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Depuis les élections du 20 octobre, la Bolivie traverse une crise politique qui
est loin d’être terminée. Dans le cadre d’un processus électoral qui a fait
l’objet d’une attention particulière de la part des médias internationaux, le
vice-président du Tribunal électoral a démissionné pour des raisons
obscures, jetant une ombre de suspicion sur la victoire d’Evo Morales par
47,08% des voix exprimées. Une différence de 10% (648 180 voix) par
rapport à l’ancien président et candidat de droite Carlos Mesa qui suffisait
pour remporter les élections au premier tour.
En fait, Mesa n’a pas attendu les résultats pour dénoncer ce qui pour lui était
une fraude annoncée, car il la prédisait depuis des mois: prophétie
autoréalisatrice ou fuite en avant ? Pendant ce temps-là, le milliardaire
Fernando Camacho – dont le nom figure sur les “Panama Papers” et qui
avait perdu une part de marché lucrative dans ses contrats de distribution de
gaz lorsque Evo Morales est arrivé au gouvernement en 2006 et décida de
nationaliser les hydrocarbures pour renégocier les contrats-, annonçait un
délai de 48 heures pour la démission de Evo.
Le président de facto Añez n’a pas ménagé ses ressources pour présenter
l’agresseur comme une victime et vice versa : “nous n’avons jamais pensé à
attaquer, nous étions attaqués (…) l’armée n’a tiré aucune balle (…) Des
experts nous ont dit que si une flamme s’allumait à Senkata, El Alto
pourrait voler en éclats”. Ceux qui conçurent ce thème ont atteint le sommet
dans l’art de la propagande. Cependant, contrairement au mensonge répété
mille fois que l’armée n’a pas tiré “une seule balle”, différents témoignages
affirment que les victimes mortelles ont été prises en cible par hélicoptère.
Au cours de sa mission d’observation, la CIDH (Commission
interaméricaine des droits de l’homme), dont on ne peut pas soupçonner
une quelconque partialité en faveur du gouvernement d’Evo, a recueilli de
nombreux témoignages sur les massacres de Sacaba et Senkata et dénoncé
qu’il “n’existe actuellement aucune garantie de l’indépendance de la
justice“ en Bolivie. En réponse, le 6 décembre, la présidente autoproclamée
a approuvé le “décret suprême 4100” dans le but d’indemniser les familles
des 35 morts et des centaines de blessés de la répression qu’elle a elle-même
ordonnée. 50.000 bolivianos, un peu plus de 7.000 dollars. Un véritable
“chantage” pour les porte-parole des victimes, qui ont déjà annoncé leur
volonté de porter l’affaire devant les Nations Unies. Immédiatement, un
groupe de porte-parole a répondu : “Nous ne voulons pas de votre argent,
c’est du chantage”.
Le silence des victimes ne s’achète pas. La CIDH s’est déclarée préoccupée
par l’inclusion dans le décret d’une clause qui empêcherait les victimes de
faire appel aux instances internationales pour faire valoir leurs droits. Cela
constituerait une violation des engagements pris lors de la ratification du
Statut de Rome, en particulier du principe d’imprescriptibilité en matière de
crimes contre l’humanité.
Une persécution politico-judiciaire frénétique
Les persécutions, les détentions arbitraires et les menaces de mort à
l’encontre des responsables du gouvernement destitué et de leurs familles
augmentent de jour en jour. Le scénario mis à l’œuvre pour aboutir au coup
d’État reste d’actualité, jusqu’à ce que l’objectif de la dictature de mettre fin
à toute résistance au coup d’État soit atteint. C’est ainsi que toute personne
qui puisse servir de bouc émissaire pour blanchir ses crimes continue d’être
détenue à titre préventif.
Ces dernières semaines, le Bureau du Défenseur du Peuple bolivien, qui se
contente de procéder à une évaluation des droits de l’homme et de
dénombrer les victimes, a été harcelé et ses travailleurs ont été empêchés de
mener à bien leur travail. Son représentant à Cochabamba, M. Nelson Cox, a
remis en question “le rôle joué par le bureau du procureur général et la
police en ce qui concerne les blocages et les protestations devant les locaux
du bureau du Défenseur“, les qualifiant de permissives face à ces actes
d’agression. La simple existence de cette organisation est inacceptable pour
les putschistes. Enragés lors de cette petite manifestation de résistance, les
représentants du gouvernement de facto incitent leurs partisans à attaquer
les membres de la Defensoría même chez eux : “Ils ont fait exploser des
explosifs chez moi, ils m’ont accusé d’avoir commis des actes illicites, j’ai été
qualifié de narcotrafiquant, assassin, terroriste (…) on a menacé mes filles
et ma famille” – a déclare M. Cox.
Loin de se contenter d’avoir pris le pouvoir par la force, le gouvernement de
facto est conscient que sa légitimité ne tient qu’à un fil. C’est pourquoi la
répression doit prendre une tournure importante jusqu’à l’organisation des
prochaines élections. Sans tarder, des unités anti-terroristes spéciales ont
été présentées en grande pompe …annonçant les prochains crimes qui
resteront impunis ?
