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La longue bisbille entre la Guilde des musiciens du Québec,

l’ADISQ et le Festival international de jazz de Montréal


Martin Gladu

E n mars 1997, le tromboniste Émile Subirana fût élu à la présidence de la Guilde des

musiciens du Québec (GMQ), l’emportant sur la flûtiste Gisèle Fréchette, qui l’avait battu
en 1991.

Son retour à la tête de l’organisation syndicale fût marqué par plusieurs controverses :
licenciements, mise sous contrat de la femme d’un membre de l’exécutif, augmentations
de salaires des membres de l’exécutif, refus de négocier avec le syndicat des employés,
impasse dans les négociations avec l’Orchestre symphonique de Trois-Rivières, transition
manquée, etc. Nous allons nous attarder sur une de ces controverses, soit celle impliquant
l’ADISQ et le Festival international de jazz de Montréal (FIJM).

Le FIJM sur la liste noire de la GMQ

Le 18 mai 1999, la GMQ plaça le FIJM sur sa liste noire. À l’époque, le FIJM était membre
de l’ADISQ. Subirana expliqua le point de vue de son organisation à Alain Brunet de La
Presse :

Encore une fois, le FIJM, qui fait partie de l'empire Spectra, dont les revenus se chiffrent
à plus de 40 millions de dollars par année, tente de se soustraire à ses responsabilités
envers les musiciens du Québec. Plutôt que de signer des contrats de service avec ses
musiciens, le FIJM force les chefs des divers ensembles de jazz à signer en qualité de
producteurs. Cette manœuvre en apparence anodine fait en sorte que les musiciens n'ont
pas d'autre choix, s'il survient un problème, que d'exercer un recours contre leurs
collègues, les chefs.

Le problème, c’est que l'on n'a pas conclu d'ententes avec les chefs devenus producteurs.
Des centaines de mini-producteurs! Il faudrait, d'après la Loi sur le statut de l'artiste,
envoyer des centaines d'avis de négociation afin d'en arriver à des centaines d'ententes
différentes. Et lorsque tout cela aurait été fait, le Festival aurait été terminé depuis six
mois! Le nœud de l'histoire, c'est que cette pratique n'est pas gérable. Le FIJM devient ni
plus ni moins une grande coquille où n'importe qui peut proposer sa propre production.

Puisque, avec le plein concours de l'ADISQ, le FIJM se qualifie désormais de diffuseur


plutôt que de producteur, la Guilde peut légalement le placer sur la liste noire et
demander à tous les musiciens du Canada et des États-Unis de boycotter le Festival de
jazz. En d'autres termes, les membres de la Guilde n'auront pas le droit de jouer au

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Festival international de jazz de Montréal, comme c'est le cas pour tous les membres de
l’American Fédération of Musicians — syndicat américain auquel la Guilde est affiliée.

En plaçant le FIJM sur sa liste noire, la GMQ exigeait de ses membres qu’ils évitent d’y
jouer. Or cet appel au boycottage du FIJM fût déclaré illégal le 10 juin 1999 par le juge
Perry Meyer de la Cour supérieure du Québec. Le motif de la décision était fort simple. En
période d’arbitrage, aucun moyen de pression n’est autorisé. Devant l’impasse des
négociations, l’ADISQ et la GMQ avait précédemment eu recours à un médiateur; mais
cette médiation avait achoppé en octobre 1998. Un arbitre avait donc été désigné en
décembre de la même année, et c’est son implication dans le dossier qui rendît illégal
l’appel au boycottage.

Le président du FIJM, Alain Simard, expliqua le point de vue de son organisation à Alain
Brunet de La Presse en ces mots :

Une fois de plus, la Guilde prend la Festival en otage. Elle veut nous forcer de collecter
à la source des cachets de ses membres, car elle incapable de le faire. Cette méthode
d'un autre âge a fait en sorte que Montréal et son festival de jazz demeurent l'un des
seuls pouvoirs de coercition qui reste encore à l'American Fédération of Musicians pour
tenter de forcer bon nombre de musiciens québécois, américains et étrangers à y adhérer
ou pour tout simplement faire payer au Festival l'équivalent de leurs cotisations
syndicales.

Cette déclaration de guerre inopinée et illégale ne menace en rien la tenue du Festival de


jazz qui célèbre cette année son 20ième anniversaire avec un nombre record de musiciens
d'ici, dont aucun des spectacles ne peut être annulé par la Guilde.

Résumé du différend

Le journaliste de La Presse Yves Boisvert résuma le différend comme suit :

Le conflit opposant la guilde à l’ADISQ et au FIJM concerne la perception des


cotisations syndicales, équivalent à 7% des cachets des musiciens. Auparavant, le FIJM,
à titre de producteur, percevait l’ensemble des cotisations et les versait à la Guilde. Mais
le FIJM se déclare désormais « diffuseur » plutôt que producteur et veut cesser de
percevoir les cotisations à la source, forçant plutôt les chefs de chaque ensemble musical
des quelque 400 spectacles prévus à percevoir l’argent. Cela met en péril la perception,
selon la Guilde.

