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432 à 1485

« L'île des Saints et des Savants »


L'Irlande a été surnommée au Moyen Âge « l'Île des Saints et des Savants » en souvenir du temps où ses moines allaient évangéliser le con nent et y
réimplanter la langue la ne.

Oubliée par les Européens du con nent, l'Irlande est devenue à la fin du Moyen Âge la première colonie anglaise. Sept siècles d'occupa on étrangère l'ont
détournée de sa langue d'origine, le gaélique, au profit de l'anglais, tout en renforçant son iden té religieuse et son a achement au catholicisme.

Elle a été en 1920-1921 le seul territoire de l'Empire britannique à s'émanciper par la violence (à part les Treize Colonies américaines) ! La guerre a débouché
sur l'indépendance de fait de l'île, à l'exclusion toutefois d'une par e de l'Ulster, majoritairement peuplée de colons écossais de confession protestante. Le
sort de ce e province est encore en suspens.

Enfin en paix avec son grand voisin et solidement arrimée à l'Union européenne, la République d'Irlande jouit en dépit des crises d'une prospérité qui lui a
valu d'être surnommée le « gre celte » (par allusion aux pays émergents du Sud-Est asia que).

Une terre d'écrivains


Terre de lacs, de landes et de tourbières, la verte Irlande (Eirin en langue cel que) mériterait d'être aussi appelée « l'Île des Poètes » car elle a inspiré au
Moyen Âge une abondante poésie épique en gaélique (une langue celte).

Elle a plus récemment donné le jour à nombre de très grands écrivains de langue anglaise comme Jonathan Swi (1667-1745), Oscar Wilde (1854-1900),
Bernard Shaw (1856-1950), William Yeats (1865-1939), James Joyce (1882-1941) et même de langue française : Samuel Becke (1906-1989).

De Saint Patrick à Saint Colomban


Connue des Romains sous le nom d'Hibernia, l'Irlande a été dédaignée par ceux-ci qui s'en sont tenus à une occupa on de la Grande-Bretagne voisine.
Habitée par des tribus celtes, dont les Gaëls, qui lui ont laissé la langue gaélique, l'île est à la fin de l'An quité divisée en cinq clans ou royaumes rivaux :
Ulster, Munster, Connaught, Leinster et Meath (leurs habitants sont appelés Scots, à ne pas confondre avec les Écossais).

Son des n bascule vers 432 avec l'arrivée sur ses côtes d'un prêtre originaire du pays de Galles, qui a reçu mission d'évangéliser l'île. Son nom ? Patrick.
Trente ans plus tard, à sa mort, le missionnaire peut se féliciter d'avoir assez largement réussi et il reviendra à ses disciples d'achever la chris anisa on.

Pendant les deux siècles suivants, l'île se couvre de monastères et toute sa vie s'organise autour de ceux-ci. Elle marque déjà sa différence avec le reste de la
chré enté, organisée en ce e époque barbare autour des évêques.

Les monastères, au coeur de la vie insulaire, deviennent des foyers culturels très ac fs où l'on étudie en la n les textes fondamentaux de l'Église. C'est encore
une différence avec le reste de l'Occident où le clergé et a for ori le peuple ne connaissent plus guère le la n.

Et voilà que les Irlandais deviennent missionnaires. Cela commence avec Columba, qui est ordonné prêtre en 543 puis va évangéliser les archipels et les îles
de l'Atlan que, de l'Écosse à l'Islande. Mort le 9 juin 597, il est enterré dans son cher monastère d'Iona où se feront également enterrer les premiers rois
écossais... C'est l'époque où Constan nople je e ses derniers feux sous l'empereur Jus nien tandis que l'Occident s'enfonce dans les ténèbres sous les « rois
fainéants », héri ers de Clovis.

À la généra on suivante, un autre missionnaire, Colomban (à ne pas confondre avec le précédent), gagne le con nent avec quelques compagnons. Il fonde
plusieurs monastères en Armorique (Bretagne actuelle), puis dans les Vosges, à Luxeuil, enfin dans le Milanais, à Bobbio, où il meurt le 23 novembre 615.

