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LE « THÉORÈME DE COASE », UNE RÉFLEXION SUR LES

FONDEMENTS MICROÉCONOMIQUES DE L'INTERVENTION


PUBLIQUE
Elodie Bertrand, Christophe Destais

De Boeck Supérieur | « Reflets et perspectives de la vie économique »

2002/2 Tome XLI | pages 111 à 124


ISSN 0034-2971
ISBN 2804139212
Article disponible en ligne à l'adresse :

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economique-2002-2-page-111.htm
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Pour citer cet article :


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Elodie Bertrand, Christophe Destais, « Le « théorème de Coase », une réflexion sur
les fondements microéconomiques de l'intervention publique », Reflets et
perspectives de la vie économique 2002/2 (Tome XLI), p. 111-124.
DOI 10.3917/rpve.412.0111
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Le « théorème de Coase », une
réflexion sur les fondements micro-
économiques de l’intervention
publique
Elodie BERTRAND et Christophe DESTAIS*

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Alors que les termes du débat sur la nécessité que l’État intervienne dans la ges-
tion des grands équilibres macro-économiques sont devenus familiers depuis que
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les idées de Keynes ont été mises en œuvre puis contestées, les notions économi-
ques qui justifient ou non l’intervention publique sur les structures et les comporte-
ments économiques sont moins connues, surtout si l’on s’intéresse à un champ
plus large que les traditionnelles politiques de la concurrence. Dans les pays d’Eu-
rope occidentale où l’activité normative de l’État est particulièrement importante
dans tous les domaines de la vie économique et sociale, la question mérite pour-
tant qu’on s’y arrête.
La justification traditionnelle de l’intervention de l’État sur les structures éco-
nomiques s’appuie sur la notion de « défaillance de marché » (market failures). Elle
se situe dans la tradition de l’économie néo-classique. Pour les économistes qui
en ont été les promoteurs, au premier rang desquels figurait Pigou1 – on parlera
pour cette raison de « tradition pigovienne » –, la mission de l’État est d’influer sur
les comportements des agents économiques de telle sorte que le résultat de l’in-
teraction entre ces comportements corresponde à l’optimum atteint dans le mo-
dèle de concurrence parfaite. Dans un article resté célèbre2 et qui a fait l’objet de
nombreux commentaires, parfois divergents, Ronald H. Coase, prix Nobel d’éco-
nomie 1991, montre sur la base d’exemples tirés de la jurisprudence anglaise et

* Elodie BERTRAND (Elodie.Bertrand@univ-paris1.fr) est doctorante au Groupe de Recherches Epis-


témologiques et Socio-Economiques (GRESE) de l’Université Paris 1 (Panthéon-Sorbonne). Chris-
tophe DESTAIS (destais@tiscali.fr), fonctionnaire au Ministère français de l’Économie, des Finances
et de l’Industrie, était chercheur au Centre d’Analyse Théorique des Organisations et des Marchés
(ATOM) de l’Université Paris 1 au moment où cet article a été écrit.Il s’exprime dans ce texte à titre
strictement personnel. Les auteurs remercient André HERVIER, Claude MÉNARD, Stéphane
SAUSSIER, Emmanuel RAYNAUD, Nathalie DESTAIS et un relecteur anonyme pour leurs remar-
ques et suggestions qui ont permis d’améliorer ce texte. Bien entendu, nous demeurons seuls
responsables de son contenu.
1 Arthur Cecil Pigou (1877-1959), auteur de The Economics of Welfare, publié pour la première fois
en 1919.
2 R. H. Coase (1960) « The problem of social cost », PSC désormais. Coase est né en 1910.

Reflets et Perspectives, XLI, 2002/2 — 111


ELODIE BERTRAND ET CHRISTOPHE DESTAIS

américaine que, dans un monde où les coûts de transaction sont nuls et où les
droits de propriété sont clairement définis, le libre jeu de la négociation aboutit à un
optimum indépendant de l’attribution initiale des droits. C’est ce qui a par la suite
été nommé le « théorème de Coase ». Il n’est pas simple de tirer du théorème de
Coase des conclusions claires et opérationnelles quant à la portée et aux modali-
tés de l’intervention de l’État. Il conduit toutefois à remettre en cause le caractère
automatique de la nécessité de l’intervention de l’État en présence de défauts de
marché, au bénéfice d’une analyse pragmatique, au cas par cas, des bénéfices et
des coûts qu’elle engendre.
Après un bref résumé des thèses pigoviennes (1), le théorème de Coase sera
développé plus en détail et sa pertinence discutée (2). La portée du théorème sur
le champ et les modalités de l’intervention de l’État sera ensuite examinée (3).

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1 LA TRADITION NÉO-CLASSIQUE : L’ÉTAT CHARGÉ
DE FAIRE TENDRE LE FONCTIONNEMENT DE
L’ÉCONOMIE RÉELLE VERS LE MODÈLE
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DE CONCURRENCE PARFAITE
Pour les économistes néo-classiques, la concurrence parfaite conduit à une situa-
tion optimale. De façon réciproque, l’existence de « défaillances de marché » a
conduit Pigou à prôner une intervention correctrice de l’État.

