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Maurice Gontard

La culture de la lavande en France


In: Les Études rhodaniennes. Vol. 16 n°1, 1940. pp. 43-60.

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Gontard Maurice. La culture de la lavande en France. In: Les Études rhodaniennes. Vol. 16 n°1, 1940. pp. 43-60.

doi : 10.3406/geoca.1940.4487

http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/geoca_1164-6268_1940_num_16_1_4487
LA CULTURE DE LA LAVANDE

EN FRANCE

par Maurice GONTARD

Dans le cadre impressionnant et sauvage de nos Alpes du


Sud, les lavandes donnent au paysage une noie de gaieté, de
rnuleur, de parfum. Mais la lavande, symbole fleuri des Alpes
Provençales, n'est pas intéressante à ce seul litre. Elle joue
actuellement un role humain et économique important, bien
que récent dans la vie des régions qui la produisent.

I. — Li: hole di: la lavvmh: dans lk mom ж

\. La lavande jusqu'au w" siècle

A vrai dire, dès la plus haute. <mli(}iiilé la lavande est connue


et utilisée. Elle l'est sous sa forme de fleur par les (Jrccs, les
Romains, les hommes du Afoyen \pc. On l'apprécie surtout
alors comme médicameul. Pline l'Vneien la recommande
<■ pour calmer la coxalgie el soulager aussi les douleurs de
poitrine m. Vu Moyen .\«re, l'ahhesse Hilde^-arde préconise
l'emploi de l'eau de lavande pour combattre l'inflammation
des paupières. — .1//. début du \\f siècle, une première révo-
44 MAUHICK GOYIAMI)

UUion se produit dans l'histoire do la lavande ; révolution


double : 1° c'est alors que Гон commence à préparer, par dis
tillation des fleurs, l'essence de lavande ; 2° les usapes de la
lavande sous sa forme essence se développent ; c'est alors
qu'elle s'introduit dans la parfumerie. \ la fin du xvme siècle
Леан-François Demacliy donne sur la récolle, la distillation et
la venle de la lavande à celle époque des renseignements très
inléressanls : « lorsque l'espèce de lavande... est en Heurs, les
bergers vont chercher un jrrand alambic; en cuivre..., ils cou
pent les épis fleuris, remplissent la chaudière, couvrent hermé
tiquement avec le chapiteau puis allument un «rrand feu..., et
reçoivent dans une grande bouteille de verre l'essence qui
vient à s'écouler en filet... Après (pie la saison d'élé est passée,
les distillateurs vendent à prix réduit le fruit de leur travail
en teni[)s perdu » ~. Récolle « en temps perdu » par des ber
gers, dans les régions voisines des grandes vallées, axes de
circulation ; distillation primitive. ; vente à quelque intermé
diairequi jra nie pour lui le plus net du bénéfice (« à prix
réduit ») : tels sont les caractères de l'exploitation de la l
avande jusqu'à la fin du xix" siècle. Dans de telles conditions
d'exploitation, la récolle est faible (1.000 kilos d'essence en
1885 ; se vendant 10 francs le kilo), l'influence sur la vie
humaine est négligeable ; le role économique est des plus
mince.

H. La révolution du x\" siècle.

Une deuxième grande révolution dans l'histoire de la l


avande se produit à l'aube du xxe siècle. La demande mondiale
d'essence de lavande croît dans d'énormes proportions ; la
courbe des prix suit celle de la production. De 1.000 kilos en
1885 la production d'essence monte à Î.'ÎO.OOO en 1929. De
10 francs en 1890. le prix de l'essence passe à .400 francs en

2. Jean-Francois Dkaiachy. L'Art du Distillateur tics


Paris, 1773.
í.l LTUHE DE LA LAVANDE EN FRANCE 4fi

""" Limites
de la deLavande
la culture
Région de forte production

.
de production moyenne
'/////Л _ de faible production.
Sault : Usine importantede distillation.

Fig1. 1. — Esquisse de l'extension de la culture


de la lavande en France.
4() MAURICE (;О\ТА1Ш

1920. La lavande devient alors un facteur important de la vie


humaine et économique des répions productrices.
Elle entre dans la géographie. Pourquoi cette transformat
ion ? La consommation de lavande a crû d'abord sous l'i
nfluence de facteurs d'ordre général : progrès du bien-être,
développement des voies de communication favorisant les
échanges, accroissement de la richesse. Elle a crû surtout
parce que les emplois de la lavande se sont multipliés en
même temps que les débouchés.
»
1° Les emplois. — Les épis de lavande séparés de leur tige
servent de plus en plus à garnir des sachets à parfum pour
aromatiser le linge. .Mais l'essence surtout connaît une grande
faveur. On l'utilise dans la parfumerie, dans la composition
des vernis, dans la pharmaceutique ; plus encore dans la s
avonnerie. Aujourd'hui cette seule industrie de la savonnerie
absorbe les 8/10e de la production totale de l'essence.

