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Stratégies résidentielles d’une catégorie de citadins du bas de l’échelle de qualification : les personnels domestiques

féminins de la ville d’Abidjan

Anne Marilyse KOUADIO


Ecole Normale Supérieure d’Abidjan (Côte d’Ivoire)
Laboratoire Ville-Société et Territoire
Courriel: kamarilyse@yahoo.fr

RESUME
Les personnels domestiques féminins désignent la main d’œuvre salariée travaillant au service des familles, des ménages
(Blouin, 1997 ; Kouadio, 2008). Elles exercent divers taches allant de l’entretien et du maintien du ménage, à la garde et à
l’éducation des enfants sans oublier la vente pour la recherche de moyens de subsistance. Deux faits singularisent cette
catégorie de travailleuses : D’une part leur identité révèle leur statut de migrantes venues de toutes les régions de la Côte
d’Ivoire. D’autre part, elles travaillent dans des domiciles, lieu de vie. Elles sont occupées continuellement tous les jours. Et
cette réalité appelle à une présence soutenue de ces employées, contrairement à ceux travaillant ailleurs dans les usines, les
bureaux, les marchés, les établissements scolaires, voire dans l’agriculture.
Par ailleurs, on observe la féminisation progressive de l’emploi de personnel domestique, parallèlement à l’accroissement des
emplois et à son implantation dans tous les milieux socio-économiques et tous les types d’habitat. Partant de cette double
évolution tendancielle de ces emplois et de leurs contraintes spécifiques, nous nous proposons d’en analyser les effets sur les
stratégies résidentielles des travailleuses concernées. Notre réflexion s’inscrit dans la continuité de travaux antérieurs sur les
conditions de vie et les stratégies résidentielles de certaines catégories de travailleurs, tels les salariés de l’industrie
(Dubresson, 1990) ou encore les animateurs du secteur informel (AYD, 2000) ou encore les catégories moyennes (Antoine et
al, 1984 et 1987 ; Haeringer, 2000 ; Anne M. Kouadio, 2008).
Notre communication, consacrée au personnel domestique féminin de la métropole abidjanaise, s’intéressera aux conditions
de logement de ces travailleuses : types de logement, localisation des domiciles, statuts d’occupation des logements. Il s’agira
de relever et d’analyser les raisons de ces conditions. Enfin, en quoi ces conditions relèvent-elles de stratégies particulières à
ce groupe de travailleuses ? Cette perspective suggère, sur le plan méthodologique le recours à l’importante littérature
consacrée à la question du logement et à la situation des travailleurs et de les confronter à nos enquêtes récentes sur les PDF.
Mots-clés : Mobilité – insertion – travail domestique – stratégies résidentielles – métropole d’Abidjan.

Residential strategies of a category of townsmen of the bottom of the scale of qualification: female domestic personnel
of the city of Abidjan

Anne Marilyse KOUADIO


National University of Abidjan (Côte d’Ivoire)
Laboratory City-Company and Territory
Email: kamarilyse@yahoo.fr

ABSTRACT
The female domestic personnel indicates the paid labour working with the service of the families, of the households (Blouin,
1997; Kouadio, 2008). They exert various spots going of the maintenance and the maintenance of the household, with the
guard and the education of the children without forgetting the sale for the search for means of subsistence. Two facts make
conspicuous this category of workers: On the one hand their identity reveals their statute of migrant come from all the areas
of the Ivory Coast. In addition, they work in residences, place of life. They are continuously occupied every day. And this
reality calls with a constant presence of these employees, contrary to those working elsewhere in the factories, the offices, the
markets, the schools, even in agriculture.
In addition, one observes the progressive feminization of the domestic employment of personnel, parallel to the increase in
employment and with his establishment in all the socio-economic mediums and all the types of habitat. On the basis of this
double trend evolution of this employment and their specific constraints, we propose to analyze of them the effects on the
residential strategies of the workers concerned. Our reflexion falls under the continuity of former work on the living
conditions and the residential strategies of certain categories of workers, the such employees of industry (Dubresson, 1990)
or the organizers of the informal sector (AYD, 2000) or the categories average (Antoine et al., 1984 and 1987; Haeringer,
2000; Anne Mr. Kouadio, 2008).
Our communication, devoted to the female domestic personnel of the metropolis of Abidjan, will be interested in housing
conditions of these workers: types of housing, localization of the residences, statutes of occupation of the residences. It will
be a question of raising and of analyzing the reasons of these conditions. Lastly, in what these conditions do they concern
strategies particular to this group of workers? This prospect suggests, on the methodological level the recourse to the
important literature devoted to the question of housing and the situation of the workers and to confront them with our recent
investigations into the pdf.
Keys-words: Mobility – insertion – domestic work –residential strategies – metropolis of Abidjan.
INTRODUCTION

