Vous êtes sur la page 1sur 24

DOSSIER

LA RÉVOLUTION
NUMÉRIQUE

46 • LE FRANCILIEN // NUMÉRO # 088 / HIVER 2015


L
e Cloud est partout. Dans les médias, dans le discours de vos
fournisseurs, dans votre usage professionnel ou personnel.
C’est le fer de lance de la révolution numérique qui, selon le
prospectiviste Marc Halévy (lire page 66), est « du même acabit
que la révolution néolithique, l’invention de l’écriture ou la révolu-
tion de l’imprimerie au XVe siècle ». Rien que ça. Mais parce que
pour beaucoup encore, le Cloud ressemble plus à une nébuleuse
qu’à un beau nuage, nous vous proposons ce dossier spécial pour
faire le point ensemble sur les enjeux, les questionnements et les
points de vigilance de cette nouvelle façon de voir et de consom-
mer l’informatique.

Tour à tour pédagogique, technique, philosophique…, ce dossier


est la première pierre d’un sujet que nous traiterons tout au long de
l’année, au fil des numéros du Francilien, dans notre newsletter, à l’oc-
casion de nos deux grands rendez-vous d’automne, les Universités
d’été et le 70ème Congrès, respectivement dédiés à l’accompagnement
de l’innovation et à l’expert-comptable numérique. Avec une ambi-
tion : vous guider dans cette nouvelle ère numérique qui va assuré-
ment transformer en profondeur notre métier. n
LA RÉVOLUTION NUMÉRIQUE

DOSSIER LA RÉVOLUTION NUMÉRIQUE


DANS LES CABINETS :
« YES WE CLOUD ! »

Parfois traduit par l’expression « informatique dans le nuage »,


le Cloud Computing a déjà fait couler beaucoup d’encre, ne
serait-ce que pour en établir une définition précise. Avant
d’entrer dans le vif du sujet, commençons donc déjà par nous
mettre d’accord sur ce qu’est le Cloud…

Concrètement, c’est quoi le Cloud ?

 Du point de vue de l’usage, un Cloud (un nuage, en anglais)


est un ensemble de ressources informatiques distantes (stockage,
applications, serveurs…) accessibles via Internet. Il s’agit donc d’une
Francilien

dématérialisation de l’infrastructure informatique. Avec le Cloud, on


consomme de l’informatique, qui devient une commodité (un bien
de consommation) comme une autre.
 Du point de vue technologique, le Cloud est un espace virtuel
réparti sur plusieurs sites et résistant aux pannes. Ce système hébergé
chez un fournisseur est constitué d’une infrastructure, d’une plate-
forme applicative et/ou de logiciels à la demande, exposés sous forme
de services.
 Du point de vue économique, le Cloud est un modèle de services.
Le client souscrit à un service par abonnement. Extensible selon les
besoins, il est généralement facturé à la consommation. On passe
d’un modèle fondé sur l’immobilisation des capitaux à un modèle de
coûts d’exploitation *.

Quel intérêt pour les cabinets d’expertise-comptable ?

 La simplification du parc informatique, d’abord.


En basculant sur une informatique Cloud, les entreprises n’ont plus
besoin d’acquérir des matériels sophistiqués : la puissance et la capa-
cité de stockage sont mises à disposition par un fournisseur via Inter-
net. Qui plus est, cette capacité de stockage, tout comme la puissance
de calcul, s’adapte automatiquement aux besoins de l’entreprise.
« Enfin, il n’y a plus de perte de temps liée à la mise à jour des lo-
giciels », comme le souligne Frédéric Devillard, expert-comptable,
(lire page 58). Par ailleurs, l’externalisation de l’informatique permet
de se décharger des problèmes de sécurité et de disponibilité.
Le

 La flexibilité des ressources humaines, ensuite.


La saisie des données peut être effectuée en tout lieu. Elle
peut donc être externalisée. « Il est beaucoup plus facile de
répondre à des pointes d’activité ponctuelles », comme l’indique Phi-
lippe Messika, expert-comptable (lire page 59).
 L’accès à des services jusque-là techniquement ou financièrement
inaccessibles pour beaucoup. Alexandre Vallette, expert-comptable,
cite l’exemple de tableaux de bord permettant de produire un bilan
imagé (lire page 62).

48 • LE FRANCILIEN // NUMÉRO # 088 / HIVER 2015


 Le Cloud peut également résoudre les problèmes de partage des
documents, de visioconférence, de réseaux sociaux d’entreprise, de
collaboration étendue aux partenaires et aux clients, etc.

Quels sont les risques du Cloud ?

 La perte de contrôle du cabinet sur ses données.


Bien que la problématique d’accessibilité et de conservation des don-
nées aient toujours existé, sur papier ou sur disque dur, elle est plus
prégnante sur le Cloud. En effet, les données sont entre les mains
des fournisseurs de solutions Cloud, et les opérations ne
peuvent être exécutées de manière autonome par
le cabinet. C’est pourquoi il est indispensable de
minimiser la perte de contrôle du cabinet vis-à-
vis de ses données en exigeant des fournisseurs
des garanties en termes de liberté, d’autonomie,
d’indépendance et de sécurité *.
 L’infrastructure est liée à Internet et ne peut sup-
porter aucune panne de ce réseau (mais ceci vaut
également pour un réseau interne non Cloud).

Le Cloud modifie-t-il la relation avec les clients ?

Avec le Cloud, la production peut se faire de ma-


nière plus collaborative, plus itinérante, plus souple.
La relation client s’en trouve bouleversée : en créant
les conditions de l’interactivité, la production
devient une co-production avec le client.

Et au fait, combien ça coûte ?

Ce coût dépend bien sûr des solutions adoptées. « Le coût doit en


tout état de cause être maîtrisé », comme l’explique Thierry Polack,
expert-comptable (lire page 61).
En cette période de crise, les cabinets cherchent des solutions pour
réduire leurs coûts et accroître leur compétitivité. Or le Cloud est
plus qu’un simple moyen de passer du Capex à l’Opex : c’est un ou-
til stratégique au service de la croissance. Un tiers des entreprises y
recourent d’ores et déjà comme soutien à un changement de business
model *. n
*
extraits du Guide pratique sur le bon usage du Cloud Computing par les cabinets
d’expertise-comptable. CSOEC.

LE CLOUD, C’EST L’ÉLECTRICITÉ DU XXIe SIÈCLE

Lorsque l’électricité arrive au début du XXe siècle dans les usines,


elle ouvre une nouvelle ère dans la révolution industrielle.
Désormais, l’énergie n’est plus produite sur place par d’impo-
santes machines à vapeur, mais acquise auprès d’un fournisseur
distant à travers un réseau d’alimentation.
L’avènement du Cloud computing est un phénomène similaire à
l’arrivée de l’électricité. Les entreprises n’ont plus besoin de pro-
duire sur place leur énergie informatique, elle est disponible via
Internet. L’informatique devient une commodité *.
DO YOU SPEAK « CLOUD » ?
LES MOTS CLES DU CLOUD COMPUTING
Extraits choisis et adaptés du Guide pratique sur le bon usage du cloud computing
par les cabinets d’expertise comptable © CSOEC. Edition 2014

+DÉMATÉRIALISATION
La dématérialisation est le remplacement, dans une entreprise ou
une organisation, de ses supports d’informations matériels (souvent
en papier) par des fichiers informatiques et des ordinateurs, jusqu’à
la création de « bureaux sans papier » ou « zéro papier » quand la

+IaaS
substitution est complète.