2° Les débouchés. — Sous ses diverses formes, sous ces


multiples emplois, la lavande s'est fait apprécier du monde
entier. La Chine, le Japon, la Russie, l'Allemagne sont d'im
portants acheteurs. Mais la lavande doit surtout sa fortune
récente à la faveur que lui ont réservée les deux grands pays
anglo-saxons : Etats-Unis, Angleterre. Dans ces deux pays, le
savon à la lavande est d'usage courant. A Chicago, d'im
menses savonneries transforment en savon à linge la graisse
des porcs tués aux abattoirs, enlevant à ce savon son odeur
primitive par l'addition d'essence de lavande.
La demande de lavande croissant, la production s'est intens
ifiée, favorisée elle aussi par des facteurs d'ordre général :
amélioration des voies de communications, déblocage des
régions reculées, à cette lavande dont la consommation est
devenue mondiale, est restée, pour la production, le quasi -
monopole de. In France. La France, qui existe à peine dans
la consommation, fournit de 90 à 9ô % de la production mond
iale de lavande (90 à 95 tonnes sur une production mondiale
d'une centaine).
Mais en France même, la lavande est strictement localisée.
СГЬТГНК DE LA LAVANDE EN FRANCE 4<

('/est, à uni1 petite région bien délimitée que la récente révo


lution dans l'histoire de la lavande est venue apporter richesse
cl prospérité.

П. L'aIHE GEOGRAPHIQUE DE LA LAVANDE FRANÇAISE

À. Les exigences de la plante

La •< lavande vraie », de la famille des labiées, est une plante


assez touffue, se développant sous une forme arrondie et r
amas ée, avec ti^es florifères nombreuses. La hauteur atteint
de .°>0 à SO cm. ; son diamètre 90. La floraison des li^es se fait
de mi-juillet à fin août. Les fleurs sont alors d'un très heau
bleu ; c'est l'époque de la cueillette. La vie de la plante est
assez variable : dix à douze ans au maximum ; sept à huit ans
en moyenne. Celte plante exifre pour prospérer des condi
tions physiques assez précises qui la localisent très strict
ement. Ces exigences sont de deux sortes : exigences de climat,
exigences de sol.

1" Exigencies de climat. — Examinons-les aux trois points


de vue successifs : température, vents, précipitations.
a) Température. — La lavande semble avoir des exigences
contradictoires. Elle a besoin de beaucoup de lumière ; c'est
une espèce de soleil. Sous le couvert de bois, la plante s'étiole,
s'allonge et dépéril.. En sens inverse, elle n'aime pas les fortes
températures.

b) Venin. — La lavande ne craint pas le vent : au contraire.


Dans les vallées étroites, mal aérées, les [liantes restent petites,
malingres. Elles sont plus vigoureuse?, l'essence est plus riche
dans les vallées larges et aérées.

c) Précipitation*. — La lavande n'aime pas l'humidité. Le


brouillard est un de ses ennemis redoutables. Au contraire
elle s'accommode fort bien de la sécheresse, à condition que
celle sécheresse ne s'étende pas toute l'année. La lavande a
48 MAURICE OONTAKI)

besoin d'humidité pendant sa saison végétative, an moment


du plus fort développement de la plante, en avril-juin.
De telles exigences de climat expliquent la localisation de
la plante. Supportant bien la sécheresse, aimant le soleil, la
lavande est une plante méditerranéenne : mais, s'étiolant sons
de fortes températures, il lui faudra fuir les régions basses,
^a^ner l'altitude. L'altitude de prédilection de la plante, celle
qui donne les meilleures essences, est l'altitude 700-1. 000 m.,
altitude particulièrement développée dans les Préalpes du sud.
Or, précisément dans ces régions des P réal pes, la lavande ren
contre le plus souvent des conditions de sol très favorables.
2° Exigences de sol. — La lavande, certes, n'est point diffi
cile à nourrir. Nous la voyons se développer sur des tas de
pierres, s'accrocher aux rochers, aux talus des rivières... Ft
pourtant elle ne peut s'accommoder de sols siliceux : c'est, une
plante silieifupfe. On cite l'exemple célèbre d'Vnnot. La rive
gauche de la Vaïre, constituée par les jrrès d'An not est cou
verte de châtaigniers, la lavande fait complètement défaut. 1-е
Папе droit de. la vallée, en formations calcaires, est un océan
de lavandes bleues. Toutes les grandes régions de lavandes
sont des régions de sol très calcaire.
De telles exigences physiques expliquent le domaine .l'e
xtension de la lavande.

