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ALL YOU NEED IS LOVE

Lena Walker
Table des matières
– 1–
–2–
–3–
–4–
–5–
–6–
–7–
–8–
Prologue
– 1–

Maria devrait être la femme la plus heureuse du monde.


Aujourd’hui, elle épouse Julio, son meilleur ami, son amour de
jeunesse, le premier et l’unique, le père de sa fille. Ils ont tous les
deux vingt-deux ans et cela fait sept ans qu’ils s’aiment comme des
fous. Un rayon de soleil se fraie un chemin à travers les nuages
lorsque Maria s’avance vers l’hôtel. La famille, les amis et même les
voisins sont là, ils n’auraient manqué cette union sacrée pour rien au
monde. Maria sourit et pleure en même temps, des larmes de joie
mêlée à une tristesse insondable. Elle sait qu’elle sera inconsolable
après cela, que ce mariage aura une fin, mais elle ignore quand
exactement et désespère de devoir l’expliquer à sa fille de un an.
Julio est malade, sa tumeur au cerveau a dégradé son état, il a
souhaité avancer la date de leur mariage. Les invités se mettent à
pleurer lorsque le fiancé, assis dans un fauteuil roulant lui prend la
main et lui souffle un « je t’aime » avant de passer la paume de
l’autre main devant ses yeux d’où se déverse un torrent de larmes et
de désespoir.
Julio décède le lendemain.
Lily pleure, renifle et vide la boîte à mouchoirs devant l’écran.
Sa sensibilité à fleur de peau transforme ses yeux en cascade
devant les comédies romantiques qu’elles se terminent bien ou mal.
– Lily, t’es sérieuse ? Comment peux-tu te mettre dans un état
pareil pour un film ! s’exaspère Mathias.
– C’est inspiré d’une histoire vraie.
– Et alors, tu ne préfères pas qu’on regarde Baby-sitting 2 ?
– Tu n’es pas censé travailler sur ton ordinateur ?
– Si, mais je n’arrive pas à me concentrer parce que tu
n’arrêtes pas de renifler !
Mathias ne comprend rien, il est insensible, songe Lily. Dans sa
tête elle refait tout le film, Maria se réveille d’un cauchemar, Julio
guérit. Happy End. Tout est bien qui finit bien. Pourquoi voir le côté
obscur de l’amour ? Elle se souvient des contes que lui racontait sa
mère quand elle était petite « ils se marièrent et eurent beaucoup
d’enfants ». C’est comme ça que ça devrait se terminer et pas
autrement. Elle reconnaît qu’il peut y avoir des erreurs. Sa mère,
Sylvie, a divorcé… trois fois.
Chaque personne a une bonne étoile, un ange qui veille sur
elle, il suffit de savoir lui parler avec amour, attention et délicatesse,
tout ce que Sylvie ne sait pas faire.
Lily file dans la chambre pour continuer son film sans être
dérangée laissant Mathias à son ordinateur. Depuis qu’il est devenu
PDG de la plus prestigieuse agence de publicité de Paris, il n’arrête
pas, soir et même week-end. Désormais, il accorde des interviews
pour des chaînes de télévision ainsi que pour de grands quotidiens
lorsqu’il n’est pas invité à des soirées mondaines surtout depuis qu’il
a décidé de gérer l’image de célébrités. Lily se cherche des
occupations. Il devrait s’estimer heureux, il la délaisse pour son
travail et elle ne se plaint même pas. Ses soirées, elle les passe
devant Netflix.
Sa mère l’appelle au moment où Maria enterre Julio.
– Lily ? On se voit demain ?
– Je travaille, maman.
– J’ai besoin de te voir.
Lily soupire.
– D’accord. On ira déjeuner à 14 heures.
– Pourquoi si tard ?
– Parce que c’est ma pause déjeuner. 14 heures à prendre ou
à laisser.
– Pffff, OK, râle Sylvie, demain 14h. Je t’attendrais devant la
boutique.
Lily est vendeuse dans une chic boutique de luxe, avenue
Montaigne depuis dix ans. Elle y est rentrée par hasard. Alors qu’elle
avait postulé pour un job d’été chez H&M, l’agence d’intérim l’avait
placée chez Louis Vuitton, par erreur.
Lorsqu’elle retrace l’histoire de sa vie, elle a l’impression de
vivre un conte de fées. Elle a un travail qui lui plaît, par erreur, un
amoureux qui était un client de la boutique, par chance. Seule, sa
mère, Sylvie, fait tache. Elle n’est pas méchante, seulement très
maladroite, ultra négative et comme Lily est une éponge, elle
absorbe toutes ses ondes toxiques.
Qu’est-ce que Sylvie veut bien lui raconter ? Si ce n’est pas
une histoire avec un homme, il ne peut s’agir que de problèmes
d’argent, de fuite d’eau ou de pannes de voiture. Il faut toujours qu’il
lui tombe une tuile.
Chaque soir, Lily s’endort d’un côté du lit, Mathias de l’autre.
Deux semaines qu’ils n’ont pas fait l’amour. Peu importe, elle rêve
de Bradley Cooper en attendant des jours meilleurs.
Mathias file à l’agence au moment où Lily se lève. Elle se sent
barbouillée. Ce n’est pas bon signe. Lily est du matin, et ce réveil est
un mauvais présage à moins que ce ne soit la perspective de
déjeuner avec sa mère qui lui donne la nausée.
Lily ne voit pas passer la matinée. Les gens les plus organisés
se pressent à la boutique pour leurs premiers achats de Noël plus
d’un mois avant.
Sa mère l’attend devant la boutique dans un long manteau en
fausse fourrure. Lily et Sylvie s’installent dans un petit restaurant
chinois, l’un des seuls qui ne soit pas hors de prix dans le quartier.
– Comment ça va avec Mathias ?
– Il est très occupé par son nouveau boulot.
– J’ai demandé comment ça allait. Je sais qu’il travaille
énormément, PDG ce n’est pas rien, on le voit partout à la télé en ce
moment, mais comment gères-tu sa notoriété, vous vous voyez un
peu ?
– Je ne gère pas sa notoriété, je dois la digérer. Il n’a plus le
temps de rien, tout le monde le veut sur les plateaux télé, mais ça
nous convient bien, au moins, on ne se prend pas la tête.
– Je ne sais pas si c’est le mieux…
– Maman ! Pourquoi tu voulais me voir à tout prix ?
– Je quitte Paris !
– Quoi ?!
– Je pars vivre à Londres.
Lily éclate de rire. Sa mère parle tout aussi bien anglais qu’elle
parle portugais, c’est-à-dire pas du tout.
– Je vais être gouvernante pour une famille française.
– Je ne savais pas que tu voulais changer de vie…
– Écoute, j’en ai marre de Paris.
– Et tu crois que Londres c’est mieux ?
– Pas pire en tout cas. C’est tout frais payé. Je serai logée,
nourrie et blanchie sur place. Tout va bien se passer pour moi, mais
j’ai besoin de savoir que tout ira bien pour toi et… Mathias.
– Ne t’en fais pas pour moi, tu peux partir sereine. Tu peux
cesser de t’inquiéter pour rien ? Tu es fatigante à la fin.
Lily affiche un franc sourire. Londres c’est à plus de 300
kilomètres de Paris et puis il y a la Manche entre les deux. Il n’y aura
aucune chance que sa mère l’appelle pour lui demander un service
de dernière minute. Ce qui est tout à fait son genre. Finalement cette
distance ne peut être qu’un mal pour un bien. Lily se renseigne sur
cette famille qui va accueillir sa mère et qui ne sait pas ce qui
l’attend.
Pour une fois, Sylvie parle avec entrain, motivation, fierté,
positivité. Plus la conversation avance et plus Lily se sent mal. À
côté, elle se sent insignifiante. Sylvie ne se rend pas compte qu’elle
vient de semer une graine qui va germer dans l’esprit de Lily. Sa
mère vient de lui révéler ce qui lui manque le plus : des projets de
vie. Des projets avec Mathias, pourquoi pas le mariage ou des
enfants ? Après tout, cela fait neuf ans qu’ils sont ensemble. Leur
quotidien se résume à la vie de Mathias, à sa carrière, ses projets.
Lily est une suiveuse, elle n’est pas difficile, tout lui convient, c’est
pourquoi jusqu’à présent elle se contenter de satisfaire Mathias.
Depuis la conversation avec sa mère, Lily dort mal, elle pense
à « ses projets de vie », au conte de fées qu’elle voudrait vivre.
C’était comme si ce quotidien insipide avec Mathias ne lui convenait
plus.
La semaine, Mathias part très tôt et rentre très tard. Ce job,
c’est son rêve depuis toujours, depuis qu’il l’a réalisé, Lily a
l’impression de vivre un cauchemar. Les week-ends se suivent et se
ressemblent, un restaurant dans le quartier, une sieste, du travail
encore du travail pour lui, Netflix pour elle. Ils pourraient avoir une
discussion intéressante ou même une dispute au restaurant, mais
Mathias reste collé à son téléphone.
Lily se tait, patiente, il va bien finir par s’intéresser à elle, lui
demander comment se passe son travail, si sa famille va bien, mais
les jours défilent sans que Mathias ne lui adresse parole. Il ne sait
même pas que Sylvie a quitté Paris pour Londres.
Lily ne tient plus. Trois semaines maintenant se sont écoulées.
Noël approche et ils n’ont rien prévu pour les vacances. C’est à
peine si Mathias appelle ses parents. Dans l’ordre des priorités, ils
sont loin derrière son travail et Lily. Au moins ça ! pense-t-elle.
– Qu’est-ce qu’on fait pour Noël ? lui demande-t-elle.
– Tu n’as rien organisé ? On va chez ta mère le 24 et chez mes
parents le 25, non ? Comme d’hab.
S’il avait accordé un peu d’attention à la femme qu’il aime, il
aurait su que sa belle-mère ne vivait plus à Paris. Lily ne supporte
plus cette expression « comme d’hab ». « Comme d’hab », c’est la
routine, « comme d’hab », c’est elle qui planifie les vacances. Mais
cette année, elle ne veut plus. Elle veut être une princesse, elle veut
que Mathias lui accorde plus d’attention, soit à ses petits soins. Elle
ne veut plus prendre de décisions sur les petites sorties du
quotidien, elle veut qu’il décide pour elle, qu’il la surprenne, qu’il lui
propose de partir en week-end. Lily se rend compte que c’est elle qui
gère tout : les papiers, la maison, les vacances, la famille. Tout. Et
Mathias ? Il gère son boulot.
– Tu pourrais t’en occuper, toi. Pourquoi c’est toujours moi ?
Mathias lève les yeux, outré. Il a envie de lui répondre que
c’est elle qui doit s’en charger, car ç’a toujours été comme ça, parce
qu’il est débordé et n’a pas le temps, c’est évident. Il reste coi.
– J’ai plus envie, renchérit Lily.
Mathias soupire. « Encore un caprice, ça lui passera », pense-
t-il.
– Mathias, ça fait neuf ans qu’on est ensemble et j’ai
l’impression que nous en sommes toujours au même point. Tous nos
amis sont mariés avec un enfant voire deux… et nous…
– Nous, on profite.
– On profite de quoi ? Tu bosses tout le temps. On n’a aucun
projet de vie.
– Et alors ? Jusqu’à présent ça ne t’a jamais dérangé.
Au moment où Mathias prononce ces mots, il se rend compte
qu’il vient de tendre le bâton pour se faire battre. Lily a changé, mais
pourquoi maintenant ? Tout allait bien entre eux, cela lui convenait.
Pourquoi faut-il qu’elle gâche tout ?
– Tu ne veux pas qu’on se marie ? demande Lily, les larmes
aux yeux.
–2–

Lily pleure toutes les larmes de son corps dans la salle de bain
d’Alex, son seul et meilleur ami, chez qui elle a trouvé refuge. Il
travaille avec elle à la boutique depuis sept ans. Jamais elle n’aurait
pensé qu’à près de 35 ans, elle se retrouverait dans le studio de son
ami à se lamenter sur sa vie alors qu’elle ne rêvait que de mariage
et d’enfants.
– Lily, tu veux bien sortir de là ? S’il te plaît !
Elle ouvre la porte pour sauter dans les bras d’Alex.
– T’es vraiment une pleureuse professionnelle, faut que tu
arrêtes, regardes tes yeux ! On dirait deux énormes têtards.
– Je vais passer Noël et le jour de l’an toute seuleeeee !!!
– C’est une expérience ! lance Alex à court d’idées…
– Je ne veux pas d’expérience, je veux Mathias.
– Non, tu ne peux pas vouloir Mathias qui t’a abandonnée. La
célébrité lui est montée à la tête. Tu ne veux pas être seule, c’est
différent et cela signifie que tu peux être avec quelqu’un d’autre. Et
puis tu peux très bien passer Noël avec Charles et moi chez mes
parents.
– Non merci, je crois que je préfère rester dans ton studio.