• La concurrence parfaite comme norme pour


le fonctionnement des marchés
Les économistes néo-classiques ont montré que le comportement d’agents éco-
nomiques qui maximisent leur intérêt individuel, c’est-à-dire l’utilité pour les ména-
ges et le profit pour les entreprises, conduit à un équilibre auquel correspond une
affectation optimale des ressources. Cette allocation est un optimum de Pareto,
au sens où le bien-être d’un individu ne peut plus être amélioré sans que soit
dégradé le bien-être d’au moins un autre individu. La théorie néo-classique s’est
ainsi essentiellement fondée sur le modèle d’équilibre général de Arrow et Debreu
(1954). Ces auteurs ont démontré l’existence d’(au moins) un équilibre général
sous réserve d’hypothèses que l’on peut classer en deux catégories : des hypo-
thèses d’ordre institutionnel et des hypothèses concernant les agents.
Les hypothèses institutionnelles sont celles de la concurrence parfaite :
– pour chaque bien, y compris les biens qui feront l’objet d’échanges dans le
futur, il doit exister un prix unique, affiché et connu de tous (on dit qu’il y a « un
système complet de marchés ») ;
– ces offres et demandes individuelles sont centralisées par un « commissaire-
priseur » qui les somme puis confronte l’offre et la demande globales, les échan-
ges directs étant interdits. Si, au prix affiché, l’offre globale est égale à la
demande globale, alors ce prix est un prix d’équilibre de concurrence parfaite

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LE THÉORÈME DE COASE

et les échanges se réalisent. En outre, nous avons vu que l’allocation qui cor-
respond à ce prix d’équilibre est optimale.
Les hypothèses concernant les agents sont essentiellement les suivantes :
– chaque ménage dispose d’une dotation initiale non nulle ;
– la deuxième hypothèse porte sur les préférences des consommateurs qui
doivent avoir principalement du goût pour les mélanges ;
– les technologies employées par les entreprises doivent conduire à des rende-
ments strictement décroissants (sans coûts fixes) ; le coût de production d’une
unité marginale est ainsi toujours supérieur au coût de production de l’unité
précédente. Dans ces conditions, le prix d’équilibre est égal au coût de pro-
duction de la dernière unité produite ;
– enfin, les agents expriment chacun un niveau d’offre ou de demande unique-
ment en fonction du prix affiché (donc indépendamment de ce que font les

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autres) ; ils ont un comportement de preneur de prix (price-taker). Ils ont de ce
fait la conviction qu’ils peuvent vendre ou acheter des quantités illimitées à ce
prix et que leur propre offre ou demande ne modifiera pas ce prix .
Comme ces hypothèses ne correspondent pas à l’idée que l’on se fait habi-
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tuellement de la concurrence, les économistes tentent de les traduire par des


notions plus intuitives et plus concrètes. La concurrence est alors dite parfaite si
les quatre conditions suivantes sont remplies :
– homogénéité du produit : les produits échangés sont identiques, de telle sorte
que les acheteurs sont indifférents à l’identité du vendeur ;
– transparence de l’information : les agents sont parfaitement informés du prix
et de la qualité du produit ;
– atomicité : les acheteurs et vendeurs sont très nombreux et le volume des
échanges individuels est négligeable par rapport au volume global ;
– libre entrée.
D’après le premier théorème du bien-être, les allocations de ressources qui
correspondent aux équilibres de concurrence parfaite sont optimales, ce qui expli-
que que les hypothèses du modèle de la concurrence parfaite aient acquis aux
yeux des économistes néo-classiques une valeur normative. Les situations qui
s’en écartent ont été dès lors désignées comme des « échecs » ou des « défaillan-
ces de marché ».

• Les « défaillances du marché » comme fondement


de l’intervention publique
Les économistes néo-classiques ont montré que dans une situation de « concur-
rence imparfaite », où un au moins des agents économiques partenaires de
l’échange n’est pas preneur de prix mais faiseur de prix, l’équilibre n’est pas opti-
mal. Ils proposent alors de rapprocher dans toute la mesure du possible ces struc-
tures économiques de l’idéal de la concurrence parfaite. Cette volonté a inspiré
depuis un siècle les politiques de la concurrence ; elle constitue pour les néo-
classiques le premier fondement de l’intervention publique dans l’économie.