H. Le domaine de la lavande française

1° îm « première zone de la lavande. — l ne grande région


de production se détache en premier plan sur une carte 'le la
lavande. C'est ce que l'on a appelé la « première zone tle la
lavande ». Elle couvre les Raronnies, le revers du Ventoux et
de la montagne de Lure (c'est-à-dire l'immense plateau de
Saint-Chrislol). Tout dans cette région explique le développe
ment de la lavande. Le sol est calcaire ; l'altitude moyenne ;
le climat déjà méditerranéen mais de température atténuée
par l'altitude et la latitude moins méridionale. \u total, cette
zone qui s'étend sur les quatre départements de la Drome, du
Vaueluse, des Hautes et des Hasses-Mpes, fournit à peu près
cm/rum: nr. la lavvnih: i:\ frange 4!)

les trois cinquièmes de la production française. Les cantons


<:ros producteurs sont ceux de Séderon (Drômc) avec 9-10.000
kilos d'essence, Saidt et Api dans le Vaucluse (plateau de
Saint-Cihrislor< ([ni totalisent 11-12.000 kilos.

2" Les zones secondaires de production. — Au delà de celle


grande zone de production , la lavande existe bien ailleurs
dans l'ensemble du monde méditerranéen français. Mais elle
n'y donne lien qu'à nue faible exploitation ; son role dans la
vie du pays est de minime importance ; on n'est plus dans la
zone d'habitat normal et de grande exploitation de la lavande.
On peut classer en trois groupes les régions secondaires de
production :
a) La lavande se rencontre d'abord dans les régions conti
nues à la zone de grande production :
Ли Xord, dans le Diois, où elle est à l 'extrême Nord de son
habitat ;
l l'Ouest, dans les canlons de \vons et Buis-les-Baronnies
(4.000 kilos au total), mais l'altitude esl déjà trop faible pour
que la qualité de l'essence soit bonne.
Au Sud, dans les régions de ('adenet, Perlhuis, Manosqne,
Valensole et même dans les Houches-du-Rhone (à .Touques,
et jusqu'au \ord des Ylpilles) ; mais le climat est ici trop
méridional, la température trop élevée ; et la lavande, à demi
dégénérée, ne fournil qu'une essence assez peu estimée.
1 l'Est, enfin dans les Hautes et Basses-Alpes, où on la
trouve jusque dans le Capeneais et même Briançon ; mais le
climat ne lui est pas favorable et elle est Irop clairsemée pour
cire récollée avec profit.
h) Dans les Alpes-Maritimes, des parfumeurs de Grasse ont
établi quelques plantations de lavande dans les canlons de
t'oursepoules. Le Baux, Saint- Yuban ; au total la production
atteint .'5.000 kilos environ.

c) Enfin dans le Sud-Ksi des Basses-Mpes existe un centre


imporlr.nl de production de lavande : la région de Caslellnne,
Bairême, Annot. La lavande, encouragée avant la guerre par
Г)(| MAIJRICH CONTARD

l'industrie allemande qui y avail établi une important dis-


lilleric, a connu un brillant essor ; elle atteint une production
moyenne de ."> à (5. 000 kilos d'une essence très estimée.
Dans loules les régions grosses productrices, la lavande a
vraiment créé une vie nouvelle.

III. — L'noMMfï i:t la lavamje.

("elle vie nouvelle revêt divers aspeels : entretien des lavan-


deraies, récolle puis distillation de la lavande, vente de l'e
ssence.
A. L'homme cl les lavanderaies.

L'homme ne s'est pas contenté longtemps des récolles que


iui fournissaient les lavanderaies sauvages. La récolle dans les
lavanderaies naturelles est difficile car la piaule pousse capr
icieusement : c'est ail bord d'un chemin, dans la feule d'un
rocher, sur les ruines d'un vieux mas écroulé (pie la main
alerte du coupeur doit aller la cueillir. La raréfaction de la
main-d'œuvre, l'augmentation du prix des journées augment
aient encore les difficultés de la récolle dans les lavanderaies
naturelles, an moment même où, la demande s'aeeroissant, le
prix rémunérateur de l'essence rendait la piaule <■ payante .»,
c'est-à-dire susceptible de retenir l'attention de l'homme.
Mors, peu à peu, depuis 1Í32O, à la simple utilisation des pro
duits du sol qu'était l'exploitation primitive des lavanderaies
nalurelles, s'est substituée la culture intensive de la lavande.
L'action de l'homme a été diverse :
1° // a aménagé les lavanderaies naturelles, lorsqu'elles s'y
prêtaient, en y effectuant un labour, chaque année, au prin
temps. Après ce travail, les plants de lavande sont moins
nombreux, ont [tins d'air, ne se dévorent plus entre eux, pros
pèrent normalement.
2" 11 a « créé » des lavanderaies, les lavanderaies plantées.
Au printemps, le cultivateur défonce le sol de la future la-
( I LTl HIT I)K LA LAVANDE F.\ FRANCK 01