Se loger en accédant à la propriété ou en étant en capacité de répondre à des charges


locatives ou encore de disposer d’un logement est des préoccupations majoritairement
partagées par les citadins, en Afrique et ailleurs dans le monde. Au point que les travaux
consacrés aux stratégies urbaines des citadins font une part belle aux conditions résidentielles,
celles-ci étant indissociables des positions occupées sur le marché du travail et des ressources
monétaires en découlant. Des éléments auxquels sociologues, psychologues et autres
géographes ajoutent les réseaux de sociabilité. Avant tout lié au champ social et politique,
l’insertion s’attache à définir le processus qui va conduire les migrants à trouver une place au
sein de la nouvelle sphère sociale urbaine. Ainsi, l’insertion peut se décomposer en plusieurs
modalités en fonction du domaine sur lequel elle se porte : insertion professionnelle et
insertion sociale (Dureau, 1985 ; Ouédraogo, 1987 ; Piché et al, 2000). Le logement tient une
place non négligeable dans cette dernière modalité, c’est-à-dire l’insertion sociale, où il
apparaît souvent comme analyseur de l’insertion urbaine. Dans ce domaine, l’abondante
littérature consacrée aux villes africaines révèle une crise chronique, conséquence d’une offre
insuffisante et d’un marché immobilier économiquement et socialement discriminant. Face
aux travailleurs des sphères informelles de l’économie urbaine ou des salariés modestes reclus
dans des formes d’habitat non planifié et sous équipés, fonctionnaires et salariés moyens du
secteur privés constituent par exemple la clientèle des programmes de logements sociaux
subventionnés. Les logiques d’aménagements, en dissociant géographiquement les fonctions
et poussant à la concentration des activités économiques et des équipements hors des quartiers
habités, exposent inéluctablement les citadins à des mobilités quotidiennes, entre zones de
résidence et lieux de travail. Ces déplacements domicile-travail appelés mobilités,
appréhendés à une échelle locale et une temporalité quotidienne (Segaud et al, 2001), rendent
compte dans une certaine mesure des conditions de vie des travailleurs.

Dans la réflexion sur l’insertion des travailleurs en ville, nous proposons de poser le regard
sur la situation des personnels domestiques féminins. En émergence dans les débats
scientifiques depuis la fin des années 1990 (Jacquemin, 2002 ; Kouadio, 2008), le travail
domestique salarié fait partie des activités urbaine. Les personnels domestiques désignent la
main d’œuvre salariée travaillant au service des familles ou des ménages (Blouin, 1997 ;
Kouadio, 2008). Ces travailleuses exercent diverses taches : entretien et maintien du ménage
(blanchisserie, nettoyage, cuisine, etc.), garde et éducation des enfants et vente d’objets divers
(denrées alimentaires, voire de plats cuisinés, etc.). Pour l’essentiel leur travail s’effectue au
sein de la sphère domestique, celle de la famille ou, pour reprendre l’expression consacrée par
les économistes, des ménages (Mozère, 1999). Une différence significative avec les autres
travailleurs employés et exerçant dans les usines, les bureaux, sur les marchés, dans les
exploitations agriculture, etc Par ailleurs, à cause de raisons historiques, sociales,
sociologiques directement liées aux fonctions/« missions »traditionnelles/naturelles des
femmes (Pasleau, 2005), la tendance est à la féminisation de l’emploi de personnel
domestique, parallèlement à l’accroissement des emplois et à son implantation dans tous les
milieux socio-économiques et tous les types d’habitat (Kouadio, 2008). Partant de cette
double évolution tendancielle de ces emplois et de leurs contraintes spécifiques, nous nous
proposons d’analyser les conditions résidentielles des travailleuses domestiques et les
logiques qui leur sont sous-jacentes. Notre réflexion s’inscrit dans la continuité de travaux
antérieurs sur les conditions de vie et les stratégies résidentielles de certaines catégories de
travailleurs dans la métropole abidjanaise, tels les salariés de l’industrie (Dubresson, 1990) ou
encore les animateurs du secteur informel (Yapi-Diahou, 2000) ou encore les catégories
moyennes (Antoine et al, 1984 et 1987 ; Haeringer, 2000 ; Kouadio, 2008).

Cette communication vise à suivre l’itinéraire résidentiel des personnels domestiques


féminins dans la métropole abidjanaise. La perspective étant de comprendre les processus et
mécanisme de leur insertion urbaine au travers du logement. Nous identifierons les lieux et
modes de résidence, dans une approche spatiale et temporelle. D’autant que le travail de ce
personnel se singularise par la présence quasi-quotidienne des concernées sur le lieu
d’activité. Au-delà des lieux, on s’intéressera aux types de logements occupés et aux statuts
d’occupation des travailleuses visées. On peut se demander en quoi les conditions de
logement des PDF relèvent-elles de stratégies particulières à ce groupe de travailleuses ?

Le support de ce travail consiste en des enquêtes de terrains 1 et en l’exploitation de


l’importante littérature consacrée à la question du logement et aux situations de vie des
travailleurs, abidjanais notamment. Les sources statistiques proviennent entre autre, des trois
recensements généraux de 1975, 1988 et 1998.

