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HUMOUR ET IRONIE DANS LE DÉBAT HOLLANDE-SARKOZY DE L'ENTRE-

DEUX-TOURS DES ÉLECTIONS PRÉSIDENTIELLES (2 MAI 2012)

Catherine Kerbrat-Orecchioni

Éditions de la Maison des sciences de l'homme | « Langage et société »

2013/4 N° 146 | pages 49 à 69


ISSN 0181-4095
ISBN 9782735116072
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Humour et ironie dans le débat Hollande-Sarkozy
de l’entre-deux-tours des élections présidentielles
(2 mai 2012)

Catherine Kerbrat-Orecchioni
ICAR, Université Lumière Lyon 2
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catherine.kerbrat-orecchioni@univ-lyon2.fr

1. Introduction. Humour/ironie : la définition introuvable


Dans l’ouvrage qui constitue, avec sa bibliographie de quelque 52 pages,
une sorte de somme sur les différentes théories de l’humour proposées
jusqu’alors (théories fondées sur les notions de disjonction d’isotopie,
de bisociation, de scénario sémantique, etc.), Salvatore Attardo (1994)
montre bien les difficultés insurmontables que l’on rencontre lorsque
l’on cherche à opposer sur la base de définitions précises (formulées en
termes de conditions nécessaires et suffisantes) les notions d’humour
et d’ironie, ainsi que les notions avoisinantes (plaisanterie, moquerie,
raillerie, sarcasme, dérision, comique…) dans ce champ sémantique qui
a plutôt des allures de maquis. C’est qu’à la différence d’autres notions
descriptives qui sont construites par les linguistes eux-mêmes, celles
qui nous occupent ici proviennent de la langue ordinaire. Or si les
philosophes peuvent se permettre de traiter de telles notions comme s’il
s’agissait de concepts abstraits, extraits de la gangue de leurs usages, et
formant de beaux systèmes d’oppositions formulées en termes essentia-
listes (« l’humour c’est ceci, l’ironie c’est cela »), un linguiste ne peut
pas faire aussi aisément bon marché des attestations, qui l’obligent à
admettre le caractère flou de notions telles que « humour » et « ironie » :
dès que l’on tente de les systématiser, les réalités empiriques se rebellent.
Pour prendre un exemple récent : Rabatel propose de considérer l’ironie

© Langage et société n° 146 – décembre 2013


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comme une « sur-énonciation » (alors que l’humour serait une « sous-


énonciation »), c’est-à-dire une
raillerie clivante qui oppose Moi/Nous (vérité, intelligence et autres
valeurs positives) vs. Eux (erreur, bêtise et autres valeurs négatives),
ces valeurs étant inconciliables et irréductibles. (2012 : 69 ; voir aussi
Rabatel 2013)
La proposition est intéressante, mais elle fait bon marché de toutes
sortes d’emplois qui se laissent difficilement caser sous une telle défini-
tion : l’ironie situationnelle et l’« ironie du sort », mais aussi l’autodérision,
qui fonde l’humour juif (voir les travaux de Judith Stora-Sandor, 1984)
et occupe une place importante dans de nombreuses cultures, et même
en France d’après certains auteurs, comme Mathieu Lindon :
C’était mon idée de l’ironie. Celui qu’elle mettait en question était le
plus souvent l’ironiste lui-même. (Lindon, 2011 : 228)
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On ne voit pas non plus comment concilier cette définition avec l’idée
si souvent énoncée à la suite, entre autres, de Jankelevitch (« ironiser
[…] c’est s’absenter », 1964 : 21), selon laquelle la posture de l’ironiste
marquerait une « distance » vis-à-vis de son dire, posture souvent associée
à un refus de s’engager dans son discours et à ce titre souvent critiquée
dans le monde politique1.
Pour ce qui concerne la relation entre humour et ironie, on ne saurait
mieux illustrer le flou qui entoure ces notions et la relation qu’elles entre-
tiennent qu’en notant que selon les auteurs, ce couple notionnel est de
nature à illustrer les quatre relations sémantiques fondamentales pouvant
exister entre deux items lexicaux : antonymie (cf. Rabatel), hypéro/hypo-
nymie (Charaudeau [2011 : 12-16] : l’ironie comme forme particulière
d’humour) ou à l’inverse, hypo/hypéronymie (Ducrot [1984 : 213] :
l’humour comme « forme d’ironie qui ne prend personne à partie »),
et enfin (para-)synonymie : il n’est pas rare en effet que les deux termes
soient considérés comme plus ou moins équivalents, dans leurs usages
« ordinaires » où l’on constate des glissements permanents d’un terme
à l’autre, et même chez des auteurs aussi avisés que Camus, Kundera2
et bien d’autres.
De telles constatations ne peuvent que rendre méfiant envers les
« théories unifiées » appliquées à de tels objets (théories qui préten-
dent découvrir la « quintessence » de phénomènes qui sont par nature

1. Voir Kerbrat-Orecchioni, 2011 : 143-145.


2. Voir respectivement Rey (2012) et Kundera (2009) en particulier le chapitre III sur
Anatole France.
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polymorphes et insaisissables), et envers ce que l’on peut appeler le


syndrome d’Humpty Dumpty, consistant à imposer ses propres défi-
nitions au mépris de nombreux usages attestés3. C’est au contraire à
partir d’un nombre considérable d’attestations que sont fabriquées les
définitions des dictionnaires, définitions certes floues et modestement
« bricolées », mais dont on peut penser qu’elles reflètent une sorte de
consensus sur la valeur prototypique des termes considérés ainsi que
sur leurs extensions d’emploi.
Soit donc le Petit Robert (2013) :
Humour. Forme d’esprit qui consiste à présenter la réalité de manière à
en dégager les aspects plaisants et insolites.
Ironie. Manière de se moquer (de quelqu’un ou de quelque chose) en
disant le contraire de ce que l’on veut faire entendre.
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On constate d’abord une certaine dissymétrie entre ces deux défini-
tions dans la mesure où :
(1) l’humour est défini par sa visée pragmatique : il s’agit d’amuser en
rendant la réalité « plaisante », par des moyens discursifs non précisés
mais dont on peut supposer qu’ils sont extrêmement divers ;
(2) l’ironie est définie à la fois en termes de procédé sémantique (l’anti-
phrase) et de visée pragmatique (« se moquer de quelqu’un ou quelque
chose »). En vertu de cette deuxième composante, l’ironie implique
nécessairement une cible (on ironise contre), ce qui n’est pas forcément le
cas de l’humour, lequel peut relever, pour reprendre la terminologie de
Freud (1971[1905]), d’un esprit « inoffensif » (et non « tendancieux »).
Imaginons par exemple que dans la chambre de l’hôtel viennois où je
séjourne je déclare :
Tu peux arrêter la Klimt s’il te plaît ? À propos, au Musée on y va en bus
ou pedibus ?