Son apostolat suscite un renouveau de la ferveur chré enne dans l'Europe barbare. Il prépare la voie aux moines irlandais - et aussi anglais - qui viendront
deux siècles plus tard épauler l'empereur Charlemagne dans la réforme du clergé, la mise en place d'un premier réseau d'écoles et la restaura on du la n,
devenu entretemps langue morte.
Premières invasions
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Les îles britanniques ont été romanisées de façon superficielle et ce vernis a été pour l'essen el effacé par une succession
d'invasions germaniques (Angles, Saxons, Normands enfin). Le résultat est un sub l mélange d'influences la nes et germaniques...

Premières invasions
L'Irlande, pendant ce temps, doit faire face aux premières invasions étrangères. Cela commence avec les Vikings qui s'installent le long de la côte et fondent
les premières villes, comme par exemple Dublin en 841. Au demeurant peu nombreux, ces intrus rendent les armes après leur défaite à Clontarf, près de
Dublin, le 23 avril 1014, face au chef Brian Boru.
Le plus grave est à venir avec les Anglais de l'île voisine. En 1155, quelques mois après son couronnement à Westminster, le roi Henri II Plantagenêt ob ent
du pape Adrien IV (seul pape anglais de l'Histoire) la suzeraineté sur l'Irlande, avec mission de reprendre en main l'Église irlandaise, trop indépendante au goût
du Saint Siège.

Pour Henri II, il s'agit d'une sa sfac on d'amour-propre plus qu'autre chose et il en serait resté là si, quinze ans plus tard, un roi irlandais en bu e à des rivaux
ne l'avait appelé à son secours ! Du coup, un corps expédi onnaire entreprend la soumission de l'île et le traité de Windsor conclu en 1175 entre le roi Rory
O'Connor et Henri II consacre l'autorité de ce dernier sur l'île avec le tre somme toute modeste de seigneur d'Irlande (dominus Hiberniae).

À vrai dire, les Anglais vont longtemps s'en tenir à l'occupa on de la région li orale, autour de Dublin, le Pale. Quelques barons anglo-normands en profitent
pour s'approprier les meilleures terres mais eux-mêmes, pour la plupart, ne tardent pas à s'assimiler à leur conquête et à devenir plus irlandais que quiconque
!

Tout va basculer sous la dynas e des Tudors, au début du XVIe siècle -


1485 à 1801
L'Irlande, première colonie anglaise
Le roi d'Angleterre Henri II a obtenu du pape, en 1155, la suzeraineté sur l' Irlande. Mais ce e suzeraineté va longtemps demeurer plus ou moins formelle,
l'Irlande conservant ses tradi ons, ses coutumes et sa langue (le gaélique).

Vitalité irlandaise
Jusqu'à la fin du Moyen Âge, les Anglais s'en ennent à l'occupa on de la région li orale, autour de Dublin, le Pale. Quelques barons en profitent pour
s'approprier les meilleures terres mais eux-mêmes, pour la plupart, ne tardent pas à s'assimiler à leur conquête et à devenir plus irlandais que quiconque !

Ce e tendance ne manque d'ailleurs pas d'inquiéter les rois d'Angleterre qui craignent que ne s'érode la fidélité de leurs vassaux. Par les « statuts de
Kilkenny », en 1366, le roi Édouard III tente d'interdire aux Anglais de l'île d'épouser des Irlandaises, de parler le gaélique, d'entretenir des bardes ou des
musiciens irlandais etc.

Colonisa on et spolia ons


Tout bascule sous la dynas e des Tudors, au pouvoir à par r de 1485... C'est qu'à par r de ce moment-là, l'Angleterre est en rivalité quasi-permanente avec
la France et d'autres puissances du Con nent. Elle désire assurer ses arrières et prévenir tout risque d'invasion par l'Irlande. Ce e préoccupa on va devenir,
jusqu'à la Première Guerre mondiale, le fondement de sa poli que vis à vis de l'Irlande.

Les Irlandais et les nobles anglo-irlandais en par e cel sés ne restent pas sans réagir. Ils se soulèvent à par r de 1559, sous le règne d'Elizabeth 1ère, pour la
« défense de l'Irlande et de la Foi ».