Force est de reconnaître avec Yapi-Diahou que l’habitat est un indicateur du niveau de
développement des forces productives. Ses différentes formes constituent l’inscription au sol
                                                            
1
  Ces enquêtes ont été réalisées sur la période 2002 à 2006, auprès d’un échantillon de 500 employées de maison
correspondant à 500 ménages répartis dans quatre communes d’échantillon des typologies de l’habitat. Il s’agit de Cocody
pour l’habitat résidentiel de haut standing, Yopougon pour l’habitat économique des « classes moyennes », Adjamé symbole
de l’habitat de cours et Marcory, concentration des différentes typologies établies.
des rapports sociaux de production et donc de hiérarchisation sociale et/ou économique
(2000). L’investissement des habitats sur cours et de ceux dits précaires par les travailleurs à
faibles revenus obéit souvent à une décision de délaisser les quartiers éloignés des zones
d’emplois dans le but de réduire les charges financières induites, analyse Yapi-Diahou (2000).
Cet auteur fait ressortir encore le fait que la localisation des emplois concourent à
l’élaboration et à la mise en œuvre des stratégies résidentielles des citadins du bas de l’échelle
des qualifications parmi lesquels les personnels domestiques féminins de la ville d’Abidjan.
Ces derniers s’orientent-ils donc vers les quartiers d’habitat précaire à proximité de l’emploi
pour échapper aux contraintes de déplacement liées parfois aux exigences de leur profession ?
Notre préoccupation est donc de confronter les résultats de nos enquêtes à ces réalités relevées
par tous ces auteurs.

1. LE PARCOURS MIGRATOIRE DANS LA METROPOLE


ABIDJANAISE

Par leurs lieux de naissance ou leurs dernières résidences déclarées, les PDF sont en majorité
des migrantes. Plus de 85% sont nées hors d’Abidjan, et 91,6% avaient une résidence située
hors de cette métropole. En 2006, elles étaient plus de 53% à déclarent y être arrivés depuis à
peine 5 ans, ce qui correspond à des migrations datant du début de la décennie 2000. Les
motifs de l’arrivée à Abidjan rappellent celles couramment rencontrées dans la littérature,
lesquelles font la part belle aux raisons économiques et sociales. Ainsi, elles sont venues
apprendre un métier (36%) ou gagner leur vie (31%), suivre des parents dans le cadre d’une
migration familiale, etc. (tableau n°1)
Les enquêtes révèlent par ailleurs chez ces migrantes un niveau scolaire faible ; la plupart
n’ayant pas franchi le cap de l’enseignement primaire, quand elles ont été scolarisées. Ce
faible niveau d’instruction permet de justifier l’orientation majeure de ces dernières vers les
activités du secteur informel singulièrement l’emploi de domestique. La particularité du
métier de domestique est que non seulement, il ne requiert pas de critères de qualification
encore moins de fonds financier pour son démarrage.
1.1. Les communes d’accueil à l’arrivée

A leur arrivée à Abidjan, les migrantes se sont dirigées vers différents quartiers de la ville,
dépendant d’un nombre limité de communes, selon les résultats de nos enquêtes.

Tableau 1: Répartition des migrantes selon la commune d’accueil à l'arrivée à Abidjan et les motifs de la mobilité
Justification de la mobilité
Changement TOTAL
COMMUNE Apprendre Gagner sa
de lieu de Autres
un métier vie
résidence Effectif %
ADJAME 5 35 25 20 85 20
COCODY 4 19 17 14 54 12,7
YOPOUGON 8 50 35 49 142 33,4
ABOBO 6 44 45 26 121 28,5
PORT BOUET 2 6 10 5 23 5,4
Effectif 25 154 132 114 425
TOTAL
% 5,9 36,2 31 26,9 100
Source : Nos enquêtes, 2005 et 2010

Sur les dix communes de l’ancienne ville d’Abidjan 2 , cinq ressortent comme les plus
hospitalières à l’endroit de ces migrantes, qu’elles ont accueillies à leur arrivée dans la
capitale économique : les communes périphériques de Yopougon et d’Abobo totalisent près
des deux tiers de l’effectif (61,9%) ; viennent par ordre d’importance la vieille « ville
africaine » d’Adjamé (20%) que suit Cocody (12,7%) commune résidentielle de haut et
moyen standings, et enfin celle de Port-Bouët (5,4%) au Sud.

Carte 1: Flux des migrantes dans les communes d'accueil à leur arrivée à Abidjan

                                                            
2
La ville d’Abidjan est depuis 2001 érigé en District, et elle se confond avec le département d’Abidjan. Elle
compte sous ce statut treize communes avec l’incorporation de trois communes périphériques.
Kouadio explique l’hospitalité de ces communes par leur situation géographique, qui en font
les portes d’entrée d’Abidjan, Cocody excepté : « Tous les voyageurs en provenance du
Centre, du Nord de l’Ouest et parfois de l’Est de la Côte d’Ivoire rentrent dans la ville par
Abobo, Yopougon ou d’Adjamé. Tandis que ceux partis de l’Est ivoirien ou du Ghana font
souvent leur entrée dans la ville, par Port Bouët. La situation des communes d’Abobo, de
Yopougon, d’Adjamé et de Port Bouët à la porte de la ville, leur a valu d’accueillir de
nombreuses gares routières. » (Kouadio, 2008). Aussi certaines se font-elles héberger par des
parents ou des ressortissants de même village ou de même région, résidant non loin des gares
routières. Les autres exploitent parfois différents réseaux d’accueil à Abidjan, pour atterrir
dans les communes suscitées. Ces réseaux sont souvent constitués par des parents, mais aussi
des connaissances ayant promis d’assurer la scolarisation, la formation ou tout simplement la
prise en charge des jeunes filles, une fois en ville. Ces personnes résident dans ces communes
qualifiées ici de zones d’accueil des migrantes.