Ce dernier commentaire incita d’ailleurs le pianiste François Dompierre à prendre la plume


et à écrire dans une lettre ouverte : « Je trouve d’autre part extrêmement révélateur de l’état
d’esprit qui règne à la Guilde que le problème actuel porte sur son refus de considérer ses
propres membres comme aptes à percevoir les cotisations syndicales et à les lui remettre.
La confiance règne, c’est le moins qu’on puisse dire ! »

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Chronologie des événements

Or il faut revenir avant l’année de la tenue des élections à la GMQ en 1997 pour mieux
comprendre le conflit. Voyons cette chronologie :

- janvier 1995 : Lyette Bouchard fait son entrée à l’ADISQ. Elle est chargée des relations
de travail;

- 1995 (en cours d’année) : l’ADISQ et la GMQ tentent de négocier une convention
collective applicable à la scène;

- août 1995 : devant l’impasse des négociations, la présidente de la GMQ, Gisèle Fréchette,
s’engage à maintenir « le status quo pour les événements majeurs (…) jusqu’à ce qu’une
entente à la scène soit intervenue entre la Guilde et l’ADISQ ». Le prix du permis de travail
pour les musiciens non syndiqués reste donc à 20$;

- septembre 1996 : l’AFM menace de placer la GMQ sous tutelle alors qu’un mouvement
de désaffiliation s’organise. Ce mouvement est soutenu par l’équipe Fréchette;

- hiver 1996 : des enjeux financiers déchirent les membres de la GMQ. L’équipe Fréchette
souhaite une désaffiliation de l’AFM, alors que celui de Subirana – qui inclut les musiciens
de l’Orchestre symphonique de Montréal – accuse le clan Fréchette de mauvaise gestion;

- juin/juillet 1996 : la tenue du FIJM engendre un déficit;

- mars 1997 : Des élections à la GMQ apportent des changements à sa direction : l’équipe
de M. Subirana l’emporte sur celle de Mme Fréchette. Dès le départ, plusieurs
controverses font rage : licenciements, mise sous contrat de la femme d’un membre de
l’exécutif, augmentations des salaires des membres de l’exécutif, refus de négocier avec le
syndicat des employés, impasse dans les négociations avec l’Orchestre symphonique de
Trois-Rivières, transition manquée, etc.;

- printemps 1997 : comme le FIJM, la GMQ accumule un déficit. Elle n’a toujours pas
convenu d’une entente avec l’ADISQ applicable à la scène;

- mai 1997 : parce que jugé injuste envers ses membres qui lui payent une cotisation
syndicale annuelle de 190$ (plus un prélèvement de 3% sur leurs cachets), la nouvelle
administration de la GMQ décide d’hausser le prix du permis de travail pour les non-
membres de 20$ à 100$, soit une augmentation de 300%. Les grands festivals (FIJM et Les
Francofolies, bref, Spectra) en sont aussitôt informés. Les plus petits aussi. La GMQ
propose de maintenir le prix à 20$ pour l’année en cours et que le FIJM perçoive 100$ en
1998, ce que ce dernier refuse de faire, prétextant que l’augmentation représentera une
dépense additionnelle de 45 000$ en 1998 (Nota : Son budget est d’environ 10 millions).
L’augmentation pour Les Francofolies représentant 22 000$ de plus à son budget, Spectra
rejette la proposition pour ce festival aussi.

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- 12 juin 1997 : La GMQ envoie un avis de négociation à l’ADISQ. Me Daniel Descôtes
du cabinet Dunton Rainville, qui est mandaté par la GMQ, menace de faire annuler le FIJM.

- 24 juin 1997 : Devant le refus du FIJM de payer ledit 100$, la GMQ annule son octroi de
30 000$ (lequel provient du Music Performance Trust Fund de l’AFM) alors que le début
de la programmation est dû pour le 26 juin. Le FIJM annonce qu’il annule onze spectacles
de sa série Les Après-midi du Festival, laquelle présente des prestations de musiciens
québécois. La GMQ annonce qu’elle paiera les artistes dont les concerts ont été annulés à
même son fonds de grève;