Les forces royales sont prises en main par un soldat énergique, Mountjoy, qui ravage avec méthode le pays et organise la famine. Les insurgés doivent
déposer les armes. La répression abou t en 1607 à la « Fuite des Comtes », autrement dit à l'exil des chefs nobles les plus capables de comba re l'occupant.

Dès lors, la « poli que des Planta ons » s'intensifie avec l'arrivée au nord de l'île, en Ulster, de pe ts paysans écossais de confession presbytérienne (une
confession proche du calvinisme). Ces paysans animés par une foi fervente vont en remontrer à leurs voisins et rivaux catholiques.

Livré à lui-même, le peuple irlandais se révolte en 1641. Plus de 10.000 colons écossais ou anglais sont massacrés. Pendant ce temps, l'Angleterre, au terme
d'une drama que guerre civile, tombe sous la dictature républicaine d'Oliver Cromwell.

Celui-ci prend la tête d'un corps expédi onnaire, débarque en Irlande et réprime sans état d'âme la jacquerie. Le point d'orgue
est le massacre de la garnison de Drogheda, au nord de Dublin, le 10 septembre 1649. Le pieux Cromwell se jus fie en y
voyant le jugement de Dieu et en ajoutant que « ce e amertume épargnera d'autres effusions de sang ».

Le dictateur publie un nouveau règlement territorial qui octroie les bonnes terres aux Anglais et confine les anciens
propriétaires dans les landes du Connaught. On leur offre le choix. C'est : « En enfer ou en Connaught ! »

La dernière rébellion armée survient à la chute de Jacques II Stuart, dernier roi catholique d'Angleterre. Réfugié en France
auprès du roi Louis XIV, le roi déchu convainc ce dernier de l'aider à reprendre son trône.

Finalement, l'armée des Irlandais et des « Jacobites » est écrasée sur les rives de La Boyne, non loin de Drogheda, le 12 juillet
1690. La dernière résistance militaire des Irlandais prend fin avec la reddi on de Limerick et le traité signé le 3 octobre 1691
dans la même ville, qui promet la liberté religieuse aux Irlandais et des garan es concernant leurs terres...

L'entrée dans les ténèbres


Las, le roi Guillaume III et la reine Anne qui lui succède en 1702 bafouent sans a endre le traité de Limerick.

Écrasés et réduits à la misère, les catholiques sont hors d'état de se révolter... Et c'est des protestants que montent, dans
un premier temps, les revendica ons poli ques car ils sont eux-mêmes affectés par le mauvais sort qui est fait à leur île
(freins au développement...).

Parmi ces révoltés ina endus figure l'écrivain Jonathan Swi , auteur célébrissime des Voyages de Gulliver.

En 1720, dans un Appel pour la consomma on exclusive de produits irlandais, cet anglican de Dublin lance la formule :
« Brûlez tout ce qui vient d'Angleterre, hors le charbon ».

Arrive la Révolu on française. Les libéraux irlandais, sensibles à ses idéaux d'égalité, se font les champions de l'égalité des
droits entre catholiques et protestants.

Le jeune avocat Theobald Wolfe Tone, fils d'un protestant et d'une catholique, fonde à Belfast en octobre 1791 la société
des « Irlandais Unis », révolu onnaire et pluriconfessionnelle.

Il ob ent des améliora ons juridiques pour les catholiques. Ainsi, en 1793, le Premier ministre William Pi accorde aux
catholiques le droit de vote... Mais dès 1794, les dérapages de la Révolu on française (Terreur, guerres) entraînent en
Irlande la défaveur des libéraux et un raidissement des extrémistes protestants.

Les « pogroms » contre les catholiques se mul plient. Une rixe meurtrière en Ulster débouche en 1795 sur la fonda on de l'Ordre d'Orange, une franc-
maçonnerie protestante ainsi nommée en souvenir de Guillaume III, le vainqueur de La Boyne.

La « Grande Rébellion »
Wolfe Tone, exilé en France, pousse le Directoire à intervenir. Le général Hoche tente un débarquement le 23 décembre 1796 avec 15.000 hommes et 42
vaisseaux. Mais il échoue, vic me de la tempête... et de la mauvaise volonté des officiers de marine.

