Numéro 3 (2009)
L'erreur, la faute, le faux
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Lucien Martinot
Les faux, les copies, les restaurations
intensives, les erreurs d’attribution
dans les arts du métal : un champ
d’application de l’archéométrie ?
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Référence électronique
Lucien Martinot, « Les faux, les copies, les restaurations intensives, les erreurs d’attribution dans les arts du métal :
un champ d’application de l’archéométrie ? », CeROArt [En ligne], 3 | 2009, mis en ligne le 21 avril 2009. URL :
http://ceroart.revues.org/index1099.html
DOI : en cours d'attribution
Lucien Martinot
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6 Les fausses patines, formées avec des mélanges acides, seront facilement décelables : elles
sont souvent appliquées à des objets de moindre valeur.
7 Plutôt que de s’attarder à la seule patine, il est préférable d’interroger la matière de l’œuvre.
Examen de cas
8 Tous les faux n’entrent pas dans la même catégorie : ce terme recouvre abusivement des objets
bien différents.
9 La fabrication de pseudo objets gothiques, au XIXe siècle, a pris des proportions
considérables : c’est la période bien connue, en Europe, du « néo-gothique ». La demande
a stimulé l’activité des faussaires. L’apparition spontanée de ces pièces a comblé les vœux
des amateurs qui recherchaient plutôt des objets de décoration pour se meubler selon leur
goût. S’agissait-il de véritables faux ? Notre premier exemple d’analyse porte sur un plastron
d’armure dont l’authenticité reste problématique.
10 La limite entre un faux et une restauration intensive est parfois difficile à définir si une
partie significative de l’objet originel est conservée. L’intervention de l’historien de l’art est
déterminante pour guider la démarche analytique. C’est dans ce contexte que nous avons
examiné un reliquaire médiéval du patrimoine religieux liégeois.
11 Sans que l’on puisse parler de faux, il y a des œuvres qui ont été attribuées à un espace
culturel où elles ne pouvaient pas avoir prix naissance, principalement à cause d’une maîtrise
technologique insuffisante. Les spécialistes peuvent constater l’unicité de telles œuvres sans
apporter rien de plus. L’interrogation de la matière donne alors des bases nouvelles pour revoir
une attribution controversée. Les fonds baptismaux conservés à l’église Saint-Barthélemy de
Liège illustrent bien cette situation.
Plastron de cuirasse
Position du problème
12 Ce plastron a été acquis en 1974 ; il était attribué au « maître armurier D.G.V.Lochorst
d’Anvers » et daté du milieu du XVIe siècle. La décoration est assez élaborée et reprend
des personnages mythologiques, notamment Mars et Minerve5. L’authenticité de cet objet a
été remise en question par certains spécialistes des armures anciennes mais aucune donnée
univoque ne pouvait corroborer cette éventualité. L’examen visuel du verso du plastron
montre une couche noire, épaisse et dense, qui n’existe pas sur diverses pièces de comparaison.
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Ca3(PO4)2- est aussi identifié : la meilleure convergence entre ces résultats de diffraction
et les données de référence démontre que ce phosphate a été chauffé jusqu’à 900-950 °C.
On trouve aussi de l’arséniate de fer -Fe3AsO4- et deux carbures de fer -Fe2C, Fe3C.
Tous ces éléments sont étrangers à une pièce authentique ou encore forgée à la main au
XIXe siècle : un duplicata d’une armure de prestige par galvanoplastie apparaît alors tout
à fait logique. Mais il faut expliquer l’origine de l’arsenic et la composition complexe du
verso. La duplication par galvanoplastie était connue au XIXe siècle. A.D. Wurtz, dans son
« Dictionnaire de Chimie Pure et Appliquée », édité à Paris en 1869, détaille le procédé et
mentionne la copie d’un « bouclier formé de têtes en relief ». L’auteur précise la nature du bain
d’électrolyse : du sulfate ferreux et de l’acide sulfurique qui assure la conductivité du bain.