je fais alors incontestablement de l’humour (bon ou mauvais, là n’est pas la


question), sans qu’il s’exerce contre une quelconque « cible » identifiable.
Rien d’ironique donc dans cet énoncé puisque l’ironie, elle, s’en prend
toujours à une cible (ou « victime » de l’ironie, laquelle peut, rappelons-le,

3. « — Quand j’emploie un mot, dit Humpty Dumpty avec un certain mépris, il signifie
ce que je veux qu’il signifie, ni plus ni moins.
— La question est de savoir si vous pouvez faire que les mots signifient tant de choses
différentes.
— La question est de savoir, dit Humpty Dumpty, qui est le maître – c’est tout. »
(Lewis Carroll, De l’autre côté du miroir, Marabout, trad. A. Bey, 1963).
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coïncider avec le locuteur, l’allocutaire/destinataire ou un objet tiers), ce


caractère découlant de la nature évaluative des énoncés ironiques. Émile
Henriot (cité par Rey, 2012 : 49) résume bien l’opinion commune à ce
sujet, opinion dont on ne voit pas au nom de quoi on la récuserait :
L’humour pourrait se définir : une gaîté gratuite, n’engageant rien, mise
là pour le seul plaisir de la plaisanterie. Alors que l’ironie […] comporte
un jugement et fait toujours une victime.

Mais les choses sont en réalité plus compliquées dans la mesure où :
(1) l’humour peut lui aussi être « offensif » (les expressions « humour
moqueur » ou « humour ravageur » ne sauraient être considérées comme
des oxymores) ;
(2) quant à l’ironie, si elle se caractérise toujours par l’existence d’une cible,
elle ne repose sur une antiphrase que sous sa forme prototypique ; mais
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tout le monde admet d’autres manifestations possibles de l’ironie, Barbe
considérant par exemple (1995 : 59) que si l’ironie implique générale-
ment « some kind of substitution », il existe aussi des cas de literal ironies :
l’énoncé ne présente aucun décalage sémantique mais il est porteur d’un
additional message, dont la nature reste d’ailleurs assez mystérieuse… Si
tout fait d’ironie constitue une attaque, la réciproque n’est pas vraie : une
critique violente, une mise en cause brutale ne relèvent pas de l’ironie si
elles sont énoncées « au premier degré » − on hésitera par exemple à quali-
fier d’ironique le fameux « casse-toi pauvre con » de Sarkozy. L’énoncé iro-
nique doit avoir quelque chose de « plaisant » dans sa formulation (même
s’il est plutôt déplaisant pour la cible), ce qui n’est pas aussi évident dans
les cas d’ironie « étendue » que lorsque celle-ci repose sur une antiphrase :
rétorquer « eh ben ça sera gai » à Ségolène Royal nous promettant des
colères « même quand elle sera présidente de la République » est assuré-
ment plus drôle que d’estimer que « ce sera sinistre », du fait de l’existence
du sens littéral (positif) qui bien que présenté comme non valide n’est pas
totalement évacué, étant responsable de l’effet cocasse.
Récapitulons :
(1) Humour : utilisation ludique du langage, qui s’exerce ou non contre
une cible (même si l’on peut être tenté de considérer que l’humour « par
excellence » est plutôt « inoffensif ») ;
(2) Ironie prototypique : antiphrase visant une cible ; par extension, toute
forme de raillerie (attaque ayant quelque chose de « plaisant » dans sa
formulation).
On comprend dès lors la complexité de la relation entre les deux
notions et toutes les tergiversations à ce sujet : d’une part, l’ironie a tou-
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jours quelque chose d’humoristique ; d’autre part, lorsque l’humour s’en


prend à une cible il s’apparente à de l’ironie. En dehors des cas d’humour
inoffensif (jeu pur), les deux notions se confondent.
Or dans le cas de nos débats, c’est justement à de l’humour offensif
que l’on a affaire.

2. Le genre « débat de l’entre-deux-tours des présidentielles »


La deuxième raison des fluctuations dans les conceptions de l’humour et
de l’ironie vient de ce que ces phénomènes prennent des formes extrê-
mement différentes selon le genre discursif qui les héberge − quel rapport
par exemple entre l’ironie d’un texte littéraire (qui s’inscrit dans la macro-
structure) et celle dont on émaille les échanges quotidiens ?
En l’occurrence, l’objet à analyser relève d’un type bien particulier
d’interactions médiatiques4 : les débats de l’entre-deux-tours des prési-
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dentielles où s’affrontent, à intervalle régulier (tous les sept puis cinq
ans), les deux finalistes du premier tour. Il s’agit là d’une sorte de rituel
(une « tradition de la République » selon la formule inaugurale utilisée
par l’animateur Pujadas dans le débat qui nous intéresse), dont les règles
sont à la fois extrêmement rigides en ce qui concerne les aspects les plus
formels du déroulement du débat, et totalement implicites en ce qui
concerne la plupart des fonctionnements discursifs (dont le recours
à l’humour et à l’ironie). Il revient donc au chercheur de dégager ces
règles, ici à partir du cas du dernier débat de ce type, qui vit s’opposer
en 2012 François Hollande et Nicolas Sarkozy.
Par rapport à la question de l’humour, les caractéristiques du genre les
plus pertinentes relèvent des objectifs du discours et du format participatif
dans lequel il s’inscrit.
(1) En ce qui concerne la visée des propos échangés : l’ensemble du dis-
cours tenu par chacun des deux candidats se ramène à un macro-acte
assertif « Je suis le meilleur » (sur lequel vient de greffer un macro-acte
directif « Votez pour moi »), ce qui implique à la fois une autopromo-
tion et une disqualification de l’adversaire. Tous les procédés discursifs
mobilisés vont être mis au service de cette visée globale et en particulier
l’humour, qui va donc être essentiellement offensif, avec coïncidence de la
cible et de l’interlocuteur : c’est bien évidemment contre l’autre candidat
qu’il s’agit de décocher ses flèches.