Pour le Premier ministre anglais, William Pi le Jeune, il est temps d'en finir avec le statut d'autonomie de l'île qui menace la sécurité du royaume. Il surmonte
l'opposi on de l'élite protestante irlandaise (l'Ascendancy), notamment d'Henry Gra an, et, à coup de pots-de-vin, convainc le Parlement de Dublin de
s'autodissoudre le 7 juin 1800.

L'Acte d'Union proclame l'avènement à compter du 1er janvier 1801 du « Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande », qui est encore aujourd'hui l'appella on
officielle du pays. Désormais, le gouvernement de Londres va devoir gérer en direct sa colonie, avec ses contradic ons et son lot de menaces.

C'est l'ouverture de la « Ques on d'Irlande » -


1801 à 1916
La Ques on d'Irlande
En guerre contre la France pendant la Révolu on, le gouvernement anglais mesure le danger que représente l'Irlande, sa plus ancienne colonie, avec ses 4
millions d'habitants, dont 3 millions d'indigènes catholiques et 1 million de colons protestants.

Humiliée, opprimée depuis plusieurs siècles, la majorité catholique et celte de l'île est prête à se rebeller et soutenir un éventuel envahisseur en vertu de
l'adage : «England's difficulty is Ireland's opportunity» (Les difficultés de l'Angleterre sont des occasions à saisir pour l'Irlande).

Mais les protestants qui possèdent 90% des terres et défendent avec âpreté leurs privilèges vont contrarier toutes les tenta ves de réforme.

L'Acte d'Union
Le Premier ministre William Pi Le Jeune voit avec raison dans le Parlement corrompu de Dublin et l'autonomie législa ve de l'île des ou ls au service de
l'oligarchie des colons protestants (l'Ascendancy).

Il ob ent l'autodissolu on du Parlement puis, le 1er janvier 1801, par l'Acte d'Union, l'union de l'Irlande à la Grande-Bretagne au sein du «Royaume-Uni de
Grande-Bretagne et d'Irlande». Les affaires de l'île seront désormais examinées par le Parlement de Westminster.

Pi ne veut pas en rester là. Il souhaite en finir avec les discrimina ons de tous ordres qui frappent les catholiques irlandais et leur ouvrir les portes du
Parlement. Mais il se heurte à l'opposi on irréduc ble du roi George III et des colons protestants et doit en conséquence démissionner dès mars 1801 (ce qui
fera l'affaire d'un certain Napoléon Bonaparte, Premier Consul de son état !).

En défini ve, contrairement aux a entes de Pi , l'Acte d'Union va aggraver la situa on des Irlandais. Au Parlement de Westminster, les députés irlandais
seront impuissants à se faire entendre et leurs homologues britanniques u liseront tous les ar fices possibles pour limiter les libertés publiques en Irlande
même. Par ailleurs, l'union douanière va tuer dans l'oeuf l'industrie irlandaise, incapable de rivaliser avec l'industrie britannique.

Quant aux héri ers des «Irlandais Unis» et de Wolfe Tone, ils ressentent avec amertume la dispari on du Parlement de Dublin (le Dail en gaélique), ul me
symbole de l'an que indépendance de l'île !

La ques on religieuse
Depuis la rupture avec Rome, il n'y a plus dans le royaume qu'une Église «établie» (officielle). C'est l'Église anglicane. Aussi les catholiques irlandais sont-ils
tenus de payer la dîme, autrement dit l'impôt religieux, à une Église qui leur est hos le.

Le gouvernement tente, à défaut d'autre chose, de régler ce e ques on religieuse et propose au clergé catholique de bénéficier lui aussi du statut d'Église
établie... mais à la condi on que le roi ait un droit de regard sur la nomina on des évêques.

Un jeune avocat fortuné, Daniel O'Connell, s'élève aussitôt contre ce marché de dupes et convainc les évêques de ne pas se vendre au gouvernement. Fort
de ce premier succès, il fonde une Associa on catholique et réussit pour la première fois à enrôler le clergé sous la bannière patrio que.