(INFRASTRUCTURE AS A SERVICE)
Modèle de service Cloud dans lequel le fournisseur de Cloud
héberge toute la partie infrastructure : réseau, stockage, serveur et
virtualisation, pour un Cloud le plus sécurisé possible. L’entreprise
dispose alors d’un datacenter virtualisé prêt à l’emploi sur lequel elle
peut installer le système d’exploitation et la plateforme d’exécution
de son choix (les logiciels serveurs, bases de données, plateformes de
développement, applications spécifiques…).

+PaaS(PLATFORM AS A SERVICE)
Modèle de service Cloud dans lequel le fournisseur de Cloud
prend en charge, en plus de la partie infrastructure de l’IaaS, toute
la partie middleware : système d’exploitation, bases de données,
environnement de développement. C’est un Cloud destiné avant tout
aux développeurs d’applications.

+SaaS(SOFTWARE AS A SERVICE)
Modèle de service Cloud dans lequel le fournisseur prend tout en
charge, depuis l’infrastructure jusqu’aux applications. L’utilisateur
accède à une application à la demande, sur modèle locatif.

+SLA
(SERVICE LEVEL AGREEMENT)
Contrat de niveau de services, dans lequel le fournisseur s’engage
sur un niveau de disponibilité du réseau, des applications et
des données.

50 • LE FRANCILIEN // NUMÉRO # 088 / HIVER 2015


+COFFRE-FORT NUMÉRIQUE
Service hautement sécurisé pour archiver, indexer et retrouver des
fichiers numériques sensibles : documents administratifs, factures,
relevés, contrats, photos, etc. Ce service peut être accessible en ligne,
via Internet.

+CLOUD COMPUTING
Littéralement « informatique dans le nuage ». Ensemble de ressources
informatiques (stockage, applications, serveurs) accessibles
généralement via Internet, utilisables à la demande ou en mode
locatif.

+CLOUD HYBRIDE
Infrastructure Cloud mixte qui combine les ressources internes
d’un Cloud privé et les ressources externes d’un Cloud public. Une
entreprise qui utilise un Cloud hybride peut, par exemple, utiliser les
ressources en interne en temps normal, et basculer ponctuellement
et de manière transparente sur un Cloud public lors de pics d’activité.

+CLOUD PRIVÉ
(INTERNE OU EXTERNE)
Le Cloud privé consiste à mettre en place un réseau informatique
propriétaire ou un centre de données (data center) fournissant
des services hébergés, destinés à un nombre défini et restreint
d’utilisateurs. Il peut être interne (géré intégralement par l’entreprise
bénéficiaire) ou externe (pris en charge par le prestataire).

+CLOUD PUBLIC
Il s’agit d’une solution de Cloud intégralement orchestrée par le
fournisseur, qui loue ses services (stockage en ligne ou applications
Web) au grand public.

+DATA CENTER
Un centre de traitement de données est un site physique sur lequel
se trouvent regroupés des équipements constituant le système
d’information de l’entreprise (ordinateurs centraux, serveurs, baies
de stockage, équipements réseaux et de télécommunications, etc.).

+StaaS
(STORAGE AS A SERVICE)
Stockage de fichiers chez des hébergeurs. Ce sont des services grand
public tels que DropBox, Google Drive, iCloud, OneDrive... Les
professionnels peuvent se diriger vers des offres telles qu’Amazon S3,
Box.net, Hubic, Cloudwatt...

+ TAUX DE DISPONIBILITÉ,
OU NIVEAU DE DISPONIBILITÉ
Pourcentage du temps pendant lequel un système est disponible. Il
s’exprime en général sur une période d’un an. Un taux de disponibilité
de 99 % correspond à un taux d’indisponibilité de 1 %, soit environ
87 heures d’interruptions cumulées sur un an.
Interview
DOSSIER LA RÉVOLUTION NUMÉRIQUE
de Michel Bohdanowicz
Président du groupe de travail Cloud,
sous l’égide de la commission Innovation technologique
présidée par Jean Saphores
Francilien

En septembre 2014, le conseil soient plus localisés au sein du


supérieur a édité le Guide pra- cabinet, est perçu de manière
tique sur le bon usage du Cloud négative par certains confrères.
Computing par les cabinets L’autre frein est purement
d’expertise comptable. financier. Malgré le message
Quelle est son ambition ? des éditeurs, qui commu-
L’objectif de ce guide est double : niquent sur l’élimination des
informer les confrères et mettre coûts internes liés aux systèmes
en place des bonnes pratiques de d’information, les solutions de
la part des éditeurs de logiciels. Cloud Computing restent oné-
Il s’agit ainsi de favoriser une reuses. Mais nous n’en sommes
relation gagnant-gagnant entre qu’au début de ce marché, et
le fournisseur et son client ex- la concurrence devrait tirer le
pert-comptable. prix des prestations vers le bas.

Tous les experts-comptables Quelles opportunités


sont-ils entrés dans l’ère du représente l’arrivée du Cloud
Cloud Computing ? dans un cabinet d’expert-
Le

Aujourd’hui, environ un tiers comptable ?


des cabinets utilisent le Cloud. Le principal avantage du Cloud,
Il existe deux freins qui res- c’est de permettre à un usa-
treignent son usage. Le pre- ger d’accéder aux données sans
mier, psychologique, est lié contrainte de temps, de localisa-
à la dématérialisation et à la tion, ni de matériel, ce que l’on
délocalisation des données. résume par l’acronyme ATAWAD
Le fait que les données, ou (anytime, anywhere, any device).
tout simplement le serveur, ne Dans les faits, cependant, toutes

52 • LE FRANCILIEN // NUMÉRO # 088 / HIVER 2015


les solutions Cloud ne respectent tit les flux d’informations et peut
pas ces trois contraintes, notam- compliquer la restauration des
ment pour la saisie des données. sauvegardes, c’est pourquoi il faut
arbitrer entre vitesse et sécurité.
Que peut apporter le Cloud aux
clients des experts-comptables ? Dans votre liste de
Le Cloud permet à un client recommandations aux
d’avoir accès à toutes les infor- éditeurs, figure en bonne
mations qui le concernent – en place la réversibilité et
mode consultation, voire, ce qui l’interopérabilité.
est un plus, en mode collaboratif. Le Cloud ne doit pas être une
Le Cloud n’est qu’un facilitateur : prison. Les éditeurs doivent per-
les informations peuvent égale- mettre aux experts-comptables
ment être restituées via des ser- de revenir en arrière. C’est une
veurs internes. garantie pour eux et pour leurs
clients – même si dans les faits
En matière de protection des on ne change ni d’éditeur, ni
données, les obligations des d’expert-comptable, tous les six
cabinets d’experts-comptables mois.
vis-à-vis de leurs clients sont-
elles suffisamment connues et Un autre point incontournable
appliquées ? est celui du secret professionnel.
Ce n’est pas toujours le cas. Pour- Les éditeurs doivent totalement
tant, la jurisprudence incite for- s’engager à respecter le secret
tement à prendre les mesures professionnel des experts-comp-
nécessaires afin d’assurer la pro- tables. Ces derniers ne peuvent
AUJOURD’HUI, tection des données des clients. en être déliés. Cela rejoint le pro-
Ce sujet ne se limite pas au blème de propriété des données.
ENVIRON UN TIERS Cloud, mais à tout serveur d’in- À l’heure du big data et de la BI
formations, qu’il soit externe ou (business intelligence), il faut s’as-
DES CABINETS local. surer à 100% que les données ne
soient pas réutilisées par les édi-
UTILISENT LE CLOUD. Comment un expert- teurs.
comptable peut-il garder le
contrôle de ses données, alors Avez-vous bon espoir que les
qu’il ne maîtrise pas leur fournisseurs de Cloud suivent
stockage ? vos préconisations vis-à-vis des
La localisation des serveurs est professionnels de l’expertise
un paramètre très important. Le comptable ?
prestataire doit être en mesure Pour élaborer notre guide, nous
d’indiquer dans quel pays sont avons travaillé avec une vingtaine
basés ses serveurs. d’éditeurs de logiciels en mode
Cela représente un véritable en- Cloud, à partir de questionnaires
gagement, quand on sait qu’il et d’enquêtes précises. Cela nous
existe des chaînes de sous-trai- a permis d’établir une liste d’en-
tances, et des usages d’externali- gagements que nous leur de-
sation des prestations d’héberge- mandons de tenir. Celle-ci a déjà
ment et de sauvegarde. été ratifiée par quatre éditeurs
(alors que le guide vient à peine
Quels sont les autres risques d’être publié). D’autres devraient
concernant les données rejoindre ce premier groupe as-
numériques qui doivent être sez rapidement. L’idée n’est pas
correctement évalués et de contraindre les fournisseurs,
anticipés ? mais de leur permettre d’avan-
Le contrôle des données consti- cer, avec les experts-comptables,
tue également un sujet essentiel, dans la bonne direction. n
auquel on peut répondre via le
cryptage. Mais ce dernier ralen-
LE GUIDE DU CLOUD