4. Sur le fonctionnement de l’humour dans différents genres médiatiques, voir le numéro 10,


2006, de Questions de communication publié sous la direction de C. Chabrol et inti-
tulé « Humour et médias. Définition, genres et cultures » (revue en ligne : questions-
decommunication.revue.org).
54 / CATHERINE KERBRAT-ORECCHIONI

Mais s’il s’agit d’une guerre verbale, tous les coups ne sont pas permis :
étant donné la solennité de l’événement et la gravité de l’enjeu, pas ques-
tion de traîner dans la boue son adversaire et de sombrer dans l’injure
ou la pratique du bashing, comme cela peut se faire par exemple dans les
talk-shows (voir Lochard, 2006). Pas question non plus de se livrer sans
retenue à des « petites blagues » (et à fortiori à des « grosses blagues ») qui
risquent de paraître « déplacées » dans un contexte aussi sérieux.
Si dans ces débats l’humour et l’ironie peuvent trouver leur place à la
fois comme instruments de combat (contre l’adversaire) et de séduction
(du public), ils ne doivent être utilisés qu’à bon escient ; on pouvait donc
se demander avant le débat comment allait se comporter Hollande, à pro-
pos duquel Matthieu Ecoiffier évoquait sur France Culture le 8 octobre
2011 « la bonne humeur et l’humour qu’il a bien du mal à mettre en
sourdine pour ‘faire président’ » (ainsi l’humour ne serait-il guère com-
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patible avec l’éthos présidentiel), et si Sarkozy allait rejouer la stratégie de
l’ironie qu’il avait si bien exploitée en 2007 face à Royal5.
Dans un tel contexte le maniement de l’humour est délicat et for-
tement « contraint ». Pour voir la place qu’il occupe et les formes qu’il
peut prendre, nous avons regardé dans le détail à partir d’une transcrip-
tion fine6 tous les moments où il nous semblait qu’il se passait quelque
chose qui relevait de l’humour/ironie, en nous fiant avant tout à notre
intuition, parfois aidée par ces marqueurs que sont les manifestations
non verbales chez le locuteur et/ou l’interlocuteur – mais elles sont rares
(surtout de la part de Hollande, de bout en bout « pince-sans-rire ») et
souvent ambiguës7 –, ainsi que par les commentaires métadiscursifs de
l’interlocuteur, qui sont eux aussi exceptionnels, et restent à interpréter.
Par exemple, l’expression « petite blague » peut être utilisée pour décrire
quelque chose qui relève manifestement de l’ironie, comme dans cet
exemple où Sarkozy fait sans doute allusion au sobriquet « Monsieur
petites blagues » attribué à Hollande durant la campagne :

5. Pour une analyse de l’ironie sarkozienne dans ce débat, voir Kerbrat-Orecchioni, 2013.
6. Transcription effectuée pas notre doctorante Domitille Caillat, que je remercie vive-
ment de m’avoir permis de l’utiliser pour cette étude. Pour en faciliter la lecture, j’ai
allégé la transcription de certains extraits, en supprimant des chevauchements de
parole sans grande incidence sur le fonctionnement de l’humour.
Précisons que les chevauchements sont signalés par des crochets droits. Par ailleurs,
les signes / et \ marquent une intonation respectivement montante et descendante;
le signe (.) une courte pause; et le signe & la continuation du tour.
7. Sur les rires et sourires dans le débat Royal-Sarkozy de 2007, voir Sandré (2011).
Notons en outre que du fait de la règle proscrivant les plans de coupe, le téléspectateur
n’a généralement pas accès aux mimiques de l’écouteur.
HUMOUR ET IRONIE DANS LE DÉBAT HOLLANDE-SARKOZY / 55

FH : donc vous êtes/ très mécontent de vous/ j’ai dû me tromper/ j’ai
dû faire une erreur/ […] donc/ euh je me [mets à présenter mes excuses/
vous êtes/ très/ mécontent de vous\
NS : [monsieur Hollande\ c’est pas
le concours de la petite blague
FH : non non c’est pas de la blague

Par ailleurs, les termes « plaisanter » et « plaisanterie » peuvent suggérer


la mauvaise foi tout autant que l’humour :
NS : vous parlez/ de l’indépendance de la justice/ c’est une plaisanterie\
monsieur Hollande\
la polysémie du terme étant à l’œuvre dans cet échange aux allures de
passe d’armes :
NS : il y a une différence/ entre nous\ (.) vous voulez moins de riches/
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moi/ je veux moins/ de pauvres\
FH : et il y a à la fois plus de pauvres/ (.) et des riches/ plus riches\
NS : ce n’est pas/ exact\ […] et ce n’est pas/ une plaisanterie\
FH : ce n’est pas une plaisanterie/ hélas/ c’est la réalité\
Mieux encore, le terme « humour » peut lui-même être utilisé pour
désigner un comportement relevant en fait de la mauvaise foi :
FH : je préfère/ tenir bon\ (.) sur une position que je défends\ depuis
des années/ (.) plutôt que d’en changer/ (.) sous la pression/ des circons-
tances\
NS : monsieur/ (.) monsieur/ Hollande\ je sais/ que vous avez le sens
de l’humour/ (.) mais VOUS tenir bon/ sur vos convictions/ (.) c’est/
franchement/ (.) pas vous/ (.) et pas ça\
(2) En ce qui concerne le format participatif de ces débats, il se caractérise
comme dans toute interaction médiatique par l’existence d’un « surdesti-
nataire » constitué par le public des téléspectateurs, destinataires en appa-
rence indirects mais en réalité principaux (puisque ce sont ces électeurs
potentiels qu’il s’agit de séduire et d’acquérir à sa cause) − destinataires
qui sont donc « ciblés » par le discours tenu par les candidats, mais en
un tout autre sens du terme ; terme que pour éviter toute confusion je
préfère réserver à la personne aux dépens de laquelle s’exerce la verve
humoristique du locuteur, et qui ne coïncide pas nécessairement avec l’un
des actants de l’énonciation, pas plus qu’elle ne coïncide nécessairement
avec le thème (en anglais topic) de l’énoncé.
56 / CATHERINE KERBRAT-ORECCHIONI

3. Les procédés d’humour/ironie dans le corpus


Comparons les extraits (i)-(ii) et (i’)-(ii’) :
(i) FH : nos soldats/ qui ont fait un travail\ (.) formidable/ (.) et utile/
[…]
(ii) NS : en Afghanistan/ nos soldats/ ont fait un travail/ absolument
extraordinaire\
(i’) NS : vous allez créer/ une banque publique\ formidable\ elle existe
déjà\
(ii’) NS : j’ai écouté monsieur Hollande/ […] il a dit qu’il serait un pré-
sident extraordinaire/ si les Français le choisissaient/ […]

En (i) et (ii) les axiologiques « formidable » et « extraordinaire » sont


employés au premier degré : on ne plaisante pas avec nos soldats qui se
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sont battus vaillamment en Afghanistan.
En (i’) « formidable » est utilisé par antiphrase : ironie prototypique
mais l’énoncé produit en même temps un effet humoristique et même
comique.
En (ii’) « extraordinaire » est censé reprendre les propos de l’adversaire −
mais en les caricaturant, ce qui relève à la fois de l’humour et de l’ironie.
Qu’ils relèvent de l’un ou de l’autre, ce sont là les deux procédés d’hu-
mour/ironie les mieux représentés dans notre débat, et que nous allons
donc envisager successivement.

