le score de Flamme de l’Inspiré. Si le Maître
Pour conclure, je dois te parler d’une hypothèse folle,
du Semblant revêt un de ses Costumes avant
parfois évoquée malgré son absurdité. L’un des Sigiles
d’être pleinement guéri il devient possible de
du Conseil des Décans est convaincu que si tous ses
rendre sa blessure permanente en la lui infligeant
Costumes étaient tués notre Maître mourrait, ou du
à nouveau à l’identique. Et comme il s’agit d’une
moins perdrait toute influence. La perte de tous les
blessure mortelle... Vous remarquerez aussi que la
Costumes serait une défaite douloureuse, évidemment.
perte d’Aspects Noirs peut éventuellement libérer
Mais le Vagabond ne serait pas détruit, et son emprise
certains Inspirés de l’emprise du Masque en faisant
sur l’Harmonde demeurerait. A dire vrai, je soupçonne
repasser leur score de Flamme Noire en dessous de
notre Maître d’avoir lui-même soufflé cette idée au pion
leur score de Flamme...
de Janus. Il veut peut-être lancer ses ennemis sur la piste
de ses Costumes pour avoir le plaisir de les combattre en
personne, et surtout pour les détourner de leur quête
des Arts et de leur version de l’Harmonie. Car s’il est une
chose capable de le vaincre, c’est uniquement celle-là...
L’aube ne tardera plus. De ma fenêtre, je vois les
silhouettes des roulottes se découper sur le bleu du ciel
qui commence à s’éclaircir, et de pâles lueurs rosées
soulignent déjà le tracé de l’horizon. Il est temps de partir.
Je suis fier d’avoir servi la Cinquième Muse comme je
l’ai fait. Fier d’avoir été à ses côtés, fier d’avoir participé
au Drame que je l’ai vu mettre en scène pendant des
siècles, fier d’avoir pu contempler son habileté et son
génie. Puisse-t-il maintenant m’accorder de le servir une
dernière fois, de lui apporter une victoire éclatante qui
me permettra de quitter la scène sur un triomphe digne
de lui. Loué soit le Masque !

54
 CONSEILS De MISe En SCENE

Eminence, si vous choisissez de faire intervenir directement l’un des Costumes du Masque dans vos Drames,
nous ne saurions trop vous conseiller la plus grande prudence.
Ainsi que l’écrit le Passeur de Chair dont vous lisez ici le testament, le Masque veille à ce que ses apparitions
sur la scène du Drame ne soient jamais banales. Rien ne serait pire que de décevoir vos Inspirés s’ils se
retrouvent face au Maître du Semblant. Surprenez-les, prenez leurs croyances à contre-pied, mentez,
trompez, dissimulez-leur la véritable nature de celui auquel ils sont confrontés, ou au contraire révélez-la
immédiatement si vous le voulez, mais surtout ne les laissez jamais oublier que le Masque est et demeure...
le Masque !
En termes de règles, voici quelques suggestions qui peuvent vous être utiles.

Exemple :
Comme vous l’avez découvert dans ce numéro du Souffre-Jour, une faction dissidente de la Chaire des
Damnés s’oppose au Masque. Vos Inspirés peuvent être pris dans une guerre entre des Perfides suivant la
Critique et des fidèles du Maître du Semblant. Dans ce cas, il est logique de supposer que s’ils remontent les
réseaux d’influence qui s’affrontent, ils parviennent d’un côté à des membres de la Critique et de l’autre à un
Costume, le Masque intervenant en personne pour remettre de l’ordre dans sa mise en scène.
Par ailleurs, quelle plus belle fin pour une compagnie d’Inspirés qu’un face à face avec le Grand Tragédien
lui-même ?

Caractéristiques d’un Costume pouvoirs, le Masque ne pourra pas donner à ce Costume

Malgré toute sa puissance, le Masque est prisonnier des
limites naturelles du mortel dont il choisit d’endosser le
rôle. Ainsi, les caractéristiques d’un Costume ne peuvent
en aucun cas dépasser les caractéristiques maximales
d’un humain.
Le Masque choisit généralement de bénéficier de bonus
d’aspects noirs importants, qui ne peuvent toutefois pas
excéder 10. Il ne peut évidemment pas avoir d’aspects
lumineux, ni bien sûr de Flamme !
Par ailleurs, le Maître du Semblant possède
systématiquement tous les Bienfaits Perfides, et aucune
Peine.
Ses compétences, elles, ont exactement le niveau qu’il
souhaite leur donner pour interpréter au mieux son
rôle.
Apparence :
Elaboré à partir d’un individu préexistant, un Costume
possède une apparence bien définie, mais il ne faut pas
oublier que le Masque est un maître du déguisement
et des illusions. Un Costume peut donc utiliser Sorts,
Oeuvres ou Bienfaits Perfides pour modifier son
apparence, comme le ferait n’importe quel habitant de
l’Harmonde.
Cependant, il restera toujours limité par le thème qu’il
incarne. Le Costume de l’Innocence Feinte, par exemple,
est une attendrissante fillette. Le Masque peut, s’il le
désire, la déguiser pour lui donner l’apparence d’un petit
garçon, d’une inoffensive Fée Noire ou d’une chaleureuse
vieille dame, mais en aucun cas d’un assassin des bas-
fonds !
La véritable forme de ce Costume est bien celle de la
fillette, le reste n’est que déguisement ou illusion et donc
éventuellement détectable. De plus, malgré tous ses
une apparence qui n’incarnerait pas l’Innocence Feinte.
C’est d’ailleurs en théorie un moyen de reconnaître un
Costume. Certains Sorts Eclipsistes permettent en effet
de donner n’importe quelle apparence à n’importe
qui... sauf aux Costumes ! Même le meilleur Eclipsiste
de l’Harmonde se heurtera toujours à cette limitation
thématique, ce qui ne peut manquer de l’intriguer et de
susciter toutes sortes de questions... pour lesquelles le
Masque a probablement des réponses toutes prêtes.
Costumes, Arts et Flammes :
Un Costume ne peut bien entendu pas posséder de
Flamme. Si de manière extraordinaire un Donneur de
Flamme inspirait un Costume du Masque, la Flamme
qu’il lui donnerait l’embraserait en un instant et le
détruirait. Ce serait une victoire pour l’Inspiration mais,
profondément marquée par le Semblant, cette Flamme
ne pourrait jamais devenir un Génie, et quiconque serait
ensuite Inspiré par elle recevrait immédiatement 50
points de Perfidie.
Quel que soit le Costume qu’il porte, le Masque peut
pratiquer tous les Arts et en interpréter toutes les Oeuvres,
perverties ou non. Seuls les plus doués des Génies sont
capables de rivaliser avec ses talents d’Harmoniste.
Les Sanctuaires Perfides :
Ce sont d’anciennes Perfections corrompues par le
Masque. Le processus qui permet de les faire sombrer
sous l’emprise de la Perfidie est d’une grande complexité,
car seul un Inspiré ayant développé avec une Perfection un
lien harmonique fort – et donc à la Flamme initialement
pure – pourra la faire basculer ensuite dans le giron du
Maître du Semblant.
Vous trouverez plus de détails sur ce sujet dans un des
articles du Souffre-Jour n°6.

55
Trait particulier : LES COSTUMES CONNUS
Le Masque ne possède pas de reflet dans le Pays Sans
Teint. Lorsqu’un mortel devient un Costume, le reflet
de celui-ci continue à vieillir alors que le Costume reste Les Drames contés dans les différents ouvrages de la
éternellement immuable. Au-delà de son espérance de gamme d’Agone mentionnent plusieurs Costumes.
vie normale, le reflet « meurt ». Vu dans un miroir le
Costume n’est dès lors plus qu’une coquille vide, un Agone lui-même bien entendu, Costume de Bokkor
vêtement immonde fait de lambeaux de chair cousus avec
(Dramatis Personae, pages 2 et 3).
des morceaux de tissu aux motifs sinistres, le visage figé
en un masque lisse et inexpressif. C’est aussi l’apparence
Ranigar de l’Ambretelle, Vicaire, Costume de la
que prennent les Costumes vides en l’absence du Masque. Province Liturgique (Dramatis Personae, page 21).
Le Maître du Semblant sait bien que les reflets de ses Un bel homme d’une quarantaine d’années,
Costumes révèlent leur véritable nature, et risquent de Costume des Terres Veuves (La Sentence de l’Aube,
le trahir. Il dispose de nombreuses ruses, et son habileté page 71).
d’Harmoniste lui permet généralement de susciter des Un vieux sage errant, Costume de l’Empire de
illusions pratiquement indécelables pour dissimuler Keshe (Les Cahiers Gris, page 58).
cette faiblesse. Des Inspirés suffisamment puissants ou Sybelline, innocente et fragile fillette, probablement
suffisamment attentifs peuvent toutefois exploiter cette
Costume de la République Mercenaire (Eclats de
faille pour démasquer un Costume.
Sang).
Le Cygne Noir, à l’origine de la malédiction des
Et si... Cygnelines, probablement Costume de la Marche
Modéhenne (Souffre-Jour 1, page 31).
Eminence, il y a une hypothèse que nous avons choisie de
ne pas exploiter, mais dont vous pouvez vous servir pour Quels sont les autres Costumes ? Tout est possible,
surprendre vos Inspirés et bouleverser leur conception de Eminence, car le Masque interprète les rôles les plus
l’Harmonde. Une variation possible sur le grand thème divers. Brigand séduisant, courtisane sulfureuse,
d’Agone. Et si le Masque n’était justement qu’un masque ? chef d’orchestre misanthrope, mère de famille
Imaginez... L’Harmonde sans le Drame ne satisfaisait généreuse, artisan surdoué, assassin, bouffon,
pas les Muses. Les épopées de Stance les préservaient
acteur, soldat, magicienne, Eminence Grise...
de l’ennui, les mélodies d’Orphèle leur procuraient des
émotions intenses, mais cela ne leur suffisait pas. Elles
voulaient être les héroïnes de leur propre histoire, et
pour cela il leur fallait un adversaire à leur mesure. Alors
elles ont conçu l’idée du Masque et ont toutes joué ce
rôle, l’une après l’autre. Par jeu ou par sadisme. Mais
cette vaste comédie a fini par leur échapper. Elles ont créé
la Perfidie mais d’autres l’ont mieux comprise qu’elles.
D’autres se sont glissés dans le rôle du Masque et l’ont
mieux interprété qu’elles. Elles en ont été effrayées, et
finalement les Perfides les ont vaincues. Les Perfides,
dont les plus doués endossent tour à tour le costume du
Masque. Parfois quelqu’un suit le chemin de la Perfidie
jusqu’au bout, jusqu’à l’ultime transcendance. Il devient
le Masque, il devient ce que l’on appelle un Costume,
mais le terme est trompeur. Ce n’est pas le Vagabond qui
joue le rôle des Costumes sur la grande scène du Drame,
ce sont eux qui se relayent pour porter son masque, jouer
son rôle et faire croire à son existence. Ils se dissimulent
derrière la légende factice de l’Eternel du Drame. Soyons
sérieux, Eminence. Croyez-vous vraiment qu’un homme
comme Agone de Rochronde aurait accepté de disparaître
à jamais au profit d’un Eternel mégalomane ? A moins
bien sûr que le Masque ne cherche à nous faire croire
qu’il n’existe pas, pour mieux nous manipuler depuis la
pénombre des coulisses...