\ aiidfi н if. élimine les mauvaises herbes par une culture Jeté
-uperficielle. piaule en automne. Les plants sont disposés en
nuitées parallèle*, à un mètre de distance. Ces lavandes une
fui* plantées, pendant les six à huit ans que durera la plan
tation, il leur donnera chaque année \m labour au printemps.

'i" // défend la lavande contre ses ennemis. — Ces ennemis


-ont nornhreuv. Ce sont des végétaux rivaux (huis, thym, <:ra-
niinéo diverses4! : l'homme les élimine par les lahours donnés
:.uv iavanderaie*. Ce sont des parasites végétant (cuscute,
pounidié. ou animaux (larves, chenilles, arai^néesi: l'homme
détruit c(n ennemis et protège la lavanderaie en hrùlant les
filants atteints. Ce sont parfois lea moutons. La question est
très déhaltiie. Le moulou nuit-il, ne nuit-il pas à la lavande ?
Les uns voient dans le moulou un hienfaiteur de la lavande :
n'ayant aucun poùt pour l'odorante lahiée, il la défend
par sa dépaisance contre les mauvaises Iierhes ; la diminut
ion du pâturage ovin dans les montagnes aurait entraîné une
régression très sensihle de la lavande. En sens inverse les
autres s'étendent sur les « méfaits » du troupeau. La circula-
lion des troupeaux dans les lavanderaies est nuisihle à la l
avande qu'ils piétinent : le mouton n'aime pas la lavande,
mais, dans les années maigres, la faim triomphe, de sa répu
gnance. Moulons et lavande s'excluent ; si le mouton dispar
aît,des montagnes, c'est qu'il en a été chassé pur la lavande.
Les uns et le* autres semhlent avoir raison. Comment concil
ierles deux thèses .' Le moulou peut nuire effectivement à la
recolle de lavande lorsque l'herhe est rare, c'est-à-dire dans
les mois de -échere^se, juillet-août. Avant le mois de mai,
après la récolte, en juillet-août, le risque n'existe plus. Le
mouton devient utile à la plante: il détruit les mauvaise*
herhes, apporte son entrais ; et il est utile surtout dans les
lavanderaies naturelles, car, dans les lavanderaies plantées,
rhornme aver- -on entrais et sa charrue le remplace avanta
geusement.
Ainsi, dans les grandes régions de lavandes, culture, entre
tien, défense des lavanderaies, constituent un des éléments
52 MAURICE GONTAUD

importants de la vie du paysan. La lavande envahit totalement


celle vie au moment de la récolle.

B. La recolle de la lavande.

Vers la fin juillet, aussitôt la moisson terminée, la lavande


est prèle pour la récolte. Il s'apit de couper tiire et fleur, qui
contiennent l'essence. Il faut opérer au plus vite, car la ré
colte est à la merci d'un orape, d'une grosse pluie. Les com
munaux, les propriétés domaniales de l'Etat (Yentoux par
exemple) sont donnés eu adjudication. La récolle commence.
Les petits propriétaires partent, avec leur famille, couper »ux-
memes leur lavande. Les grands propriétaires, les grosses mai
sons de parfumerie qui possèdent de vastes lavanderaies
d'étude, emhauehenl la main-d'œuvre disponihle : main-
d'œuvre locale d'hommes et de femmes du pays. Les uns sont
employés à la journée : •*!() francs en moyenne et nourris ; les
autres à la tache : de 20 à 40 francs pour la coupe de 100 kili»
de Heurs. Des essais de remplacement de celle main-d'œuvre
locale par des équipes d'Arméniens ou de chômeurs, heaucoup
moins exigeants n'ont donné aucun résultat : la cueillette
étant assez délicate, cette main-d'œuvre de rencontre mutilait,
le corps de la plante, dont la santé, parlant les récolles futures
se trouvaient compromises.
La vie est pénihle, mais elle est a^réahle, << à la lavande ••.
Le matin, de honne heure, c'est le dépari des .. lavandiaires »
sur la charrette, avec le matériel nécessaire au travail (draps
de toile, les « hourras »; faucilles; volants), avec le repas froid
de la journée1. Sitôt sur le terrain, les hourras sont déployés;
puis les coupeurs se mettent au travail : en ran<r dans les
plantations, en handes plus ou moins espacées dans les lavan
deraies naturelles. A pleines poignées, des heures durant, le
« lavandiaire » moissonne fleurs et tijres de la précieuse
plante. II les dépose dans un sac qu'il porle sur le dos • le
sac plein, il va le vider dans le « hourras ... L'heure (\[i dîner
arrive. Tout le monde quitte le travail, l'on s'assied à l'om
bre autour d'une source voisine, d'un puits. Les différents
CI'UIMU-; I)F. LA LAVANDE EN FRANCE -)-j