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ELODIE BERTRAND ET CHRISTOPHE DESTAIS

Pour ces économistes, l’intervention de l’État est, en outre, justifiée par les
« défaillances de marché », dont on distingue traditionnellement trois catégories
selon la nature des biens considérés ou des technologies utilisées :
– Les biens collectifs sont des biens qui peuvent être consommés par plusieurs
individus en même temps. On les caractérise souvent par une double pro-
priété : la non-excludabilité – il est impossible d’écarter quiconque de sa con-
sommation, y compris les individus qui ne contribueraient pas à son
financement ; et la non-rivalité – le bien peut être consommé simultanément
par plusieurs agents sans que la quantité consommée par l’un diminue les
quantités disponibles pour les autres (le coût marginal pour servir un consom-
mateur supplémentaire est nul). À l’inverse des biens privés, il n’est pas pos-
sible d’en déterminer un prix. L’affectation des ressources à l’équilibre n’est
dans ce cas pas optimale : chacun compte sur les autres pour contribuer au
financement de ce bien (situation dite du « passager clandestin »), qui n’est

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donc pas produit ou en trop faible quantité par rapport à ce qui serait optimal.
Des exemples typiques de ces biens sont la défense et les affaires étrangères.
– Le monopole naturel est une situation où les rendements d’échelle sont crois-
sants, c’est-à-dire où les coûts moyens d’une entreprise diminuent avec l’aug-
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mentation de la production. Cette situation se rencontre dans les activités


industrielles qui présentent des coûts fixes élevés. Ce défaut de marché pose
un problème de tarification car la fixation du prix au coût marginal (inférieur au
coût moyen puisque décroissant), qui correspondrait à une situation collective
optimale, ne rémunérerait pas les dépenses engagées par le producteur privé
et l’entraînerait à produire à perte. Un exemple typique est l’activité de cons-
truction et d’exploitation d’un phare qui ne met en jeu que des coûts fixes.
– Enfin, on parle d’effets externes quand l’action d’un agent économique a un
effet positif ou négatif sur le bien-être d’un autre sans passer par un prix.
L’hypothèse de système complet de marché n’est alors pas vérifiée parce
qu’un bien (l’effet externe) n’a pas de prix. On peut donner comme exemple
d’externalité négative les fumées polluantes émises par une entreprise, qui
diminuent le bien-être des individus habitant dans son voisinage.

• La tradition pigovienne : réduire les nuisances par


la taxation
L’idée que l’État devait intervenir pour corriger certaines défaillances de marché a
principalement été développée au sortir de la première guerre mondiale par l’éco-
nomiste britannique Pigou (1932). Ce dernier s’est en particulier intéressé aux
externalités. Il a identifié, dans de telles situations, l’existence d’une divergence
entre ce qu’il a appelé « le produit net privé », par exemple le profit d’une entre-
prise polluante, et le « produit net collectif », dans notre exemple le profit de l’entre-
prise diminué du coût de la pollution pour l’ensemble de ses victimes. Cette
divergence entre le produit privé et le produit collectif conduit à une allocation des
ressources non optimale puisque l’entreprise prend ses décisions sans tenir compte

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LE THÉORÈME DE COASE

de la baisse du produit collectif que ses activités engendrent. Dans la perspective


de Pigou, le rôle de l’État est de réduire cette divergence pour se rapprocher le
plus possible d’un optimum de Pareto. Sa principale proposition consiste à faire
peser sur les agents économiques la totalité des coûts de leur action, principale-
ment en leur imposant une taxe égale à la baisse de bien-être qu’ils provoquent
(ou une subvention égale à sa hausse en cas d’externalité positive). L’entreprise
polluante prendra ainsi en compte dans ses coûts la baisse de produit engendrée
par son activité et son produit privé, diminué, sera rendu égal au produit collectif.
En maximisant son produit privé, l’entreprise maximisera le produit collectif, l’allo-
cation des ressources sera par conséquent optimale.
C’est pour s’opposer à cette idée qu’en présence d’externalités l’État devait
nécessairement intervenir que Coase a écrit en 1960 son article « The Problem of
Social Cost ».

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2 LE THÉORÈME DE COASE : LES VERTUS
MAGIQUES DE L’ÉCHANGE
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L’idée développée par Coase qu’en l’absence de coûts de transaction la négocia-


tion permettait d’atteindre un optimum a conduit à la formulation du théorème
éponyme. Il souffre toutefois de critiques qui limitent sa portée, voire sa validité.

• Épuiser les gains de l’échange


Coase part de l’idée que l’échange ne porte pas tant sur un bien que sur le droit
d’utiliser ce bien, c’est-à-dire sur les droits de propriété, que cette utilisation pro-
voque des effets externes ou non. Il écrit : « J’ai expliqué dans « Le problème du
coût collectif » que ce qui est échangé sur le marché, ce n’est pas, comme il est
souvent supposé par les économistes, des entités physiques, mais les droits d’exer-
cer certaines actions, et que les droits que les individus possèdent sont établis par
le système légal »3. Il avance l’idée qu’une allocation optimale des ressources peut
être atteinte grâce au mécanisme des prix, même en présence de nuisances,
c’est-à-dire d’externalités négatives4. Quelle que soit l’allocation initiale des droits,
ici de nuire ou d’être protégé des nuisances, des négociations directes entre les
parties concernées portant sur ces droits vont se poursuivre, jusqu’à ce que soient
épuisées toutes les possibilités d’échanges mutuellement avantageux. On atteint
alors par définition une situation Pareto-optimale. Cette solution ne fait intervenir
l’État que pour définir et attribuer initialement les droits et elle permet de parvenir à
une allocation optimale par la négociation directe. En outre, cette allocation des
ressources est, dans les exemples de Coase, indépendante de l’attribution initiale
des droits : peu importe qui en est le bénéficiaire, ce qui est nécessaire c’est que
3 Coase (1992) p. 717.
4 Même si le problème que se pose Coase ne concerne pas les externalités positives, on peut
considérer que le raisonnement coasien reste valable dans ce cas, ainsi que les critiques qui lui
sont adressées (voir infra).