Orateur charisma que et agitateur-né, O'Connell réunit des foules considérables et parvient à faire élire au Parlement de Westminster des protestants
favorables à l'émancipa on poli que des catholiques. C'est ainsi que, le 13 avril 1829, ceux-ci ob ennent enfin le droit d'être élus députés....

Là-dessus, O'Connell lance une offensive contre la dîme payée à l'Église anglicane et abou t en 1838 à un compromis acceptable. Roi non couronné d'Irlande,
il s'engage dès lors dans la lu e pour le rappel de l'Union, autrement dit l'autonomie de l'Irlande.

Il annonce à ce e fin un mee ng géant sur le site de Clontarf, près de Dublin, le 8 octobre 1843. Un million de personnes sont a endues. Mais le
gouvernement, inquiet, fait interdire la manifesta on et O'Connell, par crainte des dérapages, se résout à l'annuler. Lui-même est arrêté mais, faute de charge
crédible, libéré peu après. Abandonné par une bonne par e de ses troupes, il qui e la scène poli que et meurt le 15 mai 1847, à 72 ans, lors d'un pèlerinage
à Rome.

La Jeune Irlande se donne un drapeau


Quelques Irlandais roman ques de différentes religions s'unissent en 1842 en vue d'une émancipa on de leur île, au besoin par la violence. Ils revivifient
et exaltent la culture gaélique et le souvenir des Saints et des Héros.

Le 15 avril de la même année, ces «Jeunes Irlandais» se donnent un drapeau tricolore : vert pour représenter les catholiques, orange pour représenter les
protestants et blanc pour signifier l'espoir d'une trêve permanente entre les deux communautés ! Ce sera le drapeau de l'Irlande républicaine.

La Grande Famine
Une catastrophe fait taire pour un temps les revendica ons poli ques : la Grande Famine. L'île était devenue l'un des pays les plus densément peuplés
d'Europe avec près de 9 millions d'habitants. La majorité paysanne se nourrissait presque exclusivement de pommes de terre, réservant les céréales et la
viande à l'exporta on. Or voilà qu'une maladie mystérieuse frappe le tubercule plusieurs années de suite, de 1845 à 1849. C'est le mildiou de la pomme de
terre, dû à un champignon minuscule. On l'appelle aussi brunissure ou peste de la pomme de terre.

Le gouvernement anglais de Robert Peel importe du maïs américain pour nourrir les Irlandais et fait voter l'aboli on des droits sur le blé pour en diminuer le
prix. Les organisa ons carita ves se mobilisent également. Mais ces mesures se révèlent insuffisantes et sont en par e annihilées par la mauvaise volonté des
propriétaires (les landlords) et de leurs régisseurs. Beaucoup n'ont pas de scrupules à expulser les tenanciers incapables de payer leurs fermages... et ceux qui
font preuve de mansuétude ne tardent pas à se ruiner eux-mêmes et à devoir vendre à des spéculateurs encore plus féroces !

Au final, un million et demi de pauvres gens meurent de faim ou de maladie (choléra, dysenterie, typhoïde). Près d'un million d'autres émigrent aux États-Unis
ou... en Angleterre dans des «bateaux cercueils», dans des condi ons aussi épouvantables que les émigrés qui fuient aujourd'hui l'Afrique noire.
C'est le début d'un impressionnant courant d'émigra on qui ne va plus cesser jusqu'au milieu du XXe siècle et va faire de Boston (Massachuse s) la principale
ville irlandaise du monde (les émigrants s'arrêtaient là faute d'argent plutôt que de poursuivre leur voyage jusqu'à New York, tradi onnelle porte d'entrée des
États-Unis).

La Grande Famine a pour effet collatéral d'abaisser de deux ou trois millions à seulement 600.000 le nombre de locuteurs du gaélique. L'anglais devient la
langue dominante de l'île.

La ques on agraire
Sans surprise, c'est aux États-Unis, chez les émigrés, que resurgissent les revendica ons irlandaises et, ce e fois, il ne s'agit plus de gagner l'autonomie par la
voie parlementaire mais d'obtenir une république indépendante par l'insurrec on armée. En 1858 est ainsi fondée la Fraternité Républicaine Irlandaise (Irish
Republican Brotherhood, IRB), plus connue sous le nom gaélique de mouvement «Fenian» (les Fianna sont des guerriers celtes mythiques).

