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L’eau et l’industrie

par Jean-Claude BOEGLIN


Ingénieur-chimiste, Docteur ès sciences
Ancien Directeur Général de l’Institut de recherches hydrologiques (IRH) – Environnement

L ’histoire du développement industriel s’est construite en partenariat avec


l’eau. Les usines se sont toujours implantées au bord de l’eau (rivière,
canal, mer) pour des raisons diverses :
— commodités du transport des matières premières et produits finis et aussi
de rejet des sous-produits ou des déchets générés au cours des procédés de
fabrication ;
— possibilités de faire accomplir à l’eau des tâches industrielles multiples et
variées.
L’eau réunit un ensemble exceptionnel de propriétés physiques et
chimiques : elle peut devenir solvant, fluide thermique ou tout simplement
liquide facile à manipuler. C’est ce qui explique pourquoi l’eau est impliquée
dans la plupart des fabrications industrielles.

Infinie !... l’utilisation Les usages de l’eau sont extrêmement variés dans l’industrie en général et
de l’eau dans l’industrie même au sein d’un établissement, ce qui entraîne des contraintes de qualité
très diverses, de la vaporisation en passant par le lavage de gaz ou de solides,
ou l’échange thermique...
Les ressources de l’eau disponibles à savoir les eaux souterraines (nappes
phréatiques et profondes exploitées par des puits ou des forages) et les eaux
de surface retenues ou en écoulement (barrages, lacs et rivières) répondent
malheureusement rarement à l’ensemble de ces contraintes. En outre, la qua-
lité de la ressource peut subir des perturbations dont il convient d’évaluer les
incidences. Pour toutes ces raisons, on est contraint très souvent de procéder
à un traitement de l’eau avant utilisation.
D’une manière générale, il faut noter que pour les petites et moyennes entre-
prises c’est souvent l’eau dont la qualité est la plus exigeante (eau potable du
réseau public) qui satisfait à tous les usages. En revanche, la taille et la situa-
tion des grandes usines les conduisent à utiliser des ressources différentes
moins coûteuses pouvant aller jusqu’à l’eau de mer. De plus, l’importance
croissante des besoins quantitatifs qui s’avèrent très divers d’une activité
industrielle à l’autre, mais aussi au sein d’une même activité selon les techno-
logies mises en œuvre, justifie très souvent le recyclage de ces eaux, au niveau
de certains usages en particulier le refroidissement et le lavage.
Les premiers articles de cette rubrique traitent de l’utilisation de l’eau dans
l’industrie (critères de qualité en fonction des usages – appréciation quanti-
tative des besoins en eau) et des techniques de préparation des eaux indus-
trielles avant utilisation.

Utiliser l’eau, Dans toute activité industrielle, l’eau entre en contact avec des gaz, solides
c’est pratiquement accepter et liquides, qu’elle dissout ou entraîne sous forme de matières en suspension
plus ou moins finement dispersées. En réalité, la plupart des procédés génè-
de la polluer rent des rejets polluants soit continus soit discontinus, qui renferment tous les
sous-produits et les pertes de matières premières qui n’ont pu être récupérées,
ni recyclées. La nature et composition des rejets sont très variables d’une
industrie à l’autre ; il en est de même de leur impact sur le milieu naturel (eaux
superficielles et ou souterraines) comme l’indique le tableau A.

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Tableau A – Nature des rejets et leur impact


Types de pollution Impact sur le milieu naturel

Pollution insoluble

Phase polluante solide (minérale et/ou organique) :


— débris grossiers Nuisances esthétiques
— matières en suspension Dépôt de sédiments
— matières non colloïdales Diminution de la photosynthèse
— matières colloïdales
Phase polluante (organique) :
— non dispersée Diminution des transferts d’oxygène
— dispersée (émulsion)

Pollution soluble

Pollution de nature minérale :


— acidité ou basicité Toxicité aiguë entraînant une mortalité rapide
— oxydants ou réducteurs (chromates, cyanures, sulfures...)
— sels toxiques (métaux lourds : Cu, Pb, Zn, Cd, Hg...) Toxicité différée par bioaccumulation (troubles du métabolisme des espèces)
— formes minérales de l’azote (ammonium, nitrites, Eutrophisation : prolifération surabondante d’algues, toxicité
nitrates) et du phosphore (phosphates)
Pollution de nature organique :
— biodégradable Consommation de l’oxygène dissous (mortalité des poissons par asphyxie)
— non biodégradable Contamination des chaînes trophiques
— formes organiques de l’azote (urée) et du phosphore Eutrophisation (déséquilibre de l’écosystème, altération de la qualité de l’eau)
— substances toxiques (phytosanitaires, hydrocarbures Toxicité à long terme (troubles de la reproduction des espèces)
polycycliques aromatiques, composés phénolés...)