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ELODIE BERTRAND ET CHRISTOPHE DESTAIS

les droits soient attribués à l’un ou l’autre des partenaires de la négociation (à celui
qui provoque la nuisance ou à celui qui la subit).

Le théorème de Coase, un raisonnement par l’exemple


S’interdisant toute généralisation, l’argumentation de Coase repose sur des exem-
ples. Un exemple qu’il tire de la jurisprudence anglaise est l’arrêt Sturges v. Bridg-
man de 1879. Il s’agit d’un médecin qui déménage son cabinet médical et le
reconstruit au fond de sa propriété, avec un mur mitoyen à l’atelier d’un confiseur.
L’utilisation de ses machines par le confiseur fait un bruit qui rend difficile l’utilisation
par le médecin de son cabinet. Le médecin présente le cas devant la justice pour
que le confiseur cesse d’utiliser ses machines et obtient gain de cause. Le droit
d’être protégé des nuisances lui est donc reconnu et le confiseur se voit interdit
d’utiliser ses machines. Coase souligne alors qu’il serait possible de modifier la ré-

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partition des droits qui résulte de cette décision de justice au moyen d’un marchan-
dage entre les parties. Par exemple, le médecin pourrait accepter que le confiseur
utilise ses machines à condition que ce dernier lui donne une somme supérieure
aux coûts d’un déménagement ou de la construction d’un mur isolant du bruit. Le
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confiseur accepterait cette solution si la somme à payer était inférieure au coût d’un
déménagement ou d’un changement de mode de production. Le résultat final dé-
pend donc des coûts comparés des différentes solutions envisageables. Coase
examine ensuite la situation inverse dans laquelle le droit de nuire aurait été attribué
au confiseur. En effet, Coase insiste sur la nature réciproque du dommage : le mé-
decin est tout aussi responsable de la nuisance que le confiseur puisque s’il n’exer-
çait pas à cet endroit, il n’y aurait pas de nuisance. Coase imagine alors les mêmes
types de marchandage, qui parviennent à un résultat identique puisque les coûts
des différentes solutions ne changent pas quand l’attribution des droits est modi-
fiée.

Dans les exemples qu’il développe, Coase pose deux hypothèses explicites.
La première est que l’objet de la négociation, c’est-à-dire le droit de propriété, est
clairement défini. Par exemple, une entreprise qui achète un procédé de fabrica-
tion polluant doit posséder le droit d’utiliser ce procédé même s’il provoque l’émis-
sion de fumées polluantes, que ce droit lui soit attribué initialement ou qu’elle
l’achète. Il ajoute une deuxième hypothèse : les transactions épuisent les gains de
l’échange à condition qu’elles soient sans coût. En d’autres termes, les « coûts de
transaction » (découvrir qui souhaite échanger, informer les partenaires potentiels
que l’on souhaite échanger et en quels termes, conduire les négociations qui mè-
nent à un accord, rédiger le contrat, entreprendre les contrôles nécessaires pour
s’assurer que les termes du contrat sont suivis, etc.) sont nuls.
L’idée générale que l’échange conduit à une allocation optimale, et que cette
allocation est indépendante de l’attribution initiale de droits, dans un monde où les
droits de propriété sont clairement définis et où les coûts de transaction sont nuls,
est appelée « théorème de Coase ». Bien que Coase ne l’ait pas énoncé lui-même,

116
LE THÉORÈME DE COASE

il ne le réfute pas. Le premier à utiliser ce terme est Stigler5 en 1966 : « Peu importe
qui, aux yeux de la loi, est responsable des dommages […] le théorème de Coase
affirme qu’en régime de concurrence parfaite, les coûts collectifs sont égaux aux
coûts privés »6. Ce théorème de Coase a fait l’objet de nombreuses formulations
différentes qui chacune comportent des interprétations variables sur le contenu de
ses hypothèses et sa portée7.