Lily a perdu deux kilos en une semaine. Rien ne passe, elle a


la gorge nouée, les yeux gonflés. Elle repense à son film et Maria
qui perd son mari le lendemain de leur mariage. Elle ne peut pas
comparer son malheur. Mathias n’est pas mort. Il est bel et bien
vivant, seulement il ne veut plus d’elle.
Lorsqu’elle a commencé à lui parler de mariage, il s’est tout de
suite braqué et avec sa franchise assassine, lui a annoncé qu’il
n’avait pas la tête à ça avec ses nouvelles prises de fonction, qu’il
était trop stressé, que ce n’était pas le moment et surtout qu’il ne
projetait pas de faire sa vie avec elle.
Le lendemain, Lily dormait chez Alex. Tout était fini. Neuf
années balayées en une soirée à cause d’une question qu’elle
n’aurait jamais dû poser, du moins c’est ce qu’elle pense.
Alex est furieux. Comment a-t-il pu attendre neuf ans pour
s’apercevoir qu’il ne voulait pas faire sa vie avec elle.
– Imagine si tu n’avais pas posé de questions.
– On aurait pu continuer comme ça longtemps, hélas.
– Mieux vaut que tard que trop tard, ironise Alex.
– Comme tu dis.
Le studio d’Alex est tellement étroit que certains soirs il va
dormir chez Charles. Mais les soirs où il n’est pas là, Lily pleure
toutes les larmes de son corps.
Un jour, en quittant son travail, elle s’aperçoit qu’elle a cinq
messages. Math… ? Non. Maman. Elle la rappelle.
– Lily !! Enfin tu réponds.
– Qu’est-ce qu’il y a maman ?
– Il faut que tu viennes à Londres !
– Quoi ?! Pas question !
– Je me suis fait renverser par une voiture, je suis à l’hôpital.
L’annonce a chamboulé Lily, mais ne l’a pas surprise. Sylvie
est abonnée à ce genre de péripéties.
Lily a demandé à son employeur un congé sans solde très
malvenu en cette période chargée de Noël et a sauté dans le
premier Eurostar. Elle n’a jamais mis les pieds à Londres. Mathias
était plutôt casanier. En vacances, ils partaient en région parisienne,
en Normandie voire en Bretagne, la plus exotique de leur
destination.
À la gare de Saint Pancras, Lily demande un ticket de métro.
What ??!!!
Le guichetier répète trois fois pensant qu’elle est
malentendante. C’est surtout parce qu’un ticket coûte 4,90£. Lily est
sous le choc.
Arrivée à l’hôpital, elle réalise qu’elle n’a pas pensé à acheter
un bouquet de fleurs, elle n’a pas non plus pensé à Mathias ces cinq
dernières minutes, trop occupée à essayer de trouver son chemin,
ce qui est plutôt une bonne nouvelle.
– Maman !
– Ma Lily ! Je suis désolée pour Mathias et toi, j’avais un
mauvais pressentiment avant de quitter Paris, j’étais sûre qu’il allait
changer, il était trop exposé médiatiquement ces derniers temps. Ce
n’est qu’un crétin, il ne sait pas ce qu’il perd !
– Oui, bon, on peut parler d’autre chose. On peut dire que tu
n’as pas perdu de temps pour te faire remarquer !
– Merci d’être venue, ma chérie. Je sais, c’est trop bête, cet
accident. J’ai complètement oublié qu’ici on conduisait à gauche.
Quelle idée aussi ! Du coup, j’ai traversé en regardant du mauvais
côté. Bref, je dois rentrer à Paris, on doit m’opérer de l’épaule, je ne
veux pas le faire ici.
– Tu es sûre que tu peux dans ton état ?
– Encore heureux, je peux marcher ! En revanche, j’ai un petit
service à te demander.
– Je t’écoute.
– Tu peux me remplacer le temps de ma convalescence ?
Lily s’attendait à tout sauf à ça. Bien sûr que non elle ne peut
pas la remplacer à Londres, elle a sa vie à Paris, un emploi qui
l’attend, un meilleur ami qui va, certes, bientôt vivre avec son petit
copain, et… et… Math… Non elle ne l’a plus c’est vrai. Elle a
presque oublié qu’il l’a quittée il y a à peine une semaine. Sylvie la
supplie, en essayant de faire un signe de prière avec son bras
cassé, Lily l’en empêche.
– Je ne peux pas, maman, j’ai un job à Paris.
Et je ne peux pas rattraper chacune de tes erreurs.
– Ce n’est que temporaire, le temps que je revienne, si la
famille me remplace, ils ne vont sûrement pas me reprendre.
– Qu’est-ce que je vais faire à Londres ? La vie a l’air très
chère ici.
– Ils sont d’accord pour que tu me remplaces, tu seras payée,
logée, nourrie, blanchie. C’est une super famille, les enfants sont
adorables. Ils sont français, ils ont une superbe maison. Tu verras.
Tu vas adorer ! Pleeaaase !

Lily pose sa valise devant la porte de la jolie petite maison


victorienne rose bonbon du très chic quartier de Notting Hill.
Finalement rien de mieux que d’être loin de Mathias pour l’oublier.
C’est même la raison pour laquelle elle a accepté de rendre service
à sa mère.
Au téléphone avec Alex, le soir, elle lui raconte les
présentations avec la famille, parents austères, enfants terribles,
milieu bourgeois, et le boulot qui l’attend. Aider les deux enfants,
Zélie et Zach, à faire leurs devoirs, faire le ménage quand ils sont à
l’école, les emmener à leurs activités. Rien que de lister les tâches,
Lily se sent épuisée d’avance. Alex lui donne un précieux conseil :
« Profites en pour te trouver un Hugh Grant version années 90 si
possible ». Mais Lily n’a ni l’envie ni le cœur à ça. Mathias est dans
chacune de ses pensées, la preuve elle jette un œil à son téléphone
toutes les cinq minutes au cas où elle recevrait un message de lui.
La dernière fois c’était il y a quatre jours, il lui a demandé où elle
avait rangé les cartouches de l’imprimante. Désespérant !
Zélie, neuf ans et Zach, sept ans, passent leur temps à se
chamailler. Au bout de deux jours, Lily n’en peut plus. Zach tire les
cheveux de sa sœur pendant que Lily essaie de gérer certaines
questions administratives comme prolonger son congé sans solde.
Elle passe une semaine harassante avec les enfants. Les
parents sont les seuls adultes à qui elle adresse la parole, mais ils
ne sont pas bavards, quelques banalités échangées à table, puis ils
filent au lit, ce qui l’arrange. Elle regarde Coup de foudre à Notting
Hill sur sa tablette pour se remonter le moral mais n’est pas certaine
de l’effet sur elle. Elle oscille entre profonde tristesse et espoir de
retrouver l’amour. Elle aimerait appeler Alex, pour la dixième fois de
la journée, mais il lui a fait comprendre que son compagnon lui
réclamait plus d’attention, façon polie pour lui demander de cesser
ses appels intempestifs et intrusifs, et Sylvie est en convalescence.
Plus tôt dans l’après-midi, elle a bien tenté une approche
auprès d’un hipster barbu chez Mark & Spencer en lui demandant le
rayon des chips, il l’a renseigné et puis c’est tout.
La solitude commence à ronger Lily. Mathias lui manque, son
ignorance est une souffrance, son silence un mépris. Il doit sûrement
être en train de travailler. Lorsqu’elle allume son ordinateur pour
regarder une nouvelle comédie, elle est tentée d’aller sur Facebook.
Mauvaise idée. La première chose qu’elle voit est des photos
publiques de Mathias très bien entouré de jolies filles à une soirée
arrosée au champagne. C’est sûr, il est sorti avec l’une d’entre elles.
Elle zoome, sur chaque photo, il tient toujours la main à une
blondasse, plutôt mignonne, perchée sur des talons vertigineux.
Cette fille représente tout ce que Lily n’est pas. Son exact opposé.
Lily sent la colère la gagner, sa poitrine se comprime d’angoisse, de
haine, de désolation. Elle a envie de crier, de tout casser, mais se
retient, elle risquerait de réveiller la famille.
Soudain, son téléphone vibre. Alex.
– Allô ?
– Ma chérie, laisse tomber, je suis sûre que c’est juste de la
provocation. Il cherche à se donner une image. Genre maintenant il
fait partie de la jet set ? No way…
– Attends, de qui tu parles ?
– Heu, balbutie Alex, je dois te laisser !
– Alex ! Réponds-moi.
– Je croyais que tu avais vu, c’est partout en France… Mathias
sort avec la princesse Alice de Cambridge.
La fameuse blonde, son visage lui disait bien quelque chose.
Alors Mathias et elle, la princesse de Cambridge, rien que ça !
Comment a-t-il fait pour passer à une autre relation aussi vite de
surcroît avec une jolie fille, jeune et riche. C’est le comble du
désespoir.
Lily passe une nuit quasiment blanche le cœur en miettes. Elle
s’endort au petit matin pour être aussitôt réveillée par les cris des
enfants.
C’est samedi et elle n’est pas censée travailler, mais Élodie, la
mère, frappe à sa chambre et lui demande si exceptionnellement
elle peut emmener Zélie à son cours de guitare. Lily accepte, ce
n’est pas comme si elle avait un emploi du temps chargé. À part
visiter les musées qui sont gratuits à Londres, elle n’avait rien prévu.
En se rendant au cours, Lily passe devant un kiosque et peut
lire avec désespoir à la Une des tabloïds anglais « The Princess of
Cambridge in love with a French business man », et la photo de
Mathias. Son Mathias. L’homme de presque sa vie. Il porte une
chemise violette, celle qu’elle lui avait offerte à son anniversaire. Il
ne manque pas de toupet ! Lily retient ses larmes et sa colère. Elle
inspire et expire profondément. La petite Zélie lui demande si tout va
bien. Lily hoche la tête avant de laisser l’enfant devant sa classe.
En l’attendant, Lily lit tous les articles de presse en français et
en anglais sur son téléphone. Elle ne pouvait pas imaginer pire. Son
ex est avec une princesse ! Elle peut définitivement tirer un trait sur
lui. Jamais elle ne pourrait rivaliser avec la princesse de Cambridge !
Surtout, elle ne comprend pas comment il a pu la remplacer aussi
vite. Deux semaines. Alors qu’il lui avait juré qu’il n’avait pas le
temps pour une relation. Jamais elle ne pourrait faire une telle
chose.
Lily ne se rend même pas compte que Zélie a terminé son
cours lorsqu’on l’interpelle.
– Hi !
Elle lève la tête et reste interdite, comme frappée par la foudre,
face à ce bel homme.
– Bonjour…
– Vous êtes la nouvelle nounou ? Je voulais vous demander s’il
était possible de basculer le cours de Zélie du samedi au
mercredi même heure ?
– Heu…oui tout ce que vous voudrez.