Dudric

56
57
 La cinquième saison
Éminence, « La cinquième saison » est une
campagne écrite pour AGONE, atypique et nerveuse, où
l’action se taille la part belle. Elle s’adresse à une compagnie
d’Inspirés à la Flamme solide (3 ou 4 minimum) ayant déjà
affronté « La sentence de l’aube ». Elle invite les Inspirés à
découvrir l’univers des gitans, le secret des maginaires et
la légendaire caravane noire, à leurs risques et périls. Les
encarts « DANS LES COULISSES… » vous informeront sur
ce que font les PNJ loin des Inspirés
58
Avertissement
Ce drame s’appuie entièrement sur les articles
du dossier « Au-delà du drame » ainsi que sur de
multiples articles parus dans les précédents Souffre-
Jour et leurs addenda. Avant d’aborder ce scénario
il est donc indispensable de relire :
- La Caravane noire p.41.
- Les gitans p. 36.
- La Saltimbance (Cf. Souffre-jour n°4, p.36).
- Les magies du spectacle (Cf. Souffre-jour n°4,
p.43).
- Sur les traces du Satimbanque (Cf. addenda au
Souffre jour n°4 sur www.souffre-jour.com).
- Le ricanement des ombres (Cf. addenda au
Souffre jour n°4 sur www.souffre-jour.com).
L’Histoire
Éminence, les Inspirés se lancent sur les traces de
Thiaré d’Herbeline, un satyre Inspiré célèbre pour ses
nombreuses victoires contre le Masque. Sans le savoir,
ils transportent avec eux une carte du jeu de la Perfidie,
volée par Thiaré, et dissimulée dans le jeu de tarot qu’une
jeune gitane leur a confié. Ils font alors le jeu du Masque
en remontant la piste du satyre jusqu’à la Perfection où
il se dissimule : un lieu enchanté nommé Herbeval. En
apportant la carte volée dans ce domaine, ils provoquent
sans le vouloir l’apparition de la caravane noire. Les
conséquences sont dramatiques et un sigile y laisse la vie,
mettant en péril l’Inspiration tout entière. Les Inspirés
auront alors une chance de parvenir à changer le cours
de l’Histoire… en remontant le temps jusqu’au prologue
de ce drame.
Acteurs principaux
Thiaré d’Herbeline (Acte 3)
Satyre cinquantenaire au destin sans pareil, Thiaré
d’Herbeline est un Inspiré aussi connu auprès du Masque
que du Conseil des Décans (Cf. Souffre-jour n°1, p.40 ;
Souffre-jour n°2, p.37 ; Souffre-jour n°3, p.9). Les multiples
victoires qu’il remporta contre la Perfidie ont fait de lui le
porteur de Flamme le plus recherché de l’Harmonde.
C’est un saisonin exalté, mégalomane, têtu, fier, éloquent
et nanti d’une chance hors du commun qui lui valu
de survivre à de nombreuses aventures. Un nombre
incalculable de rumeurs, de récits héroïques et de fables
improbables sont relayées sur son compte dans les
royaumes de l’Armgarde. Ce phénomène est dû à l’orgueil
du satyre qui fit rédiger son autobiographie mystifiée, pour
la diffuser depuis les imprimeries abymoises. Pendant
de nombreuses années, il fut désigné comme l’héritier
d’Eséothyle, sigile satyre, jusqu’à ce que le Conseil (à
force d’être critiqué pour ses méthodes frileuses) le
considère comme incontrôlable et bien trop subversif.
Puissant Accordé du tambour, Thiaré doit également ses
succès à la compagnie de saisonins Inspirés qu’il fonda :
la cinquième saison. Lors d’une de ses aventures avec elle,
il découvrit une Perfection (Cf. Bestiaire, p.31) cachée
dans les monts Tariander en Janrénie, liée à Stance, et
située hors du temps de l’Harmonde. C’est là qu’il fonda
le domaine d’Herbeval et qu’il fit bâtir, il y a vingt ans,
sa petite capitale : Galeyenne. Aujourd’hui traqué par
les troupes du Masque, Thiaré ne leur échappe encore
que grâce à la condition exceptionnelle de son domaine.
Au début de ce drame, voilà bien des années que Thiaré
n’avait pas quitté Herbeval, se protégeant de la revanche
du Semblant.
Citation typique : « Ce n’est pas parce qu’ils sont plus
nombreux à avoir tort, qu’ils ont forcément raison ! »
Maïze Castelini (Actes 1, 2 et 3)
Chef du célèbre cirque Castelini, Maïze est un vieux gitan
maginaire au regard intelligent, vif, autoritaire et râleur.
Fidèle aux principes de sa caste et au secret qui entoure
son pouvoir, il se méfie depuis toujours de l’Inspiration
comme du Masque. Il possède un Elwir (Cf. Bestiaire,
p.31) apprivoisé, nommé Kïas, au pouvoir surprenant :
celui de repérer instinctivement les pratiquants d’Arts
magiques.
Fier d’être gitan, Maïze déplore les préjugés qui circulent
à propos de son peuple et se met en colère facilement
dès qu’il estime qu’on lui manque de respect. Malgré
un caractère ombrageux et manipulateur, Maïze reste
un homme juste, n’hésitant pas au final, à secourir une
personne dans le besoin sans lui poser de question.
Le maginaire s’est pris d’affection pour celle à qui son
Souffle est destiné : la jeune et instable Yelizavetsa. L’ayant
élevée depuis son plus jeune âge, il éprouve pour elle
l’amour qu’éprouverait un père pour sa fille véritable.
Maginaire éminent, il est considéré parmi les siens
comme un des plus influents, et représente pour ses
confrères l’équivalent d’un sigile du Conseil des Décans.
Citation typique : « Vous me demandez ça parce que je suis
gitan ? C’est ça ? »
Yelizavesta (Acte 1 et 3)
Jeune gitane effrontée, passionnelle et immature,
aux yeux aussi sombres que ses longs cheveux noirs,
Yelizavesta est la fille adoptive de Maïze et l’héritière
de son Souffle. Contrairement à Maïze, la jeune fille a
toujours été fascinée par le pouvoir de la Flamme, si
proche de celui qui l’attend. Malgré les mises en garde
de son père adoptif, elle aime approcher les Inspirés que
Kïas lui désigne pour en apprendre toujours plus sur
l’héritage de la Flamboyance.
Avant le début de ce drame, elle ne sait qu’une seule
chose de son enfance : son père, soi-disant tué par des
bandits de grand chemin, lui a laissé une boucle d’oreille
en forme de masque rieur et aurait conservé la seconde,
de la forme d’un masque pleurant. Ses jeunes années se
déroulent ainsi dans l’ignorance de ses origines véritables,
au milieu des enchanteurs du cirque itinérant de la riche
compagnie Castelini.
Citation typique : « Qu’est ce que t’admire, gadjé ? Mes
yeux sont pas si bas et ma main est à portée de ta face… »
*crache par terre*
59
Eskérelle de Colombre (Acte 1, 2 et 3) SENTIR LA FLAMME
Eskérelle est une grande femme d’origine janrénienne,
aux longs cheveux blancs et dont le visage, gracieux mais
fermé, est traversé par une vilaine cicatrice de la joue Eminence, sur un jet de PER + Flamme contre DIFF
jusqu’à l’œil. 20, moins le score de Flamme de la cible, un sigile
C’est un des très rares chevaliers sénestres que peut ressentir la présence d’une Flamme d’Inspiré à
comptent les rangs de la Perfidie : des Inspirés ayant portée du regard.
intentionnellement offert leur Flamme au Masque au
moment de mourir, en échange d’une vie éternelle (cf. Les
Organisations, p.86). Aigrie, froide, implacable et violente,
elle n’agit aujourd’hui que dans l’espoir d’obtenir la
reconnaissance du Semblant et vit dans le sillage de la
caravane noire. Habitée par un froid dévorant comme ses
semblables, elle doit se nourrir de la chaleur d’un mortel
une fois par semaine et s’est fabriqué une cape tressée
des chevelures arrachées à ses multiples victimes pour se
tenir chaud. D’une ambition sans limites, Eskérelle est
un pion du Masque déçu par son destin. Voilà des siècles
qu’elle le sert en vain dans l’espoir de devenir le cocher
et qu’elle se heurte à la tradition qui réserve ce poste
prestigieux aux gitans kaleckis.
Citation typique : « Tu veux que je te dise de quoi est faite
ma cape, lombric ? »

Dédale Thésinos (Acte 3)

Minotaure borgne et massif au pelage noir, Dédale est
un grand artiste du Décorum qui ne se sépare jamais
de la hache à double tranchant ceinte à sa taille par
une chaîne en acier, dernier souvenir de son père resté
aux Abysses. Malgré son aspect imposant et guerrier,
Dédale est un minotaure sensible, sage et réfléchi (pour
un estivain), qui n’approuve pas forcément la violence,
comme en témoignent une certaine coquetterie et la
boule diffusant un parfum de violette qu’il porte en
pendentif. Il figurait, il y a encore quelques années, dans
la compagnie de la cinquième saison. Après avoir vengé
la mort de son prédécesseur et parrain, Synochrate (cf.
Souffre-jour n°1, p.20 ; Souffre-jour n°2, p.37 ; Souffre-
jour n°3, p.6 et 72 ; Addenda du Souffre jour n°4, « Sur les
traces du saltimbanque » p.2), Dédale est aujourd’hui le
nouveau représentant minotaure du Conseil des Décans
(cf. Dramatis Personnae, p.6 à 8) et reste, avec Ipsoum,
l’un des plus jeunes sigiles. Peu écouté par les « anciens »,
il est discrètement partisan d’une nouvelle Inspiration
où sigiles agiraient sur le terrain, aux côtés des Inspirés.
Seuls Squalmis et Virgilène soutiennent son point de vue,
que condamne fermement le reste du Conseil.
Citation typique : « Si tes doigts sont trop gros pour cueillir
une fleur, fais un bouquet d’arbres. »
Éminence, vous trouverez toutes les fiches des personnages
principaux et secondaires de ce drame ainsi que sa
chronologie, parmi les addendas au présent Souffre-jour,
sur www.souffre-jour.com.
Prologue
La théorie du chaos
Aux origines de ce drame se trouve le plan avorté de
Dédale Thésinos, nouveau sigile minotaure : enlever
un jeune gitan de la caravane noire pour lui offrir une
Flamme de façon à former la recrue avant de la renvoyer
vers son clan pour espionner le Masque au plus près.
Jugeant la proposition ridicule, les autres sigiles s’y sont
opposé. Dédale a décidé d’agir malgré tout.
Pour accomplir cette tâche, il a fait appel à son vieil ami,
Thiaré d’Herbeline. Recherché par le Masque, le satyre a
fait office d’appât pour attirer la caravane du Semblant
et approcher ses gitans. Mais cédant à son tempérament
exalté, Thiaré a dévié de l’objectif pour voler dans la
roulotte du grand Théâtre une carte dans le jeu de la
Perfidie, ce qui l’a forcément contraint à abandonner
sa mission initiale pour prendre la fuite. Sans nouvelle
du satyre quelques jours après cela, Dédale décide de se
rendre à Herbeval pour en apprendre plus.
Ce que le Thiaré ignore, c’est que le Masque l’a
intentionnellement laissé venir à lui pour déposer la
carte sur sa route. L’ouverture de la Trame se déclenchera
dès que celle-ci rejoindra Herbeval, permettant à la
caravane noire de surgir au sein même du domaine.
Thiaré d’Herbeline et sa compagnie d’Inspirés échappant
constamment au Vagabond grâce à la Perfection dans
laquelle ils se sont réfugiés, une belle victoire se prépare
pour la Perfidie. Mais le plan connaît un imprévu…

60
Destin farceur
Blessé durant sa fuite, le satyre est recueilli par un cirque
qu’il croise sur sa route. Son chef, le maginaire Maïze
Castellini, identifie le saisonin comme Inspiré grâce à
son Elwir, mais décide néanmoins de l’aider. Il reste alors
une semaine à se faire soigner par la troupe et fait la
connaissance de la jeune Yelizavetsa, cartomancienne et
fille adoptive de Maïze.
Deux jours après l’arrivée du satyre, le cirque est infiltré
par un Arishkïn, kalecki lancé à ses trousses pour le
pousser à rejoindre son domaine. Une rixe éclate où
Maïze s’interpose pour défendre Thiaré. Voyant son père
adoptif menacé, Yelizavetsa poignarde l’agresseur dans le
dos… pour découvrir avec horreur qu’il portait une boucle
d’oreille en forme d’un masque pleurant (cf. personnages
principaux). Bouleversée, la gitane comprend qu’elle
vient de tuer propre son père et apprend par la bouche
de Maïze la vérité sur ses origines, ainsi que celle de tous
les maginaires. Une profonde rancune naît à l’égard de
son père adoptif, à qui elle reproche son mensonge et sur
qui elle rejette la mort de son père véritable.
L’effet papillon
Sa beauté cherchant consolation, elle ne tarde pas à
attirer l’attention de Thiaré. Pour l’impressionner et la
séduire, le satyre lui confie qu’il a volé dans la roulotte
du grand Théâtre une carte du jeu de la Perfidie, outil
indispensable pour déplacer la caravane noire. Il espère
d’ailleurs avoir bloqué l’ouverture de la Trame. Il lui
explique également que les boucles d’oreilles qu’elle
possède sont le symbole des Arishkïns-caza, lui raconte
leur histoire et les conditions misérables dans lesquelles
vivent leurs femmes (cf. La caravane noire).
Après une nuit d’amour, Yelizavetsa vole la carte et,
suivie par l’Elwir de son Maïze, se met en quête d’une
kumpania kalecki dans le but de remonter jusqu’au
Masque et négocier la libération de sa mère du joug des
Arishkïn contre la précieuse carte.
Se réveillant une heure à peine après la fugue de son
amante, le satyre quitte précipitamment le cirque et se
lance à sa poursuite en laissant ses affaires derrière lui.
Maïze le croit alors coupable de l’enlèvement de sa fille
adoptive.
La mort aux trousses
Tout le monde se lance à la recherche de Yelizavetsa pour
une raison différente : Thiaré veut récupérer la carte
pour soi-disant immobiliser la caravane noire, alors que
Maïze veut retrouver son héritière, craignant qu’elle ne
trahisse le secret des maginaires pour se venger.
Quant au Masque, d’abord surpris par cet imprévu, il est
vite amusé par la naïveté de la gitane, qu’il découvre la
nuit de sa fuite, alors que Yelizavetsa réfugiée dans un
bois, s’arrête pour contempler le fruit de son larcin et le
glisser dans son propre jeu de tarot (cf. La caravane noire).
Occupé à d’autres affaires (il prépare le renversement du
pouvoir sur Bokkor à l’aide de son costume d’Agone)
(cf. AGONE, p.271), il lance à ses trousses un chevalier
sénestre, Eskérelle de Colombre, à qui il révèle son
intention de détruire les réfugiés d’Herbeval. Sa mission :
récupérer la carte et la rendre discrètement à Thiaré. Au
pire, la restituer à son maître. Persuadée qu’il s’agira
d’une mission de routine, Eskérelle ne s’encombre pas de
finesse et à la tête d’un groupe de kaleckis, elle emploie
tous les moyens nécessaires pour en finir au plus vite. La
chasse est ouverte.
Quelques heures avant le Drame…
Eskérelle retrouve la jeune fille la première grâce aux
indications du Masque, lié à sa carte. Blessée, elle est
sauve grâce à l’arrivée de son second poursuivant, Thiaré,
qui s’interpose. La gitane reprend sa course toujours
en possession de la carte tandis qu’Eskérelle s’éclipse
pour éviter l’affrontement. Le saisonin reprend aussitôt
la traque de la jeune fille. Mais l’Elwir indiquant où
se trouve l’Inspiré à Yelizavetsa, le satyre n’a aucune
chance : il abandonne deux jours plus tard pour rentrer
au domaine d’Herbeval.
De son côté, Eskérelle retrouve la piste de Yelizavetsa et
reprend la chasse. Ne sachant pas où trouver de l’aide, la
gitane se met à la recherche d’autres Inspirés : qui saura
mieux la protéger du Masque que d’innocents porteurs
de Flamme ? À bout de forces, elle échoue au domaine
des joueurs, quelques heures plus tard.
61
 Scène 1 :
Mystères et saltimbance
L’attaque des rats
Éminence, ce drame débute par une soirée à laquelle
participent vos Inspirés. Debout sur une table, un
ménestrel raconte le récit héroïque d’un satyre légendaire,
Thiaré d’Herbeline, interrompant ses envolées lyriques

