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‫‪1‬‬

‫المسلك‪ :‬الدراسات الفرنسية‬

‫الفصل‪ :‬األول‬

‫‪ :‬الوحدة ‪M 05‬‬

‫‪:‬المادة ‪Histoire des Idées et des Arts‬‬

‫األستاذ ‪ :‬المحجوب موح‬


2

Filière : Etudes françaises


Module : 05
Matière : Histoire des Idées et des Arts
Semestre : 1
Groupes : 4 groupes
Professeur : M. MOUH

Le Moyen-âge

Plan du cours

Moyen-âge 
I- Définitions
1- Le mot
2- Le concept
II- Historicité
III- Divisions du Moyen-âge :
a- Haut Moyen-âge
b- Moyen-âge classique (ou central)
c- Bas Moyen-âge (ou Moyen-âge tardif)
IV- Caractéristiques
V- Féodalité : structure socio-économique
VI- L’art : du style romain au gothique
VII- Culture et pensée médiévales
VIII- Littérature du Moyen-âge :
a- Prépondérance de l’oralité : troubadours, trouvères, jongleurs…
b- L’"écrivain" ou l’"auteur" : statut et concept fluctuants et inconsistants
c- Le sacre de la littérature chevaleresque ou épique : La Chanson de geste : La
Chanson de Roland
d- La littérature satirique et courtoise
e- Texte(s) choisi(s)
3

I- Définitions
1- Le mot
Etymologiquement1 parlant, la terminologie Moyen-âge figurait déjà dans la
littérature antique, pour désigner un intervalle temporel intermédiaire entre deux
périodes. Ainsi, Cicéron, l’écrivain latin (106 av. J.-C.-43 av. J.-C.), décrivant les années
douloureuses de Rome sous le règne de l’empereur Claudius, formula en 56 av. J.-C.,
dans un discours, l’idée d’une époque intermédiaire dévalorisée, utilisant la formule
latine : Medium Tristissimum Tempus2. La référence à une époque médiane entre deux
phases historiques est également perceptible chez Marc-Aurèle (121 apr. J.-C.-180 apr.
J.-C.), empereur, philosophe stoïcien3 et écrivain romain, qui, méditant sur le vice,
explique que celui-ci se manifeste partout, quelque soit la période des scènes que l’on
considère : anciennes, intermédiaires ou contemporaines.
Cependant, c’est seulement avec les humanistes de la Renaissance que l’usage du
mot Moyen-âge, dans un sens foncièrement périodologique de l’histoire, acquiert son
acception moderne. A cet effet, le poète florentin, Pétrarque, emploie pour la première
fois, dans une lettre à Francisco Rinuccini4, le terme Medium tempus, pour dénommer
sa propre époque, qu’il juge sordide (sordes en latin), se lamentant de ne pas être né
plus tôt, ou beaucoup plus tard. Dans ce contexte historiographique, le mot Medium
tempus désigne ce temps intermédiaire entre un passé glorieux (l’Antiquité gréco-latine)
et un nouvel âge d’or qui viendrait redorer le lustre de la civilisation occidentale, alors
en net déclin. Par la suite, le mot Medium tempus reviendra régulièrement sous la
plume des autres écrivains humanistes, tels Leonardo Bruni ou Colluccio Salutati, avec
des connotations souvent de médiocrité et de décadence.

2- Le concept
Souvent, les grandes périodes historiques sont sujettes à des projections qui leur
confèrent des définitions bien distinctes de ce que furent réellement ces périodes. Le cas
du Moyen-âge en est bien l’illustration. En effet, au fil du temps, maints "clichés" et
préjugés se sont accolés à cette période, porteurs d’une projection négative : la pensée
de la Renaissance (XVIè siècle), comme celle des Lumières (XVIIIè siècle), par exemple,
se réfèrent systématiquement au Moyen-âge comme une parenthèse dans l’évolution de
l’Occident ; il est donc synonyme d’immobilisme, d’obscurité, d’ignorance ; sa culture
est taxée de superficialité, de médiocrité.
Il fallait attendre le XIXè siècle, et plus particulièrement l’avènement du
romantisme, pour que l’ère médiévale soit enfin réhabilitée. De fait, pour les
romantiques, le Moyen-âge ne serait aucunement un temps des ténèbres, comme le
prétendaient les siècles antérieurs (spécialement les XVIè et XVIIIè). Loin de là, il
1
- De l’étymologie, science qui a pour objet la recherche de l’origine des mots en suivant leur
évolution à partir de l’état le plus anciennement attesté.
2
- Tristissimum est un superlatif de l’adjectif tristis, qui signifie : morose, triste, affligeant, etc.
Donc, si l’on se risque à traduire la formule latine, on dirait : Période/temps/ère intermédiaire tristissime
(extrêmement triste)
3
- Relativement au stoïcisme : philosophie de Zénon de Cition et de ses disciples, selon laquelle le
bonheur est dans la vertu, la fermeté d'âme. P. ext. Attitude morale caractérisée par une grande
fermeté d'âme dans la douleur ou le malheur; attitude, caractère d'une personne stoïque.
4
- Eminent diplomate et négociant florentin
4

coïncide avec la naissance des Etats (Espagne, France, Allemagne, etc.), la consolidation
de la chevalerie, auréolée par les valeurs de l’honneur, de l’aventure, du sens du
sacrifice, du courage et des tournois5, etc. Davantage, la phase médiévale marqua
l’histoire (en architecture notamment) par le passage de l’art romain au style gothique,
dont les somptueuses cathédrales et les imposants châteaux-forts, entre autres,
témoignent, jusqu’à nos jours, d’un génie hors pair.
Il s’ensuit que la fascination du Moyen-âge se manifeste chez les plus grands
écrivains romantiques, dont certaines œuvres traduisent un hommage solennel à
l’héritage médiéval : Ivanhoé de Walter Scott, Notre-Dame de Paris, de Victor Hugo…
Pour nombre d’écrivains d’alors, le Moyen-âge devient une source d’inspiration
littéraire, au détriment de l’Antiquité gréco-romaine, qui avait servi de modèle aux
renaissants et aux classiques.
Depuis, les travaux d’éminents spécialistes de cette période (communément
appelés médiévistes) ont notoirement dissipé le teint sombre, voire sinistre, que la
postérité a parfois injustement prêté à cette phase historique.