–3–

– Je m’appel’ Luke, dit-il avec un léger accent.


– Bonjour, Luke, je suis Lily et effectivement je m’occupe de
Zélie. Vous parlez français ? demande-t-elle, surprise.
– Ma mère est française et mon père est anglais. Alors c’est
bon pour vous mercredi ?
– Heu, je vais vérifier auprès des parents.
– Sure, merci, je vous donne mon numéro, pourriez-vous me
confirmer par message s’il vous plaît ? C’est très compliqué pour
moi le samedi maintenant et je ne veux pas abandonner Zélie, elle
fait beaucoup de progrès.
– OK !
– Thank you very much, conclut-il.
Lily n’en revient pas. Elle vient d’obtenir le numéro de
téléphone d’un bel inconnu avec une facilité déconcertante.
Au téléphone, Alex se moque d’elle. Il n’y a pas de quoi s’en
vanter, le musicien ne lui a pas donné son numéro pour un rendez-
vous, mais juste pour un renseignement. Enfin, lorsque Lily lui décrit
l’inconnu, grand, mince, brun, cheveux en bataille, visage ovale,
yeux noisette et rieurs, bouche pulpeuse, légère barbe de trois jours,
Alex éclate de rire. C’est le sosie de Mathias en peut-être plus jeune
et plus fin.
Alex n’a pas tort. Il n’y a vraiment pas de quoi s’emballer.
Néanmoins, Lily ne se souvient pas avoir eu un tel électrochoc la
première fois qu’elle a vu Mathias. Pourtant elle s’en souvient bien.
C’était il y a neuf ans. Mathias était un client comme les autres à la
boutique. Il avait hésité jusqu’à la fermeture entre deux porte-
monnaies qu’il souhaitait offrir à sa mère. Une fois ses achats
terminés, il l’avait attendue puis l’avait accostée dans la rue. S’il
n’avait pas fait le premier pas, Lily ne l’aurait sans doute jamais revu.
Les jours suivants, il s’était comporté avec une telle galanterie
qu’elle avait fini par craquer. Mathias l’avait eue à l’usure.
Cette fois-ci, Lily avait eu un frisson dès que ses yeux s’étaient
posés sur ceux de Luke. Depuis, elle se demande si ce coup de
foudre est réciproque, même si elle reconnaît que le terme est un
peu fort. Certes elle ne sait rien de lui, mais ce qui est certain, c’est
qu’elle a ressenti un courant passé au premier regard. Exactement
comme dans Coup de foudre à Notting Hill. William a ressenti
quelque chose de spécial au moment où Anna est entrée dans sa
librairie. Lily se prend à rêver, à imaginer plusieurs scénarii. Elle
pourrait le recroiser dans la rue, lui renverser son café, ou tomber
sur lui en chinant une petite pièce d’antiquité sur Portobello Road.
L’avantage avec l’imagination, c’est qu’il n’y a pas de limite.
Les parents ne voient pas d’inconvénient à déplacer le cours
de guitare de Zélie au mercredi tant que Lily est prête à
l’accompagner. Ravie, Lily envoie aussitôt un message à Luke qui lui
répond tout simplement « merci ». Déçue, Lily patiente en espérant
recevoir un autre message. En vain.
– En même temps à quoi t’attendais-tu ? demande Alex au
bout du fil.
– Je ne sais pas… il aurait pu m’inviter à dîner.
Alex éclate de rire.
– Lily ! Ce n’est pas comme ça que ça marche. Il faut tout que
je te réexplique. Et puis à Londres, la meilleure façon de se
socialiser c’est d’aller au pub.
– Ah zut, je suis mal barrée, tu sais que je ne bois pas.
– Lily, je veux être certain que tu n’essaies pas de faire un
transfert de Mathias sur Luke.
– Quoi ? Mais non, ça n’a rien à voir. Tu m’encourageais à
oublier Mathias et maintenant tu me demandes de me méfier ? Je ne
comprends plus rien.
– Je ne veux pas que tu sois déçue. Dis-toi que c’est très bien
d’avoir un rebound guy, un mec pour te faire oublier Mathias, mais
ne t’emballes pas trop...
– Ou je risque d’être déçue, je connais la chanson.
– À t’entendre, on dirait que tu es amoureuse alors que tu ne le
connais même pas. Je te demande juste de ne pas trop te faire des
films. Je te connais, Lily, tu regardes un peu trop les comédies
romantiques !
Lily admet qu’Alex a encore vu juste. Elle ne peut pas être
tombée amoureuse, mais c’est plus fort qu’elle. Elle a Luke dans la
peau. Pour elle, ce ne peut être qu’un signe du destin. Le truc qui
n’arrive que dans les fictions justement, mais cette fois-ci c’est bien
réel. Elle veut y croire. Elle pensait qu’il serait inconcevable d’oublier
Mathias, voilà que Luke se met sur son chemin. Ce n’est quand
même pas un hasard ! Même si Alex semble vouloir dire que c’est
trop beau pour être vrai, Lily veut croire en sa bonne étoile, à son
conte de fées.
Le mercredi suivant, en emmenant Zélie à son cours de
guitare, Lily espère recroiser Luke, mais ce dernier reste dans la
salle de classe, enchaînant les cours. Maudit Alex ! Aurait-il encore
raison ? Peut-être que son envie d’oublier Mathias était plus forte
que tout, peut-être que Luke n’est qu’une illusion ou qu’il n’est pas
aussi bien qu’elle l’imaginait. Finalement, elle aurait pu tomber
amoureuse de n’importe quel mâle se présentant devant elle.

La famille a prévu de passer deux jours à Ruislip au nord de


Londres pour Noël. Lily n’a rien prévu. Elle pourrait rentrer à Paris
revoir sa mère, mais pour deux jours elle préfère y renoncer. Elle
doit garder les enfants dès le 26 décembre. La famille lui a proposé
de passer les fêtes avec elle. Lily hésite, mais Zélie et Zach lui font
les yeux doux. Ils se montrent de plus en plus agréables avec elle
comme si elle était parvenue à les dompter. Ils l’aiment bien. Ils
avaient l’habitude d’avoir des gouvernantes plus âgées moins fun,
Lily est plus dynamique, moins sévère, plus à l’écoute et elle les sort
souvent se promener au parc. Ils aimeraient qu’elle reste avec eux
pour toujours. Lily sourit, elle ne veut pas s’attacher à ces petits,
bientôt sa mère sera rétablie et reprendra sa place. Mais comment
résister à leurs petites bouilles suppliantes ? Elle finit par accepter
de les accompagner. Deux jours à la campagne ne peuvent que lui
faire du bien.
Luke semble n’être plus qu’un mirage, Lily se met alors à
repenser à Mathias. Tout lui rappelle son ex. Chaque jour, un tabloïd
évoque sa relation avec la princesse Alice de Cambridge. C’est
horrible, à chaque fois, Lily a l’impression qu’on lui enfonce
lentement et profondément un couteau dans le cœur, puis qu’on le
tourne pour faire encore plus mal. D’habitude, Noël est une de ses
périodes préférées. Avec Mathias, ils avaient l’habitude des marrons
chauds au coin du feu de la cheminée de la maison en Normandie
de ses parents, ils buvaient du vin chaud et regardaient des
comédies de Noël enroulés dans un énorme plaid dans le canapé.
L’image parfaite du bonheur. Elle a envie de tout oublier, de tout
effacer. S’éloigner deux jours et se couper de ses souvenirs ne
peuvent pas être une si mauvaise idée.

Lily observe l’immense pavillon en sortant les valises de la


voiture. Elle n’oublie pas qu’elle est censée être en service.
– Lily, mon mari va s’en charger. Vous avez droit à des
vacances, vous aussi !
– Ça ira, Madame.
Lily découvre le magnifique hall d’entrée. Il fait froid et humide,
mais qu’importe, la demeure tout en marbre blanc fait rêver. Ils sont
chez les parents de François, le père de Zélie et Zach. La grand-
mère, une élégante dame, arbore un collier de grosses perles
blanches autour du cou et un tailleur rose pâle qui lui rappelle la
reine d’Angleterre. Elle lui montre sa chambre au deuxième étage,
moquette épaisse au sol, large voile à la double fenêtre.
Malgré le froid, l’accueil est chaleureux. Lily a bien envie de
rester sous son épaisse couette, à se lamenter sur son sort, mais
Zach vient la tirer du lit pour jouer au Uno avec elle et sa sœur. Lily
découvre le gigantesque sapin de Noël. Elle n’en a pas vu d’aussi
beau et félicite l’hôtesse de maison pour la décoration digne d’une
vitrine d’un grand magasin.
Le dîner est composé de la fameuse dinde de Noël à la sauce
gravy accompagnée de pommes de terre, et en dessert un plum
pudding bien chargé en rhum. Lily est à la limite de demander s’ils
attendent de la famille, la longue table en bois décorée en rouge et
dorée semble avoir été dressée pour douze. Les grands-parents
sont très conviviaux. Ils s’intéressent à Lily en lui posant tout un tas
de questions sur elle et sa mère. Ils ont la conversation plus facile
que leur fils, le père de Zélie et Zach.
Lily est ravie de la soirée, un feu de cheminée, un bon dîner,
une famille généreuse et agréable, que demander de plus ?
Le lendemain matin, les enfants découvrent sous le magnifique
sapin leurs cadeaux. Lily y a glissé un livre en français pour chacun
d’eux.
Élodie, leur mère, remet à Lily un présent. Un pull en cashmere
qui lui sera très utile en cette saison, lui rappelant qu’elle n’avait pas
emporté d’affaires pour deux mois en venant rendre visite à sa mère
à Londres et qu’une séance shopping devra bientôt s’imposer.
Au milieu de cette famille dont l’équilibre lui paraît harmonieux,
Lily se sent apaisée. Les enfants l’empêchent de craquer et de
penser à Mathias et Lily remercie le ciel pour ce cadeau. Elle ne
pouvait pas imaginer que passer Noël avec des inconnus lui ferait
autant de bien.
Zélie va chercher sa guitare et se met à jouer Hotel California
des Eagles au pied du sapin et de la cheminée. Les grands-parents,
les parents et le petit Zach écoutent tous attentivement. Lily ne se
rend pas compte que des larmes perlent le long de ses joues. Ce joli
portrait de famille, elle en rêvait avec Mathias. Elle aurait dû lui en
parler plus tôt, elle n’aurait sans doute pas perdu de temps, attendu
neuf ans pour rien. Elle s’essuie ses joues d’un revers de main.
Sur le chemin du retour, Lily pleure en silence dans la voiture.
Sur la vitre, les gouttes de pluie se reflètent comme dans un miroir.
Zélie et Zach s’inquiètent pour Lily, ils savent que sa mère
reprendra bientôt sa place, mais ils ont peur qu’elle écourte son
séjour chez eux. Même si Lily fait tout pour cacher sa mélancolie, sa
tristesse est évidente. Elle est moins enjouée et les sorties se font
plus rares.
– Qu’est-ce qui ne va pas Lily ? lui demande Zélie.
– Je vais bien, pourquoi me poses-tu cette question ?
La réponse lui semble pourtant évidente.
– Tu as laissé ton petit copain en France, il te manque ?
Lily sourit. Les enfants peuvent parfois se montrer si
perspicaces !
– Pas exactement. En fait, c’est lui qui m’a laissée.
– Ah !
– Mais tu as raison, il ne faut pas se laisser abattre pour autant.
Est-ce que vous voulez aller à London Eye ?
– Ouiii, crient les enfants en chœur.
Lily aimerait être aussi insouciante que Zélie et Zach. Ils ne
pensent qu’à jouer, à s’amuser, à se faire plaisir. C’est ce que devrait
être la définition même de la vie. Désormais, elle est persuadée
qu’elle se remettra de sa rupture, que ça prendra le temps qu’il
faudra, mais pour la première fois, tout en haut du London Eye, près
du ciel, Lily a la certitude qu’elle brisera la malédiction des femmes
de sa lignée, sa grand-mère fut veuve très jeune et sa mère a connu
trois divorces. Lily, elle, refera sa vie avec un homme et aura la vie
qu’elle a toujours désirée, une vie stable et bien rangée.
De retour à la maison, alors que Lily prépare aux enfants un
bol de chocolat chaud, Zélie demande à Lily si elle peut l’emmener
au Lexington, un pub à Pentonville Road.
– Zélie, c’est un pub pour adulte !
– Oui, mais regarde, mon professeur de guitare Luke va
donner une série de concerts.
Lily saisit le flyer que la petite fille lui tend. Luke et son groupe
les Living Sound seront en concert le 30 décembre à partir de 15h et
le 31 décembre à partir de 22h au Lexington, métro Angel.
Lily avait presque oublié Luke. Et si ce flyer est tout simplement
un signe du destin ? Pour rien au monde Lily n’a envie de manquer
l’occasion de revoir Luke. Elle veut être certaine qu’elle n’a pas rêvé,
que ce qu’elle a ressenti lors de leur première rencontre est bien
réel.

