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Exemples cliniques
1. Le mot wet en anglais signifie : 1° mouillé, humide, 2° (au sens argotique) : lavette, andouille,
fou, cinglé. (N. d. T.)
ATTAQUES CONTRE LES LIENS 287
tement le contraire. Étant donné ce que je savais de ce patient, j’eus l’impression
que la correction qu’il avait apportée là était valable et que, d’une manière ou d’une
autre, l’humidité renvoyait à une expression de haine et d’envie telle qu’il l’asso
ciait avec les attaques urinaires contre un objet. C’est pourquoi je dis qu’en plus de
la crainte superficielle qu’il avait exprimée, il avait peur du sommeil parce que,
pour lui, c’était la même chose que perdre l’esprit. Comme le montrèrent d’autres
associations, il avait l’impression que les bonnes interprétations données par moi
étaient si régulièrement et minusculement fragmentées par lui qu’elles devenaient
une urine mentale qui s’écoulait d’une façon incontrôlable. Le sommeil était donc
inséparable de l’inconscience, elle-même semblable à un état de stupidité auquel on
ne pouvait remédier. Il dit : « Je suis sec (dry) maintenant. » Je lui répondis qu’il
se sentait éveillé et capable de pensée, mais que cet état satisfaisant n’était que
précairement maintenu.
3° Dans cette séance, le patient avait produit un matériel suscité par la
précédente interruption du week-end. Le fait qu’il eût conscience de ces stimuli
externes n’était devenu attesté qu’à un stade relativement récent de l’analyse.
Jusqu’alors, on pouvait se demander dans quelle mesure il était capable d’apprécier
la réalité. Je savais qu’il avait un contact avec la réalité parce qu’il était venu de
lui-même en analyse, mais son comportement durant les séances n’était guère
probant à cet égard. Lorsque j’interprétai certaines associations en disant qu’il
avait l’impression d’avoir été témoin, et d’être encore témoin, d’une relation
sexuelle entre deux personnes, il réagit comme s’il avait reçu un coup violent. A ce
moment-là, je ne pouvais pas dire exactement où il avait ressenti le coup, et même
maintenant, mon impression n’est pas nette. On peut logiquement supposer que le
choc avait été produit par mon interprétation et que, par conséquent, le coup
venait de l’extérieur, mais il me semble que pour lui, le coup venait de l’intérieur;
le patient ressentait souvent ce qu’il décrivait comme une attaque à coups de
couteau venant de l’intérieur. Il s’assit et regarda fixement l’espace. Je lui dis qu’il
semblait voir quelque chose. Il répondit qu’il ne pouvait pas voir ce qu’il voyait.
Grâce à une précédente expérience, je pus interpréter qu’il avait le sentiment
de « voir » un objet invisible et mon expérience ultérieure m’a convaincu que,
chez les deux patients dont il est question ici, des événements se sont produits où
le patient a eu des hallucinations visuelles-invisibles. J’expliquerai plus loin
pourquoi je suppose que, dans cet exemple-ci et dans le précédent, des mécanismes
similaires étaient à l’œuvre.
4° Au cours des vingt premières minutes de la séance, le patient fit trois
remarques isolées qui ne signifiaient rien pour moi. Il dit ensuite qu’une fille qu’il
avait rencontrée semblait compréhensive. Cette remarque fut aussitôt suivie d’un
violent mouvement convulsif qu’il fit semblant d’ignorer. Cela ressemblait à l’attaque
à coups de couteau mentionnée dans l’exemple précédent. J’essayai d’attirer l’at
288 LE TROUBLE DE PENSER
tention du patient sur son mouvement, mais il ignora mon intervention comme
il avait ignoré l’attaque. Il dit ensuite que la pièce était pleine de vapeur bleue '.
Un peu plus tard, il fit remarquer que la vapeur avait disparu, mais il dit qu’il était
déprimé. J’interprétai qu’il se sentait compris par moi. C’était une expérience
agréable, mais le sentiment agréable d’être compris avait été instantanément
supprimé et éjecté. Ainsi que je le lui rappelai, nous avions vu récemment qu’il
avait employé le mot blue pour qualifier, sous une forme condensée, une conver
sation sexuelle injurieuse. Si mon interprétation était correcte — et la suite des
événements a permis de supposer qu’elle l’était —, cela signifiait que l’expérience
d’être compris avait été fragmentée, convertie en particules d’injure sexuelle et
éjectée. Jusqu’à ce point, j’eus l’impression que l’interprétation était très proche de
son expérience. Une interprétation que je donnai ensuite — selon laquelle la dispa
rition de la vapeur était due à une ré-introjection et à une conversion en dépres
sion — parut avoir moins de réalité pour le patient (cependant que des événements
ultérieurs confirmaient qu’elle était correcte).