II- Historicité
Si, comme son nom (Medium tempus) l’indique, le Moyen-âge est une période
intermédiaire, il est nécessaire de le situer dans le temps, c’est-à-dire de lui fixer une
date de début et une date de fin. Quand commence donc le Moyen-âge et quand se
termine-t-il ?
Avant d’entreprendre une réponse à cette question, il est sans doute besoin
d’éclairer une problématique qui a toujours empreint les grandes époques historiques :
Antiquité, Moyen-âge, Renaissance, etc., à savoir le principe de la périodisation. Certes,
sur un axe chronologique, les événements se succèdent et, nécessairement, cela suppose
des coupures, des contradictions, des transitions, des dépassements, etc. Or, ces
derniers ne s’opèrent pas de manière abrupte ou irréversible : par exemple, un homme
qui a vécu les dernières années de l’Antiquité et les premières années du Moyen-âge n’a
constaté presque aucun changement ; pour lui, il ne s’est réellement rien passé, puisqu’il
a continué à vivre de la même façon ; autre exemple : un homme qui a vécu lors des
dernières années du Moyen-âge ressemble davantage, dans sa façon de penser et de
vivre, à l’homme de la Renaissance qu’à celui du Moyen-âge, époque à laquelle,
officiellement, il appartient, etc.
Par conséquent, le principe de la périodisation apparaît comme une nécessité
scolaire et académique, qui prône une lecture linéaire, schématique et intelligible de
l’Histoire ; mais ce principe est loin d’être une évidence scientifique ; il est même
absurde, à certains égards, car les phénomènes humains sont beaucoup plus complexes
pour se prêter à une schématisation aussi simpliste.
Précisément, eu égard à la complexité et à la relativité de cette segmentation
périodique de l’Histoire, la question du commencement et de la fin du Moyen-âge est
diversement appréhendée par les historiens, chacun y va de sa propre interprétation des
événements et de leur impact sur le cours historique des nations ultérieures. Ainsi, pour
5
- Au Moyen-âge, combat, ou joute guerrière au cours de laquelle plusieurs chevaliers s'affrontaient
en champ clos, l'un contre l'autre ou par groupes, à cheval ou à pied, avec lance, pique, épée ou massette,
en présence d'une brillante assemblée.
5

le début du Moyen-âge, on avance plusieurs dates, dont on retient trois, tout


particulièrement :
- IIIè siècle : cette période correspond à une profonde crise de l’empire romain,
crise d’abord interne, au niveau politique, avec la succession de plusieurs "empereurs-
soldats", dont Tacite, Gallien, Florien, Probus, Tarse et enfin Carin, ce qui plonge
l’empire dans un état d’instabilité, aggravé par une série de coups d’Etat et des
tentatives de sécession6 dans certains territoires (l’empire gaulois, l’empire de Palmyre,
entre 260 et 274) ; sur le plan économique, le sabotage des réseaux commerciaux, la
paralysie des moyens de transport et la chute de la production dans plusieurs provinces
asphyxient l’empire.
A cette crise interne se rajoute une crise externe, marquée par la menace constante
de nombreuses tribus germaniques et les intentions expansionnistes du nouvel empire
perse des Sassanides. Du coup, les frontières à l’est et au nord de l’empire étaient
constamment le théâtre d’invasions et d’incursions de puissances étrangères, mettant à
rude épreuve les capacités défensives de l’armée romaine.
- IVè siècle : suite à la crise structurelle et multiforme du IIIè siècle, l’implosion de
l’empire romain survient inexorablement au IVè siècle. On assiste alors à l’éclatement
de l’empire en deux parties :
a- l’empire romain d’Orient, dit aussi empire byzantin, dont la capitale est
Byzance, future Constantinople.
b- l’empire romain d’Occident, dont la capitale demeure toujours Rome.
- Vè siècle : Après la crise du IIIè siècle et l’éclatement au IVè siècle, l’empire
romain succombe définitivement à cette série de troubles, sous les coups des invasions
étrangères, notamment des Huns7 et des Goths8, lesquels saccagent Rome, en 471. La
chute de l’empire romain d’occident est définitivement consommée en 476, avec la
déposition du dernier empereur romain, Romulus Augustus, dont le règne n’a guère
dépassé dix mois. Cette dernière date (le Vè siècle) semble la plus maintenue par les
historiens, et elle sert de transition entre l’Antiquité tardive le Moyen-âge.
La fin du Moyen-âge à son tour ne fait aucun consensus au sein de la communauté
historiographique, pour les raisons mêmes invoquées pour le début de cette période.
Mais, de manière générale, deux dates se détachent de toutes les autres :
- Le XIVè siècle : durant ce siècle, l’Europe connaît un essor formidable au niveau
démographique, économique et culturel. On assiste aux prémices de la mise en place des
Etats territoriaux et centralisés.
- Le XVè siècle : ce siècle est marqué par deux événements majeurs :
a- 1453 : prise de Constantinople par les Turcs Ottomans, ce qui engendre la fuite
massive des érudits byzantins, alors établis dans cette ville, vers l’Italie, surtout vers la
ville de Florence. Cet incident participera notoirement au phénomène de la Renaissance.