Après avoir eu l’approbation des parents, Lily, Zélie et Zach se


rendent au concert. Depuis son arrivée à Londres, Lily ne s’était pas
rendue dans un pub. Elles poussent la porte et les enfants lui
emboîtent le pas. Comme elle s’y attendait, l’ambiance est familiale
et conviviale pour ce concert d’après-midi. Zélie et Zach ne sont pas
les seuls enfants. Elle commande trois sirops à la menthe avant de
s’asseoir à une table sur le côté de la salle.
Avec un quart d’heure de retard, ce qui doit être le propre des
artistes, les Living Sound entrent en scène. Lily est à nouveau
frappée d’étonnement. Elle n’a pas rêvé. Elle est toujours aussi sous
le charme lorsqu’elle aperçoit Luke. À sa surprise, il n’est pas
seulement à la guitare, mais il chante. Les Living Sound enchaînent
des reprises en alternant avec leurs propres compositions.
Soudain, Zach se lève et se met à danser, Zélie rit aux éclats
en voyant son petit frère se trémousser puis lance un regard
complice à Lily l’invitant à chanter. Tous les trois se mettent alors à
reprendre les paroles des Beatles :
« When I was younger, so much younger than today
I never needed anybody’s help in any way ».
Rire sans retenue fait un bien fou à Lily, surtout elle ne se
souvient pas avoir jamais autant ri avec Mathias.
À la fin du concert, Luke s’approche de leur table. Lily est
comme hypnotisée.
– Hi ! Merci d’être venus. Ça vous a plu ?
– Je crois qu’on peut dire oui comme vous pouvez le constater,
répond Lily en rougissant.
– Je vous ai vu danser, dit-il. Zach, quand est-ce que tu
commences la guitare ?
– Maintenant ?!
– Ah tu me fais plaisir. Dites-moi vous revenez demain ? Ce ne
sera pas les mêmes chansons. On va faire quelque chose de spécial
pour le Nouvel An.
– Demain ? Non, c’est tard pour les enfants.
– On ne pourra pas venir, mais Lily nous représentera, n’est-ce
pas Lily ? Lance Zélie.
– On verra, hésite Lily.
– Come on ! Vous avez quelque chose de prévu ?
Lily secoue la tête et se demande surtout comment résister à
Luke, à son accent super craquant et son regard affable. Elle
accepte sa proposition sans rechigner.
–4–

Lily ne se remet pas de cette rencontre. Sur scène, Luke


dégage un charme fou, il est sexy et sa voix est aussi tendre que
puissante. On peut dire que c’est un coup de foudre physique et
vocal. Lily ne demande qu’à apprendre à mieux le connaître pour
voir s’il lui plaît sur tous les plans.
Elle passe la matinée avec Alex, à vanter les qualités du prof
de guitare.
– Donc ce n’est pas qu’un simple prof, c’est le chanteur-
guitariste d’un groupe de rock ! Rien que ça.
– Il n’y avait pas foule à son concert non plus, n’exagère pas.
– Oui, mais quand même !
– J’aurais tellement aimé que tu viennes avec moi ce soir.
– C’est à quelle heure ?
– 22 heures, pourquoi ?
– Ça devrait être jouable !
– Quoi ?! C’est pas vrai ?!
– Si, finalement Charles travaille ce soir à l’hôpital. Je serai
rentré demain matin pour déjeuner avec lui. Alors t’en dis quoi ?
– Que je t’adore.
Lily passe la journée à flâner dans les rues de Londres, elle se
dirige vers Coven Garden pour faire les boutiques. Elle a prévu de
porter une robe scintillante et des talons hauts. Quant à Alex il la
rejoindra directement au pub.
Il est 22 heures tapantes lorsqu’il passe la porte. Lily l’attend au
bar.
– Oh mon Dieu, que tu es belle !
Lily a abandonné sa queue de cheval de tous les jours pour un
lâcher légèrement ondulé.
– Et moi, je n’arrive pas à croire que tu sois là. C’est magique.
Merci, lui dit-elle en l’enlaçant dans ses bras.
Alex commande des boissons juste avant que le concert ne
débute. Le pub est plein à craquer, rien à voir avec la clientèle de la
veille. À la première note, Lily et Alex se regardent et crient en
chœur : « Coldplay ! », leur groupe préféré. Les deux amis sont aux
anges. Pendant près de deux heures, les Living Sound jouent les
plus grands tubes de rock anglais. Lily chante, danse et boit même
un peu. C’est son premier réveillon du jour de l’an sans Mathias
depuis ces neuf dernières années et sans doute le meilleur. Elle
cherche à capter le regard de Luke, mais il est à fond dans sa
musique. Dix secondes avant minuit, c’est le traditionnel décompte
avant les embrassades.
10, 9, 8, 7, 6, 5, 4, 3, 2, 1, 0 Happy New year !!
Plus d’une heure après le concert, Lily attend toujours Luke au
bar.
– Je crois qu’il est parti, lui annonce Alex.
– Tu es sûr ? Je voulais te le présenter. Il n’a pas dû me voir.
– Il devait être fatigué.
Lily ne parvient pas à cacher sa déception. Elle espérait
pouvoir lui parler, lui présenter son ami. Il savait qu’elle viendrait, la
veille, il l’avait invitée et sa réponse avait été claire.
Alex emmène Lily au bord de la Tamise. Il fait un froid de
canard alors ils marchent collés l’un à l’autre pour se réchauffer. Par
chance, il ne pleut pas. Alex lui raconte son futur emménagement
avec Charles prévu au retour de Lily à Paris. Un grand pas pour eux
deux puisque c’est la première fois qu’ils vont vivre ensemble. Lily se
réjouit pour ses amis. Lorsqu’Alex évoque la boutique et le travail,
Lily ressent un petit agacement.
– Paris ne me manque pas plus que ça, je commence à m’y
faire à Londres. Cette ville est magique. Ce que j’aime surtout c’est
la liberté. Tu vois ici tu peux t’habiller comme tu veux ou avoir les
cheveux rose fluo, personne ne va t’observer d’un air désobligeant.
Alors qu’à Paris, capitale de la mode, tu passerais pour un fou si tu
sortais comme ça.
– Paris c’est chic ! C’est ce qu’on dit, non ? Et tu ne vas quand
même pas me dire que tu vas rester ici, j’ai besoin de toi ma Lily.
– Moi aussi, Alex, j’ai besoin de toi.
Devant le Waterloo bridge, Alex prend Lily dans ses bras et elle
se met à pleurer. Cette fois-ci elle sait pourquoi. Elle a fait son deuil.
Elle vient de tirer un trait sur ses neuf dernières années. Elle ne
regrette pas cette vie passée, elle a juste besoin de tourner la page,
d’avancer. Dans sa tête, résonnent les chansons de Coldplay,
chantées par Luke…

Le lendemain en souhaitant une bonne année à sa mère, celle-


ci lui annonce qu’elle doit se faire opérer à nouveau prolongeant
d’un mois sa convalescence. Lily est soulagée. Non pas qu’elle
espérait que sa mère se fasse opérer, mais parce qu’elle se plaît à
Londres, elle n’a pas envie de quitter Zélie et Zach, pas maintenant.
Elle aime cette ville aussi vivante que Paris, mais plus exubérante,
elle aime se promener à Camden ou Bricklane, chiner des objets
vintage et des vêtements de seconde main, croiser des punks et des
styles affirmés que personne ne jugera. Elle aime cette liberté, cette
diversité, cet éclectisme. Des quartiers comme ceux-là il n’y en a
pas de comparables à Paris, ils sont uniques. Elle a définitivement
adopté le mode de vie des Londoniens, les afternoon tea et le rock,
les fish and chips et les verres au pub.
Le mercredi suivant, Luke ne lui adresse quasiment pas la
parole, pourtant elle le remercie pour l’invitation et lui confie qu’elle
s’est drôlement amusée au réveillon et qu’elle a adoré le concert.
Lily ignore pourquoi Luke est si distant.
Elle a décidé de lâcher prise. Elle passe ses journées avec les
enfants, à découvrir Londres en les emmenant à Hyde Park ou Saint
James Park malgré le froid mordant et la pluie. Équipée de la tête au
pied de bottes, anorak et parapluie, Lily commence à s’habituer et ce
n’est pas le mauvais temps qui va arrêter les enfants.
Zach a lui aussi souhaité apprendre à jouer de la guitare. Ses
parents l’ont inscrit dans la même école que sa sœur. Il suit un cours
avec un autre professeur juste après Zélie. Lily passe la matinée à
les attendre dans le hall d’accueil. Ce mercredi-là, Luke finit le cours
plus tôt que prévu, mais Zélie n’est pas là.
– Il y a un problème ?
– Non, juste une corde cassée, elle est avec un collègue qui va
lui réparer et raccorder son instrument. J’en profite pour faire une
petite pause. La journée est chargée.
– Je vois ça.
– Alors, est-ce que le concert a plu à votre petit copain ? lui
demande-t-il de but en blanc.
– Pardon ? Ah, Alex ?! Non, c’est mon meilleur ami et il est
gay.
– Ah j’ai cru que lui et vous étiez ensemble, dit-il confus.
– Oh non, je suis seule. Enfin… Bref.
– Je suis désolé, pour me faire pardonner, accepteriez-vous
que je vous invite à boire un verre ?
– Oui, à une condition !
– Laquelle ?
– Il faudra me tutoyer.
– C’est d’accord.
Zélie revient avec sa guitare. Luke, gêné devant son élève,
laisse les filles. Plus tard il envoie un texto à Lily lui donnant rendez-
vous dans un pub dans le quartier de Notting Hill.
Lily traverse différents états, de l’inquiétude à l’excitation en
passant par l’appréhension. Et s’il la trouvait ennuyeuse ou
inintéressante ?