DOSSIER LA RÉVOLUTION NUMÉRIQUE


COMMENT FAIRE LE
BON CHOIX ?

C
omment se repérer dans
l’offre des fournisseurs
de Cloud ? A quels cri-
tères être attentif en priorité ?
Quelle est la formule la plus
adaptée à votre activité ? Vous
Francilien

trouverez dans le Guide pratique


sur le bon usage du Cloud par
les cabinets d’expertise comp-
table, édité par le Conseil supérieur en septembre 2014, une « liste de
recommandations à destination des fournisseurs de solutions Cloud »,
qui récapitulent tous les engagements que les fournisseurs de solu-
tions Cloud sont censés respecter en matière de liberté, d’autonomie,
d’indépendance et de sécurité. Une véritable check-list à avoir sous la
main au moment de choisir votre solution. En voici un aperçu.

1. LIBERTÉ, AUTONOMIE, INDÉPENDANCE


▶ Réversibilité
▶ Interopérabilité entre les solutions Cloud
▶ Durée et nature de l’engagement
▶ Accessibilité aux données pour les cabinets
▶ Accessibilité aux données pour les clients des cabinets
▶ Confidentialité et propriété des données

2. SÉCURITÉ
▶ Cryptage des données
▶ Sauvegarde des données par le prestataire
▶ Sécurité physique des sites
▶ Localisation des données hébergées

3. GARANTIES ET DONNÉES FINANCIÈRES


Le

▶ Mentionner dans le contrat les garanties et assurances proposées


▶ Publier leurs données financières, notamment leur cotation Banque
de France
▶ Informer leurs clients en cas de changement de contrôle (exclusif
ou conjoint) ou d’influence notable (dans le sens de la norme IAS 28)
et rendre possible la résiliation du contrat avec respect des délais de
préavis prévus
▶ Informer de l’existence d’un club utilisateurs

54 • LE FRANCILIEN // NUMÉRO # 088 / HIVER 2015


L’ACQUISITION AUTO

DOSSIER LA RÉVOLUTION NUMÉRIQUE


vers une transformation du
Francilien

F
acette essentielle de la révolution numérique, le dévelop-
pement de l’automatisation des données est l’un des grands
facteurs de transformation de notre métier : en libérant les
cabinets de tâches chronophages et répétitives, il va permettre aux
experts-comptables de consacrer de plus en plus de temps aux mis-
sions à forte valeur ajoutée.

L’acquisition automatique des données s’appliquent à trois types de


flux comptables :
 les écritures liées à la trésorerie
 les écritures de ventes
 les écritures d’achat

Les écritures bancaires liées à la trésorerie ont été les premières à


bénéficier d’une généralisation de l’automatisation de l’intégration
Le

des écritures, grâce à l’échange télématique banque-client (ETEBAC)


tout d’abord, puis grâce au protocole EBICS (Electronic banking Inter-
net Communication Standard). L’ensemble des banques permet la ré-
cupération des fichiers intégrables en comptabilité, soit directement
entre l’expert-comptable et la banque, soit via un partenaire concen-
trateur de flux bancaires, tel que jedeclare.com par exemple.

Les écritures de ventes peuvent quant à elles souvent être récupérées


directement depuis les logiciels de gestion commerciale ou de fac-

56 • LE FRANCILIEN // NUMÉRO # 088 / HIVER 2015


MATIQUE DES DONNÉES :
métier d’expert-comptable

turation, en générant un export de journal des ventes qui peut être


importé en comptabilité. Elles peuvent également être traitées de la
même façon que les factures d’achat.

Reste la récupération des écritures d’achat, pour lesquelles l’acqui-


sition automatisée des données a mis plus de temps à se développer.
Plusieurs solutions existent désormais. De manière artisanale, cer-
tains récupèrent et intègrent des fichiers issus de tableurs et qui sont
convertis en écritures comptables.

Plus généralement, l’automatisation de la récupération des écritures


d’achats papier passe par la numérisation et l’OCRisation (reconnais-
sance du texte) des factures.

Cette technique, qui s’appelle aussi LAD (lecture automatique de


documents), permet de récupérer les données sources et de les
convertir en écritures comptables via un traitement informatique as-
sisté par un opérateur, qui contrôle l’intégration.

Ces techniques sont plus ou moins avancées, mais progressent indé-


niablement. Leur emploi n’a pas encore été généralisé, car l’efficacité
et le rendement sont parfois décevants. Nul doute que dans les mois à
venir des solutions innovantes vont finir par emporter l’adhésion du
plus grand nombre.

A côté de ces techniques de numérisation, la facture électronique va


faire émerger d’autres solutions pour faciliter la génération automa-
tisée des écritures comptables associées aux factures. Parmi celles-ci,
on peut citer par exemple le 2D-DOC et le jeton comptable :

 Le 2D-DOC, ou CEV (cachet électronique visible), consiste en


l’apposition sur la facture d’un code-barres sécurisé, qui se pré-
sente sous la forme d’un carré d’environ 2 cm de côté. Ce code-
barres unique permet d’authentifier la facture et de faire le lien
avec le document correspondant dématérialisé sur un site sécu-
risé. Dans ce 2D-DOC figurent plusieurs informations utiles qui
peuvent aider à la génération d’écritures comptables.
 Le jeton comptable (accounting token) est un petit fichier inté-
gré dans une facture dématérialisée qui contient les informations
permettant de générer l’automatisation d’écritures comptables.
Christophe Milhem
Vice-président du Conseil régional Ce mouvement d’automatisation de la création des écritures comp-
de l’Ordre des experts-comptables tables, associé à la généralisation de la dématérialisation (factures
Paris Île-de-France électroniques et coffres forts numériques), semble irrésistible et
Président de la Commission irréversible. Avec pour conséquence la réduction corrélative des opé-
« Innovation et technologies » rateurs de saisie comptable. Il convient donc d’anticiper ces change-
ments par des formations permettants d’évoluer vers des travaux plus
valorisants et intéressants, comme par exemple la révision, l’analyse
ou le contrôle. n
TEMOIGNAGES
D’EXPERTS-COMPTABLES 3.0
Au sein du Conseil régional de l’Ordre des experts-comptables Paris Ile-de-France,
la commission « Innovation et technologies » a pour ambition d’aider les cabinets
à s’adapter et à profiter des opportunités qui leur sont offertes dans un contexte
en constante évolution. Les enjeux du Cloud Computing sont donc bien entendu au
cœur des réflexions de ses membres, qui élaborent propositions et plans d’action
pour accompagner la mutation numérique de notre profession. Pour aider ceux qui
n’auraient pas encore franchi le cap à y voir plus clair, ils ont souhaité partager leur
retour d’expérience du Cloud Computing.