- Dans cette affaire, un autre différend oppose la GMQ aux grands festivals (Spectra), celui
concernant le prix du permis de travail des artistes étrangers. « Nous n'acceptons pas que
les vedettes étrangères non-membres paient 20$ lorsqu'elles viennent jouer à Montréal et
empochent des sommes faramineuses, » explique Subirana à Alain Brunet de La Presse en
juin 1997. « Le droit de percevoir des cotisations aux non-membres d'un syndicat est nié
aux USA, rétorque Alain Simard, président du FIJM. Les agents des musiciens non-
membres venus de l'étranger (très majoritaires) refusent systématiquement qu'on leur
prélève un montant de 100$. Cet argent, c'est donc le Festival qui doit le payer. Et si le
montant passe de 20$ à 100$, ce serait une perte pour les concerts gratuits, étant donné que
tous les surplus réalisés au Festival sont réinvestis dans les concerts gratuits. ». En fait,
depuis l’entrée en vigueur du right to work aux États-Unis, l’AFM a perdu plusieurs
membres. Simard voit dans la tentative de la GMQ un incitatif pour les musiciens
étasuniens de rejoindre l’AFM derechef;

- novembre 1997 : La GMQ et l’ADISQ ne se parlent plus. Le FIJM, qui se dit victime de
propos diffamatoires, met en demeure la GMQ et ses dirigeants. Subirana sort de ses
gonds : « Ceci est l’une des tentatives d’intimidation les plus révoltantes que j’aie jamais
vues. Les dirigeants du festival devraient avoir honte d’utiliser des fonds publics pour
menacer les représentants des musiciens du Québec par l'intermédiaire d'avocats payés
350$ l’heure. Si le fait que la Guilde critique leurs méthodes dérange les organisateurs du
festival, c’est leur problème. Un peu de respect pour les artistes québécois. »;

- mai 1998 : Subirana s’en prend publiquement à Luc Plamondon, Charles Talar et le
Groupe Coscient (l’affaire Notre-Dame-de-Paris). Une poursuite de 1,3 millions en
diffamation est intentée par Coscient. L’utilisation de bandes préenregistrées – plutôt que
de musiciens – est au cœur de l’affaire;

- 22 mai 1998 : La GMQ et l’ADISQ sont devant un tribunal administratif;

- Début juin 1998 : un règlement temporaire et spécifique aux Francofolies et au FIJM —


membres de l'ADISQ — est négocié. Une entente prévoyant des cachets moins élevés (84$
plutôt que 125$) est aussi conclue avec le Festival de jazz de Québec afin de lui permettre
deux prestations par jour. Certains membres de la GMQ dénoncent aussitôt cette entente,
qui aurait été conclue à leur insu;

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- Fin juin 1998 : La GMQ appel au boycottage du 20ième Gala de l’ADISQ. Le nœud du
problème concerne essentiellement les notions de « producteurs » et de « diffuseurs » —
ceux qui achètent un spectacle clé en main;

- juillet 1998 : Le médiateur Denis Dupuis est nommé dans le différend opposant la GMQ
et l’OSM;

- fin septembre 1998 : Sans convention collective depuis trois ans, les musiciens de l’OSM
votent la grève. Ils ont le soutien de Charles Dutoit et du premier ministre du Québec,
Lucien Bouchard;

- octobre 1998 : Une entente est conclue avec l’OSM;

- décembre 1998 : La GMQ est poursuivi par ses avocats, la firme Grondin, Poudrier,
Bernier, pour non-paiement d’honoraires. La GMQ conteste;

- mai 1999 : La GMQ rencontre la ministre Agnès Maltais;

- 18 mai 1999 : La GMQ place le FIJM sur sa liste noire;

- juin 1999 : La GMQ demande un amendement à la Loi sur le statut de l’artiste. La Presse
publie une lettre d’Alain Simard dans laquelle ce dernier affirme que les musiciens
québécois sont privilégiés par le FIJM, Entres autres choses, il demande « Pourquoi prend-
elle ses propres musiciens en otage avec sa fameuse liste noire, si ce n’est pour la seule
raison de s’assurer la collection de leurs cotisations syndicales? ». Aussi, les techniciens
en grève de la Place des Arts reçoivent l’appui de la GMQ;

- 3 juillet 1999 : François Dompierre et Subirana publient des lettres dans La Presse;

- octobre 1999 : Manifestations devant le Théâtre Saint-Denis contre Notre-Dame-de-


Paris;

- mars 2000 : Négociations avec l’Orchestre Symphonique de Laval;

- avril 2000 : La GMQ conclue une entente avec l’Orchestre Symphonique de Laval. Les
négociations recommencent avec l’Orchestre Symphonique du Saguenay-Lac-St-Jean;

- juillet 2000 : La GMQ souhaite faire des harmonies du Québec des producteurs et ainsi
les faire signer des conventions collectives;

- septembre 2000 : La GMQ envoie des avis de négociations aux petits lieux de spectacles.
Ce sera le début d’une autre longue bisbille, cette fois avec les musiciens amateurs de la
relève (qui rallièrent à leur cause les autoproducteurs et les travailleurs autonomes) et les
lieux alternatifs de diffusion (voir mon article Retour sur le mouvement Tous contre la
Guilde), qui étaient soutenus dans leur démarche par l’ADISQ.

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