Le jour J, de gros flocons recouvrent les rues de Londres. Sous


son manteau blanc, la ville semble endormie. Lily ne rêve que d’un
moment hors du temps avec Luke où elle se réchaufferait dans ses
bras.
Devant le pub, Lily tremble, non pas de froid, mais de peur. À
quand remonte son dernier rencart ? Soudain, elle est renvoyée
plusieurs années en arrière au temps du lycée au moment de ses
premiers pas avec les garçons, l’horreur. Elle se souvient de sa
première sortie au cinéma qui avait été gênante, puisqu’une fois
dans la salle, elle s’était rendu compte que finalement le garçon ne
lui plaisait plus. Il avait tenté de l’approcher et de l’embrasser à
plusieurs reprises, mais Lily avait réussi à l’esquiver. C’est désœuvré
qu’il l’avait raccompagnée chez elle et Lily ne lui reparla plus jamais
après cet épisode dont elle est peu fière. Aussi longtemps qu’elle se
souvient, ce sont toujours les hommes qui ont fait le premier pas.
Parfois, Lily ne les avait même jamais remarqués avant qu’on ne
l’aborde, comme Mathias. Cette fois-ci c’est Luke qui une fois n’est
pas coutume avait fait le premier pas en l’invitant, la différence,
c’était qu’au fond, Lily l’espérait.
Luke est déjà sur place et semble avoir bu quelques verres.
Hey ! crie-t-il à son égard. Il a l’air très enthousiaste. Cependant, au
bout de cinq minutes, Lily qui est heureuse d’apprendre que Luke
vient tout juste de rompre avec son ex le jour de Noël, commence à
se poser des questions. Elle soupire. C’est comme si Luke était
assis dans un canapé en train de confier ses malheurs à son
psychothérapeute. Donc, Lily apprend que son ex avec qui il était
depuis deux ans, était chanteuse dans un autre groupe et qu’elle l’a
quitté pour un autre.
– Tu te rends compte ? Le jour de Noël.
– Et visiblement tu ne t’en es pas remis ?
– Si ! Enfin, peut-être pas… Oh Lily, je suis désolé. C’est nul.
J’aurais pas dû te parler de ça.
– Ce n’est pas grave, je comprends. On peut dire que nous
avons un point commun…
La voilà maintenant en train de vider son sac sur Mathias.
– Waow, neuf ans, ce n’est pas rien et la princesse Alice de
Cambridge ?! Là tu fais fort. Ok t’as gagné ! Bon je crois qu’on peut
porter un toast à notre célibat ! Au moins ça c’est dit. Lily, je suis
désolé, je pense qu’on devrait faire table rase, repartir à zéro, je me
rends compte que j’ai complètement foiré ce premier rendez-vous,
ça te dit un dîner demain chez Jamie Oliver ?
Lily accepte. Si elle devait faire un bilan de sa soirée, elle ne
dirait pas que c’était catastrophique, certes, elle ne s’attendait pas à
devoir consoler un homme déprimé à cause d’une récente rupture
amoureuse, mais paradoxalement elle avait trouvé la présence de
Luke plutôt agréable. Il l’intriguait et puis il avait cette volonté d’aller
de l’avant, de vouloir rester positif malgré tout.
–5–

Lily commence à croire que la vie n’est pas une comédie


romantique. Dans l’idéal, Luke l’aurait invitée à danser, il l’aurait fait
rire, il l’aurait prise dans ses bras ou lui aurait tenu la main en
rentrant sous la neige et enfin il l’aurait embrassée sur le perron de
la porte.
Au lieu de cela, il était un peu ivre lorsqu’elle l’avait rejoint, il a
passé sa soirée à lui parler de son ex et lui a rappelé que dans le
concours « des histoires d’amour ratées », elle gagnait haut la main.
Cependant, Lily a décidé de lui donner une seconde chance,
comme si ce premier rendez-vous était un faux départ. De troisième
chance, il n’y en aura sans doute pas.
Lily a décidé de se rendre au restaurant à pieds malgré le froid
qui lui donne un sacré coup de fouet. Son état d’esprit est différent
de la veille, elle n’a plus peur. Elle a cessé de se focaliser sur ses
attentes, tout ce qu’elle souhaite c’est vivre l’instant présent et
passer un agréable moment.
Arrivée au restaurant, Lily aperçoit Luke assis à une table. Un
point positif : il est toujours à l’heure. Au premier regard, elle
s’aperçoit qu’il est sobre contrairement à la veille et elle le préfère
dans cet état, plus calme, plus posé. Lily sourit avant de prendre une
grande inspiration. Elle ne sait toujours pas pourquoi il persiste à
vouloir faire sa connaissance.
– Bonsoir Lily, dit-il en se levant. Tu es ravissante !
Enfin ! se dit Lily, un bon début.
Le dîner se déroule à merveille. Luke évoque son enfance
dans le sud de la France puis sa vie à Londres. Lily parle de son
travail, de sa mère et d’Alex. Elle se rend compte qu’il lui est difficile
de ne pas évoquer Mathias, parce que toute sa vie tournait autour
de lui et durant toutes ces années, elle avait mis entre parenthèses
ses rêves et ses passions.
– Tu as de la chance d’avoir une passion, lui fait remarquer
Lily.
– Tu dois bien en avoir une ou plusieurs, dis-moi tout, c’est
quoi ton truc ? Le tricot, la déco ?
Lily éclate de rire.
– Toi ta vie c’est la musique. Tu as trouvé un sens à ta vie.
Moi… Lily hésite avant de reprendre. Moi je ne sais pas, je n’y ai
jamais pensé. C’est quoi ton rêve ?
– Mon rêve ? Donner des cours c’est ce qui me fait vivre, mais
je veux vivre mon rêve, faire le tour du monde en jouant mes propres
morceaux. La musique ne me fait pas seulement vibrer, c’est à
travers elle que je partage des émotions avec des tas de gens
inconnus, c’est mon but. Je ne dirai pas que c’est un rêve, car j’ai
l’impression qu’un rêve reste inaccessible, que c’est comme un
objectif qu’on se fixe, mais qu’on sait qu’il a peu de chance de se
réaliser. Pour moi, la musique, c’est encore plus fort, c’est plus que
ça, plus qu’un rêve, c’est réel, c’est une conviction, une nécessité
vitale.
– Mais si ça ne marche pas ?
– Ça marchera. Il n’y a pas d’autres choix, c’est comme ça, je
le ressens.
– Alors si tu le dis, je crois en toi. J’ai foi en toi.
– Merci, je crois que c’est le plus beau compliment qu’on m’ait
fait.
Luke a les yeux qui pétillent. Lily lui sourit, cependant une
pensée négative traverse son esprit à cet instant. Luke lui rappelle
Mathias pour qui la carrière passait avant tout le reste. Pour Mathias,
ce n’était pas seulement l’accomplissement d’un rêve, c’était de
l’ambition. Désormais Lily se méfie des personnes trop ambitieuses.
Elle, tout ce qu’elle désire, c’est une vie rangée comme les parents
de Zélie et Zach.
– Oh come on ! lui lance Luke. Zélie et Zach sont adorables,
mais leurs parents sont chiants à mourir !
– Tu trouves ? J’ai l’impression qu’il forme une famille parfaite.
– Sans doute qu’ils sont heureux comme ça, mais j’ai
l’impression qu’ils ont arrêté de vivre avant même d’avoir
commencé. Alors c’est ça ton rêve ?
– Quoi ? Non, enfin, je ne sais pas. Je n’y ai pas vraiment
réfléchi. J’imagine que oui, j’aimerais avoir un mari et des enfants
comme tout le monde.
Lily rougit, elle a l’impression qu’à côté de Luke, elle manque
totalement d’ambition.
– Ce ne devrait pas être une finalité ou un rêve, ça c’est dans
l’ordre naturel des choses.
Lily sent une pointe de décalage entre elle et Luke. Alors qu’il
est désinvolte, insouciant, à la limite de l’impertinence, Lily, elle, est
plus sage, réservée et préfère jouer la carte de la sécurité.
– Je vais te montrer quelque chose.
Après l’avoir invité au restaurant, Luke la prend par le bras. De
Coven Garden ils se rendent sur Oxford Street. Tout le long, Luke ne
lâche pas Lily, comme si elle allait s’envoler. Ce contact la met dans
tous ses états. Comment est-ce possible d’avoir aussi chaud alors
que la température frôle le zéro degré ?
Devant le célèbre club The 100, une queue s’est formée, mais
Luke connaît visiblement le videur, puisqu’il se faufile sans problème
sans lâcher Lily.
Avant d’entrer, il lui explique que c’est dans cet endroit
mythique que les Sex Pistols ont signé leur premier contrat avec le
label EMI après leur concert.
Cette fois-ci, Luke lui offre un verre, et la tient par la taille. Un
groupe vient de monter sur scène. Lily n’écoute pas, n’entend rien.
Elle observe les gens autour d’elle, des férus de rock, qui partagent
la même passion que Luke. Elle a l’impression de ne pas faire partie
de ce monde. Peu importe, Luke se met à danser, son visage est à
quelques centimètres du sien. Et puis soudain, Lily ne voit plus que
lui. Ses yeux qui la fixent et la font fondre comme neige. Elle sent les
papillons dans son ventre, c’est à la fois merveilleux et
insupportable. Elle est hypnotisée par son sourire et ses lèvres,
lorsqu’il les approche d’elle, elle le laisse faire. Elle ne peut pas
résister, c’est plus fort qu’elle, une force d’attraction incontrôlable.
Lily lui rend alors fougueusement son baiser.
Sur le chemin du retour, ils s’arrêtent dans la rue pour
s’embrasser comme deux jeunes tourtereaux. Ils rient, sont joyeux et
pourtant n’ont quasiment pas bu d’alcool. Ils sont ivres l’un de
l’autre.
Lily est trop euphorique pour lui poser des questions, ce n’est
pas le moment, et comme elle se l’était promis plus tôt dans la
soirée, elle veut profiter du moment présent.
Avant de la quitter, Luke l’embrasse une dernière fois et
s’attarde, ça doit bien faire un quart d’heure qu’ils sont devant la
porte. Les seuls mots qu’ils s’échangent sont « à demain ».
–6–

« Je n’en reviens pas ! » hurle Alex au téléphone.


– Moi non plus.
– Alors c’était comment ?
– Il embrasse comme un Dieu !
Lily est sur son petit nuage. Dès qu’elle pense à Luke, un
sourire béat se dessine sur ses lèvres. Zélie lui demande ce qui lui
fait cet effet. Elle n’ose pas lui répondre que c’est son professeur de
guitare. Elle a l’impression d’être une gamine en cachant sa relation.
Surtout elle se découvre des sensations jusqu’alors inconnues ou
oubliées, un désir charnel qui frôle l’indécence.
La passion, l’attente insoutenable du prochain baiser, de la
prochaine caresse, l’impatience. Rien à voir avec Mathias, même à
leur début, du moins Lily ne s’en souvient plus.