L’acide sulfurique est la source principale de contamination par l’arsenic. En fonction de la
méthode de préparation en vigueur au XIXe siècle, la teneur résiduelle en arsenic devait se
situer entre 0,12 et 0,25 %. La synthèse au laboratoire de recouvrements de plaques de graphite
par du fer électrolytique confirme la contamination du dépôt par l’arsenic de l’électrolyte.
On peut reconstruire la technique des faussaires. Une empreinte de la pièce originelle est
prise avec une feuille de gutta –percha assouplie par chauffage. Une couche de noir animal
-charbon d’os - finement broyée est appliquée sur la matrice pour la rendre conductrice de
l’électricité. L’électrolyse est conduite pendant plusieurs jours pour obtenir l’épaisseur requise
du dépôt. Le fer électrolytique est assez cassant et il doit être durci par recuit. Le recuit a
pu être simplement réalisé en brûlant à la flamme le support de gutta-percha. La couche de
charbon d’os contient du carbone mais aussi du phosphate de calcium. Le traitement thermique
provoque les réactions chimiques entre le fer et l’arsenic, le fer et le carbone, le fer et le
phosphate de calcium. La structure cristallographique modifiée du phosphate de calcium et
la coexistence des deux carbures de fer prouvent bien l’exécution d’un traitement thermique.
Conclusion
16 La convergence de tous ces résultats dénonce une pièce produite par galvanoplastie, ce que
les examens usuels n’avaient pu démontrer. Dans sa quête complémentaire, le conservateur
du musée Claude Gaier, a pu déceler l’origine de la fraude : un plastron comparable du
Metropolitan Museum of Art (New-York) qui aurait été le centre d’un remaniement en
recourant à des surmoulages voire à des assemblages de moules partiels.
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L’analyse PIXE
18 Les radiographies préalables révèlent un assemblage de trois parties : panneton, tige et
calvaire, la poignée à claire-voie et l’anneau de suspension (bélière) fixé à l’extrémité de la
poignée par des arcs de liaison. Au total, quatorze analyses portant sur toute la longueur
apportent un ensemble significatif de résultats qui isolent bien trois parties coulées en laiton,
alliage de cuivre et de zinc. Les proportions cuivre/zinc diffèrent. Le panneton, la tige et le
calvaire sont d’une même venue avec le même alliage contenant 10 % de zinc. La poignée
titre 20% de zinc et la bélière, 28 %. On trouve, dans les trois parties, du plomb et de l’étain
en quantités variées. L’interprétation des résultats est claire : la clef qui nous est parvenue
n’est pas l’objet original que les chroniqueurs mentionnent. Elle a été modifiée au cours des
siècles. Cette pièce n’a jamais été dorée : le procédé classique de la dorure à l’amalgame
laisse toujours des traces de mercure sur le métal recouvert. Ces traces sont identifiables par
la technique PIXE mais elles sont ici absentes.
19 Pour l’analyste, la teneur en zinc d’un laiton est un marqueur chronologique qui permet
d’avancer une fourchette de datation. L’alliage direct du cuivre et du zinc est resté inconnu
en Europe jusqu’au début du XVIIe siècle. Les métallurgistes romains préparaient le laiton
en utilisant un procédé complexe, dit procédé « à la calamine ». Selon cette technique, des
morceaux de cuivre métallique, du minerai de zinc grillé (calamine) et du charbon de bois
étaient portés à haute température – 900-950 °C – dans des creusets fermés. Ils produisaient
ainsi des laitons à teneur élevée en zinc, de 18 à 20 %. Au Moyen Age, en Europe Occidentale,
la technique romaine était perdue et l’alliage était fabriqué par un procédé moins élaboré : il
nous est connu par le texte du moine Théophile, publié au début du XIIe siècle.7 Il n’est pas
possible de résumer ici « L’histoire du laiton » : nous renvoyons le lecteur à des publications
spécialisées notamment celle de S. Zaccharias.8 Entre le Xe et le XIIIe siècle, les laitons
européens contenaient seulement 10 à 11% de zinc : c’est ce que nous trouvons pour la
première partie de la clef et nous rejoignons ainsi la date avancée par les historiens de l’art. En
revanche, avec 20 % de zinc, nous datons la poignée du milieu du XVIe siècle, en fonction des
performances de la métallurgie européenne. Ce résultat surprenant est difficile à comprendre !