• Des critiques qui en limitent la portée, voire en


contestent la validité
Comme Coase ne s’appuie que sur des exemples, s’interdisant toute généralisa-
tion et plus encore toute démonstration, la validité et la portée de son argumenta-

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tion ont fait l’objet de nombreux débats. Nous retiendrons ici deux séries
d’objections.
La première porte sur l’idée que le résultat de la négociation est indépendant
de l’attribution initiale des droits. Cette conclusion ne prend pas en compte les
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effets sur les comportements dans la négociation d’une modification du niveau de


richesse des agents conséquente à un changement dans l’attribution des droits
(l’effet de richesse). Elle ignore également le fait qu’il peut y avoir une différence
entre le montant qu’une personne est disposée à payer pour acquérir un droit
donné et celui qu’elle est prête à accepter pour y renoncer (l’effet de dotation).
La seconde série d’objections tient au cadre de l’échange retenu par Coase.
Ses exemples portent sur des négociations directes sur le prix entre deux parte-
naires. Il n’existe pas chez lui, comme dans le modèle de concurrence parfaite, de
commissaire-priseur qui centralise l’offre et la demande, propose un prix et évite
ainsi la confrontation directe entre agents économiques. Or, contrairement à ce
que Coase suppose, toutes les négociations directes mutuellement bénéfiques
n’ont pas nécessairement lieu, même lorsque les négociateurs ne sont qu’au nom-
bre de deux. En effet, dans une négociation à deux sur un prix, il y a un prix en
deçà duquel le vendeur ne veut pas vendre et un prix au-delà duquel l’acheteur ne
veut pas acheter. Sous l’hypothèse que l’échange est volontaire, le prix auquel
l’échange aura lieu se situera entre ces deux « prix de réserve » mais on ne sait pas
à quel niveau : c’est l’indétermination de l’échange. Toute la négociation consiste
donc pour chaque participant à « pousser » le prix de l’échange vers le prix de
réserve de l’autre participant. Ainsi les agents peuvent mentir, tricher, profiter d’un
rapport de force en vue d’influencer en leur faveur le résultat des négociations.
Ces négociateurs peuvent donc adopter des comportements qui limitent les gains

5 George J. Stigler (1911-1991), prix Nobel d’économie en 1982, a consacré l’essentiel de ses
travaux à l’intégration des coûts d’information dans le raisonnement économique et à l’analyse du
phénomène de captation des régulateurs par les intérêts privés auxquels la règle s’applique.
6 Stigler (1966) p.113.
7 Les différentes formulations du « théorème » sont recensées et commentées dans l’article de
Medema et Zerbe (2000). Bertrand (2001b) en propose une typologie.

117
ELODIE BERTRAND ET CHRISTOPHE DESTAIS

collectifs de l’échange. Ce problème, dit du partage du surplus de l’échange, ne


peut que s’accentuer si on augmente le nombre de personnes à la négociation,
mais la critique perd alors de sa pertinence puisque cette situation correspond,
pour Coase, à des coûts de transaction positifs.

3 LE RÔLE DE L’ÉTAT REVISITÉ


Du « théorème » qu’il n’a jamais formulé mais qu’il a par la suite endossé, Coase et
à sa suite de nombreux économistes et juristes ont tiré deux catégories de conclu-
sions. La première procède d’un raisonnement a contrario et traite des consé-
quences de la prise en compte des coûts de transaction positifs dans le monde
réel. La seconde concerne plus directement l’État. Elle porte sur les missions que
devrait remplir ce dernier tant en raison de l’existence de coûts de transaction

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positifs que pour rapprocher le fonctionnement réel de l’économie de la situation
idéale que propose le théorème.
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• La prise en compte des coûts de transaction


Ayant décrit les conséquences de l’échange dans un monde sans coûts de tran-
saction, Coase infère deux conclusions de l’existence de coûts de transaction
positifs dans le monde réel : (i) lorsque l’allocation initiale des droits est sous-opti-
male, l’échange subséquent peut ne pas conduire à l’optimum ; (ii) l’existence de
coûts de transaction positifs doit conduire les économistes à comparer les perfor-
mances des différents choix possibles plutôt qu’à se référer à l’idéal de concur-
rence parfaite.
– Lorsque les coûts de transaction sont positifs, l’échange ne conduit pas né-
cessairement à l’optimum.
Le théorème de Coase nous dit que, en l’absence de coûts de transaction et
lorsque les droits de propriété sont clairement définis, on parvient toujours à
une allocation de droits efficiente. Dans ce monde que Coase qualifie lui-même
d’« hypothétique »8, les institutions qui attribuent les droits, au premier rang
desquelles figure l’État, n’ont donc pas de raison d’être économique en de-
hors de la définition des droits et de leur attribution initiale qui peut être tout à
fait aléatoire. Coase invite donc à réfléchir a contrario sur le rôle joué par les
institutions dans l’économie. Pour lui, leur existence ne se justifie, sur le plan
économique, qu’en raison de coûts de transaction positifs. Il écrit ainsi en
1988 : « J’ai montré dans « La nature de la firme » qu’en l’absence de coûts
de transaction, il n’y a pas de fondement économique qui justifie l’existence
de la firme. Ce que j’ai montré dans « Le problème du coût collectif », c’est
qu’en l’absence de coûts de transaction […] les institutions qui façonnent le
système économique n’ont ni substance, ni objet. […] Ce que mon argument