Acte 1 : par quelques joyeux accords de violon.

Nous vous laissons le soin de trouver les raisons de
cette réunion, organisée par une personne chère à vos
joueurs et qu’ils auraient déjà rencontré lors d’une
aventure précédente. L’ambiance de la soirée est soudain

La gitane et interrompue avec l’irruption de Yelizavetsa, couverte de

sang, son Elwir sur l’épaule. La gitane s’effondre dans les

,
bras d’un Inspiré ébahi en lui remettant, dans un dernier
souffle, un paquet de cartes de tarot.
Un instant plus tard, l’endroit est envahi par une marée

l Elwir de rats frénétiques semant la confusion générale :

Eskérelle de Colombre vient d’envoyer les rongeurs
corrompus kaleckis récupérer sa proie. Les rats ne sont
agressifs que si on les attaque. Chacune de leur blessure
transmet 1 point de Perfidie sur un jet raté de VOL contre
Diff 10. Ils sont ici pour Yelizavetsa et le corps de la jeune
fille ne tarde pas à être soulevé par la vague grouillante
pour glisser lentement en direction de la sortie. Gageons
que les Inspirés finiront par réagir et qu’un affrontement
désespéré et épique débutera contre la horde de rats. Les
fenêtres ne cessent d’en charrier de nouveaux et la foule,
hystérique, tente par tous les moyens de s’enfuir. Dès que
les joueurs font usage d’un Art magique, les rats prennent
la fuite en quelques tours pour informer Eskérelle de la
présence d’Inspirés. La situation se complique pour le
chevalier sénestre...

62
L’enlèvement
Une fois l’attaque repoussée, les Inspirés auront tout
le loisir de se pencher sur Yelizavetsa et sur le jeu de
tarot… Éminence, une étrange et puissante aura se
dégage du paquet, à cause de la présence de la carte
du jeu de la Perfidie. Faites faire à vos Inspirés un test
d’INT + Harmonie pour leur faire comprendre qu’ils
détiennent là quelque chose de rare et précieux. Laissez-
les faire des hypothèses et poussez-les à vouloir garder ce
jeu de tarot à tout prix.
À part ça, l’Elwir, et les boucles d’oreille en forme de
masque, rien ne permet d’en apprendre plus sur la
gitane pour l’instant. Visiter son esprit (si les Inspirés en
possèdent les moyens) se révèle inutile. Prise d’une forte
fièvre, les pensées embrumées de la jeune fille ne révèlent
rien de clair.
DANS LES COULISSES
Éminence, en apprenant que Yelizavetsa s’est
réfugiée entre les mains d’Inspirés, Eskérelle
devient prudente. Le rituel d’un dencki présent
parmi les gitans qui l’escortent verrouille l’esprit
des Inspirés durant leur sommeil pour qu’Eskérelle
puisse enlever tranquillement Yelizavetsa et la
questionner à son réveil. Durant l’interrogatoire, la
jeune fille bluffe et négocie naïvement la carte contre
la libération de sa mère. Elle ne sait évidemment pas
où se trouve son jeu de tarot, mais constate en tout
cas qu’il n’a pas été retrouvé.
Agacée, Eskérelle décide de passer elle-même à
l’action. Dès le lendemain, elle se rend au domaine
interroger le personnage responsable de la soirée
qui ouvre ce drame (la gitane peut avoir dormi chez
lui). N’obtenant rien non plus de sa part, elle le tue
et part rejoindre ses hommes, installés dans un bois
à la frontière du domaine. Elle se prépare alors à
s’occuper des Inspirés.
La nuit, tous les Inspirés font le même cauchemar : ils
sont des rats, poursuivis par des humains hystériques,
alors que l’Elwir tire les cartes d’un jeu divinatoire où se
trouve représenté leur visage.
Le lendemain, les joueurs se réveillent avec l’annonce
de la disparition de Yelizavetsa. Vu son état, il semble
probable qu’elle se soit faite enlever. On a retrouvé
malgré tout l’Elwir terrorisé, sous le lit. Dès lors, il ne
quittera plus l’Inspiré dans les bras duquel sa maîtresse
s’est jetée la veille au soir. Le jeu de tarot est toujours en
leur possession.
Dans le domaine, la nouvelle de l’étrange arrivée et de la
disparition de Yelizavetsa se répand comme une traînée
de poudre. En fin de matinée, des rumeurs éclosent : les
gens s’inquiètent, parlent de malédictions et de sorcières
gitanes…
COUP DE FOUDRE
Eminence, après avoir affronté son père Arishkin,
Yelizavetsa a hérité de 10 points de Perfidie et
du Bienfait Beauté fatale. Déjà naturellement
séduisante, son aura marque les Inspirés dans leur
chair. À votre appréciation, un ou plusieurs de vos
joueurs en tomberont violemment amoureux dès
le premier regard. Ce coup de foudre sera l’une
des motivations principales pour les pousser à
rechercher et aider la jeune fille. Insistez sur tout ce
qui peut rappeler son visage somptueux. Le ou les
Inspirés amoureux croient la voir à chaque coin de
rue et son souvenir hante leurs rêves sous la forme
de fantasmes érotiques obsédants. La revoir ne
serait-ce qu’une seule fois, serait le plus grand des
bonheurs…
Le meurtre
En fin d’après-midi, les Inspirés sont contactés en
catastrophe : leur ami vient d’être trouvé mort. À
leur arrivée, le spectacle est étrange : le cadavre gît les
yeux exorbités et les membres brisés et pliés dans une
angulation impossible. Sa peau a perdu toute couleur
et semble aussi dure et froide que la glace. Une mince
pellicule de givre a recouvert son corps tuméfié.
Éminence, vos joueurs pourraient reconnaître la marque
d’un chevalier sénestre avec un jet d’INT + médecine
contre Diff 25 s’ils ont déjà participé à la campagne du
Monarque des Jonquilles. Sinon, contre une Diff 20, ils
pourront comprendre que la victime est morte de froid
bien après que ses membres aient été brisés. Il est facile
de remarquer qu’il a été scalpé à la va-vite et que sa
chevelure reste introuvable… La vue du cadavre entraîne
un gain de 2 points de Ténèbre, pour un test raté de VOL
contre Diff 15.
Si les Inspirés tentent d’étouffer l’affaire pour maintenir
le calme de la population, ils gagnent un jour, avant que
la nouvelle ne se répande. Sinon, en quelques heures,
l’opinion publique se divise entre terreur et colère.
Certains se calfeutrent chez eux, d’autres réclament un
coupable et accusent la sorcière gitane apparue la veille
au soir. Dans les deux cas, il serait de bon ton que les
Inspirés mènent une enquête s’ils ne veulent pas que les
habitants du domaine se soulèvent.
63
Première enquête
Au début, interroger l’entourage ne révèle rien d’utile :
chacun pense avoir entendu quelque chose sans pouvoir
en dire plus… Un clochard aviné déclarera contre quelques
Scène 2 :
pièces avoir croisé à l’aube un groupe d’hommes
transportant un corps qu’ils prétendaient être l’un des
leurs, assommé par l’alcool. D’après leur accent, il les
Sous le chapiteau de
l’Harmonde
pense gitans. La foule récupère aussitôt la rumeur pour
fonder ses convictions grandissantes…
Si les Inspirés persistent, le ménestrel de la veille
signalera avoir aperçu une étrangère sur la route quittant
le domaine dans en milieu d’après-midi. Frappé par sa
longue chevelure blanche et sa cape si lourde qu’on l’eut
crue tissée pour le blizzard. La température a pourtant été Le cirque Gitan
bonne durant toute la journée. Enfin, comme par hasard, Le cirque Castelini est très célèbre en Armgarde et a
le cirque Castelini arrive au domaine le soir même. déjà traversé au moins une fois chaque royaume de
Poussés par des déductions hâtives, leurs préjugés l’Harmonde. Composé d’un chapiteau principal où se
ou la foule, les Inspirés dirigeront probablement leur déroule le spectacle, et d’une dizaine d’autres plus petits
enquête vers le cirque. S’ils ne le font pas, Maïze les constituant une foire bruyante et animée par une foule
enverra chercher le lendemain soir, avec comme prétexte de baladins, de jongleurs et de charlatans. Le cirque
le mauvais accueil que leur a réservé le domaine et une correspond à un niveau 10 sur le Tableau d’échelle des
demande de réparation : un de ses chapiteaux aurait été caractéristiques d’un cirque, édité dans l’addenda au
incendié durant la nuit de son arrivée et un des membres Souffre-jour n°4 : « Sur les traces du Saltimbanque ».
de sa troupe, molesté alors qu’il se rendait en ville. Si le cirque Castelini est organisé autour d’une
kumpania gitane, la troupe comporte également
quelques saisonins (des farfadets acrobates, un géant
clown à l’humour consternant, une méduse danseuse
et charmeuse de serpents) et une poignée d’humains
d’ethnies différentes. Mais l’élément le plus étonnant
du cirque reste sans conteste sa célèbre aérosphère : une
LA CARTE MANQUANTE
mongolfière expérimentale servant de roulotte à Maïze et
de belvédère payant pour le cirque.
La carte volée par Thiaré d’Herbeline est l’arcane
Selon le moment où les Inspirés rencontrent Maïze, le
majeur VII : la Caravane noire. Elle permet
cirque sera en construction ou déjà achevé. Éminence,
l’ouverture de la Trame selon des conditions servez-vous du même addendum et de l’article « La
requises et prévues par le Masque pour que voyage Saltimbance », paru dans le Souffre-jour n°4, pour faire
la Caravane ; conditions exposées dans l’encart ressentir à vos joueurs l’atmosphère qui règne autour du
« L’attaque de la Caravane noire », à l’acte 3. chapiteau principal.
La carte est grande comme la main et tant qu’elle reste N’hésitez pas à plonger vos Inspirés dans une ambiance
dissimulée dans le paquet, le Masque ne peut pas « mystérieuse, excitez leurs doutes en les laissant faire
voir » à travers elle, bien qu’il puisse en localiser des associations faciles entre ce qu’ils voient (le monde
l’emplacement approximatif sur l’Harmonde. du spectacle) et les symboles liés au Masque. Outre
les artistes classiques d’un cirque, les Inspirés croisent
Reportez vous à l’article « La Caravane noire » pour
des marionnettistes et de nombreux jongleurs portant
le détail de ses autres pouvoirs. des masques ambigus et moqueurs. Sur un test de
Si un Inspiré venait à la remarquer avant la fin de PER + Vigilance raté, les Inspirés ne retrouvent plus leur
ce drame, le Masque posera ses yeux sur lui, à bourse une fois arrivés devant Maïze.
travers le personnage qui le représente. La victime
souffrira de la Chaosiarde et de la Chuintive
(cf. AGONE, p.272) jusqu’à ce qu’il la remette dans
le paquet. Il est impossible de déchirer ou de brûler
cette carte.
À l’instant où elle entre dans le domaine d’Herbeval
(cf. Acte 2),, le Masque perd sa trace sur la surface de
l’Harmonde. Il devient alors attentif au déroulement
du drame et se prépare à intervenir au moment
voulu.

