Kanti est népalaise, elle est la cadette d’une famille pauvre. Elle devait avoir
quinze ans quand ses parents décident littéralement de la vendre, car ils n’arrivent
plus à la nourrir. De Katmandou, elle est envoyée dans un bordel de Dubaï, tout
près d’un camp de travailleurs. Les souteneurs l’obligent à faire plus de dix passes
5 par jour et elle en est malade. Elle tombe enceinte et elle perd l’enfant. Quand elle
refuse de travailler, on la bat sauvagement.
Un jour, elle rencontre un client indien peu habituel. Il lui parle et s’intéresse à
elle. Aqueel vient la voir plusieurs fois, mais il ne la touche jamais.
Il se débrouille pour la faire quitter le bordel. Il n’y a pas de refuge pour ce genre
10 de filles à Dubaï et personne qui pourrait croire à son histoire. Aqueel habite dans
un campement et doit donc impérativement trouver un logement pour Kanti.
Il y a une énorme demande pour des domestiques à Dubaï. La procédure pour
engager une bonne est complexe. Il faut passer par une agence et engager une fille
sur la base d’une photo et le gouvernement exige un montant de mille deux cents
15 dollars par année. Cette taxe discriminatoire n’est pas perçue des locaux qui ont
parfois jusqu’à dix bonnes. Malgré les efforts du gouvernement pour empêcher des
engagements illégaux, beaucoup d’expatriés engagent des filles sur place. C’est ce
que fait l’épouse de Monsieur Khan, famille de Pakistanais. En fait, Madame
Fatma Khan est tellement méchante qu’elle n’arrive jamais à garder une bonne
20 plus de cinq ou six mois. Elle travaille dans une fabrique de meubles dans la zone
franche de Jebel Ali et son mari est employé d’une compagnie d’aviation.
Aqueel fait des travaux d’entretien chez les Khan et leur parle de manière fortuite
de Kanti. Ils sont intéressés. Elle commence immédiatement à travailler pour la
famille où elle loge. Elle a un passeport et un permis de travail d’un sponsor local
25 comme c’est toujours le cas. Elle raconte qu’elle a dû s’échapper car son sponsor
était très méchant, ne la payait pas et la battait.
Kanti est bien faite, avec des formes opulentes qu’elle arrive à dissimuler dans des
vêtements amples. Elle travaille de six heures du matin jusqu’au moment où ses
patrons vont dormir, c’est-à-dire vers minuit. Elle doit s’occuper des enfants, les
30 préparer pour l’école, garnir leurs lunch boxes, leur faire la cuisine. Ensuite elle
lave, repasse et fait le ménage. La famille lui promet un salaire mensuel de cent
vingts dollars. Ce salaire correspond aux normes en 2005. Oui, une domestique à
Dubaï gagne quatre dollars par jour. Elle doit travailler tous les jours et ne peut
pas quitter la maison, car ce serait trop dangereux. Il est évident qu’elle ne peut
35 pas recevoir qui que ce soit dans sa petite chambre. C’est formellement interdit.
Comme il en a l’habitude, Monsieur Khan décide un beau matin qu’il est grand
temps d’essayer la bonne. Il est dix heures du matin et comme il a des horaires
irréguliers, il est seul à la maison. Elle oppose un peu de résistance, mais n’arrive
pas à empêcher le viol. Ainsi, pendant deux ou trois mois, il abusera d’elle
40 impunément. Cependant, ce qu’il croyait être une passade semble un peu plus
sérieux et il devient dépendant sexuellement de Kanti.
Il se met à épier ses moindres coups de téléphones, lui pose des questions et se
comporte comme un amant jaloux.
Aqueel a des sentiments pour Kanti et ne le lui cache pas. Évidemment, il ne peut
45 pas venir la voir, se contentant de lui téléphoner de temps en temps. Il respecte les
employeurs de son amie. Il la sait en sécurité dans cette famille.
« Je ne comprends pas pourquoi cette fille prend tellement de poids, remarque
Madame Khan, peut-être que nous devrions lui donner plus de travail. » En fait,
Kanti est enceinte de son patron et le lui dit.