6
- Polit., acte par lequel une partie de la population d'un État se sépare volontairement de cet État,
par voie pacifique ou violente, pour constituer un État indépendant ou pour se réunir à un autre. 
7
- Peuple nomade de la steppe, d'origine turque, ougrienne ou mongole selon les chercheurs, qui,
à partir de la fin du IVe s., a fait de profondes incursions en Europe et en Asie centrale jusqu'en Inde.
8
- Peuplade venue de Scandinavie qui se répandit en Europe dans les premiers siècles de l’ère
chrétienne, se divisant en Ostrogoths (Goths d’Orient) et Wisigoths (Goths d’Occident) et ayant en
Occident une réputation bien établie de barbarie.
6

b- 1492 : chute de Grenade, fin de la Reconquista9, découverte de l’Amérique par


Christophe Colomb, invention de l’imprimerie.
A la lueur de toutes ces dates, de tous ces chiffres, s’entrevoit l’âpre labeur de fixer
avec exactitude sur l’axe temporel le début et la fin des grandes périodes historiques, où
s’enchevêtrent force éléments : géographiques, politiques, sociaux, économiques,
démographiques, religieux, culturels, etc. Et, assurément, les vives discussions et les
polémiques autour de cette question ne finiront pas de sitôt.
D’autres historiens, au reste, rejettent non seulement le principe de la
périodisation, mais l’idée du Moyen-âge lui-même. A leurs yeux, le Moyen-âge n’a
jamais existé ; il s’agit simplement d’une évolution progressive de l’humanité, sans
véritable ruptures radicales ou de sauts qualitatifs et brusques entre les époques, car on
ne saurait circonscrire ou réduire une période (le Moyen-âge en l’occurrence) à l’une de
ses caractéristiques, tels les châteaux-forts, la prégnance de la ruralité ou la féodalité,
par exemple, puisque certains de ces phénomènes existaient avant, et existeront après
l’ère médiévale.
III- Divisions du Moyen-âge
Sur une période historique aussi longue (près de mille ans), il est peu probable,
voire impensable, qu’une société humaine maintienne les mêmes modes de vie et de
pensée, pour peu dynamique et peu ouverte qu’elle soit sur les autres cultures et
civilisations. Forcément, donc, des changements, des mutations, aussi minimes soient-
elles, se sont glissés au sein de la société médiévale, conférant à cette vaste période non
pas un aspect uniforme, mais des facettes multiples. Aussi les historiens divisent-ils l’ère
médiévale en deux ou trois parties, selon des critères distincts :
1- Le haut Moyen-âge : il correspond aux cinq premiers siècles (Vè-Xè siècles) et
dont on ne possède que très peu de textes.
2- Le Moyen-âge central ou classique, qui s’étend du XIè au XIIIè siècle, il incarne
l’apogée de l’ère médiévale, en raison de l’essor marquant de l’architecture, d’une
intense activité économique, de l’émergence d’une culture brillante et profuse, de
l’accroissement notable des villes, dû à une explosion démographique inédite.
3- Le bas Moyen-âge ou le Moyen-âge tardif (XIVè et XVè siècles), il est en proie à
une grave crise systémique.
Venons-en maintenant à détailler les caractéristiques de chacune de ces trois
phases du Moyen-âge :
1- Haut Moyen-âge :
Les vagues d’invasions barbares qui ont fini par démanteler l’Empire romain se
sont intensifiées durant le haut Moyen-âge ; il en est résulté l’apparition d’Etats mineurs
et morcelés, sans pouvoir central ni statut géographique stable, conséquence de
l’émiettement de l’Empire romain. Cette période vit aussi l’apparition des Cités-Etats,
dont l’existence fut souvent éphémère et précaire. Afin de remédier à cet état de
"balkanisation"10 qui sévit en Europe, des efforts de réunification se sont entrepris par
9
- C’est le nom espagnol ou portugais de la Reconquête, qui correspond à la période du Moyen-âge
pendant laquelle les royaumes chrétiens de la péninsule ibérique et des îles Baléares ont reconquis les
territoires occupés auparavant par les musulmans.
10
- Néologisme (par allusion à la fragmentation de la péninsule Balkanique au cours du XIXè et du
début du XXè s.) : morcellement politique d’un pays en petites entités autonomes.
7

quelques grandes dynasties des rois francs, notamment les Mérovingiens et les
Carolingiens.
• Les Mérovingiens (relativement à Mérovée ou Mérovig, leur fondateur) : ils
règnent du Vè au milieu du VIIIè siècle. Leur notoriété est due principalement au roi
Clovis 1er, qui a étendu le royaume franc sur une grande partie de l’Europe. Cette période
connut une transformation économique significative, puisque l’activité commerciale qui
a longtemps prospéré tout au long du pourtour méditerranéen a changé d’orientation,
vers le Nord, en raison des invasions.
L’agriculture, de son côté, s’est relativement développée grâce à l’élargissement des
surfaces des terres arables, à travers les clairières et à les défrichements des forêts. Les
paysans libres restaient attachés aux seigneurs terriens, moyennant une protection
(contre les envahisseurs barbares) ou une justice rudimentaire : il s’agit des prémices du
système féodal (auquel nous reviendrons un peu plus loin dans ce cours).
On assiste également au déclin des villes en Occident, qui conservèrent les mêmes
fonctions administratives et religieuses, le même aspect architectural (plan
hippodaméen11) que lors de la période romaine.
Quant à la religion, elle demeure inféodée au pouvoir de l’Eglise, seule institution
européenne universelle, quoique son autorité soit de plus en plus contestée. Le pape est
en tête de la hiérarchie religieuse ; il siège à Rome, capitale spirituelle du christianisme.
L’Eglise est investie d’une mission préventive contre les tendances hérétiques
introduites par les peuples païens (arianisme, millénarisme, cathares12, etc.) et contre les
Infidèles (les musulmans). Elle s’emploie aussi à christianiser les masses à confession
paganiste. De fait, elle s’oppose vigoureusement à toute pensée libérale : le pape
Grégoire le Grand, fervent fanatique religieux, détruit plusieurs monuments de
l’ancienne littérature et de l’art antiques.
Logiquement donc, la vie intellectuelle est outrageusement dominée par la
théologie, elle ploie sous la férule de la répression, de la censure ecclésiastiques. Le latin
est la langue d’usage en administration, en jurisprudence. Certains auteurs antiques
sont recopiés et commentés, de rares œuvres à caractère encyclopédique voient le jour :
Les Etymologies, de Saint Isidore de Séville, mais, tout compte fait, aucune activité
culturelle de nature profane n’est tolérée par l’Eglise.
• Les Carolingiens : ils remontent aux Pippinides (en référence à Pépin de
Landen), dynastie de la noblesse franque dont plusieurs membres se nomment Pépin.
Elle relève au pouvoir les derniers rois fainéants13 mérovingiens, déchus par les
Barbares. La gloire des Carolingiens est redevable essentiellement à leur figure
emblématique : le roi Charlemagne, lequel s’est imposé comme le défenseur de la
chrétienté devant la menace musulmane. Il est intronisé à Rome, sous la bénédiction du
pape, comme roi de tous les Francs. Il devient empereur et s’installe à Aix-la-Chapelle