64
 L’AEROSPHERE
La cabine de l’aérosphère est une coque de bateau
fermée, assez grande pour contenir huit personnes
maximum. Elle se divise entre un pont extérieur,
un petit salon muni de télescopes et le minuscule
bureau de Maïze. Elle se dirige grâce à ses voiles
de navire et la chaleur du ballon est alimentée par
des Elementas de l’été, brûlant éternellement dans
un foyer protégé.
Éminence, l’aérosphère est une rareté ainsi qu’une
attraction récente qui a beaucoup contribué à la
renommée du cirque Castelini. Ses plans furent
troqués par Maïze à un inventeur liturge, Abélard
da Vinci, condamné par l’inquisition de son
pays pour « pêché de sodomie » et « commerce
avec les Abysses », en échange d’un passage
clandestin jusqu’en Janrénie, où il vit réfugié
encore aujourd’hui. Il va sans dire que se déplacer
en aérosphère attire l’attention… ou la méfiance.
Nous vous laissons le soin de gérer la réaction des
populations face à un tel engin. Aux abords d’une
ville, il y a de grandes chances qu’on le reçoive à
coup de baliste. Dans un village, il peut éveiller la
fascination comme une peur superstitieuse.
Rencontre avec Maïze
Sous le chapiteau principal, l’accueil de Maïze est des
plus froids. Occupé à corriger le numéro d’un artiste sur
la piste, le gitan répond distraitement aux questions.
Si les Inspirés font allusion au meurtre, Maïze se froisse
et demande sans détour pourquoi les soupçons devraient
se porter sur son cirque sous prétexte qu’il abrite des
gitans.
Si les Inspirés se plaignent de s’être fait voler leur bourse
en venant, le Maginaire invoque le même argument et se
met en colère : les gitans ne sont pas des voleurs, qu’ils
remballent leurs préjugés ! Un membre de la troupe fera
d’ailleurs irruption peu après en tenant un enfant de
douze ans par la main, qui restituera la bourse volée. Il
s’agit du fils du forgeron du domaine…
Si les Inspirés évoquent leur rencontre avec Yelizavetsa,
Maïze interrompt son travail et se montre plus intéressé.
Il tentera de retourner l’interrogatoire, sans révéler quoi
que ce soit sur son compte.
Enfin, si les Inspirés arrivent accompagnés de l’Elwir, le
maginaire les invitera dans sa « roulotte » et les couvrira
de questions en expliquant que l’animal appartenait à sa
fille, Yelizavetsa, disparue quelques jours auparavant. Il
se garde pour l’instant de mentionner le nom de Thiaré
d’Herbeline.
Adversaire ou allié ?
Dès que la porte de son bureau dans l’aérosphère est
fermée, le gitan cherche à savoir si les joueurs sont des
Inspirés, des Ternes ou des pions du Masque. Si l’Elwir
est présent, il lui demande discrètement. S’il comprend
que les joueurs portent une Flamme, il se prétend ensuite
lui-même Inspiré de façon à créer la confiance et dit
pratiquer vaguement la Geste. Et gare à celui qui oserait
lui faire la remarque qu’il est bien rare de rencontrer un
gitan Inspiré…
Quand il apprend que Yelizavetsa a disparu le matin
même, Maïze est déçu et troublé. S’il sait qu’elle a été
blessée, il reste pétrifié avant de rentrer dans une colère
folle contre un certain « d’Herbeline », sans vouloir en
dire plus. Dans les deux cas, il remercie les Inspirés en les
invitant au spectacle du lendemain. Puis il prend congé,
soudain très pressé. L’Elwir reste avec lui.
DANS LES COULISSES
Pour Maïze, la disparition simultanée de sa fille et
de Thiaré d’Herbeline a une explication évidente :
Yelizavetsa est devenue son amante et a fugué
avec lui. « Mais cette petite sotte risque bien de lui
raconter le secret du Souffle, avant d’être éconduite
et de revenir en pleurant… ». Le maginaire décide
alors qu’il faut la retrouver au plus vite et flanquer
au satyre une bonne correction. Malgré le pistage
de sa pupille grâce au sort de Fantasmagorie «
Espion éphémère », Maïze arrive après la bataille.
Yelizavetsa blessée pousse Maïze à changer
d’opinion : sa fille n’ pas fugué, elle a été enlevée et
probablement violée ! Comme punition et exemple,
le gitan jure d’empaler Thiaré sur la pointe du
chapiteau principal. Dès que l’entrevue avec les
Inspirés est terminée, Maïze s’isole et lance de
nouveau son sort « Espion éphémère ». S’ils ont
l’idée de l’espionner, ils pourront constater que
ce qu’il fait ne ressemble en tout cas pas à de la
Geste…
Maïze découvre que sa fille est retenue prisonnière
dans un bois, à la frontière du domaine. Ignorant la
présence d’Eskérelle, il se lance à son secours sans
prévenir qui que ce soit. Si les Inspirés le suivent
discrètement, passez directement au chapitre
Rencontre avec Eskérelle, scène 3 de cet acte.
65
Scène 3 : BESOIN DE MOTIVATION ?

Éminence, si les Inspirés ne veulent pas aider le

Le maginaire imprudent cirque, parlez-leur du ménestrel (cf. scène 1) :

intrigué par sa rencontre avec Eskérelle, il s’est
lancé à sa poursuite et a retrouvé son campement. Il
a aussi vite perdu la vie et son corps a été retrouvé
dans les bois. La rumeur raconte après la funeste
Seconde enquête découverte que la sorcière gitane se serait réfugiée à
Le lendemain, devant le chapiteau principal, les Inspirés la frontière du domaine.
découvrent que le spectacle est annulé et Mme Castelini,
en larmes, leur annonce que Maïze a disparu depuis
la veille au soir. Il a prétendu partir en ville, mais des
membres de la kumpania l’ont vu se diriger la lisière
du domaine. Elle supplie alors les Inspirés de partir à DANS LES COULISSES
sa recherche et craint que la population du domaine,
méfiante depuis leur arrivée, ne soit responsable.
De son côté, Eskérelle est perplexe. Ne tirant rien
Si les Inspirés acceptent de venir en aide à Mme Castelini, de la gitane, elle l’envoie rejoindre la Caravane
elle les laissera enquêter au sein de la troupe. Éminence, noire et oriente ses soupçons vers les Inspirés.
nous vous laissons le soin de présenter aux joueurs les Elle décide de lever le camp pour aller vérifier sa
personnalités bigarrées de ce cirque. Profitez-en pour leur théorie quand Maïze fait irruption et lui donne une
faire découvrir l’univers des gitans en vous appuyant sur nouvelle chance d’avancer dans son enquête. Elle le
l’article du même nom, paru dans le présent Souffre-jour. capture et l’interroge : elle apprend qu’il est le père
Pour ses employés, Maïze est un homme mystérieux mais adoptif d’Yelizavetsa, et lui comprend qu’elle est
respecté, considéré comme inquiet depuis la disparition
un chevalier sénestre envoyé à la poursuite d’une
de sa fille adoptive.
carte qui serait en possession de sa fille adoptive.
L’interrogatoire est interrompu par l’arrivée des
Inspirés.
Indices
En fouillant l’aérosphère, les Inspirés peuvent trouver
les comptes (fleurissants) de la compagnie, la caisse,
de nombreux masques et déguisements, ainsi que le
journal personnel de Maïze. Il y raconte sa rencontre avec
Rencontre avec Eskérelle
Pour retrouver la trace de Maïze, les Inspirés devront
Thiaré d’Herbeline, la disparition de sa fille et le départ
réussir un jet de PER+Chasse contre Diff 25. Ils pourront
précipité du satyre qui en oublia ses affaires. Le dernier
réduire le seuil de 5, s’ils organisent une battue avec plus
commentaire date de la veille. On y apprend qu’il ne
de dix hommes. Le campement d’Eskérelle change de
fait aucun doute pour Maïze que Thiaré est l’auteur de
place tous les jours et s’est installé ce jour-là dans une
l’enlèvement de sa fille et il jure de lui faire payer le prix
grotte.
fort. Le maginaire termine en maudissant l’Inspiration
L’acte se termine après un premier affrontement avec
et en regrettant que « le Souffle d’Andélise n’ait pas pu
Eskérelle et ses kalekis. Maïze, inconscient, ne reprend ses
remplacer ou éteindre les Flammes de ces tyrans des arts,
esprits qu’au milieu du combat et lançe le sort « Fille de
ingrats, égoïstes et pédants ».
l’air » pour se libérer de ses liens. Les Inspirés ont alors
l’occasion de voir à l’œuvre les talents d’un maginaire et
Les affaires de Thiaré se trouvent réunies dans un
les effets de la Fantasmagorie. La lutte contre le chevalier
coffre de la cabine : une pipe, de la mandragore, des
sénestre est serrée mais l’intervention de Maïze fait
chausses à sabots, une culotte de femme, une lettre et
pencher la balance du côté des Inspirés. Acculée, Eskérelle
une autobiographie (où les Inspirés peuvent apprendre
fulmine prend la fuite grâce au sort du rideau, laissant les
l’existence de son domaine légendaire). La lettre est
joueurs avec bien des questions et la sensation étrange
adressée à Thiaré et signée par un certain D.T. qui confie
d’être mêlés à un dangereux quiproquo…
au satyre la tâche d’enlever un enfant kalecki et le conjure
Dans le campement, ils retrouveront quelques drachmes,
de ne pas profiter de cette occasion pour pénétrer à
un miroir perfide et la cape d’Eskérelle sur laquelle se
l’intérieur de la Caravane noire. Il doit s’en tenir à la
trouve le scalp de leur ami. Aucune trace de Yelizavetsa.
mission.
Les Inspirés pourront ramener le corps d’un kalecki
(sous les reproches incessants de Maïze) pour donner à
Éminence, vous trouverez cette lettre parmi les addenda au
la population le coupable qu’elle réclame et calmer les
présent Souffre-jour, sur www.souffre-jour.com.
tensions.

66
 Scène 1 :
Un départ mystérieux
Maïze libéré
Éminence, le trajet du retour est une occasion pour
mettre en scène une nouvelle discussion avec Maïze.
Interrogé sur ses étranges pouvoirs, le gitan ne lâche rien

Acte 2 : et prétend toujours pratiquer une forme très ancienne de

Geste. Si les Inspirés insistent, il leur parlera du Conseil
des décans (les maginaires connaissent l’organisation de
l’Inspiration, comme de la hiérarchie Perfide) et leur citera
les noms des sigiles (dont le nom de Dédale Thésinos) :

La logique du pire voilà qui devrait convaincre les joueurs qu’il fait partie
de leur camp, et peut-être attirer leur attention sur les
initiales de la lettre adressée à Thiaré. Si on le questionne
à ce sujet, il confiera qu’il croit le satyre coupable de
l’enlèvement de sa fille. De retour au cirque, Maïze
éludera les questions de la kumpania, en la remettant au
pas pour relancer le spectacle au plus vite.

Si les Inspirés ont dit au maginaire qu’ils détiennent le

jeu de tarot d’Yelizavetsa, il exige qu’on le lui rende en
jouant la comédie du père éploré. Si cela ne fonctionne
pas, il ordonnera que les poches des Inspirés soient
fouillées pendant le spectacle du lendemain et prendra la
fuite avant la fin de la représentation.
A la fin du spectacle cependant, il ne quittera pas les
joueurs avant d’être en possession du jeu de tarot. Il
est prêt, au pire, à tenter de convaincre la compagnie
de partir avec lui. Dans ce cas, passez directement à la
scène 2.