8 Coase (1992) p. 717.

118
LE THÉORÈME DE COASE

suggère, c’est qu’il est nécessaire d’introduire explicitement des coûts de tran-
saction positifs dans l’analyse économique pour étudier le monde tel qu’il est »9.
Contrairement à la situation qui prévaut dans le cadre du théorème, lorsque
les coûts de transaction sont positifs, l’échange n’aura lieu que lorsque les
gains qu’il procure seront supérieurs aux coûts qu’il entraîne. Dans ces condi-
tions, il se peut que l’échange et la réallocation des droits qui en découle
soient incomplets ou même dissuadés. Une attribution des droits initiale sous-
optimale peut de ce fait persister.
– L’existence de coûts de transaction positifs doit conduire à comparer, en pra-
tique, l’efficacité des choix possibles entre eux plutôt qu’à les comparer à une
solution idéale.
L’idée que le fonctionnement des marchés ait un coût conduit en parallèle
Coase à énoncer un discours sur la méthode. Il critique la pertinence de la

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démarche qui consiste à élaborer des solutions de politique économique par
comparaison du monde réel avec le monde idéal de la concurrence parfaite
où les coûts de transaction sont nuls. C’est le principal fondement de la criti-
que qu’il adresse à Pigou. Il écrit : « L’analyse pigovienne nous montre qu’il est
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possible de concevoir de meilleurs mondes que celui dans lequel nous vi-
vons. »10 Et il ajoute : « Mais la discussion est presque sans rapport avec les
questions de politique économique puisque, quel que soit ce que nous avons
à l’esprit comme notre monde idéal, il est clair que nous n’avons pas encore
découvert comment l’atteindre en partant de là où nous sommes »11. Coase
prône une approche pragmatique. Il préconise d’étudier au cas par cas les
bénéfices nets comparés des différents choix possibles, tous coûteux, et de
prendre en compte les coûts de passage d’une solution à une autre. La solu-
tion à privilégier sera celle dont les bénéfices nets, minorés le cas échéant des
coûts de passage, sont les plus élevés. Il écrit ainsi : « Les économistes qui
étudient les problèmes de la firme ont recours habituellement à une approche
en termes de coûts d’opportunité et comparent les recettes obtenues par une
combinaison donnée de facteurs avec les autres combinaisons possibles. Il
apparaîtrait souhaitable d’avoir recours à une approche similaire lorsqu’on traite
des questions de politique économique et de comparer le produit total obtenu
par des arrangements collectifs alternatifs »12. Coase propose donc de com-
parer l’efficacité relative de l’intervention et de la non-intervention et de choisir
la solution qui offre les plus grands avantages.
La méthode d’analyse comparative des arrangements institutionnels allait être
précisée et mise en œuvre, sous l’impulsion en particulier d’Oliver Williamson, dans
le cadre de « l’économie des coûts de transaction ». Pour Williamson13, l’arrange-
ment institutionnel le plus performant est celui qui minimise la somme des coûts
de production et des coûts de transaction. Son principal apport théorique con-

9 Coase (1988) p. 14-15.


10 PSC p. 34.
11 PSC p.43.
12 ibid.
13 On se référera par exemple à Williamson (1985).

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ELODIE BERTRAND ET CHRISTOPHE DESTAIS

siste à identifier les caractéristiques des arrangements qui font que dans certaines
situations ces arrangements sont plus performants que dans d’autres. En dehors
d’une tentative récente d’appliquer un cadre conceptuel voisin à l’État14, Williamson
et ceux qu’il a inspirés appliquent principalement la théorie des coûts de transac-
tion à l’analyse comparée des arrangements entre firmes indépendantes ou au
sein d’une même firme. Leur influence sur la sphère publique a dès lors été avant
tout sensible sur les politiques de la concurrence, générales ou propres à la régu-
lation de secteurs spécifiques, comme les industries de réseau15.
Plus généralement, Coase stigmatise cette « économie du tableau noir », qui
se concentre sur un monde idéal sans beaucoup d’attention pour le monde réel et
les solutions concrètes qui pourraient être envisagées16. Il a lui-même consacré
une part importante de son activité de recherche à des études de cas traitant, par
exemple, des modalités d’attribution des fréquences hertziennes aux États-Unis17,
de l’économie des phares en Angleterre18 ou de l’acquisition par General Motors

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dans les années 20 de son fournisseur de carrosseries19. Dans son étude sur les
phares, publiée en 1974, il conteste l’idée, fréquemment exprimée par les théori-
ciens néo-classiques, que le phare est un exemple de bien collectif et de mono-
pole devant être produit par la puissance publique. Coase estime que l’histoire
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des phares en Angleterre entre le XVIe et le XIXe siècle apporte un démenti à cette
vision dominante puisque nombre d’entre eux étaient la propriété de personnes
privées rémunérées par une redevance perçue sur les bateaux. Une étude ré-
cente20 suggère qu’en fait ce système, cher et peu efficace, s’apparentait à une
délégation de droits exclusifs par la puissance publique accompagnée du droit de
collecter une rémunération fixe directement perçue sur l’usager avec les moyens
de coercition de la puissance publique. Il s’agissait d’un mode de gestion particu-
lier du monopole et non d’un échange libre.