Un samedi après-midi, alors qu’ils prennent un afternoon tea


chez Harrods, Lily lui demande s’il avait prémédité leur baiser au
Club 100.
– Bien sûr que non. J’agis dans l’instant. J’ai voulu t’emmener
là spontanément. J’ignorais ce qu’il allait se passer, comment aurais-
je su ? J’écoute mon cœur et mon intuition.
– Qu’est-ce que tu me trouves, franchement, je ne comprends
pas.
– Je crois que je suis fatigué des Anglaises. Et puis avec toi,
tout est plus simple. On profite du moment présent.
Lily frissonne. La dernière personne qui avait employé ces
mots « on profite » était Mathias.
– Je suis bien avec toi, tu me fais beaucoup de bien. J’ai envie
de te revoir à chaque fois que je te quitte. Est-ce que ça te suffit
comme réponse ? Je n’ai pas besoin de me demander ce qui
m’attire chez toi, tu m’attires, un point c’est tout.
À l’entendre, Lily a l’impression que tout est simple pour Luke.
Elle meurt d’envie de lui poser des questions sur l’avenir, comment il
envisage leur relation. Il sait très bien que son séjour à Londres est
temporaire. Au lieu de cela, elle déguste un scone accompagné de
marmelade.
Le lendemain, ils se retrouvent dans l’appartement de Luke.
Des partitions, carnets et instruments jonchent le sol. Luke ne cache
pas son embarras.
– Je me disais bien que tout était trop parfait pour être vrai ! le
taquine Lily.
– Quoi ? Mais regarde, rien de plus agréable qu’un joyeux
bordel.
Il retire son pull et le lance sur une chaise.
– Tu vas faire ça avec tous tes vêtements ?
– Surtout avec les tiens.
Les joues de Lily s’empourprent. Elle est prise de bouffées de
chaleur. Luke la saisit par la taille et l’embrasse tout en lui défaisant
son chemisier. Cela fait des jours qu’elle attendait secrètement ce
moment. Il la soulève et la porte jusqu’à son lit. Ils y resteront toute
la journée.
En rentrant, Lily appelle son meilleur ami. Elle réalise que ce
qui vient de se produire est inédit pour elle.
– C’est incroyable, je crois que c’est la première fois que mon
partenaire essaie de me faire plaisir et pas uniquement de prendre
du plaisir. Enfin, avec Mathias, nos rapports sexuels étaient
uniquement centrés sur lui. Là c’était totalement différent. Je n’ai
jamais rien ressenti de tel. Il a pris tout son temps et c’était
savoureux !
– Mathias était égoïste. C’est comme ça que ça devrait être
tout le temps.
– Oui, c’est fou, Luke c’est l’évidence même, tout est beau, on
est sur la même longueur d’onde et j’ai l’impression de vraiment
compter pour lui. Sa philosophie de vie c’est de profiter pleinement
du moment présent et je crois qu’il veut partager ça avec moi.
– Il a raison ! s’enthousiasme Alex. C’est exactement ce dont tu
as besoin. Carpe diem !
Alex a raccroché sans terminer sa phrase. Il voulait dire « ce
dont tu as besoin pour tourner définitivement la page ». Lily a la
certitude que Mathias fait désormais partie de son passé. Elle ne se
saurait jamais crue capable de coucher avec un autre homme si peu
de temps après sa rupture.

Le samedi suivant, Lily donne rendez-vous à Luke dans le


quartier de Camden. Jusqu’à présent c’était toujours Luke qui était à
l’initiative de leurs sorties. Elle a envie d’être plus entreprenante, de
le surprendre. Alors qu’elle est sur le point de traverser la route en
descendant du bus rouge à étage, elle aperçoit Luke sortant d’une
boutique de tatouage. C’est tout à fait son genre, ses deux avant-
bras et une partie de sa nuque sont recouverts de roses, de paroles
de chansons et de têtes de mort. Ce qui est moins son genre c’est la
jolie brune qu’il embrasse sur le front avant de la laisser partir.
Lily fait aussitôt demi-tour et s’engouffre dans le métro le plus
proche guidée par son instinct. Et une phrase résonne dans sa tête
« c’était trop beau pour être vrai ». Les histoires d’amour qui
finissent bien ne sont-elles réservées qu’aux fictions, aux comédies
romantiques ?
Lily envoie un texto à Luke en inventant une excuse, prétextant
qu’elle ne se sent pas bien. Inquiet, il lui propose aussitôt de venir la
voir, mais elle ne répond pas et passe le week-end dans sa chambre
à se lamenter. Même Alex n’arrive pas à lui remonter le
moral d’autant plus que Mathias et la princesse Alice de Cambridge
viennent d’annoncer officiellement leurs fiançailles moins de deux
mois après leur rencontre. Un scandale ! Pour couronner le tout, sa
mère, Sylvie, lui annonce qu’elle est enfin rétablie et qu’elle a prévu
de revenir à Londres dans deux semaines.
Deux semaines, quatorze jours à vivre à Londres et puis elle
rentrera à Paris, s’installera dans le petit studio d’Alex et évitera tous
les lieux qu’elle fréquentait avec Mathias. Le Marais, le Quartier latin,
les Halles, le canal Saint-Martin. Tous les endroits sympas de Paris
où elle ne remettra pas les pieds de sitôt parce qu’ils lui font penser
à son ex. C’était plus simple d’oublier Mathias quand il y avait Luke.
Lily n’est pas prête à rentrer à Paris, mais peut-être que c’est le
moment. Cette parenthèse londonienne était finalement une bulle
hors du temps, un moment parfait pour faire le deuil de son ex, un
aperçu de sa vie future. Oui il est possible de vivre sans lui, la
preuve.
Dimanche après-midi, Zélie et Zach viennent frapper à sa porte
et lui proposent un goûter que Lily accepte volontiers. Finalement
ces enfants lui font le plus grand bien. Avec eux et un chocolat
chaud, elle se sent plus légère, comme si rien ne pouvait vraiment
l’atteindre, le temps d’une pause.
Luke lui a envoyé plusieurs messages. Au bout de trois jours, il
cesse de la harceler. Il imagine qu’elle ne répond pas à cause de
l’annonce des fiançailles de Mathias avec la princesse de
Cambridge, que cette annonce a dû la bouleverser.
Le mercredi suivant, avant le cours de Zélie, Luke s’adresse
nerveusement à Lily.
– Je ne sais pas pourquoi tu m’évites, tu n’es plus malade à ce
que je vois, écoute, je ne sais pas ce que je fais de mal, je suis
désolée, mais…
– Je repars à Paris dans dix jours.
– Oh.
– Oui, comme tu dis.
– C’est pour ça que tu ne voulais plus me revoir ?
– On a bien profité du moment présent, mais quand je pense à
après, j’ai mal au cœur.
– Ce n’est pas le moment de parler de ça. Samedi chez moi ?
Please.
Lily soupire, hoche la tête. Carpe diem ! Après tout, elle savait
que cette aventure sans lendemain était vouée à l’échec depuis le
début, une histoire sans lendemain tout au plus, alors une journée
de plus ou de moins avec Luke…
« Nous aussi nous sommes tristes que vous soyez déjà obligée
de repartir », lui confie Zélie. Lily sent son petit cœur fondre.
Comment ne pas s’attacher à ces petites bouilles adorables ? Elle
leur promet de venir leur rendre visite à Londres et qu’ils pourront
l’appeler en visio aussi souvent qu’ils le souhaitent.
Quand elle ne travaille pas, Lily se promène dans le quartier. À
Notting Hill, elle a ses petites habitudes, elle prend son café à
Conscience Kitchen puis se promène au Portobello Market.
Mélancolique, Lily se rend au 13-15 Blenheim Cres comme on
se rend en pèlerinage. Ici se trouvait la librairie de William dans
Coup de foudre à Notting Hill. À la place, un magasin de souvenirs a
ouvert. Il est rempli de drapeaux anglais et de tasses à l’effigie de
Kate et William et Megan et Harry qui cachent l’affiche du film aux
couleurs dépassées. Lily repart avec une tasse Kate Middleton. Kate
est élégante, charmante, tout l’opposé d’Alice, la princesse de
Cambridge. Elle sourit en pensant au couple qu’elle forme avec
Mathias. On ne peut pas dire qu’elle soit jalouse du bonheur qu’ils
exhibent dans les journaux.
–7–

En entrant dans l’appartement de Luke, Lily remarque les


efforts qu’il a faits pour ranger son appartement, mettre une jolie
table. L’odeur des lasagnes lui ouvre l’appétit. Luke ne cesse de
parler pour combler le vide et chasser tout malaise, il lui raconte que
le club 100 a accepté que son groupe vienne faire un concert. La
date reste à fixer. Lily a un pincement au cœur. C’est sûr, elle ne
sera plus là pour le voir sur scène.
– Lily, tu pourrais venir me voir le week-end.
– Oué, dit-elle sans enthousiasme.
– Lily, on savait que tu allais repartir.
– Alors tu t’es bien servie de moi, tu savais que tout allait se
finir et tu as fait en sorte que tout soit parfait sauf que…
– Sauf que quoi ?
– Je t’ai vu embrasser une fille samedi dernier.
– C’est impossible.
– Je t’ai vu, tu sortais d’une boutique de tatouage.
– Camille ?! Tu n’as aucun souci à te faire. C’est ma sœur !
Attends, c’est pour ça que tu ne me parlais plus ? Et non, je ne me
suis jamais servi de toi, à aucun moment.
– Ta sœur ? J’ignorais que tu avais une sœur…
Luke se lève de table et au lieu de s’énerver – parce qu’il aurait
toutes les raisons de lui en vouloir – embrasse passionnément Lily.
Cela faisait une semaine qu’il ne l’avait plus touchée, ce qui le
rendait fou. Il brûlait d’envie de caresser son corps, ses lèvres.
Dans les bras de Luke, Lily se laisse emporter. Ils font l’amour
comme si c’était la dernière fois qu’ils se voyaient. Comment ne pas
s’attacher ? C’est impossible, pense Lily. Au fil des jours, même en
essayant de se protéger, elle a fini par avoir des sentiments.
Luke se lève et saisit sa guitare puis se met à chanter. Au
début Lily a envie d’éclater de rire, Luke est assis sur un tabouret en
caleçon, mais plus il chante et plus elle a la gorge nouée. Luke a
quelque chose de spécial, dans le timbre de sa voix, son attitude. Il
est émouvant, Lily n’a plus envie de rire, surtout lorsqu’elle reconnaît
la chanson qui est une belle surprise.

It's amazing how you can speak right to my heart


Without saying a word you can light up the dark
Try as I may I could never explain
What I hear when you don't say a thing

The smile on your face,


Lets me know that you need me
There's a truth in your eyes
Saying you'll never leave me
The touch of your hand
Says you'll catch me wherever I fall
You say it best, when you say nothing at all

Lily passe la nuit chez Luke. Les amants restent le week-end


enfermés dans l’appartement à s’aimer comme si le temps s’était
arrêté. Plus rien ne compte à part eux.
La vie est injuste. Pourquoi les bonnes choses doivent-elles
avoir une fin ?
Lily ne pose aucune question sur l’avenir. Luke semble être
prêt à une relation à distance, même si elle sait que les kilomètres
qui les sépareront les éloigneront l’un de l’autre inévitablement.
Surtout, c’est Lily qui a promis de venir à Londres. Avec les concerts
que son groupe a programmés, Luke sera peu disponible.

Trois jours avant son départ, Luke court voir Lily. Il sonne à la
porte.
– Luke ? Qu’est-ce que tu fais ici ? Tu aurais pu téléphoner…,
dit Lily heureuse de le voir, mais embarrassée.
Luke ne l’écoute pas. Il l’embrasse, la soulève et la serre
contre lui. Cette démonstration de joie a une origine et Lily se joint à
lui lorsqu’il lui annonce qu’il a signé un contrat avec EMI.
– Tu te rends compte, la maison de disque des Beatles,
Coldplay, Queen, Radiohead. C’est un truc de dinde !!!! Je suis
tellement heureux, je n’y croyais plus, c’est grâce à toi.
– Tu plaisantes, je n’ai rien fait. Tu as du talent et tu as travaillé
dur pour ça.
– Non, tu ne comprends pas. Quand je t’ai rencontrée, j’étais
désespéré. Je ne te l’ai jamais avoué, j’étais trop gêné, mais c’est toi
qui m’as redonné confiance.
– Waow… je viendrai te voir au Wembley Stadium.
– Attends, tu ne crois pas si bien dire, on a plusieurs dates
prévues déjà, juste après la sortie de l’album dans six mois.
– Quoi ? Mais c’est hallucinant ! Tout va si vite. Je n’y crois
pas.
– Moi non plus.