Pollution thermique Diminution de l’oxygène dissous, modifications de l’écosystème

Pollution microbiologique Présence de germes pathogènes et de virus, dangereux pour l’homme


et les animaux (épidémies)

Par ailleurs, il faut noter que la production polluante des rejets peut être rela-
tivement stable si les fabrications sont régulières ou très fluctuantes si elles
travaillent par campagne.
Notre pays a pris conscience de la nécessité impérieuse de protéger, contre
la pollution, ses réserves en eau à partir de 1964. L’État nous a doté, en effet,
d’une loi permettant une gestion réglementaire rationnelle des ressources en
eau et offrant la possibilité par l’intervention des Agences financières de Bas-
sin, à la fois d’introduire une incitation économique à la réduction des pollu-
tions et de dégager des moyens de financement des ouvrages de dépollution
d’intérêt commun.
Dans cette rubrique, nous développerons dans des articles spécifiques tous
les aspects techniques relatifs à la caractérisation, classification et à la mesure
(évaluation qualitative et quantitative) de la pollution industrielle, sans oublier
les aspects réglementaires, servant de base pour les autorisations des
« installations classées » au titre de la protection de l’environnement.
On précisera les axes de la nouvelle politique française en matière de
dépollution des eaux résiduaires industrielles et plus particulièrement les
conditions de rejet, les modalités de contrôle et les valeurs limites de
concentration des polluants selon le flux journalier maximal autorisé (Arrêté du
02/02/1998).

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La dépollution des industries Deux types d’actions sont possibles, suivant que l’on se place avant ou après
la pollution.
■ Actions préventives de la lutte contre la pollution
Il faut tout d’abord rappeler que dans toute activité industrielle, produire c’est
gérer un bilan matières et du travail. Lutter contre la pollution consiste à ana-
lyser ce bilan matière au regard de tous les sous-produits et contaminants qui
sont susceptibles de se retrouver dans l’eau. Il en découle que dans le cadre
d’une démarche de non-pollution, il conviendra impérativement d’inciter les
industriels dans un stade préliminaire, d’investir dans la prévention par :
— des réaménagements internes, restructuration et séparation des réseaux
d’assainissement, recyclage et réutilisation de l’eau... ;
— des modifications du process de fabrication et de procédés « propres »
véritables innovations qui permettront d’assurer une meilleure gestion (écono-
mie de l’eau) et maîtrise de la pollution émise (réduction des flux polluants).
En réalité, il est indispensable d’intégrer les contraintes de l’environnement
dans l’outil de fabrication, pour produire mieux, tout en polluant moins.
C’est seulement à l’issue de ces mesures préliminaires permettant d’engager
la lutte contre la pollution en amont, dès le stade de la production, qu’il
convient de réaliser à titre curatif, le traitement de la pollution dite « fatale »
contenue dans les rejets aqueux provenant de l’activité industrielle considérée.
■ Actions curatives : traitements des rejets industriels
Les activités industrielles génèrent selon le ou les types de fabrication des
rejets polluants d’une extrême diversité. On a affaire à des mélanges de
composition hétérogène, qui renferment des matières organiques et minérales
à l’état insoluble ou en dissolution dont certaines peuvent avoir éventuellement
un caractère toxique plus ou moins marqué.
La dépollution des rejets industriels, compte tenu de leur hétérogénéité de
composition, conduira toujours à la conception d’une chaîne de traitements
assurant par étapes successives, l’élimination — en fonction des objectifs visés
pour la qualité de l’eau traitée — des différents polluants que renferment les
eaux résiduaires industrielles.
D’une manière générale, on procède toujours dans un premier stade, par l’éli-
mination de la pollution insoluble (solides en suspension plus ou moins fine-
ment dispersés, liquides non miscibles à l’eau) par l’intermédiaire :
— de prétraitements consistant en un certain nombre d’opérations mécani-
ques et physiques (dégrillage, dessablage, déshuilage...) destinées à extraire de
l’eau les éléments dont la nature et les dimensions constitueraient une gêne
pour les étapes ultérieures du traitement ;
— puis de traitements physiques ou physico-chimiques de coagulation et
floculation assurant une séparation solide-liquide avec pour objet une clarifica-
tion plus ou moins poussée des rejets.
Ces traitements se situent pratiquement toujours en amont des traitements
par voie biologique auxquels on a recours pour assurer la dégradation de la
pollution organique biodégradable qu’elle se trouve à l’état colloïdal ou en dis-
solution. Les procédés mis en œuvre généralement du type aérobie et parfois
du type anaérobie (essentiellement pour la dégradation des pollutions très
concentrées), peuvent utiliser des cultures bactériennes libres en suspension
dans l’eau ou fixées sur un support.
Si un affinage complémentaire de la qualité de l’eau est nécessaire, on pra-
tique, en aval de l’épuration biologique, des traitements tertiaires dans le but
d’éliminer les substances nutritives à base d’azote et phosphore responsables
de l’eutrophisation, de réduire la pollution non biodégradable (DCO « dure »)
ou de limiter la pollution microbiologique en réalisant une désinfection finale.
À noter que certaines activités industrielles (comme le traitement de surface)
génèrent des rejets acides et ou basiques qui renferment des substances solu-
bles essentiellement minérales à caractère toxique (cyanures, chromates,