plats son! dévorés, avec quel appétit, au milieu des conversa-


lions animées et de joyeux éclats de rire. Puis c'est la sieste;
И le travail reprend jusqu'au coucher du soleil. Alors les
coupeurs rentrent généralement au village. Parfois, cepen
dant, lorsque, la lavanderaie est éloignée du village, dans la
montagne, autour d'un vieux nias, d'une ancienne ferme,
les coupeurs ^'installent dans celle ferme, ce mas pour toute
la durée de la récolte et la montagne reprend temporairement
sa vie, son animation d'autrefois.
Mais cette vie de la récolte, si originale, si active, n'est
pas longue: elle ne dépasse pas, en général, une quinzaine
de jours.
C) Les fleurs mondées

Гпе partie de la récolte est destinée à la préparation de la


« (leur mondée >*. Ti«res et /leurs sont étendues à l'ombre des
hangars. Une fois séchées, elles sont battues à la fourche ou
au fléau, pour séparer la Heur de la lige. Les fleurs et 1i«.res
ainsi obtenues sont ensuite passées au ventilateur à blé. La
ileur est mise en sac, puis vendue. Le grand centre de com
merce de celle fleur est lîuis-les-Baronnies avec sa foire de la
Saint Laurent. Le prix des fleurs est très variable, suit le
cours de la lavande ; h; kilo de fleur mondée se vend a peu
près de cinq a dix fois plus que le kilo de fleur coupée et
réservée à la distillation. Mais cette production de fleurs mond
ées ne retient qu'une partie presque négligeable de la lavande.
La .quasi-totalité de la récolte va à la distillation, avec, en
vue, la production de l'essence que contiennent les fleurs à
raison de 700 i:r. d'essence pour 100 kilos de fleurs.

I)) La distillation de la lavande

La lavande doit être distillée le plus toi possible après la


cueillette, car elle perd assez vile son essence. Comment, par
qui esl distillée celle lavande ?

1 " Le petit propriétaire qui ne récolte dans ses lavanderaie*


que quelques quintaux de fleurs et ne peut supporter les frais
Г>4 MAURICE (.О M'A МП

d'achat d'un alambic vend sa recolle aux I'll) kilo^. Le prix


ем est fixé chaque année entre acheteurs el, vendeurs, selon
le cours de l'essence.
2° Nombreux sont, au contraire, les pelî'ts propriétaires et
fermiers qui récollent assez de lavande pour >e prrmellre
l'achat d'un alambic individuel. Ils n'ont pas à leur sujet
de difficulté avec la Récrie, qui exi^e simplement une fo
rmalité de déclaration. La fabrication, la réparation de ces
petits alambics de campagne à feu nu sont, dans le< régions de
lavande, une nouvelle source de prospérité pour l'artisanat
rural, (les appareils sont d'une contenance moyenne de
100-120 kilos de fleurs. La distillation commence le malin
à 8-9 heures, pour s'arrêter au coucher du soleil. Le travail
est simple On «rarnit la chaudière de Heurs, puis on pince
le chapiteau sur la chaudière et l'on alimente le feu. Vprès
une heure environ, lorsque toute l'essence est évaporée1, l'on
décoiffe l'appareil, et l'on sort, avec une fourche en fer, les
epis décoloré>. Simple, ce travail n'est pas pénible. D'ordi
naire c'est le ^rand-père à^é qui est chargé de conduire l'opé
ration pendant que les jeunes sont encore à la cueillette.
M est d'ailleurs rarement seul : petits rentiers du pays, villé-
irialeurs. touristes sont assidus auprès des alambics. \u bout
de quelques jours, quatre ou cinq environ, la distillation de
la récolle familiale est terminée. Le rapport n'est pas énorme,
car la production ne dépasse pas quelques kilos d'essence, <A
l'amortissement de l'alambic est lonp\ Mais le paysan est tou
jours heureux de posséder son alambic, de pouvoir parler de
sa distillation, de son essence. La possession d'un alambic le
classe parmi les notables du village.