Sans crainte du ridicule, le 6 décembre, le président autoproclamé a
annoncé la création d’un “comité interinstitutionnel pour la défense des
victimes pour des raisons politiques et idéologiques des 14 dernières
années”. Peu avant, Añez avait félicité le porte-parole des bandes
paramilitaires qui terrorisaient la population aux moments décisifs du coup
d’État, agissant avec la complicité de la police et de l’armée (incendies de
maisons, lynchages, attaques racistes, etc.). Et s’il était encore nécessaire de
prouver qui sont les victimes selon Añez, le même jour quatre mineurs
condamnés pour la torture et le meurtre du vice-ministre de l’intérieur
Rodolfo Illanes en août 2016, ont été libérés.
Le 11 novembre, la présidente et ancienne vice-présidente du Tribunal
électoral suprême (TSE), Maria Eugenia Choque et Antonio Costas, ainsi que
34 membres ont été arrêtés.
Le gouverneur de Chuquisaca, Esteban Urquizu, a été arrêté à titre préventif
le 27 novembre pour “abandon de ses fonctions” après sa démission le 10
novembre.
Le 3 décembre, l’ancienne ministre du Développement productif Susana
Rivero Guzmán a dénoncé “les menaces de mort contre mon fils, la
destruction de notre petite maison à La Paz et un climat hostile
d’intimidation contre la famille”. C’est pour cette raison qu’il a annoncé sa
volonté de “se tourner vers les organismes internationaux de protection des
droits de l’homme”.
Le 4 décembre, Idelfonso Mamani, ancien membre du TSE (Tribunal
électoral suprême), a été arrêté. Voici l’accusation : “On présume que la TSE
a attribué l’impression du matériel électoral à une imprimerie, mais que le
travail a finalement été effectué par une autre”.
Le 6 décembre, le départ du pays de l’ancien ministre de l’Economie Luis
Arce Catacora, qui a pu bénéficier de l’asile offert par le Mexique, a été
annoncé. Le même jour, l’ancienne ministre de la Communication Amanda
Dávila a été accusée d’avoir utilisé des fonds de la Maison d’édition de l’État
pour imprimer du matériel de campagne du MAS. Dávila a dénoncé avoir été
victime d’un montage par le biais d’une photo de la visite de la fille de
Morales.
Cette liste non exhaustive nous permet de comprendre que ce qui est en
cours est une persécution politico-judiciaire frénétique contre tous les
membres des gouvernements Morales précédents, jetant une ombre de
suspicion généralisée autour de la question de la corruption, afin de
remettre en cause et d’effacer complètement la mémoire des 13 années du
processus de changement en Bolivie, dont les avancées économiques et
sociales ont été mondialement reconnues, notamment avec la réduction de
la pauvreté extrême de 23%.
Confession de crimes contre l’humanité
Parce que la meilleure défense est l’attaque, le “ministre du gouvernement”
Murillo, qui a incité à “chasser” les membres du gouvernement déchu et
tenté d’intimider ceux qui les défendaient, a rendu publique son intention de
traduire Evo Morales devant la Cour pénale internationale à La Haye “pour
crimes contre l’humanité”, lui reprochant les 35 victimes mortelles, même
après sa démission et son exil du pays. Imputer à un président destitué la
responsabilité des victimes d’un régime qui a militarisé le pays et réprimé la
protestation, c’est faire preuve d’audace sans limites, ou bien se convaincre
de l’impunité sur laquelle il croit pouvoir compter après la reprise des
relations avec les États-Unis.
Murillo essaie sans aucun doute d’utiliser tout ce qui est en son pouvoir pour
inverser la victime et l’agresseur. C’est ainsi qu’il a tenté de présenter le vice-
président Alvaro Garcia Linera comme un “terroriste avoué” et un “narco-
guérillero”, réactivant l’imaginaire des dictatures pendant la Guerre Froide.
Il a aussi largement diffusé un enregistrement audio dans lequel on
entendrait Morales encourager le blocus des villes afin que la population
puisse résister au coup d’Etat. Qu’il s’agisse d’un document authentique ou
faux, le préambule de la Déclaration universelle des droits de l’homme des
Nations Unies, clairement inspiré de la déclaration française de 1789,
prévoit implicitement le droit à la rébellion dans les situations marquées par
l’absence de garanties démocratiques et constitutionnelles : “Il est essentiel
que les droits de l’homme soient protégés par une règle de droit, afin que
l’homme ne soit pas contraint au recours suprême de la rébellion contre la
tyrannie et l’oppression”.
Illégitime, le gouvernement de facto d’Añez-Murillo a été imposé par une
armée dont la première mission a été d’écraser les protestations dans le sang
et de donner une leçon aux humbles habitants des zones rurales, les privant
de leur droit de vote et de leur participation à la vie démocratique après des
siècles d’exclusion. Sa fonction prévisible est d’occulter et de justifier la
vague actuelle de répression. Mais le peuple digne de l’État plurinational de
Bolivie porte sur son dos l’expérience de siècles de résistance avec
détermination à la tyrannie du colonialisme et de ses successeurs. Il est
temps de comprendre que les campagnes de désinformation sont un
mécanisme mondial dont l’objectif est de briser la souveraineté des peuples
du monde et de détruire les ponts de la solidarité. L’apôtre de
l’indépendance cubaine José Martí l’a résumé d’une manière imbattable :
“Les peuples qui ne se connaissent pas doivent se dépêcher de se connaître
comme ceux qui vont se battre ensemble”.