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CHAPITRE 7: Migrations et division des populations

Dans ce chapitre nous analyserons l'effet des migrations et de la division des


populations sur les constitutions génétiques, et nous examinerons les conséquences de
ces phénomènes sur la diversification génétique au sein d'une espèce.

Migration:
– sens strict: mouvement des organismes entre populations
– sens large: mouvement des gènes entre populations (flux de gène)
• animaux : mouvement des individus, des gamètes en milieu aquatique
• plantes : mouvement des graines et du pollen

A- LE ROLE DES MIGRATIONS

Considérons une espèce fractionnée en plusieurs populations susceptibles d'échanger


des individus migrants. On définit le flux génique de la population j vers la population i
par le taux m, égal à la proportion d'individus se reproduisant, à chaque génération, dans
la population i, mais qui sont issus de la population j. Si m est nul ou très petit, les
populations sont quasiment isolées l'une de l'autre ; s'il est égal à 0,5 les deux
"populations" supposées n'en forment en pratique qu'une seule qui est panmictique.
Plusieurs modèles de migrations existent dont l'analyse montre l'effet homogénéisant
du flux génique. Pour de grandes populations dans lesquelles la dérive ne joue pas,
toutes convergent vers une même fréquence allélique qui est généralement la moyenne
des fréquences initiales de chaque population.

1 ) Le modèle de l'île et du continent


Dans ce modèle à migration unidirectionnelle, l'île reçoit un flux migratoire
constant en provenance du continent. Les immigrants sont tirés au hasard dans la
population continentale, elle-même à l'équilibre des fréquences alléliques au locus
considéré.
Soit m la proportion d'individus de la population insulaire qui, à chaque génération,
provient de la population continentale dans laquelle la fréquence de l'allèle A1 est pc.
Dans l'île, la fréquence de cet allèle est pin à la génération n, et prend, après la
migration, la valeur :

Pin+1= m pc + (1 - m)pin
= m (pc – pin) + pin

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Cette équation est similaire à celle obtenue pour la mutation. La fréquence dans l'île à
la génération n, en fonction de la fréquence à la génération initiale p0 sera :
n
pin = pc + (pi0 - pc) (1 - m)
Lorsque n tend vers l'infini, la fréquence allèlique dans l'île tend vers la fréquence
allélique du continent. Si les migrations ont lieu dans les deux sens, l'état d'équilibre
sera fonction des fréquences initiales de chaque population, mais aussi des taux
respectifs de migration.
Si l'on considère un modèle à plusieurs populations, la fréquence d'équilibre dans
chaque île sera égale à la moyenne des fréquences allèliques de la génération de départ.
Dans tous ces cas les populations tendent vers une homogénéisation.
Exemple 1 :
5 populations de fréq. allèlique initiales: 1; 0.75; 0.5; 0.25; 0 avec et m = 0.10

Exemple 2 :
Ce type de modèle peut être appliqué lorsque la migration se produit
principalement d'un groupe vers un autre. Il en est par exemple ainsi aux Etats-Unis, où
le flux génique se produit essentiellement de la "population blanche" vers la "population
noire", les métis étant considérés comme appartenant à la population noire. De
nombreuses études, portant sur les fréquences des groupes sanguins notamment, ont
essayé d'estimer le flux génique entre les deux populations. Le groupe Duffy est l'un
des meilleurs indicateurs, car l'allèle Fya n'existe pratiquement pas en Afrique de
l'ouest, lieu d'origine des noirs américains. Adams et Ward (1973, Science 180:1137)
analysent un échantillon d'individus de l'état de Georgie et trouvent une fréquence de

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Fya = 0,422 chez les blancs et 0,045 chez les noirs. La population noire de Georgie étant
installée depuis 10 générations on peut obtenir une estimation de m par :
(1-m)10 = [(0,045 - 0,422)/(0 - 0,422)], d'où m = 0,011,
soit un flux génique moyen de 1,1 % à chaque génération.
Dans la population noire, la proportion de gènes originaires de la population blanche est
de 0,045/0,422 = 0,11, soit 11 % si l'on se fonde sur le locus Duffy. Des études
similaires menées à New York, Détroit et Oakland ont fourni des valeurs plus élevées,
de l'ordre de 20 à 25 %. Réciproquement des gènes d'origine africaine ont été
introduits dans la population blanche, mais les effets sont plus faibles, compte tenu de
l'effectif plus restreint de la population noire et de la tendance à classer les métis dans
cette population.
Il est intéressant de noter que les flux géniques existants conduisent les deux
populations vers des fréquences allèlique similaires pour l'ensemble de leurs gènes. La
vitesse d'approche de cet équilibre est fonction de m et de tous les facteurs qui
influencent cette valeur.