3.1. L’antiphrase
3.1.1. Mécanisme
Rappelons rapidement le mécanisme de l’antiphrase : un énoncé possède
un sens littéral ou apparent S (en (i’) : sens propre de « formidable »), mais
qui en contexte renvoie à un sens caché X en relation d’opposition séman-
tique avec S. En cas d’antiphrase ironique, X doit être dévalorisant, donc
S valorisant. X correspond au sens que le locuteur « prend en charge »
et que le récepteur doit identifier et reconstituer (sur la base de certains
indices qui peuvent être de nature interne ou externe), faute de quoi il
se rendra coupable d’un « contresens ». S est au contraire récusé par le
locuteur, mais reste à savoir s’il est pris en charge par un « énonciateur »
identifiable (fictif ou réel). Les points de vue varient sur cette question.
Il me semble personnellement que cela dépend des cas (voir Kerbrat-
Orecchioni, 2013). Dans le cas de (i’) on dira :
– que le locuteur prend en charge X = « ce n’est pas du tout formidable
(puisque la banque que vous prétendez vouloir créer existe déjà) » ;
HUMOUR ET IRONIE DANS LE DÉBAT HOLLANDE-SARKOZY / 57

– que l’on peut supposer que Sarkozy suggère que Hollande, lui, consi-
dère que c’est formidable et ce faisant, se ridiculise ;
– qu’en tout état de cause, Hollande est la cible de l’ironie de Sarkozy.
Le débat offre un certain nombre de fonctionnements similaires, soit 7
en tout, dont 4 dus à Sarkozy et 3 à Hollande. Exemples :
NS : quelle belle démonstration/
NS : vous venez de nous faire/ un beau discours/ on en avait/ la larme
à l’œil\
NS : le parti socialiste/ courageusement/ (.) a pris la poudre d’escam-
pette/ (.) quand il a fallu voter cette loi\
Dans le dernier extrait NS ne cible pas Hollande lui-même mais son
parti. L’exemple illustre également le fait que l’effet ironique n’implique
pas nécessairement une prise en charge du contenu littéral par la cible (en
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l’occurrence, de supposer que les socialistes se sont estimés courageux en
refusant de voter). C’est encore plus net dans l’exemple suivant, dû cette
fois à Hollande ironisant contre l’attitude de Sarkozy, qui prend un malin
plaisir à débusquer les propos de personnalités de gauche ayant critiqué
les propositions de Hollande, et à les lui « servir » (le choix de ce verbe
péjoratif vient renforcer l’effet ironique) :
FH : est-ce que vous voulez que je vous serve/ aussi/ […] tous les respon-
sables de droite/ qui ont dit du bien de vous\

En contexte, l’énoncé veut évidemment dire « qui ont dit du mal de


vous » (sens dérivé que Hollande prend en charge) ; mais pour ce qui est
du sens littéral, il est difficile de l’imputer aux « responsables de droite »
(qui auraient critiqué Sarkozy en pensant en dire du bien ?).
Dans les deux autres exemples d’antiphrases hollandaises, l’énonciateur
supposé de S coïncide bien avec la cible :
FH : la belle idée que vous avez lancée\
FH : là/ nous sommes sur un point important/ de votre bilan/ (.) vous
dites qu’il n’y a pas eu de violences/ (.) heureusement/
(l’adverbe « heureusement », qui signifie « c’est la moindre des choses, il
ne manquerait plus que ça ! » suggère dans le dernier exemple que « ce
n’est un point important de votre bilan que pour vous »).
Dans tous ces exemples la cible est donc, directement ou indirecte-
ment, l’adversaire. Il en est de même dans les cas particuliers d’antiphrases
ironiques que l’on peut relever dans le corpus, et que nous avions déjà
repérés dans le débat de 2007.
58 / CATHERINE KERBRAT-ORECCHIONI

3.1.2. Quelques types particuliers d’antiphrases


(1) Les « accusés de réception » ironiques : « ah », « ah bon », « ah d’accord »,
« ah donc très bien »…, qui simulent un accord, que dément la prosodie
et le contexte, et qui viennent en fait souligner l’ineptie du dire précé-
dent. Ils sont parfois accompagnés de la reprise (également ironique) de
l’énoncé ainsi ridiculisé. Procédé typiquement sarkozien, encore plus
fréquent dans le débat de 2007.

(2) Les formules de politesse utilisées de façon manifestement insincère :


– Remerciement :
NS : merci de me donner/ votre autorisation\
NS : merci\ (.) je ne suis pas/ votre élève\
NS : merci de votre arrogance/ (…) mais ça ne me gêne pas\
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FH : je vous remercie d’avoir cité les iPad/ (.) euh que je mets à distribu-
tion/ à tous les collégiens de Corrèze/ (.) je vous en remercie/
FH : comme vous dites/ je suis de la cour des comptes/ je vous remercie\
(.) de l’avoir rappelé/
– Excuse :
NS : monsieur Hollande/ pardon/ invente le fil/ à couper le beurre/8
NS : pardon de vous le dire/ j’ai participé à tous/ les sommets européens/
et vous n’en avez participé/ à aucun\
FH : pardon\ mais je ne suis pas\ président de la République/
FH : donc vous êtes/ très mécontent de vous/ j’ai dû me tromper/ j’ai
dû faire une erreur/ […] donc/ euh je me mets/ à présenter mes excuses/
vous êtes très/ mécontent de vous\

(3) Les litotes ironiques9 :


NS : je ne pense pas/ qu’aux frontières du Rhin/ (.) il y ait un problème/
de tsunami\
NS : les centrales nucléaires en Suisse/ qui ne sont pas prévues/ pour être
(.) des gens/ (.) tellement/ qui aiment le risque/ (.) ont 60 ans/
FH : vous dites maintenant/ je vais leur proposer/ mais il est bien temps\
FH : monsieur Sarkozy vous aurez bien du mal à passer pour une vic-
time\ (.) et pour un agneau

8. Le « pardon » trahit ici le trope communicationnel (fausse délocution).


9. Pour une description du mécanisme de la litote ironique, voir Kerbrat-Orecchioni
(2013).
HUMOUR ET IRONIE DANS LE DÉBAT HOLLANDE-SARKOZY / 59

(4) Notons enfin que certaines antiphrases ironiques correspondent à des


formules quasiment lexicalisées comme telles, par exemple « allez com-
prendre » qui signifie toujours « il n’y a rien à comprendre », ou « tant
mieux pour lui », utilisé par Sarkozy parlant de Jospin qui a « bénéficié
d’une période de croissance extraordinaire » : on le voit mal appliquer
la formule à quelqu’un de son propre camp (il en serait de même avec
« grand bien lui fasse »).