1.2. Les itinéraires résidentiels des travailleuses

Passées le cap de l’accueil, de durée variable (de quelques jours à plusieurs mois, selon les
cas, les lieux d’accueil se diversifient et d’autres communes apparaissent dans les itinéraires
résidentiels. Ainsi apparaissent Marcory, quartier des années 1960-1970, et Treichville,
congénère d’Adjamé. Certaines communes d’accueil deviennent plus attractives, à l’instar de
Cocody qui accueille à cette deuxième étape 32,7% des PDF, contre 12,7% à leur arrivée dans
la capitale économique. D’autres au contraire ont été de simples lieux de transit, et perdent
donc leurs migrantes accueillies, dans des proportions variables (tableau n°2 et carte 2). La
mobilité infra urbaine est essentiellement liée aux activités menées par ces migrantes dans la
ville, si l’on se réfère aux données du tableau 2 ci-dessous. Elle correspond à une amorce
d’autonomie et une maîtrise progressive du fonctionnement du système urbain, qui semble
profiter aux quartiers et communes les plus demandeuses de PDF. Habituée au mode de vie
citadin, elles peuvent aisément s’éloigner des premiers quartiers et communes d’accueil.

Tableau 2: Répartition des travailleuses à Abidjan selon la commune et le type d’activité exercée

ACTIVITE EXERCEE TOTAL


Effectif %
COMMUNE
Bonne Vente/commerce Couture Coiffure Autres
ADJAME 58 7 82 19,3
COCODY 71 8 18 20 22 139 32,7
YOPOUGON 99 6 15 5 9 134 31,6
MARCORY 7 0 0 0 0 7 1,6
TREICHVILLE 1 0 0 0 0 1 0,2
ABOBO 49 0 0 0 2 51 12
PORT BOUET 11 0 0 0 0 11 2,6
Effectif 296 21 35 28 45 425
TOTAL
% 69,7 4,9 8,2 6,6 10,6 100
Source : Nos enquêtes, 2005 et 2010

Carte 2: Répartition des migrantes dans les communes après leur arrivée à Abidjan

Exemples :

1. Venue d’Agnibilékro, Affoua arrive à Abidjan en compagnie de sa tante domiciliée à


Abobo. L’accueil dure deux jours. La tante place Affoua dans un ménage à Cocody. Affoua
fait donc partie des migrantes dont la commune d’accueil à l’arrivée est Abobo. Dans la
répartition des migrantes après l’arrivée à Abidjan selon la commune et le type d’activité
exercée, elle fait partie des 71 bonnes résidant à Cocody.
2. Awa est venue à Abidjan à la demande de sa tante résidant à Yopougon, qui la voulait pour
l’aider dans ses tâches domestiques. Trois mois passent ; la tante change de quartier toujours
dans la commune de Yopougon. Awa vend, de petites denrées alimentaires (oignons, piment
frais et sec, du sel, etc.), de l’eau glacée et des jus devant la nouvelle concession habitée, pour
le compte de sa tante. Depuis son arrivée, Yopougon correspond à la commune d’accueil et de
résidence d’Awa : elle fait donc partie des 6 migrantes dont l’activité exercée est
« vente/commerce » et résidant à Yopougon.

A cette étape de l’installation dans la ville, et selon le tableau 2, près de 7 migrantes sur 10
exercent le métier de « bonne ». Dans une moindre mesure, certaines s’orientent les vers les
métiers de la couture (8,2%), de la coiffure (6,6%), et de vente/commerce (4,9%) ; d’autres
s’engagent dans l’apprentissage d’un métier ou officient comme aide familiale ou se déclarent
sans occupation.

2. ÉLÉMENTS DES STRATÉGIES RÉSIDENTIELLES

Nous aborderons les stratégies résidentielles en commençant par la cartographie des


quartiers et communes de résidence de ces travailleuses, puis leurs statuts de résidences, et les
types d’habitats occupés. Les conditions financières du choix de ces conditions de logements
d’une part, les contraintes diverses inhérentes aux fondements de ces choix d’autre part,
seront abordés pour une meilleure lecture des stratégies en question.
Carte 3: Répartition des PDF dans l’agglomération d’Abidjan selon les communes de résidence et le type d’habitat

2.1. Des travailleuses hébergées chez l’employeur, un choix stratégique

Si les personnels domestiques féminins ont été enquêtés sur leur lieu de travail,
correspondant aux domiciles des employeurs, les enquêtes révèlent que ce lieu de travail se
confond avec les lieux de résidence chez la majorité d’entre elle. Elles sont ainsi 89,2 % à
demeurer chez l’employeur, contre seulement 10,8% à résider ailleurs, hors du lieu de travail.