2) Modèle de migration: Modèle "en île" (ou "en archipel")


– n populations de taille N chacune (taille de pop. totale = n x N)
– migration aléatoire entre toutes les populations : composition génétique des
immigrants (entrant) dans 1 pop. = composition génétique moyenne dans l'archipel
(population totale)
– proportion d'individus immigrant dans 1 population par génération = m = taux de
migration (nombre d'immigrants dans 1 pop.= Nxm)

Effet de la migration dans un modèle "en archipel":


– N très grand donc les dérives génétiques dans les populations sont négligeables
– Pour une population donnée i à la génération n, où pa est la fréquence moyenne de A
sur l'ensemble de l'archipel :
n
pin = pa + (pi0 – pa) (1 - m)

Homogénéisation progressive des fréquences allèlique des populations de l'archipel.


Effet de la migration dans un modèle en île:
Exemple: populations humaines au Soudan .Evolution de la fréquence de l'allèle M
(groupe sanguin MN)

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(Tiré de Hedrick, 2000)
En conclusion sur la migration :
• Force évolutive efficace car provoque des changements importants de fréquences
allèlique
• Conduit à une homogénéisation des fréquences allèlique entre les populations
• Maintient la cohésion d'une espèce et s'oppose à la différenciation (et à la spéciation)
• Effets contradictoire pour l'adaptation
– Permet l'arrivée locale de diversité génétique
– S'oppose à la mise en place d'adaptation locale

B-CONSTITUTION GENETIQUE ET POPULATIONS DIVISEES


La colonisation d'une région préalablement inoccupée par une espèce peut conduire à
la formation de deux populations (ou sous-populations) qui, comme nous venons de le
voir, tendront à avoir des fréquences allèlique similaires si le flux migratoire persiste.
Cependant si le flux cessait, les deux populations évolueraient de manière indépendante
et pourraient acquérir, sous le simple effet du hasard, des constitutions génétiques
différentes. Nous examinerons ici le cas de deux populations panmictique ayant ainsi
divergé, chacune étant à l'équilibre de Hardy-Weinberg pour le locus A. Chaque sous-
population étant supposée d'effectif infini, le tableau 1 présente leur constitution
génétique et celle de la population prise dans son ensemble (population globale).
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ABLEAU 1 : Effet Wahlund et constitution génétique dans une population divisée
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A1A1 A1A2 A2A2 A1 A2
Sous-Pop.1 p1 2
2p1 q1 q12 P1 q1
Sous-Pop.2 p22 2p2 q2 q22 p2 q2
Moyenne
Pop. globale (p12+p22)/2 p1q1+p2q2 (q12+q22)/2 p= (p1+p2)/2 q= (q1+q2)/2

soit p2 + Var(p) 2 pq - 2 Var(p) q2 + Var(p)


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On peut alors comparer les moyennes des fréquences de chacun des génotypes de la
population globale, aux fréquences génotypiques attendues dans une population

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théorique en équilibre de Hardy-Weinberg, et possédant des fréquences alléliques
égales aux moyennes des fréquences allèliques des sous-populations. Ceci revient à
comparer la population globale à la population panmictique qui résulterait de la fusion
des deux sous-populations.
Soit le calcul de la moyenne des fréquences génotypiques A1A1 :
(p12 + p22)/2 = p2 + Var(p).
Ce résultat s'obtient en remarquant que la moyenne des p s'écrit : p = (p1 + p2)/2 , et
leur variance :Var p = [(p1 - p)2 + (p2 - p)2]/2 = (p12 + p22)/2 - p2 .
Les fréquences des génotypes A1A2 et A2A2 s'obtiennent de la même manière.

On démontre ainsi que la population observée, considérée dans son ensemble, n'est pas
dans les proportions de la loi de Hardy-Weinberg. Il existe un "déficit relatif en
hétérozygotes", par rapport à la valeur théorique 2pq . Cette "réduction
d'hétérozygotie" est appelée l'effet Wahlund (1928, Hereditas 11:65). Elle ne
s'observe que s'il existe une divergence des fréquences allèlique entre les sous-
populations; les taux d'hétérozygotie pourront ainsi être utilisés pour mesurer la
différentiation entre populations.