Jusqu’à présent Lily n’avait pas fait attention à la grisaille


londonienne. Elle avait trouvé du réconfort auprès de Zach et Zélie,
de Luke et puis elle s’était surprise à aimer si fort cette ville. Mais le
jour du départ, Lily s’aperçoit que son cœur est aussi gris et triste
que le ciel.
Sylvie est arrivée tôt dans la journée pour profiter un peu de sa
fille. Elles passent leur journée à faire du shopping dans Londres. Au
moment des adieux, Zach et Zélie courent dans les bras de Lily en
pleurant. Puis, Sylvie les serre contre elle. Lily sait qu’ils sont entre
de bonnes mains, elle peut repartir l’esprit serein.
– Et fais attention à toi, maman. Regarde du bon côté avant de
traverser !
– J’ai bien compris la leçon. Tu es sûre que tu veux repartir…
– Oui, maman, et je ne serai pas seule. Alex sera là.
Sur le quai de la gare Saint Pancras, Luke l’embrasse une
dernière fois, les adieux sont moins déchirants que prévu surtout
pour Luke. Il est tellement excité par la signature de ce nouveau
gros contrat que rien ne semble l’affecter. Il rassure Lily de
promesses et d’attentes. Oui, il l’attendra tous les week-ends s’il
faut.
Lily lui fait confiance, bien sûr qu’il l’attendra, mais combien de
temps ?
Dans l’Eurostar, Lily ne retient plus ses larmes. Il y a trois mois,
elle se rendait à Londres le cœur brisé par son ex Mathias et
aujourd’hui, elle rentre le cœur lourd. Est-ce que ce n’était pas plus
simple de mettre un terme tout de suite à leur relation plutôt que de
tenter une relation à distance ? Lily ne sait plus. Finalement ce
départ signe peut-être la fin de leur aventure.

Au début, Luke et Lily s’appellent tous les soirs et puis au bout


d’un tout petit mois, comme Lily s’y attendait, les messages et
appels s’espacent. Ils sont plus courts, se font plus rares. Lily a
repris son travail dans la chic boutique Avenue Montaigne. La
journée, elle ne peut pas répondre au téléphone et le soir Luke joue
dans des pubs.
Alex a emménagé avec son fiancé dès que Lily est revenue
s’installer à Paris puisqu’il lui a laissé son studio. Depuis, il est très
occupé par son nouveau chez lui et voit peu Lily en dehors du
travail.
Finalement, Lily estime que ce n’est pas une mauvaise idée
d’être revenue, de reprendre sa propre routine. Cela lui permet de
retrouver ses repères et d’envisager une certaine stabilité pour se
reconstruire petit à petit. Lily essaie de rendre visite à sa mère et
Luke une fois par mois. En un week-end, elle n’a le temps de rien et
c’est souvent frustrée et déprimée qu’elle rentre tard le dimanche
soir.
Encouragée par Luke, elle s’est mise à écrire. Elle a ouvert un
blog sur ses sorties parisiennes et publie des photos des meilleurs
endroits à visiter à Paris et Londres sur Instagram.
Comme Lily le pressentait, l’album des Living Sound est très
attendu. Leur premier titre My little Lil’, inspiré de leur idylle, écrit par
Luke, est un succès fulgurant. En tête des charts dès sa sortie, le
groupe fait désormais la Une des tabloïds outre-Manche.
Lily ne veut pas rater l’évènement, elle se rend à Londres le
week-end suivant, mais bien que Luke n’ait pas changé - il est
toujours aussi gentleman, attentionné, passionné - Lily se sent mal.
C’est le fait de devoir le partager avec d’autres filles qui la rend mal
à l’aise. Au restaurant, il est fréquent que des gens prennent des
selfies avec lui sans même lui demander son autorisation. Puis, à la
sortie du restaurant, une dizaine de filles l’attendent en scandant son
nom. Luke n’en revient pas, Lily non plus.
Lorsque Luke n’est pas avec son groupe, ils passent leur
temps enfermés dans son appartement. Lily adore ce moment de
complicité et d’intimité. Blottis l’un contre l’autre dans le canapé, une
couverture sur eux, ils réalisent la chance qu’ils ont d’être à l’abri de
tous les regards.
– Alors ça te fait quoi d’être célèbre, qu’on te reconnaisse dans
la rue ?
– Je ne cherchais pas à devenir célèbre, mais j’imagine que ça
fait partie du job.
– J’ai vraiment du mal avec les groupies et ton fan-club, tu sais.
– Oui, j’imagine que pour toi ce ne doit pas être évident, mais
je te promets que je te serai toujours fidèle.
– Excuse-moi, permets-moi d’en douter. Tu es beau, charmant,
tu ne chantes pas si mal, et tu es agaçant quand tu me dévisages de
cette façon, dit-elle en lui lançant un coussin.
– Sérieusement Lily, je t’aime.
– I love you too, lui répond-elle avant de l’embrasser.
Cette nuit-là, Lily ne parvient pas à fermer l’œil de la nuit,
comme si ces trois petits mots « je t’aime » étaient maudits.

Le groupe est sollicité par la presse et Lily a l’impression de


revivre le cauchemar qu’elle a connu : c’est au moment où Mathias a
connu le succès, qu’ils ont fini par se séparer. La peur de reproduire
le même schéma la tétanise, elle est incapable d’en parler à Luke
qui semble être sur une autre planète, celle de la gloire et de la
célébrité. Manager, sample, tournées, shooting photo, interviews
sont autant de nouveaux termes qu’utilise constamment Luke et qui
lui donnent le tournis.
– Lily, je t’en prie, pense à ma proposition, je ne veux pas avoir
à choisir.
Luke vient de demander à Lily de tout laisser tomber pour lui, il
voudrait qu’elle le suive trois mois à travers l’Europe, l’Asie et
l’Amérique.
– Et moi ? Tu as pensé à moi ? Ça voudrait dire que je devrais
mettre de côté tous mes projets pour toi ?
– Quels projets ?
Lily est incapable de répondre. Pourtant la réponse est simple,
elle aimerait rencontrer une personne avec qui elle construirait une
vie de famille. L’accompagner en tournée mondiale ne fait pas partie
de ses projets.
– Pardon, ce n’est pas ce que je voulais dire. Je pense que ces
trois mois te feront du bien.
– Me feront du bien ou te feront du bien ? Je veux dire c’est
comme si tu voulais le beurre, moi, et l’argent du beurre, la tournée.
– Non, c’est faux, je pense à nous. Je veux réussir à continuer
à jouer dans mon groupe tout en restant avec toi. C’est si dur à
comprendre ?
Ce jour-là, Lily quitte Luke, fâchée. C’est à peine s’ils se sont
embrassés avant de se séparer. C’était leur première dispute et ce
ne sera sûrement pas la dernière. Plus Luke s’investit dans les
Living Sound, et plus Lily a l’impression qu’il s’éloigne d’elle, comme
si un mur se dressait entre eux.
Les jours passent et Luke ne l’appelle presque plus. Il n’a plus
le temps. En revanche, il lui écrit tous les jours, des dizaines de
messages. Lorsqu’il n’est pas excité, il est énervé ou impatient. Lily
se demande s’il ne va pas prendre de la drogue pour faire face la
pression, elle préfère effacer ce cliché de sa mémoire.
Au travail, Lily cherche du réconfort auprès de son meilleur
ami.
– Tu le verrais s’il se droguait, la rassure Alex.
– Il est juste tout le temps super excité, c’est pénible à la fin.
– C’est normal, c’est le groupe du moment, qui ne le serait
pas ? Tu ne te rends pas compte.
– Non, je ne me rends pas compte, je n’ai jamais rien demandé
de tout ça, je préférais quand il n’était qu’un musicien incognito.
– Tu ne penses pas vraiment ce que tu dis. Au fond tu veux le
meilleur pour lui.
– Le meilleur pour lui ne l’est peut-être pas pour moi.
– Qu’est-ce que tu en sais. Il te propose de l’accompagner. Tu
n’es pas obligée. Mais tu as mieux à faire ? Ah oui, j’oubliais, tu peux
croupir dans mon studio et continuer à vendre des sacs de luxe en
toile qui vaut cinq cents fois ce qu’ils coûtent.
– T’es sûr cinq cents fois ?
– Ne change pas de sujet Lily. Rien ne te retient. Profite à fond
de la vie, on en a qu’une. Luke n’est pas égoïste comme Mathias, il
veut partager ça avec toi. Fonce, arrête de réfléchir. Pendant neuf
ans, tu as été la copine de…
– Et je ne veux plus être la copine de qui que ce soit ! le coupe-
t-elle.
– Tout dépend de la façon dont tu vois la relation. Ce n’est pas
parce que vous êtes à Paris, Londres ou Tokyo que votre relation va
changer. Tu peux l’accompagner pour trois mois et vivre à fond cette
expérience. C’est juste trois mois et puis tu vois à la fin si cette vie te
convient ou pas, mais tu devrais essayer. Réfléchis-y s’il te plaît.
– OK, dit Lily en soupirant, pas très convaincue.
L’agenda de Luke est plein. Lily a l’impression d’être de trop,
qu’elle n’a pas sa place dans son planning surchargé. Luke lui
envoie des messages enflammés pour la convaincre de le suivre. Le
groupe et leur manager sont d’accord. Elle n’a plus qu’à dire oui et
elle aura sa place dans la tournée. Lily est terrifiée.
La tournée a débuté à Londres. Lily n’a toujours pas donné sa
réponse. Les Living Sound terminent leur tournée européenne à
Paris et partiront dès le lendemain pour Tokyo.
La veille du concert parisien, Luke invite Lily à son hôtel, le
Shangri-La où il a réservé une table dans le restaurant
gastronomique. Il espère la convaincre une dernière fois de
l’accompagner à Tokyo.
Lily toujours hésitante se rend à l’hôtel sous les
encouragements d’Alex.
Arrivée devant le hall, elle entend une femme hystérique, crier
en anglais. Elle se retourne et croit apercevoir un revenant. Mathias.
La princesse Alice de Cambridge lui hurle dessus comme à un
chien, visiblement insatisfaite de ce début de soirée. Lily n’en revient
pas. Mathias rougit et passe devant Lily, incrédule et humilié, sans
rien dire comme s’il ne la connaissait pas.
Lily ne comprend pas, comment peut-on ignorer une personne
avec qui on a vécu aussi longtemps ? Et si Luke lui faisait la même
chose ? Est-elle prête à le suivre au bout du monde pour qu’il la
rejette un jour ? Prise de vertige, Lily s’enfuit en courant. Plus tard,
elle enverra un texto à Luke en s’excusant de n’avoir pas eu le
courage de franchir le hall du Shangri-La Hôtel.
–8–