Tableau 3: Répartition (en %) des employées de maison selon le lieu de résidence et par commune
d'enquête
COMMUNES
TOTAL
NATURE DE L’HEBERGEMENT Adjamé Cocody Marcory Yopougon

Chez l’employeur 95,2 89 82,7 90,5 89,2

Autres 4,8 11 17,3 9,5 10,8

Total 12,6 47,6 15 25,2 100

Source : Nos enquêtes, 2005 et 2010


Cette « hospitalité » à l’égard des PDF est une tendance lourde, et les différences entre les
employeurs domiciliés dans les différentes communes sont nuancées. En accueillant plus de 8
employées sur 10, les ménages des communes résidentielles de standing que constituent
Marcory et Cocody, partagent les mêmes postures d’hospitalité que la populeuses et populaire
Adjamé (95,2%) ou ceux de Yopougon (90,5%), le symbole d’une certaine mixité sociale à
Abidjan. Au demeurant ces situations permettent de déterminer les types d’habitat occupés
par ces employées, au moins pendant qu’elles travaillent chez ces employeurs.

Cette surreprésentation des PDF qui résident chez leurs employeurs amène à s’interroger
sur la signification de cette pratique, que l’on se place du côté des employées ou celui des
employeurs ? Ces employeurs développeraient-ils un sens aigu de la solidarité, ou
s’accommoderaient-ils de dispositions réglementaires en matière d’embauche de ce
personnel ? Les travailleuses concernées subiraient-elles ainsi la rigueur d’une réglementation
du code du travail, auxquels elles seraient prêtes à se soustraire à la moindre occasion, ou
contraire, se satisfont-elles d’une situation commode, recherchée, enviée ? En tout état de
cause quelles explications à cette propension des PDF à résider chez leurs employeurs ?

Le travail domestique peut être obtenu en échange du gîte et du couvert mais aussi
d’argent de poche. C’est le cas des nombreuses domestiques. Par ailleurs, les conditions de
déplacement sont difficiles à Abidjan à cause de la congestion et du dysfonctionnement
interne aux transports urbains. L’Agence de Gestion des Transports Urbains (AGETU) révèle
que depuis 2000, les dépenses consacrées aux transports collectifs (SOTRA, ramassage,
gbaka, woro-woro) à Abidjan sont comprises entre 105 000 F CFA/habitant/an et 125 000 F
CFA/habitant/an soit des charges mensuelles de 8 750 à 10 500 F CFA/habitant/an. Le coût
du transport est un luxe pour les PDF dont le revenu moyen n’excède guère 20 000 F CFA. La
modicité de leurs revenus ne leur permet pas de financer le coût des navettes domicile-travail.
Par ailleurs, elles doivent respecter les horaires de travail qui sont 7h, tôt le matin pour finir
tard le soir, après 20h. Résider chez l’employeur est donc une garantie pour plus d’efficacité
en restant sur place, et de gain en réduisant le coût du transport du domicile au travail.

2.2. …ou être hébergés par des parents

Celles de travailleuses qui ne sont pas hébergées chez leurs employeurs (10,8% des
enquêtées), répondent majoritairement au statut d’hébergés gratuits (72,3%) contre une
minorité de colocataires (27,7%) Aucune domestique n’a déclaré être est propriétaire.
Les « hébergées gratuit » sont principalement des membres de réseaux de solidarité
composés de parents, de ressortissants de même village ou de région et leur conjoint pour les
mariées, etc. Comme celles qui sont logées aux domiciles de leurs employeurs, la majorité des
hébergées hors des lieux de travail, le sont soit dans des villas (5,6%), soit des immeubles et
logements en bande (35,2%) du modèle économique, soit dans des cours communes (14,8%).
Les occupants des baraques caractéristiques de l’habitat précaire y sont également représenté :
9 sur 39 hébergées. Ce type d’habitat est le cadre de vie 9 des 15 employées en situation de
colocation.

Avec ces proportions de domestiques dans les différents types de logement, on peut
affirmer que les hôtes des travailleuses vivent pour la plupart dans des logements
économiques. Le caractère hospitalier de l’habitat économique constamment souligné par
différents auteurs (Yapi-Diahou, 1981 et 2000 ; Le Pape et Vidal, 1985 ; Antoine et Herry,
1982) trouve sa confirmation avec ces travailleuses.

Les « hébergées gratuit » sont souvent des migrantes récentes (moins de trois mois). Elles
travaillent à proximité des lieux de résidence de leurs hôtes.

Carte 4 : Répartition géographique des quartiers de résidence des domestiques non logées selon le type de logement
Pour comprendre ces conditions de logements, il faut se rapporter sans doute aux
rythmes de travail de ces travailleuses, et voir leur condition de rémunération.

2.3. Des colocataires dans les habitats non planifiés précaires

La particularité des « colocataires » par rapport aux « hébergées gratuit » réside dans
leur ancienneté dans le métier. Elles ont déjà fait l’expérience de résider chez l’employeur ou
un parent. Connaissant mieux la configuration et le fonctionnement de la ville, elles sont
libérées de l’assujettissement des tuteurs. La quête de l’autonomie les amène à prendre une
maison. Mais dans les quartiers où elles vivent, inconfort et précarité cohabitent.