3.1.3. L’ironie dialogique


Je prendrai ici « dialogisme » au sens étroit (par opposition à « poly-
phonie » qui désigne un phénomène bien plus étendu et aux contours
nettement plus flous), renvoyant à tout phénomène de reprise, par le
locuteur A, d’un discours qu’il présente explicitement comme émanant
d’une autre source énonciative B. Sans prendre parti sur la question de
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savoir si tous les faits d’ironie relèvent de la polyphonie10, il est certain
qu’ils ne relèvent pas tous du dialogisme tel qu’il vient d’être défini11.
Mais c’est clairement le cas lorsque l’un des débatteurs reprend une
assertion précédemment énoncée par l’adversaire (la reprise est alors plus
précisément « diaphonique », selon le terme de l’école de Genève12) − par
exemple : « votre présidence est partisane », ou « je représente l’esprit
du rassemblement » − pour en inverser la valeur en l’insérant dans une
argumentation faite d’une succession d’exemples illustrant le contraire
de ce que prétend l’assertion reprise.
Le procédé apparaît deux fois chez Sarkozy, dans d’assez longues tirades
où l’énoncé repris ironiquement est martelé plusieurs fois (cinq dans les
deux cas, l’anaphore venant renforcer le procédé ironique), à la forme
interrogative :
NS : quand monsieur/ Axel Kahn\ […] compare\ (.) le rassemblement/
du Trocadéro d’hier\ pour la fête du travail\ au congrès de Nuremberg\

10. Le problème se ramène à la question de savoir s’il faut toujours supposer l’existence
d’un énonciateur distinct du locuteur, prenant en charge le sens littéral (qui refléterait
donc son « point de vue »). Je me contenterai de noter que les partisans de cette solution
descriptive ne l’appliquent généralement pas aux autres tropes (métaphore, métonymie,
litote et hyperbole, trope illocutoire, etc.), le fait que ce traitement soit réservé à l’ironie
étant sans doute à mettre en corrélation avec son caractère fondamentalement évaluatif.
11. Brès (2010) considère au contraire que tout fait d’ironie a un caractère dialogique dans
la mesure où il repose sur une interaction entre le discours de l’ironiste et celui qu’il
prête à la cible de l’ironie.
12. Voir Roulet et al. (1995) ; et sur quelques façons de concevoir le couple dialogisme/
polyphonie : Brès et al. (dir.) (2005), Constantin de Chanay (2005), Perrin (dir.)
(2006).
60 / CATHERINE KERBRAT-ORECCHIONI

(.) est-ce l’esprit de rassemblement/ […] quand on défile derrière le


drapeau rouge/ (.) avec la faucille et le marteau/ est-ce que c’est l’esprit
de rassemblement/ […]
NS : j’ai nommé un député socialiste\ (.) vrai/ (.) ou pas\ (.) à la tête/
de la Cour des Comptes\ (.) c’est une présidence/ partisane/ (.) […]
j’ai nommé/ au Conseil Constitutionnel\ un ancien collaborateur/ (.)
de monsieur Mitterrand\ monsieur Charasse\ (.) c’est une présidence/
partisane/ […]
L’antiphrase ironique serait claire en cas de formulation assertive.
Dans le cas de la formulation interrogative, l’antiphrase intervient entre
X = « ce n’est pas l’esprit de rassemblement/une présidence partisane »
et le sous-entendu de l’énoncé interrogatif « on pourrait considérer que
ça l’est » (en contexte : « vous prétendez que ça l’est »). Il n’y aurait par
contre aucun effet ironique si la réfutation se réalisait sous la forme d’une
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assertion négative (« ce n’est pas une présidence partisane puisque… ») :
on pourrait alors à la rigueur y voir de la polyphonie (liée à la structure
négative), mais ni dialogisme ni antiphrase.
Bilan : il arrive aux deux candidats de recourir à l’ironie, avec toutefois
un léger avantage pour Sarkozy (en ce qui concerne surtout les accusés de
réception ironiques et l’ironie dialogique). Dans tous les exemples repérés
la cible de cette ironie coïncide de près ou de loin (généralement de près)
avec l’autre candidat, qu’il s’agit de ridiculiser.
Il en est de même pour le deuxième procédé repéré, et qui est plutôt
caractéristique de l’humour, et du style de Hollande.

3.2. L’exploitation humoristique du discours rapporté


Il s’agit là encore pour le locuteur de reprendre les propos antérieurs de
l’interlocuteur, donc d’un phénomène de dialogisme/diaphonie. Mais
alors que dans le cas de l’ironie dialogique le locuteur feint de les incor-
porer à son discours en en détournant la signification (il y a double sens
et double énonciation pour un seul et même énoncé), point de double
sens ici : le débatteur reprend les propos de son interlocuteur sans faire
semblant de se les approprier, il les prend pour ce qu’ils sont, à savoir les
propos d’un tiers. Le trucage énonciatif est ailleurs : il réside dans le fait
que le locuteur citant déforme sans le dire les propos du locuteur cité, et
cela de manière à les rendre ridicules en ridiculisant par ricochet celui qui
est censé les avoir tenus.
Il arrive à Sarkozy de recourir à ce procédé :
NS : j’ai écouté Monsieur Hollande/ c’est/ c’est assez classique/ (.) ce
qu’il a dit/ […] il a dit qu’il serait un président extraordinaire/ si les
HUMOUR ET IRONIE DANS LE DÉBAT HOLLANDE-SARKOZY / 61