• La fonction de l’État chez Coase


Coase n’a pas pour objectif de définir une théorie économique de l’État. Il résulte
toutefois de ses travaux et de ceux qui s’en sont inspirés que deux catégories de
missions relèvent de l’État et de la loi. La première est issue pour l’essentiel de la
réflexion sur les coûts de transaction positifs ; elle vise à ce que l’État attribue les
droits à ceux qui les valorisent le mieux (il s’agit ici de se rapprocher du résultat de
la négociation idéale). La seconde procède d’une vision plus normative du théo-
rème : elle conduit à donner à l’État la mission de définir et d’attribuer les droits de
propriété et de favoriser la diminution des coûts de transaction (il s’agit là de se
rapprocher des conditions de la négociation idéale).

14 Williamson (1999).
15 Crocker et Masten (1996).
16 Coase (1988) p. 19.
17 Coase (1959).
18 Coase (1974).
19 Coase (2000).
20 Bertrand (2001a).

120
LE THÉORÈME DE COASE

– La prise en compte des coûts de transaction positifs : l’État doit attribuer les
droits à ceux qui les valorisent le mieux
Pour Coase, alors qu’en l’absence de coûts de transaction, la négociation
conduit à une allocation de droits qui permet une valeur de la production plus
élevée que toute autre, une telle combinaison peut ne pas être atteinte lorsque
les coûts de transaction sont positifs. Coase explique que « les coûts pour
atteindre le même résultat en modifiant et en combinant les droits à travers le
marché peuvent être si élevés que cette combinaison optimale des droits, et
la valeur plus élevée de la production qu’elle apporterait, peut ne jamais être
atteinte »21 sauf si « c’est cet arrangement de droits qui est établi par le sys-
tème légal »22, c’est-à-dire par la loi.
Coase, prolongeant une idée développée dans « Le problème du coût collec-
tif », précisera ensuite que la mission de l’État et, à travers lui, de la loi consiste

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à attribuer les droits « à ceux qui peuvent les utiliser de la manière la plus
productive »23, c’est-à-dire à ceux qui leur donnent la valeur la plus élevée.
Ainsi, pour reprendre l’exemple du médecin et du confiseur détaillé ci-dessus,
le droit d’exercer sans contrainte son activité devrait être attribué à celui des
deux pour lequel le gain du maintien de l’activité sur place, nette des coûts
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d’un déplacement de l’autre (ou de toute autre solution), serait le plus élevé.
Le juge devrait rendre l’autre responsable de la nuisance.
Cette vision de la loi connue comme l’approche qui consiste à répartir les
droits en imitant le marché (mimic the market)24 a eu une grande influence sur
le courant d’analyse économique du droit (qui se situe lui-même au sein du
mouvement plus large de la Law and Economics) qui s’est développé d’abord
à l’Université de Chicago – Coase y enseigne l’économie à la faculté de droit
depuis 1964 – sous l’impulsion notamment de Richard Posner. Dans le con-
texte de la common law dans lequel elle se situe, cette approche vise à orien-
ter les décisions judiciaires de telle sorte qu’elles permettent aux parties
d’atteindre la répartition des droits à laquelle elles seraient parvenues par le
libre jeu du marché s’il n’y avait pas eu de coûts de transaction. Dans l’esprit
de Posner, elle conduit à assimiler l’efficience et la justice25 et à écarter les
considérations d’équité liées à la distribution des droits, thème que Coase, qui
a eu des débats très vifs avec Posner, ne traite pas26.
Pour Coase, au-delà de la loi, l’État dispose de prérogatives qui lui donnent la
possibilité d’atteindre certains objectifs à des coûts inférieurs à ceux de la
firme – dont il avait souligné en 1937 qu’elle constituait, dans certains cas, une
forme d’organisation moins coûteuse que le marché27 – et à ceux induits par
le marché. Il rappelle néanmoins que l’intervention publique emporte elle-même

21 PSC p. 16.
22 ibid.
23 Coase (1992) p. 718.
24 Posner (1992) p. 15.
25 Posner (1983) p. 48-115.
26 Sur la filiation entre le théorème de Coase et la Law and Economics, on pourra notamment se
rapporter à Medema (1999).
27 Coase (1937).