Tableau 4: Répartition des personnels domestiques colocataires selon le coût du loyer en FCFA
MONTANT DU LOYER EFFECTIF %
- de 5 000 3 20
5 000 à 9 999 5 33
10 000 à 14 999 4 27
15 000 à 19 999 2 13
20 000 et plus 1 7
TOTAL 15 100
Source : Nos enquêtes, 2005

D’après le tableau ci-dessus, sur les 15 domestiques déclarés colocataires, 99% payent son
loyer à un coût inférieur à 20 000 FCFA. Pour ces dernières, le montant des loyers déclarés,
ne permet pas d’acquérir des logements décents à Abidjan. Or, elles payent des loyers dont les
montants excèdent rarement 20 000 FCFA avec parfois les charges comprenant l’eau et
l’électricité.

2. 3. 1. Dans les habitats de cours

Ces habitats évolutifs ne s’assimilent pas tous à des habitats précaires non planifiés.
Cependant les descriptions faites de nos enquêtées des types d’habitat qu’elles occupent, nous
ramènent à la description de l’habitat non planifié précaire. On les trouve dans les communes
d’Abobo, Adjamé, Cocody (Cf. carte 4).
Photo 1 : Un habitat sur cours à Abobo Avocatier dépourvu d’eau et d’électricité voire de sanitaires

Cliché : Kouamé Lambert, 2010

Ces habitats sont certes en dures, mais sont dépourvus de sanitaires, parfois d’électricité et
d’eau. Les loyers y sont dérisoires pour les propriétaires pour y mettre des commodités dignes
des logements modernes. Les travailleuses s’associent avec d’autres personnes : des
compatriotes, des ressortissants de même région/village ou des collègues domestiques. A
plusieurs dans des chambres qui deviennent petites pour contenir un grand nombre de
personnes, les travailleuses vivent dans la promiscuité.
Cette situation éclaire sur les conditions de logements des travailleurs non qualifiés,
relevant des strates inférieures des revenus. En effet, le logement « moderne » est financé par
deux filières, l’une publique destinée à répondre en priorité à la demande des
« économiquement faibles », et l’autre privée orientée vers le logement de standing. L’une et
l’autre, par les conditions imposées à l’attribution, ont d’abord favorisé les catégories sociales
aisées et moyennes (Antoine et al, 1987). L’accession au parc public des logements ou à des
terrains s’adresse d’abord à des populations solvables, ce qui exclut les ménages aux revenus
plus faibles.

2. 3. 2. Dans les baraques

Contrairement aux cours, les baraques sont construites sur des places librement investies, fruit
d’une donation ou non.
Photo 2 : Baraque à Adjamé Compensation dans la commune de Cocody

Cliché : Kouamé Lambert, 2010

Edifié en matériaux de récupération et assimilables à des bidonvilles, l’habitat précaire


est la troisième composante de l’habitat en Côte d’Ivoire. Si quelques bâtisses sont en dur, le
bois demeure le matériau dominant. Les constructions sont en panneaux de bois provenant
d’une production artisanale recouvertes de tôles, rarement neuves et généralement de
deuxième main ou de pure récupération. Les équipements, les services, les commodités qui
confèrent au logement moderne un confort tels que les latrines, la douche, la cuisine sont
inexistants. Ces commodités sont réduites à la portion congrue. Les équipements et services
font défaut et l’eau potable est une denrée rare et précieuse. Ces quartiers se répartissent dans
toutes les communes de l’agglomération d’Abidjan sauf au Plateau. Malgré l’acharnement des
pouvoirs publics pour les réduire, les quartiers précaires poussent parallèlement à la
paupérisation. Parmi les raisons explicatives de leur poussée à Abidjan, on pourrait ajouter les
stratégies de travailleurs non qualifiés du secteur informel aux faibles pouvoirs d’achat, pour
réduire les contraintes de déplacement liées parfois aux exigences de leur profession.

Autant dans les cours que dans les baraques, la confection des repas fait appel à la
débrouillardise des femmes en raison du nombre limité des locaux. Ces faits attestent du peu
d’attention consacré aux équipements de confort et d’hygiène dans ces deux types d’habitat.
L’extrême précarité de l’environnement et du cadre de vie méritent que les pouvoirs publics
s’y attardent. Les personnels domestiques et tous les autres qui y vivent sont des citadins. De
plus, ils exercent un métier qui traverse toutes les catégories socioprofessionnelles, tous les
milieux d’habitats.
3. CONTRAINTES LIEES AUX CHOIX DES RESIDENCES

3.1. La faiblesse des rémunérations


Si les revenus sont faibles, les conditions de vie deviennent alors difficiles et les
travailleurs vulnérables. Les rétributions perçues par les PDF leur permettent-elles d’avoir
accès aux biens et services de la ville, en l’occurrence l’accès aux logements ?

