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LIVRE BLANC

g em en t e t
Mana u tra vail
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Organisat e
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Nos amb n s l'e ntreprise
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La CFE-CGC Énergies représente les agents de maîtrise, les ingénieurs


et cadres du secteur énergétique, quel que soit leur domaine
d’activité (technique, clientèle, commercial…) ou la nature de leur
fonction (expertise, management) : toutes ces catégories profession-
nelles sont regroupées sous l’appellation « encadrement ».

Notre syndicat, véritable partenaire social, rassemble des femmes et des hommes parta-
geant loyalement des valeurs et des principes communs. Libre de pensée, reconnu pour la
pertinence de ses analyses et le pragmatisme de ses propositions, il s’attache à fédérer et
à porter, en permanence, l’action collective, seul moteur de progrès social.

Prônant le respect et l’équité, soucieux de solidarité, il contribue en toute indépendance à


la bonne marche de l’entreprise tant qu’il juge que l’intérêt des salariés est respecté. Dans
le cas contraire, il n’hésite pas à s’engager dans le conflit sans violence. Force de propo-
sitions et en permanence ouvert sur son environnement, il engage sa responsabilité dans la
négociation pour favoriser le progrès social.

La CFE-CGC Énergies est la première organisation représentative chez les cadres et la


deuxième tous collèges confondus dans les industries électriques et gazières.

Pour contacter nos experts en management et organisation du travail :


Carine Radian (pilote) – carine.radian@cfe-energies.com
CFE-CGC Énergies – 59, rue du Rocher – 75008 Paris
www.cfe-energies.com
Tél : 01 55 07 57 00

Secafi est un cabinet d’expertise et de conseil auprès des comités


d’entreprise et des CHSCT. Il intervient à la demande des représen-
tants du personnel et des organisations syndicales sur : le diagnostic
de la situation économique, les restructurations, les relations sociales, la prévention des
risques psychosociaux, l’amélioration de la santé et des conditions de travail. Secafi étend
son expertise aux comités d’entreprise européens.

Pour contacter nos experts en management et organisation du travail :


Mireille Battut (pilote) – tél : 06 80 87 78 93 – mireille.battut@secafi.com
Secafi – 20, rue Martin Bernard – 75647 Paris Cedex 13
www.groupe-alpha.com
Tél : 01 53 62 70 00
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Livre Blanc
Management
et Organisation du travail

Nos ambitions
pour remettre de l'humain
dans l'entreprise
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Livre Blanc CFE-CGC Énergies


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Préface
La libéralisation des marchés européens de l’énergie, les mécanismes du
marché et les politiques menées par les gouvernements successifs ont
généré de grands bouleversements ces dernières années pour les entre-
prises de la branche des Industries Électriques et Gazières.
De réorganisations en filialisations, nos entreprises ont évolué à marche

© Gilles Dacquin
forcée pour faire face à la concurrence. Malheureusement, et comme le
craignait la CFE-CGC Énergies, cette mutation ne s’est pas faite sans
dommages pour les salariés.

En effet, les salariés, et particulièrement les techniciens, les agents de Christian Taxil
maîtrise, les cadres et les ingénieurs, sont sous la pression de plus en Secrétaire Général
plus forte de la rentabilité financière, ballotés aux grés des réorganisa- CFE-CGC Énergies
tions. Aujourd’hui, ils perdent de plus en plus leurs repères et le sens de
leur travail.

Le modèle hiérarchique en place dans la plupart des entreprises des IEG


est révolu. Il ne correspond plus aux « salariés 2.0 » à qui il est demandé
d’être productifs, réactifs et flexibles.
Initiée lors du Congrès de Reims en 2012, la CFE-CGC Énergies a lancé en
juin 2013 une grande réflexion sur le management en s’appuyant sur ses
adhérents et ses militants. Ce Livre Blanc est le fruit de ce travail collectif
de qualité.

Cet ouvrage permet à la CFE-CGC Énergies de partager ses analyses du


monde de l’entreprise, ses orientations et ambitions pour l’innovation
sociale.

Aujourd’hui, il est urgent de rétablir la confiance et de redonner du sens.


Ou, tout simplement, il est plus que nécessaire de remettre de l’humain
dans l’entreprise. Telle est l’ambition de ce Livre Blanc.

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Livre Blanc CFE-CGC Énergies


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PRÉFACE
Sommaire 5
AVANT-PROPOS 11

ÉTAT DES LIEUX


ÉTAT DES LIEUX La libéralisation
La libéralisation du secteur
du secteur énergétique, énergétique,
une perte de repères des salariés 17
une perte de repères des salariés

Un changement de finalités de nos entreprises 18


Organisation des activités : de nouvelles « rationalisations » 20
Organisation lean : le nouveau réductionnisme 20
Le défi de l’innovation de rupture 23

AXES DE RÉFLEXION Cinq thématiques à l’épreuve des réorganisations 25

Thème 1 : L’identité bousculée 26


Être ou ne pas être dans le cœur de métier stratégique 26
L’attachement au métier 26
L’estime de soi dans le travail 27
L’identité à travers les changements 27
L’identité dans les mouvements permanents des organisations 28
Thème 2 : La quête de sens 28
Le sens du travail au service des clients 28
Des jugements d’utilité autour de la technicité et de la sûreté 29
Le besoin d’être informé en temps réel des changements d’organisation 29
Le défaut de concertation dans les restructurations 30
Une conduite du changement défaillante, les managers en porte-à-faux 31
Thème 3 : L’attachement au bien vivre ensemble 32
Le lieu de travail, lieu de l’information et des solidarités 32
Des sous-traitants collègues au quotidien 33
Le manager, de moins en moins chef, de plus en plus intermédiaire 33
Les limites du manager de proximité 34
Pression du court terme et rotation des encadrants 35
Les conditions de reconnaissance des managers de proximité 36
La place des IRP et des organisations syndicales dans le vivre ensemble 36
Thème 4 : Processus et normalisation face aux réalités du travail 37
La culture managériale du « benchmark » 37
La pédagogie des « gains » de performance 38
Une nouvelle hiérarchie des gouvernances 39
Une tension à résoudre entre cohérence et souplesse des organisations 39
La prolifération des normes entraine des conflits d’instructions 40
La nécessité de critères partagés en amont des arbitrages 41
Thème 5 : Les garanties sociales mises en question 41
Conclusion 42

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Livre Blanc CFE-CGC Énergies

AMBITION N°1 Mettre les salariés au cœur des choix managériaux 45

Être impliqué dans la prise de décision 45


La diversité des organisations, un atout
pour la spécificité des métiers de l’énergie 47
Humaniser les critères décisionnels, une nécessité 47
La décision, une concertation en amont 48
Introduire la GPEC dans les choix stratégiques 49
Conduire le changement dans une vision partagée 50
Légitimer et soutenir les managers 53
Des managers bien formés 53
Des managers de proximité soutenus par leur direction et par leur équipe 54
Associer les équipes à la décision 57
Renouveler le dialogue social 59

AMBITION N°2 Promouvoir la reconnaissance professionnelle 61


07

Considération et respect des engagements, socles de la confiance 61


Le salaire, pilier fondamental sous contrainte 65
Mettre en valeur la reconnaissance extra salariale 67
La vie au quotidien : respect, confiance, conditions de travail… 67
Reconnaissance des compétences professionnelles,
des potentiels et des talents 68
Fonder l’évaluation sur l’humain 69
Les grilles d’évaluation comme base d’échanges 69
Construire les parcours, oser l’égalité 70
De la gestion du diplôme à la détection des potentiels 70
L’enjeu du prolongement des carrières 71
Repenser les temps de vie : solidarités familiales et handicap 72
Des parcours professionnels pour valoriser la transmission des compétences 72
L’indispensable accompagnement RH 73
Favoriser l’engagement citoyen 74

AMBITION N°3 Promouvoir le bien vivre au travail 77


07

À la poursuite du « bonheur » au travail 77


Respirer au travail 78
Une organisation lisible pour les salariés 78
Arbitrer dans le cadre de sa responsabilité 78
Sortir des pathologies des organisations 80
Normes : revenir à leur fonction première 80

8
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Sommaire

Trop de procédures tuent la performance 80


Le reporting pour rendre compte de l’activité, pas la prescrire 80
Apprendre à mieux traiter l’information 81
Innovation et adaptation : comprendre le changement 82
Analyser les résultats avant un nouveau changement 83
Manager par le dialogue 83
Le dialogue au cœur du métier de manager 83
Repérer les signaux d’alerte 84
La bonne taille d’équipes pour favoriser le dialogue 85
Valoriser les parcours syndicaux 85
La formation au cours du détachement 86
Dialogue social : sortir du formalisme 86
Managers et syndicalistes 86
Exiger et mesurer la performance sociale 87
Utilité sociale versus performance ? 87
D’une culture technique à une culture gestionnaire 87
La RSE peut-elle se mesurer ? 88
Des contraintes en cascades sur les managers de proximité 88
Quand l’évaluation sociale est trop générale 89
Les indicateurs au service du dialogue local 90

PERSPECTIVES Défendre les salariés des IEG, 93


le rôle des syndicats

Les menaces sur le statut du personnel des IEG 94


Le statut du personnel des IEG, une référence incontournable 94
La flexibilité, facteur de précarité 95
Des contrats différents dans une même entreprise : 96
une source de tensions sociales
Le rôle des organisations syndicales pour la sauvegarde des garanties sociales 97
L’évolution du rôle syndical, pour mieux défendre les salariés 97
Défendre les garanties sociales aux niveaux européen et international 98
Impulser une « moralisation » des pratiques managériales 99
Responsabiliser les dirigeants et les actionnaires, sur le plan juridique 99
La démocratisation des processus décisionnels,
une réponse aux besoins de légitimité collective 100

CONCLUSION 101
POSTFACE 103
ANNEXES 107
POUR ALLER PLUS LOIN 111

SYNTHÈSE 113
REMERCIEMENTS 123

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Livre Blanc CFE-CGC Énergies


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Avan t - p r o p o s

Depuis plusieurs années, dans les entreprises de la branche des IEG (EDF,
GDF SUEZ, RTE, ERDF, GrDF, GRTgaz, etc.), les modes de management et
les organisations du travail se transforment profondément. Ces évolutions
« Nous
constatons que
les conditions
se traduisent par une perte de repères et une dégradation des conditions de travail
de travail pour bon nombre de managers et de salariés.
se sont
Cette évolution s’inscrit, depuis les années 1980, dans un contexte
dégradées
mondial de transformation progressive et généralisée des différents et que les
types de management vers le modèle anglo-saxon ou libéral. Les entre- salariés ont
perdu leurs
prises des IEG, en particulier les groupes GDF SUEZ et EDF, sont passées
d’une finalité de service à la collectivité à une finalité financière. Dans ce
tournant, nous constatons que les conditions de travail se sont dégradées
et que les salariés ont perdu leurs repères, notamment face aux inces-
repères.
»
santes réorganisations. Ces derniers, de manière différente selon les
individus et les collectifs, expriment de plus en plus un mal-être au travail.

L’objectif de ce Livre Blanc est de présenter les positions de la CFE-CGC


Énergies sur ces questions et d’apporter des propositions constructives.
Nous avons l’ambition de peser sur le débat public en posant avec force
la question de la gouvernance des entreprises afin d’élaborer une
conception de l’organisation du travail et du management favorable à
l’amélioration des conditions de travail des salariés et des managers dans
les entreprises des IEG.

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Livre Blanc CFE-CGC Énergies

Notre réflexion porte sur cinq thèmes interdépendants :


- L’identité : la remise en cause des schémas traditionnels de la recon-
naissance amène le salarié à s’interroger sur le « qui suis-je » et le « que
fais-je » dans son travail.
- Le sens : la perte progressive des valeurs et des repères conduit à se
demander « pourquoi je fais » ce travail.
- Le vivre ensemble : la dynamique de plus en plus réactive des modes
d’organisation pose la question « avec qui je travaille ».
- Les processus et la normalisation : les nouvelles modalités de travail,
réduisant la marge de manœuvre des salariés, nous interrogent sur
« comment je travaille ».
- Les garanties sociales : l’érosion progressive des garanties sociales
amène à se demander « quel est mon contrat de travail ». Ce dernier thème
est transversal aux précédents par sa dimension macrosociologique.

CINQ AXES DE RÉFLEXION

«Quel contrat de GARANTIES


travail ai-je ?» SOCIALES

IRP : avis, codécision, véto Individu au travail


«Comment décide-t-on ?» IDENTITÉ «Qui suis-je et que fais-je ?»

Modes et méthodes
de management et d’organisation
du travail : lean management …
PROCESSUS « Comment je travaille? »
TRAVAIL
NORMALISATION
VIVRE
SENS
ENSEMBLE

Salarié au travail Entreprise/communauté et travail


«Pourquoi je fais ?» «Avec qui je travaille ?»

Source : CFE-CGC Énergies

L’enjeu est d’identifier comment l’organisation syndicale (OS) et les ins-


tances représentatives du personnel (IRP) peuvent se saisir concrètement
de ces thématiques pour devenir opérateurs de transformation dans nos
entreprises. Le fait de lier dans une même réflexion les problématiques
de management et d’organisation du travail s’impose comme une
exigence pour ouvrir des perspectives à la hauteur de la complexité du

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Avant-propos

sujet et pour éviter les impasses d’une approche segmentée en


« dossiers techniques » (temps de travail, télétravail…) comme cela arrive
trop souvent dans les négociations collectives.

Outre les aspects techniques et réglementaires, nous abordons les ques-


tions déterminantes de représentations sociales et culturelles. Car nous
souhaitons être à même d’explorer des pistes de progrès en vue de
soulager les personnes, comme les organisations, « malades » d’une gestion
étriquée et réductrice du travail. Cette approche globale est un préalable
pour légitimer et rendre crédibles les démarches de qualité de vie et de
qualité du travail.

Nous observons que divers accords récents, en restant cantonnés au


sempiternel « néo-taylorisme-toyotisme », négligent cette approche
systémique et échouent à repenser radicalement leurs orientations. Le
morcellement des problématiques liées au travail ne permet pas d’aborder
concrètement les enjeux qui les sous-tendent. Le risque est de produire
un empilement de règles dont les interactions complexes frisent
l’absurde. L’énergie humaine et organisationnelle requise pour appliquer
ces règles devient alors supérieure à celle disponible pour l’activité au
service de laquelle elles sont censées avoir été conçues !

C’est pourquoi nous pensons avant tout qu’il n’y a pas une organisation
du travail, mais des modes d’organisations adaptés aux différents types
d’activités et de métiers. Nous nous méfions particulièrement des
« dernières modes » managériales, issues généralement d’un secteur
d’activité, donc d’un contexte et d’une culture propre. La rationalité et
l’optimum organisationnel peuvent ne pas revêtir les mêmes habits et ne
pas se vivre de la même manière selon l’activité. Monsieur Fayol avait-il
raison avec Monsieur Taylor, le travail de bureau peut-il se gérer selon
les mêmes principes que la production industrielle séquentielle ?

Le pavé est lancé dans la mare du rationalisme mécaniste et déterministe


qui a su faire des merveilles dans ses terres de prédilection, mais qui
conduit à des catastrophes humaines et matérielles si l’on généralise ses
paradigmes.

La diversité des métiers de nos entreprises des IEG est à cet égard repré-
sentative de cette problématique. Nous avons fait travailler ensemble
des participants venant d’activités différentes, de la production au
domaine tertiaire, et de divers métiers, de nature intellectuelle ou servicielle.
Cette approche plurielle a été particulièrement enrichissante et a permis
d’éviter l’écueil de réflexions isolées où chacun voit midi à sa porte. Nous
avons ainsi pu repérer les tendances de fond qui uniformisent les

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Livre Blanc CFE-CGC Énergies

modèles et les pratiques de management et ce, quelle que soit la nature


de l’activité.

Les réflexions menées avec nos militants ont été nourries par des situations
spécifiques aux IEG : la fusion entre Gaz de France et Suez, la filialisation
de la DSI de GDF SUEZ, le cas de la SNET, filiale d’E.ON, la séparation des
distributeurs d’électricité et de gaz, la constitution des directions des
services partagés d’EDF et de GDF SUEZ, etc. Ces réflexions se sont
inscrites sur différents niveaux, notamment la taille de l’entreprise (SA,
filiale ou PME), son périmètre géographique d’activité (local, national ou
international) et la nature de l’activité (régulée ou concurrentielle). De
nombreux témoignages, de bonnes ou de mauvaises pratiques, exprimés
dans le cadre des réunions du groupe de réflexion interne de la CFE-CGC
Énergies, alimentés et éclairés par l’expertise de Secafi et de nombreux
ouvrages et publications de chercheurs, ont servi notre analyse.

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Avant-propos

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État d e s l i e u x

La libéralisation
du secteur énergétique,
une perte de repères
des salariés

Le secteur énergétique a joué un rôle fondateur dans les premiers pas de


la construction européenne avec la création en 1951 de la CECA (Commu-
nauté européenne du charbon et de l’acier), puis en 1957 de la CEEA (Com-
munauté européenne de l’énergie atomique). L’organisation dominante
des IEG était alors caractérisée par une forte intégration verticale des ac-
tivités de la chaine de valeur (production et exploration, transport, distri-
bution, commerce), au sein de monopoles intégrés ou par le biais de
contrats de long terme (cf. annexe n°1). Efficace et innovant au plan technique
comme au plan social, ce modèle était un atout compétitif pour la France.

Depuis le milieu des années 1990, la réglementation européenne, avec


l’ouverture des marchés nationaux au profit d’un marché unique européen
destiné à libéraliser les marchés de l’électricité et du gaz, a profondément
remanié le secteur de l’énergie. Directives européennes et Paquets Énergies

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Livre Blanc CFE-CGC Énergies

« La
concurrence a
ont progressivement réorganisé les entreprises nationales en structures
homogènes et/ou communes en vue d’en faire des acteurs européens.
Le principe de la libéralisation a consisté à désintégrer le modèle anté-
été introduite
en amont et rieur. La concurrence a été introduite en amont sur l’activité production
(marché de gros) et en aval sur l’activité fourniture (marché du détail),
en aval sur
tandis que les activités liées aux réseaux demeurent régulées en étant
les activités exploitées, gérées et développées par des monopoles chargés d’assurer
production et
fourniture.
» un accès libre et non-discriminatoire à tous les producteurs et fournis-
seurs. Il a fallu créer des gestionnaires de réseau indépendants et une
autorité de régulation1.

En pratique, la troisième directive européenne impose une séparation


patrimoniale des activités de production et de fourniture de celles liées
au transport et à la distribution de l’énergie. Pour y répondre, l’Union euro-
péenne a accepté que les entreprises françaises du secteur de l’énergie
opèrent une séparation juridique et fonctionnelle de leurs réseaux de
transport et de distribution (option dite de la « troisième voie »), afin de
limiter toute influence de la société mère (cf. annexe n°2) et ce, en évitant
une séparation pure et simple de propriété.

Nous n’ignorons pas que nous devons nous adapter aux règles du marché
intérieur européen, lequel est constitué d’une pluralité de modèles
économiques et qui est négocié par les différents États membres. Mais
encore faut-il que ces règles ne soient pas dictées par une conception
dogmatique et inadaptée aux caractéristiques du secteur énergétique.
En 2012, nous avions montré, avec notre Livre blanc des Énergies2,
comment cette politique a conduit à un marché de l’électricité et du gaz
déséquilibré et fragilisé, au détriment des consommateurs et de l’industrie
qui paient de plus en plus cher ces ressources nécessaires à la croissance,
sans que cela garantisse une réponse efficace au problème du réchauf-
fement climatique. Aujourd’hui, nous souhaitons montrer l’impact qu’ont
eu ces évolutions sur l’identité de notre industrie, sur les finalités de nos
entreprises et sur nos organisations du travail.

Un changement de finalités
de nos entreprises
1 La CRE, Commission de
régulation de l’énergie.
La révolution subie en quelques années par le secteur des IEG l’a conduit
2 Livre Blanc des Énergies : d’un monde organisé comme un service public, où la finalité première est
Trois ambitions pour
l’avenir des marchés la satisfaction des usagers, à un monde concurrentiel organisé par le
électriques et gaziers, marché, où la finalité est la rentabilité financière. Les caractères et la
CFE-CGC Énergies (2012). cohérence de ces deux types de finalités sont distincts, voire divergents.

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État des lieux Les contradictions de la libéralisation du secteur énergétique

DEUX FINALITÉS DIVERGENTES

FINALITÉ DE RENTABILITÉ
FINALITÉ DE SERVICE PUBLIC

D Complémentarité des énergies D Diversification et concurrence croisée


(EDF/électricité, Gaz de France/gaz) sur le gaz et l'électricité
D Clients à conquérir (challenger)
D Clients captifs et continuité
ou à céder (opérateur historique)
de la fourniture
D Approvisionnement via les marchés
D Contrats d'approvisionnement
de court et moyen terme
de long terme (vision de long terme)
(vision de court et moyen terme)
D Périmètre de décision international
D Périmètre de décision national
ou supranational
D Organisation par métier des activités
D Organisation intégrée des activités
D Organisation du travail en réseau
D Organisation du travail régionale
D Management axé sur la mise
D Management de type paternaliste
en compétition et la réactivité

Ancien monde : La planification, Nouveau monde : Pouvoir et autorité sont dissociés


la régulation et la péréquation entre des intérêts privés dont la finalité
sont assumées par un seul acteur est la rentabilité et des autorités de contrôle (CRE)
(gaz ou électricité) EPIC3 dont la mission est la régulation.
assurant l’optimum économique Entre eux sont négociés la rémunération
et responsable de l’intérêt général. des activités, la rentabilité des investissements
des activités régulées (RTE, GRTgaz, ERDF, GrDF…)
et la rémunération de certaines capacités
(Pointe, EnR).