Français le choisissant/ le choisissaient/ et que par conséquent/ son pré-


décesseur naturellement/ n’était pas un bon président\ c’est classique/
c’est ce qu’on dit/ (.) à chaque débat\
La façon dont Sarkozy résume la présentation précédemment faite
par Hollande de « quel président je serai » est évidemment invraisem-
blable, car la « loi de modestie » interdit de dire ouvertement qu’on sera
« un président extraordinaire ». Notons aussi la connotation ironique de
« naturellement », adverbe imputable en fait à l’énonciateur Sarkozy au
sein d’un segment en principe attribué à Hollande. Encore le discours
rapporté l’est-il ici en style indirect, qui autorise et même impose la refor-
mulation. Le procédé est plus osé quand le rapport se fait en style direct,
censé reproduire fidèlement la formulation d’origine :
NS : je ne vois pas comment/ monsieur Hollande\ vous pouvez dire/ (.)
l’Allemagne fait MIEUX que nous/ (.) mais on ne va prendre aucune/
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des mesures/ qu’a pris l’Allemagne/ pour réussir\
NS : et maintenant vous venez dire aux Français/ (.) mais écoutez/ j’ai
changé d’avis/ (.) il faut plus d’innovation/ (.) il faut plus d’investisse-
ment/

Mais c’est assurément à Hollande que revient la palme du procédé


consistant à caricaturer le discours de l’adversaire, soit en le réduisant à
une formule lapidaire :
FH : et donc vous viendriez/ nous dire/ (.) voilà/ ici/ il y a des bons
points/ et des mauvais points/

soit en l’agrémentant d’un segment ajouté (en gras dans la transcription)


censé rendre plus vivant le discours rapporté (sans parler du commentaire
qui rappelle certains faits venant démentir les propos cités) :
FH : donc quand vous dites mais c’est terrible/ nous avons le niveau
de prélèvements obligatoires l’un des plus élevés du monde/ ce n’est pas
à moi qu’il faut en faire la remarque/ c’est vous/ qui avez augmenté les
prélèvements obligatoires
FH : vous aviez vous-même/ vous êtes passé un peu rapidement sur votre
objectif\ dit qu’il y aurait cinq pour cent de la population active qui serait
au chômage à la fin votre quinquennat\ nous sommes à dix\ le double\
bon\ alors après/ vous faites des comparaisons\ avec l’Allemagne/ votre
comparaison est impitoyable/ […] l’Allemagne fait dans tous domaines
mieux que nous\ alors ensuite vous nous dites/ mais c’est pas de chance/
c’est à cause des 35 heures\
soit enfin en le réécrivant complètement de façon franchement burlesque :
62 / CATHERINE KERBRAT-ORECCHIONI

FH : alors maintenant/ vous nous dites/ mais j’ai trouvé la solution/
j’ai mis du temps parce que la TVA sociale/ j’y avais songé au début de
mon quinquennat/ 2007/ j’y avais renoncé/ je ne sais pas pourquoi/
mais en tout cas/ ça revient à la fin/ et ça va nous permettre de sauver
des emplois\
FH : mais/ avec vous/ c’est très simple/ ce n’est JAMAIS/ (.) de votre
faute\ vous avez toujours/ euh un bouc émissaire\ là vous nous avez dit/
ce sont les régions/ ce n’est pas moi/ la formation/ je n’y peux rien/ sur/
euh le chômage/ ce n’est pas moi/ c’est la crise qui nous a frappés/ sur
l’Allemagne/ qu’est-ce que vous voulez/ j’ai mis/ euh cinq ans/ avant de
comprendre/ quel était/ euh le modèle allemand/ avant j’avais le modèle
anglo-saxon/ à l’esprit/ ce n’est JAMAIS/ (.) de votre faute\

Mentionnons enfin cet exemple de discours rapporté narrativisé, où


les propos de l’adversaire sont condensés en une métaphore animalière
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comiquement hyperbolique :
FH : vos amis/ vos propres amis/ (.) m’ont comparé à je ne sais quel
bestiaire/ (.) j’ai eu droit/ à tous les animaux des zoos/

Bilan : si le procédé mentionné dans cette section est différent des


précédents, la visée est la même : il s’agit toujours de délégitimer les pro-
pos de l’adversaire et donc celui qui en est responsable. Les deux types
de procédés peuvent d’ailleurs être combinés, comme dans le passage
déjà évoqué plus haut : Hollande ne cessant de dire à Sarkozy « vous êtes
toujours content de vous » et l’accusant d’être incapable d’autocritique,
Sarkozy de protester : c’est faux, c’est un mensonge. Hollande fait alors
amende honorable, mais sur un mode ironico-humoristique :
NS : c’est un mensonge […] quand vous dites/ je suis toujours content
de moi/ […]
FH : donc vous êtes/ très mécontent de vous/ j’ai dû/ me tromper/
j’ai dû faire une erreur/ […] donc/ euh je me [mets/ à présenter mes
excuses/ vous êtes/ très/ mécontent de vous\
NS : [monsieur Hollande\ c’est
pas le concours de la petite blague

L’énoncé « vous êtes très mécontent de vous » est une sorte de citation
des propos antérieurs de NS, mais qui, à la différence des exemples précé-
dents, se présente ouvertement comme une reformulation par déduction :
« donc » = « je déduis de cette accusation de mensonge que vous affirmez
être très mécontent de vous » ; trucage comique car « il est faux que je sois
toujours content de moi » n’équivaut nullement à « je suis très mécontent
de moi », aveu dont on voit mal comment Sarkozy pourrait le formuler
HUMOUR ET IRONIE DANS LE DÉBAT HOLLANDE-SARKOZY / 63

en ces termes hyperboliques. En outre, ce « vous êtes très mécontent de


vous » est apparemment pris en charge par Hollande, mais il s’agit bien
évidemment d’une pseudo-prise en charge : en fait, Hollande persiste
et signe, et toute la fin de sa réplique (les deux mea culpa et les excuses)
est énoncée sur le mode de l’antiphrase. C’est ce mélange d’ironie et
d’humour que Sarkozy, manifestement vexé, dénonce comme tout à fait
inopportun (« ce n’est pas le concours de la petite blague »).