11
- En urbanisme, un plan hippodaméen, hippodamien ou hippodamique est un type d’organisation
des villes dans lequel les rues sont rectilignes et se recoupent en angles droits. Ce type de planification
urbaine était très fréquent chez les Grecs, puis chez les Romains.
12
- Voir plus en détail la signification de ces tendances sectaires un peu plus loin dans ce cours.
13
-" fainéants" est un jeu de mots : "fait" et "néant", surnom attribué par Eginhard, biographe de
Charlemagne, aux derniers rois mérovingiens, incriminant leur paresse et leur manque d’action, occupés
à régner sans rien faire : « ils n’avaient de rois, écrit-il, que le nom ».
8

(Allemagne), qu’il prend pour capitale. En 800, l’Europe entière est sous sa coupe. Son
empire s’étend de la péninsule ibérique aux pays slaves. Il meurt en 814, mais son
empire lui survit jusqu’à 843, où il s’écroule face à une seconde vague d’invasions menée
par les peuples voisins (Vikings, Bulgares, Hongrois, etc.).
2- Moyen-âge classique (ou central) :
Cette période coïncide avec l’essor du système féodal, qui atteint son apogée aux
XIIè et XIIIè siècles. La société est compartimentée et inégale : au sommet de la
hiérarchie trônent les suzerains, qui détiennent leur pouvoir de Dieu, comme cela est
manifeste lors des solennelles cérémonies du sacre ; à l’autre bout du rang se trouvent
les vassaux, engagés dans un lien d’obligations réciproques vis-à-vis des suzerains, mais,
globalement, restent dépendants de ces derniers, soumis à leur volonté. La noblesse
d’épée (les chevaliers) et la noblesse de robe (le clergé) complètent le décor.
La vie économique peut être perçue en analysant la situation dans les campagnes et
dans les villes.
a- dans les campagnes : où se fait sentir une relative amélioration des conditions
de vie de la population, désormais protégée par les Seigneurs. Les affres des guerres,
atténuées par la Paix de Dieu14, cèdent à un climat social stable et plus sûr.
Techniquement, une nette avancée a été réalisée dans le monde agricole : la charrue
substitue l’antique araire, ce qui décuple les surfaces des terres cultivables et le
rendement des récoltes, même si le mode d’exploitation le plus répandu demeure le
servage qui, depuis le temps des Mérovingiens, a remplacé l’esclavage antique. Ces
éléments positifs ont eu un impact direct sur la croissance démographique de la
population, qui a enregistré un bond prodigieux.
b- dans les villes : Certes, il est malaisé de parler des villes, de l’urbanisme au
Moyen-âge, une époque où la ruralité dominait excessivement (près de 95% de la
population était rurale), où l’archaïsme, tant architectural qu’administratif des villes
persistait. Celles-ci se développaient généralement autour d’une cathédrale ou d’un
bâtiment religieux, en cercles concentriques.
Cependant, vers la fin du XIè siècle, le rôle politique et économique des villes
s’accroît dans toute l’Europe chrétienne. En Italie, elles seront au cœur d’Etats puissants
(Venise, Florence, Milan…). Dans les pays nordiques, l’essor des villes est percevable
d’après le dynamisme des grands ports (mer du Nord, mer baltique) et le
développement des réseaux commerciaux.
3- Bas Moyen-âge (ou Moyen-âge tardif) :
Les deux derniers siècles du Moyen-âge (XIVè et XVè) sont marqués par une
profonde crise systémique, qu’on peut appréhender selon deux axes : l’infrastructure et
la superstructure.
• Infrastructure : qui englobe les conditions matérielles de la vie d’une société
(moyens, techniques de production, leurs rapports avec les conditions économiques,
socio-culturelles, etc.). Ainsi, la vie socio-économique de cette période est
indissolublement liée à des facteurs divers : d’abord les calamités naturelles afférentes

- Il s’agit de la volonté de l’Eglise d’instaurer une pacification de la société chrétienne. Cette


14

tendance s’est convertie en mouvement spirituel durant les Xè et XIè siècles, visant à éradiquer toute
forme de violence, qu’elle soit de nature sociale ou religieuse, et à renforcer les pouvoirs publics.
9