Pour les deux entreprises sœurs EDF et Gaz de France, la libéralisation


du marché a signifié leur transformation en sociétés anonymes. Elles
ne sont désormais plus complémentaires, mais elles sont devenues
concurrentes pour vendre l’ensemble des produits et services énergé-
tiques. La dissociation des grandes directions communes (RH, SI…) est
concomitante de la naissance en leur sein d’entités « commerce » et du 3 Établissement

développement de la fonction « marketing » qui a pu notamment Public Industriel


s’appuyer sur la numérisation et la séparation des factures clients. et Commercial (EPIC).

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Livre Blanc CFE-CGC Énergies

Organisation des activités :


de nouvelles « rationalisations »

Pour passer d’une finalité de service public à une finalité de rentabilité


pour l’actionnaire, les entreprises de l’énergie ont remanié leurs organi-
sations. Cette transformation s’est opérée par étapes, mais de façon très
rapide. Sa finalité n’était pas toujours perceptible et/ou non explicitée ce
qui a pu faire naître des incompréhensions et un sentiment de précarité.
Le processus de transformation s'est opéré en trois phases :
1- La phase initiale : dans les organisations verticales et intégrées,
chaque unité opérationnelle comprend l’ensemble des fonctions néces-
saires à son fonctionnement autonome. Une distinction claire existe entre
l’intérieur, régi par le statut du personnel des IEG, et l’extérieur, régi par
la fonction achat.
2- La phase de transformation : les organisations deviennent matricielles.
Un double contrôle, hiérarchique et fonctionnel, se met en place. Il y a
des contrats de services régissant les relations internes pour les fonctions
support. La vision de « communauté » évolue pour les salariés tour à tour
clients et fournisseurs, ce qui modifie l’appréhension de la distinction
intérieur/extérieur. Parallèlement, les frontières des métiers évoluent et
des parts croissantes des activités sont externalisées, transformant
au-delà de leurs frontières l’identité des organisations.
3- La phase finale : les organisations sont de nouveau verticalisées par
métiers, mais ceux-ci sont dorénavant dissociés. Chaque métier définit
une cohérence interne et externe apparente. Mais ceux des donneurs d’ordre
s’éloignent de ceux de la production et se rapprochent du management
de prestataires ou de projets par « branche métier ». Désormais une
« branche métier » peut définir ses relations avec les autres métiers sur
un mode commercial, comme si elle n’appartenait plus à un même groupe.
Les découpages des territoires sont redéfinis, à maille plus large, pouvant
4
Le lean (dégraissé
en anglais) est une
aller jusqu’à la disparition de la notion de pays dans les organigrammes.
méthode de gestion
d’entreprise qui réduit
au maximum les
gaspillages, en tenant Organisation lean4 :
compte de paramètres le nouveau réductionnisme
comme les coûts,
la surproduction ou
les stocks inutiles.
Les organisations intégrées avaient déjà connu des formes de rationa-
5
Progiciels de Gestion lisations, notamment par la centralisation qui favorisait le pilotage par
Intégrés (PGI), de puissants systèmes d’information5. Cependant, à partir du découpage
plus connus sous
l’acronyme anglais en métiers, ce sont maintenant d’autres rationalisations qui se mettent
ERP (Enterprise en place. Chaque métier, une fois circonscrit et isolé, peut être en effet
Resource Planning). plus facilement soumis aux processus de réduction du lean.

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État des lieux Les contradictions de la libéralisation du secteur énergétique

Le reengineering6 n’est pas une pratique nouvelle, mais ce qui change,


c’est la reproduction systématique des mêmes modèles de management
et la centralisation des processus, au détriment des femmes et des
hommes qui composent l’entreprise.

Dorénavant, aucune activité n’échappe aux rationalisations de type lean,


que ce soit la « lean production » pour l’industrie ou son dérivé tertiaire, 6
Le reengineering
le « lean office » pour les activités de service. Machine à compacter le (réingénierie en anglais)
est la réorganisation
temps, les délais, les coûts et les emplois, le lean considère toute activité, d’un processus indus-
qu’elle soit matérielle ou immatérielle, comme une entrée d’inputs7, triel ou d’un système
leur transformation et leur sortie sous forme d’outputs8. d’information afin de le
rendre plus efficient.

Partant des modèles logiques développés dans les années 1970 et 1980, 7
Un input (entrée en
les consultants en lean se sont fait une spécialité de réduire les systèmes anglais) est l’ensemble
des facteurs entrant
complexes en équations primaires, fonctionnant de façon mécaniciste dans une production
autour de slogans simplistes. Ainsi dans le modèle Sipoc9, il y a deux donnée (matières
interactions simplifiées : le fournisseur (supplier) et le client (customer), premières, énergies,
main d’œuvre, etc.).
le travail étant enfermé dans le process. Cette forme séquentielle de
représentation est extrêmement restrictive. En effet, les analystes du 8
Un output (produire,
travail ont déjà mis en évidence l’écart entre le travail prescrit (la tâche, mettre dehors en
anglais) est le résultat
la consigne, le prévu) et le travail réel (l’acte, l’activité, l’ajustement
d’une production par
aux imprévus). Cet écart incompressible révèle toute la complexité du opposition à input.
savoir-faire indispensable à toute activité.
9
Sipoc est l’acronyme
anglais de Supplier
L’extension du concept de lean aux activités de management ou de Input Process Output
conception réduit ce travail à des objectifs immédiats et l’empêche de Customer, qui signifie
produire les effets plus généraux et lointains (outcomes) qui doivent en en français
Fournisseur,
être attendus, ceux-ci dépassant la simple réalisation de produits de sortie Entrée, Processus,
(outputs). Le lean conduit à la mise en équation simpliste d’activités qui Sortie, Client.

LE MODÈLE SIPOC
Le SIPOC (Supplier Input Process Output Customer) est un shéma du processus que l’on souhaite améliorer,
qui reprend l’ensemble du flux depuis les entrées du fournisseur jusqu’à la livraison du client.

D D D D
Supplier Input Process Output Customer
Fournisseur Entrée Processus Sortie Client

21
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Livre Blanc CFE-CGC Énergies

« MODÈLE LOGIQUE » QUI INTÈGRE LES ENJEUX


DE L’EFFICACITÉ DU SYSTÈME ÉNERGÉTIQUE

Actionnaire - Régulateur - Politiques publiques

Investissement
Retour sur Évaluation Évaluation
Investissement

Inputs Processing Outputs Outcomes Impacts


Ressources Ce que le projet Produit ou résultat Les résultats, Les conséquences
dédiées à élabore avec du travail ou les à long terme
l'activité ou les ressources ou de la changements de l'intervention
au projet pour remplir production pour les sur le système
sa mission bénéficiaires

Stratégies Prospective

Objectifs de rentabilité Conduite du changement Objectifs Climat, Croissance

Efficacité de la combinaison productive Efficacité énérgétique

Source : « Fondation Kellogg » complété par Secafi.

relèvent principalement de capacités complexes d’ajustement, de créa-


tivité et de relations humaines. Enfin, et c’est encore plus préoccupant,
le lean fait passer à la trappe les enjeux stratégiques et de conduite du
changement qui, seuls, permettent d’atteindre les objectifs d’efficacité
du système énergétique. Autrement dit, il ne peut intégrer les impacts
de l’activité des entreprises sur le système.

Or, les entreprises du secteur de l’énergie sont les acteurs clés de l’effi-
cacité énergétique. Elles jouent un rôle déterminant dans la compétitivité
économique. Outre les exigences de rentabilité de leurs actionnaires,
elles sont soumises aux décisions de politiques publiques et évaluées
par les autorités de régulation. Le modèle que nous proposons articule
les progrès réalisés en interne avec les impacts de nos activités sur le
système économique, la croissance et les modes de consommation.

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État des lieux Les contradictions de la libéralisation du secteur énergétique

Le défi de l’innovation de rupture

Tout modèle « logique » et toute réflexion stratégique doivent intégrer


l’occurrence de ruptures. L’innovation est une réponse aux impasses des
systèmes. C’est ainsi que la France a développé son industrie nucléaire en
réponse à l’impasse de la crise énergétique née du premier choc pétrolier.
Il est classique de distinguer trois types d’innovations : incrémentale,
radicale et de rupture. Dans nos entreprises à forte culture technique, ce
n'est cependant pas le défi technologique qui pose problème. Il sera
en conséquence plus utile de s’interroger sur l’innovation du point de
vue de sa conformité au modèle d’entreprise10. L’innovation continue
(sustaining), qu’elle soit radicale ou non, se fera en conformité avec le
modèle d’affaire de l’entreprise. L’innovation de rupture (disruptive) se
fera en rompant avec ce modèle. Cette dernière permet de bousculer le
marché et de prendre l’avantage sur les concurrents. Le schéma ci-
dessous montre comment les attentes des consommateurs évoluent
moins rapidement dans le temps que l’innovation en cours. La rupture
se produit lorsqu’une innovation, d’abord non recherchée par les
consommateurs, finit par dépasser leurs attentes et être adoptée par eux.

ÉVOLUTION DE L’INNOVATION DE RUPTURE

Performance Évolution de l’innovation


précédente

Évolution de l’innovation
de rupture
Attentes des
consommateurs

Temps

Source : Clayton Christensen

Nous sommes amenés à interroger les motivations du changement.


L’objectif de l’entreprise est-il de toujours grandir et de systématique-
ment forcer le marché ? Certaines de nos activités n’ont-elles pas d’autres
finalités, telles que la sûreté, l’approvisionnement, l’efficacité énergé- 10
Cf. « Innovator’s
tique ou la qualité ? Il n’est pas surprenant que le secteur de l’énergie, Dilemma » et « The
Innovator’s Solution »
qui est pour la première fois confronté à un pic de la demande en Europe, de Clayton Christen-
s’intéresse aux potentiels de croissance qu’offrent les innovations de sen (ouvrages non
rupture autour des usages du numérique. traduits en français).

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e réflexion
Axes d
Cinq thématiques
à l'épreuve
des réorganisations

Avec le cabinet Secafi11, nous avons étudié les restructurations et les


programmes de performance de ces dernières années. Leur examen,
sous l’angle des choix stratégiques, d’organisation des activités et
des modalités d’organisation du travail, fait très nettement apparaître
des tendances convergentes (cf. annexe n°3) : organisation verticale par
métiers ; redéploiements territoriaux sur des étendues plus vastes ;
pilotage par les systèmes d’information ; constitution de métiers support
avec le déploiement de centres de services partagés ; enfin, externalisation
des activités non « cœur de métier » ou, à l’inverse, ré-internalisation des
11 Secafi intervient
activités pour des besoins de gestion des effectifs en reconversion.
dans les principales
entreprises du secteur de
Partant de cela, nous avons identifié cinq thématiques susceptibles l'énergie, sur l'ensemble
d’être impactées par les restructurations et particulièrement sensibles de la filière, des métiers
de la production à ceux
pour les salariés : 1/ l’identité bousculée, 2/ la quête du sens, 3/ l’atta- de la commercialisation et
chement au vivre ensemble, 4/ les processus et la normalisation, des fonctions support, du
5/ les garanties sociales. transport à la distribution.

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Livre Blanc CFE-CGC Énergies

« La
tendance
Thème 1 : L’identité bousculée
générale est un Être ou ne pas être dans le coeur de métier stratégique
resserrement Dans les entreprises du secteur de l’énergie, pour des raisons plus stra-
sur le "coeur tégiques qu’économiques, la tendance générale est un resserrement sur
de métier " le « cœur de métier ». Depuis 15 ans, ce resserrement conduit à une
augmentation de la sous-traitance d’activités de moins en moins péri-
et une phériques (travaux, maintenance, études, production/conduite) et à une
augmentation évolution des terminologies qui préfigurent d’éventuelles restructurations.
de la sous-
traitance.
» Ainsi, la création d’un métier « maintenance » peut annoncer une évolution
vers l’externalisation de cette activité auparavant intégrée dans le cœur
de l’activité opérationnelle du réseau de transport ou de distribution.
À l’inverse, en cas de crise affectant le modèle stratégique, le cœur de
métier peut se déplacer – par exemple de la conduite vers la maintenance
(c’est le cas des centrales thermiques concernées par les marchés de
capacités) – et entrainer la réintégration d’opérations auparavant sous-traitées.

Au-delà des enjeux de sécurité, des aspects sociaux, des choix écono-
miques et des options stratégiques, l’externalisation d’activités génère
de profondes transformations des métiers. La plus représentative et
fréquente est le passage du faire au « faire-faire » pour les opérationnels,
du management hiérarchique à un management transversal pour les cadres.

L’attachement au métier
Des conducteurs d’installations qui se perçoivent comme des « seigneurs
de la conduite » ou des conseillers clientèle qui se voient comme les
« nouveaux ouvriers du monde des services » témoignent d’un même
attachement à leur identité professionnelle. Les premiers bénéficient
d’une rémunération, de conditions de travail et de perspectives de
carrière qui expliquent aisément cet attachement. Mais c’est bien moins
vrai pour les seconds. C’est sans doute pour cette raison qu’ils ont besoin
de valoriser leur appétence pour l’activité commerciale :

« Il faut se battre », témoigne une conseillère.

« Mon objectif, c’est d’aller vers la vente terrain, d’être expert en


techniques de vente, mais c’est super bouché », confie un autre
conseiller clientèle.

L’identité professionnelle, appuyée sur des parcours principalement


internes à la branche des IEG, reste tenace dans nos entreprises. Cepen-
dant, les changements de plus en plus rapides imposent de penser
activement les questions de perspectives de carrière, de passerelles vers
d’autres activités, de formation et d’intégration. Les parcours professionnels

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Axes de réflexion Cinq thémathiques à l’épreuve des réorganisations

sont à la fois plus ouverts et plus flous. Les GPEC12 peinent à apporter un
sens aux changements de l’entreprise et répondent de façon incertaine
aux enjeux d’employabilité.

L’estime de soi dans le travail


Les évolutions de cœur de métier comme la recherche accrue de perfor-
mance suivant des projets de type Démarche globale, Entreprise agile ou
Lean management obligent les salariés à des arbitrages douloureux entre
servir les motifs qui les ont conduits vers leur métier et répondre aux
attentes de l’entreprise via des reportings13 serrés. Ils se retrouvent ainsi
confrontés à des injonctions paradoxales. Les managers sont eux-mêmes
pris dans ces situations paradoxales et se retrouvent démunis pour
soutenir leurs équipes. Ils sont contraints d’adopter des stratégies qui
les désunissent et les séparent d’une partie des salariés dont ils ont la charge.

« Manque de ressources », « manque d’effectifs », « course après


le temps », sont des termes récurrents chez les salariés des fonctions
commerciales.

« Sens du travail modifié », « service public et sécurité écornés au


vu des arbitrages qui sont faits », ces remarques reviennent fréquem-
ment chez les agents des entreprises de réseau de distribution.

La question de l’identité est étroitement liée à celle de l’estime de soi au


travers de ce que chacun considère relever d’un travail de qualité dans
son métier et dont il pourra être fier ou pas.

« Ici, on est reconnu. Quand j’étais en poste dans l’entreprise


précédente, on me disait : tu es payé GF314, tu fais GF3 ; dans le
nucléaire, si on veut travailler, cela peut être valorisé. Là où j’étais
12 Gestion prévisionnelle
avant, nous étions des numéros », témoigne un contrôleur de gestion.
des emplois et des
compétences.
L’identité à travers les changements
13 Dans l’entreprise,
Même lorsque leur nom subsiste, les métiers changent. Pourtant, lors
le reporting désigne
des informations-consultations, les directions ne le reconnaissent pas. l’activité qui consiste
Elles tentent même de démontrer le contraire car la réalité des transfor- à rendre compte
mations de métier, si déstabilisante pour l’identité, est avant tout périodiquement
de ses performances à
« silencieuse ». Ces transformations se font sans y paraître jusqu’au jour
l’égard de sa direction.
où l’on constate, par exemple lors d’une procédure dite de « réforme de
structure», que les fiches de poste sont devenues obsolètes. 14 Le groupe fonctionnel

(GF) définit le niveau


d'emploi qui figure
L’identité professionnelle se construit dans une dynamique, à partir dans la grille
d’une histoire et avec des perspectives. À chaque changement, l’histoire de rémunération
est rasée. Les perspectives portent sur la réorganisation suivante et la des salariés des IEG.

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Livre Blanc CFE-CGC Énergies

dynamique peine à toucher les salariés. Dans une Business Unit, les
directeurs de site deviennent de simples managers opérationnels et ne
participent plus au comité de direction. Dans ces conditions, difficile pour
eux de partager avec les salariés une dynamique qu’ils ne portent pas.
Dans un autre cas de réorganisation industrielle, plusieurs niveaux
d’évolutions se superposent : entrée dans un nouveau groupe, avec les
aspects normalisants que cela implique ; passage d’une culture de
l’ingénieur à une culture du business ; transformation identitaire du
management dont le métier et les nouvelles attentes sont considérés
comme des évidences ; augmentation de la mixité culturelle et historique
des équipes sur un fond intergénérationnel.

L’identité dans les mouvements permanents des organisations


À la recherche d’une forme paradoxale de stabilité dans le mouvement
et/ou d’une utopie de l’organisation parfaite, les entreprises suivent
des modes managériales susceptibles d’apporter les leviers d’une
performance accrue :
- verticalisation des métiers,
- régionalisation (disparition des pays dans l’organisation),
- redécoupage des « mailles » d’intervention et d’astreintes (zones de
distribution),
- diminution du nombre de sites de traitement en lien avec le regroupement
des métiers du support par zones géographiques (services partagés),
- déménagement lors de la généralisation d’un système d’information
(centre de traitement comptable),
- changement de statut du personnel à l’occasion de la constitution d’une
filiale informatique.

Les interfaces créées à l’occasion de ces réorganisations sont de plus


en plus souvent gérées informatiquement et sont de plus en plus
inhumaines. Chaque changement organisationnel bouscule le travail au
quotidien, les métiers et les identités.

Thème 2 : La quête de sens


Le sens du travail au service des clients
La terminologie utilisée a changé : l’agent est devenu un salarié et l’usager
un client. Ce changement de vocabulaire est cohérent avec celui de
l’ordre des priorités qui fait passer le service de la rentabilité devant le
service public. Faut-il en conclure que la performance économique et le
sens du service sont contradictoires ? Même si nous considérons qu’une
bonne performance est porteuse de sens – celui de l’utilité au service de
l’entreprise –, nous constatons également que l’économie de l’argent

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Axes de réflexion Cinq thémathiques à l’épreuve des réorganisations

public et l’enrichissement des actionnaires sont perçus comme anti-


nomiques ou, au moins, potentiellement en tension. « La fierté
du métier porte
en grande
Des jugements d’utilité autour de la technicité et de la sûreté partie sur
La sûreté industrielle est une problématique essentielle des métiers de
l'enjeu de
la production, du transport et de la distribution de l’électricité et du gaz.
La fierté du métier porte en grande partie sur l’enjeu de la maîtrise des
la maîtrise
des risques
risques de sûreté, ainsi que de sécurité des personnes. Elle permet de
prendre ou d’accepter des risques réels et d’affronter des situations par-
fois émotionnellement délicates et incertaines (exploitation des centrales
nucléaires, urgences gaz). Cet aspect spécifique du métier est mis en
de sûreté.
»
valeur par les décrets d’autorisation d’exploiter et le contrat de délégation
de service public. Les salariés assument des risques théoriquement
mesurés, mais ils savent pourquoi.

Or, dans le cas d’un projet d’élargissement des zones de l’astreinte, l’évo-
lution va se traduire par une exposition plus importante des salariés au
risque routier, par l’augmentation significative des sorties d’astreintes et
des temps de trajets pour se rendre sur les interventions. Dans ce cas, le
risque ne fait pas sens et éloigne les salariés de leur métier. Les inter-
venants sont déjà au volant la majeure partie de leur temps de travail,
ce n’est donc pas tant l’exposition au risque qui est insupportable,
qu’une exposition vécue comme « inutile » et en décalage avec le métier.