Le tableau 2 : illustre l'effet Wahlund pour une population divisée en deux sous-
populations, dans lesquelles les fréquences de l'allèle A1 sont respectivement p1 = 0,6 et
p2 = 0,2. Les fréquences génotypiques de chacune des sous-populations sont celles de
l'équilibre de Hardy-Weinberg.
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TABLEAU 2 : Effet Wahlund et réduction de l'hétérozygotie dans deux sous-
populations. Comparaison entre les fréquences génotypiques de la population observée
dans son ensemble (population globale) et celles attendues pour une population de même
fréquences alléliques moyennes, mais qui serait à l'équilibre de Hardy-Weinberg.

Sous-population 1 Sous-population 2
Allèles A1 A2 A1 A2
Fréq. alléliques p1= 0,6 q1= 0,4 p2= 0,2 q2= 0,8

Génotypes A1A1 A1A2 A2A2 A1A1 A1A2 A2A2


Fréq. génot. 0,36 0,48 0,16 0,04 0,32 0,64
( H1=0.48 ) (H2=0.32)

POPULATION GLOBALE
Fréquences A1A1= 0,20 A1A2= 0,40 A2A2= 0,40
Génot. Moyennes H S = (H1+H2)/2 = 0.40

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Fréquences alléliques moyennes p = 0,4 q = 0,6

POPULATION THEORIQUE
Fréquences A1A1 : p²= 0,16 A1A2 : 2pq=0,48 A2A2 : q²= 0,36
Génotypiques attendues HT =0.48

Les hétérozygoties de chaque sous-population sont : H1 = 0,48 et H2 = 0,32. Pour la


population globale les moyennes des fréquences génotypiques (0,20, 0,40 et 0,40) sont
comparées aux valeurs de la population à l'équilibre de Hardy-Weinberg, soit 0,16, 0,48
et 0,36. On vérifie bien que l'hétérozygotie moyenne observée ( H S = (H1 + H2)/2 =
0,40) est inférieure à la valeur attendue pour la population théorique (HT = 0,48). C'est
ce "déficit relatif" en hétérozygotes qui caractérise l'effet Wahlund. Cette
"diminution" d'hétérozygotie s'accompagne évidemment d'une "augmentation"
correspondante de la fréquence des homozygotes.
On notera cependant que lorsque le locus considéré est polyallélique la situation est
plus complexe et la fréquence moyenne des hétérozygotes n'est plus toujours
inférieure à celle attendue dans la population théorique correspondante.

C - DIVISION ET DIFFERENTIATION GENETIQUE


Comme nous l'avons vu, l'écart de la population considérée dans son ensemble par
rapport à l'équilibre de Hardy-Weinberg de la population théorique potentielle est
donnée par la variance de p. Il a été exprimée par Wright sous forme de l'indice de
fixation FST en écrivant :
FST = Var(p)/pq
ce qui est équivalent à : FST = (HT - H S) / HT = 1 - H S/ HT
Ces relations se vérifient dans l'exemple précédent où l'on trouve :
Var(p) = 0,04 et FST = 0,167.
Cet indice de fixation est une autre mesure de la réduction relative de l'hétérozygotie
des sous-populations due à l'effet Wahlund. En effet, on obtient les fréquences
génotypiques moyennes des sous-populations en fonction de FST en écrivant :

A1A1 = p2 + FST pq A1A2 = 2pq (1-FST) A2A2 = q2 + FST pq .

Le FST est aussi appelé indice de fixation. Il mesure en fait la réduction


d'hétérozygotie liée aux différences des fréquences allèlique entre populations. C'est
un indice de la diversification des populations. Bien évidemment si les populations sont
identiques FST est nul.

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Il faut bien remarquer que l'effet Wahlund peut être source de confusion lorsqu'un
expérimentateur, croyant étudier une population unique, analyse en fait les données
relatives à un échantillon couvrant deux sous-populations qu'il n'a pas distinguées. Il
peut alors observer un déficit en hétérozygote qu'il interprétera par un effet de
consanguinité, alors qu'il est dû à la différence de fréquences entre les deux sous-
populations. Bien que les équations se présentent sous la même forme, les deux
phénomènes sont différents et il ne faut pas assimiler directement F ST à F.