121
ELODIE BERTRAND ET CHRISTOPHE DESTAIS

des coûts, notamment parce que l’administration est « faillible, soumise à des
pressions politiques et qu’elle opère sans aucun contrepoids lié à la concur-
rence »28, et il affirme que « sans aucun doute, le cas le plus courant sera que
le gain issu de la réglementation des activités nuisibles sera inférieur aux coûts
engendrés par la réglementation gouvernementale »29.
– La référence normative au théorème de Coase : l’État doit définir et attribuer
les droits de propriété et favoriser la baisse des coûts de transaction.
Raisonnant dans un univers théorique, Coase offre, à l’instar des économistes
néoclassiques (et en cela, il y a une contradiction dans sa méthode), un mo-
dèle qui conduit à une situation optimale. Dès lors, la conclusion logique de
cette manière de raisonner est que le rôle de l’État sera de rapprocher l’éco-
nomie réelle des conditions théoriques dans lesquelles l’optimum est atteint,
c’est-à-dire, pour Coase, d’atténuer dans toute la mesure du possible les

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deux conditions restrictives qu’il a identifiées : l’insuffisante définition des droits
de propriété et le niveau des coûts de transaction.
Il ne peut être remédié à la première que si « il y a un système approprié de
droits de propriété (et [que] ceux-ci sont mis en œuvre) »30. Il s’agit que les
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droits de propriété soient définis de manière suffisamment précise pour que


l’échange ne soulève pas de contestation. Mais la logique coasienne va au-
delà. Elle conduit à étendre les droits de propriété, autant que faire se peut,
pour rendre échangeables les biens et services qui, en l’absence d’une défini-
tion claire des droits de propriété, ne peuvent faire l’objet de transaction. Le
rôle joué par les droits de propriété dans l’économie a été, à la suite de Coase,
analysé par la théorie des droits de propriété à l’origine de laquelle figurent
Armen Alchian et Harold Demsetz. Alors que la propriété privée était jusqu’alors
souvent appréhendée sous le seul angle de la rareté, dont elle était considé-
rée comme un sous-produit inévitable, Alchian31 et Demsetz32 ont mis l’accent
sur le rôle joué par les incitations que procurent les droits de propriété.
La seconde mission de la loi est de contribuer à réduire les coûts de transac-
tion en mettant en place et en maintenant « une distribution des droits telle que les
coûts de leur transfert soient faibles grâce à la clarté de la loi et en rendant moins
onéreuses les exigences légales associées à ces transferts »33.
C’est de cette double démarche, étendre la définition des droits de propriété
et diminuer le coût des échanges, que procède la volonté de développer, sur le
modèle des marchés boursiers, des marchés organisés d’échange de titres de
propriété sur les ressources de l’environnement appelés marchés de droits à pol-
luer34. Ces marchés consistent à définir des droits de nuire et à en faciliter l’échange
afin qu’ils échoient finalement à ceux qui sont susceptibles d’en faire le meilleur

28 PSC p. 18.
29 ibid.
30 Coase (1992) p. 718.
31 Cf. Alchian (1965).
32 Cf. Demsetz (1967) et (1972).
33 Coase (1992) p. 718.
34 Dales (1968).

122
LE THÉORÈME DE COASE

usage économique. Leur conception reste toutefois très éloignée du marchan-


dage imaginé par Coase : les échanges sont centralisés et non bilatéraux et sur-
tout les « victimes » de la pollution en sont exclues. Ces dernières sont représentées
par les États qui fixent des objectifs de pollution « optimaux ».

CONCLUSION
L’apport de Ronald Coase à la pensée économique et particulièrement à l’analyse
économique du rôle de l’État, quoique tardivement reconnu, est important. Coase
a identifié l’influence du cadre légal sur le fonctionnement et l’efficacité d’un sys-
tème économique en montrant que, dans un monde « parfait » sans coûts de
transaction, la fonction de la loi se limiterait à la définition claire des droits de pro-
priété. L’attribution de ces droits n’aurait aucune incidence sur le résultat de

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l’échange subséquent qui serait nécessairement optimal. Tirant les conclusions
de ce raisonnement à la fois a contrario, en prenant en compte l’existence de
coûts de transaction, et de manière normative, Coase a été conduit à préciser
quels sont les critères d’efficacité économique de la loi et, par extension, de toutes
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les formes d’interventions publiques : l’attribution des droits à ceux qui peuvent
les utiliser de la manière la plus productive, une définition claire des droits de pro-
priété et la réduction des coûts de transaction par la clarté de la loi et l’allégement
des coûts institutionnels de l’échange. Enfin et, peut-être, surtout, Coase a énoncé
une méthodologie pragmatique d’analyse de l’intervention publique : celle-ci se
justifie lorsqu’un arrangement institutionnel public est plus efficient que les solu-
tions alternatives.
Ces conclusions ne doivent toutefois pas occulter certaines réserves et limites
de sa démarche. En premier lieu, le théorème de Coase n’est valide qu’à la condi-
tion que l’on fasse abstraction des obstacles qui existent au bon aboutissement
d’une négociation bilatérale et à l’indépendance de son résultat par rapport à l’at-
tribution initiale des droits : comportements stratégiques, effets de richesse et de
dotation. Sans être invalidées, les conclusions que Coase tire du théorème soit a
contrario, soit directement doivent être nuancées. En outre, toute considération
d’équité est explicitement absente du raisonnement de Coase et ces considéra-
tions ne peuvent, on le sait, être étrangères à l’action publique. Enfin, Coase, s’il
affirme la nécessité de comparer l’efficience des différents « arrangements institu-
tionnels » possibles, ne précise pas quelles sont les méthodes adéquates pour
mesurer cette efficience.

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