Interview
de Frédéric Devillard

Frédéric Devillard
Expert-comptable associé du cabinet
MCA (Méthode Conseil Audit)
Paris 9ème - 4 collaborateurs

Quelle solution avez-vous à cause de l’incompatibilité des


choisi ? logiciels. Avec le Cloud, toutes
Nous sommes passés au Cloud les versions de travail sont sau-
tout récemment, en novembre vegardées et peuvent être restau-
2014. Nous avons choisi de pas- rées à tout instant.
ser par un hébergeur (Link Of- Grâce au Cloud, les collabora-
fice) plutôt que par un éditeur, teurs du cabinet sont aussi très
pour pouvoir continuer à utiliser contents de pouvoir faire du
tous nos logiciels, sans restric- télétravail.
tion. Passer par un hébergeur
permet aussi de changer de logi- Un point négatif ?
LE PREMIER
ciel en toute liberté, ce qui n’est Pour l’instant, je n’en vois pas. AVANTAGE
pas le cas, quand on choisit la Selon moi, le coût, qui est certes
solution Cloud d’un éditeur. important, ne doit pas être un DU CLOUD ?
frein, car il s’agit d’un inves-
Quels avantages voyez-vous tissement indispensable, vite LE GAIN DE
au Cloud ? rentabilisé.
Le gain de temps. Par exemple, TEMPS.
nous n’avons plus besoin de Un conseil pour ceux qui
faire les mises à jour de nos n’ont pas encore osé se
logiciels, l’hébergeur les fait auto- lancer ?
matiquement sur tous les postes Pour les plus réticents, privilé-
de travail. En plus d’un gain de gier les solutions proposées par
temps, c’est aussi un avantage les hébergeurs, qui permettent
pour la sauvegarde des données : de se lancer facilement, en gar-
auparavant, il pouvait nous dant la même interface et les
arriver de perdre des données mêmes habitudes. n

58 • LE FRANCILIEN // NUMÉRO # 088 / HIVER 2015


Interview
de Philippe Messika

Philippe Messika
Fondateur et associé
de CPM Expertise
Boulogne-Billancourt
7 collaborateurs

Quelle solution avez-vous Un point négatif ?


choisi ? La dépendance à Internet. Pour
Après avoir étudié les offres éviter de se retrouver bloqué
des éditeurs et des hébergeurs, en cas de panne, il faut abso-
que nous trouvions trop oné- lument prévoir un plan B, un
reuses et disproportionnées par réseau de secours. C’est d’au-
rapport aux besoins de notre tant plus important qu’à ce jour,
cabinet, nous avons finalement même si beaucoup d’organismes
décidé d’installer notre propre imposent la télédéclaration
serveur. Cela nous permet de
rester complètement indépen-
(URSSAF, SIE…), aucune assu-
rance ne couvre les frais de pé-
IL FAUT
dant et de garder la maîtrise nalités en cas de retard de saisie ABSOLUMENT
totale de notre infrastructure. liée à une défaillance technique.
PRÉVOIR UN PLAN
Quels avantages voyez-vous Un conseil pour ceux qui n’ont
au Cloud ? pas encore osé se lancer ? B, UN RÉSEAU DE
En premier lieu, l’accessibilité. Bien s’entourer. Pour un petit
En cas de rush, cela nous per- cabinet, l’idéal est de trouver un SECOURS.
met également de faire appel informaticien de confiance, qui
ponctuellement à des collabo- puisse vous aider à mettre en
rateurs supplémentaires, à qui place une solution sur-mesure,
nous autorisons l’accès à dis- adaptée à vos besoins. n
tance à nos logiciels. Sans le
Cloud, ce mode de fonctionne-
ment ne serait tout simplement
pas possible.
Interview
de Christelle Mizun

Christelle Mizun
Cabinet ECCM
Paris 20ème
Moins de 5 collaborateurs

Où en êtes-vous avec le demandent de plus en plus sou-


Cloud ? vent à avoir accès à distance à
Pour l’instant, nulle part ! Nous un espace sécurisé. En outre, je
avons changé de serveur il y a à crois vraiment que de plus en
peine deux ans, et à l’époque, nous plus, c’est dans des offres Cloud
n’avions pas encore conscience que vont se concentrer les
que le Cloud allait si vite devenir innovations des éditeurs et des
incontournable. Si c’était à refaire, hébergeurs, il n’y a pas d’autre DE PLUS EN PLUS,
je choisirais sans hésiter une solu-
tion Cloud. Même si ça me fait un
choix que de suivre le mouve-
ment.
C’EST DANS DES
peu peur, il faut bien reconnaître
que c’est l’avenir. Un conseil pour vos
OFFRES CLOUD
confrères qui, comme vous, QUE VONT SE
Qu’est-ce qui vous fait peur n’ont pas encore osé se
dans le Cloud ? lancer ? CONCENTRER LES
Pour moi le Cloud, plus qu’un Etre à l’écoute des offres, se
nuage, c’est plutôt une nébuleuse : tenir informé, pour pouvoir INNOVATIONS
je ne comprends pas bien com- réagir vite en cas d’urgence. Le
ment ça marche, où sont stoc- jour où mon serveur me lâche, DES ÉDITEURS ET
kées les données… Mais c’est
une peur irrationnelle, car en
je passe au Cloud, et ce jour-là, il
faudra être prêt !
DES HÉBERGEURS.
réalité je sais bien que toutes les Et pour les confrères qui com-
données sont en sécurité, même mencent à songer à la retraite,
plus qu’avec un serveur interne. c’est un vrai plus de céder son
cabinet déjà équipé d’une solu-
Qu’est-ce que vous encoura- tion Cloud, il faut donc y penser
gerait à passer au Cloud ? dès maintenant. n
Les clients tout d’abord, qui

60 • LE FRANCILIEN // NUMÉRO # 088 / HIVER 2015


Interview
de Thierry Polack

Amperex
1 cabinet à Paris
et 1 cabinet à Toulouse
40 collaborateurs

Pour Où en êtes-vous avec le tissement de départ en licences.


Cloud ?
Depuis plusieurs années, nous Un point négatif ?
avons une comptabilité en mode Le coût. Le principe actuel qui
hébergé et utilisons la plate- consiste à payer à hauteur de sa
forme SharePoint pour partager consommation peut vite revenir
des documents avec certains de très cher quand on consomme
nos clients. Récemment, nous beaucoup. Ce système est beau-
avons décidé d’aller plus loin coup plus avantageux pour les
en adoptant une vraie solution cabinets qui n’utilisent les solu- EN PARTAGEANT LES
Cloud. Nous proposons ainsi à tions Cloud qu’avec parcimonie.
nos clients l’application Sellsy, Mais avec la généralisation de INFORMATIONS À
une solution de CRM et de factu-
ration en ligne, qui leur permet
l’usage du Cloud, les éditeurs et
les hébergeurs vont être obligés
DISTANCE GRÂCE
de mieux organiser leur process de revoir leur politique tarifaire, AU CLOUD, ON
commercial et leur facturation. les évolutions récentes vont dans
le bon sens. PEUT CONSTRUIRE
Quels avantages voyez-vous
au Cloud ? Un conseil pour ceux qui AVEC SES CLIENTS
Sellsy est un outil fabuleux qui n’ont pas encore osé se
permet d’aider les entreprises lancer ? UN DIALOGUE
à être plus organisées et per- Certains confrères ont parfois
formantes. En partageant les des réticences à partager leurs D’UNE GRANDE
informations à distance grâce
au Cloud, on peut construire
données avec leurs clients. Au
contraire, il faut accepter l’idée
RICHESSE
avec ses clients un dialogue qu’on augmente son pouvoir
d’une grande richesse et don- en le partageant. Donner accès
ner à notre métier une dimen- aux données, et même mettre à
sion de conseil toujours plus contribution ses clients pour la
grande. récupération des données, c’est
Le Cloud présente aussi l’avan- autant de temps gagné pour se
tage d’être très facile à mettre consacrer aux missions plus stra-
en œuvre et de réduire l’inves- tégiques à forte valeur ajoutée. n
Interview
de Alexandre Vallette

Alexandre Vallette
DBF Audit
11 cabinets en Ile-de-France
190 collaborateurs

Où en êtes-vous avec le pour faciliter la relation Client.