o° Àu-desMis de ("es petits propriétaires viennent, dans


l'échelle sociale, les moyens cl grands propriétaires, et les
distillateurs qui, outre leur récolte familiale, centralisent ei
distillent la Heur achetée aux petits récoltants. La production
peut alors atteindre 80 à 1.00 kilos d'essence, parfois plus.
Pour eux la lavande devient une spéculation réellement inté
ressante
CITI/ПТНК ПК Г-Л L.\V\M)E KN FHANCK •)•)

4" Arrivent enfin les firmes industrielles qui distillent les


fleurs ((d'elles produisent elles-mêmes dans leurs lavanderaies
■• d'étude » et surtout celles qu'elles achètent aux petits exploi
tantspar l'iniermédiaire de courtiers. Elles emploient des pro
cédés plus compliqués, des appareils plus coûteux pour l'ex
traction de l'essence : distillation à vapeur avec systèmes de
bascule ou de levage, extraction par dissolvant. D'ailleurs
leur part, dans la proportion de l'essence reste faibli4.
Pour <[ue l'essence ainsi obtenue passe» du propriétaire, bas-
alpin à la grande savonnerie américaine de Chicago, une
organisation minutieuse du marché a été nécessaire1.

E. L'organisation du marché de la lavande

\u centre1 ele1 l'organisation, la pièce maîtresse* est consti


tuéepar les pros négociants ele lavande : Maison Reynaud,
ele Monlbrun-les-Hains, spécialisée* elans la lavande ; Maisons
de parfumerie- ele* Grasse* s'inléressant à tous le*s parfums
(Chiris, Tombarel, Houre-Herlranel,..). L'organisation établie*
par ces ^rros négociants est double : elans les régions ele pro-
duclion, elans les pays de*, e-enisommalion.
1" Dans les régions de production. — Chacune eles firmes
entretient eles courtiers, en liaisewi const a n le ave-c elle*, rece-
vant \v< ordres el'ae'hal (epiantilé, [>rix) par téléphone < > 1 1 télé-
.iri'iinnm: chiffré, ('es courtiers régionaux, travaillant en génér
alelans le cadre el'un eléparlement, < > 1 1 1, eux-mêmes sous
h'iirs ordres des courtiers locaux, ele*s sous-courtiers, travail
lant en général dans le* cadre élu e-anlon. Courtiers et. sous-
courtier? travaille*nl à la commission (ele .*> à ô fr. par kilo el'es-
se'iice* acheté). La «rrande camj)atiiie jîoiii1 l'essence сеншпепсе
entre* e-ourliers au début de la elisiillaliem, vers le 15 ae>ùt envi
ron. Elle se* poursuit plus eui menus longtemps, seh)ii Ie*s née-es-
silés de la consommation : en général les grosses ventes son f
terminées pour la Toussaint. Lorsejue la Maison a besoin d'es-
^e'iice, elle alerte ses courtiers, ceux-ci les sous-courtiers, et.
la'
l'on part à recherche ele l'essence*. Ils vont trouver les pro
ducteurs au champ, à la ferme, s'épuisent en arguments des-
K <;омлш)

tim's a leur prouver lu nécessité do la vente, la chute prochaine


des prix. Mais, plus rpi'à domicile, les achats se font surtout
dans les marchés el les foires. Les petits producteurs s'y ren
dent porteurs d'échantillons de leur essence. Ils vont trouver
les courtiers et sous-courtiers des différentes Maisons, leur pré-
seni.ent leur marchandise, se renseignent sur les prix. Les
courtiers, pour apprécier les qualités de l'essence, qui leur
est offerte, la flairent, retendent sur la paume de la main,
font des offres, discutent. Chaque pel i t chef-lieu de canton
possède sa foire de la lavande, généralement du 1"> août au
15 octobre. La plus connue est celle de Di<rne, qui doit son
renom à la présentation el à l'étude d'échantillons venus de
toutes les régions productrices. V coté des foires, les marchés :
les plus importants pour les affaires qui s'y traitent sont ^eux
d'Vpl el de Sanll. La vente conclue, soit à domicile, soit au
marché, l'essence est à la disposition du courtier qui va on
prendre livraison chez le pavsan. Dès le \vine siècle le physi
cien Demachy parle de certains distillateurs qui laissent de
« l'eau mélangée à l'essence... qu'ils comptent se faire payer
comme elle ». \efuellement le paysan no laisse pas d'eau : la
fraude est trop facilement décelable. Mais il peut frauder par
d'autres procédés beaucoup plus délicats à déceler (pétrole
désodorisé, par exemple), \ussi, lorsque le courtier vient
chez le. paysan « lever » l'essence, arrive-t-il avec des чрра-
reils de mesure assez complexes qui lui permettent de la peser,
de prendre sa densité... ("e n'est qu'après ces épreuves qu'il
considère l'achat comme effectué. Tl paye le paysan, emballe
l'essence dans des tonneaux de tôle forte plombés rigoureu
sement, et l'expédie à sa Maison.
'2° Dans les régions de consommation. — V cette organisa
tion dans les pays de production correspond une organisation
semblable dans les pays de consommation, Angleterre et
Etats-Unis spécialement. D'abord des voyageurs venus de
France, personnages de qualité, administrateurs, sous-direc-
leurs des Maisons d'essence, vont, chaque année, au moment
de la saison de vente, effectuer des tournées dans les pays
acheteurs. Л coté de ces \oya«,reurs, chaque Maison possède,
CULTURE DE LA LAVANDE EN FHANCE >)|