Les Fenians mul plient les a entats meurtriers dans les grandes villes anglaises et même au Canada mais la répression a vite raison de leur mouvement.

En décembre 1868, William Gladstone, le chef du par libéral (whig), entre au 10, Downing Street. Le
nouveau Premier ministre, animé par de très fortes convic ons religieuses, déclare d'emblée : «Ma mission
est de pacifier l'Irlande».

Il commence par clore la ques on religieuse en dispensant complètement les catholiques du paiement de la
dîme à l'Église établie.

Par ailleurs, Gladstone comprend que l'autonomie (le «Home Rule») ne peut être octroyée à l'île sans qu'ait
été réglée au préalable la ques on sociale, à défaut de quoi le pouvoir retomberait aux mains de l'oligarchie
protestante. Le 15 février 1870, il fait voter une première loi agraire qui améliore quelque peu la situa on
des tenanciers...

En 1872, le Ballot Act impose le secret du vote aux élec ons. Dès lors, comme les paysans ne votent plus sous la menace de leur propriétaire, il s'ensuit aux
élec ons législa ves de 1874 une percée des députés favorables à l'autonomie de l'Irlande (le «Home Rule») ! Ceux-ci exploitent une faille du règlement
parlementaire (l'interdic on d'interrompre un orateur) et paralysent le travail parlementaire en discourant sans fin sur tous les sujets, avec au besoin de
longues cita ons de la Bible ! Mais l'on finit par modifier le règlement et limiter le temps de parole des orateurs...

En 1879, indigné par les abus persistants des landlords, un ancien Fenian, Michaël Davi , fonde la Ligue agraire (Land League) avec le sou en du clergé.

Il en confie la présidence à un député plein de talent, Charles Stewart Parnell, issu d'une famille de landlords protestants (!). La Ligue se porte au secours des
tenanciers et plaide pour la réforme agraire.

Dès lors va s'amorcer un partage des tâches entre Parnell et le Premier ministre Gladstone. Le premier lance des revendica ons et menace ; le second supplie
les représentants des propriétaires de bien vouloir accepter des concessions pour éviter le pire.

Gladstone reprend les revendica ons de la Ligue dans une deuxième loi agraire déposée le 22 août 1881, qui, ce e fois, accorde de sérieuses protec ons
juridiques aux tenanciers.

En faisant alliance tantôt avec les conservateurs (tories), tantôt avec les libéraux (whigs), Parnell ob ent de nouvelles améliora ons de la loi agraire. Cela ne va
pas sans de sérieux troubles dans le pays. Pour finir, aux élec ons de 1885, il impose à ses alliés libéraux de s'engager en faveur du «Home Rule». Cela réveille
les haines en Irlande. L'Ordre d'Orange refait surface, prend la tête des unionistes (par sans de l'Union) et s'oppose aux home rulers (par sans de l'autonomie).
Son slogan favori : «Home rule is Rome rule !» (l'autonomie, c'est le gouvernement par Rome).

Un premier compromis déposé par Gladstone est rejeté deux fois de suite en 1886 du fait de la défec on d'une par e des libéraux, les «libéraux-unionistes».
L'opinion anglaise se déchaîne contre Parnell et celui-ci est accusé par le Times de complicité dans un double assassinat terroriste à Dublin, en 1882. Le
procès révèle que l'accusa on est le fait d'un faussaire et Parnell est disculpé en 1890 avec les honneurs.
De façon ina endue (peut-être un coup monté ?), il va être ra rappé par une
affaire d'ordre privé : la révéla on d'une rela on adultère avec la femme de
l'un de ses lieutenants ! Discrédité ce e fois pour de bon, il doit se re rer et,
découragé, meurt le 6 octobre 1891 à seulement 45 ans.

Deux ans plus tard, le 1er septembre 1893, Gladstone réussit à faire voter le
«Home Rule» par les Communes mais le texte est bloqué par la Chambre des
Lords. Ce nouvel échec ravive les troubles en Irlande.