Parmi les différentes hypothèses envisageables, l’historien Philippe George considère être
en présence d’une reconstruction post-médiévale, refaite rigoureusement à l’identique pour
préserver le caractère sacré de la relique. A l’opposé, nous pourrions y voir la partie la plus
ancienne datant du VIIIe siècle, mais réalisée aux alentours de Rome par un « atelier tardif »
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perpétuant l’acquis technologique romain. Pour résoudre ce type de problème, seule l’analyse
des isotopes du plomb est performante, mais elle n’a pu être réalisée dans ce cas.
20 La bélière, avec 28% de zinc et une teneur cumulée en étain et en plomb de 7,7 %, a été
coulée plus tardivement. Le procédé à la calamine ne peut guère produire ce type d’alliage
qui démontre plutôt l’emploi de zinc métallique. Les lingots de ce métal ne seront produits
en Europe qu’à partir de 1750 et ils ne seront largement diffusés qu’au début du XIXe siècle.
Nous supposons que l’anneau a été brisé et remplacé complètement.
Conclusion
21 Sans pouvoir parler d’un faux, cet objet correspond à ce que nous avons appelé une restauration
intensive. Les méthodes de laboratoire discriminent les différentes parties mais sans pouvoir
apporter plus de précisions.
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Conclusion
32 Les méthodes de laboratoire infirment l’appartenance des fonts à l’art mosan : nous sommes
en présence d’une fausse attribution.
33 A ce stade, seule une collaboration étroite avec les historiens de l’art pourrait donner aux fonts
une origine reconnue.
Bibliographie
L . Martinot, « L’archéométrie, une science du patrimoine » dans Malmedy, Art et histoire, Philippe
George Edt, 2009 .
G.Weber, L.Martinot, J.Guillaume,Ph George, « Archéométrie et orfèvrerie mosane : émaux du musée
Curtius sous l’œil du cyclotron » dans B.I.A.L., tome CXII , 2001-2002
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L.Martinot, D. Strivay, J.Guillaume, G.Weber , « PIXE analysis of brass alloys » dans Ion beam study
of art and archeological objects, European Commission , E.U.R.19228, 2000,
L.Martinot, « Les fonts baptismaux de Saint-Barthelemy à Liège: l’ histoire de la matière face à
l’Histoire » dans Bull. Classe Beaux-Arts , Académie Royale de Belgique Tome XVIII, 2007
C.Neelmeijer, I.Brissaud, T.Calligaro, G.Demortier, A.Hautojärvi, M. Mäder, L.Martinot, M.Schreiner,
T.Tuurnala, G. Weber, « Paintings -a challenge for XRF and PIXE Analysis » dans X-Ray Spectrometry
, Vol 29, 2000
Annexe
Annexe 1.
Dans une analyse PIXE, l’objet à étudier est irradié localement par un faisceau de particules – des protons
– produit par un accélérateur, un cyclotron dans notre pratique. Sous l’effet de l’impact des protons,
les différents éléments sous le faisceau émettent un rayonnement X caractéristique ; l’examen de ce
rayonnement permet une analyse qualitative et quantitative.
Annexe 2. La spectrométrie infrarouge est basée sur l’absorption spécifique de la lumière infrarouge
par diverses molécules. Cette technique identifie qualitativement les substances constituant un mélange.
Annexe 3. La diffraction de rayons X est utilisée pour l’analyse des corps cristallins, même présents
à l’état de microcristallites. Un faisceau de rayons X est focalisé sur l’échantillon et chaque type de
cristallites va dévier le faisceau selon un angle caractéristique. L’analyse qualitative est réalisée en
mesurant les angles de diffraction.
Annexe 4. L’analyse des différents isotopes du plomb, de masse 204, 206, 20è, 208 est utilisée par les
géologues pour dater l’âge de cristallisation des minerais de plombs et des roches plombifères. Leurs
publications spécialisées décrivent des « provinces géologiques » pour lesquelles les mesures isotopiques
et les lieux de prélèvements sont recensés. L’application de la technique isotopique à l’archéométrie est
simple dans son principe : les rapports numériques entre les différents isotopes du plomb contenu dans
l’œuvre étudiée sont comparés aux données géologiques, ce qui identifie la provenance du métal. Le
recours à un corpus de référence n’est plus nécessaire.