Cloud ? Par exemple, RCA propose un
Nous utilisons le Cloud à la tableau de bord, pour apporter
fois pour l’intégration et pour des chiffres clés mensuels à nos
la restitution. Nos clients sai- clients ainsi qu’une présenta-
sissent eux-mêmes leurs don- tion de leurs comptes annuels, LES ÉDITEURS
nées, déposent leurs différents partageable en ligne, ludique et
documents en ligne. Ils peuvent pédagogique (bilan imagé). PROPOSENT DES
ensuite accéder à toute leur
comptabilité en ligne, même si Un point négatif ?
SOLUTIONS TRÈS
tous ne le font pas encore. Aucun ! Même la sécurité, qui
pouvait éventuellement être
COMPLÈTES ET
Quels avantages voyez-vous un frein il y a 5 ans, est parfai- VARIÉES, IL Y EN
au Cloud ? tement garantie aujourd’hui :
Le gain de temps : grâce au les éditeurs proposent des so- A FORCÉMENT
Cloud, on peut mettre les lutions clé en main et assurent
clients à contribution et ration- eux-mêmes le risque. UNE QUI
naliser les tâches répétitives.
On peut ainsi se consacrer da- Un conseil pour ceux qui n’ont CORRESPOND À
vantage au conseil et aux mis- pas encore osé se lancer ? VOS BESOINS ET
sions à forte valeur ajoutée, qui Foncez ! Les éditeurs proposent
sont assurément l’avenir de la
profession.
des solutions très complètes et
variées, il y en a forcément une
À VOS ATTENTES.
Le Cloud a aussi permis l’émer- qui correspond à vos besoins et
gence de solutions très malines, à vos attentes. n

62 • LE FRANCILIEN // NUMÉRO # 088 / HIVER 2015


PUBLI-REPORTAGE
L’INNOVATION AU
SERVICE DE L’ACTIVITÉ
L
a révolution technologique a
entraîné un bouleversement
dans la relation entreprise-
client : ce dernier, plus averti et plus
exigeant, est maintenant au cœur
des préoccupations de l’entreprise.
La banque se doit donc d’ajuster sa
stratégie commerciale et ses outils
afin qu’ils soient parfaitement
cohérents avec les attentes de ses
clients.

Si innover fait partie des réflexes


naturels de la Banque Populaire,
le défi est aujourd’hui d’autant plus
intense que le contexte commercial,
réglementaire et technologique
est devenu plus exigeant :
digitalisation des opérations
bancaires, signature électronique
en agence, internet mobile,
applications pour smartphones,
paiement sans contact, via un smartphone et en un télétransmettre, ou la possibilité d’afficher un document
tweet… Autant d’innovations des banques du groupe, joint à chaque fichier (facture, bordereau de remise, acte
connectées à leur territoire et proches de leurs clients. de cession de créances, etc.). Cette application permet
aux Banques Populaires de répondre aux attentes des
Concrètement, ces derniers mois, de nouveaux dirigeants d’entreprise de gain de productivité dans
services viennent faciliter le quotidien des clients leurs traitements administratif.
artisans, commerçants, professions libérales ou chefs
d’entreprises. Mais l’innovation passe aussi par le financement.
Innover, ce n’est pas uniquement mettre en œuvre
Dernier né dans la gamme innovation, Dilizi est la des nouveautés technologiques, c’est aussi développer
combinaison d’une application pour smartphone de nouveaux services ou de nouveaux processus de
ou tablette et d’un petit lecteur de carte de paiement commercialisation ou d’organisation. C’est pourquoi les
indépendant, qui se connecte au terminal par une Banques Populaires ont mis en place à destination des
interface Bluetooth sécurisée. L’application est conçue entrepreneurs un système de demande de financement
pour traiter les paiements en mode nomade. en ligne sur le site internet de la Banque Populaire,
L’offre Dilizi Banque Populaire est sans forfait et sans à compléter en direct ou via l’expert-comptable du
engagement. porteur de projet.

Autre nouveauté, Turbo Suite Mobile Entreprise, - www.expertscomptables.banquepopulaire.fr -


permet aux chefs d’entreprises un accès en mobilité
totale – via les smartphones ou tablettes – aux fonctions En 2015, vos banques populaires d’Île-de-France sont
de consultation des relevés de toutes ses banques, au mobilisées pour être à vos côtés dans la réalisation de
détail des écritures, la validation ou refus des fichiers à tous vos projets. n

POUR PLUS D’INFORMATIONS, CONTACTEZ :

Franz Chatelin Jacques Giron


professionsliberales@rivesparis.banquepopulaire.fr jacques.giron@bred.fr
DOSSIER LA RÉVOLUTION NUMÉRIQUE

ET VOUS, OÙ EN
ÊTES-VOUS AVEC
LE CLOUD ?
Le Francilien

Les chiffres sont formels : l’expert-comptable 3.0 n’est plus un mythe, c’est une
réalité. En effet, comme en témoignent les résultats de notre enquête auprès de
la profession francilienne : 45 % d’entre vous sont déjà passés au Cloud et 40 %
envisagent de le faire à court ou moyen terme. Mais pour autant, tout n’est pas
rose dans le nuage : des réticences subsistent, notamment la peur pour la sécurité
des données. Les résultats en images.

Pour d’entre vous, 62 %


le Cloud est synonyme
de mobilité.

Pour40% Pour 45% Pour 15%


d’entre vous, le Cloud d’entre vous, le Cloud d’entre vous,
est un objectif dans c’est déjà une réalité ce n’est pas un
Les trois critères les plus importants pour choisir une solution de Cloud

les années à venir. dans votre cabinet. objectif du tout.

La sécurité

84 %
des réponses

Les freins à l’utilisation du Cloud

Le manque d’information
L’accessibilité
15 % 47 %
68 %
des réponses
22 % La peur pour la sécurité
des données
La durée et la modalité
d’engagement

31 % 32 %
Le coût
Le coût de mise en œuvre
49 %
Le manque de confiance
dans les fournisseurs du cloud
des réponses

64 • LE FRANCILIEN // NUMÉRO # 088 / HIVER 2015


DOSSIER LA RÉVOLUTION NUMÉRIQUE

RENCONTRE
AVEC MARC HALÉVY
Le Francilien

Physicien et philosophe, spécialiste des sciences de la complexité,


en particulier du point de vue de leurs applications à l’économie
et à la prospective

Ces grandes ruptures scandent le cheminement de


l’humanité sur la route noétique, vers l’émergence
de l’intelligence, de la connaissance et de l’esprit. La
nature a donné une mission à l’homme : développer
l’esprit et l’intelligence (la noosphère) à partir de la
vie de la biosphère. Les passages de l’oral à l’écrit, puis
de l’écrit à l’imprimé et, maintenant, de l’imprimé au
numérique en participent pleinement.