5° Comme dans le dernier exemple, la séance commença par trois ou quatre
déclarations factuelles, du genre « il fait chaud », « mon train était bondé » et
« c’est mercredi »; cela occupa trente minutes. L’impression qu’il essayait de garder
un contact avec la réalité se confirma lorsqu’il poursuivit en disant qu’il craignait
une dépression (nerveuse). Un peu plus tard, il dit que je ne le comprendrais pas.
J’interprétai qu’il avait l’impression que j’étais mauvais et que je ne prendrais
pas ce qu’il voulait mettre en moi. J’utilisai délibérément ces termes car il avait
montré dans la séance précédente que, pour lui, mes interprétations étaient une
tentative d’éjecter des sentiments qu’il souhaitait déposer en moi. En réponse à
mon interprétation, il dit avoir l’impression qu’il y avait deux « nuages de proba
bilité12 » dans la pièce. J’interprétai qu’il essayait de se débarrasser du sentiment
que ma mauvaiseté était un fait. Cela signifiait, dis-je, qu’il avait besoin de savoir
si j’étais vraiment mauvais ou si j’étais quelque mauvaise chose venue de l’inté
rieur de lui. Bien que, sur le moment, la question n’eût pas été d’une importance
cruciale, je pensai que le patient essayait de savoir s’il avait une hallucination
ou non. Cette angoisse, qui revenait périodiquement dans son analyse, était associée
à la crainte que l’envie et la haine pour ma capacité de compréhension ne le
conduisent à prendre l’objet bon et compréhensif pour le détruire et l’éjecter —
processus qui avait souvent abouti à la persécution par l’objet détruit et éjecté. Le
fait que mon refus de comprendre ait été une réalité ou une hallucination n’était
important que parce que cela déterminait les expériences pénibles qui s’ensui
vraient.
J’ai choisi ces épisodes parce que, dans chacun d’eux, le thème dominant était
l’attaque destructrice contre un lien. Dans le premier, l’attaque s’est manifestée
par un balbutiement destiné à empêcher le patient d’utiliser le langage comme lien
entre lui et moi. Dans le second, le sommeil était ressenti par le patient comme
identique à une identification projective qui se poursuivait sans qu’aucune tenta
tive de contrôle de sa part pût rien y changer. Pour lui, le sommeil signifiait
que son esprit, scindé en minuscules fragments, s’écoulait en formant un courant
menaçant de particules.
Les exemples que je donne ici éclairent la question du rêve chez les schizo
phrènes. Il semble que le patient psychotique ne fasse pas de rêves, ou du moins
qu’il n’en rapporte pas, jusqu’à un stade relativement tardif de l’analyse. Mon
impression aujourd’hui est que cette période apparemment dépourvue de rêves
est un phénomène analogue à l’« hallucination visuelle-invisible ». En effet, les
rêves sont constitués d’un matériel fragmenté en si minuscules particules que la
composante visuelle fait défaut. Lorsque le patient fait un rêve et qu’il peut le
rapporter parce qu’il a perçu des objets visuels au cours du rêve, il semble consi
dérer que ces objets ont avec les objets invisibles de la phase précédente le même
rapport que celui que, pour lui, les fèces semblent avoir avec l’urine. Le patient
considère que les objets apparaissant dans les expériences que nous appelons rêves
sont solides et, en tant que tels, contrastent avec le contenu du rêve qui forme
un continuum de minuscules fragments invisibles.
290 LE TROUBLE DE PENSER
Les conséquences
Le Surmoi
L’arrêt du développement
Conclusions
donne une réalité aux objets qui ne sont pas soi et sont donc opposés au narcissisme
primaire.
L’objet interne qui, à l’origine, était un sein externe refusant d’introjecter, de
retenir, et de modifier ainsi la force nuisible de l’émotion, est paradoxalement
ressenti comme intensifiant, par rapport à la force du Moi, les émotions contre
lesquelles il lance les attaques. Ces attaques contre la fonction liante de l’émotion
conduisent à un développement excessif, dans la part psychotique de la personnalité,
des liens qui ont une apparence logique, presque mathématique, mais qui ne sont
jamais raisonnables sur le plan émotionnel. En conséquence, les liens qui subsistent
sont pervers, cruels et stériles.
Il faudrait plus tard étudier l’objet extérieur qui est intériorisé, sa nature et
l’effet, lorsqu’il est ainsi établi, sur les méthodes de communication au sein de la
psyché et avec l’environnement.
WILFRED R. BIO N
RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
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(2) Bion, W. R. (1957), « On Arrogance ». In Second Thoughts, Heinemann, 1967.
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chanalyse, Payot, 1967.
(4) Klein, M. (1934), « A Contribution to the Psychogenesis of Manic-Depressive States ».
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(5) Klein, M. (1946), « Notes on Some Schizoid Mecanisms ». Trad. fr. in Développe
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(6) Klein, M. (1948). « The Theory of Anxiety and Guilt ». Int. Journ. of Psycho-Anal.,
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(8) Segal, H. (1950), « Some Aspects of the Analysis of a Schizophrenic ». Int. Journ. of.
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