67
 DANS LES COULISSES
Dès que les Inspirés le quittent, Maïze s’isole de
nouveau pour retrouver sa fille, sans succès : le
voile de corruption qui entoure la Caravane noire
empêche son sort d’atteindre sa cible et d’en
localiser l’emplacement (elle est enfermée dans
la roulotte des vocalises). Après une nuit d’efforts
vains, et assailli de doutes, il décide de tenter de
retrouver Thiaré d’Herbeline pour lui demander
des comptes et peut-être découvrir une piste qui le
mènera à Yelisavetsa. Son sort « Espion éphémère »
localise le saisonin en Janrénie et le gitan se lance à
sa suite accompagné de son Elwir.
Maïze emporte avec lui le jeu de tarot d’Yelisavetsa
et croisera par conséquent tôt ou tard à nouveau
Eskérelle ; à qui il pense l’échanger contre sa fille
Le spectacle
Le lendemain, le cirque donne la représentation promise
et si les Inspirés ont fourni un coupable, le chapiteau
affiche complet. Dans le cas contraire, la population
investit le cirque en brandissant des torches et interrompt
la représentation pour exiger le départ immédiat des
gitans.
Éminence, voici l’occasion de leur faire découvrir les
effets de l’Emerveille et perdre quelques points de
Ténèbre. Imaginez les tours les plus étranges et offrez
quelques descriptions exotiques. Peut-être assisteront-ils
à un numéro de théâtre racontant l’histoire d’Elidéanne
et d’Albandisse (cf. l’article « Les Gitans ») dans lequel
ils ne manqueront pas de remarquer des symboles leur
rappelant la genèse de l’Harmonde. Profitez-en pour
semer le trouble chez vos joueurs en insistant sur les
passages où les Muses sont tournées en dérision et où le
Masque apparaît en victime. Peut-être remarqueront-ils
aussi l’absence de Maïze sur la piste…
La fuite de Maïze
En sortant du spectacle, les Inspirés rencontrent de
nouveau Mme. Castelini, en larmes. Son mari a quitté
le cirque en aérosphère pendant le spectacle et supplie
les joueurs de le rattraper et de ramener l’engin avec
eux. « C’est l’attraction principale de ce cirque ! ». Sans
compter que le jeu de tarot n’est normalement plus en
leur possession …
Si les joueurs n’ont pas surpris Maïze en plein départ en
quittant le spectacle, ils devront se lancer à la poursuite
de l’aérosphère. Le maginaire vole à basse altitude pour
éviter d’être trop vite repéré de loin. Il a une demi-heure
d’avance sur les Inspirés et il est facile de le rattraper à
cheval. Il leur faudra alors trouver le moyen pour qu’il
se pose, car Maïze ne veut rien entendre. S’ils font usage
de la force, le gitan tente de prendre de l’altitude. Si
68
l’aérosphère est vraiment mise en péril, il atterrit pour
affronter les Inspirés face à face. Une autre solution est
de le suivre discrètement et de l’aborder quand il se pose
pour se ravitailler.
Éminence, il vous revient de gérer ce chapitre. Maïze n’est
pas un fou : ayant embarqué avec lui deux membres de
sa kumpania pour lui servir de matelots, il ne fera rien
qui les mettrait sérieusement en péril. Rendre le tarot
de sa fille est hors de question et la seule proposition
acceptable à ses yeux serait que les Inspirés proposent
de l’accompagner. S’il le faut, il expliquera clairement ses
raisons aux Inspirés et s’ils ne tentent pas d’établir un
rapport de force, il leur avouera partir à la recherche de
Thiaré d’Herbeline.
Scène 2 :
L’Harmonde vue du ciel
Le Voyage
D’une manière ou d’une autre, les Inspirés finissent par
se joindre à Maïze pour se lancer avec lui à la poursuite
de Thiaré d’Herbeline. Le voyage en Janrénie est long
(plusieurs jours à l’appréciation de l’EG), mais bien
moins qu’à pied. Les petites dimensions de l’aérosphère
finissent par forcer les liens (ou les conflits) entre les
membres. La froideur de Maïze disparaît lentement, à
condition que les Inspirés ne persistent pas à lui poser
les questions auxquelles il ne veut pas répondre. Tous les
soirs, il s’isole dans ses compartiments pour lancer son
sort et localiser le satyre.
Éminence, profitez de cet intermède pour faire découvrir
à vos joueurs l’étendue de leurs préjugés sur les gitans.
Par la bouche du maginaire, expliquez-leur comment
s’organise cette population mystérieuse en vous servant
de l’article « Les Gitans » dans le présent Souffre-jour. En
bon défenseur de la cause gitane, Maïze fera tout pour
semer le doute dans l’esprit des Inspirés, adoucissant
l’image du Masque et les poussant à se demander s’ils
se situent du bon côté de la barrière… Il pourra aller
jusqu’à se servir de son sort « Ni dieu ni maître » pour
convaincre les Inspirés. Il niera, bien sur, avoir influencé
leur jugement.
 DANS LES COULISSES
Après sa défaite, Eskérelle rejoint la Caravane
noire pour faire son rapport. Le Masque se moque
de son échec, provoquant chez elle un désir de
vengeance à l’égard des Inspirés et de Maïze. IL lui
offre une dernière chance de prouver sa valeur en
lui apprenant que la carte se trouve en Janrénie, à
bord de l’aérosphère, dont il lui donne la position
approximative. Eskérelle fait tout de suite le
lien entre l’engin et le cirque Castelini, qu’elle
a vu arriver au domaine des joueurs. Elle décide
d’emmener Yelizavetsa comme otage. Mais c’est
une jeune fille transformée qu’elle retrouve.
La gitane a perdu la raison en apprenant que sa
mère était morte en couche, vingt ans auparavant.
N’ayant pas grandi au sein de la Caravane, elle
n’a pas la résistance naturelle des kaleckis à la
Perfidie et la corruption ronge son âme à grands
pas. Par conséquent, elle veut maintenant mettre
fin aux jours de Maïze, à qui elle impute son
malheur ; et pour gagner la confiance et le soutien
d’Eskérelle, elle lui révèle tout ce qu’elle sait sur
les maginaires (c’est à dire peu de choses mis à part
leur existence, leur pensée subversive, le rôle du
centième d’entre eux et leur origine kalecki). Elle
est désormais considérée dans ce drame comme un
Pantin grimaçant (cf. Bestiaire, p. 92), et comme
tout Damné, Eskérelle peut la contrôler. En ce qui
concerne la carte, Yelizavetsa avoue l’avoir remise
aux Inspirés.
Voyant ici l’occasion de redorer son blason, Eskérelle
décide de ne rien révéler avant d’avoir enlevé Maïze
en se servant de sa fille adoptive. Son but : fournir
à son Maître, en plus de la carte, la preuve d’un
complot au sein de sa propre Caravane. Elle propose
à Yelizavetsa son aide pour accomplir sa vengeance
tout en projettant de la tuer après avoir capturé son
père adoptif. Elles repartent accompagénes d’une
escorte de six Ladro-cazas montés sur des chauves-
souris à pendu (cf. Bestiaire, p.58). Deux jours avant
l’arrivée des joueurs aux portes d’Herbeval, elles
retrouvent l’aérosphère mais méfiante, Eskérelle
envoie ses gitans en reconnaissance…
L’aérosphère attaquée
Deux jours avant la fin du voyage, les Inspirés atteignent
les monts Tariander. La température baisse et le ciel
devient nuageux. C’est l’instant que choisissent les
Ladro d’Eskérelle pour attaquer. Experts en discrétion,
ils se posent sur l’aérosphère en pleine nuit et tentent
de retrouver la carte manquante. Grâce à leur miroir
corrompu, ils informent Eskérelle de la présence des
Inspirés. L’équipage endormi et abruti par le voyage aura
bien du mal à faire face. Dès que les Ladro verront la
situation tourner en leur défaveur, ils tenteront de faire
chuter l’aérosphère en s’attaquant au foyer. Renseignés
par Yelizavetsa, il leur sera très facile de libérer les
élémentas qui alimentent le ballon.
Éminence, voici l’occasion de réveiller vos joueurs :
l’aérosphère endommagée perd de l’altitude et une des
solutions pour éviter de mourir écrasé est de repartir sur
les montures perfides avec lesquelles les gitans ont abordé
l’appareil. Mais monter une chauve-souris à pendu n’est
pas chose aisée et n’est possible qu’au prix d’un jet de
VOL + équitation contre Diff 20. Les puissantes créatures
sont au nombre de trois et peuvent embarquer jusqu’à
deux personnes sur leur dos et une autre cramponnée à
leur queue. Si les Inspirés et Maïze survivent, Eskérelle
attend le moment opportun pour passer à l’action,
préférant les suivre et les espionner au lieu de se lancer
dans la bataille tout de suite. Peut-être que les joueurs se
demanderont aussi comment les perfides sont parvenus
à retrouver leur trace…
Les portes d’Herbeval
Une fois au sol, une tempête de neige s’abat sur le groupe,
obligé d’installer un bivouac. Une fois encore, Maïze
s’isole pour lancer son espion éphémère sur Thiaré.
Mais le satyre ayant atteint Herbeval, reste cette fois-
ci introuvable. Les Inspirés sont perdus au beau milieu
des monts Tariander par – 30°… Escalade, engelures,
précipices et faune sauvage, attendent les joueurs au
cours du périple. Dès que la tempête se calme, le groupe
repart et atteint en deux jours le point où Maîze à
perdu la trace du satyre : une cascade au pied du glacier
Golgamesh. Passer en dessous ne sert à rien, l’entrée
d’Herbeval se trouve, dissimulée à l’intérieur. Le gardien
de la Perfection, un Stancin (cf. Bestiaire, p.31), ne tarde
pas à se manifester.
La créature se montrera d’abord hostile mais se calmera
si les Inspirés se présentent comme tels. D’autant plus si
l’un deux est un accordé de la Geste. Son tempérament
issu de la cascade est passionnel, joueur et imprévisible.
Le Stancin prendra un malin plaisir à questionner les
joueurs et à réagir de façon chaotique à leurs réponses.
Il leur faudra montrer patte blanche pour pénétrer en
Herbeval et répondre à cette énigme qu’il ne prononcera
qu’une seule fois : « J’ai quatre fois l’âge que vous aviez,
quand j’avais l’âge que vous avez. J’ai quarante ans. Quel
âge avez-vous ? ». Si les Inspirés répondent vingt-cinq
ans, le Stancin disparaît sans un mot dans la cascade qui
se fige. En passant dessous, les Inspirés y disparaîtront à
leur tour, pour ressortir de l’autre côté, dans le domaine
printanier de Thiaré d’Herbeline.
Ils ne remarqueront alors probablement pas les
silhouettes cachées parmi les rochers derrière eux :
Eskérelle et Yelizavetsa les observent en train de passer
la cascade…
69
Scène 3 : normalement. Comme tous lieu enchanté, l’endroit
possède son lot d’animaux du même type, un troupeau
d’unicornes (cf. Souffre-jour n°1, p.20 ; Souffre-jour n°2,
p.69 ; Souffre-jour n°3, p.9).

L’escale de Stance
Herbeval et l’Accordance
Éminence, la vallée d’Herbeval est une Perfection, un lieu
où Stance fit une escale lors de la création de l’Harmonde
et qu’elle imprégna de sa présence par le biais de ses rêves
(cf. AGONE, p.245). Herbeval existe hors du temps, dans
l’instant immobile du jour où Stance s’y reposa. Ce jour
répété à l’infini garde à jamais son empreinte temporelle
et ne connaît qu’une saison : le printemps, au beau fixe.
En cela, le domaine fonctionne de la même façon qu’une
version amplifiée du sort de Geste « Esquive temporelle »
(cf. Bestiaire, p.54). C’est la raison principale pour
laquelle le Masque ne parvient pas à trouver le repaire
de Thiaré. Tout mortel venant de l’extérieur et résidant à
Herbeval devient indétectable depuis l’Harmonde et en
disparaît complètement. Il continue cependant de vieillir
Une fois la cascade traversée, une longue errance attend
les Inspirés dans les forets du domaine montagnard, avant
de rencontrer le moindre habitant. Éminence, profitez
de la nuit venue pour leur faire jouer l’Accordance (cf.
encart « Le jeu des Perfections »). Les protagonistes en
sont les Inspirés et deux Nymphes jumelles, Campanule
et Aubépine, leur confiant la mission de retrouver le
soupir de Stance, quand elle s’endormit au pied de la
cascade. Son écho se trouve pris dans le bruissement des
feuillages d’un arbre précis. N’hésitez pas à introduire
sur leur route des éléments mélangés de ce drame :
Yelizavetsa, les cartes du tarot, le cirque… et à parsemer
vos descriptions de symboles oniriques pouvant leur
laisser entrevoir ce qu’il va advenir.
À leur réveil, et s’ils réussissent la quête onirique,
les Inspirés trouveront les Nymphes à leurs côtés.
Elles leur expliqueront ce qu’ils viennent de vivre
et les accompagneront jusqu’au cœur du domaine :
Galeyenne.

LE JEU DES PERFECTIONS

La vie d’Herbeval est bien différente de celle qui s’écoule sur l’Harmonde. Imprégnée de l’esprit de sa
marraine et du sentiment d’harmonie qui l’habitait alors, la faune vit en paix, la nature prolifère et les
mortels sont influencés par le rêve de Stance qui habite les lieux. Impossible ici de souiller le décor et toute
construction s’y mêle avec art, pour en magnifier l’équilibre. Voici quelques règles, applicables à n’importe
quelle Perfection.