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métaux lourds). Leur élimination sera assurée soit par des traitements d’oxydo-
réduction et de précipitation chimique soit par des méthodes de séparation et
concentration utilisant l’échange d’ions ou des techniques membranaires
(comme l’osmose inverse).
Dans cette rubrique Eau, une série d’articles rédigés par d’éminents spécia-
listes du traitement de l’eau procède :
— à l’analyse des mesures internes à l’usine qu’il convient de prendre à titre
de prévention pour lutter contre la pollution ;
— au rappel des principes théoriques fondamentaux des différentes méthodes
de traitement par voie physico-chimique et biologique applicables aux eaux rési-
duaires industrielles ;
— et à la description des technologies de traitement des divers procédés de
dépollution, en situant les critères de dimensionnement, les performances
épuratoires pouvant être atteintes et les domaines d’applications industrielles.
La quasi-totalité des procédés d’épuration des rejets industriels conduit à la
concentration des polluants sous la forme de suspensions aqueuses ou boues
qui constituent des déchets volumineux.
Dans le cadre de leur traitement, il convient tout d’abord :
— d’assurer la stabilisation des boues si elles possèdent un caractère
fermentescible, pour limiter les nuisances olfactives ;
— puis de réaliser leur réduction de volume (par épaississement et déshydra-
tation mécanique) afin de faciliter leur manutention et leur élimination finale.
Le choix de la destination finale des boues qui est de trois ordres : valorisa-
tion généralement agricole, mise en décharge contrôlée, incinération, devra
être réalisé en tenant compte évidemment d’impératifs technico-économiques,
tout en étant compatible avec la préservation de l’environnement et les
contraintes imposées par une législation de plus en plus sévère.
Ces différents points seront développés dans des articles spécifiques qui
situent l’importance économique du problème des boues, constituant une
phase de lutte contre la pollution qui s’avère particulièrement difficile.

Produire mieux en polluant moins... Le défi lancé aux industriels reste Démarche
d’actualité. Au moment où la qualité est devenue une priorité de l’industrie vers l’usine propre du futur
française, la protection de l’environnement demeure comme une exigence pro-
fonde et légitime de nos concitoyens et donc un impératif pour les industriels.
Il y a quelques années, pour la direction d’une entreprise, les relations d’une
usine avec son environnement étaient subies, considérées comme d’impor-
tance secondaire et traitées avec une certaine négligence.
Aujourd’hui, les aspects liés à l’environnement font partie des éléments stra-
tégiques qui permettent d’apprécier la valeur d’un établissement industriel
dans son ensemble. L’image de marque d’une entreprise pourra en effet être
renforcée ou détériorée, dans son impact commercial, selon que le public res-
sent positivement ou négativement son approche de l’environnement. Il est
évident que la lutte contre la pollution industrielle ne se résume pas à la seule
construction de stations d’épuration.
Il apparaît de plus en plus fondamental de raisonner sur les besoins globaux
en eau d’un site industriel. Une approche satisfaisante du problème de l’eau
dans l’usine consiste à :
— modifier et redéfinir notre réflexion sur la gestion globale de l’eau ;
— percevoir, analyser, quantifier les besoins exacts en qualité et quantité
d’eau et ce aux divers stades du process et de la fabrication ;
— trouver et mettre en œuvre des solutions techniques qui apportent une
plus grande valeur ajoutée à l’industriel ;
— concevoir des systèmes d’épuration avec un dimensionnement dans la
sécurité, en optimisant la fiabilité de leur exploitation.
C’est la véritable démarche de l’usine propre et sobre du futur.

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