aux effets climatiques ; en effet, la Terre était entrée dans un cycle mini-glacial entre le
XIVè et le XVè siècle, ce qui entraîna une baisse des températures de deux degrés. Le
refroidissement du climat et le taux d’humidité particulièrement élevé se sont
répercutés sur la population, majoritairement paysanne et campagnarde.
La succession des mauvaises récoltes provoque la famine, la décroissance
démographique, en raison de la mortalité galopante et la baisse de natalités. Les
épidémies se propagent à une cadence démentielle, principalement la fameuse Peste
noire, venue d’Orient (Crimée), à travers les navires italiens, et qui infeste les villes de
Constantinople, Messine, Naples, Gênes…, pour s’étendre ailleurs (Marseille, en France,
et ravage ensuite d’importantes villes du Maghreb, d’Egypte et de Palestine). Cette
pandémie extrêmement contagieuse et meurtrière anéantit près du tiers de la
population européenne et persiste jusqu’au XVIIIè siècle.
Un autre facteur aggrave le sort, déjà pitoyable, des populations : les guerres, qui
sévissent partout : Guerre de Cent Ans (qui n’a duré en réalité qu’une vingtaine
d’années) entre l’Angleterre et la France, des guerres civiles en Suisse, en Ecosse, guerre
de succession de Bretagne, etc. De surcroît, l’évolution tactique et technique des guerres
ont bouleversé la physionomie de celles-ci, qui, jadis, se déroulaient en affrontements
ressemblant davantage à un tournoi. Désormais les conflits armés sont de véritables
guerres de quartiers aux pertes humaines effroyables. Le concours de tous ces éléments
aura des répercussions néfastes sur la population dans tous les compartiments de la vie :
a- dans les campagnes : les rigueurs climatiques se font ressentir immédiatement
sur les rendements céréaliers, qui baissent d’un niveau alarmant, occasionnant le trépas
massif des bêtes d’élevage, condamnant par là même les gens à la famine. Les tensions
sociales éclatent : les seigneurs refusent de baisser le taux d’impôts (les pensions)
auquel étaient assujettis les paysans. Ces impôts étaient fixés annuellement entre les
deux partis, et n’étaient pas taxés proportionnellement au rendement, autrement dit, les
paysans devaient s’acquitter de cette imposition quelque soit le rendement agricole de
l’année. A l’évidence, ce régime d’imposition profitait tout de même aux paysans aux
moments d’abondance et de croissance économique. Mais en périodes de "vaches
maigres" : catastrophes naturelles, guerres, baisse de revenu, etc., cela rendait intenable
la vie des gens de la campagne ; ce qui déchaînait leur grogne, voire leur violence : les
fameuses jacqueries (soulèvements des jacques, ou révoltes paysannes)
b- dans les villes : logiquement et irrémédiablement, et du fait de la relation
dialectique entre les campagnes et les villes, la crise qui frappe les premières impacte,
comme un effet domino, les secondes, puisque les villes sont nourries, ravitaillées par
les campagnes. Et en périodes de mauvaises récoltes, les paysans appliquent
l’autoconsommation (ils ne vendent pas leurs produits), adoptant une stratégie de
subsistance. Privées des produits de consommation de base, les villes agonisent, les prix
flambent, et la disette s’installe. A l’instar des campagnes, les villes vivent sous les
tensions et les violences, particulièrement entre les patricias15 et les corporations16, au
sujet de la gestion des villes et des droits de la classe laborieuse, déjà bafoués par les

15
- citoyens romains appartenant, de par leur naissance, à la classe sociale supérieure : aristocrates.
16
- associations de professionnels exerçant le même métier (boulangers, pêcheurs, barbiers, etc.),
une certaine forme de syndicats.
10

seigneurs, puis par la bourgeoisie, qui lui a succédé au pouvoir (soulèvements en


Flandres, à Paris, à Fribourg, à Zurich, à Berne, etc.).
• Superstructure : terme dérivé de la pensée marxiste, il désigne entre autres
l’aspect politique (organisation des Etats, passage de la Cité-Etat à l’Etat-nation ;
l’idéologie : théories politiques, appartenance nationale, territoriale ou identitaire…), le
volet religieux (position de l’Eglise à l’égard de la pensée en général et des déviances
hérétiques en particulier), et finalement le système de pensée, l’art et la culture.
* Centralisation des Etats : depuis le XIIIè siècle, une tendance à la fusion des
Etats déjà existants était amorcée en Europe. D’autres Etats (re)naissent des cendres et
décombres des guerres et du chaos : le Saint-Empire germanique se convertit, sous
l’impulsion de l’illustre famille des Habsbourgs, en fédération composée d’une trentaine
d’Etats ; dans la péninsule ibérique, la fin de la Reconquista a dicté un nouvel ordre
politique : l’Espagne, constituée de quatre royaumes (Castille, Navarre, Aragon et
Grenade), annexe le royaume du Portugal.
On cherche à s’unir, à s’allier contre un ennemi commun (l’Islam), mais aussi pour
cimenter la fibre nationaliste et le sentiment identitaire et ce, parfois, à travers des
mariages entre familles royales, à preuve celui de Ferdinand d’Aragon et Isabelle de
Castille, décisif, d’ailleurs, pour l’expédition de Christophe Colomb et la découverte de
l’Amérique. L’Angleterre, dont la moitié de la population a péri dans les guerres, les
famines et les épidémies, tente de se redresser aux prix de rudes affrontements entre la
Maison royale de Lancastre et celle d’York pour le trône de la monarchie, conflit plus
connu sous le nom de la Guerre des deux roses17. La France, littéralement exsangue à
l’issue d’une guerre épuisante contre l’Angleterre (la Guerre de Cent Ans), s’achemine
vers le raffermissement de l’autorité monarchique, soutenue notamment par les familles
des Bourguignons et des Armagnacs.
* la position de l’Eglise : cet établissement, comme cela a été préalablement
souligné, demeure une institution incontournable de la vie et de la pensée médiévales :
édifices (cathédrales, chapelles, hôtels-dieu…), représentations iconographiques dédiées
à Jésus-Christ, à la Vierge, aux anges, aux saints…, tout respire une ferveur exalté de la
foi. Toutefois, cette suprématie de l’Eglise ne peut occulter sa crise, puisqu’elle a été,
depuis l’époque carolingienne surtout, confrontée à de sérieuses menaces, d’ordre
interne et externe :
1- s’agissant des soucis internes, on note l’opposition entre chrétienté d’Orient
(dont la capitale est Constantinople) et chrétienté d’Occident (dont la capitale est
Rome). Les différends théologiques et politiques entre les deux pôles du christianisme
demeurent irrésolus, et culminent par le schisme18 de 1054. Pire encore, le mal interne
qui ronge l’Eglise occidentale finit par déchaîner le litige entre Rome et Avignon autour
de la papauté ; en effet, deux, voire trois papes régnaient parfois simultanément, et
chacun était soutenu par un roi différent, selon des intérêts manifestement politiques.
17
- Il doit ce nom aux emblèmes des deux Maisons belligérantes : rose rouge pour les Lancastre ;
rose rouge pour les York.
18
- on entend par ce terme la rupture, la division de l’Eglise d’Orient et celle d’Occident, survenu en
1054. Mais il y a un autre schisme, surnommé Grand schisme d’Occident, cette fois-ci, qui a fractionné
l’Eglise d’Occident elle-même, entre 1378 et 1417, où l’autorité papale s’est vu disputer entre Rome et
Avignon.
11