Notes
1 Pline l’Ancien, Histoire Naturelle, XXXIII, Nature des métaux, Les Belles Lettres, Paris 1999, p. 97
2 J. Phaedrus, cité par Z. Goffer, Archeological Chimestry, J. Wiley and Sons, New York, 1980, p. 347
3 O.Kurz, Faux et Faussaires, Flammarion, Paris 1983, p. 112
4 F. Zeri, J’avoue m’être trompé, Gallimard-Le Promeneur, Paris, 1995, p.p. 78-79
5 C. Gaier, « Le plastron de cuirasse en fer repoussé du Musée d’Armes de Liège » dans Le Musée
d’Armes, N°87, 1997, p.p. 2-15. L. Martinot, G. Weber, D. Stivay, J. Guillaume et R. Cloots, « Etude
archéométrique », idem, p.p.16-27
6 L.Martinot, G.Weber, Ph. George, « La clef de Saint-Hubert » dans Feuillets de la cathédrale de
Liège, n° 21-23, 1996, p.p. 3-22
7 Moine Théophile, Traité des divers arts, traduction française publiée aux éditions du Cosmogone,
Lyon, 1998
8 S. Zaccharias, “The Manufacture of Brass in Medieval Western Europe” dans C.I.M. Bulletin, vol.
77, n° 863, 1984, p.p. 110-140
9 P. Colman et B. Lhoist-Colman, Les fonts de Saint Barthélemy à Liège, Académie Royale de Belgique,
Classe des Beaux-Arts, Bruxelles, 2002
10 R.Recht, « Les ateliers d’orfèvres » dans Le Grand Atelier, Europalia. Europa, Bruxelles, 2007, p.p.
108-110
11 L.Martinot, « Les fonts de Saint-Barthélemy à Liège : une interrogation de la matière » dans Bulletin
Archéologique Liégeois, t.CXIII, publié en 2007, p.p. 107-124
12 O.Werner, „Analysen Mittelalterlicher Bronze und Messinge“, I, dansBerliner beitrage zur
Archaeometrie, vol. I, 1977, p.p. 144-200
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13 L. Martinot, P. Trincherini, J. Guillaume, I. Roelandts, « Le rôle des méthodes de laboratoire dans
la recherche de la provenance de dinanderies médiévales » dans Bulletin Académie Royale de Belgique,
Classe des Beaux-Arts, vol. 1-6, 1977, p.p. 19-36
Lucien Martinot
Lucien Martinot, Docteur en Sciences, présida à la fondation du Groupe Interfacultaire
d’Archéométrie de l’Université de Liège (Laboratoire de Radiochimie, 1989). Il est chercheur
honoraire de l’Institut Interuniversitaire des Sciences Nucléaires (Bruxelles) ainsi que membre actif
du Collège des Alumni, Académie Royale de Belgique, Classe des Beaux-Arts.
Droits d'auteur
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Résumé / Abstract
Diverses techniques analytiques contribuent grandement à l’identification de copies et
d’anomalies chronologiques difficilement décelables par l’examen visuel d’un objet ancien.
L’analyse de la matière permet de situer une œuvre par rapport à l’acquis technologique de
la société qui a pu la produire et ainsi, de fournir des informations précieuses aux historiens
de l’art et aux conservateurs de musées. Nous développons dans cet article trois cas bien
spécifiques.
Mots clés : faux, arts du métal, copies, reconstructions abusives, attribution erronée
Various analytical techniques markedly contribute to the authentification of metal antiquities
when visual judgments no more suffice to detect fakes, forgeries or extensive restorations. A
careful analysis of the property of the materials from which the artefacts were made is often
able to demonstrate an anachronism. In this paper, we evidenced three typical researches
capable of supporting historians of art and curators opinions.
Keywords : metal artefacts, fakes, forgeries, extensive restorations, false attribution
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