3.3. Autres procédés


Nous allons pour terminer mentionner rapidement, et un peu en vrac,
quelques autres procédés nettement moins productifs mais qui sont eux
aussi susceptibles d’engendrer un effet humoristique. Certains de ces
procédés sont l’objet d’une prédilection particulière de la part de l’un
des deux candidats.
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– Recours occasionnel à une expression familière imagée (Sarkozy) :
« prendre la poudre d’escampette », « quel père la vertu vous faites »,
« monsieur Hollande invente le fil à couper le beurre… », « ne noyez
pas le poisson », « moi je n’ai pas pris une pince à linge pour me bou-
cher le nez »…

– Dénonciation d’une sorte de « tic » argumentatif de l’adversaire (Hollande),


comme l’accusation de mensonge :
FH : mais vous avez toujours/ c’est quand même terrible/ (.) d’avoir dans
votre esprit/ le mot/ mensonge\ comme si/ c’était quelque chose que
vous ressentiez très particulier-\ vous venez encore de le répéter\
NS : enfin/ permettez-moi de vous dire/ (.) que dans votre volonté/ de
démontrer/ l’indémontrable/ (.) vous/ (.) MENtez\
FH : ça vous reprend ça y est/ c’est décidément un leitmotiv/ qui devrait
pour moi/ être euh insupportable/ mais qui/ dans votre bouche/ finit par
être une habitude\

ou le fait de convoquer pour étayer son propos une personne appartenant


plutôt au camp de l’adversaire, avec laquelle on tente de constituer une
sorte de coalition paradoxale :
FH : pf\ allez\ vous avez toujours un socialiste/ qui vous sert de référence\
hein/ ça c’est aussi/ votre méthode\ (.) vous avez déjà cité/ Martine
Aubry/ / Manuel Valls/ (.) euh maintenant/ Laurent Fabius/

remarque que d’ailleurs Sarkozy devance avec un énoncé lui-même iro-


nique :
64 / CATHERINE KERBRAT-ORECCHIONI

NS : et figurez-vous/ je vais vous étonner/ je suis d’accord avec cela/ avec
Martine Aubry/ (.) qui dans les primaires socialistes/ critiquait violem-
ment votre contrat de génération/ (.) en disant quelle absurdité/ (.) sic/
– Discrète antanaclase (Hollande) :
FH : je comprends que ça ne vous fasse pas plaisir/ (.) d’ailleurs/ (.) ceux
à qui ça fait le moins plaisir/ ce sont les chômeurs eux-mêmes/
FH : mais vous êtes/ vous êtes toujours/ content de vous\ ce qui est/ ce
qui est d’ailleurs extraordinaire/ (.) c’est que\ (.) quoi qu’il arrive/ (.) quoi
qu’il se passe/ vous êtes content\ (.) les Français/ le sont moins/ mais
VOUS/ (.) vous êtes content\

– Réappropriation ironique d’un argument (Hollande) :


NS : lorsqu’on est président de la République/ on est président bien sûr
de ceux qui ont voté pour vous/ mais on l’est aussi de ceux qui n’ont pas
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voté pour vous\ c’est peut-être/ ce qui fait/ notre différence\
FH : oui/ sans doute/ c’est sans doute/ ce qui fait notre différence\
– Raisonnement par l’absurde (Sarkozy) :
NS : quand on m’a comparé à Franco/ (.) à Pétain/ (.) à Laval\ (.) et
pourquoi pas Hitler/ (.) vous n’avez pas dit un mot\

– Transgression du principe d’informativité – tautologie, évidence pré-


sentée comme si elle n’en était pas une (Sarkozy) :
FH : monsieur Berlusconi/ est bien du PPE/ ou il n’est pas du PPE\
NS : monsieur Berlusconi/ est berlusconiesque\
NS : et vous admettrez certainement/ que je n’étais pas au pouvoir aux
États-Unis/ (.) en Espagne/ (.) en Italie/ (.) et ailleurs\
– Évocation d’une scénette imaginaire cocasse (Sarkozy) :
NS : vous croyez/ que ça a été facile/ monsieur Hollande/ (.) vous croyez
qu’il suffit d’arriver/ avec son petit costume/ en disant/ (.) réglez/ (.)
mettez-vous tous/ d’accord/ […]
NS : juste un mot\ (.) d’abord/ monsieur Hollande/ connaît mal l’Europe/
et il ne sait pas/ que\ en Europe/ (.) on ne fait pas/ des oukases/ (.) et il
suffit pas de dire/ en tapant avec son poing sur la table/ je ne veux\ pas/

… et pour un dernier exemple d’une sorte de passe d’armes ludico-agonale :


NS : ah bon\ (.) parce que dans votre projet/ c’était sur le/ [le revenu/
FH : [non/
jamais/ [mais si vous voulez/&
NS : [ah bon\
HUMOUR ET IRONIE DANS LE DÉBAT HOLLANDE-SARKOZY / 65

FH : &que je vous passe [le projet/] je vous le [donnerai\


NS : [bon\] [enfin je je je serai je
serais très heureux/ parce qu’il y a plusieurs projets/ [vous changez/
plusieurs fois/ de position\
FH : [non/ y en n’a
qu’un il est à votre disposition\ moi je ne connais pas le vôtre/ mais
moi le mien/ il est à votre disposition\

4. Conclusion
Après avoir passé au crible la transcription du débat de 2012, j’ai pu
identifier une soixantaine de moments à tonalité humoristique plus ou
moins prononcée, dus aux deux débatteurs à part à peu près égale − le
chiffre est approximatif car on peut avoir parfois des hésitations, et par
exemple balancer entre humour et mauvaise foi :
FH : il n’y a/ aucun horaire\ de piscine\ (.) qui sera/ (.) toléré/ (.) si/ il
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fait la distinction/ entre les hommes/ et les femmes\ (.) […] vous avez
souvent cité Martine Aubry/ (.) c’est terminé/ depuis 2009/ et c’était/
pour euh (.) des femmes/ qui étaient en/ (.) en surpoids/ qui en avaient
fait la demande/ (.) […]
NS : y a pas d’hommes/ qui soient en surpoids/ non plus/ […] quelle
conception/ de l’égalité/ entre les hommes/ et les femmes/
sans parler des cas d’humour dont on peut se demander s’il est ou non
conscient et volontaire, comme dans le cas de ce jeu de mots (ils sont
rarissimes dans nos débats) :
NS : le problème vient/ de la négociation/ (.) entre les socialistes/ (.) et les
verts/ (.) qui voient rouge/ (.) dès qu’on leur parle de nucléaire/

Une soixantaine d’occurrences donc : le chiffre n’est certes pas négli-


geable, mais le recours à l’humour dans le corpus est tout de même limité
d’un point de vue quantitatif (il relève du saupoudrage, éparpillement
de touches d’humour bien vite suivies d’un retour au registre sérieux)
mais aussi qualitatif. La palette des procédés mobilisés est relativement
restreinte, négligeant ces recettes communes que sont les jeux de mots
(dont font leur miel les slogans publicitaires ou les titres de certains jour-
naux13) ainsi que les divers types de blagues, plaisanteries, incongruités,