La précision des calculs, des dossiers d’études et des actes de mainte-


nance ou de construction est aussi décrite comme un facteur de qualité
du travail car elle détermine la sécurité des installations, des riverains et
des salariés susceptibles d’intervenir en aval. Aujourd’hui, l’augmentation
de la sous-traitance, la réduction de l’encadrement interne, les processus
insuffisamment travaillés font dire aux salariés que « maintenant, on fait
n’importe quoi ». Il y a un risque fort de mettre les managers dans
l’incapacité de soutenir leurs équipes, les coordonnateurs de garantir la
sécurité dont ils sont responsables et les directeurs d’entité d’assurer
leurs responsabilités pénales. Dans ces diverses situations, la question
du sens du travail est mise à l’épreuve par les marges de manœuvres
inappropriées et des évolutions élaborées, mais inapplicables en tant
que telles sur le terrain.

Le besoin d’être informé en temps réel des changements d’organisation


L’intérêt du métier, pour se maintenir, doit s’appuyer sur une cohérence
entre les aspirations et les finalités personnelles d’une part, et l’utilité et
la reconnaissance sociale du métier d’autre part. Cet intérêt est à la fois
un levier de motivation efficace pour l’employeur et une fragilité en cas
de changement. Il doit donc être nourri par des relais de motivation et de

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Livre Blanc CFE-CGC Énergies

sens significatifs du point de vue du salarié, ainsi que par la préservation


des équilibres au travers les évolutions d’organisations.

Yves Clot, titulaire de la chaire de psychologie du travail au Cnam, évoque


les « coopérations conflictuelles15 » pour interroger le travail, favoriser
l’ajustement des relations, faire émerger les ressources et rendre plus
fluide le travailler ensemble. Si cette approche fait sens dans une orga-
nisation stabilisée, elle est encore plus pertinente dans une situation de
changement, pour permettre aux salariés de se réapproprier le sens de
leur travail.

Il y a cependant un décalage temporel important entre les dirigeants et


les managers, dans leur appropriation des transformations de l’environ-
nement, des changements de cap à opérer et des évolutions à mettre en
œuvre. Les managers doivent faire « bouger » leurs équipes dans des
délais courts, alors même qu’ils découvrent eux-mêmes les changements
d’orientations et ne les comprennent pas encore. Et ce, alors que de
nouveaux changements sont d’ores et déjà en préparation et en cours
d’appropriation par les dirigeants !

La question du sens émerge souvent en reflet de la conduite du change-


ment. Pour les salariés qui ont intégré une structure de travail pour le
sens qu’elle a pour eux ou qu’ils sont parvenus à lui en donner, « ça
change encore ! » Les salariés qui ne sont ni demandeurs, ni concepteurs
du changement, devraient pouvoir passer d’un sens à un autre en
« souplesse ». C’est d’autant plus nécessaire pour les managers dont la
mission est d’impulser la dynamique et d’accompagner leurs équipes
dans le changement.

Il y a deux manières de rendre explicite le changement et clarifier l’avenir :


construire un projet conjointement avec toutes les parties prenantes ou
l’imposer. Si l’approche de la direction correspond réellement aux
attentes des salariés, il y a des chances pour que progressivement ces
derniers y viennent d’eux-mêmes, dans une cohérence avec leur travail.
En revanche, si le futur est imposé sans réconcilier les orientations
stratégiques avec le travail, les paradoxes font mal !

Le défaut de concertation dans les restructurations


Pour les équipes et, plus particulièrement, pour les managers, s’opère
donc une double évolution : d’une part, un changement d’optique envers
15 Le travail à cœur,
des équipes qu’il faut soutenir, motiver, autonomiser et orienter, plus
pour en finir avec les
risques psychosociaux, qu’il ne faut les contrôler ; d’autre part, un changement de posture
Yves Clot, au sein de structures en évolution continue dont ils doivent porter la
La découverte (2010). dynamique, sans avoir le temps de se l’approprier eux-mêmes.

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Axes de réflexion Cinq thémathiques à l’épreuve des réorganisations

Le défaut d’explication et le manque d’écoute concernant le travail sont


très souvent les causes d’une adhésion impossible des salariés à des
restructurations dont ils ne contestent pourtant pas toujours la nécessité.
Une enquête menée par un CHSCT (cf. annexe n°4) dans un service dont
la charge de travail est en réduction montre que si les salariés reconnaissent
qu’un changement est nécessaire, ils portent cependant une appréciation
négative sur les conséquences du projet et soulignent que la commu-
nication n’a pas été suffisante.

Une conduite du changement défaillante,


les managers en porte-à-faux
Les études de cas montrent une sous-estimation quasi systématique des
conditions de gestion des transitions. Non seulement l’effectif nécessaire
à la période de transition avant la mise en place d’une nouvelle organi-
sation n’est pas assez pris en compte, le scénario se déroulant rarement
comme il avait été écrit, mais surtout, les départs par anticipation sont
favorisés afin d’atteindre plus rapidement l’effectif cible.

DÉCALAGE ENTRE LA RÉDUCTION DES EFFECTIFS


ET LES BESOINS DE LA TRANSITION

Projet de Constitution Convergence des Réalisation


regroupement des équipes méthodes de travail, des gains de
de deux services déménagements productivité

Situation Situation
initiale initiale

Situation Situation
projetée projetée
Effectifs

Effectifs

théorique nécessaire actuel

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Livre Blanc CFE-CGC Énergies

« Les temps
d'apprentissage
Par ailleurs, les temps d’apprentissage et d’acquisition des compétences
sont souvent sous-estimés et volontairement compressés afin d’afficher
et d'acquisition une réalisation rapide des objectifs. Ces temps d’adaptation sont définis
des compé- en valeur absolue sans tenir compte des aléas et des imprévus possibles
tences sont (humains ou logistiques). Derrière le trompe-l’œil, transparaît alors la
réalité de salariés en souffrance desquels est exigé – selon la formule
souvent sous-
« pendant les travaux, la boutique reste ouverte » – un niveau de perfor-
estimés afin mance toujours plus élevé, alors que le contexte est déséquilibré.
d’afficher
une réalisation L’écart entre les ressources théoriques et réelles amène à accentuer la
rapide des
»
pression sur le management intermédiaire, afin de conclure les change-
objectifs. ments au pas de course, sans dialogue avec les équipes ni considération
sur les impacts à moyen terme. Même quand la rationalité de l’adaptation
n’est pas contestée, le mépris des réalités de terrain peut mettre en péril
le succès d’un projet.

Thème 3 : L’attachement
au bien vivre ensemble

Le lieu de travail, lieu de l’information et des solidarités


Il existe par nature de grandes disparités entre les situations rencontrées
sur des sites « cœur de métier » et des sites à dimension support.

« Régulièrement, la responsable RH participe aux réunions du


service. Elle envoie des informations sociales et le chef de service
commente ces informations », rapporte un salarié sur un site nucléaire.

« Les panneaux d’information Direction sont de plus en plus mangés


par « la performance », avant, ces panneaux étaient tournés vers
le personnel », constate un conseiller clientèle.

Les open space, censés faciliter la communication, génèrent plus souvent


des tensions entre les salariés. Dans tous les cas, le lieu de travail est
celui où s’exercent les solidarités, à condition qu’il y ait une certaine
autonomie dans l’organisation de la charge. Or, une tension sur les
effectifs peut dégrader le vivre ensemble indépendamment des relations
entre les individus, comme l’illustre l’exemple de la planification des jours
des congés. Il y a ceux qui pourront partir à telle date et ceux qui ne le
pourront pas… et le manager qui doit mettre au point des plannings se
retrouve en difficulté, alors que son équipe est à l’affut de sa capacité à
être équitable.

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Axes de réflexion Cinq thémathiques à l’épreuve des réorganisations

Des sous-traitants collègues au quotidien


La sous-traitance se développe sur des domaines de plus en plus proches
du cœur de métier, elle contribue ainsi fortement à l’évolution des métiers.
Toutefois, il existe des mouvements inverses comme la ré-internalisation
opérée sur un site de production thermique pour compenser la diminution
de l’activité de conduite. Au-delà des changements de métiers induits,
cette situation influence de différentes manières le vivre ensemble :
- turn-over quotidien : sous-traitants qui changent au gré des contrats,
difficultés à choisir les équipes d’intervention, etc.
- surcroît de charges de travail qui se reportent d’aval vers l’amont, du
sous-traitant vers le donneur d’ordre, du fait des moindres possibilités
d’ajustement mutuel entre les acteurs,
- pertes de repères aux interfaces parfois anonymisées : qui est respon-
sable de quoi ? Comment coordonner les pratiques sans risquer le prêt
de main-d’œuvre ? Etc.
- des « sous-traitants donneurs d’ordre » qui connaissent le métier que
le donneur d’ordre ne connaît plus, entraînant une inversion des rapports
de force : les sous-traitants forment les CDD ou les nouveaux embauchés
du donneur d’ordre.

La question du statut du personnel demeure le grand discriminant. Une


situation parfois choquante quand elle se traduit par des conditions de
travail très différentes pour des personnes qui se côtoient au quotidien.
Par exemple, le droit de retrait en cas de « danger grave et imminent » est
facile à utiliser par « un EDF », mais impensable chez certains prestataires.

« Les nomades du nucléaire sont prêts à tout accepter pour travailler.


Pour nous, c’est inadmissible, mais ils subissent sans rien dire »,
s’insurge un salarié du nucléaire.

Ces différences sont mal vécues de part et d’autre, et peuvent poser des
dilemmes de positionnement syndical ou éthique. Par exemple, faut-il
défendre la ré-internalisation de la charge ou plutôt l’amélioration des
conditions de travail des sous-traitants ?

Le manager, de moins en moins chef, de plus en plus intermédiaire


Les managers intermédiaires sont particulièrement sollicités pour la
diffusion opérationnelle des processus décidés en « haut lieu ». Ils sont
en première ligne lors de la mise en œuvre des outils de gestion de la
production, en articulation avec les fonctions supports (HSE16, RH,
méthodes…) dans le cadre d’une approche par projets. La relation entre
le manager et les managés est de plus en plus interfacée par les systèmes
de contrôle de gestion et de reporting. Les systèmes d’information 16 Hygiène sécurité

permettent un découpage encore plus fin des tâches et une répartition environnement.

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Livre Blanc CFE-CGC Énergies

LE LIEN DU MANAGER AVEC LES ÉQUIPES


EST « INTERFACÉ » PAR LES SYSTÈMES

Système Système
de dispatch de reporting

Manager

SIRH

Source : Secafi

centralisée de la charge (dispatch) qui ne dépend plus de la maille


régionale. Dans les enquêtes, les salariés des équipes mettent le doigt
sur la perte de pouvoir et d’autonomie de leur manager :

« C’est la boîte aux lettres de la direction… »


« Il ne décide de rien, même pas de nos augmentations ! »

Les limites du manager de proximité


Dans les enquêtes auprès des salariés, la relation hiérarchique est citée
comme l’un des éléments de régulation essentiel. Les managers locaux
sont souvent les garants de la culture du groupe. Ils seront davantage
légitimes s’ils sont considérés comme tels par leur équipe et leur direction.
Cependant, confiance et légitimité ne se décrètent pas, mais nécessitent
quelques conditions minimales. Pas toujours volontaires pour l’être,
certains managers (locaux ou pas) ne sont pas à leur place… Mais même
lorsqu’ils sont volontaires et motivés, la plupart regrettent le manque de
formation, de temps et de marge décisionnelle. Ils mettent souvent en
cause le flou des attentes de l’entreprise à leur égard.

En résumé, les limites de l’action des managers de terrain sont de plu-


sieurs ordres : organisations floues, projets qu’ils ne portent pas eux-

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Axes de réflexion Cinq thémathiques à l’épreuve des réorganisations

mêmes, absence de marges de manœuvre, manque de confiance des


équipes et surtout de leur propre hiérarchie, faible latitude pour la
reconnaissance de leurs équipes, exercice de tâches qui ne relèvent pas
directement de leur mission, multiplicité des missions transverses, etc.
En cas d’organisation peu lisible ou discordante avec les objectifs fixés,
les salariés vont déployer une énergie importante pour lui donner du sens
et pour chercher les informations au risque d’une certaine usure et d’une
perte de temps. Manque de soutien et de temps, les managers sont
écartelés et les équipes s’en plaignent… L’entreprise est-elle consciente
de ces enjeux ? Comment les intègre-t-elle dans ses organisations ?

Les salariés sont à la fois soucieux d’équité et demandeurs de reconnais-


sance des spécificités de leur travail. La tension entre ces deux souhaits
révèle la nécessité d’une régulation protectrice qui permette à la fois
l’ajustement aux équipes et la cohérence nationale, la fluidité des
relations et le soutien au management.

Pression du court terme et rotation des encadrants


Dans les enquêtes, le turn-over trop rapide de l’encadrement, parfois
moins de 2 ou 3 ans, est particulièrement mis en cause pour ses consé-
quences sur le terrain.

« Les rotations courtes sur les sites font que quand un manager ar-
rive, il veut faire ses essais et ensuite d’autres managers arrivent,
font de même et, de ce fait, on tourne en rond. »

« Avec le turn-over de l’encadrement, dont on ne sait plus s’il fait par-


tie du groupe ou pas, chaque nouveau changement replonge l’équipe
dans la nécessité de créer des repères et des liens de confiance et de
reconnaissance qui permettent de travailler et de produire. »

« Ça change trop souvent dans les directions, les gens qui arrivent
sont déjà partis avant d’avoir fini ce qu’ils avaient commencé. »

La pression du court terme et de la charge de travail, le manque de


disponibilité des managers, conduisent les salariés à modifier l’ordre des
priorités et réduisent leur lisibilité. Ils en dénoncent les conséquences :
dépersonnalisation des relations, isolement, perte de soutien, absence
de continuité dans les actions (cf. annexe n°5).

« On a tout fait, le kanban, le lean, le 3S, 5S, le flux tendu… »

« Aujourd’hui, le chef travaille sous pression, il impose, alors qu’il


faut un certain calme pour travailler ici. »

35
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Livre Blanc CFE-CGC Énergies

« Le taux de
sous-traitance
« Là, (le chef ) n’a plus trop de marges de manœuvre, il défendait
plus sa paroisse avant. »
réduit méca-
niquement « Il se blinde pour ne faire que des reproches. »
le nombre de
Les conditions de reconnaissance des managers de proximité
représentants
Il ne suffit pas d’être « attaché » à son entreprise pour en accompagner
du personnel les changements opérationnels. La reconnaissance du métier de manager
chez les don- en tant que métier spécifique progresse dans certaines entreprises ou
neurs d'ordre directions, mais elle reste insuffisante dans la majeure partie de la
et augmente branche des IEG. Comme par exemple : sur ces sites de production
leur périmètre dont les directeurs ont été relégués hors du comité de direction sans
d'intervention.
» concertation, ou encore cette entreprise du réseau de transport qui
rappelle son « attachement » à ses managers de proximité, mais les laisse
gérer seuls les contradictions face aux changements. Le peu de motiva-
tion des salariés à prendre des fonctions managériales révèle également
ce manque de reconnaissance et de soutien, comme l’illustrent ces
différentes remarques :

« Un sentiment de manque d’accompagnement des changements. »

« Un manque de considération de la réalité de l’activité. »

« Pas de temps d’appropriation prévu. »

« Des modes de communication avant tout collectifs


voire institutionnels. »

Ce qui ressort en définitive des études de cas et des enquêtes, ce sont


des managers de proximité en souffrance, par manque de considération.

La place des IRP et des syndicats dans le vivre ensemble


Le périmètre géographique des comités d’établissement et d’entreprise
est de plus en plus décalé par rapport à celui des entités. Les étendues
territoriales sont parfois énormes. Le taux de sous-traitance réduit
mécaniquement le nombre de représentants des donneurs d’ordre ainsi
que leurs heures de délégation en augmentant leur périmètre d’inter-
vention (métiers, organisations…).
Si les CHSCT bénéficient de périmètres plus cohérents, en revanche, ils
sont enfermés dans des rigidités de fonctionnement qui réduisent leur
efficacité. De plus, en cas de restructuration, la nouvelle réglementation
issue de la Loi de sécurisation de l’emploi (LSE) renvoie les expertises à
une instance de coordination (ICCHSCT) qui risque d’être éloignée du terrain.
Pour les syndicats, dont le rôle a été renforcé par la LSE, l’enjeu est donc
maintenant de montrer leur présence et leur utilité sur le terrain.

36
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Axes de réflexion Cinq thémathiques à l’épreuve des réorganisations

Thème 4 : Processus et normalisation


face aux réalités du travail

La culture managériale du « benchmark17 »


Les programmes de performance, qu’ils soient d’EDF, de GDF SUEZ ou
d’autres opérateurs, sont devenus des « machines à normer » le fonc-
tionnement des entreprises à travers des organigrammes et des proces-
sus. Ces programmes sont conçus avec l’aide de cabinets de conseil
externes. Outre les ressources humaines qu’ils permettent de mobiliser
sur un temps limité et le rôle de « fusible » qu’ils jouent en cas de diffi-
culté, ces cabinets de conseil ont une approche spécifique du dossier.
Extérieurs à l’entreprise, ils sont censés avoir un regard « objectif » et
dégagé du poids de son histoire, réputée être un frein. Les benchmarks
qu’ils utilisent souvent sont présentés comme la « preuve » de leur
17Un benchmark est
objectivité. Ces benchmarks, nourris par les entreprises clientes de ces
un indicateur chiffré
cabinets (y compris par leurs prospects), sont des outils d’avant-vente à de performance tiré
l’entreprise. de l’observation
des résultats de l’entre-
prise qui a le mieux
Mais la comparaison avec les pairs propre aux benchmarks ne relève ni réussi dans un domaine
d’une méthode de résolution de problème ni d’une élaboration de solution. donné afin de s’en
Pourtant, elle fait figure de principe, comme si son lien avec l’efficacité inspirer.

DIFFÉRENTES « CULTURES » MANAGÉRIALES SE COMBINENT

Culture du chef
(le savoir est en haut)
Mot clé : vision
Souvent pointée comme caractèristique française
Elle repose aussi sur un discours technique.

Culture du «lean» Culture du Benchmarking


(le savoir est collectif) (le savoir est chez les autres)
Mot clé : effort Mot clé : adaptation
Vient de l’automobile (Toyota) Culture américaine
formalisé par MIT des bonnes pratiques
Elle repose sur le progrès continu. Elle repose sur la normalisation.

Culture du «chien au fil de l’eau»


(le savoir est dans la nature)
Mot clé : flexibilité
Culture chinoise du potentiel de situation,
elle repose sur l’Art de la guerre de SunTsu, mais
fait l’impasse sur la finalité du changement.

Source : Secafi

37
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Livre Blanc CFE-CGC Énergies

et la performance était acquis. Alors que faire « comme les autres », n’est-
ce pas déjà être en retard et manquer les potentiels d’innovation ?

Le partage d’expérience est certes riche et instructif. Il questionne,


conforte ou bouscule. Mais pour identifier ce qui est intéressant, appli-
cable et adaptable, on doit faire preuve de discernement et de recul. Le
copié-collé standardisé, sans analyse du contexte et des besoins, peut
se révéler inopérant, voire nocif. Il est aussi important de comprendre
l’intérêt et les finalités des pratiques observées avant de les plaquer sur
nos réalités. Autrement dit, les autres n’ont pas le savoir, mais un savoir
qui peut m’intéresser dans la mesure où il est adaptable. C’est seulement
dans cet esprit que le benchmark peut échapper à la normalisation.

La pédagogie des « gains » de performance


Une même « pédagogie des gains » se retrouve dans la plupart des plans
de performance. Les « gains » les plus faciles à mettre en œuvre, dits
« quick wins », qui crédibilisent la démarche, sont présentés en premier.
En général, il s’agit de gains sur les achats et les prestations. Intervien-
nent ensuite des programmes plus lourds tels que la renégociation des
contrats avec les prestataires. Concomitamment, sont jetées les bases
des réorganisations à venir, la définition des fonctions corporate, des
branches et des business units, ainsi que la nomination des dirigeants
appelés à conduire le changement. Enfin, c’est au tour des restructurations
(ou réformes de structures) qui redéfinissent les fonctions et affectations
de chacun, voire les fiches de poste. Une fois enclenchée, la dynamique
s’accélère :

« Parfois, les fiches de poste n’ont même pas le temps d’être


validées qu’une nouvelle réorganisation est engagée. Le but est-il
d’effacer tous les repères ? En tout cas, ça en est le résultat ! »,
regrette un salarié du service support.

« Dans ces situations d’incertitude permanente, les jeux de pouvoirs


interpersonnels sont exacerbés », témoigne un cadre du siège.

Les premières actions de performance sont annoncées « sans impact


interne ». Vient ensuite l’impact sur l’évolution des organigrammes et
des processus « sans impact sur l’emploi ». Entre les premières décisions
et leurs incidences sur l’effectif, il peut s’écouler plusieurs années.
Cette chronologie représente bien les processus de normalisation tels
qu’ils sont pensés et construits en amont. Dans un premier temps, sont
mentionnés d’éventuels doublons au niveau du siège ou à la tête des
branches. Cinq ans après, les réductions d’effectifs touchant le siège
descendent beaucoup plus profondément dans les services.