- L’artiste y créant ou interprétant une œuvre (profane), bénéficie de +5 à son jet d’arts profanes et de +15 pour
un art lié à la Muse affiliée (ici : Stance). Mais une telle poussée créatrice risque de lui faire perdre la raison :
un Terne perd 1 point de volonté par œuvre créée dans de telles conditions et doit réussir un jet de VOL
contre DIFF 20 pour ne pas sombrer dans une frénésie créatrice, dont il ne pourra sortir qu’en réussissant le
jet de VOL de sa prochaine création. S’il quitte la Perfection, il récupérera 1 de VOL par mois.
Les mêmes bonus sont appliqués aux Arts magiques des Inspirés, qui courent également les mêmes risques.
Ils bénéficient cependant d’un jet de VOL d’une DIFF égale au seuil du sort lancé, pour ne pas perdre 1
point de volonté.
- Si un Inspiré dort dans une Perfection, sa Flamme entre en résonance avec le pouvoir de la Muse qui
imprègne le lieu. Il vit alors l’Accordance et entre, par le biais de ses songes, en communion avec la
Perfection. Il vit en rêve une quête qu’il doit accomplir. S’il y parvient, l’Inspiré gagne la faveur de la
Merveille gardienne et regagne 1 point d’Héroisme par nuit passée dans le lieu. De plus, il ne craint plus
la folie qui guette ici tout artiste, sans perdre l’avantage des bonus concédés. Notez qu’un Inspiré dont un
Aspect noir dépasse son score de Flamme ne pourra jamais réussir l’Accordance, tout comme un Félon.
- Dans ce drame Eskérelle, en tant que chevalier Sénestre, ne possède plus de Flamme et ne sera donc pas
concernée par l’Accordance. La folie de l’artiste n’aura pas d’effet sur elle : depuis son pacte avec le
Masque, tout velléité créatrice a quitté son cœur et son lien avec les Muses est définitivement rompu. Ses
pouvoirs perfides seront toujours normalement accessibles.
- Yelizavetsa devra réussir son jet de VOL tous les jours : l’influence de la Perfection sur sa nature de Terne
corrompue détourne son exaltation créative dans la passion qu’elle met à accomplir son drame avec son
père adoptif.
- Le Souffle de Maïze réagit de la même façon qu’une Flamme. Toutes les règles relatives aux Inspirés
s’appliquent aussi au maginaire.

70
Galeyenne
Capitale du domaine, Galeyenne est un village fortifié
de quatre cents habitants, se donnant des allures
prétentieuses de minuscule cité flamboyante. Il fut bâti
sous les ordres de Thiaré d’Herbeline par des architectes
exaltés grâce à l’énergie du domaine, et affiche une
étrange architecture à la fois naine et lutine. Divisée en
quartiers réunis autour de la place centrale où se trouve
l’hôtel de ville, Galeyenne est majoritairement peuplée
d’humains, d’une centaine de lutins et de nains, ainsi que
de quelques autres saisonins en proportions moindres. À
part les Merveilles et les animaux enchantés, la population
d’Herbeval, triée sur le volet et sélectionnée selon ses
corps de métier, fut exclusivement amenée par le Satyre
au fil des ces vingt dernières années. Éminence, décrivez
le village comme un lieu merveilleux, rare et précieux.
Des espèces ennemies sur l’Harmonde cohabitent ici
en toute harmonie, la lumière étrange qu’irradie le ciel
baigne le domaine dans des couleurs saisissantes, les
rues regorgent de fleurs et d’abeilles et tout ici indique
la présence permanente du printemps. Bâtis dans un lieu
dévolu à Stance, les murs sont recouverts de poèmes, les
habitants Ternes ne s’expriment qu’en vers, des poètes
se livrent régulièrement à des joutes oratoires et lire est
la première chose qu’apprend un habitant d’Herbeval.
Le plan de Galeyenne, ainsi que toute l’histoire et les
informations détaillées relatives au domaine d’Herbeval
et à la compagnie de la cinquième saison, se trouvent
en libre téléchargement parmi les addenda du présent
Souffre-jour, sur www.souffre-jour.com.
Les nymphes laissent les Inspirés à l’entrée du village et
repartent dans les forêts d’Herbeval. L’arrivée du groupe
est tout de suite. Un convoi d’habitants méfiants ne tarde
pas à venir à la rencontre des joueurs, exigeant qu’on
lui remette les armes. Si les Inspirés résistent, la scène
risque de tourner à l’empoignade, interrompue plus tard
par la venue d’un membre de la cinquième saison. Si les
Inspirés se laissent faire, ils sont conduits sous bonne
garde devant le conseil dirigeant, composé des membres
de la cinquième saison.
Rencontre avec la cinquième saison
Les joueurs ne trouveront parmi eux qu’un sourire :
celui d’Héliolune de Roc-sirène (cf. acteurs principaux).
Puissante Inspirée de la Geste, elle étudie depuis des
années les phénomènes harmoniques liés à la nature
exceptionnelle du domaine et endosse le rôle de marraine
pour tous les villageois de Galeyenne. Si la confiance
s’installe, elle se fera un plaisir d’échanger plus tard ses
connaissances avec un autre Inspiré pratiquant le même
Art. Il pourra apprendre au cours d’une conversation
qu’il serait possible, grâce à un sort de Geste inventé
par elle et lancé sur la cascade, de détourner le point
d’arrivée de la faille temporelle vers une autre époque et
un autre lieu. Héliolune estime ainsi pourvoir remonter
jusqu’à un moi en arrière, mais sa théorie reste encore à
démontrer.
En plus de la farfadine, les Inspirés pourront rencontrer
le ténébreux Rodin Caudevrigg (cf. Souffre-jour n°4, p.36
et 43), responsable de la communauté naine, conjurateur,
architecte illuminé et inventeur rongé par la folie créatrice
du domaine, renvoyé de l’Equerre depuis qu’il offrit
son âme à Belphégor. À sa droite, se tient le minuscule
lutin Goudspid (cf. AGONE, p.21), distrait et somnolant,
enchanteur de renom, mage pollenis et maître du « Pétale
blanc », la puissante guilde des jardiniers d’Herbeval.
Le cinquième membre de la compagnie ne siège pas et
se tient encapuchonné, en retrait. Surnommé Raka, il
s’agit d’un médusin, fier et distant, dont les talents de
tueur ne sont plus à démontrer. Il constitue, à lui seul, la
protection rapprochée de la cinquième saison. A côté, est
assis Dédale Thésinos, le sigile minotaure, qui prendra
le premier la parole. Mis à part Rodin, qui doit quitter
parfois le domaine pendant de longs mois pour ne pas
perdre la raison, tous ont réussi l’Accordance. Un siège
reste vide : celui de Thiaré d’Herbeline : le saisonin est
absent, parti à la chasse depuis le matin.
Ressentant une Flamme chez les joueurs, Dédale se
montre cordial avec eux, mais affiche sa méfiance à
l’égard de Maïze, chez qui il ne détecte rien. Si les Inspirés
DANS LES COULISSES
Deux jours auparavant, Dédale Thésinos est arrivé à
Herbeval, inquiet de ne pas avoir reçu de nouvelles
de Thiaré et de sa mission initiale. Il y a retrouvé
le satyre, lui-même arrivé le jour précédent.
L’entrevue s’est déroulée sous un climat orageux :
le sigile s’est mis en colère contre Thiaré qui estime
que bloquer la Trame du Drame en volant une carte
était une initiative digne d’être tentée. De cette
discussion houleuse, Dédale a appris également
que ladite carte est tombée entre les mains d’un
chevalier sénestre lancé à ses trousses. Thiaré s’est
bien gardé de raconter son séjour parmi les gitans
du cirque et son amourette avec Yelizavetsa…
malencontreux incidents que le minotaure n’aurait
pas manqué d’utiliser pour dénoncer, une fois
de plus, l’éternelle inconstance des satyres et
les conséquences dramatiques de leurs caprices.
Agacé, Thiaré a finalement quitté la conversation
en claquant la porte.
abordent devant lui un sujet que seul les porteurs de
Flamme devraient échanger, ou qu’ils présentent le
gitan comme un accordé de la Geste, Dédale devient très
curieux, encore plus si on lui apprend que le maginaire
connaît le nom des sigiles du Conseil…
S’il sent que la situation devient trop tendue, Maïze
prétexte qu’il n’est en fait qu’un simple chef de cirque
bien renseigné, ayant floué les Inspirés pour retrouver
sa fille. Il nie posséder des pouvoirs. Acculé, il utilise
l’absence de Thiaré pour gagner du temps et déclare avoir
été instruit par le satyre, après l’avoir recueilli. L’affaire
est reportée à plus tard, mais la cinquième saison reste
nerveuse à l’idée de côtoyer un gitan. Très vite, Maïze
se retrouve isolé. En tout état de cause, il préfèrera se
donner la mort (en utilisant son sort « Mort tragique »)
plutôt que de révéler l’existence de son Souffle.
71
La trahison de Yelizavetsa
Une fois l’entrevue achevée, Héliolune propose aux
Inspirés une visite de Galeyenne en attendant le retour
de Thiaré. Dédale se joint au groupe. Éminence, profitez
de cet instant de répit pour remettre à plat l’intrigue et
définir avec les Inspirés ce qu’ils savent. La farfadine,
perspicace et curieuse, peut les aider à faire les bonnes
déductions. Faites-leur également découvrir le village et
son histoire, en vous servant du plan et des addenda du
présent Souffre-jour, disponibles sur www.souffre-jour.
com.
De son côté, Maïze s’impatiente de ne pas avoir retrouvé
le satyre et se tient à l’écart pour éviter les questions.
Mais alors qu’il marche en retrait du groupe, il aperçoit
Yelizavetsa à l’autre bout de la rue, les yeux rivés sur lui,
avant qu’elle ne tourne à un angle. Le sang du maginaire
ne fait qu’un tour et il s’élance à toutes jambes.
DANS LES COULISSES
Quelques minutes après le départ des Inspirés,
Yelizavetsa et Eskérelle ont traversé la cascade
figée avant qu’elle ne reprenne son cours, perdu
leur trace et erré dans le domaine à la recherche
d’une piste. Elles ont surpris Thiaré d’Herbeline en
patrouille et l’ont capturé à la faveur de la nuit. La
gitane a fini par lui soutirer le trajet pour rejoindre
Galeyenne et les deux femmes ont repris leur route,
abandonnant le saisonin, attaché et dissimulé dans
une grotte (le chevalier sénestre compte revenir plus
tard, pour le livrer au Masque). Quelques heures
avant d’atteindre le village, elles ont croisé et tué
Campanule. Son corps mutilé est découvert par
Aubépine qui entre dans une rage folle, retrouve et
libère Thiaré en échange de son aide pour venger sa
sœur jumelle. Au même instant, la Caravane noire
entre en scène.
Éminence, organisez une course poursuite dans les ruelles
de Galeyenne. Suivre un maginaire est une chose difficile
et Maïze n’hésite pas à se servir du sort « Coulisses »
pour gagner du terrain sur sa fille adoptive. Gageons
que les joueurs finiront par le perdre pendant quelques
minutes. Il rattrape finalement Yelizavetsa dans une
ruelle sans issue et la gitane lui joue le numéro de la fille
repentie pour le faire approcher. Sur les toits, Eskérelle,
une arbalète à la main, attend le moment propice pour
agir. Mais c’est Yelizavetsa, que vise son carreau…
Dès que Maïze est à portée, la gitane se rue sur lui,
un poignard à la main, en l’accusant de la mort de ses
parents. Mais son geste est fauché en pleine course par
le carreau d’arbalète d’Eskérelle. La jeune fille s’effondre,
blessée à la poitrine. Le chevalier sénestre se jette sur le
maginaire bouleversé, pour tenter de l’assommer en de
l’emmener avec elle mais Maïze se défend comme un
lion. Si les Inspirés ont choisi de le suivre, ils arrivent au
72
moment où Yelizavetsa se fait toucher. À eux de sauver
encore une fois la vie du gitan.
Eskérelle se sent près du but et ne prendra pas le risque
d’un affrontement à mort. Si elle ne parvient pas à
enlever Maïze, elle prend la fuite en volant ou utilise le
Rideau. Elle passe ensuite immédiatement à la suite de
son plan, quelques rues plus loin. Dédale et Héliolune
arrivent juste après le combat.
Maïze est en larmes, Yelizavetsa est mourante entre ses
bras. C’est l’instant que choisit Eskérelle pour en prendre
le contrôle. La gitane demande pardon à son père adoptif
et se tourne en souriant vers l’Inspiré auquel elle a remis
ses cartes au début de ce drame. Elle demande à reprendre
son jeu de tarot, ce que lui accorde son père adoptif, et
le tend vers l’Inspiré (probablement amoureux) à qui elle
avait initialement remis les cartes. Elle lui demande d’en
choisir une et, s’exécutant, le joueur piochera la carte de
la Caravane noire…
Sous le rire agonisant de Yelizavetsa, l’ouverture de la
Trame se déclenche et la demeure du Semblant apparaît.
Reportez-vous à l’encart « L’attaque de la Caravane
noire ».
L’ATTAQUe De La CARAVANe NOIRE
Éminence, voici une règle prévalant sur toutes les
scènes de ce drame : dès que les Inspirés se trouvent
en Herbeval et qu’ils sortent la carte du paquet en
présence d’un membre de la cinquième saison,
les conditions sont réunies pour déclencher une
ouverture dans la Trame. Le Masque réintègre sa
Caravane et surgit au milieu du domaine.
Les troupes perfides s’abattent violemment sur
Galeyenne, déclenchant un affrontement homérique
contre les compagnons de Thiaré et les Inspirés
réunis. L’attaque est foudroyante et en quelques
heures, le village prend feu quartier après quartier.
Nuées de noirâtres, Chaosiards par dizaines,
kaleckis Arishkïn, masquards en tout genre… le
combat est inégal. La Caravane bénéficiant de la
présence de son Maître, son pouvoir est immense.
Bien sûr, le Masque ne prendra pas personnellement
part au combat, préférant regarder brûler Herbeval
depuis sa roulotte. Les membres de la cinquième
saison tomberont un par un. Eliolune créera un
refuge temporel pour s’échapper en début de
combat. Si l’ouverture de la Trame se produit à la
fin de la scène 3 de l’acte 2, Maïze prendra la fuite
en emportant le corps de sa fille. Il sera capturé et
Yelizavetsa sera laissée pour morte. Dos-à-dos avec
les Inspirés, Dédale finira par déposer les armes.
Faites tomber les Inspirés à leur tour, sans toutefois
les tuer. Le groupe sera alors traîné dans la roulotte
des vocalises sous les crachats, les coups et les
insultes des kaleckis. Aucune trace de Thiaré. La
carte est bien entendue récupérée par le Masque.
Passez à l’Acte 3.
 Scène 1 :
Les heures sombres
Sous les verrous
Le groupe se retrouve enfermé dans la roulotte des
vocalises. Maïze est brisé d’avoir perdu sa fille adoptive et
terrorisé à l’idée de trahir le secret des maginaires malgré