13. Libération en tête, dont je me suis amusée à décortiquer sous cet angle quelque 200
titres (Kerbrat-Orecchioni, 2011). Sur l’ensemble du corpus des débats de l’entre-
deux-tours des présidentielles l’un des rares cas de jeu de mots attesté est dû à
Mitterrand en 1981 (jeu paronomastique sur « passé/passif » : « vous avez tendance/
un peu à reprendre/ euh le refrain d’il y a sept ans/ l’homme du passé/ c’est quand
même ennuyeux que dans l’intervalle vous soyez devenu/ vous/ l’homme du passif »).
66 / CATHERINE KERBRAT-ORECCHIONI

distorsions des rituels et transgressions des règles du face-work qui font


florès dans les échanges au quotidien, comme l’ont montré un certain
nombre d’études14.
Nous voici donc renvoyés aux contraintes de genre évoquées au début
de cet article, et principalement au caractère sérieux et solennel de
ces débats, qui doivent rester « dignes » (pour reprendre un terme utilisé
par les candidats eux-mêmes), surtout quand il est question de thèmes
particulièrement graves ou dans certaines phases du débat (comme
la double péroraison finale). Non, un débat présidentiel n’est pas un
« concours de petites blagues ». L’humour est toujours une pratique à
risque (une « menace » pour les « faces » de toutes les personnes impli-
quées dans l’affaire, cf. Zajdman, 1995), soumise à des « conditions
de réussite » impitoyables, mais cette vérité générale s’applique tout
particulièrement au cas des débats présidentiels.
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Mais en même temps, dans des interactions aussi foncièrement polé-
miques l’humour peut être, s’il est pratiqué à bon escient, « de bonne
guerre », et cela à plusieurs titres :
– envisagé par rapport à ses effets sur le co-débatteur : l’humour peut
contribuer à le déstabiliser car il n’est pas si facile de réagir élégamment
à un trait d’humour.
– envisagé par rapport à ses effets sur le public : l’humour vise à créer une
« connivence » à la fois « ludique » (séduire en amusant) et « critique »
(associer le public à l’entreprise de disqualification de l’adversaire), pour
reprendre l’opposition introduite par Charaudeau (2006 : 35-37).
La balance risques/bénéfices doit donc être manipulée avec délica-
tesse par l’émetteur. Pour ce qui est des effets produits sur le récepteur, il
convient de noter qu’ils sont aussi fonction de ses attentes, elles-mêmes
fondées sur les représentations préalables qu’il se fait de l’orateur : répu-
tation de débatteur pugnace et volontiers railleur, en ce qui concerne
Sarkozy ; et en ce qui concerne Hollande, réputation de « blagueur »
(auprès des professionnels de la politique et des médias plus qu’auprès
du grand public), à laquelle Sarkozy fait, comme on l’a vu, par deux fois
allusion − il est d’ailleurs possible que cette réputation de Hollande ait
quelque peu inhibé son partenaire, que l’on sent dans le débat de 2012
un peu plus « tendu » que dans celui de 2007, où face à Royal il décoche
de façon très décomplexée les flèches de son ironie. C’est sur ce fond
d’attentes que le comportement des candidats va produire certains effets

14. Voir Tannen (1984), Norrick (1992), Norrick & Chiaro (éds) (2009), ainsi que
Kerbrat-Orecchioni (2004) sur l’humour dans les conversations mais aussi les échanges
dans les petits commerces.
HUMOUR ET IRONIE DANS LE DÉBAT HOLLANDE-SARKOZY / 67

sur le récepteur, qui par rapport à ces attentes peut se trouver déçu ou
au contraire « déçu en bien », comme disent nos voisins suisses.
De leur côté, les candidats peuvent exploiter ces images préalables ou
au contraire tenter de les remodeler, en fonction de l’idée qu’ils se font
de l’« éthos présidentiel » (ou plutôt de l’éthos d’un « présidentiable »)
mais aussi bien sûr, en fonction de leur tempérament et de leur talent.
Il est à cet égard intéressant de comparer :
– d’une part, les comportements d’un même acteur selon les contextes
et situations (comme le font dans ce volume Jaubert et Mayaffre à
propos de Hollande) ;
– d’autre part, les comportements des différents acteurs engagés dans
les différents débats du même type (6 à ce jour, correspondant à 7 per-
sonnalités différentes)15.
Pour en rester à la comparaison des styles de Hollande et Sarkozy dans le
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débat de 2012, on a vu que les deux candidats manifestaient certaines pré-
férences pour telle ou telle technique humoristique, mais l’examen détaillé
du corpus amène à nuancer sérieusement l’idée selon laquelle Sarkozy se
comporterait plutôt en « ironiste » et Hollande plutôt en « humoriste »16,
cela d’autant plus que dans un tel contexte humour et ironie sont diffi-
cilement dissociables. Quant à savoir lequel des deux s’est montré le plus
efficace dans l’usage qu’il a fait de l’humour, je me garderai bien de tran-
cher : il nous faut reconnaître que si les outils de l’analyse linguistique nous
permettent, non d’atteindre une quelconque « essence » de l’humour, mais
de mettre à jour certains procédés que l’on peut qualifier d’humoristiques,
voire de les évaluer (mais l’entreprise est déjà plus hardie)17, ces outils sont
bien incapables de prévoir à coup sûr l’effet, qui dépend de nombreux fac-
teurs, que ces procédés auront sur la masse hétérogène de leurs récepteurs18,
et à fortiori d’évaluer leur impact sur le comportement du téléspectateur
devenu électeur, au moment de glisser le bulletin dans l’urne…19

15. Je me suis personnellement intéressée à cette deuxième approche comparative, mais il


m’est impossible de présenter les résultats de cette investigation dans le cadre de cet article.
16. Dans le débat de 2007 le clivage est plus net entre Sarkozy l’ironiste et Royal qui
serait plutôt dans le registre du sarcasme (notion d’ailleurs elle aussi très floue et
délicate à définir).
17. Pour quelques critères d’évaluation de la qualité d’un jeu de mots, voir Kerbrat-
Orecchioni (2011 : 133-139).
18. Ces effets peuvent être mieux appréhendés par une méthodologie du genre de celle que
Chabrol et Vrignaud (2006) appliquent à la réception du discours publicitaire.
19. Il n’est pas impossible que le « Vous avez tout à fait raison monsieur le premier
ministre » de Mitterrand en 1988, qui constitue à coup sûr l’exemple le plus « réussi »
d’humour dans ce contexte, lui ait valu quelques bulletins supplémentaires − mais
comme on sait, « plaisir d’humour ne dure qu’un moment… ».
68 / CATHERINE KERBRAT-ORECCHIONI

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