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Axes de réflexion Cinq thémathiques à l’épreuve des réorganisations

EXEMPLE DE TYPOLOGIE DES ACTIONS D’UN PLAN DE PERFORMANCE

Activité 1. Négociation
2. Innovation commerciale & Vente globale
3. Optimisation du portefeuille
Type d’approche 4. Ajustement de la taille
5. Innovation industrielle
6. Ré-ingénierie des procédures
Structurelle 7. Restructuration

Une nouvelle hiérarchie des gouvernances


La direction d’entreprise a toujours été environnée d’un système de gou-
vernance composé d’actionnaires et d’autorités publiques. Ce système
est aujourd’hui plus complexe avec l’intervention des parties prenantes
et de la société civile. À l’intérieur de l’entreprise, la hiérarchie de la
gouvernance est revue et fait l’objet de déclinaisons minutieusement
examinées. À GDF SUEZ, comme à EDF, les processus qui les traversent
sont analysés et chaque activité se trouve réaffectée en fonction de
ces analyses entre « réparti », « régalien », « mutualisé expertise » et
« mutualisé services ».

Ces évolutions, qui vont de pair avec la normalisation des processus,


les mutualisations (centres de services partagés par exemple) et les
externalisations, entrainent d’importantes modifications dans les orga-
nigrammes.

Résoudre la tension entre cohérence et souplesse des organisations


La normalisation touche les processus de communication (reporting,
NTIC18…) et vise la prescription du travail (rationalisation des tâches,
sous-traitance…). La transmission de l’information est donc un des as-
pects sensibles de l’activité qu’il est légitime de mettre en parallèle avec
les conditions du vivre ensemble. Elle est bousculée par les tâtonnements
en lien avec l’usage des TIC, la réduction des temps informels, etc. Ceux
qui s’en sortent le mieux sont ceux qui ont su créer un réseau interne.

L’enjeu pour l’entreprise doit être de mettre le fonctionnement de ces


réseaux au service de la simplification et de l’efficacité. Souplesse et
18
confiance sont parfois vantées de façon incantatoire comme des facteurs Nouvelles
technologies
de réussite de projet, comme dans le cas de la nouvelle organisation de l’information et
régionale de l’entreprise de transport régulée, alors qu’en réalité, c’est de la communication.

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Livre Blanc CFE-CGC Énergies

« La rationa-
lisation se
la dimension du contrôle qui est seule présente dans la déclinaison
opérationnelle. Il en est de même dans le cas d’un centre d’informatique
partagée, où l’homogénéisation des processus va limiter la souplesse et
manifeste par
une augmen- la réactivité de l’organisation.
tation de la
La prolifération des normes entraine des conflits d’instructions
prescription La rationalisation est censée permettre une réallocation optimale des
du travail ressources qui, souvent, entérine leur raréfaction. Dans sa mise en
censé réduire œuvre, la rationalisation se manifeste par une augmentation de la pres-
les risques
»
cription du travail censée réduire les risques d’erreurs. Pour cela, de plus
d'erreurs. en plus de cas de figures doivent être prévus, décrits et « processés ». Ils
font alors l’objet d’instructions qui entraînent inévitablement une com-
plexification des processus et une perte de souplesse et de réactivité.
Les salariés et les managers de proximité se retrouvent alors dans la
situation paradoxale de devoir arbitrer des conflits d’instructions alors
que ces dernières sont censées avoir prévu toutes les situations.

En pénurie de moyens, faire des choix devient impératif. Pour faire des
arbitrages tenables et choisir le moindre risque, les salariés en réfèrent
au sens et à la qualité du travail et/ou aux attentes du client. Les critères
de ce choix, qui n’est pas prévu par les processus et qui fait pourtant
partie du travail réel, ne sont pas toujours explicités et partagés.

« La question de la qualité est posée par les collaborateurs en


raison notamment de la surcharge de travail. »

« Ce qui est attendu par le client, par la direction et par la hiérarchie


n’est pas clairement explicité. Or, plus les temps de travail sur les
missions se réduisent, plus la clarification des attentes apparaît
importante pour les salariés. »

« Avec l’augmentation de la charge de travail, les salariés ont


l’impression d’avoir moins le temps de faire un travail de qualité. »

Ces jugements sont trop souvent considérés par la direction ou l’enca-


drement comme une perception individuelle. Or, les critères de qualité
devraient être discutés et partagés, à partir du croisement des différentes
logiques de travail : techniques, sociales, gestionnaires, etc.

« Des échanges sur ce sujet permettraient de définir des repères


clairs sur ce sujet pour tout un chacun. »

40
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Axes de réflexion Cinq thémathiques à l’épreuve des réorganisations

La nécessité de critères partagés en amont des arbitrages


En l’absence de clarification sur les priorités, les salariés sont tentés de
considérer que la demande implicite est d’arbitrer en faveur d’une sim-
plification et d’une qualité moindre. Cette évolution « mal digérée » est
contradictoire avec ce que les salariés comprennent des attentes clients.
Leur choix peut d’ailleurs être de ne pas répondre à ces attentes. Dans
tous les cas, cette standardisation douloureuse est rendue presque
impossible lorsqu’elle ne fait pas sens pour les salariés. Elle devient
alors un frein.

Donner à comprendre les enjeux doit permettre de lever ce frein, d’éviter


les biais, d’ajuster les attentes et de conduire à une représentation
partagée de ce qu’il est pertinent de faire. L’économie de cette étape
d’explication et de compréhension conduit à une complexification
officieuse dont les effets sont une perte de repères. Paradoxalement,
alors qu’elles sont censées avoir été simplifiées, ces organisations sont
vécues comme trop complexes et susceptibles d’entraîner des prises de
risques inappropriées, des coopérations freinées, une dégradation de la
santé des salariés qui peut se traduire par un absentéisme coûteux en
terme organisationnel (astreinte, remplacements…).

Thème 5 : Les garanties sociales


mises en question
Les opportunités d’emploi dans le secteur des IEG sont de deux ordres :
remplacement des départs liés au « papy-boom » (mais tous les emplois
actuels ne seront pas remplacés) et évolution des emplois vers le numé-
rique, les services énergétiques ou vers les énergies renouvelables.
Cependant, ces nouveaux emplois sont souvent créés hors statut des
IEG, avec des conditions sociales très différentes. Cette création continue
d’emplois ne compense pas les réductions d'emplois au sein de la
branche et contribue à réduire mécaniquement et progressivement le
périmètre d’application du statut des IEG et des garanties sociales qui
y sont associées19, ce qui nous amène à nous interroger sur les perspec-
tives à moyen et long terme de ces garanties sociales.

L’une des revendications de la CFE-CGC Énergies est que les salariés des
19
entreprises du secteur de l’énergie soient au statut des IEG. La question du socle
de garanties sociales
accompagnant les
Indépendamment de la réalité des garanties sociales, des phénomènes métiers de la transition
de peur ou de perte de confiance sont générés par la façon dont les énergétique n’a pas été
abordée dans le cadre
salariés se sentent traités. Il est donc question de communication, de du grand débat sur la
conduite du changement, de sa nature, de son intention et du courage transition énergétique.

41
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Livre Blanc CFE-CGC Énergies

des dirigeants. Le courage peut être défini par la capacité à reconnaître


ne pas savoir ou ne pas pouvoir faire. Dire où s’arrêtent les marges de
manœuvres est moins pathogène, quand les prises de décisions sont
cohérentes, que de laisser planer le doute. Aujourd’hui, les salariés
expriment leur peur de l’avenir et leurs inquiétudes, et aucune perspec-
tive claire ne vient qui pourrait les rassurer.

C’est un enjeu syndical que de pouvoir redonner de la perspective aux


IRP les plus locales et aux OS sans tomber dans la confusion des genres.
Cette démarche est en cohérence avec ce vers quoi tend la loi de
sécurisation de l’emploi (cf. chapitre Perspectives).

Conclusion
Sens, identité, vivre ensemble, normes et garanties sociales, à partir de
ces cinq axes de réflexion, nous avons dégagé trois pistes d’action qui
sont autant d’ambitions pour la CFE-CGC Énergies : mettre les salariés de
nos entreprises au cœur des choix managériaux, promouvoir une véritable
reconnaissance professionnelle et promouvoir le bien vivre au travail.

DES 5 AXES DE RÉFLEXION AUX "AMBITIONS" ET "PERSPECTIVES"

PERSPECTIVES
GARANTIES
«Quel contrat
de travail SOCIALES
ai-je ?»
AMBITION 2
IRP : avis, codécision, véto Individu au travail
«Comment décide-t-on ?» IDENTITÉ «Qui suis-je et que fais-je ?»

Modes et méthodes
AMBITION 1 de management et d’organisation
du travail : lean management…
PROCESSUS « Comment je travaille? »
TRAVAIL
NORMALISATION
VIVRE
SENS
ENSEMBLE

Salarié au travail
«Pourquoi je fais ?»
AMBITION 3 Entreprise/communauté et travail
«Avec qui je travaille ?»

Source : CFE-CGC Énergies

42
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Axes de réflexion Cinq thémathiques à l’épreuve des réorganisations

Notre première « Ambition » aborde les modalités de prise de décisions


managériales, auxquelles nous souhaitons que l’ensemble des salariés
soit associé. La seconde traite de la reconnaissance des salariés dans
l’organisation, qu’elle soit financière ou immatérielle. Et notre troisième
« Ambition » porte sur la place des salariés dans les organisations et sur
la réalité du travail, elle vise à réconcilier les enjeux de performance de
l’entreprise et la nécessité du bien vivre des salariés. Enfin, ces trois
volets de propositions sont suivis de « perspectives » sur le devenir à
long terme des contrats de travail et des organisations dans les IEG ainsi
que sur l’évolution du rôle des organisations syndicales et des instances
représentatives du personnel.

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i o n n º 1
Ambit
« Mieux in for mer et mie
ux écouter le s salar iés. »

Mettre les salariés


au coeur de nos
choix managériaux
Cette première ambition cible le processus décisionnel ainsi que les choix
stratégiques et managériaux dans l’entreprise, à partir des enjeux
économiques externes et internes. Notre souhait est d’y impliquer
l’ensemble des salariés et plus seulement une élite restreinte et refermée
sur elle-même.

Être impliqué dans la prise de décision


La décision est un choix. C’est un arbitrage entre des enjeux à court ou
moyen terme, des intérêts légitimes et différentes méthodes possibles.
Le mythe du dirigeant, seul détenteur d’une vision prospective infaillible,
donnant l’impulsion et dont les décisions sont mises en œuvre sans
résistance par ses directeurs et ses opérateurs, est toujours efficient.
Aujourd’hui encore, cette représentation anime la manière dont les
décisions sont prises dans le secteur industriel de l’énergie et ce, alors

45
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Livre Blanc CFE-CGC Énergies

même que les managers se heurtent « à tous les étages » à ce que l’on
nomme le « frein au changement ».
Par ailleurs, le processus décisionnel fait intervenir des dimensions
institutionnelles et réglementaires complexes, ainsi que des intérêts et
des perceptions multiples des parties prenantes.

DÉCISION ET PARTIES PRENANTES, LA RÈGLE DES 3 M

Multidimensionnel
Politiques Conjonctures Marchés financiers
Réglementation Droit des firmes
Etc...

Multiniveaux Multiacteurs
International - Européen - National Autorités Entreprise : Autres :
Sectoriel - Local Publiques Management - DRH - Syndicats Institutions
Représentants des travailleurs Réseaux
Shareholders - Stakeholders institutionnels
Experts
Source : AgirE

Les modalités de gouvernance qui structurent la participation des salariés


permettent de tirer profit des tensions entre forces centralisatrices et
forces distributrices, en vue de produire une combinaison spécifique à
chaque entreprise, à chaque « communauté », dans un contexte légal donné.
Les entreprises du secteur de l’énergie sont entrées dans une libéralisation20
imparfaite et au fonctionnement insatisfaisant. L’énergie reste pourtant
un bien primaire nécessaire à la croissance industrielle et un service
rendu à la collectivité. La performance économique et sociale de nos
entreprises ne peut être exclusivement rapportée aux actionnaires, mais
doit considérer une utilité supérieure, appelée le service public.

Nos ambitions

Contribuer à l’émergence d’un modèle de gouvernance qui donne réellement sa


place à chacune des parties prenantes, notamment par la mise en place de groupes
de travail plus ouverts et afin de tenir compte des retours d’expérience, des
remontées du terrain et des idées novatrices.
Ainsi, l’implication des salariés dans la prise de décision permettra d’accroître la
robustesse des choix internes pour répondre aux exigences externes et stratégiques.

46
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Ambition nº1 Mettre les salariés au coeur de nos choix managériaux

La diversité des organisations, un atout pour la spécificité


des métiers de l’énergie
Malgré l’illusion prégnante de l’organisation parfaite sortie d’une boîte
à outils dernier cri, le changement organisationnel permanent est parfois
une réponse adéquate aux nécessaires adaptations de l’entreprise. Entre
boîte à outils et changement, les différentes politiques managériales
tentent d’intégrer :
- des facteurs de convergence qui caractériseraient une étape de la
« libéralisation » du secteur par-delà les différences de culture entre EDF,
GDF SUEZ et leurs filiales du secteur régulé,
- des stratégies divergentes pouvant entraîner des processus décisionnels
et des formes d’organisation spécifiques.

Nous pensons que la diversité des organisations et des cultures nécessite


des partis pris organisationnels et, par conséquent, managériaux. Il est
déterminant d’adapter ces partis pris aux enjeux de chaque structure et de
chaque métier énergétique afin de répondre aux sollicitations de l’environ-
nement, sans perdre de vue les missions et choix fondamentaux des IEG.

Nos ambitions

Inciter les employeurs à afficher leurs partis pris organisationnels pour en


débattre afin de mieux intégrer les spécificités des métiers et activités.
Favoriser des mobilités organisationnelles raisonnées lorsqu’elles sont justifiées
au regard des facteurs clés de l’environnement économique et stratégique.

Humaniser les critères décisionnels, une nécessité


Adapter les organisations aux métiers est une condition nécessaire, mais
insuffisante. Une politique managériale n’ayant que la productivité
pour objectif est vouée à l’échec, car ignorer les facteurs humains est
suicidaire pour l’entreprise comme pour les salariés. Sur ce point, la
position de la CFE-CGC Énergies est claire : nous ne nous opposons ni à
la recherche de productivité ni à l’efficience, mais à leurs excès qui,
comme dans tout système, entraînent des dommages secondaires. La
productivité à outrance et l’ultra rigueur causent en définitive des effets 20 Comme nous l’avons

inverses à l’objectif recherché. Nous n’avons donc pas vocation à déjà montré dans
le « Livre Blanc
cautionner toutes les décisions et tous les choix faits par nos entreprises,
des Énergies : Trois
mais nous nous positionnons comme une force de propositions alterna- ambitions pour l’avenir
tives visant à « humaniser » les critères décisionnels tout autant que les des marchés électriques
méthodes de management et de gestion. et gaziers », op. cit.

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Livre Blanc CFE-CGC Énergies

Nos ambitions

Intégrer l’humain, non comme une simple variable d’ajustement, mais comme le cœur
de l’entreprise, dans les critères décisionnels comme dans le management et la gestion.
Accepter que la politique managériale ne soit pas seulement gestionnaire et/ou financière.
Ne pas considérer la productivité comme seule réponse aux enjeux de performance
durable.
Refaire de la qualité du travail un levier de performance.
Favoriser les structures de taille « raisonnable » afin d’éviter les écueils de la massi-
fication et de conserver une dimension humaine aux organisations.

Pour déployer une politique managériale équilibrée, il convient de


s’appuyer sur différents leviers : la capacité d’ajustement des équipes ;
des managers légitimés et soutenus ; la contribution de chacun pour
intégrer les changements et adapter les rythmes et les moyens ; le
respect d’une vraie diversité et de l’égalité professionnelle ; une trans-
formation du dialogue social qui évite les aberrations et les blocages.

La décision, une concertation en amont


Quelle que soit l’option stratégique ou politique retenue, seule une large
concertation permettra de la faire comprendre, de la décliner et de l’appliquer,
voire de l’amender. Or, ce n’est pas toujours le cas. Lorsque le comité d’en-
treprise est consulté, il est souvent déjà trop tard pour proposer des alterna-
tives. Ou lorsque les managers de proximité sont informés sans avoir été
associés à la concertation préalable, ils se retrouvent devant le fait accompli.

DU PROCESSUS DE DÉCISION À LA CONSULTATION DU CE


SUBIR LA GESTION DE CRISE OU ANTICIPER ?

Scénario 1 Scénario 2 Scénario 3 Scénario 4


Codir
Comex

Processus de décision
Choix de
restructuration
n
Gestio e
de cris
d
à chau Consultation CE/CHSCT Ou... dialogue
en anticipation

Réorganisation - Mesures d’accompagnement


Source : Secafi

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Ambition nº1 Mettre les salariés au coeur de nos choix managériaux

ACTION DE LA GPEC DANS LA LOGIQUE D’ENSEMBLE

Information sur la stratégie

Anticiper les effets


sur l’emploi et les métiers

Employabilité Gestion prévisionnelle


Maintien dans l’emploi des emplois et compétences

Source : Secafi

Introduire la GPEC dans les choix stratégiques


Dans le secteur de l’énergie, les problématiques d’investissement sont
dominantes et permettent une forte visibilité technique. Concernant les
ressources humaines, les IEG seront touchées à court terme par le
« papy-boom », ouvrant une fenêtre d’opportunités pour préparer les
transitions et le remplacement des compétences. Si cette échéance peut
être une contrainte en termes de préparation, d’anticipation, d’organisation
et de ressources, elle constitue surtout une véritable source d’innovation
pour les entreprises. En effet, lorsque la gestion d’une fin de carrière
s’appuie sur le transfert des compétences et la valorisation des liens
intergénérationnels, cela garantit la transmission de savoir-faire, tout en
renforçant le sens donné à son travail par le salarié en charge du tutorat.
Il s’agit aussi d’une occasion d’arbitrer entre externalisation et maintien
des activités et des compétences en interne. Les options sont alors à
prendre à partir d’une réflexion étayée par une analyse des risques et
opportunités. Ainsi, la GPEC pourra réellement être un outil de mise en
œuvre des décisions prises dans un souci de cohérence avec l’organisation
et la « pertinence de l’usage des ressources ».

Nos ambitions
Manager avec « rigueur », sans gaspillage, tout en respectant l’humain :
- plus de souplesse pour les managers de proximité,
- une subsidiarité au plus près des besoins de l’activité ou du métier,
- davantage d’expressions des salariés sur leur management,
- tests de management alternatifs (slow management par exemple)
sur des unités pilotes.
Valoriser la recherche de l’efficience :
- une culture de la pertinence du travail plutôt que de la quantité,
- moins d’impact du court terme.

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Livre Blanc CFE-CGC Énergies

Nos ambitions

Responsabiliser dans la réorganisation des activités, fonctions et métiers :


- définition des niveaux de décision et implication des salariés,
- maintenir les managers au moins trois années consécutives sur leur poste,
- expliquer l’organisation des activités et ses implications
sur le travail de chacun,
- prise en compte des interrogations des salariés.

Conduire le changement dans une vision partagée


Dans le monde de l’énergie en transition, la question de l’organisation
comme un état stable n’a plus de sens. Aujourd’hui, une réforme en
prépare une autre. La vitesse d’évolution de l’environnement implique
de penser une politique managériale capable d’allier les notions de
mobilité et d’agilité avec celles de continuité et de cohérence, de telle
sorte que l’organisation structurelle devienne conjoncturelle.
Bien que de manière officieuse, les salariés s’approprient la réflexion sur
le travail et s’adaptent en temps réel, cette capacité d’ajustement du
prescrit au réel peut être officialisée comme un ressort de l’entreprise.
La cohérence entre le travail prescrit et le travail réel serait alors portée
par la confiance dans la compétence des salariés à anticiper et à s’adapter.
Cette compétence, une fois reconnue, pourra devenir le point commun
et stable d’organisations capables de s’adapter aux contraintes et aux
opportunités de façon fluide et réactive.

Nos ambitions

Une réflexion des grandes entreprises sur l’évolution des organisations de telle
sorte qu’elles puissent être capables de porter le changement sans rupture de
sens, mais en cohérence avec le travail des salariés et avec leur implication à
tous les niveaux décisionnels. Toutefois, nous savons que le chemin est encore
long et qu’il nécessitera des changements moins intégrés.

Il est déterminant que les évolutions s’appuient sur une cohérence basée
sur le sens, mais sans nécessairement qu’elle soit synonyme d’adhésion.
De même, il est indispensable que tous les salariés, dans leur diversité,
bénéficient d’un environnement propice à la construction de leur propre
compréhension des évolutions, notamment via des informations étayées.
Certains salariés pourront directement partager le sens que leurs
dirigeants donnent à tel ou tel changement. D’autres salariés, en revanche,
devront trouver suffisamment d’informations fiables et convergentes
pour se construire leur propre représentation du changement.

50
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Ambition nº1 Mettre les salariés au coeur de nos choix managériaux

C’est en particulier le cas des encadrants qui sont sollicités pour accom-
pagner des changements qu’ils n’ont pas souhaités : ils doivent au moins
pouvoir les comprendre.
Afin que le changement ne soit pas une rupture, cela nécessite une
dynamique et une durée suffisante. L’écart de temporalité, entre la
réflexion à la tête de l’organisation et son appropriation par des
managers et des salariés fraichement informés, doit être intégré au
processus de réorganisation.