En 1903 enfin, le secrétaire d'État pour l'Irlande George Wyndham rétablit le


calme par une ul me loi agraire qui permet aux tenanciers d'acheter leurs
terres à de bonnes condi ons. Grâce à quoi les Irlandais qui ne possédaient
plus que 5% des terres en 1878 en possèderont de la sorte 67% en 1914.

En résolvant la ques on agraire, les conservateurs britanniques espéraient


étouffer les revendica ons autonomistes. Mais il est trop tard. Les Irlandais
catholiques, toutes classes confondues, ne sont plus disposés à y renoncer -

André Larané

Publié ou mis à jour le : 2020-02-26 10:28:03

Pauvre Mr Boyco !...


Le 17 septembre 1879, Charles Parnell, président de la Ligue agraire, inaugure une tac que nouvelle pour faire plier les propriétaires et les régisseurs qui
maltraitent ou dépouillent leurs tenanciers : la mise en quarantaine.

La première «vic me» est un certain capitaine Charles Boyco , régisseur d'un grand propriétaire. Du jour au lendemain, il ne trouve plus aucun employé ni
commerçant qui accepte de traiter avec lui ou seulement de lui parler. Pour éviter que ses récoltes ne pourrissent sur pied, il fait venir des paysans
protestants de l'Ulster sous la protec on de l'armée. Finalement, il je era l'éponge et qui era l'Irlande, laissant son nom à la postérité ;-)
1916 à 2005
Du «Home rule» à l'indépendance
A la veille de la Première Guerre mondiale, la majorité des Irlandais de souche celte aspirent à l'autonomie (le «Home rule»), voire l'indépendance. Faute d'avoir
été résolue en temps et en heure, la Ques on d'Irlande va déboucher sur un douloureux conflit.

«Home rule», bref retour


Différents groupes na onalistes se retrouvent autour d'un certain Arthur Griffith pour fonder en novembre 1905 le mouvement Sinn Fein (Nous Seuls en
gaélique) qui prône l'indépendance. Mais il n'y a pas là de quoi ébranler l'Empire britannique...

Au Parlement de Westminster s'opposent les députés irlandais par sans de l'autonomie de l'île et les unionistes. Ces derniers, principalement protestants,
souhaitent maintenir l'Acte d'Union de 1801, au moins dans leur bas on de l'Ulster, au nord de l'île. Arrive la Grande Guerre (1914-1918). Les querelles sont
mises en sourdine.

Les «Pâques sanglantes» de 1916


Dès le début du conflit, beaucoup d'Irlandais se portent volontaires pour comba re les Allemands mais quelques extrémistes du Sinn Fein préfèrent l'adage :
«England's difficulty is Ireland's opportunity» (Les difficultés de l'Angleterre sont des occasions à saisir pour l'Irlande). Ils forment ce que l'on appellera un peu plus
tard l'Irish Republican Army (IRA) et montent avec l'assistance des Allemands une insurrec on.

À l'heure dite, le lundi de Pâques 1916, un 24 avril, les insurgés occupent plusieurs bâ ments au centre de Dublin, dont la Poste, l'Hôtel de ville, le Palais de
Jus ce et des gares. Ils déploient le drapeau tricolore au-dessus de la Poste et l'un de leurs chefs, le poète Patrick Pearse, lit une proclama on aux badauds.
Las, ils sont conspués par la foule qui commence à se rassembler devant le bâ ment. C'est l'échec.

L'armée britannique amène de l'ar llerie lourde et bombarde le centre de Dublin. Après cinq jours de résistance, les insurgés capitulent sans condi ons au
prix de quelques centaines de vic mes. Contre toute a ente, la férocité de la répression va retourner l'opinion publique en faveur des insurgés et transformer
les condamnés en martyrs de la cause irlandaise.

Dans les mois qui suivent, les élec ons témoignent en Irlande d'un courant de sympathie ina endu en faveur du Sinn Fein, naguère marginal. La paix revenue,
les élec ons générales sont un triomphe pour le Sinn Fein. Le 21 janvier 1919, à Dublin, ses députés cons tuent un Parlement na onal (Dail Eireann en
gaélique) et lancent un Appel aux Na ons en vue de l'indépendance de l'île. Mais Londres ne veut rien entendre... et le président américain Woodrow Wilson
fait la sourde oreille.