Tableau 5: Répartition en pourcentage des PDF selon les revenus mensuels (en millier de FCFA) et par
commune
communes TOTAL
Classes de revenus Adjamé Cocody Marcory Yopougon
Moins de 5 000 0,0 0,0 2,7 0,8 0,6
5 000 à 10 000 4,8 6,8 6,7 1,6 5,2
10 000 à 15 000 79,4 24,2 44,0 26,2 34,6
15 000 à 25 000 14,3 50,4 26,7 62,7 45,4
25 000 à 35 000 0,0 15,3 6,7 0,0 8,2
35 000 et plus 0,0 2,1 5,3 0,8 2,0
Revenus en nature 1,6 1,3 8 7,9 4
TOTAL 12,6 47,6 15 25,2 100
Source : Nos enquêtes, 2005 et 2010

Les réseaux d’accueil facilitent l’insertion professionnelle des migrantes en leur


trouvant un emploi. Ces réseaux ont diverses connotations. Elles peuvent cristalliser autour
d’elles, des personnes d’un même village ou d’une même région, des membres d’une même
religion ou d’un même parti politique. En général, leur but est d’aider à maintenir les normes
et les valeurs du village, de la région d’origine, ou de la religion, et parfois même de mettre
sur pied des systèmes de soutien et des projets pour améliorer les conditions de vie des plus
vulnérables. Les femmes et les jeunes filles trouvent leur emploi à travers ces réseaux par le
biais de contacts, de recommandations, souvent avec l’aide de travailleuses plus âgées. Ces
réseaux d’accueil jouent un rôle capital dans l’accès à un emploi car près de la moitié d’entre
elles ne sait ni lire ni écrire. Ce handicap justifie parfois les clivages observés dans les
rémunérations. À l’exception des maisons agrées, le revenu des PDF n’est pas uniforme sur
tout le périmètre abidjanais. Il n’y a aucune base objective. C’est un accord conclu à l’amiable
entre employeur et demandeur d’emploi. Cette situation soumet les prestataires de services
domestiques au bon vouloir des employeurs.

Les classes de revenus monétaires sont nombreuses et varient de moins 5000 CFA à
plus de 35 000 FCFA, soit autour du salaire minimum interprofessionnel garantie (SMIG),
figé à 36 607 FCFA depuis des décennies. Des employées, en proportion non négligeable,
sont rétribuées en nature. Cette rétribution consiste en des charges de nourriture, de denrées
alimentaires, de vêtements, etc. La classe modale est celle de 15 000 à 25 000 F CFA, où se
classe 45,4% des domestiques. Cependant, le revenu médian est de 16 250 FCFA ; en dessous
duquel se situent 50% des enquêtées. Dans l’ensemble, le revenu moyen perçu par un
personnel domestique féminin dans la ville d’Abidjan est de 17 020 FCFA. Cependant
quelques différences salariales s’observent entre communes ?

Ramenée à l’échelle des communes, la distribution des revenus se caractérise par une
concentration dans un nombre réduit de classes, à Adjamé, et une dispersion marquée à
Marcory et relative à Yopougon et à Cocody. Ainsi 93,7% des PDF d’Adjamé se concentrent
dans les deux classes de 10 à 25 000, au lieu de 74,6% de ceux de Cocody ou encore 66,6% à
Marcory et 88,9% à Yopougon. La commune de Cocody offre le revenu moyen le plus élevé
de toutes les communes d’enquête, 18 525 FCFA, soit un niveau légèrement au-dessus du
revenu moyen, établi à 17 020 F CFA. Yopougon, vient en second rang devant Marcory et
Adjamé. 16 250 FCFA est supérieur au revenu moyen gagné par les domestiques des
communes de Marcory et d’Adjamé. Cependant, la commune figure parmi celles qui payent
les plus bas salaires (0,8% de domestiques gagnent moins de 5 000 FCFA). Le revenu moyen
d’un personnel domestique à Marcory est de 15 400 FCFA. Il est supérieur à celui d’Adjamé,
13 135 FCFA, à la différence que dans cette dernière commune, on ne note pas de revenu en
dessous de 5 000 FCFA. Or à Marcory, 2,7% des domestiques perçoivent moins de 5 000
FCFA par mois

En somme, les PDF sont mal rétribués, leurs rémunérations étant largement en dessous du
SMIG. La rémunération n’intègre pas le logement fourni gratuitement et les repas que
l’employée prend. Les niveaux de rémunération sont fonction de ceux des employeurs, eux-
mêmes salariés dans la majorité des cas.

3.2. Le prix des conditions et rythme de travail soutenus


Le fait que tous les employeurs ou presque hébergent leurs employées ne peut être
compris sans évoquer les conditions de travail de ces personnels. Nous proposons de donner
la parole à quelques unes de nos enquêtées, dont les discours ont été entendu tout au long de
nos investigations, dans les quatre communes témoins retenues.