RENDRE LE CHANGEMENT COHÉRENT POUR CHACUN

Donner Organiser
les moyens l'entreprise
Expliquer
le sens
+ à chacun de
construire
son propre
sens
= comme un
système
cohérent avec
le sens

Il est indispensable d’intégrer dans la décision la diversité des modes de


compréhension et des types de fonctionnement de l’entreprise. Parvenir
à une décision unique et argumentée implique donc une instruction large
et ouverte. Seul le discernement humain permet de détecter les éventuels
paramètres d’ajustement et d’évolution nécessaires pour préparer l’ave-
nir et anticiper les décisions ultérieures. C’est à la fois l’étendue et la per-
tinence de l’instruction qui donnera sa robustesse à la décision et la fera
accepter par les salariés.

Parmi les conditions qui rendent possible un changement dans une


confiance éclairée21, nous proposons trois incontournables :
- des managers à l’aise avec le message à faire passer,
- des possibilités d’ajustement du message par les salariés en local,
- des bilans de conduite des projets à partir d’axes d’évaluation fixés
a priori.

La compétence de l’organisation est reconnue si les ambitions sont en


accord avec les moyens et que cela se traduit de manière visible dans le 21 La confiance

au travail,
travail des salariés. Son intégrité sera vérifiée si les efforts sont tournés
Laurent Karsenty,
vers le respect des engagements, si la communication est franche et Editions Octares
honnête et si l’exemplarité et l’équité vis-à-vis des membres de l’équipe (2014).

51
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Livre Blanc CFE-CGC Énergies

sont reconnues. De même, la bienveillance de l’organisation sera notam-


ment jugée sur sa capacité d’écoute et de prise en compte des difficultés
exprimées par ses membres, ainsi que des propositions de solutions
avancées. Ces qualités organisationnelles peuvent se traduire par :
- le développement approprié des compétences,
- l’émergence dans chaque communauté professionnelle de référentiels,
- la mise en place de règles de coordination et de régulation,
- l’acceptation de l’erreur comme opportunité d’apprentissage,
- des rencontres régulières d’analyse d’expériences et de résolution de
problèmes.

NOS PROPOSITIONS

D Pour gérer le changement en respectant les salariés :


- une gestion progressive, de la visibilité sur la finalité du changement, la
participation des salariés et des IRP en amont,
- une conduite graduelle et pédagogique du changement facilitant son
assimilation par les salariés.

D Pour oser la confiance !


- plus de marges de manœuvres : expliquer et partager l’objectif (le pourquoi)
et laisser à ceux qui connaissent l’activité le choix des moyens (le comment),
- mettre du sens dans les démarches de construction de contrats d’équipe,
de services, etc.
- demander aux directions et aux services de s’interroger sur les niveaux
de prise de décision et sur les systèmes de délégation, et appliquer la
subsidiarité.

D Pour savoir pourquoi on change et en mesurer les gains :


- obtenir des dirigeants des priorités et des renoncements,
- réaliser des analyses d’impacts systématiques, études préalables, bilans
et études de charge,
- réfléchir avant d’agir pour éviter le nombre de procédures !

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Ambition nº1 Mettre les salariés au coeur de nos choix managériaux

Légitimer et soutenir les managers

Des managers bien formés


Le métier de manager n’est plus le même aujourd’hui qu’il y a 10 ou 15 ans.
Disponible, proche de ses collaborateurs, guide, visionnaire, chef d’orchestre,
animateur, détecteur de talents, communicant, protecteur, à l’écoute,
possédant du leadership, exemplaire, humble, courageux, mais aussi
sachant inspirer la confiance, travailler en équipe et contrôler ses résultats,
garder un esprit critique, favoriser le dialogue et l’émulation positive,
encourager la solidarité, valoriser ses collaborateurs, etc. Le manager est
censé posséder de nombreuses qualités.
Et à l’inverse, il ne doit pas manquer d’énergie ni d’enthousiasme, travailler
seul, sans vision claire, décourager les idées innovantes, faire des erreurs
d’estimation à répétition, faire douter ses collaborateurs, encourager la
compétition individuelle, être distant et inaccessible, être carriériste au dé-
triment de son équipe, etc.
En d’autres termes, le métier de manager est un métier exigeant qui né-
cessite des qualités nombreuses et précises. Deux approches du métier et
de l’acquisition des compétences sont possibles :
- le salarié possède une « fibre » managériale (il est tourné vers les autres,
communicant…), sa personnalité le prédispose donc au management et il
doit seulement compléter ses qualités naturelles par l’apprentissage de
techniques,
- le management est une affaire de formation et non de personnalité,
n’importe quel salarié peut apprendre à manager.
Entre ces deux « écoles », le débat reste ouvert. Mais quelle que soit
l’approche retenue, l’essentiel est l’état d’esprit du manager qui doit avant
tout avoir le sens du collectif en plus d’une ambition personnelle et de
compétences adaptées au contexte (opérationnel, expertise, degré
d’autonomie des équipes…). Dans cette perspective, les entreprises
doivent identifier les profils de poste des managers et se défaire de l’idée,
traditionnellement répandue dans les IEG, que le management représente
nécessairement l’aboutissement d’une carrière.
Le degré d’expertise « technique » du manager doit s’apprécier au regard des
problématiques de sûreté et de sécurité, des besoins opérationnels de chaque
métier et des profils des équipes managées. Si le manager n’est pas un expert,
en revanche, il est difficile de concevoir qu’il ne connaisse ni ne comprenne
l’activité de son équipe, hormis lors de sa période d’installation. Car cela
contraindrait ses collaborateurs à manager leur manager et ce bouleverse-
ment des règles de fonctionnement organisationnel risque de générer une
perte de repères des salariés et de la souffrance. Faute d’un minimum de
connaissance technique de son cœur de métier, le manager s’éloigne du tra-
vail et ne peut alors développer, avec son équipe, ce qui est attendu de lui.

53
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Livre Blanc CFE-CGC Énergies

Nos ambitions

Faire passer la professionnalisation des managers par la revalorisation de la


noblesse de la fonction, en défendant à tous les niveaux managériaux (y compris
les plus hauts) le respect des équipes, de la parole donnée, l’écoute, le sens du
collectif, etc. Ces valeurs sont parfois mises à mal, par exemple lorsque des
managers sont prêts à changer rapidement de poste en cas de difficultés, laissant
leur équipe les affronter seule.
Intégrer dans la formation des managers, outre les aspects techniques, gestion-
naires et opérationnels, une approche pluridisciplinaire axée sur les sciences
humaines (sociologie des organisations, ergonomie, psychosociologie du travail,
relations sociales…).
Intégrer un poste de manager doit répondre à une véritable attente du salarié
« candidat », lequel doit également correspondre à un profil bien défini et non
imposé par une logique purement carriériste. L’emploi de manager ne doit plus
être considéré comme l’aboutissement unique d’une carrière réussie comme
c’est encore le cas dans la culture de certaines entreprises des IEG.

Des managers de proximité soutenus par leur direction


et par leur équipe
La confiance et la légitimité sont des qualités qui ne se décrètent pas,
mais certaines conditions peuvent toutefois les favoriser. Un manager a
davantage de chances d’être légitime s’il est considéré comme tel tant
par son équipe que par sa direction. Pour cela, nous pensons que cinq
conditions minimales sont à remplir :

CONDITIONS DE LA LÉGITIMITÉ D’UN MANAGER

Potentiel Un temps
à détecter suffisant
et vérifier Compétences Liberté d’être
initiales, Explication manager ou pas :
à développer des attentes parcours métier
et à réinterroger de l’entreprise

Au niveau de l’appui managérial, le manager doit être accompagné et


évalué de façon cohérente avec les attentes et les moyens alloués. Le
manager a pour rôle de gérer à la fois des ressources (actuellement dans
un contexte de tensions et de contradictions) et des situations complexes

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Ambition nº1 Mettre les salariés au coeur de nos choix managériaux

entre les attendus de l’entreprise (objectifs, rareté des ressources…) et


les exigences des salariés. L’accompagnement d’un manager dans son
rôle implique de respecter plusieurs étapes :
- définir les besoins managériaux dans l’activité considérée,
- placer le manager dans une équipe managériale,
- l’accompagner en formation, lui donner des moyens a priori appropriés
- et faire des bilans afin d’ajuster les moyens aux besoins et aux progrès.

Mais plus qu’un modèle idéal en soi, nous prônons un système vertueux
par la cohérence entre les valeurs de l’entreprise, sa politique et son
système managérial et ses managers. Car la légitimité du manager doit
s’appuyer sur un « appareil » structuré qui permette un management
cohérent et robuste, tout en acceptant les différences de profil.

Au niveau de l’équipe, lorsque dans une conduite de changement le


manager doit porter une dimension de coopération, son mode de mana-
gement doit susciter l’intérêt à travailler ensemble. C’est dans cette
situation que la cohérence et l’exemplarité sont les plus sensibles. Les
attentes de l’entreprise se déclinent en besoins pour chaque équipe,
lesquels doivent être satisfaits par des moyens alloués. Les modalités
de l’allocation de ces moyens par le manager au sein de son équipe
contribuent à son évaluation. Cette évaluation doit être soutenue par une
politique managériale cohérente.

L’absence de soutien managérial et de son équipe risque d’entraîner chez


le manager un sentiment de solitude et d’isolement. Dans ce cas, il est
impératif de recréer du lien. Or, dans un contexte d’élargissements de
périmètre géographiques et/ou fonctionnels, et d’organisations matri-
cielles évolutives, les managers sont contraints de consacrer beaucoup
de temps à des comités destinés à créer du lien transverse, au détriment
de leur propre équipe. Parallèlement, les collectifs managériaux se sont
délités, à tel point qu’il n’en existe plus vraiment. Or, le manager ne peut
développer et orchestrer la solidarité au sein de son équipe que s’il
peut lui-même exercer l’entraide et le partage (y compris le partage des
émotions) dans un collectif managérial.

Nos ambitions

Recréer un espace de partage, de débat et de solidarité managérial au quotidien


et à tous les niveaux, afin de faire face à la solitude du manager.
Leur donner les moyens d’accomplir leurs missions : des équipes à taille
humaine, des territoires plus restreints et le recentrage des managers sur les
activités qui relèvent directement de leur mission.

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Livre Blanc CFE-CGC Énergies

Car trop d’encadrants se plaignent quotidiennement d’un manque de temps à


consacrer à leurs équipes et à la réflexion, d’un manque de moyens et d’un
rétrécissement de leurs marges de manœuvre. Sur ce point, le discours des
employeurs achoppe sur la réalité.
Lorsque les managers constatent à la fois une perte de leur autonomie et
l’absence réelle de leviers (absence de liberté de choisir le jour et l’horaire d’une
réunion d’équipe, absence de latitude pour octroyer des avancements, etc.), la
priorité doit porter sur la QVT de ces salariés pris entre les forces ascendantes
et descendantes, au même titre que pour les autres salariés.
Encourager la possibilité pour les managers de bénéficier d’un dispositif de
télétravail, afin de leur permettre de mener à bien la part de réflexion et de prise
de recul dans leur activité. Leur accorder la souplesse et l’autonomie dans
l’organisation de leur temps de travail que requiert l’exigence de disponibilité et
de performance attendue de leur part.

NOS PROPOSITIONS

D Pour clarifier les critères de recrutement des managers :


- une transparence, vis-à-vis des salariés, dans le profil des managers
en fonction du métier et/ou de l’activité,
- l’échange des expériences sur les pratiques managériales,
- des réunions régulières entre salariés sur le thème du management de leur équipe.

D Pour expliciter ce que l’on attend d’une formation managériale


et d’un « bon manager »
- apprendre au manager à gagner en écoute, souplesse, pédagogie,
adaptation, anticipation, réactivité et autonomie,
- savoir fédérer son équipe sur des objectifs communs
tout en valorisant ses collaborateurs,
- savoir gérer les conflits et les dépasser.

D Pour redonner du sens et de la consistance au rôle de manager :


- donner aux managers les marges de manœuvre et l’autonomie nécessaires
pour être justes, équitables et qu’ils puissent valoriser le travail de leurs
collaborateurs,
- leur permettre de décider et de tester avec leur équipe
des manières d’atteindre leurs objectifs,

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Ambition nº1 Mettre les salariés au coeur de nos choix managériaux

- leur redonner le temps nécessaire pour accomplir leur mission, notamment


en étant avec leur équipe pour faire émerger les sources d’amélioration, les
talents de chacun et être sur le terrain pour surprendre les gens à bien faire
plutôt qu’en étant à l’affut de l’écart,
- éviter les parcours stéréotypés qui imposent le passage au poste de
management, même pour les salariés ayant d’autres talents,
- reconnaître les sites où il est préférable de missionner des managers expé-
rimentés et, si ce n’est pas le cas, faire bénéficier les managers « juniors »
d’un accompagnement,
- intégrer dans la formation managériale des partages d’expériences hors IEG.

D Pour réduire les incompréhensions entre collaborateurs et managers,


dirigeants et managers :
- le modèle du « bon manager » est celui qui motive et mobilise les salariés,
- la sphère dirigeante doit prendre conscience des injonctions paradoxales
imposées aux managers afin de les réduire,
- s’assurer que chacun joue son rôle : le dirigeant construit une vision de long
terme, définit la cible et donne le sens ; le manager co-construit avec son
équipe les moyens de l’atteindre.

Associer les équipes à la décision


Nous pensons qu’il est indispensable d’impliquer le salarié dans le dispositif
managérial. Pour cela, le manager doit être au service conjoint de la
performance et de l’humain. D’autant que le salarié, avec la coopération
de son manager, a lui aussi intérêt à une forme de performance dans son
travail qui allie les résultats économiques avec la santé, la sécurité et le
relationnel au sein de son équipe.

Sur le plan des activités, des fonctions et des métiers, la capacité d’un
manager à faire contribuer son équipe à la prise des décisions favorise
l’anticipation optimale du changement de manière collective et parti-
cipative, en vue d’assurer la réactivité et la performance face aux enjeux.
À l’inverse, les salariés doivent intégrer le fait d’être à la fois initiateurs
et sollicités sur des questions organisationnelles, d’aménagement du
travail ou encore sur la conciliation vie privée/vie professionnelle. Ce
dernier point, s’il n’est pas pris en compte avec les salariés, pourrait
devenir un obstacle majeur dans les projets managériaux à venir. Il est
d’ailleurs repris par l’ANI QVT22, notamment sur la question des TIC ou
du télétravail. 22 Accord national
Sur ces questions, la CFE-CGC Énergie souhaite rester vigilante à une interprofessionnel
régulation des dérives possibles en donnant quelques axes prioritaires : sur la Qualité de vie
- laisser possibles les stratégies individuelles, au travail.

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Livre Blanc CFE-CGC Énergies

- assumer la part de subjectivité en favorisant la confiance et le partage


des valeurs,
- éviter de valoriser le temps comme facteur ou critère de performance ;
- utiliser les indicateurs pour identifier ce que les écarts disent du travail
et non pour le contrôle,
- respecter l’équilibre entre vie privée et vie professionnelle,
- s’appuyer sur des groupes, solidaires et bienveillants, de pairs à tous
les niveaux,
- limiter le surinvestissement personnel sur les activités,
- respecter différents niveaux de règles de vie en équipe (coopération,
disponibilité, cohérence, honnêteté).

Nos ambitions
Une contribution performante des équipes à la prise des décisions passe par le
développement de ces trois facteurs :
- la confiance dans les compétences des salariés et leur sens du travail de qualité,
- l’autonomie et la souplesse organisationnelle des salariés, y compris dans le
choix de leur temps de travail (35 heures, temps choisi ou forfait-jour),
- et le respect de l’équilibre entre vie privée et vie professionnelle.
Les approches managériales doivent favoriser l’appropriation des NTIC et leur
développement coopératif, sans contrôle exacerbé et encourager l’autonomie
des salariés plutôt que leur contrôle (dont la logistique est coûteuse et la renta-
bilité douteuse).

NOS PROPOSITIONS

D Pour évaluer et limiter la surcharge de travail :


- promouvoir la solidarité entre collègues,
- identifier les leviers d’action afin de donner une certaine souplesse tempo-
relle (hiérarchisation des objectifs, répartition des tâches, formations sur la
gestion du temps…),
- lutter contre les injonctions paradoxales,
- instaurer des binômes pour d’éventuels remplacements,
- tenir compte des alertes adressées par les OS et les IRP.

D Pour développer le télétravail :


- définir un code de bonne conduite du télétravail,

58
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Ambition nº1 Mettre les salariés au coeur de nos choix managériaux

- associer les télétravailleurs aux réunions et autres échanges relatifs aux


prises de décisions (vidéoconférence ou réunion téléphonique).

D Pour respecter l’équilibre et la frontière vie privée/vie professionnelle :


- définir un code de bonne conduite pour chaque activité,
- définir des limites de confidentialité des données personnelles,
- impliquer les salariés sur les décisions en rapport avec la conciliation vie
privée/vie professionnelle,
- favoriser la négociation préalable des IRP.

Renouveler le dialogue social


Le dialogue social s’établit entre les organisations syndicales qui
représentent les salariés et les employeurs. Il est un vecteur codifié
de la prise de décision stratégique et/ou managériale impactant les
organisations du travail.
Les organisations syndicales sont souvent présentées aux managers et
aux salariés comme des sources de blocage. Tant que cette vision
négative du syndicalisme, largement relayée par les médias, perdurera,
le dialogue social ne pourra acquérir une véritable légitimité. Il risque de
rester une chimère si seuls les acteurs institutionnels sont convaincus de
son utilité. La démystification du syndicalisme et des relations sociales
est nécessaire afin que chacun prenne conscience de l’importance d’un
tel dialogue dans la vie de l’entreprise.

Nous considérons que le syndicalisme est un élément essentiel de la


démocratie et qu’il doit s’approprier pleinement la question sociale. Pour
cela, le dialogue social doit s’appuyer avant tout sur une relation de
confiance entre les représentants du personnel et l’employeur.

Nos ambitions
Faire bénéficier à tous les managers d’un module de découverte du syndica-
lisme et des relations sociales.
Réserver systématiquement un temps de présentation des organisations
syndicales dans les rencontres de jeunes embauchés. Déjà en vigueur dans
quelques rares directions, ce type de présentation permettrait de démystifier
le rôle des syndicats dans l’entreprise.
Former les représentants du personnel et les OS sur les enjeux économiques
et industriels afin de développer leur capacité d’anticipation en matière de
changement et être force de propositions face aux directions.

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Am b i t i o n n º 2 rrête le travail prescrit. »


ù s’a
commence là o
« Le travail réel

Pour une vraie


reconnaissance
professionnelle

Notre seconde « Ambition » aborde la problématique de la reconnaissance


du travail des salariés, qu’ils soient managers ou non, dans un contexte
de changements incessants des activités, des métiers et des ressources.
Les modalités de la reconnaissance professionnelle définissent l’identité
de chaque salarié par rapport aux autres. Elle concerne aussi bien les
aspects financiers avec les rémunérations que la valorisation, la formation,
la mobilité, etc.

Considération et respect des engagements,


socles de la confiance
Les employeurs exigent de plus en plus d’autonomie, de prises de res-
ponsabilités, de performances et d’investissements. Dans un même
temps, face à l’immatérialité croissante du travail, les salariés apprécient
différemment la réussite de leur ouvrage. Il paraît donc logique que ces
derniers soient en quête d’une nouvelle forme d’estime et de davantage

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Livre Blanc CFE-CGC Énergies

de reconnaissance qu’ils n’en reçoivent actuellement comme ils l’expriment


dans les baromètres d’engagement.

L’entreprise ne peut évacuer cette problématique car en donnant du sens


au travail, la reconnaissance professionnelle fait le lien entre performance
économique et bien-être des salariés. La reconnaissance génère l’impli-
cation, l’engagement et l’investissement dans le travail, de ce fait elle
représente un enjeu à la fois humain et économique et constitue un
nouveau défi pour l’entreprise.

Avant de se demander quelles réponses l’entreprise peut apporter à ses


salariés en termes de reconnaissance, il convient au préalable d’identifier
clairement ce que la reconnaissance signifie pour chacun.

Certains pourront se référer à la pyramide de Maslow selon laquelle le


besoin de reconnaissance, puis la distinction, se situent après les besoins
élémentaires. Mais cette vision est largement discutable dans la mesure
où ni l’entreprise ni le salarié ne peuvent se passer de motivation et de
reconnaissance.

LA PYRAMIDE DE MASLOW, UNE APPROCHE DISCUTABLE

Distinction

Reconnaissance

Besoin

Pour notre part, nous préférons considérer la reconnaissance comme un


facteur élémentaire au même titre que l’utilité sociale, l’autonomie, les
occasions d’apprentissage et de développement, la qualité des relations.
Ce sont tous ces facteurs qui donnent du sens au travail et qui constituent
l’un des moteurs de l’engagement individuel de chaque salarié.
La reconnaissance est, par définition, un ressenti. Son point de départ
est la subjectivité : je me sens reconnu / je ne me sens pas reconnu ;
j’éprouve du plaisir au travail / j’éprouve de la souffrance au travail ; etc.
Ce sentiment étant propre à chaque individu, nous devrons donc chercher
à en objectiver les conditions d’émergence.