Ce long trajet montre un effort colossal et soutenu


vers ce que Pierre Teilhard de Chardin appelait la
« dématérialisation » de l’univers ce qui, en termes
plus physiciens, signifie simplement que la technolo-
gie permet d’augmenter exponentiellement la quanti-
té d’information contenue dans une unité de matière.
Plutôt que de « dématérialisation », il faudrait parler
de densification informationnelle.

Cette longue marche vers l’esprit a bien sûr été re-


marquablement accélérée par la révolution numé-
rique. Les puissances de mémoire et de calcul ont
atteint des ordres de grandeurs inimaginables ; sur
la toile, les informations circulent à plus de 100 000
km/seconde, le tiers de la vitesse de la lumière dans
le vide. Toutes les 24 heures, des centaines de mil-
liards de courriels sillonnent la toile qui relie des mil-
Notre société est bouleversée par une révolution liards d’ordinateurs connectés et des milliards d’or-
numérique. Ses effets seront-ils aussi importants diphones. Cet enchevêtrement informatique et cette
que ceux des précédentes révolutions qui ont intrication numérique sont proprement inconce-
modifié le cours de l’humanité (le développement vables.
de l’agriculture il y a 10 000 ans, l’invention de
l’imprimerie au XVe siècle, le développement de Un rêve fou est devenu réalité : depuis ma table de
la motorisation au XIXe siècle…) ? travail, dans ma ferme du Morvan bourguignon, en
quelques clics, j’ai la possibilité facile d’importer le
La révolution numérique est en effet du même aca- texte, dans une langue quelconque, de millions de
bit que la révolution néolithique, qui fit de l’homme livres, articles, mémoires, thèses ou autres. Tout le
chasseur-cueilleur un homme agriculteur-éleveur, savoir humain est là, à portée de main, au fond de ma
et qui fut accompagnée de l’invention de l’écri- montagne, entre forêt et lac.
ture, que la révolution agricole du XIIe siècle, que la
révolution industrielle, à Florence, au XIVe siècle Qu’est-ce qui différencie alors l’homo numericus
ou que la révolution de l’imprimerie en Alsace au de l’homme de Cro-Magnon ?
XVe siècle (le développement de la motorisation, au
XIXe siècle, ne fut pas une révolution, seulement une Physiologiquement, rien d’essentiel ! Un peu plus
accélération, pas forcément heureuse quand on grand, un peu plus gros, même cerveau, même
regarde les dégâts de l’industrialisation forcenée). nombre de neurones, mêmes propensions à l’arro-

66 • LE FRANCILIEN // NUMÉRO # 088 / HIVER 2015


gance, à la bêtise, à l’orgueil et à la domination de tout
ce qui l’entoure.

L’homo numericus ne se distingue des autres


hommes que par certains de ses comporte-
ments. Sa caractéristique première est une
assuétude morbide à la connexion. Il est devenu inca-
pable de vivre de façon autonome. Il doit être « bran- LE TRAVAIL EN RÉSEAU EST
ché ». La solitude et l’isolement le rendent malades,
alors que ce sont des luxes parmi les plus précieux UNE AVANCÉE MAJEURE POUR
dans la vie. L’homo numericus souffre d’un immense
vide intérieur ; il n’existe que sur et par la toile. Il a L’EFFICACITÉ GLOBALE DES
beaucoup de difficulté à vivre le réel, à vivre dans le
réel qu’il ne connaît d’ailleurs presque plus. Il est un ORGANISATIONS HUMAINES
animal citadin, tendance autiste, ignorant tout de
la nature, rivé à des terminaux numériques divers,
qui filtrent le monde et les autres, pour les réduire à
quelques clichés ou messages généralement dénués
de tout intérêt, mais fortement manipulatoires.

L’homo numericus, au contraire des hommes nor-


maux, est devenu esclave des technologies numé- vaut pas la peine. Il ne faut pratiquer le travail en
riques ; ce n’est plus lui qui maîtrise l’outil, c’est l’outil groupe que lorsque celui-ci est beaucoup plus perfor-
qui le subjugue au grand profit des vendeurs de bits. mant que le travail solitaire : le groupe n’est pas une
Il est symptomatique que les dirigeants des grandes panacée, seulement une solution dans certains cas.
sociétés numériques américaines de la Silicon Valley,
mettent leurs enfants dans des écoles privées huppées, La robotisation va s’accélérer incroyablement avec
où l’usage des appareils numériques est strictement li- l’arrivée de la nouvelle génération de robots : en
mité et encadré : ils lisent dans des livres et écrivent Europe, dans moins de 20 ans, ceux-ci assumeront 40 %
dans des cahiers. des tâches aujourd’hui dévolues aux humains, … et
sans aucune maladie, grève, congés parentaux ou
Quels sont les effets de cette révolution sur autres.
l’organisation de nos sociétés ?
On peut le voir comme une dramatique destruc-
Le bon usage des technologies numériques tion d’emplois. On doit plutôt le voir comme la fin
induit deux transformations majeures dans l’orga- de l’esclavagisation d’hommes et de femmes, rivés à
nisation des mondes humains : la réticulation et la des tâches répétitives et inintelligentes. En revanche,
robotisation. l’usage de ces robots va engendrer de nouveaux
emplois, plus intelligents, ceux-ci, pour leur fabrica-
La réticulation consacre la généralisation des modes tion, leur entretien, leur maintenance, leur program-
collaboratifs immédiats c’est-à-dire qu’elle rend pos- mation, etc.
sible, au sein de réseaux denses, agiles, protéiformes,
la mise en contact immédiate des compétences et des Un contrôleur de train ou une caissière de grand ma-
talents, des intelligences et des savoirs. Cela dispense gasin sont des espèces en voie de disparition, comme
de passer son temps à réinventer la roue ou l’eau l’ont été les postes de montage à la chaîne avec leurs
chaude, ou à chercher péniblement ce qu’un autre cadences infernales. Qui se plaindra de voir des
sait par cœur. Le travail en réseau est une avancée robots dévolus à l’abattage de la houille dans les veines
majeure pour l’efficacité globale des organisations souterraines, en lieu et place de mineurs humains
humaines, à la condition que ce mode de travail sans condamnés à la silicose ?
hiérarchie, soit encadré par des projets clairs, des
résultats précis et des performances partagées. Il ne Observe-t-on déjà des modifications des
faut pas confondre collaboratif et ludique. Il ne s’agit relations humaines ? Et jusqu’où peuvent aller
pas d’être connecté pour être connecté, parce que c’est ces évolutions ?
« tendance », parce que c’est dans le vent et à la mode.
Il s’agit de viser une intelligence collective, une créa- Les modes de communications entre les humains,
tivité collective, une efficience collective qui soient même parmi plus jeunes, ont déjà radicalement
nettement supérieures à la somme des intelligences, changé. L’oralité ne disparaît pas, mais devient
créativités et efficiences individuelles ; sinon cela n’en peu à peu marginale : les courriels et les SMS uuu
DOSSIER LA RÉVOLUTION NUMÉRIQUE

uuu triomphent. On communique par écrit, avec des et sélectivement, par un projet commun. Ce sont de
codes bien particuliers de sténographie pour abré- véritables tribus numériques, dispersées à travers le
ger les textes et d’iconologie pour signifier, à l’aide de monde, dont les membres, dûment sélectionnés, n’ont
petits dessins codifiés, genre smileys, des états d’âme pas nécessairement de contact visuel ou physique. On
ou des non-dits, que l’on veut faire comprendre. en trouve déjà de beaux exemples dans les commu-
nautés de développement de logiciel open source.
Le Francilien