Revoir Mathias lui a fait l’effet d’un électrochoc et en même


temps, Lily est soulagée. Mathias fait partie du passé. Néanmoins
elle a été incapable d’aller rejoindre Luke, de sauter le pas. Elle sait
que dans les bras de Luke, elle aurait cédé, par faiblesse ou par
facilité alors qu’elle veut faire des vrais choix et pour le moment, elle
ne sait pas.
Allongée dans son lit, elle fixe le plafond depuis une bonne
heure comme si la réponse allait lui tomber dessus. Pourquoi a-t-elle
choisi un homme aussi compliqué ? On ne peut pas dire qu’être en
couple avec Luke, le leader du groupe du moment, soit peu
ordinaire. Le suivre à l’autre bout du monde est une chose, le suivre
avec des millions de followers sur les réseaux sociaux et de fans en
est une autre. Elle ne veut pas se retrouver à faire la Une des
tabloïds. Elle n’est pas certaine de vouloir le partager. Ce n’est pas
sa vie ou du moins pas une vie pour elle.
Pourtant ce choix de raison ne la satisfait pas. Lily sent une
pointe dans sa poitrine, son chagrin est physique et l’empêche de
trouver le sommeil. Après une courte nuit, elle éteint son réveil qui
vient de sonner. Tout ce qu’elle veut c’est rester sous sa couette.
Elle n’a pas la force de se lever pour aller travailler. Dans moins de
24 heures, l’homme qu’elle aime s’envolera à l’autre bout du monde.
Son téléphone sonne. Alex. Toujours présent au bon moment.
– Allo ? dit-elle d’une petite voix.
– Lily, ne me dis pas que t’es encore au lit ?
– Si.
– Lily, bouge-toi ! Alors c’était comment hier soir ?
– Je n’y suis pas allée. J’ai croisé Mathias devant l’hôtel avec
la princesse de Cambridge qui lui hurlait dessus. Il avait vraiment
l’air de passer un mauvais quart d’heure. Il est passé devant moi
sans rien dire, comme si nous étions deux étrangers. J’imagine que
c’est ce que nous sommes à présent l’un pour l’autre.
– Quelle coïncidence ! Le monde est vraiment petit… Il faudra
qu’on en reparle. Bon, écoute, tu es plus qu’en retard. Je veux te
voir aujourd’hui au boulot et j’espère que tu es libre ce soir, j’ai prévu
de t’emmener dîner.
Lily soupire. Alex a raison, il faut continuer à vivre, à aller de
l’avant et rien de mieux que de reprendre le travail. Pourtant, c’est
une journée sans. Sans motivation, sans joie, sans rire. Les heures
s’égrènent lentement. Un supplice, elle voudrait déjà être au
lendemain. Luke serait dans l’avion à la même heure. Finalement ne
pas le voir pendant des semaines lui permettra peut-être de l’oublier
plus facilement. Luke sera à l’autre bout de la planète et n’aura
quasiment pas le temps de l’appeler avec le décalage horaire.
Lorsque vient l’heure de fermer la boutique, Lily soupire, sa
fatigue est physique - elle a peu dormi - et psychologique, à force de
trop se poser des questions, elle ne sait plus où trouver les
réponses. Alex la prie de se dépêcher.
– Où va-t-on ?
– C’est une surprise.
– Nous sommes vraiment obligés de prendre le métro, je
m’imagine déjà dans mon lit.
Durant le trajet, Alex essaie de lui changer les idées. Il lui parle
de son emménagement, de ses projets de décoration. Lily écoute
d’une oreille.
En sortant du métro, Lily s’interroge.
– Surpriiiise !!! Tu as droit à un hot dog, car ce soir on va voir
les Living Sound. C’est un groupe anglais.
– Quoi ? T’as pas fait ça ? Tu es odieux !
– Je suis malin, c’est vrai, mais tu vas pouvoir me remercier
après, on n’allait quand même pas rater le concert de l’année et puis
ça fait des mois que j’ai pris les places.
Lily se sent nerveuse. De l’excitation mêlée à de l’impatience.
Dès qu’elle met les pieds dans la salle de concert, elle a le sourire
aux lèvres. Finalement, elle remercie son meilleur ami d’avoir eu
cette idée. C’est sûrement la plus belle façon pour elle de dire à
Luke.
Lorsque Luke et son groupe entrent en scène, un cri de
tonnerre envahit la salle. Lily l’avait déjà vu chanter, mais ici, chez
elle, à Paris, c’est autre chose. Les filles sont hystériques. Luke se
met à chanter et Lily a les poils qui se hérissent, elle ressent des
frissons dans tout son corps. Elle connaît toutes les chansons. Alex
chante et danse aussi.
Lily n’en revient pas. Luke a accompli son rêve. Il partage tant
d’émotions avec tous ces spectateurs. Elle regarde tout autour
d’elle. Ces milliers de personnes, sourire aux lèvres, joyeuses et
euphoriques sautant et tapant des mains. C’est grâce à Luke, à son
groupe. Ils sont responsables de ce débordement de joie et de
bonheur. Lily pense qu’il est à la portée de si peu de gens sur Terre
de procurer de telles émotions et soudain elle se sent privilégiée
d’être si proche de Luke.
En plein milieu du concert, avant de chanter My little Lil’, Luke
s’adresse au public en français sous un tonnerre
d’applaudissements et des effusions de cris.
« Quand on rencontre la bonne personne, tout devient simple
et évident. Pour une raison que vous ignorez, vous avez juste envie
de passer le reste de vos jours avec elle. J’ai rencontré cette
personne, elle s’appelle Lily et vit ici, à Paris. Cette chanson, je l’ai
écrite pour elle ».
Alex se met à hurler comme jamais.
– Waow, Lily c’est pour toi !! Tu as entendu ?
Alors tout ceci est bien réel. Lily a du mal à réaliser, mais ouvre
enfin les yeux. Alex a raison, qu’est-ce que trois mois dans une vie ?
Mais il est trop tard, demain, Luke s’envolera au Japon.
À la fin du concert, Alex tire Lily par le bras.
– Qu’est-ce que tu fais ?
– On file vers les coulisses, il faut que tu le voies. Après ce qu’il
a dit pendant le concert, tu ne peux pas partir comme ça. Vous ne
pouvez pas vous quitter comme ça !
Lily lui lance un franc sourire.
– Tu as raison, Alex. Merci !
Les voilà en train de longer la scène, tentant de s’infiltrer dans
les coulisses. Ils n’ont pas franchi les barrières que deux gardes de
sécurité sortis de nulle part les attrapent par les épaules.
« Vous n’avez rien à faire ici ! Du balai ».
Alex commence à se débattre, s’agite.
– Vous ne comprenez pas, les supplie Alex. C’est Lily la Lily de
la chanson My little Lil’, elle connaît Luke, le chanteur du groupe !
– Et moi je connais la reine d’Angleterre, répond un des agents
de sécurité.
Alex les pousse pour passer en force, c’est alors que les deux
vigiles les extirpent de la salle de concert en les traînant jusqu’à la
sortie la plus proche avant de refermer la porte.
– C’était humiliant, s’indigne Alex en reprenant ses esprits, je
suis désolé Lily.
– Ce n’est pas grave, Alex, on aura essayé. Merci de m’avoir
emmenée au concert…
– Non, non, c’est trop bête, ça ne peut pas finir comme ça.
Suivant la foule en direction du métro, Alex et Lily marchent
tête baissée, en silence. La déception peut se lire sur le visage
d’Alex, les regrets sur celui de Lily. Elle se répète une phrase « c’est
trop tard » dans sa tête. Luke avait raison, elle aurait dû écouter son
cœur et son intuition ou plus simplement Alex. Il n’y a rien de pire
que de vivre avec des remords.
Juste avant d’entrer dans la bouche de métro, le téléphone de
Lily sonne.
Luke.
Alex lui fait signe de décrocher.
– Luke ?
– Lily ! Merci de décrocher ! J’avais peur que tu ne me
répondes plus.
– Tout va bien ?
– Bof, je crois que j’ai été nul ce soir.
Lily lève les yeux au ciel. Il a chanté comme un Dieu.
– Je pensais à toi, à nous, je voulais te dire au revoir. Comme
tu sais, je pars demain et…
– Je suis là, le coupe-t-elle.
– Quoi ? Où ça ?
– Au Zénith.
– Ah bon ? Mais qu’est-ce que tu attends ?
Prologue

« Ils vécurent heureux et eurent beaucoup d’enfants ». Pour


Lily, c’est comme ça que l’histoire doit se terminer. Mais comment y
parvenir ? Cette question, elle ne se la pose plus. Lily a compris qu’il
n’y avait pas une façon d’y arriver, mais une infinité de possibilités. Il
n’y a pas non plus une recette miracle, mais des ingrédients pour
réussir et faire durer une relation : de la volonté, de la confiance, de
l’amour, beaucoup d’amour, un soupçon d’audace…
Ce soir-là, après le concert, Lily a fait quelque chose qu’elle ne
se saurait jamais su capable de faire : elle a laissé son meilleur ami
en plan devant le métro, puis elle a couru rejoindre Luke dans les
vestiaires en repassant devant les deux vigiles, qui cette fois-ci l’ont
escortée jusqu’aux loges.
Depuis, ils ne se sont plus quittés.
Le lendemain, ils ont pris l’avion. Lily n’avait aucune valise. Peu
lui importait, elle avait Luke pour seul bagage et cela lui convenait.
Elle a repris un congé, puis a fini par démissionner pour son plus
grand bonheur et pour le plus grand désespoir d’Alex. Dès qu’elle a
posé un pied à Tokyo, elle a su qu’elle avait fait le bon choix et elle a
commencé à travailler. Netflix voulait réaliser un documentaire sur le
groupe et Lily s’est proposée d’être responsable de la coordination
du projet.
La journée, elle travaille pour les Living Sound, et le soir elle
retrouve son Luke. Elle a appris à vivre avec lui et ses millions de
followers. Pour la première fois, Lily ne se pose plus de questions
sur son avenir ou sa vie bien réglée. Auprès de Luke, elle a ce grain
de folie qui rend chaque jour imprévisible et excitant.
Quelques semaines après le concert parisien, Lily a appris
l’annulation des fiançailles de la princesse de Cambridge et de
Mathias. Vu la dispute qu’ils ont eue devant l’hôtel, Lily n’est pas
étonnée. Juste après cette malencontreuse annonce, elle a reçu un
mail ou plutôt une phrase de Mathias qui disait « Si tu veux on peut
se remettre ensemble ». Elle lui a répondu « Je te pardonne, bon
vent », ce qui voulait tout dire.

Luke prépare son deuxième album dans un studio londonien.


Pour une fois, ils peuvent se poser un peu et ne courent plus après
un avion. Lily est ravie d’être près de sa mère et de revoir Zach et
Zélie. Surtout qu’elle attend un heureux évènement. Elle apprécie le
calme avant la tempête. Deux mois après son accouchement, ils
partiront tous les trois en tournée. Mais Lily se sent prête à vivre
cette grande aventure qui est désormais sa vie.

FIN
Remerciements

Je voudrais vous remercier chères lectrices, chers lecteurs.


J’espère que cette nouvelle vous a plu et que vous serez indulgents
avec moi, car c’est la première comédie romantique que j’écris. En
effet, même s’il y a toujours une petite romance dans mes histoires,
elle n’est jamais au cœur de l’intrigue.
C’est chose faite avec All you need is love. Au départ, j’avais
envie d’écrire une comédie de Noël et même si la nouvelle débute
quelques semaines avant Noël, mes personnages avaient envie
d’aller plus loin.
Londres me manque, j’aime tellement cette ville qu’il me
semblait évident que l’histoire se déroule là-bas. J’espère que vous
avez un peu voyagé, j’ai essayé de vous faire découvrir mes
quartiers préférés. J’ai vraiment la tasse Kate et William chez moi, il
faudrait que j’y retourne pour acheter celle de Megan et Harry
(même si je préfère Kate).
Merci à tous celles et ceux qui ont lu Un jour, j’ai changé de
parfum, De joie coulent mes larmes et/ou mes Petites Merveilles.
Sinon, il est encore temps de les découvrir !
Je suis désolée de vous mettre en tête la chanson des Beatles
pour la journée… All you need is love / Love is all you need !!!!
Avec tout mon amour,
Lena
N’hésitez pas à m’écrire : lenawalkerauteur@gmail ou à me
suivre sur les réseaux sociaux. Je serai ravie de vous lire.
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