62
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Ambition 2 Promouvoir la reconnaissance professionnelle

Si la reconnaissance revêt une signification différente selon les individus,


il n’en demeure pas moins qu’elle comporte systématiquement les no-
tions de respect, d’estime, de valeur et de considération. Elle contient
« Le pro-
cessus de la
reconnaissance
aussi intrinsèquement l’idée d’une gratification, d’une récompense ma-
térielle ou non.
permet de
conforter
La reconnaissance relève d’une problématique d’identité professionnelle son identité
qui se situe dans la sphère socio-psychologique. Elle pourra impliquer professionnelle
des attentes différentes, des cibles de reconnaissance diverses et des et sa place
moyens de réponses associées. La reconnaissance professionnelle dé- au sein d'une
coule donc d’un processus relationnel : être reconnu, c’est être reconnu
par un individu seul ou par un groupe, par sa hiérarchie, par ses
collègues, par ses pairs ou encore par ses clients. Ce processus permet
»
organisation.

de conforter son identité professionnelle et sa place au sein d’une


organisation.

TROIS AXES MAJEURS DE LA RECONNAISSANCE

Hiérarchie
Équipe
RECONNAISSANCE

Marges de manoeuvre

Les études de terrain ont montré que les managers de proximité souffrent
d’un manque de considération. Les directions et les managers intermé-
diaires doivent être sensibilisés sur ce point critique. La confiance est
l’élément qui permet à la reconnaissance de circuler entre le manager, sa
hiérarchie et ses collègues. C’est une source de sérénité et de plaisir au
travail.
Hiérarchie, équipes et marges de manœuvre, ces trois dimensions de la
reconnaissance professionnelle sont aujourd’hui soumises à des remises
en cause ; le temps n’est plus où le manager était « roi en son royaume » :
- les marges de manœuvres sont réduites par le pilotage par processus.
Il y a une perte d’autonomie dans l’activité quotidienne,
- du côté de la hiérarchie, la décision ne remonte plus au N+1, mais au
N+2, N+3…

63
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Livre Blanc CFE CGC Énergies

- au niveau de l’équipe, la pression sur les résultats fait parfois oublier


l’éthique du management. « Je fais bien le boulot, mon manager
s’approprie mon travail ; je me plante, mon manager se tourne vers moi ;
on nous donne des lettres de mission, puis on les oublie… », témoigne
un collaborateur en manque visible de reconnaissance.

Les quatre cibles identifiées par Jean-Pierre Brun et Ninon Dugas23


permettent d’aborder la reconnaissance professionnelle en tenant
compte de la pluralité des attentes de chacun.

SYSTÈME DE RECONNAISSANCE AU TRAVAIL

Personne/Collectif Produit/Résultat
Reconnaissance Processus de travail du travail
existentielle Reconnaissance
des résultats

Reconnaissance Reconnaissance
de la pratique de l’investissement
de travail dans le travail

Source : Brun-Dugas

Pour construire un système de reconnaissance au travail, le manager peut


développer une combinaison à partir de ces quatre formes de reconnais-
sance, en jouant sur différents plans, individuel et collectif, quotidien et
ritualisé :
- la reconnaissance de la personne : considère l’individu au-delà du
simple salarié, pour ce qu’il est dans sa globalité, sans discrimination de
condition, de sexe ni d’origine. Cette reconnaissance relève des principes
de base de la vie en société et d’une dimension comportementale des
acteurs.
- la reconnaissance des résultats : porte sur le produit final, ses critères
sont mathématiques et binaires (objectif atteint/non atteint). Cette
reconnaissance se traduit traditionnellement par une rétribution
matérielle.
23
La Reconnaissance au - la reconnaissance des efforts réalisés : prend en compte l’investisse-
travail : Une pratique
riche de sens, Jean- ment du salarié pour atteindre les objectifs, même si ceux-ci ne sont
Pierre Brun, Ninon pas atteints. Cette reconnaissance doit tenir compte des interactions des
Dugas, Éditions Chaire éléments dans le système.
en gestion de la santé et
sécurité au travail au - la reconnaissance des compétences : valorise la qualité du travail réalisé,
Québec (2002). la créativité et l’autonomie pour accompagner le salarié vers des responsa-

64
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Ambition 2 Promouvoir la reconnaissance professionnelle

bilités supplémentaires, une mission spécifique ou un poste « plus élevé ».


Le premier mode de reconnaissance professionnelle est sûrement finan-
cier. Ce dernier demeure le socle de la reconnaissance, mais il présente
néanmoins des limites. D’abord, le contexte économique le met sous
contrainte forte. Ensuite, les mutations du travail et les changements
organisationnels poussent les collaborateurs vers d’autres aspirations.
Cela étant, qu’elle soit sous forme matérielle ou fonctionnelle, la recon-
naissance professionnelle exprime et symbolise toujours la valorisation
du salarié.

Le salaire, pilier fondamental


sous contrainte
La rémunération est l’élément fondamental sur lequel repose le contrat
de travail et qui fonde la relation employeur/salarié. Elle est générale-
ment perçue dans sa dimension sécurisante et vitale. Or, aujourd’hui la
politique salariale est mise à mal par la crise économique et, encore plus,
par la financiarisation des entreprises qui fait passer la rémunération des
actionnaires devant celle des salariés.

Les augmentations individuelles de salaire se raréfient. D’une part, sous


l’effet mécanique de l’amputation de moitié des augmentations indivi-
duelles (on parle couramment de « demi-NR24» , preuve que 10 ans après,
le passage d’un NR de 4,5 % à 2,3 % n’est pas digéré). Et d’autre part,
en raison du volume d’augmentations individuelles disponibles qui se
restreint chaque année.

La mauvaise utilisation du système des augmentations individuelles nuit


à la politique managériale. Les enveloppes se réduisant, la reconnais-
sance financière devient plus rare et aurait donc intérêt à se faire plus
substantielle. Or, les managers optent souvent pour le « saupoudrage » :
attribuer « un peu, à plus de collaborateurs ». Pour que le système fonc-
tionne, les différences entre les individus doivent être suffisamment
significatives pour que chacun y trouve son intérêt. Par ailleurs, autour
de la rémunération de base, se développent des formes de rémunération
plus ou moins individualisées : rétribution de la performance, rétribution
de la disponibilité, intéressement…

Suppression de la grille des salaires, individualisation au maximum de


la rémunération… un rêve d’employeur ! Pourtant, s’il est important de
maintenir des rémunérations personnalisées, liées à des résultats et à
un contrat individuel, il ne faut pas perdre de vue que la rémunération 24 Niveau de

de base constitue le socle du contrat de travail. rémunération (NR).

65
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Livre Blanc CFE-CGC Énergies

Aujourd’hui, la dynamique de la politique salariale est grippée. Les


managers de proximité n’ont plus de marges de manœuvre, trop souvent
leurs demandes d’avancement pour leur équipe sont refusées. Pour
redonner du sens aux choix des avancements, il conviendrait de pouvoir
éviter le « saupoudrage » et de mettre les augmentations individuelles,
ainsi que l’ensemble des modes de reconnaissance financière, à la charge
des managers de premières lignes.

Nos ambitions

Rendre le manager de proximité décideur de l’attribution des avancements au


choix au sein de son équipe, comme c’est déjà le cas dans certaines entreprises.
Le manager N+1 doit pouvoir agir avec autonomie et responsabilité, sans discri-
mination d’aucune sorte. En conséquence, il lui revient d’expliciter en toute
transparence auprès de ses collaborateurs ses décisions.

En matière de motivation et de reconnaissance, la diversité des individus,


des collectifs et des métiers doit être prise en compte. Aujourd’hui, la
rémunération de la performance individuelle tend à se déployer à tous
les niveaux de l’entreprise, alors qu’il nous semble que tous les métiers
ne sont pas éligibles à cette forme de reconnaissance. À vouloir tout
individualiser, le sens du métier et du collectif peut parfois se perdre.
Par exemple, quel peut être le sens d’une prime individuelle pour récom-
penser un seul membre d’une équipe de compagnons qui montent aux
pylônes ?

La rémunération de la performance individuelle peut relancer la motivation


et être un levier d’action intéressant pour l’entreprise. Cependant, elle
peut provoquer des effets négatifs, en particulier lorsque les indicateurs
choisis reflètent mal l’activité, que leur mode de calcul est polémique ou
encore lorsque les aléas ont modifié l’environnement initial.

Nos ambitions

Quelle que soit la forme de la rétribution financière, elle doit être équitable,
établie sur des critères clairs, justes, transparents et cohérents avec les
ambitions de l’entreprise.

66
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Ambition 2 Promouvoir la reconnaissance professionnelle

Mettre en valeur la reconnaissance


extra salariale « Certaines
entreprises ont
La reconnaissance financière n’est pas le seul type de reconnaissance ni
développé des
la seule motivation pour les salariés, comme l’exprimait à sa manière ce pratiques de
lieutenant-colonel : « je ne fais pas avancer mes hommes avec l’argent, reconnaissance
sinon je n’enverrais personne sur le champ de bataille ». Les études mon- extra financières,
trent d’ailleurs que la reconnaissance financière est plus un facteur de mais elles
démotivation, quand elle n’existe pas, qu’un facteur de motivation quand restent encore
elle existe. Sa capacité à motiver est efficiente sur le court terme. trop peu
La difficulté pour le manager est d’identifier les attentes de ses collabo-
rateurs dans ce domaine, en particulier lorsqu’elles ne sont pas expli-
utilisées…
»
citement exprimées. Cette identification n’est possible, comme nous
l’avons vu, que dans une relation de confiance.

Certaines entreprises ont développé des pratiques de reconnaissance extra


financières, mais dans l’ensemble, alors qu’elles peuvent se révéler un for-
midable levier, elles restent trop peu utilisées... Dans ce domaine, il reste
encore à explorer de nouvelles voies et à en expérimenter les effets.

La vie au quotidien : respect, confiance, conditions de travail…


La première forme de reconnaissance extra financière repose sur le
respect au quotidien et l’intérêt porté à ses collaborateurs : saluer,
remercier, faire confiance, être juste et équitable, etc. Ces principes de
base, fondations de tout système, ne sont toujours pas des évidences
dans toutes les entités de travail.

Les conditions de travail sont également un bon moyen de reconnais-


sance. Au-delà d’un espace de travail agréable et fonctionnel, certains
salariés apprécieront l’octroi d’une plus grande souplesse organisation-
nelle, par exemple l’aménagement du temps de travail, le télétravail,
l’affectation sur un site plus proche du domicile, etc. De nombreuses formules
sont possibles qui ne mettent à mal ni l’organisation ni la performance,
mais au contraire reposent sur une logique de gagnant/gagnant.

Par exemple, des parents de jeunes enfants se sentiront reconnus si leur


manager les autorise à travailler à domicile de temps à autre ou à travailler
deux jours par semaine sur un site plus proche de chez eux pour leur
éviter des temps de trajet trop longs. Pour ces parents, le sentiment de
reconnaissance vient des avantages procurés par ces solutions concrètes
en matière de conciliation vie professionnelle/vie privée. Mais plus
encore, cette reconnaissance repose sur la relation de confiance entre
eux et leur manager qui a su les leur proposer spontanément.

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Livre Blanc CFE-CGC Énergies

Les manifestations festives collectives, les moments de convivialité entre


collaborateurs, par exemple pour célébrer une réussite d’équipe, sont
également des modes de reconnaissance extra financière, même s’ils
sont ponctuels et éphémères. Ils participent d’autant plus au système de
reconnaissance dans la mesure où les solidarités sur les lieux de travail
ont plutôt tendance à se déliter.

Reconnaissance des compétences professionnelles,


des potentiels et des talents
La reconnaissance doit porter sur les compétences déjà mises en œuvre,
mais elle doit aussi savoir valoriser les potentiels et talents de chacun.
Pour cela, elle peut prendre la forme d’un accompagnement dans le par-
cours professionnel, pour un changement de poste, un changement de
collège… Cette démarche s’inscrit dans un processus de reconnaissance
multidimensionnelle :
- l’attention que le manager va porter dans l’accompagnement de son
collaborateur est déjà en soi une reconnaissance, mais elle demeure
insuffisante,
- la promotion de dispositifs tels que la VAE ou les formations pour un
changement de collège, est un élément de reconnaissance profession-
nelle,
- enfin, l’aboutissement du processus se traduit, ou devrait se traduire,
par une augmentation de salaire.

Certains encadrants trouveront également une certaine reconnaissance


dans le fait d’appartenir au collectif managérial. Sur ce point, nous
sommes attachés à la personnalisation et à la différenciation : être membre
de l’encadrement doit aussi se percevoir comme faisant partie d’un
collège et d’une équipe managériale. La participation à des séminaires
renforce cette perception et la valorisation de la fonction.

Autre mode de reconnaissance extra financière des compétences : la


mission complémentaire. Un collaborateur appréciera que lui soit confiée
une mission particulière complémentaire si celle-ci est correctement
définie et formalisée, et si l’évaluation de sa réussite est établie sur des
critères partagés. Malheureusement, trop de missions ne sont pas
formalisées et les collaborateurs, au lieu d’en tirer une satisfaction, se
trouvent perdus et enclins à la dévalorisation d’eux-mêmes. Confier une
mission supplémentaire ne doit pas non plus se limiter à confier une
charge supplémentaire de travail, aussi valorisante soit-elle, sans qu’elle
fasse l’objet d’une compensation.

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Ambition 2 Promouvoir la reconnaissance professionnelle

Fonder l’évaluation sur l’humain

La question de la reconnaissance appelle immédiatement celles de l’éva-


luation et l’identification. Car comment reconnaître quelque chose qui
n’a pas d’abord été identifié ni apprécié ? Par construction, l’évaluation
porte sur ce qui a été réalisé (le passé) et sur l’atteinte des objectifs fixés
(le présent). L’exercice est complexe, le manager doit estimer les services
rendus à l’entreprise.

Pendant des années, au nom de la suppression de toute subjectivité, la


reconnaissance s’est uniquement basée sur des critères quantitatifs. Les
grilles d’évaluation, de plus en plus resserrées autour de critères ma-
thématiques, conduisent parfois à des comptes rendus d’entretiens an-
nuels de performance limités à quelques croix dans des cases, lesquels
ne seront d’ailleurs généralement pas pris en compte dans les parcours
professionnels…

Les grilles d’évaluation comme base d’échanges


Parler de grilles d’évaluation fait surgir une interrogation : s’agit-il d’éva-
luer le travail ou d’évaluer le salarié ? Le psychologue du travail Bernard
Prot25 souligne que « pour parvenir à ce qu’on leur demande de faire,
l’activité des travailleurs doit prendre des formes qui ne sont jamais
totalement moulées dans la procédure. (…) les choses se présentent
souvent autrement que l’ingénieur ne l’a prévu. De plus, les sujets
cherchent eux aussi à conserver un sens à ce qu’ils font, donc à intervenir
sur la situation donnée. »
L’évaluation doit tenir compte de cet état de faire : travailler, c’est ce
que fait le salarié pour réaliser le prescrit, « c’est devoir surmonter de
nombreux conflits de buts, entre quantité et qualité par exemple ».

Nous pensons qu’une évaluation qui fait une part trop belle à la seule
appréciation des résultats est dangereuse. D’abord parce que l’individu
agit dans un système et il est rarement le seul responsable des résultats.
Ensuite, parce qu’il s’agit d’une méthode qui donne une vision restreinte
de ce que peuvent apporter les collaborateurs. Enfin, parce que l’entre-
prise repose sur un équilibre : une évaluation des résultats seulement
quantitative conduit forcément à valoriser les mêmes individus d’année
en année, laissant sur le côté les autres collaborateurs. Pour toutes ces
raisons, l’appréciation des efforts réalisés apparaît indispensable. 25 Actes du séminaire

« Management et
gestion des ressources
humaines : Stratégies,
acteurs et pratiques »,
Bernard Prot (2005).

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Livre Blanc CFE-CGC Énergies

Nos ambitions

Tout en se gardant des jugements arbitraires, l’évaluateur doit disposer de


marges « humaines » d’appréciation, parce que le champ de l’évaluation ne se
restreint pas aux seuls résultats quantitatifs.
L’évaluation doit donc reposer sur un dialogue à deux niveaux :
- un dialogue autour des critères d’évaluation (transparence, cohérence des
critères avec l’activité, fiabilité…),
- un dialogue, au cours de l’évaluation, pour aller au-delà de la simple analyse
du produit final, prenant en compte l’aspect multidimensionnel du salarié.

L’idée d’un échange continu est essentielle. Le dialogue ne consiste pas


à faire un point annuel, mais à rencontrer les collaborateurs dans leurs
activités afin d’être en mesure de faire preuve de reconnaissance et de
remercier pour un bon travail au fil de l’eau. À l’inverse, en cas de
problème constaté ou exprimé, il faut être en mesure d’apporter des
suggestions appropriées.

Nos ambitions

L’évaluation, mais plus encore l’aide, le soutien, la prise de conscience, relèvent


d’un processus permanent. Il est nécessaire d’établir des points réguliers, avec
une fréquence variable selon l’activité. Ces dialogues devront faire l’objet d’un
suivi et d’un engagement de part et d’autre.

Construire les parcours,


oser l’égalité

De la gestion du diplôme à la détection des potentiels


Encore aujourd’hui, c’est souvent pour faire carrière qu’un salarié intègre
une entreprise des IEG, même si les nouvelles générations n’ont sans
doute pas des motivations identiques aux précédentes. Le diplôme à
l’embauche conditionne en grande partie la carrière d’un salarié des IEG.
Ce modèle toujours prégnant paraît inadéquat aux plus jeunes qui
aspirent plus à une reconnaissance et un parcours professionnel basés
sur la performance. Par ailleurs, il ne valorise pas l’expérience acquise
au cours du parcours professionnel.

26
Congé individuel Certains salariés, de leur propre initiative, s’investissent dans des forma-
de formation. tions qualifiantes ou diplômantes par le biais du CIF26. Mais l’entreprise

70
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Ambition 2 Promouvoir la reconnaissance professionnelle

ne reconnaît pas toujours le diplôme issu de ces formations sous le


prétexte qu’elles ne sont pas à l’origine de leur demande. Pourtant, ces
formations participent au développement de l’entreprise et contribuent
au maintien de l’employabilité du salarié.

Nos ambitions
Toute formation, qualifiante ou diplômante, sous réserve qu’elle soit en rapport
avec l’activité, mérite d’être reconnue, y compris lorsque le salarié est seul à
l’origine de la demande.

Dans la gestion des carrières, un des rôles du manager est de détecter


les « hauts potentiels ». Selon la culture dominante dans nos entreprises,
leur détection vise la tranche des 25-35 ans. Au-delà de 35 ans, les sala-
riés qui n’ont pas été détectés, ou qui ont été volontairement ignorés,
sont généralement moins considérés, voire freinés dans leur carrière, ce
qui entraîne des impacts négatifs sur leur motivation. Nous assistons à
une gestion des carrières à deux vitesses : les « élus », dont le parcours
d’assessment27 est basé sur le clonage social et sur lesquels l’entreprise
surinvestit quelles que soient leurs performances, et tous les autres, un
peu livrés à eux-mêmes et ce, quelles que soient leurs performances
également. Cette mécanique de la gestion des carrières passe à côté des
enjeux de l’allongement de la durée des carrières et du renouvellement
des emplois et des compétences.

Nos ambitions
La détection des potentiels ne doit pas se limiter aux « hauts potentiels »,
mais doit porter sur tous les potentiels et les développer durant toute leur vie
professionnelle.
Dans ce but, nous préconisons une sensibilisation, voire une formation des ma-
nagers et de la fonction RH à la détection et au développement des potentiels.

L’enjeu du prolongement des carrières


Le prolongement des carrières, lié en particulier à la réforme des retraites
et aux évolutions socio-économiques, conduit à envisager la gestion des
carrières de manière différente. Outre la durée de vie active, le séquen-
cement entre la vie professionnelle et la vie privée doit faire partie de la
réflexion. Les temps de vie personnelle impactent fondamentalement les
temps professionnels : le niveau d’engagement du collaborateur, ses
27 L’assessment est une
attentes vis-à-vis du travail et de l’entreprise, ses capacités selon les
méthode d’évaluation
temps de vie (naissance des enfants, âge…). La gestion d’une carrière de personnes basée sur
s’envisage sur la durée et non plus sur du court terme. la mise en situation.