Pendant près de 70 ans, Avignon était le siège de l’autorité pontificale et le cœur de


l’Eglise chrétienne. Les multiples conciles tenus à Pise, à Bâle, à Paris, ou encore à Nice,
pour rétablir l’unité de la chrétienté n’ont guère prospéré.
2- A l’extérieur, l’expansion musulmane tout au long du bassin méditerranéen
(Espagne, Italie, France…) a engagé l’Eglise dans une série de campagnes militaires (les
Croisades), menées depuis 1095, pour libérer les lieux saints du Moyen-Orient
(Jérusalem), sous domination musulmane depuis le VIIè siècle. D’autres opérations
militaires étaient dirigées contre les musulmans à l’intérieur de l’espace chrétien, pour
les en expulser (la Reconquista, en Espagne). Toujours sur le front extérieur, l’Eglise
devait résister aux mouvances hérétiques19 introduites en terres chrétiennes par les
peuples païens. Ces doctrines, aux inspirations et rituels insolites, ou issues
d’interprétations mystérieuses du Nouveau Testament, se sont érigées en forces
contestataires contre l’Eglise, recourant parfois à une violence extrême pour s’imposer.
Parmi ces doctrines, les plus influentes furent les Cathares20, l’arianisme21, le
millénarisme22 ou encore la secte des Flagellants23.
IV- Culture et pensée médiévales
Globalement, au niveau de la pensée, quatre grandes traditions se sont affrontées
et mutuellement enrichies pendant le Moyen-âge : la gréco-byzantine, la latine, la juive
et l’arabo-musulmane. De fait, un écho de la philosophie grecque (Platon, Aristote)
résonne distinctement chez Averroès, connu davantage chez les Latins comme
"commentateur" d’Aristote que comme philosophe ; saint Thomas d’Aquin, pour sa part,
reprend à peu près le scabreux débat de la relation entre l’esprit et la religion, qui fut
longtemps l’épicentre de la pensée arabo-musulmane, et dont l’un des aboutissements
19
- Bien entendu, le terme "hérétique" est repris ici dans une optique strictement ecclésiale, c’est-à-
dire qu’il exprime le point de vue officiel de l’institution religieuse référentielle : l’Eglise, en l’occurrence.
Or, ce positionnement n’est pas forcément objectif, car certaines tendances religieuses opposées à l’Eglise
n’étaient pas nécessairement hérétiques. Au Moyen-âge, pour légitimer sa répression (Inquisitions,
autodafés, etc.) contre les minorités religieuses l’Eglise taxait d’hérétique toute pensée ou croyance
dissidente.
20
- du grec katharoi, qui signifie "pur", le catharisme assigne à l’homme un objectif : atteindre la
pureté parfaite de l’âme. Pendant son séjour sur Terre, conçu comme une épreuve, l’homme doit
s’efforcer, par une conduite appropriée, de rompre avec la matière, le monde physique et les besoins
grossiers. Pour les Cathares (appelés aussi Albigeois, en référence à Albi, région en France), tout cela
représente le Mal, auquel s’oppose le Bien, c’est-à-dire l’âme purifiée, ignorant les désirs du corps. La
Création, telle que nous la connaissons ici-bas, est née d’un affrontement entre Dieu (principe du Bien) et
Lucifer=diable (principe du Mal). Nous sommes des anges déchus ; nos esprits sont bons, mais
prisonniers des corps soit par force soit le pouvoir tentateur. Ce n’est qu’après la mort que les esprits se
libèrent du joug du corps.
21
- Doctrine professée par Arius (d’où le nom d’arianisme) et ses disciples, elle nie le principe de la
trinité et celui de la consubstantialité, à savoir que le Père (Dieu) et le Fils (Jésus-Christ) n’appartiennent
pas à la même substance, puisque la nature de Dieu est divine, et celle du Christ est humaine, disposant
d’une part de divinité. Du coup, la relation entre le père et le Fils n’est pas d’ordre procréatif mais adoptif.
22
- Doctrine religieuse, appelée aussi chiliasme ou messianisme, selon laquelle le Messie régnera sur
Terre après avoir chassé l’antéchrist (le messie égareur) et avant le Jugement dernier. Le règne du Messie
et de ses élus est censé durer mille ans.
23
- Groupes ambulants de fidèles qui, au XIIIè siècle particulièrement, déferlaient par milliers à
travers les villes européennes. Nourris d’idées chiliastiques et mystiques, affligés par les horreurs des
guerres, de la peste noire, de la famine ou encore de certaines catastrophes naturelles, les flagellants, à
travers l’autopunition (en se frappant furieusement avec des flagelles), l’hystérie processionnelle et la
mortification, exprimaient le souhait d’une rédemption. Les événements funestes de l’époque renforçaient
cette secte dans sa certitude du courroux divin et de l’imminence de l’Apocalypse. La purification par la
douleur signifiait alors pour les flagellants la seule voie d’admission au Royaume de Dieu.
12

sera le mouvement néoplatoniste avec, principalement, Marcile Ficin et Jean Pic de la