à demeure, dans les pays acheteurs, des courtiers concluant


sur place les marchés avec les parfumeries et savonneries.
\insi la lavande, avec l'essor considérable de, sa product
ion,le développement inattendu de son marché, a pris,
depuis trenle ans, une place très importante dans la vie des
n'irions productrices. Elle a puissamment contribué à l'amé
lioration générale de leur situation économique. Elle a donné
un sérieux complément de ressources aux habitants de ces
montagnes pauvres. Ce role, bienfaisant se manifeste dans tous
les domaines : nourriture, habillement, habitat, outillage
agricole. Пне aisance plus large se répand partout. La vie
devient plus aisée, plus facile. Crilérium particulièrement
probant de l'accroissement du niveau de vie du pays, le nomb
re des véhicules automobiles s'accroît chaque année dans
ces régions.
L'importance de celle lavande dans la vie économique des
pays producteurs ne rend que plus grand le problème de
l'avenir de la lavande. En quoi consiste ce problème ?

IV. — La vie économique de la Lavande

Produit français, entièrement vendu hors de France, la


lavande, mal soutenue par le marché national, peut-elle espé
rerconserver sa clientèle internationale ?
En fait, depuis 191.8, début de sa grande faveur, son
hisloire a connu pas mal de vicissitudes qui ont profondément
influé sur les conditions de la production. Voyons cette his
loire agitée. De 1918 à 1920, par suite de la dépréciation de
la monnaie française, et de la consommation croissante des
pays anglo-saxons, la hausse des prix fut vertigineuse ; le
kilog d'essence de lavande atteignait 45 fr. en 1918, 140 fr.
en 1919, 200 fr. en 1920. Puis la crise générale des parfums
en 1921-192o, la disparition de la Russie comme pays achet
eur, la désaffection des savonneries anglo-américaines par
suite des prix, devenus prohibitifs, de l'essence, amenèrent
5
Л8 MAUJUCE (;ONTARD

une. clinic brusque des prix : 80 fr, en 1921, (И) fr. en 1922. La
crise, bien qu'ayant atteint le Sud-Est, fut cependant assez
peu sensible: la lavande n'était pas encore entrée dans la
vie du pays, la production française ne dépassait jjruère
20 tonnes. D'autre part, dès 192o, le péril était conjuré, car
les consommateurs américains réagirent devant le boycottage
du produit par les savonneries, les fabricants furent contraints
de. revenir à l'essence de lavande. En 192H le cours de 100 fr.
était dépassé ; puis la dépréciation du franc favorisait à nou
veau l'rssence qui montait à 200 fr. en 1924, 280 fr. en 1925,
'5G0 fr. en 1920. A un tel prix l'essence de lavande présente
un rapport considérable : 12.000 fr. à l'hectare pour une
plantation. Le rapport, joint à l'impossibilité pour les lavan-
deraies naturelles jusqu'ici à peu près seules exploitées, de
fournir à la demande, amena, à partir de 1924-1925, une véri
table ruée vers la lavande, mine d'or inépuisable. Les plan
tations se multiplient ; le blé disparaît ; les prairies elles-
mêmes ne sont pas épargnées. En même temps la lavande
s'étend de tous cotés, dans des régions bien au delà de son
habitat naturel. Le résultat de celle folie collective ne tarda
pas à se faire sentir. Au bout de trois ans, la production de
lavande avait augmenté dans des proportions considérables :
(H) tonnes en 1924, 100 tonnes eu 192T, Ш tonnes en 1929.
Et. l'on plantait toujours. Alors, en 192(5, la chute des prix
commença. De iï(îi) fr. en 1920, ils tombèrent de cascade m
cascade jusqu'à (>f> fr. en 19-42. dependant la surproduction
ne suffit pas pour expliquer celle chute catastrophique.
D'autres causes sont à invoquer : concurrence naissante de
l'TÎ. 11. S. S., de l'Italie ; surtout la sous-consommation mond
iale, en particulier la sous-consommation de Г Vn^leterre, de
l'Amérique. Pourquoi cette sous-consommation "} Essentie
llementparce qu'après la chute de la livre et du dollar en
19-Î2, la lavande française, entrant dans la composition de
produits courants, est trop chère à l'étranger. La lavande est
remplcée dans la savonnerie par des essences bien moins
fines, mais moins coûteuses (lavandin, aspic).
Devant cette ^rave crise de la lavande, les petits planteurs.
ГПЛТПЕ DE LA LAVANDE EN FRANCE 59