La «Guerre d'indépendance»
Eamon de Valera, qui dirige le Sinn Fein depuis les États-Unis, cons tue un gouvernement parallèle. Sous la direc on du jeune Michaël Collins (30 ans), l'IRA,
l'armée républicaine, se prépare à la guerilla. Elle dispose de 15.000 ou 20.000 hommes, pour la plupart des paysans qui travaillent le jour et se mobilisent le
soir. Le fer de lance est cons tué par des colonnes volantes de Volontaires, fortes d'une trentaine d'hommes. La discipline y est sévère et les traîtres exécutés
sans façon.

L'insurrec on est déclenchée le 21 juin 1919 par l'a aque d'un convoi de muni ons. Pour y faire face, , le gouvernement britannique cons tue sur une
proposi on de Churchill deux forces spéciales :

– Les «Black and Tans» (Noirs et Fauves), ainsi nommés en raison de leur uniforme : ce sont des vétérans de la

Grande Guerre en mal d'emploi et aussi d'anciens prisonniers de droit commun, autant dire des brutes qui se signaleront vite par leurs exac ons (ils sont
16.000 au total),
– Les Auxiliaires (ou Auxies) : environ 1500 anciens officiers des nés à encadrer les précédents.

Dans un premier temps, l'IRA organise des coups de main pour se procurer des armes et mul plie les embuscades et les meurtres isolés.Avec l'entrée en lice
des Black and Tans, la situa on empire. A quelques excep ons près, les forces spéciales se comportent comme une armée d'occupa on. Représailles et
contre-représailles se succèdent.

Le traité de paix
Les ac ons de l'IRA, si spectaculaires qu'elles soient, n'emportent pas la décision. Mais le Sinn Fein, par une propagande très efficace, mobilise en sa faveur
l'opinion anglaise et interna onale. Il arrive aussi à court-circuiter la jus ce officielle en créant ses propres tribunaux.

Réaliste, le Premier ministre Lloyd George se résout en décembre 1920 à proposer une par on de l'île avec un Parlement autonome à Dublin pour 26
comtés à majorité catholiques et un autre à Belfast pour 6 comtés à majorité protestante sur les 9 que compte l'Ulster.

Le 22 juin 1921, le roi George V lance un appel vibrant à la paix. Le 10 juillet, une trêve est conclue entre l'armée britannique et l'Irish Republican Army. Deux
jours plus tard, Lloyd George invite à la table des négocia ons le représentant de l'Irlande du nord et Eamon de Valera.

De Valera se défile et c'est à Arthur Griffith et Michaël Collins de conduire les négocia ons au nom du Sinn Fein. Les pourparlers traînent en longueur. Le
traité signé à Londres le 6 décembre 1921 prévoit la transforma on de l'Irlande du Sud (26 comtés) en un «État libre d'Irlande», virtuellement indépendant
avec statut de dominion (comme le Canada ou l'Australie). mais associé à l'Empire britannique.
La guerre fratricide
Dans les rangs du Sinn Fein, certains républicains «idéalistes» s'indignent du serment d'allégeance au roi. Mais le nouveau gouvernement irlandais s'empresse
de cons tuer une armée régulière avec les troupes de l'IRA qui lui sont restées fidèles et mène une guerre fratricide impitoyable contre les sédi eux.

En Irlande du Nord (Ulster), pendant ce temps, les unionistes, qui n'ont rien à craindre de l'IRA, mul plient les exac ons et les pogroms souvent meurtriers
contre leurs concitoyens catholiques avec l'inten on évidente de les pousser à l'exil. Le temps passant, la fron ère «provisoire» entre les deux par es de
l'Irlande se pérennise et la scission entre l'Ulster et l'État libre d'Irlande devient irrévocable, laissant en suspens le sort de la minorité catholique d'Irlande du
Nord, soumise à de constantes vexa ons et discrimina ons de la part des descendants de colons protestants.

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