Mirandole. Bref, il y avait matière à penser.
Et, force est de le constater, le rapport de l’Occident médiéval avec le savoir et la
culture n’a jamais, à proprement parler, été rompu : le soin prodigué par le roi
Charlemagne à l’instruction (construction des écoles), aux arts et aux sciences
(mécénat), en est la preuve irréfutable, même si le rayonnement de l’empire carolingien
fut bref. En tout cas, la vie culturelle au Moyen-âge reste indissociable du climat général
de cette époque, sur tous les plans.
D’abord, les manuscrits, principale source de savoir, étaient souvent rares, parfois
mal traduits, et toujours très coûteux, d’où le taux d’analphabétisme excessif. A cela
s’ajoute le saccage des bibliothèques, des monastères (ces derniers recelaient de
précieux manuscrits) et des établissements d’instruction, provoqué par les invasions
barbares. Pour sa part, l’Eglise exerça une telle injonction sur la pensée que cette
dernière resta substantiellement assujettie à la théologie scolastique, qui prit sa forme la
plus aboutie dans La Somme, de saint-Thomas d’Aquin. Aux yeux de l’Institution
religieuse, l’art, la philosophie et la littérature incarnent les sédiments pervers de
l’Antiquité païenne, et menacent de dévoyer les nouveaux convertis. La véritable
mission de l’art est de servir la cause de Dieu (orner les édifices religieux, exalter les
vertus de la foi…). De fait, durant la majeure partie du Moyen-âge, et dans toute
l’Europe chrétienne, l’éducation est impartie aux prêtres, remplaçant ainsi le modèle laïc
athénien, qui a empreint l’Antiquité ; de même, la vie intellectuelle est presque
exclusivement renfermée dans la société religieuse, exprimée dans la langue de l’Eglise,
qui était aussi la langue universelle : le latin.
Néanmoins, progressivement, une franche tendance à l’évolution fut amorcée, avec
la sécularisation de plus en plus patente de la pensée, qui s’échappe du carcan
monastique pour s’envoler librement dans les airs des universités (Oxford, Louvain,
Tolède, Cordoue, Bologne, etc.). La société laïque s’invite peu à peu au paysage culturel,
profitant des fléchissements sporadiques de l’oppression cléricale, imposant ses goûts,
ses modes et ses valeurs intellectuelles. Au fil du temps, la nationalisation et la
centralisation des Etats entraînent l’émergence de nouveaux idiomes, substituant le
vieux latin. La langue italienne, tout particulièrement, atteint la perfection ; elle doit cet
apanage au commerce, à l’industrie, à l’intense activité politique que l’Italie a cultivés
bien plus tôt qu’ailleurs en Europe. Ces domaines requièrent, en effet, non pas une
langue savante et morte, mais une langue vivante, usuelle, conforme à tous les détails de
la vie pratique. Enrichie, dynamisée, cette langue s’ennoblira par la flamme du génie
poétique (Dante et Pétrarque) et la prose de Boccace.
La synergie de ces facteurs avantageux enfante une insatiable boulimie de savoir et
d’explorer chez l’homme médiéval, qui se traduit par l’essor exceptionnel des ateliers de
scriptoria (ateliers d’écriture), où moines et scribes s’emploient à recopier, enluminer,
ou traduire les livres et les manuscrits. Nul doute que cette fièvre érudite sera cruciale
dans la genèse du mouvement renaissant, quelques décennies plus tard. L’élan de la
connaissance mène la pensée médiévale à s’ouvrir sur des traditions étrangères et
exotiques, stimulée par des voix émanant même du "sérail" ecclésiastique, l’exhortant à
abandonner les idées théologiques et à révérer la raison. Outre les "classiques" Platon,
13

Aristote, Sénèque, Diogène, Virgile…, de plus en plus sollicités et étudiés, on s’éprend


également de la pensée arabo-musulmane (Ibn Al Haytham, Avicenne, Averroès…) ou
encore du spiritualisme extrême-oriental (indien, chinois) et des cultures persane et
juive.
Le revirement qui s’opère dans la pensée médiévale, suite à ces éclairantes
explorations, est digne d’un "coup d’Etat" épistémologique : plutôt que de bannir les
philosophes et de les taxer erronément d’esprits hérétiques et pervers, une nouvelle
tendance œuvre à établir un "syncrétisme"24 entre la foi et l’esprit, la religion et la
philosophie, une affinité entre les préceptes bibliques et la sagesse, l’idéal platoniciens
(néoplatonisme).
Les grands voyages (physiques et conceptuels) et les inestimables découvertes
ouvrent les yeux d’un Moyen-âge longtemps muré dans son enclave intellectuelle,
prisonnier dans l’espace et le temps. On apprend à croire en l’Homme, on magnifie la
beauté, l’harmonie de l’univers, on prend goût à l’art de parler, de raconter, de chanter…
Voilà qui n’est pas loin de faire de la littérature !
V- Littérature
Incontestablement, la littérature médiévale a, d’une façon ou d’une autre,
conditionné la littérature des siècles postérieurs. Certes, les temps, les goûts, les mœurs
changent, mais la littérature a le secret de sauvegarder inévitablement quelques legs des
anciens : il subsiste dans le présent beaucoup de passé. On ne peut mieux comprendre
Ronsard et ses successeurs sans connaître les auteurs grecs et latins. C’est dans cette
optique qu’on doit appréhender le cours, l’histoire des Idées et, logiquement, de la
littérature. Les grands hommes qui ont annoncé ou forgé le mouvement de la
Renaissance en Italie (Luigi Pulci,  Matteo Maria Boiardo, Dante, Boccace, Pétrarque…)
sont encore, à bien des égards, des hommes du Moyen-âge ; et s’ils puisent dans les
œuvres antiques le sens et l’idéal de la perfection littéraire moderne, ils opèrent sur une
matière, sur des formes que leur fournit la tradition médiévale.
Quel aspect nous offre donc cette littérature du Moyen-âge ? Disons d’emblée, et
d’une manière succincte, que son évolution s’est imprimée profondément des
vicissitudes qu’a subies la société médiévale, d’où son parcours sinueux et irrégulier : si
les premiers siècles qui ont suivi l’éclatement de l’Empire romain sont peu éclairés et les
textes y sont rares, la suite de la littérature médiévale, jusqu’au VIIè siècle, oscille entre
la perte d’identité d’une littérature ne sachant ni se soustraire à l’héritage antique ni
s’inventer une nouvelle forme d’écrire, et l’apparition de quelques œuvres somme toute
décadentes et peu profondes.
La percée fulgurante de l’empire carolingien et l’imposante figure de Charlemagne
consacrent l’efflorescence culturelle de toute l’Europe chrétienne, au point de parler de
première Renaissance. Mais cette faste période fut sèchement interrompue par le retour
des invasions des Vikings. La "traversée du désert" se poursuit jusqu’à la deuxième
moitié du XIè siècle, et le déclenchement des Croisades. Le véritable âge d’or de la
littérature médiévale coïncide sans conteste avec les XIIè et XIIIè siècles, où
apparaissent des œuvres importantes et des poètes et penseurs de talent (Roger Bacon,