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Livre Blanc CFE-CGC Énergies

« L'insertion
des travailleurs
Repenser les temps de vie : solidarités familiales et handicap
Dans ce domaine, les contraintes pour les femmes sont toujours plus
fortes du fait des maternités et de leur investissement dans la sphère privée.
handicapés est
un facteur Les femmes sont malheureusement plus nombreuses dans les temps
d'ouverture partiels et les congés parentaux. Ces temps méritent donc une attention
particulière afin qu’ils ne soient pas des freins à la reconnaissance et à
à la singularité l’évolution professionnelle. La mobilité géographique ne peut pas consti-
et à la distinction tuer non plus la condition sine qua non d’une évolution professionnelle.
au-delà de la
"différence"
» De même, les travailleurs handicapés et les aidants familiaux sont parfois
contraints d’aménager leur temps de travail pour leurs soins ou ceux de
leurs proches, au détriment souvent de leur évolution professionnelle.
Pourtant, l’insertion des travailleurs handicapés est un facteur d’ouver-
ture à la singularité, d’écoute de la distinction au-delà de la « différence ».
En ce sens, il ne s’agit pas seulement de respecter la « différence » (ce
qui renvoie implicitement à une norme), mais de penser la « singularité »
comme une richesse et un facteur d’innovation28. Il est nécessaire de
prendre le temps de manager cette « singularité » afin qu’elle devienne
un facteur de performance pour l’équipe. Il en va de même pour les rela-
tions entre seniors et juniors, facteur d’enrichissement mutuel. D’une
manière générale, l’entreprise gagnerait à mieux intégrer les potentiels
de chacun en respectant ses contraintes et responsabilités personnelles
et familiales.

Nos ambitions

Établir un état des lieux avant et après les congés liés à la famille et aux handi-
caps afin d’éviter des ruptures dans les carrières.
Sortir des parcours formatés et/ou imposés. Par exemple, certaines entreprises
ont élargi les plages de groupes fonctionnels (GF), d’autres ont dédoublé les fonc-
tions en junior/senior pour permettre d’évoluer professionnellement au sein du
même métier sans bousculer complètement la sphère privée.

Des parcours professionnels pour valoriser la transmission


des compétences
Jusqu’en 2020-2025, les entreprises des IEG sont confrontées à des
départs massifs en retraite et donc à la problématique du renouvellement
et du transfert de compétences. L’enjeu est plus ou moins crucial selon
les entreprises et les métiers, selon le volume de départs et la durée de
28 Le handicap en
formation nécessaire. Certaines entités ont déjà démarré un processus
entreprise : Contrainte
ou opportunité ?,
de renouvellement générationnel basé sur un volume important de
Guy Tisserant, recrutements et la mise en place de tutorats.
Pearson (2012). Pour que soit reconnu le salarié qui transmet son savoir-faire, ces

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Ambition 2 Promouvoir la reconnaissance professionnelle

« contrats de génération » doivent répondre à certaines exigences. La


valorisation d’une mission de tutorat, considérée comme une véritable
évolution professionnelle, permet de libérer des possibilités d’évolution
en faveur des nouvelles générations dans la pyramide hiérarchique.
Cela constitue un avantage car, si la durée dans les postes s’allonge,
l’ascenseur social peut se gripper.

Nos ambitions
La réflexion sur les transmissions transgénérationnelles doit faire partie
des priorités de la gestion des ressources humaines.

L’indispensable accompagnement RH
Ces perspectives exigent que le salarié soit accompagné dans son
parcours professionnel. Or les ressources humaines sont de plus en plus
éloignées des salariés et des managers. Face à des managers démunis,
une fonction émerge dans certaines entreprises du secteur IEG : le
« conseiller mobilité parcours professionnel » (CMPP) ou le « conseiller
carrière » (CC). Quelle que soit son appellation, sa mission est d’accom-
pagner les salariés dans l’élaboration et la mise en œuvre d’un parcours
professionnel. Pour que cette fonction soit efficace, elle nécessite :
- un conseiller dédié à 100 % à cette mission pour des raisons de temps
et de suivi des dossiers ;
- la mise en place d’une GPEC visible dans chaque entreprise afin que
tous les acteurs puissent prendre en main leur évolution professionnelle.
Certaines entités ont mis en place, sous la direction du CMPP, un dialogue
entre managers d’une même entreprise et d’un même bassin d’emplois
pour examiner les emplois disponibles et les profils des salariés ;
- qu’elle soit partagée au sein d’un réseau inter-entreprises de la branche
dans le bassin d’emplois,
- de donner de la visibilité sur les métiers afin de les faire connaître et de
les ouvrir à tous. Les forums métiers qui sont parfois organisés répondent
en partie à ce besoin légitime d’information. Certaines entreprises orga-
nisent aussi l’immersion de leurs salariés dans d’autres entreprises,
durant plusieurs jours, à la découverte d’un métier,
- d’impliquer le manager dans le suivi du projet professionnel.

Sur le terrain, quand la fonction de conseiller existe, ce qui n’est pas toujours
le cas, force est de constater que la situation est très variable d’une
entreprise à l’autre. Dans des périodes de réorganisations successives
et de pression sur les trajectoires d’effectifs, cette fonction se limite par-
fois à des aspects quantitatifs. Or, les enjeux d’employabilité, d’évolution
et d’adéquation entre l’offre et la demande nécessitent une approche

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Livre Blanc CFE-CGC Énergies

globale associant le quantitatif et le qualitatif (formation, information sur


les postes à pourvoir, gestion de la mobilité…).

Cette nouvelle mission intervient en prolongement des missions des


managers, elle relève de la fonction RH. De nombreuses questions se
posent : quelle articulation entre le management et la fonction RH ?
Quel rôle pour la fonction RH ? Etc. Depuis une dizaine d’années, nous
observons une recomposition de la fonction RH autour de plusieurs axes :
- l’atomisation des processus avec la mise en œuvre d’Intranet, de
guichets, d’accueils généralistes et anonymes,
- le transfert aux managers de plus en plus d’activités RH de proximité,
- la spécialisation des fonctionnels RH par domaines d’expertise.

Cette évolution a pour conséquence l’éloignement progressif des situa-


tions de travail des salariés et des salariés eux-mêmes. En revanche, pour
compenser cet éloignement, les outils se sont multipliés, soumettant la
fonction RH aux mêmes types d’indicateurs que la fonction production.
Ces indicateurs sont parfois plus proches du contrôle de gestion que de
l’activité de travail et s’inscrivent dans une approche « coûts du travail »
plus que « travail créateur de richesse et de plus-value ».

Nos ambitions

Revaloriser la fonction RH, en tant que fonction stratégique, et la mettre au service


des salariés, en appui des managers, à tous les niveaux hiérarchiques.
La fonction RH exerce un rôle de régulation, de modération et de garantie des
principes du bien vivre au travail (comme l’équité, l’égalité des chances…) pour
que chacun bénéficie d’une reconnaissance à la hauteur des résultats atteints,
des efforts fournis et des compétences mises en œuvre.

Favoriser l’engagement citoyen

Plus que d’autres, les entreprises IEG portent une responsabilité


citoyenne. Une forme de reconnaissance novatrice serait de valoriser
l’engagement des salariés au service de la collectivité. Ils pourraient ainsi
bénéficier de crédits de temps pour s’investir dans des activités associa-
tives, tout comme les salariés ayant des mandats exécutifs au sein des
collectivités locales bénéficient de crédits d’heures.
Cette pratique est très répandue aux États-Unis où la vie communautaire
est reconnue. L’innovation sociale au travers de la citoyenneté ouvre

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Ambition 2 Promouvoir la reconnaissance professionnelle

de nouvelles voies en termes de reconnaissance. C’est reconnaître


que la compétence n’est pas seulement la compétence acquise dans
l’entreprise.

En conclusion, les moteurs de l’engagement sont multiples, propres à


chaque individu et à chaque collectif. Il appartient à l’entreprise, en
partenariat avec l’ensemble des acteurs (employeurs, salariés, parte-
naires sociaux) de réfléchir au système de reconnaissance au travail
qu’elle souhaite mettre en place. Le dialogue social doit également
davantage investir le domaine de la reconnaissance sociale.

Si la recette miracle de la reconnaissance professionnelle n’existe pas,


car il s’agit d’un processus itératif qui doit s’intégrer pleinement dans
chaque contexte de management, son système s’articule autour de trois
axes :
- la cible : reconnaissance de la personne, des résultats, des efforts et/ou
des compétences,
-le type : collectif ou individuel quotidien ou ritualisé,
- le mode : matériel ou fonctionnel.

Nos ambitions
Chaque entreprise doit mener sa propre réflexion sur le système de reconnais-
sance professionnelle qui lui convient le mieux, au travers d’un diagnostic, d’un
plan d’action et d’une boucle de retour.

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Am b i t i o n n º 3 ;
so c ia le , c ’e st ce qui compte
nce te. »
« La per for ma conomique, ce qui se comp
ce é
la per for man

Promouvoir
le bien vivre
au travail
Notre troisième « Ambition » traite de la place des salariés dans l’orga-
nisation du travail et de la réalité du travail. Elle vise à améliorer la
réponse des organisations, et des salariés qui les font vivre, à la conciliation
entre les enjeux de performance et la nécessité du bien vivre ensemble,
en identifiant les moyens et outils adéquats. Les conditions du fonction-
nement efficient de l’organisation relèvent aussi bien de la qualité de vie
au travail que de l’ensemble structuré des processus, des normes, des
indicateurs et des autres outils qui formalisent les conditions du travail.

À la poursuite du « bonheur » au travail


Parler de « bonheur » au travail peut sembler provocateur. Pourtant, les
enquêtes successives montrent que les Français attachent beaucoup
d’importance à la valeur travail. Pour cette raison, nous souhaitons nous
détacher des approches trop victimaires et doloristes du travail qui
tendent à le considérer uniquement sous l’angle de la souffrance.

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Livre Blanc CFE-CGC Énergies

« Ce sont les
défaillances de
Le travail est l’objet d’un investissement physique, intellectuel et affectif.
Certes, chacun de nous s’y donne de la peine et y consacre de l’énergie,
mais en retour, nous trouvons à travers lui un épanouissement sociale-
l'organisation et
ment valorisé. Ce sont les défaillances de l’organisation, les changements
les changements
et les ruptures permanents qui transforment le travail en souffrance.
permanents qui Aujourd’hui, il y a une obligation de l’entreprise à veiller au bien-être de
transforment ses salariés. L’entreprise y trouvera aussi son compte, car un salarié
le travail en
»
« heureux » sera sûrement aussi plus performant.
souffrance. Gardons-nous néanmoins des malentendus comme lorsque notre mot
d’ordre syndical « Comment mieux travailler » a été emprunté par la
direction d’un grand groupe pour baptiser son nouveau projet « Mieux
travailler ensemble » alors qu’il ne s’agissait pas du tout du même
contenu. Méfions-nous également des opérations vitrines de bien-être
au travail, comme cet « espace zen » tellement beau que les salariés
n’avaient pas le droit d’y apporter leur café !

Respirer au travail
Les espaces de respiration nécessaires à la vie au travail sont traqués
sans relâche dans la course à la rationalisation. C’est ignorer que le vivant
a aussi besoin de « temps morts » ! La dimension humaine se déploie
entre des cadres formels et des espaces informels. Nous sommes
convaincus que l’une des conditions du bien-être au travail, c’est de
remettre du souffle dans les organisations.

Une organisation lisible pour les salariés


Compte tenu de la complexité des métiers de l’énergie, il ne peut y avoir
d’organisation simple. Même quand le mot d’ordre d’un changement est
la simplification de l’organisation, en réalité, ses déclinaisons sont tou-
jours compliquées. L’enjeu est de s’y retrouver dans une organisation.
Pour cela, ce n’est pas l’organisation qui doit être simplifiée, mais les
rôles de chacun. Quand les rôles sont clairement définis, il devient
possible de s’orienter dans une organisation même complexe.

C’est pourquoi nous souhaitons la lisibilité de l’organisation pour le


salarié. Ce n’est pas la même chose de simplifier l’organisation des
activités ou celle du travail. Pour le salarié et le manager, ce qui compte
avant tout, c’est la lisibilité de sa propre activité.

Arbitrer dans le cadre de sa responsabilité


Dans les organisations matricielles, les salariés, surtout s’ils sont
managers, peuvent être au croisement de plusieurs points névralgiques
et doivent participer à plusieurs comités différents. Ces responsabilités
périphériques grignotent le temps qu’ils devraient consacrer à leur propre
travail et à leurs équipes.

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Ambition 3 Promouvoir le bien vivre au travail

Dans ce contexte, il est particulièrement important de disposer d’un


pouvoir d’arbitrage des priorités selon ses responsabilités, voire de la
possibilité de dire non.

Nos ambitions
Développer les moments de convivialité.
Réintroduire les relations humaines dans les relations de travail.
Permettre aux unités de s’emparer du dossier « bien-être au travail ».
Faire des DRH des « Chief Happiness Officer » (directeur général du bonheur)
dont l’une des principales missions est de créer les conditions du bonheur des
collaborateurs.

Le manager qui encourage le bien vivre ensemble…


- Favorise la solidarité. Orchestrer la solidarité entre équipes lorsque la
situation est tendue implique d’annoncer clairement les renoncements
de façon à mobiliser les collaborateurs et éviter de les culpabiliser.
- Associe son équipe aux victoires et valorise ses collaborateurs.
- Favorise l’émergence des solutions par l’équipe elle-même.
- Permet des espaces de dialogue informels et des espaces informels
de dialogues entre son équipe et lui, et entre les collaborateurs. Cela
suppose de prévoir des espaces physiques, mais aussi de laisser une
certaine souplesse dans l’organisation de ces moments de convivialité.
- Communique de manière formelle et officielle, mais aussi de manière
informelle. Proximité, bonjour du matin, débriefing informel…
- Est disponible et proche (malgré les organisations en multisites, les
nombreux comités transverses, la polyactivité…).
- Encourage l’appropriation collective des enjeux.
- Veille à ce que l’émulation ne devienne pas compétition.
- Gère les ressources et les situations complexes (entre les attendus de
l’entreprise et les exigences des salariés).

Ce qui contribue au bien vivre ensemble…


- Des conditions matérielles de travail : locaux, agencement des
bureaux, libération des irritants matériels…
- La dimension de l’équipe : la proximité et les relations ne peuvent être
envisagées que si les équipes sont à taille humaine.
- La volonté de l’équipe : le vivre ensemble est une volonté de tous, il ne
relève pas de la seule responsabilité du manager.
- La camaraderie et la convivialité : une équipe qui a plaisir à travailler
ensemble et à se côtoyer a plus de chance d’être solidaire et unie.
Mais là encore, si le manager a un rôle important, il ne peut pas tout
assumer !

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Livre Blanc CFE-CGC Énergies

Sortir des pathologies


des organisations
L’accumulation des normes et du reporting est devenue étouffante pour
les salariés. Comment en sortir pour retrouver le chemin de l’innovation ?
Comment ne pas être envahi par la profusion d’information ?

Normes : revenir à leur fonction première


Les normes ont pour fonction première la sécurité et la qualité. Leur
couplage avec des procédures de plus en plus détaillées et un reporting
permanent aboutit paradoxalement à un contre résultat. Devenu trop
rigide, le système peut provoquer des faiblesses sécuritaires ou qualita-
tives. Cette dérive est une pathologie des organisations29.

Dans certains métiers déjà normés par nature, comme la comptabilité,


les processus de travail s’ajoutent en couches supplémentaires de
normalisation. Il y a l’illusion de prévoir, avec des scripts, toutes les
occurrences. Management « fou », processus « délirants »… Cette
maladie frappe particulièrement nos entreprises très denses en fonctions
centrales et elle conduit parfois à l’oubli des normes impératives.

Trop de procédures tuent la performance


L’objet des procédures est la standardisation, la traçabilité, le contrôle
et non la simplification du travail. Cela conduit à un autre paradoxe : au
lieu de rationaliser le travail pour accroître la productivité, les procédures
le complexifient à outrance, donnant au final des pertes de performance.

Par exemple, auparavant, dans une structure support, chaque gestion-


naire avait son portefeuille et son livre de procédure. Il n’y avait pas de
29 Sur ce sujet, on norme de productivité surajoutée. Avec la mise en place des portails,
pourra lire les réflexions chaque gestionnaire a dû gérer n’importe quel dossier et il a fallu tripler
du commandant de les indicateurs. Il y a aussi les métiers dont la nature même de l’activité
bord d’Air France
Michel Jouanneaux. implique une procédure importante, comme les interventions sur les
Partant de son métier réseaux. Dans ce cas, il ne peut y avoir d’autonomie dans l’organisation
de pilote de ligne, un individuelle du temps de travail. Intégrer des salariés au forfait jour s’est
des plus normés avec le
nucléaire, il met en évi-
révélé inadapté et il a fallu compenser cette incohérence par un surcroît
dence les dérives de la de procédures.
prolifération non
contrôlée des prescrip-
tions. « Pour les pilotes
Le reporting pour rendre compte de l’activité, pas la prescrire
de ligne, la prolifération Compte-rendu, collecte de données, rapport, notification, transmission…
non contrôlée de la toutes les traductions du mot anglais « reporting » montrent bien qu’il
prescription pose le
s’agit de relever les résultats de l’activité, pas de la construire ! Extraire
problème des critères
de son évolutivité », et traiter les données devraient être réalisés, en appui du manager,
in Self 2002. par des professionnels du reporting. Mais aujourd’hui, le reporting

80
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Ambition 3 Promouvoir le bien vivre au travail

permanent et en temps réel est davantage devenu une prescription en


plus des normes et procédures.

Dans ce contexte, il devient quasiment impossible de ne pas appliquer


la procédure, même lorsque celle-ci est manifestement inadaptée. C’est
l’exemple du téléopérateur qui doit proposer à ses clients des formules
ou des services dont il sait qu’ils ne sont pas adaptés. Ou encore l’exem-
ple de la gestion des réclamations quand il est impératif d’appliquer la
procédure de rappel à j+15 exactement, sans que ce délai ne soit justifié.

Pourtant, il est désormais avéré que la réalité du travail commence là


où finit la prescription. Ce qui signifie qu’il devrait toujours y avoir des
possibilités de déroger aux procédures dans l’intérêt même de la pro-
duction de l’activité.

Apprendre à mieux traiter l’information


Ne pas se laisser envahir par le flot d’informations ni envahir les autres
est aussi une affaire de formation et de discipline personnelle : gestion
des messages entrants, chasse aux mails envoyés pour rien, aux « répondre
à tous », etc. C’est le destinataire qui est contraint de s’adapter et de
prendre des dispositions : mettre des flags, faire des boîtes de tri, etc.
même s’il est parfois tentant de fermer sa messagerie et de revenir au bon
sens…

Nos ambitions

Des organisations plus simples et plus lisibles, qui favorisent la performance et


la coopération :
- exiger un choc de simplification des procédures pour réaffecter les ressources
aux bons endroits,
- conserver à tout moment le BSP, Bon Sens Paysan (Common Sense Farmer),
- obtenir plus de lisibilité sur les organisations : exiger des organigrammes, les
cibles emplois et des tableaux de charges,
- être à l’écoute du terrain (initiatives, bonnes pratiques, partage d’expériences),
- faire correspondre les moyens et outils aux attendus,
- éliminer tous les « gaspillages », notamment le temps et les efforts inutiles,
- imposer les sujets de l’efficience de l’organisation en CE et dans les accords.

Mettre les processus et reporting au service des équipes :


- respecter la réalité du terrain et tenir compte des retours d’expérience,

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Livre Blanc CFE-CGC Énergies

- définir les processus au plus près du terrain et les faire évoluer suivant les nou-
velles pratiques et nouveaux enjeux,
- interroger régulièrement la pertinence des indicateurs, leur volumétrie et leur
niveau d’agrégation,
- mettre le système d’information en cohérence pour faciliter les analyses et
interdire les doubles ou triples saisies.

Mieux choisir et intégrer les projets :


- limiter les projets au juste nécessaire, relativement au gain dégagé et sans les
superposer au Business as usual sans contrepartie,
- imposer des analyses d’impacts et d’opportunités, et des mesures de plus-value
en amont des projets et après leur mise en œuvre.
Préserver le sens du travail dans les démarches de construction de contrats d’équipe :
- créer des communautés d’entrepreneurs au sein des unités ayant de véritables
marges de manœuvre.

Innovation et adaptation :
comprendre le changement
Trop souvent, dans les changements, la rupture est valorisée au détri-
ment des évolutions et de l’amélioration continue. Nous sommes dans
une culture de la rupture et de l’injonction de changement, source de
souffrance et de culpabilisation. À l’inverse, présenter une nouvelle
organisation en laissant croire que « ça ne va rien changer » pour les
salariés n’est pas tenable non plus.

Les changements d’organisation sont aussi l’occasion de compétitions


internes et de jeux de pouvoirs entre les managers qui ont parfois plus à
gagner à étendre leur zone d’influence en interne qu’à valoriser le capital
humain ou la satisfaction client.

Les organisations du travail, à peine mises en place, sont souvent boule-


versées par un changement d’orientation ou de stratégies sans avoir eu
le « temps de vivre ». Les ruptures d’organisation viennent contrarier,
voire balayer, des améliorations en cours. Un minimum de stabilité est
pourtant nécessaire pour optimiser leur fonctionnement. Pour les sala-
riés, c’est aussi un temps de respiration existentielle.