50 Aux Émirats, le délit d’adultère est très grave et Khan doit donc régler la situation
au plus vite. Il est hors de question qu’il la renvoie, ni qu’il l’épouse. Le mariage
serait légal et il y songe, elle est très agréable sexuellement et le fait beaucoup
jouir, mais son épouse Fatima ne l’accepterait pas et sa vie deviendrait un enfer.
Donc, ce mariage, il n’en est pas question. Impossible aussi de la faire avorter aux
55 Émirats ni du reste de la faire accoucher, car une femme enceinte sans être mariée
sera mise en prison et jugée. Lui aussi finirait en prison, coups de fouets et puis
expulsion. Situation inextricable qui le rend malade, car il devra de toute façon
renoncer à cette fille qu’il a dans la peau. C’est alors qu’il lui vient une idée.
Il téléphone à Akeel pour lui demander de venir à la maison. Il lui dit qu’il désire
60 régulariser la situation du permis de travail de Kanti. Elle donne entière
satisfaction à la famille. Finalement, un contrôle de police, même s’il est peu
probable, ne peut pas être exclu. Il se dit prêt à parler au sponsor de Kanti. Une
petite somme et cela devrait pouvoir s’arranger.
Akeel lui promet de passer le samedi, jour de son congé. Il demandera à Monsieur
65 Khan de voir Kanti.
Lorsqu’Akeel arrive devant la petite villa de la famille Khan, son cœur bat la
chamade, car il va enfin pouvoir parler de ses plans à l’employeur de Kanti. Il a
vingt-trois ans et désire épouser Kanti. Il espère loger chez eux dans la minuscule
petite chambre et en compensation, s’occupera de divers travaux pour la famille. Il
70 sonne au portail et la porte s’ouvre rapidement. Monsieur Khan est là devant lui, il
a un drôle de regard.
Ils passent un moment à discuter, puis Monsieur Khan lui dit qu’il doit faire une
course, un imprévu. En riant, il leur recommande d’être sages, finalement, dit-il : «
Vous n’êtes pas encore mariés. » Akeel est fou de bonheur. Il est depuis trois ans
75 aux Émirats et va enfin connaître le bonheur.
Monsieur Khan sort de la maison en voiture et fait à peine cinq cents mètres. Il
téléphone immédiatement à sa femme pour lui dire qu’il a trouvé la bonne avec son
petit copain Akeel. « J’en étais sûre, c’est une petite salope avec ses airs de sainte-
nitouche, je l’ai toujours soupçonnée d’introduire un homme dans sa chambre. Tu
80 dois téléphoner à la police. Non, attends, je le fais moi-même. »
De son bureau, elle compose le 991, informe les policiers de la situation et leur
donne l’adresse de manière précise. Monsieur Khan est devant la maison et ouvre
la porte aux policiers.
Akeel et Kanti sont immédiatement arrêtés. L’examen des communications
85 téléphoniques révèle que Kanti et Akeel s’appelaient plusieurs fois par jour. La
justice aux Émirats applique la loi de la Sharia. Akeel s’est fait mollement défendre
par un avocat qui a rappelé à la cour qu’il ne gagnait pas suffisamment d’argent
pour pouvoir faire venir son épouse. Un tribunal islamique le condamne à mort
par lapidation. Kanti écope d’un an d’emprisonnement et devra subira la
90 flagellation, peine très appréciée des juges aux Émirats qui semblent l’appliquer à
tort et à travers. Étant célibataire, elle a pu échapper à la peine de mort.
Elle accouchera en prison et sera déportée avec son enfant le jour où elle pourra
financer son billet d’avion.
Les Khan nient le fait qu’ils lui doivent de l’argent, ils l’ont accueillie par pitié,
95 car elle était souffrante et ils ne pouvaient pas la jeter à la rue. Elle n’a jamais
travaillé pour eux, ce serait illégal, ajoute Madame Khan qui se targue de bien
connaître et de se soumettre aux lois du pays. Un groupe de bénévoles expatriés
s’est organisé en association caritative, sous le nom deReachout Dubaï et ils
organisent des quêtes pour acheter des billets d’avion aux prisonniers détenus à
100 Dubaï bien qu’ils aient déjà purgé leur peine.
Nabil Malek, Dubaï, la rançon du succès. Amalthée ( 2011)