désillusionnés, commencent к arracher les plantations. Puis,


recherchant la cause de la mévente dont . ils sont en grande
partie responsable. Us s'en- prennent' aux- négociants.. Ceux-ci;.
«lisent-ils, ont ruiné, la lavande française en la •* fraudant » :
ne cite-ton; pas tel négociant qui* vend 80 fr.,. sous le. titre
• l'essence de lavande, un produit qu'il a payé 200 fr. ? Ce n'est
doncpas de l'essence pure qu'il écoule, et cela au détriment
du. producteur français à qui son essence restera pour, compte.
On demande alors aux lois deréprimer la fraude. Les négo
ciants répondent i très justement : si nous voulons conserver
les marchés, il nous faut vendre à bas prix ; l'essence de
lavande étant trop chère,- nous sommes obligés, pour l'écoul
er, de la mélanger à d'autres essences. Vendre de -l'essence
fraudée ou ne rien vendre : il nous fallait^ choisir.
La situation, des plus critiques en 1932, se rétablit peu à
peu еш 1934-1935. Devant la destruction des plantations, la
production diminue : 40 tonnes en 1933, 50 tonnes en 1934,
55 tonnes en 1935. En présence de cette sous-production les
prix de l'essence: se rétablissent : 130 fr. en 1933, 170 fr. en
1934, 200-260 fr. en 1935. Avec la hausse des prix les paysans
replantent. Mais à 250 fr. l'essence était à nouveau beaucoup
trop chère pour les Etats-Unis, l'Angleterre, dont les monn
aies ne valent plus que 15 et 70 francs. A 250 francs, l'essence
exportée en Amérique coûtait cinq fois plus qu'en 1932. Dans
un article de Soap de février 1935, le Docteur Ernest Guenther
assure que les prix élevés rie l'essence causeront un- dommage
considérable à l'industrie de la lavande, car de plus en plus les
manufacturiers américains seront obligés de s'en passer. De
fait,. dès le début' de farinée, 3(5, les cours sont en baisse. Un
seul remède possible, aux yeux des Américains : •< Pourquoi la
France, demandait le Docteur Guenther, n'abandonne-t-elle
pas l'étalon-or ? *>. La dévaluation; s'est prodiiil.o ; elle a st

imulé le marché de l'essence. En 193f>, l'essence de lavande


revoit --le- coup* de 200 f г., en 1937 elle a atteint 250 fr. Mais,
depuis, en 1938, les prix ont à nouveau baissé : l'essence se
maintient actuellement au niveau de 200 fr. La vente en, pays
ango-saxon est de plus en plus difficile. Le monde consacrant
5*
GO MAURICE GOXTAIU)

toutes ses ressources aux industries d'armement» délaisse les


articles de luxe, qui 'ne sont pas indispensables.

La lavande française, produit de consommation mondiale,


n'a pas un avenir bien assuré, car il repose presque entièr
ementsur des achats extérieurs. Que les marchés fassent défaut
et la crise est certaine. Plusieurs solutions ont été proposées
pour remédier à cette situation : développement de la consom
mation de la lavande dans l'Empire français, interdiction
d'établir des plantations en dehors des régions vraiment adapt
ées aux exigences de la plante, interdiction absolue de l'e
xportation hors de France de plants de lavande... Mais, quel
quo soit l'avenir réservé à la lavande, elle a eu pour elle le
passé. Elle a contribué à l'enrichissement des Préalpes du
Sud ; elle a donné une animation nouvelle à ces pays de mont
agnes, enrayant momentanément la descente vers les plaines.
Enfin, par leur couleur d'azur qui se confond avec le bleu
du ciel, elles ajoutent un charme de plus à ces pays des Alpes
du Sud dont elles sont un ornement incomparable.

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