 Premier cas : S. Awa, bonne à la cité Sogefiha de Cocody


S. Awa, 22 ans et travaille comme bonne à la cité Sogefiha de Cocody, un habitat collectif de
standing économique. Dans ce ménage, les employeurs sont un couple de professeur des
lycées et collèges, qui ont deux petits garçons, de cinq ans et de sept ans, auxquels s’ajoute un
protégé de trente deux ans, venu du village et apparemment sans occupation.
La journée d’Awa commence à cinq heures du matin. Elle nettoie la maison,
met de l’eau à chauffer pour la toilette des enfants et le petit déjeuner. Elle les réveille. Ils
sont tous les deux des écoliers qui fréquentent l’école primaire du quartier, à quelques mètres
de la maison. Elle les aide à se laver, s’habiller et prendre le petit déjeuner. Elle les conduit à
l’école. Au retour, elle passe au marché acheter les condiments qui manquent, [parce que c’est
ma « tantie » qui fait le marché]. A la maison, elle confectionne le repas de midi ; retourne
chercher les deux garçons à la sortie de l’école. Ils prennent leur repas de midi, se reposent.
Awa peut alors déjeuner avant de passer à la vaisselle. A 14h, elle doit raccompagner les
enfants à l’école (quand ils ont cours), et de nouveau retourner les chercher à 17H.
Le soir, elle les aide à se laver puis leur sert le repas, après lequel ils vont
étudier. Des fois, elle fait de la lecture et des calculs avec le plus petits qui est en classe de
CP2, sur la base des vieux restes qu’elle garde du haut de son niveau CM1. En même temps,
elle guette l’arrivée des parents, et peu importe l’heure, elle doit les attendre pour le service.
Ce sont les consignes laissées par « tantie ». Elle y tient car elle a beaucoup insisté quant à
son application stricte. C’est seulement après le dîner de ses patrons qu’elle fait la vaisselle.
En général, elle finit de travailler aux environs de vingt deux heures, mais il arrive qu’elle
aille au-delà de cette heure.
 Deuxième cas : K. Odette est serveuse dans un restaurant populaire au Champroux à
Marcory
K. Odette, 26 ans travaille comme serveuse dans un maquis en baraque, au quartier
Champroux à Marcory. Elle vit chez son employeur, une dame d’une cinquantaine d’année, sa
compatriote. C’est une tante éloignée, originaire de Brobo comme elle. Elle est allée la
chercher au village. A son arrivée à Abidjan, elle a été hébergée par cette dernière. En
attendant de trouver un emploi, Odette travaille pour elle. Elles sont treize personnes dans la
maison, les huit enfants et les deux nièces de sa tante, et elle-même.
Sa tantie gère un maquis près du stade Champroux non loin de la maison. Elle
y passe tout le temps, aidée par deux autres filles, un jeune homme et Odette. Dans ce maquis,
sont servis des mets africains à midi et des grillades le soir. Les boissons notamment les
« sucreries » et la bière y sont disponibles à toute heure.
Odette est chargée de collecter l’argent des ventes. Mais son travail ne se limite pas
uniquement à collecter les frais de nourriture. Elle se réveille à cinq heures du matin en même
temps que les deux nièces de sa tantie. Elle va faire le marché à Adjamé accompagnée de
l’une d’entre elle. L’autre s’occupe des travaux domestiques de la maison. A leur arrivée du
marché, tous ensembles, elles confectionnent les différents repas au menu de la journée, du
maquis. A midi, lorsque les clients abondent, les deux autres serveuses et le jeune homme
s’occupent d’eux, tandis qu’Odette tient la caisse. La même organisation se fait le soir. Elle
reste au maquis parfois jusqu’à deux heures du matin. Les jours de fêtes et les weekends end,
elle avoue qu’elle n’a pas de répit pour se reposer, ne serait-ce que quelques minutes. Pour ces
tâches si absorbantes, elle ne gagne que 20.000 F CFA. Et là encore, elle remercie le Ciel,
parce que selon ses dires, des filles venues de l’intérieur comme elle, hébergées par des
parents, travaillent souvent sans rétribution. Dans son cas, sa tantie reconnaît qu’elle mérite
plus, mais comme elle est logée, nourrit et blanchie par cette dernière, ce revenu est
acceptable.
Comme Awa et Odette, d’autres domestiques travaillent plus de huit heures par jour
Ces volumes horaires donnent à penser que les employées de maison ne sont pas concernées
par les horaires fixés par l’inspection du travail à savoir, 56h de travail par semaine, soit
9h30mn de travail par jour, pour 6 jours de travail dans la semaine. Le travail commence pour
les domestiques entre 6h30mn et 7h30 pour finir au plus tôt vers 18h, voire 20h au-delà
comme dans les cas d’Adjo et Awa. Les heures tardives traduisent la lourdeur et la
multiplicité des tâches à exécuter. Aussi sont-elles contraintes de loger chez leurs employeurs
pour être plus opérationnelles.

CONCLUSION

Le fait d’avoir un emploi de domestique d'abord et l'accès au logement (logées gratuitement,


locataire ou colocataire) ensuite constituent, à notre sens, les deux étapes majeures de
l'insertion économique des migrantes dans la ville d’Abidjan. Mais si la première étape est
franchie tant bien que mal, pour la plupart d'entre elles, la seconde ne peut l'être que grâce à
un accroissement substantiel des revenus des actives. Aussi la mauvaise rétribution d’une
part, mais le rythme de travail soutenu d’autre part contraignent les actives à faire des choix
de résidence s’inscrivant toujours dans une stratégie de compression des charges financières.
Elles font l’option pour la plupart de loger chez leurs employeurs. Certaines restent en famille
tandis que d’autres font de la colocation dans des habitats précaires, contribuant à la
précarisation de l’agglomération Abidjanaise. Leur non prise en compte par les pouvoirs
publics dans les programmes de logements représente un obstacle pour les efforts de
développement. Pour nombre d’elles, le campement et le bidonville, établissements humains
précaires au plan juridique, aux maisons sommaires élaborés en matériau traditionnel (boue
séchée ou banco, planches en bois) ou de récupération sont apparus très tôt comme des
solutions possibles à la crise du logement (Findley, 1989).

REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES

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