La communication numérique abolit l’espace et le


temps. L’espace disparaît dès lors que l’autre, aussi loin- Le mot « communauté » me semble particulière-
tain soit-il, est à portée immédiate d’appel ; cela n’est ment bien adapté à ces nouveaux comportements
pas nouveau et date de l’invention de téléphone, il y a sociaux, totalement déconnectés du monde physique
plus d’un siècle. Ce qui est nouveau, en revanche, c’est et de ses institutions territoriales. Ces communautés
que bon nombre de concitoyens conspirent à abolir désincarnées et transnationales inaugurent un nou-
le temps en se rendant contactables immédiatement, veau vivre-ensemble où les États et leurs tentaculaires
24 heures sur 24, ou quasiment. appendices administratifs n’ont aucun droit de cité…
pour le meilleur (des communautés de création de
Le leitmotiv généralement admis est qu’il faut faire savoirs) et pour le pire (des communautés terroristes
accueil et répondre immédiatement à tout message ou djihadistes).
d’où qu’il vienne, à toute heure. On retrouve là les
assuétudes ridicules de notre homo numericus, déjà Comment évolue la notion de propriété (et
raillé plus haut. Philosophiquement, cette assuétude à notamment de propriété intellectuelle), à l’heure
l’immédiateté ne lasse pas d’une profonde méditation du développement de l’économie collaborative ?
sur la relation de l’homme au temps, sur l’inaptitude
grandissante à la patience et, de façon plus générale, à La notion de propriété, quelque utile et fondatrice
l’effort, sur la faible valeur des instantanés, de l’instan- soit-elle en ce qui concerne les biens matériels, n’est
tanéité et du zapping permanent. Cette immédiateté, pas adaptée aux objets immatériels. Une idée n’ap-
cette instantanéité s’opposent à la durée, à la continui- partient à personne. Elle naît parce que des mil-
té, à la profondeur : tout y est frivole, futile, volatil, lions d’idées l’ont préparée puis, dès qu’émise, elle se
éphémère et sans valeur. répand, se duplique, se transforme, s’affine et vit sa
vie propre. Un cerveau qui pense, invente, imagine,
Le plus étonnant est révélé par les études de conte- n’est que le point de convergence de milliers de filières
nus des messages échangés : dans leur immense ma- antérieures de cerveaux qui ont pensé et émis et trans-
jorité, ils sont ineptes et inutiles, ils n’apportent rien, mis toutes les idées qui ont été indispensables pour
n’apprennent rien, ne servent à rien. « Où t’è ? » … que cette nouvelle idée naisse.
« Kès tu fé ? » …

Ils traduisent plus l’ennui de l’émetteur que la quête


d’informations.
Mais la communication numérique n’est pas le seul
facteur de changement des relations humaines. Un
autre phénomène est remarquable.

La toile est devenue un lieu de rencontres en soi.


De rencontre et de partage. On s’y fait des amis, on
y trouve tout et son contraire, on y partage tout et
L’ÉCONOMIE DE L’IMMATÉRIEL
son contraire, on y achète tout et son contraire, on y
raconte ou expose tout et son contraire. Et tout cela,
DOIT S’AFFRANCHIR
souvent, sous le couvert de l’anonymat ou d’un avatar
que l’on s’est taillé à la mesure de ses fantasmes. Cha-
DES MODÈLES [...] DE
cun peut ainsi vivre plusieurs vies parallèles, inven-
tées et réinventées sans cesse.
L’ÉCONOMIE MATÉRIELLE
Les réseaux sociaux comme Fesse-Bouc ou autres -
qui ne sont ni réseaux, ni sociaux mais des conglo-
mérats amorphes et inutiles où le voyeurisme peut
rencontrer l’exhibitionnisme - ne sont que des bal-
butiements de ce que seront bientôt - sont déjà - les
vrais réseaux sociaux qui regroupent, sous le mode
collaboratif, des intelligences fédérées, électivement

68 • LE FRANCILIEN // NUMÉRO # 088 / HIVER 2015


Autant il faut être résolument attaché à la propriété le conseil du jeune Premier ministre chinois :
privée en ce qui concerne les objets matériels, autant « Désaméricaniser le monde ! ». Halte au mercanti-
il faut être résolument communiste ou collectiviste en lisme partout ! Halte à la marchandisation de tout !
ce qui concerne les idées, les savoirs et, plus générale- Il faudra, enfin, en arriver à bannir toutes les formes
ment, les objets immatériels. Par essence, l’histoire de de publicité. Elles sont inutiles. Sur la toile, quiconque
la pensée, de la philosophie, de la science, de la tech- a besoin de se procurer quoique ce soit, le trouve en
nique est une histoire collective : que seraient deve- trois clics. Personne ne regarde plus ces pubs irri-
nus Albert Einstein, Thomas Edison, Henri Bergson tantes et agaçantes qui polluent les murs des villes,
ou Bill Gates sans les instituteurs anonymes, payés les pages des journaux et magasines, les programmes
par les contribuables, qui ont ensemencé leurs cer- radiophoniques ou télévisuelles, et les écrans numé-
velles enfantines ? riques. Une information doit être et rester gratuite.
Réellement gratuite et non financée par de la pub.
Plus concrètement, si une entreprise finance un pro- Comme le trottoir sur lequel on marche. Comme le
gramme de recherche qui débouche sur une bonne réverbère sous lequel on cherche ses clés.
innovation, on prétend qu’elle en devient proprié-
taire. Je m’insurge. Les ingénieurs ou laborantins Revenons aux principes : un savoir, une idée, une
qu’elle a payés pour ce travail, n’auraient jamais pu le information, un document ont une valeur d’usage,
mener à bien s’ils n’avaient pas pu faire leurs longues mais n’ont aucune valeur marchande. L’économie de
études à la charge de la société. Que l’entreprise qui l’immatériel doit s’affranchir des modèles, principes
les a payés, le temps de la recherche, puisse profiter, et pratiques de l’économie matérielle. Ceux-ci ne lui
un moment, d’un droit de priorité ou d’usage privi- sont pas adaptés et la dénaturent complètement.
légié, ce n’est que normal. Mais il ne peut s’agir d’un Il faut combattre systématiquement tous ces détour-
droit de propriété exclusive et définitive. nements de la toile, éradiquer tous les cookies, effacer
tous les historiques de recherches ou de commandes,
Il faut le répéter, une fois émise, une idée vit sa vie refuser toutes les « propositions intelligentes », igno-
propre, indépendamment du cerveau qui l’a conçue. rer toutes les « suggestions personnalisées », rejeter
Pas question, pour quiconque, de se l’approprier. les sites vendeurs, ne s’inscrire à rien, ne réagir à au-
D’ailleurs, il y a une corrélation forte entre la pro- cune sollicitation, refuser toute géolocalisation, etc.
pension à breveter et l’incapacité à inventer : celui Bref : ne laisser aucune trace, nulle part, dans l’univers
qui cultive une belle imagination, n’a nul besoin de numérique.
breveter quoique ce soit, car il aura toujours six mois
d’avance sur tous les autres. Le développement de la robotique ne rend-il pas
complètement irréaliste tout objectif de plein
La sécurité des données ne devient-elle pas un emploi ? Le cas échéant, n’y a t-il pas
enjeu majeur pour les individus ? urgence à repenser nos modèles
de division du travail ?
Il est clair que la lutte sans pitié contre l’usage pu-
blic des données privées sera un des enjeux majeurs Le plein emploi est un
des décennies qui viennent. Des pieuvres comme mythe. Jamais il n’a existé.
Google sont prêtes à tuer père et mère pour voler des Jamais il n’existera. La
données privées qu’elles revendront, ensuite, à leurs robotisation des tâches
affidés publicitaires. Là encore apparaît un travers inintelligentes, comme
de l’immédiateté et de l’instantanéité : il faut tout déjà suggéré, est aussi
savoir sur l’endroit où vous êtes et ce que vous faites, souhaitable que libéra-
pour tenter de vous vendre, immédiatement, ce qui trice, aussi inéluctable
pourrait vous tenter, dans ce lieu-là, à ce moment-là. que fécondante. Le pro-
L’obsession marchande est le cœur du modèle amé- blème n’est pas là.
ricain que l’on tente encore de nous Le problème est celui de
imposer, partout dans le la répartition des tâches
monde. Il faut économiques. Tout ce qui
suivre est inintelligent reviendra
aux ordinateurs et aux ro-
bots. Tout ce qui est intelli-
gent revient aux hommes.
La quantité de uuu
DOSSIER LA RÉVOLUTION NUMÉRIQUE