D - STRUCTURE HIERARCHIQUE DES POPULATIONS


Dans les populations divisées, trois niveaux hiérarchiques peuvent être observés:
celui de l'individu (I), celui de la sous-population à laquelle il appartient (S), et enfin
celui de la population considérée dans son ensemble (T). Pour caractériser
l'hétérozygotie génétique de ces niveaux. Wright considère des locus diallélique et
définit alors les paramètres suivants :
HI : Hétérozygotie observée en moyenne par individu, sur l'ensemble des sous-
populations.
HS : Hétérozygotie attendue par individu pour une sous-population, en la supposant à
l'équilibre de Hardy-Weinberg.
HT : Hétérozygotie attendue par individu, en supposant la population globale à
l'équilibre de Hardy-Weinberg.
Comme précédemment HI représente l'hétérozygotie moyenne observée, pour
l'ensemble des gènes d'un individu. (C'est aussi la probabilité d'hétérozygotie en un
locus pris au hasard). HI est l'hétérozygotie moyenne des individus sur l'ensemble des
sous-populations. Si Hi représente l'hétérozygotie observée dans la ième sous-
population, on aura pour k sous-populations :
k
HI =∑ Hi /k .
i
Comme nous l'avons vu précédemment, HS représente l'hétérozygotie attendue dans
une sous-population supposée à l'équilibre de Hardy-Weinberg, où xi est la fréquence du
ième allèle. Soit pour la S ième population :

HS = 2p1q1 et on notera H S la moyenne des HS sur les k sous-populations :

H S = ∑ HS /k H T = 2pq (p: moyenne des fréq. A )

Enfin HT représente l'hétérozygotie attendue si toutes les sous-populations


étaient regroupées en une seule unité panmictique.
Le premier indice, FIS, est alors défini par la relation :

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FIS = ( H S - HI) / H S FIS =1-((HI)/(HS)) =1 - HI / H S

Il mesure la réduction éventuelle d'hétérozygotie des individus à l'intérieur de leur


sous-population. En effet, nous avons supposé dans l'exemple précédent que chaque
sous-population était à l'équilibre de Hardy-Weinberg, mais ceci n'est pas
obligatoirement le cas dans les populations naturelles. Dans ces conditions, l'analyse des
échantillons pourra indiquer un déficit en hétérozygote, ici réellement dû à la
consanguinité ou à l'homogamie, voire à la sélection. En revanche, si les sous-populations
sont à l'équilibre de Hardy-Weinberg on aura bien FIS = 0.
Si FIS est négatif, les sous-populations présentent au contraire un excès
d'hétérozygotes lié, par exemple, à un flux migratoire important provoquant un effet
d'hétérogamie.
Entre les sous-populations et la population totale l'effet de la subdivision est exprimé
par un indice similaire :FST = (HT - H S) / HT .
FST est l'indice de fixation que nous avons vu précédemment. Il correspond à la
réduction d'hétérozygotie dans les sous-populations, liée aux différences de
fréquences alléliques moyennes. Si toutes les sous-populations ont la même fréquence
allélique et sont à l'équilibre, FST est nul. Dans le cas contraire, l'effet Wahlund
implique que HT soit plus grand que HS et donc FST sera positif. Ceci indique que les
sous-populations ont des fréquences alléliques moyennes différentes. Elles sont
généralement induites par l'effet de la dérive génétique qui agit sur elles. F ST reflète
en fait l'action conjuguée de la dérive, qui diversifie les populations, et de la migration,
qui tend à les homogénéiser. FST est ainsi un indicateur de la cohésion de l'ensemble
des sous-populations considérées.
Enfin, la réduction d'hétérozygotie globale entre l'individu et la population globale
théorique est donné par l'indice : FIT = (HT - HI)/ HT .
On montre aisément que les trois indices sont liés par la relation :
(1 - FIT) = (1 - FIS) (1 - FST) .

Si toutes les sous-populations sont à l'équilibre de Hardy-Weinberg on a FIS = 0, et


donc FST = FIT. Si toutes les populations sont à l'équilibre de Hardy-Weinberg et ont
les mêmes fréquences alléliques, FIS et FST sont nuls et FIT aussi. La division en sous-
populations n'existe plus en fait et la population globale est à l'équilibre de Hardy-
Weinberg.

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Les F-statistiques

• FIS = ( HS - HI) / HS
(-1<FIS<1)
• F ST = (HT - HS) / HT
(0<FST<1)
• FIT = (HT - HI)/ HT
(-1<FIT<1)

(1 - FIT) = (1 - FIS) (1 - FST)


14/11/2014 Chapitre VI 16

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