24
- Philos., relig., fusion de différents cultes ou de doctrines religieuses; en partic., tentative de
conciliation des différentes croyances en une nouvelle qui en ferait la synthèse.
14

Pierre Abélard, Jean de Hauteville, Chrétien de Troyes, et surtout saint Thomas


d’Aquin).
La composante formelle et thématique de cette littérature, qu’elle soit sacrée ou
profane, s’insère fidèlement aux goûts et aux valeurs du temps : d’abord, la littérature de
l’élite féodale, elle reflète ses idéaux (piété, fidélité, bravoure, sacrifice…). Mais, à partir
du XIIè siècle, l’ascension sociale et économique d’une bourgeoisie encore
embryonnaire, profitant de l’essor de la manufacture, ébranle les pouvoirs seigneuriaux,
et introduit de nouvelles formes plus satiriques et irrévérencieuses (Le Roman de
Renart, Le Roman de Fauvel…), qui traduisent le dénigrement de la nouvelle classe
sociale, la bourgeoisie, envers l’aristocratie féodale ou courtoise, qui se délectaient
éperdument des prouesses invraisemblables des chevaliers croisés, ou s’abandonnant
aux fêtes et aux tournois. Le jeu est on ne peut plus clair : à classe sociale nouvelle,
littérature nouvelle ! Le roman satirique se dresse donc comme une riposte au roman
épique et courtois. Il charrie toute une revendication sociale, morale, économique et
esthétique.
a- Prépondérance de l’oralité : troubadours, trouvères, jongleurs…
On ne saurait concevoir une activité littéraire au Moyen-âge en dehors de l’oralité ;
de facto, le monde médiéval est un monde de la voix : les œuvres parviennent au public
par voie orale, elles deviennent objets de distraction et de spectacle sur les places
publiques. Troubadours25, trouvères26 et jongleurs27 s’exhibent à raconter, à chanter, à
mimer une histoire, la "réécrivant" à chaque fois, à force de l’étaler, d’y annexer des
scènes inventées, au gré des circonstances, d’en modifier l’intrigue, etc. On cherche
moins l’originalité que suivre la tradition.
b- L’"écrivain" ou l’"auteur" : statut et concept fluctuants et inconsistants
Pendant longtemps, au Moyen-âge, l’œuvre littéraire était une sorte de "terra
28
nullius" , dont l’auteur (parfois les auteurs) est inconnu. Par conséquent, le texte,
n’appartenant à personne, il appartient à tout le monde ! On s’en sert, on le plagie, on
l’intègre aux fragments épars des récits antérieurs, etc. L’auteur est donc moins un
créateur qu’un traducteur ou un continuateur ; la notion de propriété intellectuelle étant
inexistante.
C’est à partir du XIIIè siècle que transparaît peu à peu l’idée d’écrivain, en
concomitance avec le développement des villes et l’épanouissement de la vie culturelle.
La protection de certains seigneurs ou princes (mécènes) imprime à l’activité littéraire
une impulsion appréciable ; en effet, l’écrivain est nécessairement au service d’un roi ou
d’un homme puissant, pour qui il exécute des commandes, dont il devient un historien

25
- Hist. littér., poète qui, aux XIIe et XIIIe s., dans le Midi de la France, composait en langue d'oc des
poèmes, satires, ballades, etc., avec leur accompagnement musical, et qui allait de château en château,
propageant les valeurs de la société courtoise.
26
- Hist. littér., poète qui, du XIIe au XIVes., dans le nord de la France, composait en langue d'oïl des
chansons de geste, romans, contes, ballades, etc., avec leur accompagnement musical, et qui restait
généralement fixé auprès d'un grand seigneur et mécène.
27
-Hist. des arts, [Au Moyen-âge] Musicien, chanteur ambulant qui allait de château en château
récitant des vers, chantant des chansons en s'accompagnant de divers instruments de musique.
28
- Locution latine signifiant "terre sans maître", autrement dit, un domaine que tout le monde peut
s’approprier, car il n’est pas sous l’autorité d’un Etat ou d’une personne concrète. Dans ce texte il est
employé au sens figuré.
15

ou un hagiographe29. La notoriété des gens lettrés s’épand rapidement auprès d’un


public attentif et passionné.
c- Le sacre de la littérature chevaleresque ou épique : La Chanson de geste : La
Chanson de Roland
Les Croisades engendrent un idéal humain : celui du chevalier preux, modèle de
toutes les vertus : héroïsme, courage, honneur, dévouement à son seigneur, à sa patrie, à
la Croix, symbole de foi. Les récits qui mettent en scène ces héros érigés en légendes
hyperbolisent, exemplifient les faits d’armes (les gestes)30, où le réalisme flirte avec le
surhumain et le surnaturel. La chanson de geste est composée en vers, divisés en
strophes de longueur variable (laisses). Les vers ne riment pas, mais construits sur
l’assonance (répétition de la dernière voyelle accentuée du mot (ex. mal/face). Le
modèle le plus achevé de ce genre épique est cristallisé par La Chanson de Roland.

29
- de "hagiographie": branche de l'histoire religieuse qui étudie la vie et les actions des saints,
ouvrage consacré à la vie d'un ou de plusieurs saints. P. ext. biographie excessivement élogieuse. Un
hagiographe est l’écrivain de ces histoires ou de ces biographies.
30
- Hist. littér, ensemble de poèmes en vers du Moyen-âge, narrant les hauts faits de héros ou de
personnages illustres.

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