Notre propos n’est pas d’empêcher le changement qui est positif en lui-
même et fait partie de tout organisme vivant, mais encore faut-il expli-

82
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Ambition 3 Promouvoir le bien vivre au travail

quer en quoi il consiste. Nos organisations se transforment pour s’amé-


liorer et améliorer leurs services. Certains modèles systématiques comme
l’EFQM (European Foundation for Quality Management) mettent en avant
les contributions de la société, des salariés et des partenaires, en même
temps que du leadership, au progrès permanent.

Analyser les résultats avant un nouveau changement


Si l’objectif atteint n’est pas mesuré, si les erreurs ne sont pas analysées
et comprises, s’il n’y a pas de retour d’expérience (REX) ni de mesure des
résultats, alors il y a fort à craindre que l’entreprise sera toujours malade
et retombera dans les mêmes travers. Et lorsqu’il y a des retours d’expé-
rience ou des rapports explicitant les dysfonctionnements, encore faut-
il s’assurer qu’ils sont bien écoutés et pris en compte. Confort et habitude
ne sont pas des prétextes pour continuer à faire les mêmes erreurs.

Nos ambitions
En amont du changement :
- obtenir des dirigeants des priorités et des renoncements,
- réaliser des analyses d’impacts, études préalables, bilans et études de charge.
- réfléchir avant d’agir pour diminuer le nombre de procédures,
Standardisation des comportements et des services, un frein à l’innovation ?
- mettre en place des logiques entrepreneuriales à tous les niveaux, y compris
dans les petites structures,
- favoriser des espaces informels de dialogue et de brainstorming.
Restituer des espaces de liberté :
- retrouver la notion de confiance et de liberté,
- lâcher du lest pour innover suppose d’alléger les procédures.

Manager par le dialogue


Le dialogue au cœur du métier de manager
En matière de management, certains parlent d’innovation et de créativité,
mais c’est d’abord une affaire d’engagement et d’initiative. Nous pensons
que la fonction managériale, comparable à celle du chef d’orchestre, doit
être recentrée sur son cœur de métier. La quintessence du métier de
manager est de gérer des hommes et une équipe, de favoriser la coopé-
ration et la solidarité, de permettre à chacun de créer sa valeur et de faire
que le collectif soit créateur de valeur.

83
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Livre Blanc CFE-CGC Énergies

Dans la lettre de mission du manager, ses objectifs de « gestion de


l’humain » devraient être clairement identifiés, par exemple en lui consa-
crant 30 % de son temps. Il ne faut pas pour autant que son rôle soit
confondu avec celui d’un responsable des ressources humaines, ni que
son rôle se résume à « faire ses entretiens » ou « faire sa GPEC »…

Il y a un travail de relations interpersonnelles et de leadership. L’esprit


d’équipe n’est pas incompatible avec la gestion différenciée des per-
sonnes et de la rémunération. Il convient de valoriser les individualités
sans favoriser l’individualisme. L’investissement dans la création de liens
prend du temps mais est une garantie de pérennité.

L’ENCADREMENT DE PROXIMITÉ,
INDISPENSABLE RÉGULATEUR DES TENSIONS

Organisation, pilotage du travail de l’équipe


Gestion des problèmes rencontrés : outils,
méthodes, aléas...
Arbitrage entre les priorités, recherche de moyens,
de soutien au sein de l’entreprise/ de la structure
Alerte en cas de situation individuelle
ou collective difficile

RÉGULATION
Contraintes définies Contraintes réelles de l’équipe
par l’organisation et de l’activité
(travail prescrit) D Contraintes réelles (effectifs, compé-
D Objectifs tences, situations individuelles)
ÉQUIPE D Particularité locales
D Réglementation/
D Aléas, dysfonctionnement de l’activité,
cadre RH/ procédures des outils
D Outils de gestion, reporting D Attente, contraintes implicites
D Projets divers (hiérarchie, ligne fonctionnelle, RH,
clients internes et externes...)

Source : Secafi

Repérer les signaux d’alerte


Nous constatons que les symptômes des organisations « malades » sont
trop systématiquement traités comme des problèmes des individus.
Ceux-ci peuvent se retrouver traqués dans ce qui est désigné par les
30
Lost in management : « poches de non productivité » (PNP). Alors que celui qui « ne veut pas
La vie quotidienne
travailler » peut aussi être une personne en souffrance à ne pas laisser
des entreprises au 21e
siècle, François Dupuy, de côté30. L’autre signal d’alerte que nous devons interpréter correcte-
Seuil (2011). ment est le « présentéisme ».

84
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Ambition 3 Promouvoir le bien vivre au travail

DES CONTRAINTES TROP FORTES SUR L’ENCADREMENT DE PROXIMITÉ


ENTRAÎNENT DES RISQUES SUR LES CONDITIONS DE TRAVAIL DE L’ÉQUIPE

Hiérarchique Autres responsables


Leadership
Excellence
Progression
Fonctionnel
de carrière
Indicateurs
Objectifs
Contra- Résultats
dictions

RÉGULATION ?

Contraintes définies
Contraintes réelles de
par l’organisation ÉQUIPE
l’équipe et de l’activité
(travail prescrit)

Source : Secafi

La bonne taille d’équipes pour favoriser le dialogue


La taille des organisations évolue. La tendance générale est au regrou-
pement dans des territoires de plus en plus vastes et avec des métiers
pilotés depuis des centres de plus en plus éloignés. Face à cette évolu-
tion, il est nécessaire de retrouver des tailles d’équipe qui permettent
une bonne animation. Manager de « proximité » implique une équipe à
taille humaine, même si un effectif réduit n’empêche pas d’avoir un très
mauvais manager !

Valoriser les parcours syndicaux


Laurent Tertrais, dans son livre sur l’avenir du syndicalisme31, n’hésite
pas à écrire que « l’action syndicale produit de la valeur ajoutée : dans le
militantisme syndical, du conseiller prud’hommal à l’administrateur
salarié, il y a un tissu quotidien de compétences que la société ne regarde
plus ». Au cours de leurs mandats, les détachés syndicaux acquièrent et
mettent en œuvre quantité de compétences. Spécifiques ou transver-
sales, elles doivent être valorisées au moment de la réintégration dans 31
La promesse syndicale :
l’entreprise. Cette exigence répond à la nécessaire prise en compte du Quel syndicalisme pour
le 21e siècle ?,
temps de détachement dans la carrière et participe également à la qualité Laurent Tertrais,
du dialogue social qui repose sur des militants formés. Michalon (2012).

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Livre Blanc CFE-CGC Énergies

La formation au cours du détachement


En matière d’acquisition de connaissances, les militants syndicaux
doivent pouvoir bénéficier de formations qui soient intégrées au plan de
formation de l’entreprise. Aujourd’hui, le DIF32, futur CPF33, est trop peu
utilisé. Si l’organisation syndicale contribue à la formation de ses
militants avec ses propres moyens, l’employeur reste garant de l’em-
ployabilité de l’ensemble de ses salariés. En participant à la formation
de ses militants syndicaux, l’entreprise non seulement s’assure des
interlocuteurs sociaux compétents, mais elle répond aussi à ses obliga-
tions en préparant l’avenir professionnel du salarié détaché.

Dialogue social : sortir du formalisme


Des démarches de contractualisation, voire de co-construction, du
dialogue social avec les parties prenantes existent, par exemple
l’enquête « My EDF ». Mais comment définir la véritable écoute ? Nous
considérons que le vrai dialogue social passe par un effort pour s’extraire
du formalisme. Cet effort vaut aussi bien pour les directions que pour les
organisations syndicales. Certains syndicats sont dans l’ultra-formalisme,
en particulier dans les CHSCT. Le risque pour eux est d’aller à l’encontre
des aspirations des salariés.
Actuellement, il y a une forme particulière de blocage des instances du
dialogue social. Sur ce point, la CFE-CGC Énergies se démarque : nous
sommes acteurs, interlocuteurs, partenaires… si l’employeur joue le jeu !

Managers et syndicalistes
Fort des valeurs qui le caractérisent, notre syndicat pose la question du
renouvellement du syndicalisme, pour « construire un dialogue social de
qualité ». Notre conception du rôle des syndicalistes dans l’organisation
de l’entreprise est différente de celle des autres syndicats : éclairer sur
ce qui ne va pas, ce qui frotte, tout en étant les partenaires du manager.

Nos ambitions

Créer les conditions de la confiance :


- nécessité d’un vrai dialogue à tous les niveaux,
- sensibiliser les managers à développer une vraie écoute,
- formaliser les retours d’expérience et échanges transversaux,
- réfléchir à un management alternatif, respectueux de l’humain.
Coopérer pour bien vivre ensemble :
- comprendre le fonctionnement réel des organisations pour éviter
les dysfonctionnements,
32
Droit individuel - former les représentants du personnel et les salariés à l’analyse
à la formation.
33 Compte personnel organisationnelle de leur activité.
de formation.

86
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Ambition 3 Promouvoir le bien vivre au travail

- favoriser des échanges réguliers sur les organisations


entre managers et salariés.
Améliorer la qualité du dialogue social et la performance sociale :
- créer systématiquement des espaces de vie informels,
- encourager des moments de convivialité,
- favoriser la souplesse organisationnelle basée sur le volontariat des salariés,
- mesurer la qualité du dialogue social sur la base des indicateurs RH33,
- valoriser le rôle des CHSCT sur la qualité de vie au travail,
- assouplir les organisations locales en accord avec les salariés,
- apprendre à écouter pour mieux entendre !

Exiger et mesurer la performance sociale

Utilité sociale versus performance ?


Il n’est de richesse que d’hommes. Beaucoup disent que la performance
sociale conduit à la performance économique ou encore que « la perfor-
mance sociale c’est ce qui compte, tandis que la performance écono-
mique c’est ce qui se compte ». Mais si la performance sociale contribue
effectivement à la performance économique, elle est aussi un impératif
éthique en soi, dont la préoccupation doit être présente en amont dans
la stratégie de l’entreprise.

Certains trouveront cependant irritant de voir associer les deux termes au


regard des mauvaises habitudes sociales de quelques entreprises ou quand
la performance sociale est surtout un instrument de communication.

D’une culture technique à une culture gestionnaire


Dans les entreprises très techniques, la culture est de penser que les
ressources humaines « suivront ». Le profil des DRH, leur place dans
l’organisation et leur rang dans les comités de direction ou dans les
comités exécutifs, sont des indices de l’importance qui est accordée à la
performance sociale. Même si nous savons bien que, de nos jours, les
34 Sur ce sujet,
DRH ont d’abord des objectifs économiques.
voir Travail et dévelop-
pement humain :
De vastes chantiers de rénovation des pratiques managériales sont en les indicateurs de déve-
cours dans les grands groupes. Des changements apparaissent comme loppement humain
appliqués à l’entreprise,
l’illustre ce DRH, chez un gestionnaire de réseau, qui considère les Hubert Landier, Bernard
managers comme des « sachants » devant évoluer et suivre des formations Merck, EMS Manage-
dans ce sens. Les managers intermédiaires sont formés, mais sans rien ment et Société (2013).

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Livre Blanc CFE-CGC Énergies

« Les baro-
mètres sociaux
changer aux politiques managériales, entrainant toujours les mêmes
injonctions paradoxales et les mêmes pratiques de certains hauts res-
ponsables…
permettent
de mesurer
À EDF, comme à GDF Suez, ce sont les DRH qui supervisent les chantiers
des taux de
de transformation. Les discours portent sur l’éthique, sur la qualité de vie
réussite, mais au travail, sur la prévention des risques psychosociaux, mais la préoccu-
il serait plus pation reste avant tout la productivité. Le premier souci est d’imposer les
pertinent exigences financières, notamment à travers la renégociation du temps
d'y ajouter de travail. Les syndicats constatent qu’au moment d’entrer en négocia-
des taux de
»
tions, l’honnêteté et la bonne foi ne sont pas toujours autour de la table.
dégradation.
La RSE peut-elle se mesurer ?
Les indicateurs qui sont utilisés à EDF et à GDF Suez ne correspondent
pas à nos attentes. Les baromètres sociaux permettent de mesurer des
taux de réussite, mais il serait plus pertinent d’y ajouter des mesures des
taux de dégradation. Dans la pratique, il y a une dualité entre les indica-
teurs obligatoires qui relèvent du bilan social et ceux qui s’inscrivent dans
une démarche volontaire que nous appelons « socioscope ».

Les managers doivent remplir des objectifs RSE, comme à EDF où les
résultats d’enquête RSE entrent en ligne de compte pour la prime des
dirigeants. Ces dirigeants se retrouvent pris dans une contradiction car
ils doivent se montrer exemplaires sans en avoir les moyens. Le manage-
ment durable est un management à la fois équitable, viable et vivable.

Aujourd’hui, le manager n’a plus son mot à dire. Il est interrogé sur un
portail « Groupe » pour des enquêtes sociales qui ne concernent pas son
équipe. Pour les cadres concernés par la RSE, soit il s’agit d’une ligne en
plus à remplir, soit c’est un état d’esprit plus global, mais alors qui repose
sur la confiance, pas sur des indicateurs.

Des contraintes en cascades sur les managers de proximité


L’expérience nous a rendus prudents. « Si ça ne vient pas de très haut,
ça va augmenter la contrainte sur la tête des managers, avec injonctions
contradictoires comme réduire les effectifs et faire que ceux qui restent
soient heureux en plus ! » De la même manière, les excès de contraintes
de certains objectifs de type « zéro accident du travail » ou « zéro
papier », peuvent conduire à masquer les écarts avec l’objectif.

La démarche RSE doit être imposée depuis le sommet de la direction et


être généralisée dans toute l’entreprise. Il implique de se fixer des
objectifs qui devront être pris en compte dans la rémunération indivi-
duelle des managers concernés.

88
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Ambition 3 Promouvoir le bien vivre au travail

FACILITER L’ÉVALUATION DU MANAGEMENT


AVEC DES ENQUÊTES SOCIALES

Le manager doit-il être évalué par ses collaborateurs ? Certaines missions dé-
volues désormais au management, mais qui reposent davantage sur les rela-
tions humaines que sur des aspects purement gestionnaires, nécessitent des
évaluations fondées sur des enquêtes sociales de type baromètre social ou
« socioscope ». Mais quel que soit le type d’enquête, nous pensons qu’elles
doivent être non personnalisées afin de préserver le manager du risque d’un
« tribunal populaire ».
Lorsqu’une enquête sociale révèle un mal-être des salariés, ses résultats doi-
vent être analysés de manière prudente, en tenant compte de tous les fac-
teurs impactant le climat social. De la même manière, les nouvelles méthodes
d’évaluation de type « 360 ° » doivent être utilisées dans un cadre bien spé-
cifique de formation et non d’évaluation générale.

Quand l’évaluation sociale est trop générale


Trop souvent, l’expression « performance sociale » se révèle en fait être
une mystification. Agrégés à la « maille » nationale, des résultats d’enquête
peuvent donner l’impression que tout va bien. S’il y a des problèmes de
climat dégradé, voire de harcèlement, qui remontent du terrain, ils sont
noyés dans les statistiques. Présenter des résultats d’enquête portant
sur 1 700 personnes n’est pas le bon périmètre. Il serait plus juste de
descendre au niveau des entités managériales. En menant nos propres
enquêtes, nous mettons en évidence l’hétérogénéité des résultats : une
unité obtiendra des résultats inverses de ceux d’une autre unité. En outre,
les indicateurs ne suffisent pas, l’accès aux verbatim des enquêtes
devrait également être ouvert.

Plus généralement, peuvent être cités les cas de l’accord QVT qui ne
fonctionne pas, du groupe multi disciplinaires (GMD) sur les risques
psycho-sociaux, des effets « cosmétiques », du CHSCT qui ne joue pas
son rôle, de certains acteurs qui n’élèvent pas le débat… Les critiques
sont virulentes, à la mesure de la déception, voire du sentiment de
trahison. Le déficit de confiance se creuse. Il serait préférable que les
DRH et les directeurs financiers parlent des vrais problèmes, y compris
en termes de contraintes économiques et de performance. Parler des
véritables problèmes permet au moins de garantir un climat de confiance.
Devrons-nous systématiser notre propre méthode d’indicateurs et de
questionnaires, nos propres critères, au bon niveau d’observation et de

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Livre Blanc CFE-CGC Énergies

restitution ? Au-delà des indicateurs de mesure, il est possible d’être plus


créatif. Nous pourrions nous inspirer des approches par la médiation, du
questionnaire Karazek et de la psycho-dynamique proposée par l’Anact,
tout en considérant la diversité de nos métiers et de nos entités, où la
part de la technique et la part des prestations intellectuelles ne sont pas
les mêmes, etc. Telle piste sera valable pour une entreprise et inadaptée
pour une autre. Il n’est pas possible de faire des recommandations trop
générales.

Les indicateurs au service du dialogue local


Il est inutile de faire remonter un irritant local au niveau national. Le pro-
blème n’est pas l’indicateur, mais de mettre l’indicateur en situation !
Parfois, mieux vaut arrêter de mesurer pour se parler !
Les outils devant servir au dialogue local sont trop souvent bloqués. En
cas de mauvaise qualité des EAP (Entretien annuel de performance) par
manque de préparation ou de concertation et de dysfonctionnements du
GMD et du CHSCT, nous avons un diagnostic en creux de ce qui n’est pas
la performance sociale.

Nous proposons qu’à la maille locale, les questionnaires soient plus simples
et pas seulement quantitatifs. Le travail est en train de changer. Il devient
nécessaire de libérer la parole des salariés de façon plus efficace, pour
les interroger sur ce qui a changé dans leur travail, sans se contenter du
ressenti et des émotions, comme nous l’enseigne Yves Clot35 lorsqu’il fait
du discours sur la qualité du travail un préambule à celui sur la qualité de vie.

Nos ambitions
Valoriser la recherche d’efficience :
- changer notre culture et valoriser l’efficience des salariés, la pertinence du
travail plutôt que la qualité,
- réduire l’impact du court terme sur l’analyse des résultats,
- imposer une charte dans l’utilisation de la messagerie : identifier la finalité
(information ou action), les destinataires, les responsables de l’action et le délai
attendu afin de responsabiliser l’expéditeur, et permettre au destinataire de
négocier ou d’afficher les commandites parallèles.

Redonner du sens au pilotage :


- partager les bons objectifs en nombre réduit,
- disposer de l’influence nécessaire sur les indicateurs retenus, lesquels doivent
35 Le travail à cœur :
être simples à mesurer et à suivre,
Pour en finir avec les
risques psychosociaux, - éiminer les indicateurs parasites et imposer des indicateurs mesurant l’efficience
Yves Clot, La Décou- et les gains des décisions et organisations.
verte (2010).

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Ambition 3 Promouvoir le bien vivre au travail

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Pers p e c t i v e s

Défendre les
salariés des IEG,
le rôle des syndicats
Depuis la fin des années 1960, comme l’a analysé le sociologue Robert
Castel36, nous sommes passés d’un capitalisme industriel à un capita-
lisme financier international qui impose, au niveau mondial, une concur-
rence exacerbée et agressive. En même temps, en France et dans la
plupart des pays européens, le chômage et la précarité se généralisent.
La catégorie des travailleurs pauvres est réapparue dans les années 1990.
La frontière entre le travail et l’assistance se brouille, puisqu’un travailleur
peut avoir besoin d’aides sociales pour survivre.

Robert Castel a montré que le problème social de notre époque est celui de
la répartition des richesses dans une société qui en produit beaucoup. Cette
répartition s’établit sous les critères de notre régime capitaliste contempo-
36 La montée des
rain et de sa recherche du profit pour le profit à travers la mise en concurrence
incertitudes. Travail,
de tous contre tous. Les droits sociaux et les protections attachées au travail protections, statut de
sont, aux yeux des employeurs, des obstacles à la maximisation de la l'individu, Robert Castel,
compétitivité de leurs entreprises et du libre jeu du marché. Le droit du travail Seuil (2009)

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Livre Blanc CFE-CGC Énergies

« Les entre-
prises des IEG
et la protection sociale ne jouent plus leur rôle de digues de régulation
du marché. Le prix de leur abaissement est celui de l’insécurité sociale.
mettent en
oeuvre une Aujourd’hui, ces mutations sociales fortes concernent aussi les IEG qui
voient leur système de régulation sociale, avec les droits et protections
reconfiguration
attachés au travail, menacé de démantèlement. La modération salariale
des relations est clairement voulue par les employeurs qui ne cherchent qu’à améliorer
du travail, leur compétitivité internationale, ce qui menace le système historique de
où il est exigé rémunération de branche des IEG.
plus de
flexibilité des Ce dernier chapitre est celui des perspectives sur le moyen et le long
salariés.
» terme. Quel sera le devenir du contrat de travail et des organisations qui
en découleront dans les IEG ? Quelle sera l’évolution du rôle des IRP et
des OS face aux enjeux sociétaux de la dérégulation sociale, dans un
contexte changeant et mondialisé ?

Les menaces sur le statut


du personnel des IEG
Le statut du personnel des IEG, une référence incontournable
Au 19e siècle, avec l’essor des industries, la condition salariale a été conso-
lidée grâce à des ressources suffisantes pour assurer la sécurité des
travailleurs. Le salarié est devenu propriétaire de droits lui permettant
d’assurer son présent et de maîtriser son avenir. Le système de protections