Acte 3 : lui. Son pouvoir étant profondément lié à Maëzel, et

donc au Masque, il craint qu’il suffise au Vagabond de
poser ses yeux sur lui pour ressentir la présence de son
Souffle. Persuadé que la partie est perdue, il révèle aux
Inspirés l’origine de son don et l’existence du cinquième

Le temps des Art : la Fantasmagorie.

Le raisonnement qu’il leur expose ensuite est simple : si
Yelizavetsa est morte, son Souffle est perdu. Si elle vit,
ce dernier la rejoindra aussitôt. Dans les deux cas, le
secret sera sauvé. Et il vaut mieux perdre un Souffle que

cendres de risquer leur disparition générale. Sur ces mots, Maïze

se suicide.
Éminence, sa mort doit être un coup de théâtre soudain
et brutal. Nous vous laissons le soin de déterminer le
moyen qu’il emploie pour mettre fin à ses jours. Son
Souffle quitte aussitôt la roulotte et rejoint Yelizavetsa.
Dédale Thésinos a aussi été emmené. Les joueurs
croupissent plusieurs jours dans le noir sans autre
nouvelle que ses lointains mugissements de douleur.
Ils perdent toute notion de temps et sont en proie à des
visions sinistres et grotesques : un enfant blême d’une
maigreur maladive apparaît parfois en sanglotant dans
un coin de la cellule. En se réveillant d’un cauchemar
tourmenté, les Inspirés découvrent un vieillard nu et
immobile, le visage tourné contre le mur, qui disparaît au
moindre battement de cil. Dans l’obscurité, les visages se
déforment, les orbites se creusent et des voix chuchotent
de se méfier des autres… L’environnement de la caravane
leur transmet régulièrement des points de Perfidie à

73
raison de 5 par jour, s’ils ratent leur test de VOL contre
Diff 20. Aucun sort d’Art magique ne fonctionne dans la
roulotte et les danseurs deviennent très vite apathiques.
Un matin, on ne rapportera de Dédale que ses cornes,
que l’on jettera aux pieds des Inspirés pour leur briser
définitivement le moral. Le minotaure a perdu lentement
la vie et avoué l’identité et l’emplacement des autres
sigiles…
La corruption d’Herbeval
Éminence, les Perfections corrompues servent d’escales
à la Caravane noire. Le Masque a fait de chacune des
sanctuaires élevés en son nom. Rares et précieux, Il
en possède un par royaume. Corrompre de nouvelles
Perfections est pour lui un moyen concret d’effacer peu à
peu la trace de ses mères et leur influence sur l’Harmonde ;
mais le Masque ne peut le faire par lui-même. Il a besoin
du concours d’un Harmoniste ayant réussi l’Accordance
et réalisant pour son compte une magistrale Œuvre de
Perfidie à l’intérieur d’un songe inspiré par la Perfection.
Voilà mille ans que le Masque n’a plus réussi cet exploit.
Dans ce drame, les Inspirés en résonance avec l’âme du
domaine seront son vecteur pour s’emparer d’Herbeval :
quand les joueurs dorment, Il s’introduit dans leurs
rêves, en voile la réalité et les manipule à son aise, pour
les pousser à agir contre l’influence du domaine.
Éminence, ce chapitre est un drame dans le drame
qu’il vous revient de créer. Préparez un rêve récurrent
commençant exactement là où les Inspirés ont laissé
celui qu’ils firent pour l’Accordance. Sous l’apparence
d’Héliolune, le Masque les manipule.. Créez une quête
onirique en rapport avec le murmure de Stance, qu’ils
devront accomplir et qui permettra de corrompre la
Perfection sans qu’ils le sachent. Les joueurs doivent être
persuadés d’agir pour le bien d’Herbeval tout au long
de leur songe. Le final de cette quête sera une Œuvre
d’union (perfide) suggérée et orchestrée par Héliolune
qui fera passer le domaine sous sa coupe.
leur sert d’éclaireur et se fait passer pour une kalecki
pour détourner l’attention des gardes. À la discrétion
de l’EG, leur fuite peut être découverte par Eskérelle
qui se lance aussitôt à leurs trousses. Mettez en scène
un combat final avec le chevalier sénestre, dans lequel
Yelizavetsa donne sa vie pour défendre les Inspirés. Le ou
les joueurs amoureux n’auront alors plus que leurs yeux
pour pleurer…
Les Inspirés découvrent ensuite un Herbeval
méconnaissable : Galeyenne est en cendres et le ciel est
noir de la puanteur des corps que l’on brûle dans de
grands feux de joie. La végétation a pourri et la faune
est devenue en partie corrompue. Le domaine est en
ruine. Le groupe est récupéré dans les bois par la nymphe
Aubépine et conduit à Thiaré d’Herbeline.
DANS LES COULISSES
Thiaré a rejoint Galeyenne une heure après
sa destruction. Il a découvert le corps de son
ancienne amante dans les décombres et l’a ramenée
inconsciente auprès de la nymphe. Le lendemain,
Héliolune a rejoint le satyre dans l’antre de la
Merveille et a prodigué les soins nécessaires à la
gitane inconsciente. Au moment où Maïze est mort,
son Souffle a rejoint Yelizavetsa et l’a brutalement
sortie de son coma. La jeune fille s’est réveillée
maginaire. Le Souffle a chassé d’elle la moindre trace
perfide et lui a rendu la raison. Les trois survivants
mettent alors au point un plan, mais soucieuse de
se racheter, la gitane se propose de libérer seule les
Inspirés. Elle s’esquivera contre l’avis de Thiaré et
sera rapidement recherchée par Aubépine.

Sauvetage
Quelques jours après (à l’appréciation de l’EG), les
Inspirés sont réveillés par une gitane qu’ils reconnaissent
tout de suite : Yelizavetsa. La jeune fille, bien en vie,
resplendit plus que jamais. Eminence, faites douter les
joueurs qu’il s’agit bien là de la réalité. La gitane est
pressée et parle à voix basse. Elle leur explique qu’elle est
venue les sauver (en se servant notamment du pouvoir
de Souffle « Esquive du gitan ») et qu’ils doivent lui faire
confiance. Elle précise également que les Inspirés n’ont
pas le choix : s’ils la tuent ou s’ils restent ici, c’est la mort
assurée.
Il s’agit maintenant de s’échapper. Éminence, faites faire
à vos joueurs des tests d’AGI+ Discretion contre Diff
variable selon les événements que vous mettrez sur le
chemin de leur fuite. Faites-les passer par la roulotte des
coulisses, pour récupérer leurs armes et ce qu’il reste de
leur équipement. Yelizavetsa les aide par tous les moyens,

74
Scène 2 :
Le testament d’Héliolune
Rencontre avec Thiaré d’Herbeline
Dans l’antre de la nymphe, le groupe découvre enfin
le visage du satyre. Éminence, soignez ce passage, vos
joueurs entendent parler de Thiaré depuis le début de ce
drame. Le saisonin est un personnage pétri de défauts,
mais néanmoins attachant grâce à son tempérament
idéaliste, éprit de liberté, visionnaire et intrépide. Son
regard pénétrant porte la marque d’innombrables
aventures et ses sabots sont usés par les routes. Il est de
grande taille, un beau visage taillé à la serpe, le bouc au
menton, la tempe barrée d’une ancienne cicatrice qu’il
cache sous une mèche de cheveux grisonnants. Il porte
un grand chapeau surmonté d’une plume de Phénix qui
laisse dans son sillage une nuée d’étincelles. Un petit
tambour, une flûte de pan et un sabre d’abordage sont
noués à sa taille. Avant même de se présenter, Thiaré
demande aux Inspirés où est la gitane. Si elle a succombé
devant Eskérelle, le satyre se met en colère, reprochant aux
joueurs leur incompétence et leur manque d’expérience.
Le ou les joueurs amoureux pourraient aussitôt réagir et
une dispute pourrait éclater quand Thiaré (visiblement
aussi amoureux) désigne Yelizavetsa comme son amante
éternelle. Il se plaint ensuite à grands cris d’avoir tout
perdu à cause d’un groupe d’ignorants ayant ramené le
Masque chez lui. Héliolune intervient pour calmer les
ego en signalant qu’elle a peut-être le moyen de tout
arranger.
Le plan
Si elle ne l’a pas déjà fait, Héliolune révèle aux joueurs le
fonctionnement temporel du domaine, dont la cascade
serait le portail. Elle leur apprend ensuite l’existence
de son sort de Geste (dérivé de l’œuvre « Retour en
arrière » (18) avec un seuil atteignable uniquement
grâce aux bonus de l’Accordance) qui permettrait de
détourner ce portail vers une autre époque et un autre
lieu (cf. Scène 3, Acte 2). Elle compte renvoyer les Inspirés
dans le temps, auprès de Thiaré d’Herbeline, alors qu’il
est sur le point de voler la carte du Masque pour éviter la
dramatique suite. L’idée d’empêcher également la mort
de Yelizavetsa, motivera certainement le ou les joueurs
amoureux… Héliolune n’a cependant jamais tenté une
telle expérience et mettra du temps à détourner la faille
temporelle du domaine.
Pour survivre dans la roulotte du Semblant, elle leur
donne à chacun une « chandelle du contre-pantin »
dans une petite lanterne (cf. encart), similaire à celle que
Thiaré possédait pour repousser la Perfidie de la Caravane
noire. Si on lui demande d’où elle vient, elle lancera un
regard sombre au satyre. Sa haine pour les automnins
a poussé Thiaré à réduire en esclavage un groupe de
pixies, retenues sous le siège du Pétale blanc, dans un
laboratoire secret où ils travaillent pour lui. Gênée d’être
confronté à une décision qu’elle a toujours contestée, elle
élude la discussion et reprend ses directives. Une fois le
sort achevé, la cascade s’immobilisera de nouveau et les
Inspirés auront quelques secondes pour la traverser avant
que le portail ne les renvoie dans les monts Tariander, à
la même époque.
Ces explications acquises et les présentations terminées,
le groupe escorté par Aubépine, rejoint les portes
d’Herbeval en évitant les patrouilles de kaleckis en
maraude.
CHANDELLE DU CONTRE-PANTIN
élixir pixie
Seuil : 25
Durée : deux heures
Portée : une personne
Conservation : un an
Royaume : Herbeval
Effets secondaires : Une fois la chandelle consumée,
la Perfidie accumulée par l’aura rejaillit sur la
première personne rencontrée et lui transmet autant
de points de perfidie x 2 que l’Inspiré aurait dû en
recevoir s’il avait échoué tous ses tests durant ces
deux dernières heures. La victime peut se défendre
contre un jet de VOL contre Seuil de l’élixir,
additionné à sa marge de réussite. Les peines et les
bienfaits reçus s’appliquent immédiatement et la
nature de la victime change brutalement, la rendant
parfois agressive.
Ingrédients : fragment d’onyxium, rayon de soleil au
Zénith, une note de clavecin, une larme de Perfide,
cire de bougie, mèche, principe liant.
Une poudre cristalline et lumineuse est mélangée
à la cire, avec laquelle on fabrique une bougie.
Quand on l’allume en présence de la Perfidie (lieu,
créature…), son porteur peut ignorer tous les tests
de VOL qu’il doit normalement faire pour éviter la
corruption, durant les deux prochaines heures, et
tant que la bougie brûle. La flamme de la chandelle
vire au vert, puis au noir, au fur et à mesure qu’elle
fond. Une aura de même couleur se dessine autour
de la silhouette du porteur. Si la bougie venait à
s’éteindre, la protection s’annulerait et les effets
secondaires s’appliqueraient aussitôt. La protection
reprend si on la rallume.
75
Défendre la cascade fin héroïque. Les cinq dernières minutes sont les plus
Le sort d’Héliolune prend une heure et demi pour être dures : les envoyés du Masque, trop nombreux, gagnent
lancé. Si la farfadine venait à sortir de sa transe, ne les abords du lac. Jouez alors en temps réel pour faire
serait-ce qu’un instant, il lui faudrait tout recommencer. monter la pression. Deux tours avant de prononcer la
Cinq minutes avant le début de l’incantation, le glas de dernière parole de son Œuvre, le dard empoisonné d’une
la roulotte du grand Théâtre se met à sonner au loin : sarbacane kalecki se plante dans la gorge d’Héliolune. Elle
la chasse aux Inspirés est lancée. Éminence, les joueurs parvient néanmoins à compléter le sort dans son dernier
ont une heure d’avance pour organiser la défense souffle. Les Inspirés n’ont alors plus qu’à traverser la
et permettre à Héliolune d’accomplir sa mission. La cascade figée.
farfadine se plonge dans une transe dont elle ne ressortira
qu’à la fin de la scène. Les troupes du Masque arrivent
sur les lieux, une demi heure avant la fin du sort. Les
Inspirés doivent tout faire pour les retenir. La cascade se
trouve sur les hauteurs du domaine, bordée d’arbres, de
gorges étroites et de nombreux dénivelés. Aux joueurs
d’organiser une stratégie qui ralentira leurs assaillant.
Avant l’affrontement, le groupe est béni par la nymphe
(18) qui partage son inspiration avec eux. Les marges
de qualité de leurs Œuvres seront alors probablement
les plus grandes qu’ils atteindront durant leur vie
d’Inspirés.