uuu tâches intelligentes à accomplir est proprement « L’intelligence artificielle pourrait mettre fin
infinie puisqu’elle contient toutes les tâches d’inven- à la race humaine ». Que pensez-vous de cet
tion de tous les avenir. Donc le problème n’est pas la avertissement lancé par Stephen Hawkins ?
quantité de travail à faire (elle est infinie), mais bien la
capacité des hommes à s’y atteler. C’est bien là que la Que Stephen Hawkins ferait mieux de s’occu-
bât blesse. Tous les hommes sont-ils formés et enclins per de ses trous noirs ! La pollution, la surpopu-
Le Francilien

à développer leurs intelligences pour assumer l’im- lation et la pénurie de toutes les ressources vien-
mensité de la tâche intelligente dont naîtra le meilleur dront à bout de l’humanité bien plus sûrement
avenir du monde ? et bien plus vite que l’AI (Artificial Intelligence).
L’intelligence artificielle, cela n’existe pas. Un
Le problème n’est pas le plein emploi, le problème est ordinateur, quel qu’il soit, n’est capable que d’une
l’école ! Du travail, il y en a et il y en aura à l’infini ; ce seule chose, particulièrement inintelligente : exécu-
qui manque, ce sont la capacité et le courage humains. ter mécaniquement les programmes qu’un program-
meur a conçu et encodé pour lui. Ces programmes
L’illettrisme ne fait qu’augmenter dans tous les pays peuvent être très compliqués, très sophistiqués,
développés. Tout le monde obtient son bac à dix-huit très élaborés, mais ils restent des programmes stu-
ans, mais ces bacheliers, pour la plupart, ne savent ni pides destinés à une exécution stupide. L’expression
lire, ni écrire, ni parler, ni compter correctement ; ils « intelligence artificielle » est typiquement un abus
ont une culture générale proche du zéro absolu ; ils de langage journalistique. Le fonctionnement d’un
sont dégoûtés de l’étude et se glorifient de leur nullité ordinateur est et restera à jamais un fonctionnement
scolaire. mécanique, incapable de créativité (les effets du ha-
sard n’induisent que de l’imprédictibilité qui n’est
De plus, ceux qui s’en sortent le mieux, ont été jamais de la créativité). L’impression d’intelligence
intoxiqués, vingt années durant, par des fonction- laissée par l’exécution de certains programmes, no-
naires syndicalisés, inaptes à assumer la vie réelle tamment d’auto-apprentissage, ne doit pas nous im-
dans le monde réel ; ces gamins sont devenus géné- pressionner. La seule intelligence qu’il y ait là-dedans,
ralement incapables d’initiatives, de prise de risques, c’est celle de son concepteur humain. Un ordinateur
d’entrepreneuriat ; ils rêvent souvent d’une carrière de peut parfois simuler l’intelligence humaine, grâce à
fonctionnaire pour eux-mêmes, l’attrait de la retraite un modèle bien pensé par le programmeur et à une
à soixante ans faisant fonction de moteur de vie pro- énorme puissance de calcul. Mais il ne s’agit que de
fessionnelle. simulation inintelligente.

70 • LE FRANCILIEN // NUMÉRO # 088 / HIVER 2015


LE TRANSHUMANISME EST-IL L’AVENIR DE L’HUMANITÉ ?
OU SIMPLEMENT L’AVENIR DE GOOGLE ?

Comme toujours, la technologie ne fait que prolonger, par une intelligence humaine à simuler une certaine
amplifier, dupliquer, simuler les capacités humaines. intelligence logique et rudimentaire. Du code est
Un robot n’est capable d’exécuter que des gestes ou l’ap- incapable de générer du code inédit par lui-même.
prentissage de gestes pour lesquels il a été program- Les prouesses d’auto-apprentissage de certains ordi-
mé, selon des logiciels mécaniques et analytiques. De nateurs ou robots ne sont que des applications, à très
même, un ordinateur n’est capable que des raisonne- grande vitesse, d’algorithmes de boucles et de critères
ments ou des apprentissages de raisonnements pour de sélections issus de la pensée de leurs concepteurs...
lesquels il a été programmé. Point barre.
Le cœur de l’intelligence humaine est la capacité de Rêver, par exemple, d’un interfaçage entre un ordina-
synthèse analogique, qui est un processus holistique teur, mécanique et séquentiel, et un cerveau humain,
qu’aucun programme mécanique et analytique ne organique et holistique, relève de la charlatanerie
pourra jamais réussir. la plus arrogante. Il n’y a rien de commun entre un
ordinateur et le cerveau. Ils ne relèvent pas de la
Le transhumanisme est-il l’avenir de l’humanité ? même logique, le cerveau étant un comparateur ana-
Ou simplement l’avenir de Google ? logique et holistique, alors que l’ordinateur est un
calculateur logique et analytique. L’ordinateur est un
Le transhumanisme et les délires qui l’accompagnent, objet qui calcule, la pensée est un processus qui crée.
sont le pur croisement de l’orgueil technologique Les signaux électriques que capte une électrode ne
et numérique, d’une part, et de l’inculture et de la sont pas des pensées, mais des manifestations mé-
bêtise américaines, d’autre part. Les gens de chez caniques du fonctionnement électrochimique d’une
Google, Amazon ou Facebook sont probablement infime parcelle du «hardware» de la pensée.
doués en ingénierie et en marketing, mais ils sont
nuls en philosophie, en éthique et surtout en sciences Chez l’homme, ce n’est pas que le cerveau qui
fondamentales. pense, c’est le corps tout entier ; et cette pensée et
ce cerveau ne sont ni linéaires, ni binaires, ni arith-
Ils ne comprennent pas que tous les artéfacts humains métiques, ni algorithmiques, ni programmatiques,
sont du niveau zéro de complexité et que la nature ni câblés, etc.
a déjà accompli, depuis des milliards d’années, des
prouesses techniques (une « simple » cellule vivante, De plus, l’effroyable propension des transhumanistes à
par exemple) dont ils sont et resteront totalement rêver d’immortalité bio- et nanotechnologique relève,
incapables. Les artéfacts humains sont des bricolages non seulement de l’absurdité technique, mais surtout
mécaniques, certes parfois compliqués, mais puérils du cauchemar philosophique.
face aux œuvres naturelles et surtout sans aucune pos-
sibilité de propriété émergente. Tout cela est absurde, mais participe bien du chant du
cygne d’un américanisme au bord du gouffre, dans
Le concept ancien d’intelligence artificielle est un une nation qui, comme le disait Einstein, est passée
horrible abus de langage : un ordinateur ne sera directement de la barbarie à la décadence, sans passer
jamais intelligent. Il peut seulement être programmé par la civilisation. n

Vous aimerez peut-être aussi