Éminence, ajustez les forces des gitans en fonction de vos

joueurs. Il ne s’agit pas ici de combattre, mais de gagner
du temps, pour protéger Héliolune. Le combat est difficile
mais glorieux et les effets des Arts magiques, dévastateurs.
Thiaré d’Herbeline se lance à corps perdu dans la bataille
et y disparaît, submergé par l’ennemi. Réservez-lui une

LA ROULOTTE DU GRAND THEATRE

Éminence, la visite d’un tel lieu mérite une intrigue secondaire que nous vous laissons le soin de créer.
Vous pouvez vous inspirer de l’aide de jeu sur Maldemeure, disponible sur www.souffre-jour.com, qui vous
donnera une bonne idée de ce que pourrait être la vie des résidents de la roulotte et de son étrange géographie.
Voici néanmoins quelques points que vous pouvez intégrer à votre vision de la demeure du Masque :
En entrant dans la caravane, le groupe se retrouve à un endroit différent de celui de Thiaré. Les deux groupes
se rejoignent dans la chambre des cartes.
Le Masque est absent. C’est l’unique raison pour laquelle les Inspirés auront peut-être une chance de s’en
sortir vivants.
Les proportions intérieures de la roulotte sont bien plus étendues que ne le permet l’architecture extérieure
(interminables couloirs, portes et passages dérobés par centaines). Les Inspirés parcourront certainement
plusieurs étages.
La roulotte est un labyrinthe inextricable dans lequel il est très difficile de se repérer. En revenant sur ses pas,
les lieux ont changé et les portes ouvrent à chaque fois sur un endroit différent, selon le nombre de coups
frappés dessus. Les Inspirés ont la désagréable sensation que la roulotte les mène là où elle veut.
Tout ce que les Inspirés pourront emporter de la roulotte se révèlera dangereux, voir mortel, peu de temps
après. Au minimum, les objets transmettront la Perfidie à une vitesse galopante, forçant le joueur à s’en
débarrasser au plus vite.
La population de la roulotte n’est pas forcément agressive. Ayant reçu l’ordre inconscient de laisser circuler
le satyre, elle peut même se montrer curieuse à l’égard des Inspirés qui la croisent. Elle se révèle toujours
dangereuse, menteuse et manipulatrice en tentant de faire perdre du temps aux joueurs (multiples intrigues
secondaires à votre convenance, Eminence). Beaucoup se moqueront des Inspirés en prétendant être le
Masque.
Les livres vivants de la bibliothèque hurlante pourront révéler quelques mystères sur la Caravane noire, si les
Inspirés osent les consulter.
En aucun cas ils ne pourront atteindre les loges ou les cellules des passeurs de chaire.

76
Scène 3 :
Contre Drame
Aux origines du drame
Les Inspirés ouvrent les yeux en pleine nuit, allongés sur
le sol spongieux d’un marais, comme s’ils se réveillaient
d’un mauvais rêve : les voilà revenus le jour où Thiaré
commit son erreur. À une centaine de mètres d’eux,
sur un îlot infesté de moustiques, se tient la Caravane
noire, endormie. Embusqués en vue de la roulotte du
grand Théâtre, Thiaré d’Herbeline et quatre mercenaires
janréniens se préparent à l’action. Avant que les Inspirés
n’aient pu réagir, ils se glissent sur un flanc de la roulotte
et y disparaissent par une petite ouverture. Le Masque
a ouvert les portes de son antre pour y laisser entrer
le satyre, aux Inspirés d’en profiter pour se lancer à sa
suite.
Éminence, chercher l’inspiration dans l’article sur la
Caravane noire pour décrire la roulotte du Masque.
Le groupe se trouve ici dans un lieu qu’il n’aura
probablement plus jamais l’occasion de revoir : son
atmosphère oppressante et feutrée les marque pour
le restant de leur vie. Pour le simuler, chaque Inspiré
recevra 5 points de Perfidie dont il ne pourra jamais plus
se débarrasser et ce, malgré la chandelle pixie. N’oubliez
pas qu’elle ne brûle que deux heures. Au bout d’une
heure, les joueurs perçoivent son affaiblissement et s’ils
sont encore dans la roulotte lorsque la chandelle s’éteint,
ils sont très vite corrompus. Ils pourraient devenir des
pantins de bois et de rejoindre la population des lieux
(cf. article : « La Caravane noire »)…
Changer le Destin
Après un interminable trajet, les joueurs trouvent enfin
la chambre des cartes alors que leur chandelle vacille, au
bout de presque deux heures. Ils y surprennent Thiaré
sur le point de s’emparer de l’objet du délit. Sa première
réaction est violente et ses mercenaires se lancent aussitôt
dans la mêlée. Nerveux le saisonin prend les joueurs
pour des pions du Masque. C’est tout en combattant que
les Inspirés devront le convaincre qu’ils ne sont pas des
Félons. Thiaré ne suspendra ses attaques qu’à la mention
d’Héliolune et d’Herbeval. Une description de Galeyenne,
de la nature du domaine et la réponse à la question que
pose le Stancin, mettront fin à toute agressivité.
Éminence, le têtu Thiaré d’Herbeline ne se laissera pas
convaincre facilement, et tentera d’entraîner les Inspirés
avec lui. Il expliquera que, connaissant le futur, il sera
simple d’éviter les mêmes erreurs. Tenter de bloquer la
Trame est une idée lumineuse ! Bien plus que le plan
du sigile qui mettrait des années à donner un résultat.
Aux inspirés de le raisonner… Faites faire des jets de
CHA + éloquence ou baratin selon les arguments de vos
joueurs, contre Diff la VOL de Thiaré.
Victoire ?
À l’instant où le satyre renonce, les cartes s’envolent
de la table et se mettent à tourbillonner dans un vent
sifflant qui envahit la pièce. Elles semblent se multiplier
dans la tempête et c’est bientôt dans un tourbillon
blanc que se retrouvent les Inspirés, soulevés dans les
airs. L’atmosphère s’épaissit et la roulotte disparaît
derrière la nuée de cartes qui retombe bientôt en une
pluie de feuilles mortes. Le drame vient d’être modifié.
La présence de la Caravane noire n’est plus justifiée et
elle disparaît dans la Trame. Les Inspirés se retrouvent
sur le sol humide du marais en compagnie de Thiaré et
de ses hommes. Si nécessaire, servez-vous plus tard des
déductions du Satyre pour expliquer ce qu’il vient de se
produire.
Éminence, n’oubliez pas le dernier retournement de ce
drame : alors que le groupe reprend le chemin du retour,
en compagnie d’un Thiaré lui reprochant l’échec de sa
mission, les chandelles (si elles sont encore allumées)
cessent d’agir, et l’aura noircie des Inspirés recrache toute
la perfidie accumulée sur la personne la plus proche. Si
les Inspirés devraient pouvoir résister en sacrifiant un
point de d’héroïsme, les mercenaires risquent bien de
subir des conséquences dramatiques. Leur corruption
est immédiate et le visage déformé par la haine, ils se
jettent sur le satyre en train de discuter. Si les Inspirés
n’ont pas pensé à lui parler de l’effet secondaire que
leur aura signalé Héliolune, le satyre n’est pas encore
au courant de la méchante farce que lui ont préparés les
pixies, d’Herbeval. Ce sera une nouvelle occasion pour
les joueurs de sauver la vie du célèbre saisonin… ou le
dernier coup de théâtre du Masque.
PARADOXE TEMPOREL
Éminence, nous vous laissons le soin de gérer le
paradoxe temporel que génère ce retour en arrière.
Les Inspirés rencontreront-ils leurs avatars ? Ou au
contraire, auront-ils disparu de leur domaine pour se
retrouver devant la Caravane noire ?
77
Epilogue
Les Inspirés ressortiront épuisés de ce drame. S’il a
survécu, Thiaré leur proposera de venir perdre les points
de Perfidie qu’ils auraient pu accumuler en se servant
des écrins des unicornes d’Herbeval. Ils rencontreront de
nouveau les habitants, ainsi qu’Héliolune qui ne gardera
aucun souvenir du futur. Peut-être le satyre proposera-il
aux joueurs de s’installer à Galeyenne et avec le temps,
de prendre la suite de la cinquième saison. Ils pourront
alors profiter de l’expérience de ces vieux Inspirés pour
apprendre de nouvelles Œuvres.
Éminence, les Inspirés sont les seuls, à la fin de ce
drame, à connaître l’existence des maginaires. À eux de
décider de ce qu’ils désirent faire de cette découverte.
Leur choix pèsera lourd sur l’avenir du Souffle et de la
Fantasmagorie.
Enfin, ce drame se termine sur une soirée arrosée dans
une taverne sur le chemin du retour. La porte s’ouvre
soudain sur Yelizavetsa et son Elwir, laissant aux Inspirés
une étrange sensation de déjà vu. Mais la jeune gitane est
rayonnante et va s’asseoir à une table, suivie de près par
Maïze, méfiant, et de quelques autres gitans : ce soir, le
cirque Castelini est en ville…

POINTS D’EXPERIENCE

Rajoutez à cette liste les points d’Expérience attribués selon les règles d’AGONE, p.200.

Sauver Yelizavetsa de l’attaque des rats 1

Découvrir l’identité de l’assassin de l’ami des Inspirés 1
Espionner Maïze après la première entrevue et le suivre 2
Trouver le camp d’Eskérelle 1
Sauver Maïze des kaleckis 2
Éviter le combat entre Maïze et Dédale 2
Empêcher le crash de l’aérosphère. 2
Survivre au crash de l’aérosphère 1
Réussir l’Accordance 1
Empêcher l’enlèvement de Maïze 2
Fuir de la roulotte des vocalises 3
Tuer Eskérelle 2
Contenir les gitans pour permettre le sort d’Héliolune 3
Empêcher Thiaré de voler la carte 4
Sauver Thiaré des mercenaires 1
Survivre au drame 3
Découvrir la nature et l’utilité de la carte avant la fin du drame 5

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79
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